Riquet à la houppe

 

 

 

Comédie musicale en un prologue et trois actes, livret de Raoul Adrien Ernest GASTAMBIDE (Paris 8e, 14 février 1878 1939), d'après le conte éponyme de Charles PERRAULT (Paris, 12 janvier 1628 Paris, 16 mai 1703), musique de Georges HÜE.

 

 

 

 

 

Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 17 décembre 1928. Mise en scène de Georges Ricou. Décors de Raymond Deshays et Arnaud. Costumes dessinés par Marcel Multzer exécutés par Mme Solatgès et Henri Mathieu. Au 2e acte, divertissement réglé par Louise Virard, dansé par M. MARCO, Mlles Mariette de RAUWERA, Simone ROSNE et le corps de ballet.

 

18 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950.

 

 

 

personnages

Opéra-Comique

17 décembre 1928

(création)

Opéra-Comique

16 octobre 1930

(12e)

Opéra-Comique

11 novembre 1930

(15e)*

la Princesse Florine

Mmes Emma LUART

Mmes Emma LUART

Mmes Emma LUART

la Reine Gracieuse

Yvonne DUCUING

Yvonne DUCUING

Yvonne DUCUING

la Balbine

Suzanne DUMAN

Suzanne DUMAN

Suzanne DUMAN

la Fée Tulipe

Germaine CORNEY

DIETZ-MONIN

Denise AGNUS

1re Fée

Véra PEETERS

Jane ROLLAND

Jane ROLLAND

2e Fée

Henriette LEBARD

Henriette LEBARD

Henriette LEBARD

3e Fée

Germaine CERNAY

Germaine CERNAY

Germaine CERNAY

le Prince Riquet à la Houppe

MM. Charles FRIANT

MM. Charles FRIANT

MM. Charles FRIANT

le Roi Migonnet

Julien LAFONT

Julien LAFONT

Julien LAFONT

le Prince Avenant

Roger BOURDIN

André GAUDIN

André GAUDIN

le Prince Galifron

Victor PUJOL

Victor PUJOL

Victor PUJOL

Leporellus

René HÉRENT

Frédéric LE PRIN

Frédéric LE PRIN

1er Ministre

René HÉRENT Frédéric LE PRIN Frédéric LE PRIN

2e Ministre

Jean VIEUILLE

Emile ROQUE

Emile ROQUE

3e Ministre

André BALBON

André BALBON

André BALBON

Jocondus

André BALBON

 

 

Bécafigue

Emile ROUSSEAU

Emile ROUSSEAU

Emile ROUSSEAU

un Huissier

GÉNIO

GÉNIO

GÉNIO

Mordax

Louis MORTURIER

Louis MORTURIER

Louis MORTURIER

le Marquis de Carabas

André BALBON

André BALBON

André BALBON

Pairs du Royaume, Seigneurs, Dames de la Cour, Dames du Lavoir, Rôtisseurs, Peuple, etc.

     

Chef d'orchestre

Albert WOLFF

 

Albert WOLFF

 

* Au 2e acte, Divertissement réglé par Robert Quinault, dansé par Mlles De Rauwera, S. Rosne et les Dames du Corps de Ballet.

 

 

Emma Luart (la princesse Florine) lors de la création, caricature d'Henri Etlin Charles Friant (Riquet à la houppe) lors de la création, caricature d'Henri Etlin

 

 

Roger Bourdin (le Prince Avenant) lors de la création, caricature d'Henri Etlin Julien Lafont (le Roi Migonnet) lors de la création, caricature d'Henri Etlin

 

 

 

 

 

Prologue. — Les Fées autour du berceau.

Devant le palais du Roi Mataquin, s'empressent les médecins de la Cour et une foule cordiale et bruyante, qui vient aux nouvelles.

Le gouverneur Mordax annonce la naissance du Prince Henri, que les Fées ont comblé des dons les plus divers : esprit, bonté, vaillance et droiture. Mais la Fée Tulipe, dispensatrice de la Beauté étant arrivée trop tard, le Prince est cruellement laid : toutefois, Tulipe lui a conféré le pouvoir de donner autant d'esprit qu'il en a lui-même à celle qu'il aimera un jour.

Le peuple, qui s'est d'abord lamenté sur la laideur de l'enfant royal, d'après les récits des dames du lavoir, se console et l'acclame, sous le sobriquet familier dont l'a gratifié la Balbine, de « Riquet à la Houppe ».

 

Acte I. — La Princesse rit et pleure.

