On demande un Arlequin

 

 

Opérette en un acte, livret de Louis PÉRICAUD et Lucien DELORMEL, pantomime réglée par Alexandre GUYON (1830 – 1905), musique de Firmin BERNICAT.

 

   partition

 

partition dédiée à Franck Géraldy ; livret dédié à Monsieur Maria, directeur de l'Alcazar de Marseille

 

 

Création à l'Eldorado en 1878.

 

 

personnages emplois créateurs
Colombine mezzo-soprano Mlle Louise ROLAND
Jules Montrésor baryton MM. Jules PERRIN
Beaudruchon trial GAILLARD
Cadoche, notaire ténor DUCASTEL
Baptiste jeune comique HURBAIN

 

Le théâtre représente un salon chez Beaudruchon - Portes au fond et portes latérales - Un piano à droite - 1er plan.

 

 

 

Catalogue des morceaux

 

  Ouverture    
01 Ensemble C'est une grave affaire Colombine, Beaudruchon
02 Ensemble L'être le plus infime Baptiste, Jules
03 Duo bouffe Vous voyez en moi Beaudruchon, Jules
03 bis Musique de scène    
04 Ensemble Suivez-moi Colombine, Jules
04 bis Musique de scène    
05 Ensemble Quelle veine Baptiste, Beaudruchon
06 Romance bouffe Comme les blés Cadoche
07 Quatuor Nous voilà ! Colombine, Baptiste, Beaudruchon, Jules
08 Pantomime    
09 Final Vive Pierrot Colombine, Cadoche, Baptiste, Beaudruchon, Jules

 

 

 

LIVRET

 

 

 

(édition de 1880)

(en rouge, les parties chantées)

 

 

ACTE UNIQUE

 

 

Une table le long du décor à gauche entre les deux portes.

 

Accessoires pour la pantomime :

Dans la coulisse : Un fer à papillotes.

Sur la table : Un peigne. — Un tire-pied. — Une savonnette avec blaireau et blanc d'Espagne. — Une serviette. — Quelques morceaux de papier pour papillotes.

Un guéridon à gauche de la porte du fond. — Sous-main, encrier et plume d'oie sur le guéridon.

Pour Cadoche : Une serviette de notaire avec plusieurs contrats. — Une paire de lunettes. — Un mouchoir de couleur. — Une bourse dans les poches de l'habit.

Pour Baudruchon : Deux manuscrits de pantomime. — Une tabatière. — Une canne, une dent et un journal.

Pour Jules : Un trombone.

Pour Colombine : Une petite trompette. — Une corde attachée à la table

 

Le théâtre représente un salon chez Baudruchon. Portes au fond et latérales.

 

 

Ouverture

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

COLOMBINE, entrant.

Papa est enfoncé dans son journal ! L'étude de M. Jules Montrésor est au-dessus. Avertissons-le. (Elle joue d'une petite trompette qu'elle sort de sa poche.)

 

BAUDRUCHON, au dehors.

Ma fille, qu'est-ce que c'est que cette musique ?

 

COLOMBINE.

Papa, c'est le tramway qui passe. (On entend un trombone jouer au dehors : « Pour tant d’amour ne soyez pas ingrate, » de la Favorite. Il fait un couac.) Pauvre M. Jules !... Joue-t-il assez mal de son trombone !... C'est pour correspondre avec moi, du reste, qu'il l'apprend ! Parce qu'un jour en voyant passer un régiment, j'ai dit devant lui : Ah ! comme j'aimerais à avoir un mari qui jouât du trombone ! Aussi il s'est mis à l'apprendre ! Hein ! est-ce du dévouement cela ?... (On entend le trombone pousser des cris plaintifs.) Il gémit ! Ne le faisons pas attendre plus longtemps. (Elle joue de nouveau de sa petite trompe.)

 

BAUDRUCHON, au dehors.

Ma fille !... est-ce encore le tramway ?

 

COLOMBINE.

Oui, papa. Lis ton journal.

 

 

SCÈNE II

COLOMBINE, JULES.

 

JULES. Il a son trombone à la main.

Cet air délicieux me dit d'accourir et j'accours. Votre papa n'est pas là, Mlle Colombine ?

 

COLOMBINE.

Si, M. Jules Montrésor, mais il lit son journal.

 

JULES.

Appelez-moi Jules tout court ! C'est plus intime ; ça rapproche plus l’un de l'autre !

 

COLOMBINE.

Vous aimez donc bien à être près de moi ?

 

JULES.

Si j'aime ça !... mais demandez donc à l'hirondelle si elle aime la liberté, au potiron s'il aime la rosée du matin, et à Jules Montrésor s'il aime à vous envoyer des airs de trombone !... (Il en joue.)

 

COLOMBINE.

Oh ! pas ici !

 

JULES.

C'est juste ! Les domestiques pourraient croire qu'on les sonne !

 

COLOMBINE.

Nous n'en avons pas en ce moment ; papa en attend un. Mais parlons un peu de notre amour !

 

JULES.

Ah ! vous êtes trombone, mademoiselle Colombine, ma fiancée !... Et vous pensez que votre vieux père ne… repoussera pas... les avances d'un clerc d'avoué dont la principale fortune est de n'avoir pas le sou…

 

COLOMBINE.

Voyez-vous, monsieur Jules, mon père est un excentrique ; mais il aime sa fille avant tout.

 

JULES.

Même avant la pantomime ?

 

COLOMBINE.

Ah ! ça je ne sais pas !... Pensez donc, c'est en jouant les Cassandres avec le grand Deburau, c'est en recevant un tas de coups de pied partout qu'il a amassé ses dix mille livres de rente !

 

JULES.

Alors ce doit être un crève-cœur pour lui que de voir la pantomime, ce genre délicieux et charmant, délaissé comme il l’est aujourd'hui... Mais il n'y a plus d'artiste pour la jouer !...

