le Roi de Paris
maquette du costume de Maître Corbant par Charles Bianchini pour la création
Drame lyrique en trois actes et quatre tableaux, livret posthume de Marie Eugène Henri BOUCHUT (Paris 6e, 08 octobre 1861* – Paris 9e, 01 avril 1886*), docteur en médecine, musique de Georges HÜE.
Dédicacé par Georges Hüe à sa mère.
Création au Théâtre de l'Opéra (Palais Garnier) le 26 avril 1901 (répétition générale le 23 avril). Mise en scène de Victor Capoul. Décors d'autres œuvres adaptés par Eugène Carpezat (1er acte), Amable (2e acte), Jean-Baptiste Lavastre (3e acte). Costumes de Charles Bianchini. Danses réglées par Joseph Hansen, dansées par le Corps de Ballet.
9e à l’Opéra, le 21 juin 1901, avec les créateurs.
9 représentations à l’Opéra au 31.12.1961.
personnages | emplois | créateurs |
Jeanne de Noirmoutiers | soprano | Mmes Rosa BOSMAN |
les Pages | chœurs | Berthe MENDÈS DE LÉON, SIRÈDE, VINCHELIN, R. PIRON, B. MANTE, NEETENS, L. MENDÈS, DE SAUNOY, QUINAULT |
Henri, duc de Guise | basse | MM. Francisque DELMAS |
Henri III | ténor | Albert VAGUET |
Gaston de Longnac | baryton | Jean NOTÉ |
un Ligueur | baryton | Juste NIVETTE |
Maître Corbant | baryton | CANCELIER |
Gentilshommes, Dames de la Cour, Ligueurs, Bourgeois, Artisans, Gens du Peuple | ||
Danses (au 3e acte) | Mlles Barbier, Carrelet, Soubrier, Meunier, Billon, Mouret, Mestais, L. Mante, L. Piron, L. Couat, Boos, S. Mante ; MM. Girodier, Régnier, Javon, Férouelle | |
Chef d'orchestre | Edouard MANGIN |
maquette du costume d'Henri III par Charles Bianchini pour la création
autres costumes de Charles Bianchini pour la création
Albert Vaguet (Henri III) lors de la création
Jean Noté (Gaston de Longnac) lors de la création
Le livret de cet ouvrage était dû à un jeune poète mort prématurément, à vingt-quatre ans, encore peu connu du public. Par quel hasard ce livret était-il tombé dans les mains du compositeur ? Par quel hasard, plus grand encore, avait-il été accepté par la direction de l'Opéra, alors que l'auteur n'était plus là pour le défendre et que tant d'autres, bien vivants, assiègent en vain les portes de nos théâtres ? Ce sont là questions auxquelles on ne saurait répondre.
Le « roi de Paris », c'est le duc de Guise, Henri le Balafré, et ceci indique aussitôt la nature du sujet. De même que Planard s'était inspiré, pour le Pré-aux-Clercs, de la Chronique du temps de Charles IX de Mérimée, l'auteur du Roi de Paris s'est inspiré de la Ligue de Vitet, et principalement de la partie qui a pour titre les États de Blois. Il a seulement transformé Loignac en Longnac, ce qui est moins euphonique, et de Charlotte de Noirmoutiers, la maîtresse d'Henri de Guise, il a fait Jeanne de Noirmoutiers. Et il a emprunté, à son dénouement, la réflexion que Vitet prête à Henri III lorsqu'il voit étendu à ses pieds le corps de son ennemi, tombé sous le fer de ses séides : « Qu'il est grand ! Il ne m'a jamais paru si grand ! » Ce livret nous fait donc assister au complot tramé par le Balafré et ses amis contre la puissance royale, aux réunions des ligueurs, aux amours du conspirateur avec la belle Jeanne de Noirmoutiers, enfin au guet-apens ourdi contre lui par le roi et à son assassinat ordonné par celui-ci. Écrit tantôt en vers, tantôt en prose rythmée, ce livret n'est ni meilleur ni pire que bien d'autres. Il a une qualité, c'est d'être rapide et bref. Il a un défaut, c'est que le dénouement est connu d'avance, et que ce dénouement, d'ailleurs, s'il est dramatique, manque de pathétique. Tel qu'il est, il pouvait, en somme, inspirer un musicien, si celui-ci avait su mettre en œuvre ses divers éléments. On pouvait l'espérer de la part de M. Georges Hüe, grand prix de Rome de 1879, artiste instruit, auteur de quelques compositions symphoniques qui n'étaient dénuées ni de couleur ni d'intérêt. Il faut pourtant reconnaître que son début à la scène n'a pas été heureux, et que c'est précisément l'intérêt et la couleur, sans compter l'inspiration, qui manquent à la partition du Roi de Paris. Celle-ci n'est pas d'ailleurs une œuvre de combat, et il n'y a pas, à son sujet, à partir en guerre contre certaines tendances plus ou moins accentuées, plus ou moins audacieuses, qui cantonnent et classent un artiste dans un parti et dans une école. Ce qui est plus grave, c'est que cette œuvre est insignifiante et morne, c'est que, loin d'exciter soit la sympathie, soit la colère, elle n'évoque que l'indifférence par son inconsistance, l'inattention par sa banalité. On voudrait s'attacher à quelque chose, découvrir chez l'auteur une doctrine, une direction quelconque de l'esprit, trouver dans son œuvre une trace lumineuse, et l'on se bute à l'insignifiance, au vide, au néant. Point de passion, point de chaleur, pas même de sentiment dramatique, aucune trace apparente d'émotion. Même l'orchestre est sans vie, sans mouvement, sans action, sans originalité. Il était évident, et le résultat l'a prouvé, que c'était là une œuvre mort-née. On ne peut que souhaiter au compositeur, qui n'est pas le premier venu, de trouver prochainement l'occasion d'une revanche à ce début malheureux.
