le Matelot Cartahut

 

 

 

Opérette en deux actes et trois tableaux, livret de Gabriel TIMMORY et Maurice de MARSAN.

 

 

René WAHL dit Gabriel TIMMORY (Rennes, Ille-et-Vilaine, 06 novembre 1870* – Nice, Alpes-Maritimes, 20 avril 1965) [épouse à Paris 17e le 24 juin 1913* Léa Susanne GOLDSTEIN (Paris 1er, 18 janvier 1878* - Montmorency, Val-d’Oise, 27 novembre 1969), artiste dramatique].

 

Maurice Marie (né de parents non dénommés) dit Maurice de MARSAN (Bordeaux, Gironde, 06 septembre 1871* – Paris 8e, 29 avril 1929*).

 

 

Création à l'Eldorado de Marseille le 17 juin 1910 (direction J. Morlay).

 

"A notre ami J. Morlay, hommage reconnaissant." (les auteurs)

 

Personnages : 10 hommes, 10 femmes, Figuration ad libitum
(Société dramatique)

 

 

 

personnages

créateurs

Pimprenelle de Saint-Tropez, maîtresse de La Ralingue Mmes MARTHELETTE
Raymonde Labistoque SADLAY
Périnaïk, Bretonne, bonne de Pimprenelle A. ROUFFE
Grenouillette d'Isigny OXA
Chichette, amie de Pimprenelle BARTY
Marie-Rose, amie de Pimprenelle SAPHYR
Line, amie de Pimprenelle VÉRA
Cora, amie de Pimprenelle AUBERT
Lise d'Étretat BARTY
Diane d'Ingouville SAPHYR
Suzette Verneuil BRIQUETTE
Léa de Montluçon DALBERT
Francine Camarche EMERAUDE
Solange d'Elbeuf BERLATETT
Lucie Tambour AUBERT
Flore d'Yvetot VÉRA
Marius Cartahut, gabier breveté, ordonnance de La Ralingue MM. AUGÉ
Kelbibine, amiral moldo-valaque MAXIMAIN
La Ralingue, lieutenant de vaisseau DUGUEST
Labistoque, député MORNA
Nitchevo, secrétaire de Kelbinine SALVATOR
Grenadin, ami de La Ralingue HIVRY
Passavant, officier de marine, ami de La Ralingue MULLER
Fistot, officier de marine, ami de La Ralingue DANDRET
Bordache, officier de marine, ami de La Ralingue DORIA
le Portier de l'Hôtel Scaferlati DANDRET
Premier Maître d'Hôtel HERNANDEZ
Deuxième Maître d'Hôtel SUIRAM
un Valet de pied SUIRAM
un Gendarme SALVATOR
Officiers de la Marine moldo-valaque Mlles THE BRIGHTER'S GIRLS
Mareyeuses, Valets de pied, Invités, etc.  

 

 

 

 

Argument

 

Au moment où le lieutenant de vaisseau La Ralingue vient de quitter Toulon, laissant là sa maîtresse Pimprenelle pour aller filer le parfait amour avec une femme mariée, dont il ignore le nom et la situation sociale, l'ordre lui arrive d'aller surveiller au Havre la construction d'un navire moldo-valaque. Son ordonnance, Cartahut, pour lui sauver la mise, prend sa place ; il se rend au Havre et devient de suite le compagnon de fête de l'amiral moldo-valaque, Kelbibine, qui dépense sans compter, pour ses plaisirs, le crédit affecté au cui­rassé. Mais Pimprenelle qui a des soupçons, arrive, elle aussi, au Havre : elle demande La Ralingue et c'est Cartahut qui se présente. Furieuse de cette supercherie, elle ne trouve rien de mieux, pour se venger, que de se faire passer pour Madame La Ralingue, et de se compromettre cyniquement, en cette qualité, d'abord avec l'amiral, puis avec le député Labistoque. Quand La Ralingue survient à son tour avec la dame mystérieuse qui n'est autre, bien entendu, que Madame Labistoque, les deux amants se trouvent instantanément mêlés, sans y rien comprendre, à toutes les intrigues du pseudo La Ralingue : de là une série de quiproquos ahurissants, embrouillés par l'imagination infatigable de Cartahut. D'ailleurs, tout finit pour le mieux : Labistoque, grâce à un rapport fantaisiste dont Cartahut lui a fourni les éléments, devient sous-secrétaire d'Etat à la Marine et prend La Ralingue comme officier d'ordonnance. Cartahut épouse Périnaïk, la servante bretonne de Pimprenelle, et Pimprenelle elle-même reçoit de Kelbibine la forte somme : c'est tant pis pour le cuirassé, il avait été déjà réduit, grâce à des diminutions successives de crédit, aux dimensions d'un croiseur, puis d'un torpilleur ; il ne sera plus, finalement, qu'un joujou pour le prince impérial.