 

COLOMBINE.

Aussi ne m'en parlez pas ! il ne dérage pas du matin au soir !

 

LA VOIX DE BAUDRUCHON.

Colombine !...

 

JULES.

Ah ! mon Dieu !... le voilà ! il a fini son journal... Je me sauve !...

 

COLOMBINE.

Pourquoi ne restez-vous pas pour lui demander ma main ?

 

JULES.

Avec mon trombone, c'est impossible !... A tantôt, Colombine, à tantôt !...

Il sort.

 

COLOMBINE, seule.

Il faut que j'avertisse papa de la visite de ce beau jeune homme, car papa ne le connaît pas encore, et il ne faut pas que M. Jules tombe ici comme un chien dans un jeu de quilles.

 

 

SCÈNE III

COLOMBINE, BAUDRUCHON.

 

BAUDRUCHON, un journal à la main.

Colombine ! Ah ! te voilà !

 

COLOMBINE.

Oui, papa !... Qu'as-tu donc ?

 

BAUDRUCHON.

Je viens d'avoir une idée qui va faire de moi un homme célèbre.

 

COLOMBINE.

Ah ! mon Dieu ! tu m'effrayes, papa !

 

BAUDRUCHON.

Jusqu'à présent, mon enfant, Asnières-les-Bains n'a offert comme distraction à ses visiteurs que des concerts, des bals et des joutes sur l'eau. Ne pouvant faire jouter sur l’eau dans mes salons, je vais les transformer en théâtre. Mes salons vont devenir le temple de la pantomime.

 

COLOMBINE.

Tu vas faire jouer la pantomime ici ?

 

BAUDRUCHON.

Tout le temps ! Et nous allons répéter aujourd’hui même : le Contrat de Colombine ! ma nouvelle pantomime.  O Deburau ! du haut des cieux, ta demeure dernière, tu vas être joliment content !... Enfin, je vais donc pouvoir recevoir des gifles et des coups de pied dans le dos !...

 

COLOMBINE.

Ah ça ! papa, et tes artistes pour jouer le Contrat de Colombine ? Car à nous deux nous ne pourrons jamais faire Arlequin, Pierrot et le Notaire.

 

BAUDRUCHON.

J'ai écrit à un agent théâtral de Paris pour qu'il m’expédiât ces trois emplois ; il m'a répondu qu'il ne pouvait m'offrir qu'un Notaire. Je lui ai télégraphié : Expédiez toujours le Notaire.

 

COLOMBINE.

Oui, mais un Arlequin, un Pierrot ?...

 

BAUDRUCHON.

J'aurai tout cela !... Tiens, lis ! (Il lui tend un journal.)

 

COLOMBINE, lisant.

« M. Baudruchon désire un domestique pour tout faire, ayant joué un peu les Arlequins ou les Pierrots. Se présenter chez lui à Asnières-les-Bains. »

 

BAUDRUCHON.

Il doit m'en venir un aujourd'hui ! S'il se présente, tu l'interrogeras, ma fille, et s’il a joué seulement gros comme ça de pantomime, tu l'engageras à quelque prix que ce soit ! A tout à l'heure, mon enfant !

 

COLOMBINE, le retenant.

Mais attends donc, papa !...

 

BAUDRUCHON.

Quoi, ma Colombine ?

 

COLOMBINE.

J'ai quelque chose a te dire aussi, moi !... Je veux me marier !...

 

BAUDRUCHON.

Toutes les pantomimes finissent comme cela. C'est nature !

 

COLOMBINE.

Et je veux épouser un jeune homme que j'ai rencontré dans le monde !

 

BAUDRUCHON.

Et qu'est-il, ce jeune homme ?

 

COLOMBINE.

Il est clerc d'avoué, et va venir aujourd'hui te demander ma main.

 

BAUDRUCHON.

Un simple clerc d'avoué, jamais !...

 

COLOMBINE.

Mais, papa, un clerc d'avoué c'est un homme de bureau.

 

BAUDRUCHON.

Deburau, cela pourrait faire mon affaire.

 

COLOMBINE.

Et il joue du trombone !

 

BAUDRUCHON.

Il joue du trombone ? S’il avait seulement joué les Arlequins, je ne dis pas !

 

COLOMBINE.

Il les jouera !

 

BAUDRUCHON.

Eh bien ! je le recevrai !... mais je ne te cache pas que je serai sévère. Je vais inspecter mon costume de Cassandre, et à tout à l'heure, mon enfant, à tout à l'heure !

 

Ensemble de sortie

 

BAUDRUCHON.

C'est une grave affaire,

Fort grave assurément ;

Et je serai sévère

Envers ton prétendant.

 

COLOMBINE.

Ah ! quoique cette affaire

Soit grave assurément,

Ne sois pas trop sévère

Envers mon prétendant.

Cassandre sort.

 

 

SCÈNE IV

COLOMBINE, puis BAPTISTE.

 

COLOMBINE.

Quel drôle de paroissien que papa !... Enfin il est comme ça !... On ne peut pas le changer, n’est-ce pas ?

 

BAPTISTE au fond, vêtu très correctement.

Est-ce à monsieur Baudruchon que j’ai l’honneur de parler ?

 

COLOMBINE.

Non, monsieur, c'est à sa fille ! Est-ce que j'ai l'air d'être papa ?

 

BAPTISTE.

Ah ! vous êtes sa demoiselle... pardon ! C'est que je sais que M. Baudruchon est un malin pour la pantomime. Il se déguise et se grime si bien, m'a-t-on dit, que je ne saurais jamais si c'est à lui que je parle !...

 

COLOMBINE.

Enfin, monsieur, qu'y a-t-il pour votre service ?

 

BAPTISTE.

