Lucy ARBELL

 

Lucy Arbell dans Don Quichotte (la Belle Dulcinée) [Comœdia, 15 décembre 1910]

 

 

Georgette GALL, reconnue WALLACE, dite Lucy ARBELL

 

mezzo-soprano français

(maison Wéber, avenue des Pelouses, Le Vésinet, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 08 juin 1878* – la Garenne, 10 rue de la Croix-aux-Vents, Bougival, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 21 mai 1947*)

 

Fille de Suzanne Amélie GALL (Paris ancien 4e, 30 septembre 1846 – 10 avenue George-V, Paris 16e, 15 décembre 1925*), dite Mademoiselle AVRIL, actrice ; reconnue le 07 juillet 1884 par Edmond Richard WALLACE (Paris, 28 août 1840 – Paris 16e, 12 mars 1887*) [fils du philanthrope sir Richard WALLACE].

 

 

Elève de Mme Victor Roger, de Rosine Laborde, puis de Louise Vincent-Carol, elle fut la dernière interprète préférée de Jules Massenet, qui lui confia les créations à l’Opéra de Monte-Carlo de Thérèse (Thérèse) le 07 février 1907, de Don Quichotte (la Belle Dulcinée) le 19 février 1910 et de Roma (Posthumia) le 17 février 1912. Elle a également chanté à l’Opéra de Paris et à l’Opéra-Comique. Le 15 février 1929 elle a créé Plus que reine (Laetitia) de Marcel Bertrand à l'Opéra de Nice. Le 30 janvier 1936, elle a été nommée chevalier de la Légion d’honneur.

En 1911, elle habitait 10 avenue de l’Alma [devenue avenue George-V en 1918] à Paris 8e. Elle est décédée en 1947 à soixante-huit ans, célibataire, dans sa propriété de Bougival, "la Garenne", qu'elle avait acquit le 04 avril 1918 et dont elle fit don à son décès à l'Orphelinat des Arts, dont elle fut présidente. Elle est enterrée au Père-Lachaise (37e division).

 

 

 

bottin mondain de 1942

 

 

Sa carrière à l'Opéra de Paris

 

Elle y débuta le 23 octobre 1903 dans Samson et Dalila (Dalila).

 

Elle y créa le 31 octobre 1906 Ariane (Perséphone) de Jules Massenet ; le 24 décembre 1907 les Chansons du Bois d’Amaranthe de Massenet ; le 02 mai 1909 Bacchus (la Reine Amahelli) de Massenet.

 

Elle y participa aux premières le 10 décembre 1911 de Thérèse (Thérèse) (2e acte seul lors d’un gala) de Massenet ; le 24 avril 1912 de Roma (Posthumia) de Massenet, œuvres qu'elle avait créées à Monte-Carlo.

 

Elle y chanta Aïda (Amnéris, 1904) ; Rigoletto (Madeleine, 1904) ; Sigurd (Uta, 1905) ; la Walkyrie (Fricka, 1909).

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta le 19 mai 1911 en participant à la première de Thérèse (Thérèse) de Jules Massenet, œuvre qu'elle avait créée à Monte-Carlo.

 

Elle y participa à la première le 07 octobre 1924 de Don Quichotte (la Belle Dulcinée) de Massenet, œuvre qu'elle avait également créée à Monte-Carlo.

 

Elle y chanta Werther (Charlotte, 1916).

 

 

 

 

Lucy Arbell dans Aïda (Amnéris) à l'Opéra en 1904

 

 

 

Lucy Arbell dans Ariane (Perséphone) à l'Opéra lors de la création en 1906

 

 

 

Lucy Arbell dans Ariane (Perséphone) à l'Opéra lors de la création en 1906 [photo Manuel]

 

 

 

Lucy Arbell dans Bacchus (la Reine Amahelli) à l'Opéra lors de la création en 1909 [photo Nadar]

 

 

 

Massenet par ses interprètes

Pour parler du maître, je trouve bien intéressant de raconter un peu ce que sont les études avec lui.

Ah ! ce n’est pas toujours un moment agréable, car le maître, lorsqu’il apporte les pages nouvelles d’un ouvrage, voudrait que l’interprète rendît aussitôt le sentiment, le caractère, les nuances… tout, enfin. Il ne peut admettre une hésitation, il se croit à la veille d’une répétition générale… Il exige, dès le premier contact de l’artiste avec le rôle nouveau… la perfection !

Mais, lorsqu’il se sent compris, quel changement se produit ! Il est joyeux, reconnaissant ; il parle avec bonté et vous comble d’éloges. Exagération au début… exagération à la fin.

Tout s’arrange, cependant, et le maître aime tant les artistes qu’il leur donne une place d’honneur parmi les plus chers de sa famille.