 

 

 

 

LIVRET

 

 

 

 

ACTE PREMIER

 

 

PREMIER TABLEAU

 

La Villa de La Ralingue, au Mourillon

 

 

La salle à manger, ouvrant au fond sur une terrasse, d'où l'on aperçoit la rade de Toulon très ensoleillée. — Au-dessus de la terrasse, un vélum. — Décoration exotique : écrans et parasols japonais, lanternes chinoises, panoplies, etc. — Au fond, à droite, sorte d'alcôve avec divan où l'on fume l'opium. — Portes à gauche, premier et deuxième plans, à droite, deux premiers plans. — Table ronde au centre.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

PIMPRENELLE, CHICHETTE, MARIE-ROSE, LINE, CORA, LA RALINGUE, GRENADIN, PASSAVANT, FISTOT, BORDACHE.

(Au lever du rideau, c'est la fin d'un déjeuner ; Pimprenelle, debout sur la table, chante, pendant que les convives accompagnent en chœur le refrain).

 

Air : LE P'TIT FRÈRE À FERNAND (refrain)

Celui que j' préfère, préfère, préfère,

Bien qu' ça n' soit qu'un p'tit gamin,

Pas plus grand qu'un doigt d' la main,
Ah ! c'est son p'tit frère,

P'tit frère (bis)

Je lui dois de bien bons moments

Au p'tit frère à Fernand !

 

TOUS. — Bravo ! Epatant ! Très bien !

GRENADIN. — Je propose de porter la santé de Pimprenelle, et d'associer à ce toast notre bon camarade La Ralingue qui nous a offert cet excellent déjeuner pour fêter son retour parmi nous...

TOUS, levant leurs verres. — A Pimprenelle ! A La Ralingue !

LA RALINGUE. — Merci, les enfants ! Mais c'est moi votre obligé. Croyez que je vous suis reconnaissant d'avoir bien voulu, avec vos petites amies, égayer, par votre présence, ce modeste repas...

LINE. — Modeste ! Pôvre de moi ! Voilà trois heures qu'on est à table...

PIMPRENELLE. — J'ai fait ce que j'ai pu... La Ralingue voulait vous inviter à la Rotonde ; c'est moi qui ai pré­féré que la petite fête ait lieu ici, dans sa villa du Mourillon, où au moins on est chez soi...

BORDACHE. — Et tu as eu raison...

LA RALINGUE. — Vous avez excusé les petites imperfections du service ?

MARIE-ROSE. — Le service ! mais il a très bien marché !...

PIMPRENELLE. — Vous êtes indulgents... Périnaïk, ma femme de chambre, n'est pas très au courant : elle arrive du fin fond de sa Bretagne...

LA RALINGUE. — Et mon matelot, ce pauvre Cartahut, n'est pas très à la hauteur... Enfin, il a fait de son mieux.

PIMPRENELLE. — Seulement, en attendant, il oublie de nous apporter le dessert.

LA RALINGUE. — C'est juste... (Appelant). Cartahut ! Cartahut !

 

 

SCÈNE II

LES MÊMES, CARTAHUT

 

CARTAHUT, accent marseillais, entre, portant une pile d'assiettes. Il a un pantalon de drap bleu, un tricot rayé bleu et blanc, un tablier ; il est coiffé d'une ché­chia. — Boum ! On y va ! (Il renverse la pile. Les assiet­tes se cassent). Couqui de diou !... Voilà ma chan­ce !... Je les tenais, pourtant, ces garces d'assiettes : c'est bien leur faute !

LA RALINGUE. — Allons, j'aurais mieux fait de pren­dre un maître d'hôtel...

CARTAHUT, sur un ton de reproche. — Un maître d'hô­tel, quand je suis là !... Eh ! alors, cap'taine !... on di­rait que vous ne connaissez pas Cartahut !

 

COUPLET

Air : LA PETITE MARGUERITE

Né natif de Marseille,

Je suis un rigolo ;

La femme et la bouteille

Y a qu' ça pour le mat'lot !

J' m'arrang' pour fair' bombance,

Lorsque je suis à bord,

Et puis je recommence

Dès que j'arrive au port !

Mais je sais m' rendre utile ! Avec moi pas d' pétard !

Y en a pas deux comm' moi pour être débrouillard !