Pour mon service, rien. Pour le sien, il y a un domestique qui se présente à lui.

 

COLOMBINE.

Un domestique ?... Mazette, il est bien mis pour un domestique. Il est mieux mis que papa. Avez-vous joué la pantomime ?

 

BAPTISTE.

Cinq ans... Les Pierrots aux Funambules du boulevard de Strasbourg.

 

COLOMBINE.

Petite école, alors ; enfin, vous plairez à papa, je l'espère... La cuisine est là... (Elle montre la Porte, 1er plan droite). Je vais le prévenir de votre arrivée. Il va être dans une joie !... Préparez-vous à lui donner une idée de votre souplesse !... surtout, parlez-lui le moins possible ; tout par gestes, et vous réussirez !... Dans un instant, il sera ici !... Vous savez ! tout par gestes.

Elle sort.

 

 

SCÈNE V

BAPTISTE, puis JULES.

 

BAPTISTE.

Il va falloir que je lui donne une idée de ma souplesse !... mais alors faut que je mette mes chaussons. (Il s’assoit, défait un paquet qu’il a sous le bras et se déchausse tout en causant.) Moi, je ne peux travailler qu'en chaussons.

 

JULES, entrant.

J'arrive de citez M. Cadoche, le notaire de Courbevoie ; je me méfie de ceux d'Asnières... il n'y était pas. Je l’ai fait prier de me rejoindre ici pour me montrer des échantillons de contrat, car c'est décidé, je vais faire ma demande... Alea, jette ta reste !... comme a dit un certain César en devenant tout rubicond.

 

BAPTISTE.

Tiens ! un monsieur !... C'est M. Baudruchon… comme il est jeune !

 

JULES.

Tiens ! un homme qui ôte sa chaussure.

 

BAPTISTE, à Jules.

C'est pour mieux pantomimer.

 

JULES, sans comprendre.

Pantomimer ?... Et il met des chaussons !

 

BAPTISTE, se levant.

Maintenant ne parlons plus !.. L'épreuve commence !... (Il lui demande par gestes à devenir son domestique, lui faisant signe qu'il sait cirer, balayer et faire la cuisine.)

 

JULES.

C'est un fou !... Mon cher monsieur…

 

BAPTISTE, lui mettant la main sur la bouche.

Ne parlons plus !...

Il lui demande par gestes combien il lui donnera de gages.

 

JULES, à part.

C’est sans doute un ami du père de Colombine… Flattons sa manie... (Haut.) Il faut que je vous réponde par gestes ? (Baptiste fait signe que oui.) (A part.) Comme je ne comprends pas ce qu'il me dit, je vais répondre au hasard.

Il fait des gestes bizarres, n’ayant aucun sens.

 

BAPTISTE, à lui-même.

Il me dit d'aller à la cuisine… C'est qu'il accepte mes conditions.

Il le salue. Jules lui rend son salut.

 

Ensemble, dont les artistes ne font que mimer les paroles avec la bouche.

L’être le plus infime

Peut par la pantomime

Se faire comprendre partout,

Car ce grand art embrasse tout.

Baptiste sort.

 

 

SCÈNE VI

JULES seul, puis CADOCHE.

 

JULES.

Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ?... Un rival peut-être, qui, pour plaire à M. Baudruchon, emploierait la pantomime. Ah ! mais moi aussi je saurai parler par gestes, s'il le faut !... moi aussi je la jouerai !...

 

CADOCHE, entrant.

Cher monsieur Montrésor...

 

JULES.

C'est M. Cadoche, le notaire de Courbevoie.

 

CADOCHE.

Vous m'avez fait dire de vous rejoindre ici… m'y voici !... J'étais en train d'en marier deux autres !... Encore deux imbéciles de plus dans cet engrenage du mariage.

 

JULES.

Vous détestez le mariage?

 

CADOCHE.

Si je le déteste !... Je n'ai qu'un mot à vous dire : j'ai été marié six mois !...

 

JULES.

Et madame votre épouse est décédée ?... Pauvre femme !

 

CADOCHE.

Non, monsieur !... Elle est partie avec un marchand de lorgnettes... un homme dont la profession consistait à vous mettre des vers sur le nez !

 

JULES.

C’est pas tout ça !... Avez-vous des modèles de contrat sur vous ?

 

CADOCHE.

J'en ai toujours !... En voilà !...

 

JULES, à lui-même.

Au fait, si pour plaire au père Baudruchon, je m’essayais avec lui… si je pantomimais ?

 

CADOCHE.

Voici des contrats que je fais payer quarante cinq francs... tout compris…

 

JULES.

Allons-y !

Il lui prend le contrat des mains et le lui remet dans la poche en ayant l'air de le mépriser. Ce qu'il faut, à lui, c'est un contrat très cher.

 

CADOCHE.

Vous avez des malades dans la maison ?... Très bien ! on parlera plus bas.

 

JULES.

Comment, des malades !... Il n’a donc pas compris ?

 

CADOCHE.

Tenez, voici un contrat que je vous recommande, il est de soixante-quinze francs !... Mais, dame, vous en avez là-dedans à lire au moins pendant huit jours. Et puis, c'est du papier solide !... Ah ! si j'avais eu de ce papier-là avec ma femme, elle n'aurait pas si facilement fait des trous dans le nôtre !...

 

JULES.

(Par gestes, il refuse encore ce contrat, et en demande un beaucoup plus cher.)

 

CADOCHE, sans le comprendre.

Oui ! oui !... vous frottez des allumettes chimiques qui ne veulent pas prendre !...

 

JULES.

Des allumettes chimiques ?... Mais vous ne comprenez donc pas la pantomime ?...

 

CADOCHE.

Pardon !... Je la comprends quand on la parle !... Mais, par gestes, pas du tout... Ne sont-ce pas des allumettes que vous frottiez ?