(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1904)
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Catalogue des morceaux
Prélude | |||
Acte I. – A Paris. Le cabaret de Maître Corbant | |||
Scène I | Henri trois et ses mignons | Corbant, un Ligueur, Ligueurs, Gentilshommes, Artisans, Bourgeois | |
Scène II | Salut, messieurs | les mêmes, le Duc de Guise | |
Scène III | Etre Roi ! | le Duc de Guise | |
Scène IV | Ne m'attendiez-vous pas ? | Jeanne de Noirmoutiers, le Duc de Guise | |
Scène V | Guise ! Vive Guise ! | les mêmes, un Ligueur, Gentilshommes, le Peuple | |
Acte II. – Au Louvre. Le cabinet du Roi | |||
Scène I | La lune est coustumière | Longnac, Jeunes Gentilshommes, Pages | |
Scène II | Longnac, tu dis vrai | les mêmes, le Roi | |
Scène III | Que veut le Roi ? | Jeanne de Noirmoutiers, Longnac | |
Scène IV | Pauvre Longnac ! | les mêmes, le Roi et ses Gentilshommes | |
Acte III. – 1er tableau. Au château de Blois. Vaste salle, portes ouvertes sur une salle plus grande | |||
Scène I | On danse ! | Longnac, Gentilshommes | |
Scène II | Beau cousin | les mêmes, le Duc de Guise, le Roi | |
Divertissement (A. Sarabande. – B. Rigaudon. – C. Pantomime. – D. Menuet vif. Finale) | |||
Scène III | Henri, prends garde ! | les mêmes, Jeanne de Noirmoutiers | |
Scène IV | Maintenant, je vois clair | le Roi, Longnac, les Gentilshommes | |
2e tableau. Au château de Blois. La même salle, mais toutes portes fermées | |||
Entr'acte symphonique | |||
Scène I | Il ne saurait tarder | Longnac, les Gentilshommes | |
Scène II | Seigneur, prenez garde à la mort ! | Duc de Guise | |
Scène III | Henri ! Dieu soit loué ! | Jeanne de Noirmoutiers, le Duc de Guise | |
Scène IV | A l'aide ! Il est trop tard ! | les mêmes, le Roi, Longnac, les Gentilshommes |
LIVRET
(édition du 07 avril 1901)
ACTE PREMIER
A Paris. Le cabaret de Maître Corbant. Salle basse avec verrière et porte sur la rue. Dans la salle même, un escalier de bois conduisant à l'étage supérieur.
SCÈNE PREMIÈRE RÉUNION DE LIGUEURS, GENTILSHOMMES, ARTISANS, BOURGEOIS, en deux ou trois groupes, discourant ou buvant aux tables.
LE CHŒUR Sont de jolis compagnons, Aimant fort le bien des autres Et disant leurs patenôtres D'une plaisante façon ! C'est Hérode qu'on l'appelle ! C'est Hérode et sa séquelle ! Il leur faut une leçon ! Qu'on les fustige à la chaîne ; Et puis après qu'on les mène Aux fourches de Montfaucon, Henri trois et ses mignons !
CORBANT, effrayé. Moins haut ! Voulez-vous donc, Messieurs, me faire pendre ?
LIGUEURS Toujours poltron, père Corbant !
CORSANT Chanter cela, c'est imprudent ! Si quelqu'un a pu vous entendre, Nous sommes perdus !
LIGUEURS Eh ! non, le duc va venir.
CORBANT Le duc ?
LIGUEURS Nous allons en finir Avec Hérode !
CORBANT Dieu ! le roi ! C'est lui qu'on nomme De ce nom-là !