Riquet est présenté à l'éblouissante Florine, fille du Roi Migonnet. Il est précédé par son ambassadeur Bécafigue, chargé de présents. L'entrevue tourne mal : Florine qui est aussi sotte que belle, rit au nez du prétendant : d'où sortie irritée de Bécafigue, suivie d'une délibération orageuse du Conseil des Ministres de Migonnet.

Riquet revient plein d'indulgence : il fait sa déclaration à Florine, mais celle-ci s'enfuit tout en larmes, refusant de l'épouser.

 

Acte II. — L'éveil de l'esprit.

Les jardins du palais de Migonnet. — Florine décourage par son innocence ses prétendants : Avenant, Galifron et Carabas. Riquet, suivant le don qu'il a reçu de la Fée, éveille l'esprit endormi de la Princesse. Hélas ! celle-ci ne peut dominer son aversion devant tant de laideur... elle se laisse conter fleurette par le Prince Avenant... Riquet, douloureux, s'éloigne, mais les Fées, ses marraines, lui murmurent à l'oreille son grand destin : « Tu seras beau... tu seras beau... »

 

Acte III. — Le miracle d'amour.

Une fête de nuit, mêlée de danses, donnée par le Roi Migonnet en l'honneur de Florine. Celle-ci se moque de ses galants, qu'elle éconduit, y compris Avenant lui-même.

Elle a reçu des lettres mystérieuses d'un inconnu, et tandis qu'elle rêve, solitaire, au balcon d'un pavillon rustique, Riquet (l'inconnu qui lui a écrit), obéissant aux voix des Fées et de son cœur, arrive... Il n'ose monter jusqu'à la Princesse, c'est elle qui vient à lui… Elle l'aime... Le miracle d'amour s'accomplit aussitôt : le disgracié se change en Prince-Soleil, acclamé par le peuple en liesse, qu'accompagne le cortège des courtisans et rôtisseurs.

 

(Programme de l'Opéra-Comique, 1928)

 

 

 

 

 

M. Georges Hüe vient d'avoir une chance extrêmement rare pour un musicien, celle de trouver un livret bien fait, comportant d'agréables effets de théâtre et de nombreux prétextes à développements lyriques. En effet, la princesse Florine est courtisée par quatre amoureux, d'une part trois princes de la cour de son père, le roi Migonnet, et d'autre part Riquet-à-la-Houppe, fils d'un puissant roi voisin. Tant qu'elle est trop sotte, elle se moque de Riquet et les autres prétendants se moquent d'elle ; et quand l'amour a éveillé son intelligence, c'est elle qui éconduit les trois godelureaux et rêve d'un inconnu qui lui écrit et qui n'est autre que Riquet naturellement. Cela s'arrangera à la faveur d'un clair de lune, d'un balcon, d'une sérénade ; et Riquet cessera d'être laid comme elle a cessé d'être sotte. Tant d'amoureux déclarant leur flamme, ont fourni à un musicien, qui n'en est point à sa première charmante mélodie, l'occasion de fort jolies phrases lyriques ; M. Georges Hüe a peut-être été moins incisif dans les parties comiques mais il a trouvé de fort jolies couleurs pour peindre le caractère du roi Migonnet et celui de l'ambassadeur de Riquet. Son orchestre sonne bien sans couvrir les voix ; son harmonie ne recherche point les néologismes, mais elle ne s'attarde point non plus à des formules périmées.

(Larousse Mensuel Illustré, février 1929)

 

 

 

 

 

Le délicieux conte de Perrault est présent dans toutes les mémoires. A vrai dire, il s'inscrit un peu à part dans la série de ces aimables légendes qui ont charmé notre enfance. Il n'est pas du même filon, et tous les commentateurs de Perrault s'en étaient déjà aperçus. L'intrigue en est plus compliquée. Les choses et le langage de la Cour y tiennent une plus large place, avec beaucoup de personnages inutiles à l'action, dont certains même entraînent parfois l’auteur très à l'écart de sa ligne directe. Il n'y a rien ici de comparable à la simplicité enfantine du Petit Poucet, au développement, d'un seul jet, du Chat botté et de la Belle au bois dormant. Ceux-là, en effet, proviennent directement du fonds populaire anonyme, non seulement français, mais universel, et si le bon Perrault y flâne parfois un peu en chemin, c'est avec toute la bonhomie malicieuse de La Fontaine, feignant de parler pour les tout petits. Visiblement, et dans cette seule circonstance, peut-être même non sans quelque arrière-pensée d'ironie, notre conteur emprunte ici la manière et le langage des romans galants et chevaleresques de son temps, où toute une floraison s'en était épanouie après la vogue immense de la Princesse de Clèves.