REFRAIN

Qui qui dégote,

Le mieux dans tout' la flotte,

Qui qui fait l' plus d' chahut

Et l' plus d' raffut ;

Qui qui connaît l' service

Et qui qu'a l' plus d' malice ?

C'est l' gabier Cartahut !

(Reprise en choeur du refrain).

 

LA RALINGUE. — Il est extraordinaire, ce gaillard-là !

CARTAHUT. — Enfin, là, je demande à ces messieurs... Est-ce que le service a été mal fait ?

TOUS. — Non ! Non ! Non !

CARTAHUT, à La Ralingue. — Vous voyez ?

LA RALINGUE. — Je te conseille de parler : l'omelette était froide et le rôti brûlé !

CARTAHUT. — Ah ! ça, capitaine, ça n'est pas mon affaire : ça regarde Périnaïk...

PIMPRENELLE. — Et qu'est-ce qu'elle attend, Périnaïk, pour nous apporter la glace ?

CARTAHUT. — Je ne sais pas... (Appelant). Périnaïk ! la glace, bon Diou !

PÉRINAÏK, du dehors. — Espère un peu, Cartahut ! J'arrive !

TOUS. — Elle arrive ! Elle arrive !

 

 

SCÈNE III

LES MÊMES, CARTAHUT, PÉRINAÏK

 

PÉRINAÏK, entrant avec une soupière d'où sort de la fumée. — La voilà, la glace !

PIMPRENELLE. — La glace dans une soupière !

PÉRINAÏK. — Oui, elle est toute chaude !

LA RALINGUE, désespéré. — Elle a fait chauffer la glace !

PIMPRENELLE. — Quelle cruche !

TOUS, riant. — Elle est bien bonne ! C'est tordant ! C'est roulant !...

PIMPRENELLE, aux invités. — Croyez bien que je suis désolée...

FISTOT. — Ne vous excusez pas, chère amie. Votre réception n'en est que plus intime. Grâce à Périnaïk, la glace est tout de suite rompue !...

(On rit).

PIMPRENELLE. — Qu'est-ce qui vous a donné cette belle idée-là ?

PÉRINAÏK. — C'est moi, madame. Je croyais que ça serait meilleur...

PIMPRENELLE. — Tenez, vous êtes trop bête... Retournez à votre cuisine...

PÉRINAÏK. — Bien, madame... (Elle sort).

CARTAHUT, ramassant les débris d'assiettes.

Elle est bien brave ! Seulement, toutes ces Bigoudènes, vous savez, ça n'a pas inventé la télégraphie sans fil !

LA RALINGUE. — Sans compter qu'elle est plus abrutie encore quand tu es là...

CARTAHUT. — Ah ! cap'taine, si l'on peut dire !

LA RALINGUE. — En voilà assez... Laisse-nous...

CARTAHUT. — Bien, cap'taine... (A part). Je vais retrouver la pitchoune.

(Il sort en fredonnant " Qui qui dégote », etc.).

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, moins CARTAHUT et PÉRINAÏK

 

PASSAVANT. — Un type, ce Cartahut !

LA RALINGUE. — Oui. Dommage qu'il soit si maladroit, car il m'est très dévoué.

FISTOT. — Tu l'avais emmené en congé ?

LA RALINGUE. — Naturellement, et en même temps que je demandais une prolongation de trente jours pour moi, j'en ai demandé une pour lui...

PIMPRENELLE. — Et est-ce que tu l'auras ta prolongation, dis, mon chéri ?...

LA RALINGUE. — Mais, certainement.

PIMPRENELLE. — Quelle veine ! On va passer tout un mois ensemble ; car, tu sais, je m'installe ici... et nous n'en bougerons pas, n'est-ce pas, mon loup ?

LA RALINGUE. — Mais non !... Mais non !...

TOUS, fredonnant.

Ah ! ah ! ah ! ah ! que c'est joli l'amou-re,

C'est malheureux que ça n' dur' pas toujours-re !

LA RALINGUE, tout à coup. — Ah ! sapristi... j'oubliais... (Allant à la porte). Cartahut, mes cigares Bock !

CARTAHUT, au dehors. — Bien, capitaine.

PIMPRENELLE, aux femmes. — Ça, mes enfants, ça veut dire que ces messieurs nous ont assez vues...

FISTOT. — Pouvez-vous penser ?...

PIMPRENELLE. — Taisez-vous donc ! Nous savons bien que nous sommes de trop.... On a à raconter à ses amis les conquêtes que l'on a faites pendant son mois de congé.