LIGUEURS Ne tremble pas, brave homme, Et verse encore, verse à flots ! A la perte des Huguenots !
TOUS Et vive Guise! Oui, vive Guise ! A bas le roi ! C'est Hérode qu'on l'appelle ! C'est Hérode et sa séquelle ! Il leur faut une leçon Qu'on les fustige à la chaîne Et puis après qu'on les mène Aux fourches de Montfaucon, Henri trois et ses mignons !
UN LIGUEUR, au groupe des artisans et des bourgeois. La Ligue va triompher... Soyez fermes ! Vous en avez assez !... Vous êtes las Des lourds impôts et vous ne voulez pas Souffrir plus longtemps misère et famine ?
LE CHŒUR Non ! jamais !
UN LIGUEUR Vous ne voulez pas qu'an tyran nous domine ?
LE CHŒUR Jamais non ! A bas ! à bas !
UN LIGUEUR Vous n'abjurez pas la foi de nos aïeux ?
LE CHŒUR Non ! non ! jamais ! non !
UN LIGUEUR Bien ! Les forts n'ont qu'eux seuls pour maître. Bientôt vous le ferez connaître ! A ce roi vil, à ces courtisans éhontés, Vous dicterez vos volontés.
VOIX, progressives. Guise ! Guise !... Guise vient ! (Le duc paraît. — Tous l'accueillent avec des cris d'enthousiasme.) Le voici... Il vient... Guise vient ! Parmi nous le voici ! Guise ! Vive Guise ! Vive Guise ! A bas le roi !
SCÈNE II
GUISE, en scène. Salut, Messieurs ! Amis, salut !.. Mais point de hâte ! Et surtout point de cris séditieux.
UN LIGUEUR L'heure n'est plus des faiblesses coupables ! Duc, nous comptons sur votre bras ! Paris vous veut pour maître. Le roi dans la honte s'endort Et la couronne appartient au plus fort ! Guise !
GUISE, troublé. Que dites-vous ?
UN LIGUEUR Que ce soir même, Il faut donner le signal !... Que demain, Paris doit être libre enfin ! Duc, tout est prêt.... Faites un signe. Dites un mot. Le tocsin va sonner !
LE CHŒUR Au Louvre ! au Louvre !
LIGUEURS Oui, au Louvre ! Oui ! Pourquoi tant tarder ?
GUISE Pas encore !...
LE CHŒUR Trop de patience ! Marchons !
GUISE Un instant...
UN LIGUEUR Hésiter ! Pourquoi hésiter, Guise ? Pourquoi ?
GUISE Je ne veux pas trahir le roi.
UN LIGUEUR, ironiquement. Il y met moins de conscience Et veut tout bonnement vous faire assassiner ! Il redoute votre influence...
GUISE, après réflexion. Eh bien, revenez dans une heure, ici. Mon parti sera pris !... Ou volontairement je m'exile en mes terres, Ou je marche avec vous !
TOUS Vive Guise ! Vive la Ligue ! Vivat ! (Ils s'éloignent. Guise demeure seul, pensif.)
SCÈNE III GUISE, seul, pensif.
L'être par un crime !... Non ! non! c'est indigne de moi ! Et j'éviterai cet abîme! (Après un temps.) Je dois servir pourtant ceux-là qui m'ont commis Le soin de défendre une juste cause. Mais je puis affranchir Paris Sans qu'on m'accuse un jour de félonie ! Allons ! le sort en est jeté. Paris, tu me devras la liberté !... Qu'il serait bon pourtant de vivre Dans un délicieux repos, N'écoutant que les doux propos De celle dont la voix m'enivre !
Jeanne ! Ah ! douceur de tes yeux noirs, Charme divin de ton sourire, Quand vais-je encore vous revoir ? Quand va-t-elle me les redire Ces mots d'amour, ces mots d'espoir Qui font ma joie et mon martyre ?
Ce soir, elle viendra !
Ici-même, ce soir. J'ai sa promesse ! . . . . . . . . . . . Fou, quel rêve insensé M'entraîne loin de la réalité, Puis-je aimer, vraiment ! Ma vie N'est-elle pas asservie, En des liens que je ne puis briser ?
Va, ne songe plus au baiser, Au suave parfum de cette lèvre rose... Marche, soldat, fais triompher ta cause, La gloire te paiera des peines de ton cœur. (Pendant ce qui précède, Jeanne a paru par une porte ouverte au sommet de l'escalier et descend lentement en scène. Guise l'aperçoit enfin.) Elle ! C'est elle ! Ah ! Dieu ! Jeanne, ma douce Jeanne !
SCÈNE IV GUISE, JEANNE
JEANNE, le contemplant avec un sourire plein de tendresse.