 

Nous connaissons aujourd'hui le mot de l'énigme, par une récente étude de Mme Jeanne Roche-Mazon, qui s'est attachée à scruter ce petit problème avec beaucoup de sagacité et d'humour (1).

 

(1) De qui est Riquet à la Houppe ? par Mme Jeanne Roche-Mazon (Revue des Deux-Mondes, 15 juillet 1928).

 

Riquet à la Houppe figure, avec son titre, et sous forme d'un conte débité dans une sorte de cour d'amour, dans Inès de Cordoue, roman galant d'une femme de lettres de l'époque, bien oubliée aujourd'hui, qui s’appelait Catherine Bernard et qui était vaguement cousine de Fontenelle : on soupçonna même celui-ci, qui la protégeait, de lui avoir parfois prêté sa plume.

 

Mais notre bon Perrault, qui prenait son bien où il le trouvait, et sans malice, a délicieusement arrangé cette histoire, très touffue dans sa forme primitive, et qui lui parut sans doute appartenir de droit à son cycle de contes pour la jeunesse, puisqu'on y retrouve, sous une forme fleurie, un thème souvent exploité dans les plus anciennes fables de l'humanité, et qui n'est autre que celui de la Belle et la Bête. Ici, l'amour donne de l'esprit aux sottes qui ne sont que belles et confère la beauté à ceux ou à celles qui n'ont que de l'esprit dans un corps disgracié. Dans le conte de Perrault, comme dans celui de Catherine Bernard, le parallèle était plus complet encore, car la Princesse Florine, si belle et si sotte, avait comme pendant une sœur laide et spirituelle, que d'ailleurs Perrault ne tarda pas à lâcher en route.

 

M. Raoul Gastambide a découpé ce conte en quatre tableaux, logiquement établis et qui ne manquent pas de mouvement. Disons cependant qu'on n'y trouve plus grand'chose de la langue savoureuse, de l'esprit et de la malice du bon Perrault.

 

Après un court prélude, exposant brièvement, par répétitions canoniques, le thème des Fées, au rythme berceur, le prologue nous montre, devant le palais du roi Mataquin, la foule attendant la naissance du prince héritier. Chœur joyeux et rapide, sur lequel plane encore le thème des Fées, avec, comme intermède, l’arrivée des médecins mandés au palais, et se disputant plaisamment les préséances. Les Fées apparaissent, précédées de leur thème, et chantent un chœur charmant qu'accompagne le frais gazouillis des flûtes et des clarinettes, sur un rythme léger de 6/8. Puis c'est la prédiction des Fées sur un autre thème, groupe de quatre doubles-croches et de deux croches, obstinément répété, auquel se marie le thème féerique à peine déformé. Elles ornent le futur prince de toutes les qualités ; mais la Fée Tulipe, qui doit lui attribuer la Beauté, est malheureusement en retard. Sur un appel de trompettes, le gouverneur du palais, du haut du perron, annonce que l'événement est accompli, et, devant la foule accourue joyeusement, invite une délégation des dames du lavoir à venir les premières, suivant la coutume, contempler le nouveau-né. Après quoi il lit une proclamation du roi, prescrivant huit jours de réjouissances publiques et, à cette occasion, un léger relèvement des impôts ; ce qui ne manque pas de calmer un peu l'enthousiasme populaire. Mais les dames du lavoir s'élancent hors du palais. Elles ont vu le prince Henri. C'est un affreux magot, orné d'une longue mèche de poils roux. Les rires éclatent de toutes parts. Une femme du peuple improvise une ronde, d'un mouvement endiablé, où revient le refrain : « Vive Riquet à la Houppe », ce dernier mot lancé en l'air, à l'image de la houppe elle-même, et suivi d'une chute d'une octave. Et de là naît le début du thème de Riquet, qui, allongé de quelques méandres, circulera ensuite dans toute la partition. Rien n'est plus amusant que cette ronde, ni plus original que cette exclamation figurative. Mais la Fée Tulipe arrive enfin, trop tard. Ne pouvant plus attribuer au prince la Beauté, elle lui accorde l'Esprit et la Grâce, figurés par un thème sinueux ascendant d'une courbe délicate. De plus, si, un jour il en vient à aimer quelque sotte princesse, il aura le pouvoir de la rendre aussi spirituelle que lui. Puis la ronde reprend joyeuse, avec un retour de la chanson populaire. Ce prologue, très vivant, est plein de mouvement et de bonne humeur, habilement varié dans la succession de ses épisodes, et tout à fait dans la couleur qui convient au milieu évoqué par le conte de Perrault.