Combien aussi les artistes l’aiment, l’admirent et le révèrent !

(Lucy Arbell, 10 décembre 1911)

 

 

— Au Palais :

Massenet, en mourant, avait, par écrit, manifesté le désir que ses œuvres posthumes fussent jouées par Mlle Arbell.

Néanmoins on avait, à Monte-Carlo, représenté Cléopâtre sans elle et donné le rôle à Mme Kousnezoff. Mlle Arbell avait protesté, disant qu'elle était « propriétaire » du rôle ; qu'elle seule pouvait et devait le jouer. Elle avait plaidé. Les héritiers de l'auteur de Manon furent condamnés, en première instance, à lui verser 30.000 francs de dommages-intérêts. Le tribunal avait déclaré que Massenet s'était « porté fort » pour ses héritiers.

La Cour a réformé ce jugement. Massenet, dit l'arrêt, n'était pas le seul auteur de Cléopâtre et d'Amadis ; il avait des collaborateurs, les librettistes, et il ne pouvait donc pas imposer sa volonté, choisir ses interprètes sans leur assentiment, car il n'avait sur son œuvre qu'un droit indivis.

Me Maurice Bernard plaidait pour les héritiers Massenet, Maître Busson-Billault pour Mlle Arbell, Maîtres Henri-Robert, Aubépin, Clunet et Hild pour MM. Henri Cain et Payen, auteurs du livret de Cléopâtre, Heugel, éditeur de la partition, et Gunsbourg, directeur du théâtre de Monte-Carlo.

(le Ménestrel, 12 mars 1920)

 

 

 

 

lettre de Jules Massenet relative à Lucy Arbell

 

 

 

Lucy Arbell à Monte-Carlo dans Thérèse (Thérèse) [photo P. Boyer]

 

 

Lucy Arbell dans Thérèse (Thérèse) [photo Paul Nadar]

 

 

 

Mlle Lucy Arbell de l'Opéra, qui vient de créer à la Gaîté-Lyrique le rôle de la Belle Dulcinée du Don Quichotte de M. Massenet.

On connaît, à l'Opéra, la beauté fine et fière de Mlle Lucy Arbell ; on connaît le talent de cette artiste passionnée pour les belles œuvres et l'importance de ses créations dans les récents ouvrages du maître Massenet. On connaît peut-être moins le charme de la femme et la grâce naturelle qui émane de la belle cantatrice, dans l'intimité. Son organe de contralto qui s'étend jusqu'au registre aigu, est d'un harmonieux métal dans la conversation, et je sais peu de chanteuses ayant conservé ce timbre coloré, jeune et séduisant, dans l'intonation du langage. Mlle Lucy Arbell ferait aussi une très belle comédienne, par ce temps où nous assistons à des transpositions de talents, où des danseuses se muent en comédiennes et où des comédiennes vont à l'art lyrique, avec des succès inattendus.

Mais cette hypothèse étant toute personnelle et purement gratuite, nous devons parler ici de la cantatrice, qui ajoute d'ailleurs, à ses qualités vocales, les plus beaux dons d'expression dramatique.

Est-il besoin de revenir sur les brillantes étapes artistiques fournies par cette si jeune femme, qui jouit déjà d'une grande réputation, car elle a conquis Paris. — On se souvient de ses beaux débuts dans Dalila à l'Opéra, suivis de son succès dans Amnéris d'Aïda ; mais sa création de Thérèse, de Massenet, à Monte-Carlo, valut à la grande artiste un succès légitime et considérable. Nous n'avons pas oublié la rentrée récente à l'Opéra de Lucy Arbell dans le rôle de « Perséphone » d'Ariane. Ce fut un murmure d'admiration qui souligna l'apparition de la sculpturale cantatrice, et la noblesse d'art qu'elle sut imprimer à ce rôle.

Aujourd'hui, Mlle Arbell se manifeste avec ses dons multiples et rares, dans la « Dulcinée » de Don Quichotte de Massenet. C'est là une des créations les plus importantes de l'artiste. Elle s'y montre d'une grande séduction : spirituelle, tendre, irrésistible... Sa voix de contralto, chaude et vibrante, monte jusqu'aux notes du soprano où elle se meut à l'aise dans des vocalises brillantes.

Mais ce n'est pas tout encore : Lucy Arbell détaille à miracle une chanson qu'elle s'accompagne elle-même à la guitare, suivant le vœu formel des auteurs, au 4e tableau de Don Quichotte.

Chaque soir, cette originale chanson sera bissée ainsi que le « pas » que danse la délicieuse artiste, cantatrice, comédienne et... guitariste.

Tant de dons alliés au prestige de la beauté !

Mlle Lucy Arbell est aimée des dieux...