 

JULES.

Mais non ; je vous demandais un contrat dans les trois ou quatre cents francs... un contrat chic !

 

CADOCHE.

Fichtre !... un contrat d'homme du monde alors !... Ceux de ce prix-là sont écrits par moi-même et ont des petites-questions tout autour. C'est charmant ! On rit rien qu'à les voir !... Je n'en ai pas sur moi mais je vais vous en chercher à la maison !... Dans un instant je suis de retour !...

Il sort.

 

 

SCÈNE VII

JULES, puis BAUDRUCHON.

 

JULES.

Il a compris que je frottais des allumettes chimiques !... C'est un notaire qui n'a pas inventé le fil à couper le beurre, voilà tout !...

 

BAUDRUCHON, entrant.

Ma Colombine m'a dit qu'un domestique m’attendait ici !... le voilà !... Oh ! qu'il est bien mis !...

 

JULES, à part.

Allons, voilà M. Baudruchon ; il n'y a plus à reculer…

 

Duo

 

BAUDRUCHON.

Vous voyez en moi Baudruchon,

Le plus célèbre des Cassandres ;

Je veux renaître de mes cendres,

Comme un certain phénix, dit-on.

 

JULES.

Permettez donc

Un instant que je vous admire !...

Monsieur Baudruchon,

Vous possédez un si grand nom…

 

BAUDRUCHON.

Je ne saurais vous contredire.

 

JULES.

Monsieur Baudruchon,

Oui, votre nom est fort connu

Dans le monde des pantomimes ;

Deburau, le plus grand des mimes,

L'a plus d'une fois reconnu.

AIR :

Pour attraper la gifle

Ou bien le coup de pied,

Ou quelque autre mornifle,

Nul ne l'a dégoté.

Y en a que ça déshonore ;

Vous, vous êt's prêt toujours

A les r'cevoir encore

Comm' souv'nir des beaux jours.

Pif ! paf ! v’li ! v’lan !

Il aime à r’cevoir par derrière

Les coups d' pied de la bonn' manière,

Des coups de pied comme en voilà ,

V'lan !

Et des soufflets comme ceux-là !

V’li ! v'lan !

Il envoie des paires de gifles dans le vide.

 

Ensemble

 

JULES.

Ah ! c'est étrange, il paraît

Que chaque coup le satisfait.

Ainsi du matin jusqu'au soir

Voudrait-il donc en recevoir ?

 

BAUDRUCHON.

Ah ! c'est charmant, je renais,

Je rajeunis à ces soufflets ;

Qu'il serait doux d'en recevoir

Ainsi du matin jusqu'au soir.

 

BAUDRUCHON.

Maintenant, ne parlons plus !

 

JULES, à lui-même.

Nous y voilà !... Jules, aie de l’éloquence dans tes gestes !... Je vais lui demander la main de Colombine, en pantomimant !...

Il fait signe qu'il est amoureux, et qu’il voudrait bien reposer sa tête sous le même toit que Colombine.

 

BAUDRUCHON, à part.

Il me demande combien il gagnera d'appointements par an. Répondons-lui six cent cinquante fr., nourri, logé et chauffé !... Bah ! je le chaufferai !

Il lui fait signe avec ses doigts.

 

JULES, à part.

Il me demande ce que j'apporte en dot pour épouser sa fille ?... Comment lui dire douze cents francs d'appointements ?... Ah !...

Il mime 12 avec les doigts de la main droite.

 

BAUDRUCHON, à part.

Diable ! il veut en gagner douze cents ; c'est raide !... Indiquons lui qu'il est nourri.

Il fait les gestes nécessaires pour imiter un homme qui fait la cuisine et qui mange.

 

JULES, à part.

Il m'invite à déjeuner... ou bien, il me demande qui payera le repas de noces ?... Ce sera moi, bien entendu !...

Il mime à tort et à travers pour dire que ce sera lui.

 

BAUDRUCHON, à part.

Cristi ! il est très fort comme mime. J'en arrive à ne plus le comprendre du tout.

 

JULES, à part.

Je veux même payer le bal !...

Il imite une personne qui danse.

 

BAUDRUCHON, à part, dansant devant lui.

Il me demande si l’on danse quelquefois dans la maison... Ah ! non !... non !... l'on travaille ferme !... (Il fait le geste de frotter le parquet.) On frotte !...

 

JULES, à part.

Ah ! il veut qu'on danse la mazurka ?... très bien : je la sais !

Il danse la mazurka.

 

BAUDRUCHON, à part.

C'est cela ! très fort ! il frotte des deux jambes. Et puis on cire les souliers.

Il imite quelqu'un qui crache sur les souliers et les cire.

 

JULES.

Il me demande si je joue de l'accordéon !... Faisons-lui signe que je joue du trombone !

Il imite le trombone.

 

BAUDRUCHON.

Il lave la vaisselle, très bien ! nous sommes parfaitement d'accord. Soit ! il mime si bien que je lui accorde ses 1200 francs.

Il fait signe qu'à 1200 il consent.

 

JULES, à part.

Il m'accepte pour gendre, ô bonheur !

Il lui tend la main.

 

BAUDRUCHON, lui tape dedans.

Là !... ça y est !... il est mon domestique !

 

JULES.

Il a compris !... Il est mon beau-père !

Fin de la musique en sourdine.

 

BAUDRUCHON.

Ah ! sapristi !... et mon notaire qui n'arrive pas !

 

JULES.

Le mien va venir !

 

BAUDRUCHON.

Vous en avez un ?

 

JULES.

Oui, de Courbevoie.

 

BAUDRUCHON.

C'est parfait !... maintenant, mon ami, une dernière faveur. Savez-vous donner un soufflet ?

 

JULES.

Oui !

 

BAUDRUCHON.