 

Le premier acte se passe dans la salle du trône du roi Migonnet. Ministres, serviteurs, tapissiers s'agitent pour en achever les apprêts, sur une trépidation légère et continue de l'orchestre, où une amusante pointe d'archaïsme se glisse sous le couvert des formes mozartiennes. Notez ce détail qui a, selon moi, une valeur significative. Tout ce tableau, tel qu'il va se dérouler, est d'un caractère bouffe qui prêtait facilement à l'opérette. Le musicien s'en est habilement gardé en se plaçant à l'ombre du divin Mozart, sans rien abandonner de sa personnalité ; et c'est délicieux. Puis apparaît le Roi, sur une marche pompeuse, d'une solennité affectée, où transparaît une ironie de bon aloi. Il annonce à la Cour que le prince Riquet, après tant d'autres, va venir, précédé de l'ambassadeur de son père, demander la main de la princesse Florine dont la beauté n'a d'égale, hélas, que sa sottise... Ce mariage va mettre fin à une longue série de guerres entre les deux pays voisins.

 

Un instant le tableau de l'agitation guerrière est évoqué discrètement par quelques rythmes et sonorités typiques. Un thème gracieusement balancé souligne le charme de la Princesse. Celle-ci fait son entrée dans ses plus beaux atours. Mais elle a fait une tache à sa robe ! Et l'agitation générale reprend pour se calmer avec une reprise plus solennelle du thème de la  Princesse. Le Roi fait à celle-ci ses dernières recommandations, en annonçant la venue de Riquet, dont le thème apparaît d'abord avec son début caractéristique en sauts d'octave ou de septièmes. Entrée de l'ambassadeur, sur une marche d'une gravité comique, où la basse marque un rythme de défilé, tandis que la ligne supérieure décrit d'amusantes courbettes. Il apporte des présents, un faucon pour le Roi, des dentelles pour la Reine, un couple de colombes en porcelaine pour la Princesse. Chacun d'eux est souligné par un court motif épisodique et descriptif, dans le style de la pantomime. Entrée de Riquet, escorté de son thème, qui se développe ensuite, tandis que le Prince dit son émotion. Florine éclate de rire. L'ambassadeur se fâche. La Reine, agacée, le frappe de son éventail... L'ambassadeur se retire, menaçant. Le Roi assemble le Conseil des ministres ; ceux-ci sont consternés. C'est la guerre en perspective, ou il faudra faire des excuses... Le vieux Roi s’indigne et redresse la tête. Mais Riquet se présente de nouveau. Il assure le Roi que l'incident n'aura pas de suites. Il dit son amour profond, et trouve des phrases exquises (musicalement) pour excuser sa laideur et exprimer toute sa tendresse. Florine reste insensible. Sur une nouvelle adjuration de son père, elle éclate en sanglots et s'enfuit en déclarant qu'elle n'épousera jamais Riquet…

 

Au second acte, dans un parc attenant au palais, trois grands seigneurs, qui prétendent également à la main de Florine, se lamentent en commun. Elle est à la fois exquise et stupide. Le prince Avenant n'en reste pas moins tendrement épris. Quand le Roi et la Reine viennent les rejoindre avec la Princesse, on tente une nouvelle épreuve. On va jouer aux « jeux innocents » à « Voici mon corbillon, qu'y met-on ? » Hélas, Florine ne fait que démontrer, une fois de plus, son incurable niaiserie. Les prétendants s'esquivent. Le Roi se fâche : il menace de faire enfermer la Princesse dans un couvent. Florine, restée seule, se lamente. Mais voici qu'une voix sort d’un buisson voisin. Elle console la pauvre princesse, murmure des mots d'amour, d'abord timides, puis graves comme une incantation. Et l'esprit de Florine, selon la prédiction des Fées, s'éveille peu à peu. Un thème nouveau souligne cette transformation, thème à la fois simple et noble, presque d'allure gluckiste. Rien n'est plus adroit que ces discrètes « allusions » — comme tout à l'heure avec Mozart, — pour donner musicalement au milieu la couleur archaïque, qui rappelle que cette histoire n'est ni contemporaine, ni réelle. Florine s'enivre au son de cette voix : déjà elle répond à l'amour qui s'offre à elle. Riquet s'enhardit alors à sortir du buisson. Et l'enthousiasme de Florine tombe d'un coup, dès qu'elle le reconnaît. Elle le renvoie encore, mais avec des mots moins durs. Qu'il revienne un peu plus tard. Seule à nouveau, elle laisse éclater son trouble et chante l'éveil de son cœur, cependant que se poursuit, en sonorités grandissantes, le thème de l'incantation. Retour des prétendants et du Roi. Maintenant la Princesse voit clair et ne veut plus être traitée en enfant. Elle les écarte en termes choisis, mais fermes. Tous s'ébahissent de la métamorphose. Seul le prince Avenant ne se décourage pas. Il dit à genoux, humblement, la sincérité de son amour. Son chant est d'une jolie ligne : un rien de plus et la musique allait verser dans la romance. Mais le chant s’achève en une roulade, selon l'ancienne mode, et, une fois de plus, nous sommes ramenés à une notion exacte du milieu.