LA RALINGUE. — Les conquêtes ?

PIMPRENELLE. — Suffit. Profite de ton reste ; car, à présent que te voilà rentré à Toulon, il faudra t'acheter une conduite, sinon...

LA RALINGUE. — Je ne comprends pas...

PIMPRENELLE. — Alors, je vais mettre les points sur les i.

 

COUPLET

Air : AMOUREUX SAUVETAGE

Voici le moment, je crois, mon vieux,

De s'expliquer tous les deux :

Je déteste fair' des scènes,

Ça me donne la migraine ;

Si tout se pass' en conversation,

Je ne fais pas d'objection ;

Mais, si tu m' prenais pour un' poire,

Ce serait une autre histoire...

Et si, par hasard, tu m' trompais,

Sois bien convaincu que ça chauff’rait.

REFRAIN

Car la petit' Pimprenelle,
Elle est douc' comme un mouton !

Mais ell' n' veut pas qu'on s' fich' d'elle.

Elle ouvre l'œil et le bon...

Donc d'un seul mot je m' résume :

Si j' te pinçais, cher amant,

C' que tu prendrais pour ton rhume

Te le guérirait sûr'ment !

 

LA RALINGUE. — Ne dis pas de bêtises.

PIMPRENELLE. — Et toi, tâche de ne pas en faire... (Aux femmes). Mes amies, si vous voulez me suivre...

CHICHETTE. — Volontiers.

CORA. — Nous aussi, nous avons des confidences à nous faire !

(Elles chantent).

 

Air : C'EST BON (Refrain)

Laissons (bis)

Ces messieurs

S' dire entre eux

Leurs histoires,

Filons, (bis)

Au salon

Allons en

Faire autant

Viv'ment !

(Elles sortent).

 

 

SCÈNE V

LES MÊMES, moins PIMPRENELLE, CHICHETTE, MARIE-ROSE, LINE et CORA puis CARTAHUT

 

FISTOT, à La Ralingue. — Oh ! oh ! mais dis donc, vieux, elle n'a pas l'air d'avoir la moindre confiance en ta fidélité, ta charmante amie... ?

GRENADIN. — Elle a sans doute ses raisons...

LA RALINGUE. — Aucune... mais, avec ce flair particulier que possèdent les femmes, elle a deviné ou pressenti ce qui s'est passé pendant mon congé...

BORDACHE. — Il s'est donc passé quelque chose ?

PASSAVANT. — Une aventure ?

LA RALINGUE. — La plus délicieuse des aventures...

FISTOT. — Raconte-nous ça !

(A ce moment paraît Cartahut portant les cigares)...

GRENADIN. — Chut ! Voilà Cartahut !...

LA RALINGUE. — Ça n'a pas d'importance, il est au courant...

CARTAHUT. — Té ! Je parie que le cap'taine il vous raconte l'histoire de la dame de Bordeaux...

LA RALINGUE. — Tout juste.

CARTAHUT. — Que ça n'est pas pour dire, mais que ri j'avais été à la place du cap'taine, ah ! Bon diou !...

LA RALINGUE. — Mon ami Cartahut, je te dispense de tes appréciations... Donne-nous les cigares, et disparais...

CARTAHUT. — C'est bon... c'est bon... on dérape... mais ça fait rien... si jamais vous la repincez, tâchez moyen qu'elle ne vous échappe pas...

LA RALINGUE. — Ah ! ça... veux-tu bien filer ?...

CARTAHUT. — On s'en va, cap'taine, on s'en va... grand largue !...

(Il sort, en manœuvrant son tablier comme une voile).

 

 

SCÈNE VI

LES MÊMES, moins CARTAHUT

 

BORDACHE. — Allons ! l'histoire, l'histoire ?

LA RALINGUE. — La voilà !... Imaginez-vous qu'à Bordeaux, j'ai fait la connaissance d'une petite femme mystérieuse, — mariée, j'en suis sûr, mais à qui ? je l'ignore — ; impossible de parvenir à connaître son nom, malgré toutes les enquêtes et toutes les filatures. Mais jeune, charmante, instruite, riche... et adorablement faite...

FISTOT. — Et alors ?...

LA RALINGUE. — Alors ?

 

COUPLET

Air : HOP, EH, AH, DI OHÉ !

Nous sortions tous les deux,

Comme deux amoureux ;

J' dirigeais de mon mieux

La manœuvre,

Mais rien de décisif,

Rien de définitif,

C'était l'apéritif,

Le hors-d’œuvre.