Alors, donnez-m'en un !

 

JULES.

Oh ! je n'oserai jamais !

 

BAUDRUCHON.

Osez !... je vous l'ordonne !

 

JULES.

Alors, je veux bien !... A vous !...

Il lui envoie une gifle.

 

BAUDRUCHON, qui l’a reçue.

Oye ! oye ! oye !... vous m'avez cassé une dent !... Mais on fait semblant... Vous ne savez donc pas ?

 

JULES.

Voulez-vous que je recommence ?

 

BAUDRUCHON.

Non ! non !... Vous serez peut-être plus fort sur le coup de pied... Voyons, faites-moi le plaisir de m'en donner un !

 

JULES.

Mais c’est vous manquer...

 

BAUDRUCHON.

Je vous l'ordonne !

 

JULES, à part.

Je veux bien, moi... il veut essayer ma force... (Haut.) Oh ! je suis très fort, allez… tendez la face !

 

BAUDRUCHON.

Voilà !...

 

JULES, lui envoyant un coup de pied.

V'lan !...

 

BAUDRUCHON, sautant sous le coup de pied.

Nom de nom !... (Revenant à lui et lui prenant la main.) Vous m'aviez dit que vous étiez solide, je vous crois !

 

JULES.

Oh ! j'en donne encore de plus forts que ça !

 

BAUDRUCHON.

De plus forts !... Donnez-m’en un pour rentrer dans la coulisse !

Il va se mettre devant la porte de gauche, 2e plan, le nez sur la porte.

 

JULES.

Quoi ! vous voulez ?...

 

BAUDRUCHON.

Je vous en prie ! Je vous l'ordonne !

 

JULES.

Ah ! je veux bien, moi !... Quel drôle de beau-père !

Il lui envoie un formidable coup de pied qui le fait bondir dans la coulisse.

 

BAUDRUCHON, poussant un cri.

Ah !

Il disparaît.

 

 

SCÈNE VIII

JULES, puis COLOMBINE.

 

JULES.

Eh bien, s'il n'est pas content de celui-là, il sera difficile !

 

COLOMBINE, entrant, de gauche, 1er plan.

Ah ! vous êtes là, M. Jules ?

 

JULES.

Oui ! je suis là, Colombine... et au comble de la joie !... Voulez-vous voir un homme au comble de la joie, Colombine ?... Regardez-moi !... Vous voyez un homme au comble de la joie !

 

COLOMBINE.

Vous avez vu papa ?

 

JULES.

Si je l'ai vu ?... mais je n'ai fait que ça ! Nous avons parlé muet ensemble.

 

COLOMBINE.

Vous avez parlé muet ?... Je ne comprends pas !

 

JULES.

Je lui ai fait comme ça ! (Il fait des signes bizarres.) il m'a répondu comme ça. (Il fait d’autres gestes.) Oh ! nous nous sommes parfaitement compris !

 

COLOMBINE.

Et le résultat de cette entente ?...

 

JULES.

C'est qu'il m'a accordé votre main.

 

COLOMBINE.

Vraiment ! Oh ! que je suis heureuse !

 

JULES, tournant autour de Colombine.

Ah ! mais, je n'avais pas remarqué d'abord… quel délicieux costume vous avez là !...

 

COLOMBINE.

Oh ! ce n'est pas mon costume de mariage !...

 

JULES.

Il serait un peu court !...

 

COLOMBINE.

C'est mon costume de la pantomime que nous allons répéter avec papa.

 

JULES.

Eh quoi ! Colombine, un autre Arlequin que moi va vous serrer dans ses bras, va vous épouser au dénouement ?...

 

COLOMBINE.

Rassurez-vous !... Nous n'avons pas d'arlequin !... Eh ! mais, au fait, pourquoi ne le feriez-vous pas, vous, mon arlequin ?... puisque vous savez si bien parler par gestes…

 

JULES.

Moi ?

 

COLOMBINE.

Ah ! c'est pour le coup que vous seriez sûr de gagner les bonnes grâces de papa !...

 

JULES.

Le fait est qu'un clerc, c'est un arlequin qui peut être avoué !... Mais un costume ?

 

COLOMBINE.

Papa en a dix dans son musée, comme il appelle sa garde-robe.

 

JULES.

Eh bien ! j’accepte, Colombine... Je n'ai jamais joué les arlequins, mais l’amour fait faire bien des choses !... Je vais jouer la pantomime !... Et si un jour je fais de mauvaises affaires comme avoué, je retomberai sur les arlequins.

 

COLOMBINE.

Suivez-moi !

 

Duo

 

COLOMBINE.

Suivez-moi !

Par ce stratagème

Que Jules me prouve qu'il m'aime,

En cherchant à gagner ma foi !

 

JULES.

Oui, ma foi,

Par ce stratagème

Je veux lui prouver que je l'aime

En suivant ma belle et sa loi !

Reprise avec Colombine.

Ils sortent à droite.

 

 

SCÈNE IX

BAUDRUCHON, puis BAPTISTE.

 

BAUDRUCHON, entrant par la porte de gauche, 2e plan.

Quel coup de pied ! et il avait peur de me manquer ! Certes, dans ma vie j'ai eu affaire à bien des paires de bottes... jamais à d'aussi puissantes !... Je suis enchanté d'avoir engagé ce domestique-là !

 

BAPTISTE, rentrant.

J’ai pris connaissance de la batterie de cuisine !...

 

BAUDRUCHON.

Tiens ! quel est ce monsieur ?

 

BAPTISTE.

Un Cassandre !... c'est le bourgeois !... Il s'est encore transformé !... Tout à l'heure il était gras, maintenant il est maigre !... C'est un malin.

 

BAUDRUCHON.

Pardon, monsieur, mais...

 

BAPTISTE.