GUISE Sans doute. Cependant, Je tremble à vous voir là, ma Jeanne, Dans ce noir cabaret !...
JEANNE Qu'importe ! Où vous êtes, je suis heureuse. Tout gîte est bon où vous m'aimez ! Dans cette maison solitaire Où se cachait notre bonheur, Aucun regard profanateur Ne troublait notre cher mystère. J'y passais le jour en prière, J'y passais la nuit sur ton cœur, Et l'ardent désir de mon âme Etait d'y demeurer toujours. Mais ta volonté me réclame, Ton amour m'appelle et j'accours ! Me voici, joyeuse, enivrée, Fière d'être adorée, Fière de partager Ta gloire et tes dangers !
GUISE, extasié. Ah ! je t'aime ! Oui, plus que tout, plus que mon honneur même ! (Il s'arrête, tristement songeur.)
JEANNE, l'observant, inquiète. Pourquoi cet air lugubre et ce front abattu ?
GUISE Ah ! c'est que je songe, vois-tu !
A ces terribles jours où maintenant nous
sommes ; Qui traversent notre bonheur !
JEANNE Ces querelles, je les ignore ; Ces hommes, je ne les vois pas ; Je ne vois que toi ! Je déplore Ces disputes et ces combats !
Pourquoi n'es-tu pas à moi sans partage ? A quelle loi fatale es-tu soumis ? Ah ! quand j’y songe, je frémis, Et sur ton front je vois s'amonceler l'orage. (Avec un mouvement de passion.) Ah ! viens, allons-nous-en là-bas, Dans tes montagnes parfumées. Allons où je puis être aimée Et vivre à jamais dans tes bras !
GUISE Ta voix est douce à mon oreille Et je frissonne à l'écouter, Mais un devoir cruel me parle, Jeanne ! Je ne puis déserter !
JEANNE Je hais ce roi, la seule cause Qui te dérobe à mon amour ! Laisse-le régner dans son Louvre ! Viens ! Que t'importe cette Ligue ! Sois à moi seule désormais ! Avant tout, je veux que tu vives ! Crois-moi, rien n'est vrai que d'aimer !
GUISE, entraîné. Irrésistible charmeresse ! Un mot de ta bouche et soudain Tout s'évanouit, tout s'efface...
JEANNE Viens !
GUISE Et je me courbe sous ta main ! (Tumulte dans la rue. — Bruit d'une foule en marche.)
CLAMEURS Vive Guise ! Vive la Ligue !
GUISE Ah ! redescendons des hauteurs du rêve ! (Clameurs.) Voilà, la réalité ! Jeanne, il faut que l'œuvre s'achève. Ceux qui portent mon nom n'ont jamais déserté. Sois sans crainte, A tout jamais je t'appartiens ! Si je triomphe, tu triomphes !
JEANNE, avec enthousiasme. Et si tu meurs, va, je meurs avec toi !
GUISE Ah ! viens donc, ma belle guerrière !
JEANNE Va, je t'aime ! (Les ligueurs paraissent.)
SCÈNE V LES MÊMES, LIGUEURS, FOULE
LIGUEURS, envahissant la scène. Guise ! Vive Guise ! Et mort au roi ! Vive Guise ! Et mort au roi ! Bataille ! Vive Guise !
LIGUEURS Duc, avez-vous réfléchi ?
GUISE L'entreprise Est noble ! C'est pourquoi je la fais mienne. Ainsi, Comptez sur moi, Messieurs !
UN LIGUEUR Au Louvre, il faut que ce soir même Le roi nous écoute, et que, dès demain, La Ligue soit dans Paris proclamée.
GUISE
Le roi n'a que son nom ; nous avons une
armée. (Un des ligueurs va au fond, fait un geste dans la rue. Après un court instant, le tocsin commence à sonner, puis la sonnerie du tocsin gagne de proche en proche.)
VOIX Ecoutez ! Paris nous répond ! (Des gens portant des torches envahissent la scène. Tous se groupent autour de Guise.)
ENSEMBLE, et par groupes. Debout tous ! Il le faut ! Bataille ! Debout tous. Le peuple debout ! Henri trois et sa valetaille Ne sont pas pour nous arrêter ! Droit à tous, comme à tous justice ! Marchons et Dieu soit avec nous ! Droit à tous, justice ! Que Paris soit notre conquête Marchions et Dieu soit avec nous Vive Guise ! Vive la Ligue ! Rideau.
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ACTE DEUXIÈME
Au Louvre. — Le cabinet du roi. — Au fond, porte ouverte sur la galerie. — Portes latérales. — Longnac et quelques jeunes seigneurs réunis. — Les uns jouent aux dés, d'autres font des armes au fond. — Un jeune page joue au bilboquet. — Longnac, à demi étendu sur un siège, chante en s'accompagnant nonchalamment sur un luth.