Quand voilà qu'un beau soir,

A mon grand désespoir,

Ell' me quitt' : le devoir

La rappelle...

J'ai l'air très embêté ;

Alors, plein' de bonté :

« Il n'y a rien de raté,

Me dit-elle...

REFRAIN

Hop ! Eh ! Ah ! Di Ohé ! Ohé !

J' suis un' p'tit' femme aimante !

Il faut ajourner nos projets ;

Mais, si jamais l'occasion se présente,

Hop ! Eh ! Ah ! Di Ohé ! Ohé !

De suit' je vous retrouv'rai,

Et nous f'rons, en secret,

Tous les deux, j' vous l' promets,......

Hop ! Eh ! Ah ! Di ! Ohé !

 

PASSAVANT. — Parfait. Et qu'as-tu répondu ?

LA RALINGUE. — J'ai répondu, naturellement, que je serais à ses ordres où et quand il lui plairait. Elle a mon adresse, et je vis dans l'attente de la convocation...

FISTOT. — Vous correspondez ?...

LA RALINGUE. — Même pas... car j'ignore toujours son nom et sa résidence ; le mystère est donc resté aussi impénétrable qu'au premier jour.

BORDACHE. — Eh bien ! Mais ça m'a tout l'air d'être un joli lapin bien conditionné !

LA RALINGUE. — Tu crois ?

GRENADIN. — La dame t'a fait marcher comme un potache. Tu lui as servi de distraction pendant un séjour ennuyeux... et voilà tout ! Car j'ai comme une idée que tu ne la reverras jamais...

LA RALINGUE. — Ça serait vexant !

 

 

SCÈNE VII

LES MÊMES, CARTAHUT

 

CARTAHUT, entrant précipitamment. — Cap'taine ! Cap'taine !

LA RALINGUE. — Quoi, qu'y a-t-il ?... tu as encore cassé quelque chose ?...

CARTAHUT. — Non... Elle est là !...

LA RALINGUE. — Qui ça, elle ?

CARTAHUT. — La dame de Bordeaux !

LA RALINGUE. — Non ? Tu es sûr ?

CARTAHUT. — Elle est dehors, à la grille ; elle a demandé le lieutenant de vaisseau La Ralingue... « C'est ici ! » que je lui ai dit... Alors, elle m'a dit : « Allez lui demander s'il peut me recevoir ; vous lui direz que c'est la dame de Bordeaux... » Alors, je l'ai fait entrer dans le jardin... et je suis venu...

LA RALINGUE. — Elle !... ici !...

PASSAVANT. — Allons ! j'avais mal jugé ta conquête !...

LA RALINGUE. — Oui... mais Pimprenelle !

BORDACHE. — Diable ! c'est vrai !

GRENADIN. — Ecoute : nous allons passer à côté et occuper Pimprenelle, en lui disant que c'est un frégaton quelconque qui est venu te voir...

LA RALINGUE. — Entendu... (A Cartahut). Fais entrer.

CARTAHUT. — Bien, cap'taine ! (Il sort).

FISTOT. — Nous veillons au grain !

 

Air : L'AMOUR AU CHILI (Refrain)

Puisque la dame enfin s'amène,

Ça c'est la veine !

Profite sans hésitation

De l'occasion.

Nous autr' nous allons fair' bonn' garde,

Le rest' te regarde...

Et tout se pass'ra discrèt'ment,

Sans incident.

(Sortie sur huit mesures du couplet, avec des « chut, chut ! » rythmés).

 

 

SCÈNE VIII

LA RALINGUE, CARTAHUT, puis RAYMONDE

 

CARTAHUT, introduisant Raymonde. — Cap'taine, voici la dame... Madame, voici le cap'taine. (Les présentant). La dame... Mon cap'taine... Mon cap'taine... La dame... mon...

LA RALINGUE, l'interrompant sèchement. — Cartahut !

CARTAHUT. — Bon ! bon ! (Il sort).

LA RALINGUE, à Raymonde. — Vous ! par quel heureux hasard ?...

RAYMONDE. — Oh ! Rien de plus simple... En quittant Bordeaux, j'ai accompagné mon mari à Marseille, où il est retenu pour quelque temps. Je lui ai demandé de me laisser rentrer à Paris... Il y a consenti.., et j'ai immédiatement poussé jusqu'à Toulon...

LA RALINGUE. — Quelle bonne surprise !

RAYMONDE. — Pourquoi ? Vous savez bien ce qui était convenu...

 

DUO

Air : LE PRINCE DE PILSEN (KISS KISS)
RAYMONDE

Vous voyez, mon cher ami,
Je tiens ce que j'vous ai promis..