 

(Marguerite Casalonga, Comœdia illustré, 15 décembre 1910)

 

 

 

 

 

Lucy Arbell en 1911 [photo Reutlinger]

 

Lucy Arbell en 1911

 

 

Mlle Lucy Arbell et sa carrière. De Dalila à Thérèse.

 

Il fut un temps où les plus grands poètes, ceux que la fortune favorisait, ceux que la destinée voulait immortels, ne craignaient pas de graver leurs vers les plus étincelants, leurs stances les plus éloquentes en l'honneur d'une cantatrice. Il ne faudrait point avoir la prétention d'agir de même aujourd'hui. Le romantisme, qui permettait toutes les audaces, tous les élans, qui prétextait l'ascension aux étoiles, qui excusait les folies, qui transformait les hommes en enfants et qui changeait les enfants en hommes, le romantisme dont le héros savait :

Vouloir comme un géant aimer comme une femme.

le romantisme est bien mort. On jette chaque jour quelques charretées de terre sur la tombe où il est enseveli. Suivant la forte expression du précurseur Balzac, « le marais de la réalité » même. Il submerge toute générosité, il empuantit toute imagination.

Puisque, d'une manière générale on n'ose plus transcrire sur le papier les impressions de son âme, il ne nous reste plus qu'à écouter gronder la fille de Cybèle et à transcrire les clameurs impérieuses que poussent ses cent bouches d'airain.

Essayons encore...

La création du rôle de Thérèse que Mlle Lucy Arbell vient de faire à l'Opéra-Comique, attire une fois de plus, — ce n'est pas la dernière, — notre attention sur la cantatrice. Retracer brièvement la carrière de Mlle Lucy Arbell est donc tout indiqué. Les fervents du culte massenétique seront heureux, je crois, de recueillir quelques notes sur la vie de leur belle prêtresse, qui trouve sa joie dans les rayons de la gloire du puissant et tendre chantre de Manon Lescaut.

Mlle Lucy Arbell, —  de son vrai nom : Georgette Wallace, appartient à la famille du grand philanthrope anglais. Elle a gardé de son aïeul les sentiments généreux, — on se rappelle que sir Richard Wallace dota largement nos ambulances pendant la guerre franco-allemande et contribua aux embellissements de Paris — ; de lui elle à également gardé l'altruisme et le sens artistique. Française, Mlle Lucy Arbell l'est dans toute l'acception du terme : éprise du beau, ardemment lyrique ; c'est un esprit cultivé, délicat et subtil. Toutes les branches de l'art intéressent la cantatrice ; si elle découvrit son chemin de Damas dans les choses de la musique et du théâtre, c'est que les circonstances favorisèrent une invincible vocation.

A peine âgée de douze ans, alors qu'elle chantait des psaumes austères, — Mlle Georgette Wallace appartient à la religion réformée — un ami de sa famille, musicien noble et pénétrant, fut frappé de la justesse et de la force des accents de la jeune fille. Avec les prémices d'une voix de contralto, Mlle Georgette Wallace interprétait les chants liturgiques en s'efforçant de les rendre expressifs, au lieu de les psalmodier tout simplement. Mais à cette application, la mignonne chanteuse du Temple risquait fort d'altérer un organe qui recelait tant de promesses. On la réduisit donc au silence, et pour occuper son activité, pour empêcher comme en dit, que la lame usât le fourreau, la veuve de Victor Roger inculqua à Mlle Georgette Wallace les principes du grand art de la tragédie. On se souvient encore de la superbe, de l'exceptionnelle interprétation que donna de Phèdre et d'Andromaque, dans un cercle d'intimes, la néophyte.

Puis ce furent enfin les études vocales et le parachèvement des études musicales de Mlle Georgette Wallace. La future cantatrice travaillait sans relâche, voulait tout savoir, tout connaître. On ne pouvait endiguer une vocation que d'aucuns n'envisageaient pas sous un jour heureux. Ni prières, ni remontrances ne venaient à bout de l'indomptable élève. Le riant tableau qu'on lui faisait d'une vie luxueuse, ouatée de plaisirs et de joies, fleurie de succès mondains, d'une vie qui pouvait être la sienne, ne prévalait pas sur le désir violent, irrésistible qui la poussait à poursuivre une carrière aventureuse où tout en somme, n'est que soucis et déceptions.

Mlle Georgette Wallace passa une audition devant M. Gailhard. Les dons et le talent déjà développé de la cantatrice frappèrent le directeur de l'Opéra. Il voulut baptiser lui-même sa nouvelle pensionnaire et lui donna le nom de Lucy Arbell, sous lequel elle devait s'illustrer comme tragédienne lyrique.