 

En vérité, tout ce travail d'adaptation au sujet, dénote, de la part de M. Georges Hüe, une adresse qui nous ravit. Florine est bien près de se laisser tenter ; mais elle pressent que son cœur est déjà pris, et renvoie doucement Avenant. Riquet, qui a tout entendu, se risque à se montrer de nouveau. Un duo charmant commence, où les thèmes des deux jeunes gens s'allient avec habileté. Mais Florine se ressaisit et s'éloigne, rêveuse. Riquet est seul, désolé, maudissant sa laideur. Le groupe des bonnes fées apparaît et le console. Le jour où Florine l'aimera, il deviendra aussi beau qu'elle-même. Ainsi s'achève cet acte, tout entier délicieux, et dont l'effet sur le public a été très grand.

 

Le dernier tableau — dans une forêt, devant un pavillon rustique — débute par un divertissement champêtre, d'un archaïsme discret, et qui a beaucoup plu. Les prétendants, le Roi, la Reine, personne ne s'explique l'attitude de Florine, désormais lucide et avisée, mais qui repousse toutes les demandes dont elle est l'objet. Et cependant elle chante l'amour dont son cœur est empli, Les prétendants, furieux, abandonnent la place. Les danses reviennent et une jolie ronde se déroule sur le thème de la vieille chanson française du Furet, traité en fugue alerte et sautillante, avec infiniment d'esprit. Vainement, le prince Avenant tente un dernier effort. Florine se retire dans le pavillon, et, penchée à sa fenêtre, chante aux étoiles le trouble dont elle est possédée, car Riquet n'a pas cessé de lui écrire... Dans la demi-obscurité, le thème des Fées se fait entendre : nous touchons au dénouement du conte. Riquet, conduit par les Fées, se glisse jusqu'à la fenêtre, caché sous un large feutre et un grand manteau, le visage abrité par un masque. Florine reconnait sa voix, et c'est un duo délicieux, de plus en plus passionné, avec de lointaines interventions du chœur des Fées. Florine, descendue du balcon, tombe dans les bras de Riquet. Cette fois, elle est vaincue. La Cour remplit la scène, et, comme dans le conte de Perrault, rôtisseurs et marmitons défilent, broches en mains, annonçant le repas des noces.

 

Ce que cette analyse ne peut assez dire, c'est la délicatesse et la légèreté de main avec laquelle M. Georges Hüe a traité musicalement le sujet qu'il avait choisi. Au delà des lourdeurs et du texte médiocre du livret, c'est avec le bon Perrault qu'il a collaboré directement. On y retrouve ce ton de badinage galant, cet air de Cour où les sentiments les plus sincères gardent toujours un certain apparat, ces monarques et ces grands seigneurs tels que les voient les yeux de la foule, dotés par elle à la fois de pensées très élémentaires et d'un relief pompeux, en un mot tout ce qui forme le côté plaisant du milieu décrit par Perrault, sans en excepter l'ironie légère.

 

L'orchestre est traité avec cette habileté consommée dont M. Georges Hüe nous a souvent donné la preuve en maints ouvrages, et qui est un des signes les plus certains de sa manière personnelle. Il est à la fois nourri et fluide, constamment varié, ici se diluant en sonorités délicates, ici chaleureux et vibrant, là soulignant les épisodes par des rythmes et des sonorités qui les commentent habilement, — tout cela sans jamais appuyer ni s’attarder, sans perdre jamais le sens de la mesure et de la distinction. M. Georges Hüe a trouvé, pour créer l'atmosphère de rêve qui entoure ses fées, pour décrire délicatement les évolutions du personnage de Florine, pour dire la tendresse sincère de Riquet, une fraîcheur d'inspiration, qu'une carrière déjà longue ne semble pas avoir épuisée, — comme si les Fées elles-mêmes, reconnaissantes, avaient renouvelé en lui le don de jeunesse...