SCÈNE PREMIÈRE LONGNAC, JEUNES GENTILSHOMMES, PAGES
De naistre tous les mois : Mais quand nostre lumière Est éteinte, une fois, Sans nos yeux réveiller Faut longtemps sommeiller.
Tandis que vivons ores, Un baiser donnez-moi, Donnez-m'en mille encores, Amour n'a point de loy : A sa divinité Convient l'infinité.
LE CHŒUR Bravo ! bravo ! Longnac !
LONGNAC Messieurs, la poésie Est de Ronsard, La musique est du roi !
LE CHŒUR Vraiment !
LONGNAC Cela n'est pas pour vous surprendre. Le roi musicien, poète, beau danseur, Admirable escrimeur, Fervent comme un abbé, sceptique comme un diable Et cela tour à tour, selon l'esprit nouveau Que le vent souffle en son cerveau ! Il aime tout au monde, enfin, hormis l'amour.
SCÈNE II LES MÊMES, LE ROI
LE ROI, il est entré doucement et a écouté en souriant la boutade de Longnac. Longnac, tu dis vrai, sur mon âme ? La femme est l'œuvre du démon !... C'est un jouet qu'on brise.
Garde-toi bien d'aimer si tu veux être
heureux. La femme est plus légère Qu'un parfum ! Pourtant, c'est d'une femme Que je vais te parler... La maîtresse de Guise !...
LONGNAC Jeanne de Noirmoutiers !
LE ROI Oui, mon fils, elle-même ! Te voilà, tout pensif ! Est-ce que tu l'aimes ?...
LONGNAC Eh bien, oui !...
LE ROI, ironique. Tu devrais te guérir de cela ! (A son oreille.) Ne l'aime donc pas! Mais prends-la ! J'ai médité cette plaisanterie
Cela m'amusera de faire damner Guise. De sa belle entreprise !... La Ligue ! n'est-ce pas, Messieurs !
LES GENTILSHOMMES
C'est de bonne guerre ! Pardieu ! En attendant qu'il vous prenne Paris.
LE ROI, riant. Montjoie et Saint-Denis ! Il ne le prendra pas, nous y mettrons bon ordre. Jeanne de Noirmoutiers va venir ici même, Je viens de la faire mander ; Chez la reine, aujourd'hui, c'est son jour de service, Comme dame d'honneur. Demeure ici ! dès qu'elle va paraître (Avec intention.) Tu la recevras de ton mieux. Je lui veux faire attendre ma présence Et je compte sur ton esprit ingénieux, Pour calmer son impatience !
LE CHŒUR C'est charmant ! Longnac, la partie est belle. Gagne-la ! Triomphe de Guise et venge le roi !...
LONGNAC Eh ! je veux bien !...
LE ROI Venez, Messieurs. C'est elle. Venez, mais nous ne perdrons pas Un seul mot de la comédie. Bonne chance, Longnac !
(Ils s'éloignent par l'une des portes
latérales dont la tenture retombe.) LONGNAC, un instant seul. Je l'aime ! Je la veux : qu'importe après tout le chemin !
SCÈNE III JEANNE, LONGNAC Elle vient, précédée d'un page, qui l'introduit, et sort en refermant la porte de la galerie. Longnac a repris sa place sur le siège où il était au lever du rideau. Jeanne tout d'abord ne le voit pas. Elle s'avance un peu indécise, regardant autour d'elle.
JEANNE, pensive. Que veut le roi ? Quand Paris se soulève, Il a l'air de ne rien savoir. Le Louvre dort !... Que veut-il ? Ah ! c'est de Guise peut-être Qu'il va me parler !... Mon amant, mon maître ! S'il sait notre secret, fière de ton amour Va ! je te défendrai bravement, au grand jour ! (Elle voit Longnac qui s'est levé et vient vers elle souriant, la saluant profondément.) Le comte de Longnac ?... (Après un temps.) Le roi m'attend.
LONGNAC Madame. Le roi vous attend en effet, Et c'est à moi qu'il a fait, bien qu'indigne, L'honneur insigne D'être désigné pour vous recevoir.
JEANNE, un peu impatientée. Va-t-il tarder ?
LONGNAC, galamment. Je ne saurais le dire. Mais laissez-moi croire un instant Que ce n'est pas le roi qui vous attend !
JEANNE, hautaine. Je ne vous comprends pas !
LONGNAC Bien pauvre est mon langage, Mais mes regards, je gage, Vous auront dit depuis longtemps, Ce que le hasard bienfaisant Me permet ici de redire !...
JEANNE outrée, interdite. Vous !...