Mlle Lucy Arbell débuta dans le rôle de Dalila. Elle produisit sur les abonnés de l'Opéra une profonde impression. On remarqua tout de suite son pathétique, son expression précise et intense, l'harmonie de ses gestes, la sobriété de son jeu. Amnéris servit de second début à Mlle Lucy Arbell ; ce fut une seconde révélation. On sentit alors combien le talent de la cantatrice était divers, et combien son éducation musicale était parfaite. Il apparut immédiatement que la débutante était de celles qui savent lire dans le cœur même des compositeurs.

C'était trop de succès gagné d’un seul coup ! Il surgit des envieux. Mlle Lucy Arbell se vit soudain, — elle qui n'avait fait que le bien depuis son enfance — entourée d'ennemis irréductibles qui s'étaient juré d'entraver une carrière qui pourtant, ne pouvait gêner personne. Un flot de calomnies, d'injures, s'éleva contre l'étoile naissante. Sur un visage fait pour le sourire, des plis amers se creusèrent. Des yeux créés pour les regards caressants, des larmes coulèrent. Très sensible, trop peu aguerrie, ne sachant pas encore tenir en respect les mirmidons, Mlle Lucy Arbell connut des heures douloureuses, des journées cruelles. Sa grandeur d’âme, son intelligence et son amour de l'art la sauvèrent. Ce fut alors la marche au triomphe.

Puisant inlassablement dans les ressources de sa sensibilité, elle donna dans Rigoletto, un relief tout spécial et jusqu'alors insoupçonné à son rôle. Vers cette époque M. Massenet fut séduit par la manière dont Mlle Lucy Arbell interpréta devant lui la Favorite. Dans un de ces mouvements d'enthousiasme que connaissent bien tous ceux qui approchent le Maître, ce dernier qui venait d'achever Ariane, écrivit un acte nouveau tout spécialement pour Mlle Lucy Arbell : l'acte de Perséphone. De Cypris qu'elle devait primitivement incarner, Mlle Lucy Arbell devint la Reine des Enfers. Elle fit là une création inoubliable : l'épisode des roses reste comme l'une des pages les plus joliment émouvantes de l'œuvre due à la collaboration de ces deux grands poètes : Catulle Mendès et M. Massenet.

Je vous conterai quelque jour par le menu ce que furent les répétitions d'Ariane, et je vous dirai quelles trouvailles de mise en scène Mlle Arbell imagina.

Thérèse allait voir le jour à Monte-Carlo. Le compositeur et l'interprète travaillaient assidûment. M. Massenet prit froid et dut garder le lit sur un ordre implacable de la Faculté. Cc fut par téléphone que Mlle Lucy Arbell répéta. Des heure entières, penchée sur la plaque mystérieuse, elle chantait son rôle à M. Massenet, qui, le récepteur à l'oreille, faisait des observations, rectifiait les mouvements. Cette collaboration à distance dura quinze grands jours. Voilà certes un procédé que n'emploient pas souvent les auteurs et les interprètes.

Je n'ai pas besoin de revenir sur le succès remporté par Thérèse à Monte-Carlo. Aux côtés de ses camarades Clément et Dufranne, Mlle Lucy Arbell connut les joies des succès spontanés. Et le public parisien a déjà commencé à confirmer le jugement des spectateurs monégasques. M. Raoul Gunsbourg fut enchanté, au cours des dernières répétitions de l’œuvre qu'il montait, de l’esprit et de l'entrain de Mlle Lucy Arbell. — Ecrivez donc pour elle un rôle gai, conseilla­t-il à M. Massenet. Et le Maître confia Dulcinée à Thérèse, qui s'acquitta de sa tâche on sait comment, d'abord sur la Côte-d'Azur, ensuite chez MM. Isola. Don Quichotte avec Mlle Lucy Arbell, MM. Fugère et Marcoux fit salle comble de nombreux soirs. Le succès est loin d'en être épuisé.

J'ai négligé volontairement dans ces notes biographiques tout le côté anecdotique et épisodique de la carrière de Mlle Lucy Arbell. La cantatrice prétendra certainement que nous avons déjà trop parlé d'elle. J'ai dit samedi quelle était l'impression que nous avait causée sa superbe création ; j’y reviendrai. Pour les raisons que j'énonçais en commençant, il faut savoir se borner à remplir simplement la mission d'informateur. Si j'ai pu réussir par ces lignes, non pas à faire connaître, mais à faire aimer davantage Mlle Lucy Arbell, je me consolerai de ne pas avoir laissé courir mon imagination.

 

(Jean Prudhomme, Comœdia, 24 mai 1911)

 

 

 

 

 

Lucy Arbell dans Don Quichotte (la Belle Dulcinée)

 

 

 

         

 

Lucy Arbell dans Roma (Posthumia) lors de la première à l'Opéra de Paris en 1912 [photos Nadar]

 

 

 

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