Eh bien ! avez-vous parlé de moi avec votre demoiselle ?

 

BAUDRUCHON.

Avec ma demoi... Ah ! c'est le clerc d'avoué dont elle ma parlé ! celui qu'elle veut épouser. Ainsi, monsieur, vous désirez entrer dans ma maison ?

 

BAPTISTE.

Tiens, je croyais que c'était convenu...

 

BAUDRUCHON, se fâchant.

Convenu ?... avec ma fille, peut-être ?... Mais sachez que je suis le seul maître ici, et que nul autre que moi ne commande !

 

BAPTISTE, à part.

Il se fâche ?... Ah ! c'est parce que je lui a parlé !... Des gestes, m'a dit sa fille, et vous réussirez !...

 

BAUDRUCHON.

D'abord, quel âge avez-vous ?

 

BAPTISTE, lui faisant signe avec les doigts.

Vingt-cinq ans !

 

BAUDRUCHON.

Quarante-cinq ans ; eh bien, ne les paraît pas. Quelle est votre position dans le monde ?

 

BAPTISTE.

(Il fait signe qu'il sait faire la cuisine, la manger.)

 

BAUDRUCHON.

Eh ! eh ! il ne mime pas mal pour un clerc d’avoué… mais pécuniairement parlant, dans quelle situation êtes-vous ?

 

BAPTISTE, par gestes.

Pas le sou !...

 

BAUDRUCHON.

Il mime très bien ; pas le sou !... alors je ne veux pas de vous !...

 

BAPTISTE, par gestes.

Pardon ! pardon !... mais, je sais danser !... (Il danse.) Faire le saut de carpe, marcher sur les mains... (Il passe au 2e plan, en faisant la roue.)

 

BAUDRUCHON.

Quel drôle de clerc d'avoué... Oh ! s'il voulait jouer la pantomime avec nous !... Dites-moi, mon ami, sauriez-vous recevoir un soufflet ?... J'aime mieux lui en offrir un, parce que, au cas où il ne saurait pas le donner, comme l’autre…

Il se frotte la joue.

 

BAPTISTE.

(Il lui fait signe que oui.)

 

BAUDRUCHON.

Alors, apprêtez-vous !... Non, mon ami, n'ayez pas l'air de vous y attendre. (Il lui envoie un faux soufflet que Baptiste reçoit en frappant dans les mains.) Bravo ! bravo ! mon ami ! Si vous voulez obtenir la main de ma fille, il faut jouer un rôle dans la pantomime, dont voici le manuscrit.

Il le lui remet.

 

BAPTISTE, à lui-même.

La main de sa fille ! O bonheur !...

 

BAUDRUCHON. (Il lui désigne la porte gauche, 2e plan.)

Tenez, entrez là, et lisez cette pantomime attentivement, vous y choisirez le Pierrot ou l'Arlequin, à votre convenance.

 

BAPTISTE.

J'y vole, beau-père, j'y vole !

 

Ensemble

 

BAPTISTE.

Quelle veine !

Quelle aubaine !

Quel coup du sort ! mais c'est égal,

Il me paraît original.

Sur mon âme,

Je proclame

Que c'est un fier original !

 

BAUDRUCHON.

Quelle veine !

Quelle aubaine !

Quel coup du sort ! mais c'est égal,

Il me paraît original.

Sur mon âme,

Je proclame

Que c'est un gendre sans égal !

Baptiste sort.

 

 

SCÈNE X

BAUDRUCHON, puis CADOCHE.

 

BAUDRUCHON.

Ah ! si tous les avoués et leurs clercs étaient comme celui-là !... comme les affaires iraient mieux !... Quand je l'ai vu faire la carpe, je me suis dit tout de suite : voilà un homme attaché au parquet !

 

CADOCHE, entrant par le fond.

Je n'ai pas été long, j'espère !... Tiens, un marchand de vulnéraire !... Monsieur, je suis votre serviteur !

 

BAUDRUCHON.

Pardon ! à qui ai-je l'honneur ?...

 

CADOCHE.

Cadoche, notaire.

 

BAUDRUCHON.

Ah ! vous êtes le notaire ? Parfait, je vous attendais.

 

CADOCHE.

Seriez-vous le père de la jeune fille ?...

 

BAUDRUCHON,

De Colombine ?... non, son tuteur seulement !... C'est moi Cassandre... Tenez, du reste, voici un manuscrit, vous prendrez connaissance de la chose !...

 

CADOCHE.

Le contrat de Colombine !... C'est, bien cela !... Faut-il que celui qui va l'épouser soit bête, hein ?...

 

BAUDRUCHON.

Vous n'aimez pas le mariage ?

 

CADOCHE.

Monsieur, j'ai été marié six mois, et ma femme m’a lâché.

 

Romance-bouffe

 

Comme les blés elle était blonde,

Elle avait de grands yeux d'azur,

Un petit pied, la taille ronde,

La lèvre rose et le front pur.

Mais lorsque le soir à la brune

Elle m'appelait son Fernand,

J’ croyais manger en l'écoutant

Un' brioch' d’ la ru' d' la Lune.

Mais hélas ! elle a fui comme une ombre légère,

En me disant :

A toi, Fernand,

Ce râtelier chéri qui me vient de ma mère.

 

BAUDRUCHON.

Eh bien ! si vous lui chantiez ça tous les matins, ça ne m'étonne pas que votre femme vous ait lâché !

 

CADOCHE.

Qu'entendez-vous par là, monsieur ?

 

BAUDRUCHON.

Et puis avec un physique comme le vôtre vous ne pouviez guère vous attendre non plus à être aimé pour vous-même !...

 

CADOCHE.

Qu'entendez-vous par un physique comme le mien ?

 

BAUDRUCHON.