 

Il faut ajouter que MM. Ricou et Masson ont monté l'ouvrage avec des soins particuliers, dans de très beaux décors, et avec des costumes d'un goût parfait, dont les couleurs gaies se fondent, sous un éclairage habile, en harmonies savoureuses. Eux aussi ont collaboré directement avec Perrault, nous restituant, dans toute leur fraîcheur, quelques-uns de ces tableaux aux teintes à la fois vives et fondues, que nous ont laissés les peintres du grand siècle. La mise en scène, extrêmement vivante, les mouvements de la foule, l'allure des personnages, révèlent l'adresse et le goût très sûr de M. Georges Ricou.

 

La partition a, d'autre part, été servie par une interprétation de tout premier choix. M. Friant, en prince Riquet, se montre, à son habitude, aussi délicieux chanteur qu’habile comédien. M. Bourdin (prince Avenant) compose non moins habilement son personnage, dont il fait un seigneur de haute allure, même dans ses expressions les plus chaleureuses, d'où un heureux contraste avec celui de Riquet, que le sentiment de sa disgrâce rend craintif et modeste, plus directement humain, pourrait-on dire, même sous ses habits princiers. M. Lafont a fait du roi Migonnet une figure plantureuse, pleine de bonhomie et cependant de dignité. M. Hérent, qui compose tous ses personnages avec tant d'intelligence, nous apparaît tour à tour en ministre subtil et en médecin moliéresque. M. Rousseau (l'Ambassadeur), M. Balbon (le marquis de Carabas), M. Pujol (prince Galifron), M. Morturier (le gouverneur du Palais), M. Vieuille (premier ministre), sont tous excellents.

 

Le rôle de Florine était échu à Mlle Luart, adroite comédienne et chanteuse experte. Mlle Ducuing (la reine), Mlle Cornay (la Fée Tulipe), Mlles Duman, Vera Peeters, Lebard et Cernay l'entourent dignement. Les chœurs, à la répétition générale, ont quelque peu manqué d'ensemble et de rythme. Mais ils ont d'assez nombreuses représentations en perspective pour se remettre d'aplomb. Les divertissements ont été réglés avec beaucoup de goût par Mlle Louise Virard. Et ce serait un grave oubli que de ne pas citer MM. Deshays et Arnauld et M. Multzer, qui ont signé le très bel ensemble des décors et des costumes.

 

L'orchestre de l'Opéra-Comique, sous la direction si intelligemment musicale de M. Albert Wolff, s'est tiré à son honneur d'une exécution qui réclamait beaucoup de rythme et de couleur, et qui a été, de tout point, parfaite.

 

(Raoul Brunel, le Ménestrel, 21 décembre 1928)

 

 

 

 

 

C'est en 1924, alors qu'il venait d'achever son ballet Siang-Sin, que Georges Hüe entreprit la composition de Riquet à la Houppe. Sur la proposition de Raoul Gastambide, il avait tout d'abord hésité sur le choix d'un George Dandin. Mais, ayant exprimé à son collaborateur des préférences pour une œuvre gaie et légère, celui-ci présenta bientôt le livret d'une comédie musicale en trois actes et un prologue, inspirée du célèbre conte de Perrault. Remarquons d'ailleurs que cette adaptation suit exactement le conte, sans chercher à se rapprocher de la délicieuse fantaisie qu'il avait déjà inspirée à Théodore de Banville. Ce sujet plut particulièrement au musicien par son atmosphère poétique, en raison aussi d'un assez grand nombre de personnages épisodiques. Georges Hüe a beaucoup insisté sur la grande joie qu'il avait eue à pouvoir dans ce nouvel ouvrage donner libre cours à son goût pour l'élément fantaisiste, tel qu'il l'avait déjà traité dans des mélodies comme les Oies de Lauterbourg, le Bonnet de la Meunière, et la Fiancée du Roi.

 