LONGNAC Dès le jour où je vous vis, Si belle, si douce et pourtant si fière, Je compris que ma vie entière Vous appartenait, je compris Que ni menaces, ni prières, Ne me détacheraient de vous ! Je vous aime !
JEANNE Vous êtes fou !... Comte, ou bien vous plaisantez... je suppose.
LONGNAC, avec passion. Fou d'amour, j'y consens ! Aussi, je ne sais plus maintenant qu'une chose : C'est que je vous aime à mourir.
C'est que nous sommes seuls, que nul ne
doit venir !
JEANNE Misérable valet, et misérable roi ! Cette rencontre était un piège !...
LONGNAC Piège ou hasard, que sais-je...
Je ne connais plus rien, ici, que mon
amour !
JEANNE Dieu !
LONGNAC Je vous veux.
JEANNE Ah !
LONGNAC Et je vous dirai tant, Qu'oubliant tout comme moi-même, Vous fléchirez un instant.
JEANNE. Jamais.
LONGNAC Une minute suprême Nous unira pour toujours ?
JEANNE Valet ! Lâche ! A moi ! à moi ! (Elle va aux portes qu'elle trouve fermées.)
LONGNAC Non ! Vous m'appartiendrez ! Soyez-en sûre !
JEANNE, se redressant devant lui, le regard terrible. Osez !
LONGNAC, après un instant. Eh bien, oui, j'oserai !... Femme fière et superbe
Vainement suppliante (A ce moment une arquebusade éclate à peu de distance. Des rumeurs violentes se font entendre.)
JEANNE, illuminée de joie. Ah ! Guise ! Guise !... Allons, ouvrez ! (A Longnac.) Je ne vous crains plus. Je vous hais !... Je vous méprise. (Il tente de s'approcher d'elle. Elle le frappe de son gant.)
CHŒUR Le roi à mort ! Guise ! Guise !... Vive Guise ! (Le roi et les gentilshommes entrent en tumulte.)
SCÈNE IV
LES MÊMES, LE ROI ET SES GENTILSHOMMES LE ROI Mais ce n'est plus le temps de rire !... (À Jeanne.) Congé, madame, nous ne vous recevrons pas ! (Les portes du fond se sont ouvertes.)
JEANNE, courroucée. Sire, tout n'est ici qu'infamie et mensonge. Je vous le dis en face !... Et je pars.
LE ROI, avec un mouvement de colère. Madame !... prenez garde ! (Elle sort.) (Puis, souriant.) Elle est brave, ma foi !... Mon pauvre Longnac, je te jure Que je comptais mieux voir finir ton aventure.
LES GENTILSHOMMES, riant. Ah! ah ! ah ! ah !
LONGNAC Je me vengerai.
LE ROI, debout devant la fenêtre, regardant en dehors. Voyez, Messieurs Ma parole de roi, ces bourgeois factieux, Font devant le Louvre une fourmilière.
LONGNAC Sire, prenez garde aux fourmis ! (Arquebusade).
CHŒUR A bas le roi !
LE ROI, railleur. Bien ! continuez, mes amis !... (A Longnac.)
Vois, là-bas, dominant la foule,
LONGNAC C'est lui ! Guise !...
LE ROI Guise ! Par saint Denis ! on ne me trompait pas C'est sur ce peuple qu'il s'appuie !... Allons Messieurs, songeons à batailler : Jarnac n'est pas si loin que je ne m'en souvienne !... Je veux apprendre au Balafré
Que je n'ai rien perdu de ma valeur
ancienne !
LONGNAC Non, sire, il est trop tard !
VOIX, au dehors. Le roi à mort ! Guise ! Vive Guise ! Vive la Sainte Ligue ! Vivat ! (Arquebusades.)
LE CHŒUR Le Louvre est désarmé, Sire. Ici nous ne sommes Pas plus de deux cents pour leur résister. Cédez devant ces hommes. Mais pour vous mieux venger du duc qui les conduit, Allez à Blois !... Laissez passer cette tempête.
LE CHŒUR Il a raison, Sire !... A Blois, c'est le salut.
LONGNAC Si vous tenez à votre vie !
LE ROI, mélancolique. Ma vie ! Ah ! tout m'ennuie, Tout me blesse ! La royauté m'oppresse. Oui, je voudrais être roi du néant. La gloire, leurre décevant, Est aussi vaine que le vent ! A quoi bon la résistance ! A quoi bon l'effort ! A quoi bon la vie ! Qu'importe la mort !... Gouffre où tout tombe et dont plus rien ne sort !
LONGNAC, le montrant aux autres. Le voilà bien toujours ! (Vive arquebusade, tambours, cris.)
LE CHOEUR A bas le roi !
LONGNAC Sire, venez, de grâce !