LA RALINGUE

C'est très bien,

J'en conviens !

RAYMONDE

Et vous-mêm', votre serment,

Vous en souvient-il égal'ment ?

LA RALINGUE

Mais toujours,

Nuit et jour !

RAYMONDE

Me voici ! Je suis à vous :

Nous avons un' semaine à nous.

LA RALINGUE

Dans mon cœur,

Quel ardeur !

RAYMONDE

Cette semain' de liberté,

Voulez-vous en profiter ?

LA RALINGUE

Comment pourrais-je hésiter ?

ENSEMBLE

Ah ! quelle exquise aventure !

Nous avons la clef des champs !

LA RALINGUE

Reste à trouver la serrure !

RAYMONDE, coquette

Vous la trouverez, méchant...

ENSEMBLE

Alors, adieu la sagesse !

Le bonheur n'est que trop court ;

A nous les douces caresses

Et le fol amour !

 

LA RALINGUE, avec quelque inquiétude, frappé d'une idée subite. — Mais alors, vous allez vous installer ici ?

RAYMONDE. — Y pensez-vous? Dans la ville où vous tenez garnison ? Pour provoquer des commérages dangereux ? Jamais de la vie ! (Délibérément). Je vous enlève !

LA RALINGUE. — Vous... vous m'enlevez ?

RAYMONDE. — Oui. J'ai une voiture à la porte. Elle nous conduit à la gare. Le train part dans une demi-heure. Nous serons à Marseille à six heures. A sept heures, nous filons sur Paris, et de là sur quelque coin ignoré où nous nous aimerons à l'abri des gêneurs. Ça vous va-t-il ?

LA RALINGUE. — Certes, mais c'est que... j'ai peut-être... quelques dispositions à prendre...

RAYMONDE. — Vous hésitez ?

LA RALINGUE. — Non... non... mais...

RAYMONDE. — Ne seriez-vous pas libre ?

LA RALINGUE, après une hésitation. — Je suis absolument libre !

RAYMONDE. — Alors... quoi ?

LA RALINGUE. — Tenez, voulez-vous que nous nous retrouvions à Marseille à sept heures, au départ du rapide de Paris ?...

RAYMONDE. — Comme il vous plaira... Mais c'est convenu ?... Je puis compter sur vous ?...

LA RALINGUE. — Vous le demandez !... Oh ! Raymonde, chère petite jolie... (Il l'enlace).

RAYMONDE, se dégageant. — Allons... allons... voulez-vous être sage...

LA RALINGUE. — Oh ! comme je vais me rattraper !...

RAYMONDE. — Nous verrons... plus tard... Pour le moment, monsieur mon flirt, bouclez votre valise ! Sur ce... je me sauve... A ce soir....

LA RALINGUE. — A ce soir... Marseille... sept heures.

RAYMONDE. — Et soyez exact !... (Elle sort).

 

 

SCÈNE IX

LA RALINGUE, seul, puis CARTAHUT

 

LA RALINGUE — J'en étais sûr que ça n'était pas un lapin ! Ah ! La Ralingue, mon garçon, tu ne vas pas t'embêter... Eh ! eh ! mais comment faire avec l'autre ?...

CARTAHUT, entrant. — Alors quoi, cap'taine, vous la laissez filer... comme ça ? Je l'ai entendue qui disait au cocher de la conduire à la gare... Non !... Mais à votre place... Couqui de diou !... pan ! pan ! sous le figuier !

LA RALINGUE. — Cartahut, mon garçon, ne t'occupe pas de moi... et va plutôt dire au lieutenant de vaisseau Passavant et au petit enseigne Bordache de venir me trouver...

CARTAHUT. — Va bien !...

LA RALINGUE. — Après ça, tu iras préparer ma valise... car je pars... pour Paris...

CARTAHUT. — Avec la dame ! A la bonne heure ! Oh ! couquin de disché ! (Il sort).

LA RALINGUE. — Quelle histoire raconter à Pimprenelle ? Avec ça qu'elle se méfie !... Ah ! les voilà...

 

 

SCÈNE X

LA RALINGUE, BORDACHE, PASSAVANT

 

PASSAVANT et BORDACHE. — Eh bien ?

LA RALINGUE. — Mes bons amis, j'ai besoin de votre dévouement... La personne qui sort d'ici... m'emmène en voyage : mon congé, je suis sûr de l'obtenir : c'est réglementaire. De ce côté-là, je suis paré. Reste à expliquer mon départ à Pimprenelle...