Dans le sujet de Riquet à la Houppe, il retrouvait un élément de contraste extrêmement précieux. Dès le début de l'ouvrage, il cherche à tirer parti de cette opposition. Le prologue s'ouvre sur quelques mesures lentes de l'orchestre, suivies d'un chœur de plus en plus animé. Ce chœur est représenté par des paysans, venus, la nuit, devant le palais du roi Mataquin, où l'on attend la naissance d'un prince héritier. Mais les prières et les disputes des manants sont bientôt coupées par l'apparition de Mordax, le gouverneur du palais, qui brutalement rappelle cette foule au silence. Enfin, solennels, apparaissent les docteurs Leporellus et Jocondus, médecins de Leurs Majestés. Un Maestoso soutient le rythme de leurs pas grotesques, et le ton de leurs discours sentencieux. La foule s'éloigne, et Mordax pousse les médecins à l'intérieur du palais. Le jour se fait peu à peu. Un rappel du thème initial, puis sur un 6/8 gracieux où priment flûtes et clarinettes surgissent les fées. Dans un ensemble à trois parties, légèrement soutenu par l'orchestre, où perce parfois un solo de violon ou de cor anglais, les fées célèbrent leur patrie, la nature, et adressent leurs vœux à l'enfant dont un cri vient de marquer la naissance. L'esprit, la vaillance, la bonté sont accordés par elles au jeune prince, comme autant de trésors. Mais où donc est la fée Tulipe, dispensatrice de la beauté ? Malgré l'appel de ses sœurs, Tulipe n'apparaît point. Une sonnerie de trompettes disperse les fées. Le peuple accourt sur un alerte rythme à 2/4. Mordax annonce la naissance du prince Henri. Les lavandières sont admises à le voir dans la chambre de la reine. Lorsqu'elles sortent du palais, les paysans les interrogent :

 

Ah ! terre et cieux !

L'horrible petit homme !

Affreux, monstrueux !

Aucun mot ne peut le décrire !

Ventre en ballon, poitrine en lyre !

Ses yeux, petits et chassieux,

Son corps, velu telle une brousse,

Sur son front, comme un cap, pointe une houppe rousse,

Le nez d'un vautour ;

 

Bref, un vrai remède contre l'amour. Une femme improvise une ronde endiablée où se trouve déjà le thème de Riquet. Le peuple crie et gémit. La fée Tulipe arrive, trop tard. Elle ne peut accorder au prince la beauté, mais lui donne le pouvoir, s'il aime un jour une princesse, de lui communiquer l'esprit. La fée s'éloigne annonçant : « Vous aurez un grand roi ! » Le peuple se console.

 

Et zon, et zon, vive Riquet,

Vive Riquet à la Houppe !

 

Puis il danse une bourrée, avec entrain, tandis que des fenêtres du palais tombe une pluie de dragées.

 

L'acte qui suit ce prologue se passe dans la salle du trône du roi Migonnet. Grande agitation. Des tapissiers clouent des étoffes, des jardiniers apportent des plantes vertes, sur une trépidation légère et continue de l'orchestre. Les invités prennent place à droite et à gauche du trône. Puis arrivent les grands du royaume, pourpoint de velours, et fraises à godrons. Voici les ministres, puis le roi, entrant sur un rythme de maestoso, ainsi qu'il convient. Le roi annonce à la cour que le prince Riquet, séduit par les portraits charmants de sa fille Florine, désire de plus près la contempler. Il souhaite que l'amour unisse les deux jeunes gens, afin que s'apaisent les guerres et les haines qui depuis cent ans divisent leurs pays. Le tableau de guerre est évoqué discrètement par quelques rythmes et sonorités caractéristiques. Mais à la reine, le roi confie sa crainte de voir Florine commettre quelque balourdise. La voici : « Qu'elle est belle », chantent les courtisans. Mais déjà elle a fait à sa robe une tache. Les dames d'honneur s'empressent à la faire disparaître. « Quelle chaude alerte », dit le roi, et il donne à sa fille quelques prudents conseils : « Souris beaucoup, parle peu ! » Pompeux, Son Excellence Becafigue, ambassadeur du roi Mataquin, entre et salue. Il est entouré de gentilshommes porteurs de présents. Au roi, il remet un faucon, à la reine un éventail, à la princesse un panier ajouré surmonté de deux colombes en fin biscuit. Florine laisse échapper l'objet qui se brise en morceaux : consternation. Enfin paraît le prince Riquet à la Houppe. Il est fort laid et les courtisans marquent leur mécontentement. Il s'approche du roi et de la reine, et très ému s'agenouille près de Florine. Mais à tous ses compliments, la jeune princesse répond par un éclat de rire. Elle sort en pouffant. Le roi cherche à excuser cette impertinence, mais Becafigue, ayant insinué que peut-être la princesse est maladive, la reine le frappe de son éventail. L'ambassadeur sort dignement, suivi de Riquet. L'orchestre accompagne solennellement cette rupture sentimentale et diplomatique. La cour se disperse.

 

Le roi reste seul avec les ministres. Après une discussion ridicule aucune solution n'a été proposée. Les ministres sortent, le roi reste seul, songeur. Entre le prince Riquet ; il veut être conciliant ; l'affaire n'aura pas de suite. A la princesse qui est revenue, Riquet à la Houppe avoue son amour et la supplie de l'aimer en dépit de sa laideur. Mais elle éclate en sanglots et refuse d'épouser le prince Riquet.