LE CHŒUR A bas le roi !
LE ROI, amèrement. Eh bien, allons à Blois, Si c'est là seulement que je puis être Roi. (Avec une sourde rage.) Ah ! qui me doit un jour me délivrer de Guise ?
TOUS Nous ! nous ! nous le jurons !
LE ROI Allons !
TOUS Vive le roi !...
LES VOIX, au dehors, des cris. A bas le roi !... Vive Guise ! Vive la Ligue ! (Le roi s'éloigne lentement entre la haie de ses courtisans. Tumulte au dehors). Rideau.
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ACTE TROISIÈME
PREMIER TABLEAU
Au château de Blois. Une salle avec grandes portes ouvertes sur une salle plus vaste. Portes latérales masquées par de grandes draperies. Au lever du rideau, une dame au fond est en scène. Pavane et sarabande. Longnac et les gentilshommes de la chambre du roi forment un groupe au premier plan.
SCÈNE PREMIÈRE
LONGNAC, GENTILSHOMMES PAVANE
LONGNAC, sur la musique de danse, à ceux qui l'entourent. On danse ! C'est fort bien ! Le Guisard et sa suite, Depuis Paris, nous ont fait la conduite ; Avec lui le Roi s'entretient Il lui fait fête. Mais patience, vous verrez, Cette nuit, comment le roi de Paris Sera pris par le roi de France. Les voilà tous les deux ! On dirait, à les voir, Deux frères. Moi-même, qui sait le mystère, Franchement, je m'y tromperais.
SCÈNE II LES MÊMES, GUISE, LE ROI (Guise et le Roi paraissent. Le roi s'appuie sur le bras de Guise. Une suite brillante les accompagne.)
LE ROI, en venant en scène. Beau cousin, votre vue a mis mon cœur en joie. Entre nous, ce fut un malentendu. Je le veux dissiper. Et d'abord, je vous dis Que je vous ai grande reconnaissance De me garder mon beau Paris.
GUISE On m'en nomme le roi, mais Paris n'a qu'un maître, Que tout le premier j'aime à reconnaître : C'est vous ! La cause que je sers. Ne se distrait pas de la vôtre.
LE ROI J'y compte bien. (A part.) Le bon apôtre ! (Haut.) Donnez-moi votre main, Guise, avec loyauté. Nous voilà bien d'accord. J'entends vous satisfaire Sur tous les points qui nous ont divisés. A la Ligue je m associe.
LONGNAC, aux autres, à part. Comme il ment bien !
GUISE Comment de Votre Majesté, Reconnaitre jamais la royale bonté ?
LE ROI En demeurant à mon service ! (Allant s'asseoir dans son fauteuil royal.) Prenez place, messieurs !
BALLET : Sarabande, rigaudon, menuet. — Reconstitution intéressante comme mise en scène de la gravure du ballet de la reine de Bourgogne.
LE ROI, se levant. Messieurs, il n'est si douce fête Qu'il ne faille quitter pour le bien de 1'Etat. Adieu, mon beau cousin. Mais retenez, de grâce, Que nous avons conseil dès le jour.
GUISE. Adieu, Sire. J’y serai !
LE ROI Bien ! (Le roi va se mêler aux groupes des courtisans.)
SCÈNE III LES MÊMES, JEANNE Pendant que les groupes se mêlent, Jeanne qui était parmi les dames, vient doucement vers Guise.
JEANNE, au duc, bas. Henri, prends garde ! — J'ai surpris Des regards échangés entre eux. — Le roi te trompe.
GUISE Pourquoi ces terreurs, chère enfant ? Va, ne crains rien !
JEANNE Un noir pressentiment m'oppresse ; Le Roi te tend un piège. — Un assassin est prêt A te frapper dans l'ombre. Ah ! qu'es-tu venu faire A Blois, quand Paris entier t'acclamait ? Ils veulent te tuer, te dis-je !
GUISE On n'oserait ! (Il lui baise la main et passe.)
JEANNE, le regardant s'éloigner, avec tristesse. Ah ! je veillerai ! (Les dames s'éloignent. Elle les suit. Peu à peu la scène se vide, le Roi demeure seul avec Longnac et ses gentilshommes.)
SCÈNE IV LE ROI, LONGNAC, LES GENTILSHOMMES.
LE ROI, les réunissant autour de lui.
Maintenant, je vois clair au fond de ses projets. Entre mes mains !
LONGNAC Il n'en sortira pas !
LE ROI Tu parles bien, Longnac ! Oui, je ferai justice De ce traître sujet Il a reçu, dit-on, du roi d'Espagne, Trois cent mille écus d'or, six mille lansquenets. Le peuple de Paris l'adore ! l'heure presse, Il faut agir.