Voyons mon cher notaire, je ne voudrais pas vous dire des choses désagréables ; entre nous, vous êtes d'un joli mouche !

 

CADOCHE.

Mouche!...

 

BAUDRUCHON.

Si j'avais des cerises à défendre, et que vous voulussiez bien vous y prêter, je n'hésiterais pas à vous mettre dans mon cerisier pour faire peur aux moineaux !

 

CADOCHE.

Mais, monsieur, j’ai eu du physique dans le temps !... J'avais... de grands cheveux bouclé, qui me tombaient sur ma collerette.

 

BAUDRUCHON.

Et c'est votre femme qui vous coiffait ?...

 

CABOCHE.

Ah ! ne parlons plus de cela !... Bien qu'il y ait une vingtaine d'années, son souvenir est encore vivace en moi.

 

BAUDRUCHON.

C'est bien ! je respecte votre douleur !... Entrez-là. (Il lui désigne la porte de droite, 1er plan.) Et lisez le Contrat de Colombine.

 

CABOCHE.

Tout, seul ?...

 

BAUDRUCHON.

Oui !...

 

CABOCHE.

Il n'y a pas de rats ?...

 

BAUDRUCHON.

Non !...

 

CABOCHE.

C'est que, voyez-vous, j'ai peur des rats !...

 

BAUDRUCHON.

Allez donc ! allez donc !

Cadoche sort.

 

 

SCÈNE XI

BAUDRUCHON, puis COLOMBINE.

 

BAUDRUCHON.

Là !... maintenant, à part un arlequin, j'ai tout au monde !...

 

COLOMBINE, qui a entendu les derniers mois.

Tu as même ton Arlequin, papa !

 

BAUDRUCHON.

Tu m'en as trouvé un ?

 

COLOMBINE.

Tu vas voir !...

Elle frappe trois coups dans la main. — Au 3e coup Jules en Arlequin et Baptiste en Pierrot apparaissent, le premier à la porte du fond, à droite, le masque noir sur la figure, le second à la porte de gauche, au fond, avec le visage blanc d'un Pierrot.

 

 

SCÈNE XII

LES MÊMES, JULES, BAPTISTE.

 

Quatuor

 

JULES et BAPTISTE.

Nous voilà ! (ter.)

Nous arrivons, l'allure preste,

Légers de la tête et du geste,

La jambe souple et la main leste.

Nous sommes là,

Nous voilà ! (ter.)

 

JULES, faisant une pirouette.

Demandez Arlequin.

 

BAPTISTE, id.

Pierrot vif et malin.

 

JULES.

Orné de ma batte.

Cambré, je m'en flatte.

 

BAPTISTE.

Moi, rusé, narquois

Et bête à la fois !...

 

BAUDRUCHON.

Croyez, messieurs, que j'ai l'honneur

D'être votre humble serviteur !...

 

ENSEMBLE.

 

JULES et BAPTISTE.

Nous voilà ! (ter.)

Nous arrivons, l'allure preste, etc.

 

BAUDRUCHON et COLOMBINE,

Les voilà ! (ter.)

Ils arrivent, l'allure preste,

Légers de la tête et du geste, etc.

 

BAUDRUCHON.

Messieurs, je n'ai pas l'honneur de vous connaître, mais je suis dans le ravissement !... Ah ! pardon ! vous savez vos rôles ?...

Signes affirmatifs et gambades de Jules et de Baptiste.

 

COLOMBINE.

Alors, ça va bien !... Tout le monde dans les coulisses, et commençons !...

 

BAUDRUCHON.

Attendez !... Commençons !... et tout le monde dans les coulisses.

Tous sortent par le fond.

 

 

PANTOMIME

 

SCÈNE PREMIÈRE

Arlequin entre par le fond, regarde si Colombine est là et ne la voyant pas va frapper à la porte de gauche en se cachant ensuite.

 

SCÈNE II

Colombine entre et n'aperçoit pas d'abord Arlequin. C'est étonnant, semble-t-elle se dire, je croyais avoir reconnu son signal ; elle se retourne et le voit ; ils se jettent dans les bras l'un de l'autre. Arlequin explique à Colombine qu'il va la demander en mariage à son père ; elle répond qu’il ne voudra pas ; Arlequin réplique qu’il vaincra tous les obstacles ; on entend tousser Cassandre. Colombine renvoie Arlequin.

 

SCÈNE III

Cassandre entre de gauche sans voir Colombine, qui sort aussitôt par la même porte sans être vue de son père. Cassandre exprime qu'il fait beau et qu'il va sortir ; il appelle son domestique Pierrot pour qu'il lui fasse la barbe.

 

SCÈNE IV

Pierrot entre en bâillant après que Cassandre l’a appelé plusieurs fois ; en étirant ses bras, il flanque une gifle à Cassandre, puis lui demande ce qu'il veut. Cassandre veut être rasé, coiffé et frisé. Pierrot lui retire son pet-en-l'air.(Cascades.) Il va chercher une chaise qu'il retire après l'avoir offerte à Cassandre, qui tombe ; puis il l'assied et lui passe une serviette autour du cou en l'étranglant ; il va ensuite chercher du savon et un blaireau ; pendant qu'il savonne Cassandre, Arlequin entre et frappe Pierrot sur le derrière avec sa batte, ce qui fait faire un faux mouvement à Pierrot, qui fourre son blaireau dans l'œil de Cassandre : cette cascade est deux fois répétée. La seconde fois il lui met son blaireau dans la bouche ; ensuite Pierrot passe une grande lanière de cuir autour du cou de Cassandre, et repasse dessus un énorme rasoir. Pendant qu'il repasse, Arlequin frappe Pierrot de sa batte, Pierrot lâche le cuir et Cassandre et lui vont rouler de chaque côté de la scène. Pierrot prend Cassandre par le bout du nez ; il le rase. Nouveau coup d'Arlequin, qui fait couper la nez de Cassandre. Cris de ce dernier. Pierrot met des papillotes à Cassandre, dont une sur le bout du nez, puis va chercher un fer à papillotes, qui est tout rouge… Effroi de Cassandre. Pierrot frise Cassandre ; il le brûle. (Cascades). Il apporte ensuite le peigne, lui passe son habit et lui donne son chapeau, et sa canne en le faisant tomber. Ils vont pour sortir quand ils aperçoivent au fond :