BORDACHE. — Eh ! eh ! c'est moins facile...

LA RALINGUE. — Il faut que vous m'aidiez à trouver un prétexte valable, car elle est trop au courant des choses du métier pour couper dans le pont s'il n'est pas solide...

PASSAVANT, après un temps. — Euréka ! J'ai trouvé...

LA RALINGUE. — Vas-y.

PASSAVANT. — Faubert, le lieutenant de vaisseau du 5e dépôt vient d'être désigné pour aller au Havre surveiller, aux chantiers normands, la construction du cuirassé commandé par le gouvernement moldo-valaque ; tu n'as qu'à prendre la corvée à ton compte et à faire croire à Pimprenelle que c'est toi qui as été désigné.

LA RALINGUE. — Parfait... Merci !...

PASSAVANT. — Tu expliqueras que, vu l'urgence, le commandant Lécubier est venu en personne t'apporter l'ordre de service... et tu t'embarques séance tenante pour Paris...

BORDACHE. — En effet, c'est le meilleur moyen...

LA RALINGUE. — Adopté... Maintenant, prévenons Pimprenelle... Attention à prendre les figures de circonstance !

PASSAVANT, changeant de physionomie. — On les a.

 

 

SCÈNE XI

LES MÊMES, PIMPRENELLE, CHICHETTE, MARIE-ROSE, LINE, et CORA

 

LA RALINGUE, ouvrant la porte. — Pimprenelle... ma chérie... viens vite...

PIMPRENELLE. — Quoi ? Qu'y a-t-il ?

LA RALINGUE. — Il m'arrive un gros ennui : le commandant Lécubier sort d'ici...

PIMPRENELLE. — Qu'est-ce qu'il te voulait ?...

LA RALINGUE. — Je suis désigné pour partir ce soir même...

PIMPRENELLE. — Partir ? où ça ?

LA RALINGUE. — Au Havre, surveiller une construction.

PIMPRENELLE. — Alors, ton congé ?...

LA RALINGUE. — Refusé, naturellement !...

PIMPRENELLE. — Dans ce cas, je t'accompagne au Havre.

LA RALINGUE, vivement. — Il n'y faut pas songer, ma pauvre chérie ! Ça me désole, mais que veux-tu ? Ce sont les ennuis du métier ; au Havre je serai très surveillé ; il y a l'amiral moldo-valaque... les autorités, le Préfet, toute la séquelle...

PIMPRENELLE. — C'est bien ma veine ! Moi qui me faisais une fête de passer ton mois de congé ici !

LA RALINGUE. — Hélas, l'homme propose et le gouvernement dispose...

PIMPRENELLE. — Et à quelle heure pars-tu ?

LA RALINGUE. — Tout de suite !...

PIMPRENELLE. — Comment, tout de suite ?

PASSAVANT. — Mais oui ! Il n'a même que le temps !

BORDACHE. — Tu vas manquer ton train...

CARTAHUT, entrant. — Cap'taine ! votre valise est prête...

LA RALINGUE. — Merci, mon vieux Cartahut...

PIMPRENELLE. — Tu ne l'emmènes pas ?...

LA RALINGUE. — Si... si... il viendra me rejoindre... plus tard...

PIMPRENELLE. — Allons, je vais t'accompagner à la gare !...

LA RALINGUE. — Est-ce bien nécessaire ?... Quittons-nous ici, ça vaudra mieux !... les séparations dans les gares, ça a quelque chose de pénible ; on pleure... faut agiter le mouchoir... comme ça...

CARTAHUT. — Eh ! oui, il y a les « adieu cher », le bonjour à la cousine » !...

PIMPRENELLE. — Ça ne fait rien. Je t'accompagne... tout de même.

CHICHETTE. — Nous aussi !... Mettons nos chapeaux. (Elles remontent et mettent leurs chapeaux, accrochés à un porte-manteau ou déposés sur une table dans le fond du théâtre).

PASSAVANT, à l'avant-scène, bas à La Ralingue. — Eh bien ! ça a pris ?

FISTOT, bas à Bordache. — Ça n'est donc pas vrai ?

BORDACHE, même jeu. — Mais non, une blague mon cher, on vous expliquera...

LA RALINGUE, même jeu, à Cartahut. — Ecoute, toi ! Tu vas rester ici : s'il arrive des notes de service pour moi, tu les ouvriras et tu me les adresseras, en cas d'urgence, à l'adresse que je t'enverrai.

CARTAHUT, même jeu. — Bien, cap'taine !...

LA RALINGUE, même jeu. — Voilà de l'argent. Si tu en manques, tu demanderas à Bordache de t'en avancer..