LONGN.AC Vous serez roi demain ! Quand Guise sera mort.
LE ROI Trace à chacun son rôle. Je me fie à toi !
LONGNAC Venez donc, Messieurs ! Mort à Guise !
TOUS, avec le même sentiment qu'au premier acte. Mort à Guise ! Rideau.
ENTR'ACTE SYMPHONIQUE
DEUXIÈME TABLEAU
Même décor, mais les portes du fond sont fermées. — La scène est sombre. — A l'entrée de la porte latérale droite, veille Longnac.— D'autres gentilshommes sont dans l'ombre, à distance.
SCÈNE PREMIÈRE
LONGNAC, GENTILSHOMMES LONGNAC Il ne saurait tarder. Bientôt le jour va naître (A lui-même.) Ah ! s'il ne venait pas !... Peut-être L'a-t-on, cette nuit, averti ! Ah ! c'est sur lui que cet outrage, Ce soufflet qui brûle encor mon visage, Sera terriblement vengé. Jeanne, tu pleureras ton amant. Je verrai Ta douleur et tes larmes ; Ce sera mon œuvre et je m'en applaudirai ! C'est lui ! (Aux gentilshommes.) Dérobons-nous ! Dans cet étroit passage Qui conduit au conseil, nous l'attendrons. Ensemble nous le frapperons ! (Ils disparaissent.)
SCÈNE II GUISE, seul. (Guise parait ; le jour naissant éclaire la scène. Guise marche lentement, lisant des lettres qu'il froisse et jette successivement.)
GUISE, lisant. « Seigneur, prenez garde à la mort ! » « Seigneur, un danger vous menace ! » « Seigneur, le roi ne fait pas grâce ! » (Après un temps.) S'il fallait écouter ces lugubres sornettes (Après un temps.) J'ai mal dormi tantôt, J'ai rêvé d'échafaud, De hache, de billot ! Irai-je à ce conseil, n'irai-je pas ? Que sais-je ? C'est fou ! qui donc m'oserait tendre un piège ? Allons ! (Jeanne paraît et rejoint Guise. Elle est en habit de page. Un manteau jeté sur ses épaules.)
SCÈNE III
JEANNE Henri ! Dieu soit loué ! j'arrive à temps !
GUISE Ah ! toujours vos terreurs ! Jeanne, ma douce Jeanne !
JEANNE. Écoutez-moi, mon bien-aimé, mon noble Henri. Vous n'irez pas au conseil aujourd'hui. J'en ai la preuve certaine
Et mes pressentiments ne m'avaient pas
trompés ;
GUISE Guise ne peut reculer. Rien ne m'arrivera Que ce que Dieu voudra !
JEANNE Non, près de moi demeure, Enfuyons-nous d'ici ? Viens ; je vis de ta vie Et mourrais de ta mort.
GUISE Ta crainte est chimérique, Va, Jeanne, laisse-moi.
JEANNE Pitié ! je t'en supplie, pitié !
Henri, mon bien-aimé !... (Elle tombe, évanouie, dans les bras de Guise.)
GUISE Oh ! la douceur de tes lèvres, Le charme de ton regard. Oui, tout cela me conseille L'oubli de ma loyauté. Allons, j'ai parole donnée, Rien ne m'empêchera de faire mon devoir !...
JEANNE Henri, je te supplie.
GUISE Retourne ! je l'ordonne !
JEANNE Au nom de notre amour !
GUISE Au nom de mon honneur ! (Il lui fait un signe de s'éloigner et marche vers l'entrée du conseil. — Elle demeure un instant interdite, comme terrifiée. — Guise a disparu.)
JEANNE, dans le plus grand trouble.
La force m'abandonne !... Ah ! que fais-tu là, malheureux ! Va donc ! Qui t'arrête ? Va ! Franchis le seuil redoutable ! (Violemment.) Oui, je lui désobéirai ! J'irai !... je le sauverai.
Elle va s'élancer à sa suite. —
Tumulte au dehors. — Grand cri déchirant. GUISE, au dehors. Lâches ! à l'aide ! A l'aide ! ah ! (Il reparaît ensanglanté, chancelant, étend les bras et tombe.)
JEANNE, désespérée. Ah ! (Elle tombe évanouie.)
SCÈNE IV LES MÊMES, LE ROI, LONGNAC ET LES GENTILSHOMMES.
LONGNAC, railleur, au roi. (Lui montrant Guise.) Sire, vous le voyez ! A mort, point de remède !
LE ROI, pensif. Oui, le voilà rayé du nombre des vivants ! (Le contemplant avec une sorte de mystérieuse terreur.) Qu'il est grand ! Il ne m'a jamais paru si grand ! (Il demeure immobile, absorbé.) (La toile tombe rapidement.)
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