 

SCÈNE V

Pierrot et Colombine qui s'embrassent. Pierrot saisit Colombine et l’entraîne à l’avant-scène de droite ; Co1ombine lui donne une gifle qu'il rend à Cassandre ; la gifle revient à Pierrot par le même moyen ; il la relance à sa gauche au moment où le notaire entre par la droite (du public) ; le notaire reçoit la gille et se sauve effaré.

Pierrot et Cassandre vont pour ressaisir Colombine, Arlequin leur donne des coups de batte et entraîne Colombine par le fond ; Pierrot et Cassandre les poursuivent. Cassandre tombe et se relève en boitant. Pierrot descend la scène avec lui en imitant sa marche et lui donne une poussée qui fait chanceler Cassandre ; à ce moment le notaire va pour entrer à droite, Cassandre tombe sur lui, le notaire disparaît en poussant un cri. Cassandre et Pierrot sortent par le fond.

 

SCÈNE VI

Arlequin et Colombine reviennent par un autre plan ; ils dansent un petit pas de deux. (Les artistes qui ne sauraient pas danser pourraient remplacer cette danse par la scène très connue de la bouderie et du raccommodement). Colombine rentre chez elle, Arlequin la suit.

 

SCÈNE VII

Pierrot et Cassandre entrent par le fond ; ils sont très fatigués. Cassandre va chercher Colombine et ramène Arlequin en croyant tenir sa fille par la main ; il est furieux en reconnaissant Arlequin et veut le battre. Pierrot les sépare et fait comprendre à Cassandre qu'il faut qu'Arlequin épouse Colombine, vu qu'il l’a compromise. Cassandre ordonne à Pierrot d’apporter une table et ce qu'il faut pour écrire, puis va chercher Colombine et lui annonce qu'il consent à son mariage avec Arlequin. Colombine remercie et se jette dans les bras d'Arlequin. On cherche le notaire, qui apparaît à droite au même instant, mais qui se sauve de suite craignant d'être encore mystifié ; on le rattrape par les pans de son habit, qui se déchire, et on l'assoit de force.

 

SCÈNE VIII

LES MÊMES, CADOCHE.

 

CADOCHE, assis devant la table.

Par devant maître…

 

BAUDRUCHON, lui mettant la main sur la bouche.

On ne parle pas !...

 

CADOCHE.

Ah ! on ne parle pas ! Comment voulez-vous que je lise le contrat, alors ?

 

BAUDRUCHON.

On ne parle pas !... Il n'a jamais joué cet emploi-là !

 

CADOCHE.

Par dev...

Il agite les lèvres.

 

TOUS.

Bravo ! très bien !

Pendant toute la cène du notaire, Arlequin frappe le notaire sur la tête arec sa batte, Pierrot lui retire son mouchoir au moment où il va se moucher, le notaire se mouche dans sa main et l'essuie sur la manche de Cassandre. Autres cascades ad libitum — Pierrot attache les pieds des chaises à la table avec une corde.

 

CADOCHE.

Maintenant la signature du contrat. Au mari d'abord. (Arlequin s'avance en gambadant et signe.) A la mariée !...

Colombine s'avance, signe et envoie des baisers à Arlequin, qui les lui rend.

 

CADOCHE.

Au père !...

 

BAUDRUCHON, allant signer.

Je vais signer de mon vrai nom pour que ce soit plus nature !..

Il signe.

 

CADOCHE.

Au témoin !

Pierrot s'avance et le regarde en lui faisant des grimaces.

 

CADOCHE.

Comme ce témoin est pâle !... Oui, oui... je comprends, mais signez !...

Pierrot signe, puis enlève la table qui entraîne les chaises qui y sont attachées ; Cassandre et le notaire tombent ; Arlequin et Colombine s'embrassent ; Pierrot relève Cassandre et le fait bénir en lui hochant la tête. — Tableau. — Fin de la pantomime.

 

JULES.

Et maintenant nous sommes mariés.

 

COLOMBINE.

Papa, je te présente mon mari... Otez donc votre masque !...

Jules ôte son masque.

 

BAUDRUCHON.

Mon nouveau domestique !...

 

JULES.

Mais non, votre gendre !... D'abord, Colombine est à moi !... Tenez, voici le contrat signé de vous, de votre fille, de moi et de ce Pierrot-là !

 

BAUDRUCHON.

Mais c'est un faux contrat.

 

JULES.

Demandez donc à M. Cadoche, notaire à Courbevoie, si son contrat est faux !

 

BAUDRUCHON.

Mais ça c'est un faux notaire.

 

CADOCHE.

Un faux notaire, moi ! Cadoche Taillebûche !

 

BAUDRUCHON.

Taillebûche !... un vrai notaire. Ah ! mon Dieu !... je les ai mariés sans m'en apercevoir. Allons, vous êtes mon gendre.

 

JULES.

Et vous savez, beau-père, quand vous aurez besoin de coups de pied, j'en ai là dedans des bottes, à votre disposition.

 

BAUDRUCHON.

Merci, je sors d'en prendre.

 

Final

 

TOUS ENSEMBLE.

Vivent Pierrot et tous ses crimes !

Oui, vive l'art des pantomimes !

Des bravos à ses mimes,

Ils sont tous là,

Les voilà !

 

 

 

 

Encylopédie