 

Le deuxième acte sert en quelque sorte de liaison entre la première et la seconde partie. Des charmilles encadrent une terrasse devant le palais du roi Migonnet. Le prince Galifron et le marquis de Carabas, candidats à la main de la jeune princesse, sortent du palais, en marquant leur regret de ne pouvoir éveiller l'esprit de Florine. Le roi, la reine et leur fille apparaissent à leur tour, suivis du prince Avenant, qui, lui, n'a point renoncé encore à la princesse, en dépit des sottes réponses faites à ses compliments. Pour divertir son ennui, Florine propose un jeu, le jeu de Corbillon.

 

C'est un petit exercice de rimes. Il est prétexte au musicien à de jolis effets de rythme et à quelques mesures d'adroit contrepoint. Mais Florine fait une faute, et sa balourdise jette un froid dans la conversation. Les prétendants se dispersent dans le parc. Florine est tancée par sa royale mère, menacée du couvent par son royal père. Elle ne sait que pleurer. Le roi et la reine sortent dignement, sur un pompeux mouvement de marche. Riquet est entré sans être vu, caché derrière une charmille. Florine exprime son désespoir. De sa cachette, le prince fait à la belle une déclaration anonyme qui l'étonne et la remue. La musique glisse ici en demi-teintes impressionnistes, qui ont toutes leur raison d'être dans un aussi discret duo d'amour. Le prince, toujours caché, apprend à Florine qu'il pourrait lui donner de l'esprit, à condition qu'elle lui offrît en retour quelques mots d'amitié, quelque tendre pensée. Florine le promet.

 

Eh bien donc, petite âme obscure,

Dont m'émeut l'appel triste et doux

Sous mon chaste et lointain baiser

Eveillez-vous...

 

Florine, radieuse et transformée, appelle son sauveur. Un thème nouveau, d'allure noble, souligne cette transformation. Le prince paraît, mais il s'éloigne aussitôt sur l'invitation de la princesse, fort troublée par cette apparition inattendue. Cependant elle crie sa joie de se sentir enfin vivre. Des gammes légères à l'orchestre soulignent cet épanouissement juvénile. Galifron et Carabas entrent en scène, guillerets et moqueurs, sur un rappel des mesures encadrant le fameux jeu de Corbillon. Florine réplique adroitement au grand étonnement de ses anciens prétendants qu'elle congédie. Devant le roi, elle prend maintenant un ton décidé. Un peu troublée elle écoute la déclaration renouvelée par le prince Avenant, mais, apercevant Riquet, elle le prie de s'éloigner. Le prince, jaloux, se désespère. Simplement Florine lui offre sa tendresse, sinon son amour en reconnaissance de sa générosité. Demeuré seul, Riquet se lamente. Les fées apparaissent tout à coup, et lui annoncent qu'il obtiendra cette beauté tant désirée.

 

Le troisième acte s'ouvre par un divertissement en pleine forêt. A droite, au second plan, un pavillon rustique. A gauche, un bosquet taillé dans la verdure, d'où le roi, la reine, Florine et les princes regardent les danses. Les rythmes à deux et trois temps alternent avec vivacité. Le roi confie aux princes son chagrin de voir Florine refuser obstinément tout prétendant. Galifron et Carabas s'approchent de la princesse, s'essayant à la conquérir, mais elle les éconduit. Une jolie ronde se déroule sur le thème de la vieille chanson française du furet. Le prince Avenant passe à son tour ; Florine le moque. La ronde qui repasse plus animée entraîne Avenant. Demeurée seule, Florine tire une lettre de son corsage, et comme les rondes passent et repassent, elle se réfugie dans le pavillon rustique et rêve au balcon. Les fées de tous les coins de la forêt appellent Riquet. Mais avant même d'entendre leurs voix, Riquet avait obéi au mystérieux pressentiment de l'amour. Le visage masqué d'un loup, timidement il parle à Florine, et la supplie de venir à lui. Elle descend, Riquet arrache son loup :

 

Ah ! je savais bien que vos traits étaient beaux !

Prince Soleil, connaissez-vous enfin !

 

Les forêts retentissent du chœur des fées. Une radieuse aurore se lève. Le roi et la reine surviennent, suivis des courtisans. Ils demeurent stupéfaits du changement survenu.

 

Bécafigue, précédant rôtisseurs, marmitons et maîtres-queux du roi Mataquin, viennent en cadence présenter leurs plats aux fiancés. Le peuple par un vivat marque sa joie.

 

(André Cœuroy, Larousse Mensuel Illustré, novembre 1929)

 

 

 

 

 

 

décor du prologue

 

 

 

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