CARTAHUT, même jeu. — Entendu !...

PIMPRENELLE, descendant avec ses amies, le chapeau sur la tête. — Nous sommes prêtes.

LA RALINGUE. — Alors, les enfants, en route !... Au revoir, Cartahut !

CARTAHUT. — Bon voyage ! cap'taine !...

BORDACHE, à La Ralingue. — On va te faire un cortège triomphal !

(Il chante).

 

Air : PROMENADE MATINALE

Puisqu'il te faut partir, nous allons cordial'ment

Tous t'accompagner en chantant.

Allons, résigne-toi, cher La Ralingue, allons,

Et fais tes adieux à Toulon !

C'est vraiment ennuyeux, mais quoi, c'est le devoir

Qui te fait nous quitter ce soir.

Ta cher' Pimprenelle

La trouve cruelle,

Mais elle espère bientôt te revoir...

REFRAIN

Ta Pimprenelle, ell'-mêm', va t' mettr' dans l' wagon,

Tu vas au Havre,

Et ça la navre !

Mais ell' sait que tu n'oublieras ni Toulon

Ni ce qu'on trouv' de bon

Dans c' vieux Mourillon !

Non !

(Reprise du refrain en chœur et sortie).

 

 

SCÈNE XII
CARTAHUT, PÉRINAÏK

 

PÉRINAÏK, qui est entrée au moment de la reprise du refrain, à la fin de la scène précédente. — Ah ! ça, Cartahut, qu'est-ce qu'il y a donc... que tout le monde y s'en allent ?

CARTAHUT. — Il y a qu'à présent, c'est moi que je suis le patron... tu comprends, petite...

PÉRINAÏK. — Non...

CARTAHUT. — Elle ne comprend pas ! Oh ! que truffo ! Ce n'est pourtant pas bien malin !

 

DUO

Air : SÉRÉNADE DE GILLOTIN

CARTAHUT, noble

L' capitain' précipitamment

Vient de s'en aller à la gare ;

C'est moi qui conduis l' bâtiment,

C'est Cartahut qui tient la barre

PÉRINAÏK

Ah ! ma Doué ! que cet homme est beau !

On ne fait pas mieux, je puis l' dire !

Si c'est lui qui mèn' le bateau,

Ya pas à craindre qu'il chavire !

CARTAHUT

Assez d' bavardage,

Veux-tu m'écouter ?

De son équipage

Faut s' fair' respecter !

PÉRINAÏK

Comm' t'as su me plaire,

Mon gros scélérat,

Je suis prête à faire

Tout c' que tu voudras.

ENSEMBLE

[ Je suis prête à faire,

[ Elle est prête à faire,

Troulalaï tou, etc.

[ Tout c' que tu voudras,

[ Tout c' que l'on voudra...

 

CARTAHUT. — Alors, voilà... j' commande dans la cambuse. C'est bien compris ? Tâche un peu d'ouvrir l'œil au bossoir.

PÉRINAÏK. — Quel beau soir ?

CARTAHUT. — Elle ne comprend encore pas !

PÉRINAÏK. — Mais, ma Doué ! Qu'est-ce qu'il faut donc faire ?

CARTAHUT. — Primo, exécuter mes ordres.

PÉRINAÏK. — Ya vad !

CARTAHUT. — Deuzio, être gentille avé son petit Cartahut.

PÉRINAÏK. — Ya vad !

CARTAHUT. — Troizio, ne plus lui faire des scènes de jalousie...

PÉRINAÏK. — Comme t'es méchant ! Tu sais bien que je suis passionnée sur toi.

CARTAHUT. — Eh bé ! c'est tout naturel, mais ça n'est pas une raison pour crier comme un goéland quand la fantaisie me prend de caresser la petite de la blanchisseuse...

PÉRINAÏK. — Oh ! Cartahut... c'est un péché !...

CARTAHUT. — Et avé toi, c'est-il un péché ? Dis voir un peu...

PÉRINAÏK. — Bien sûr, seulement j'en profite...

(Sonnette à la grille).

CARTAHUT. — Tiens ! On cloche à la porte... va donc voir qui ça peut bien être...

(Périnaïk sort).

CARTAHUT, seul. — Ça ne rate pas : dès que je mets le pied dans une maison, elles sont toutes après moi.. C'est ce coquin de physique !

 

 

SCÈNE XIII

CARTAHUT, PÉRINAÏK, UN GENDARME

 

PÉRINAÏK. — Par ici, Monsieur le gendarme...

CARTAHUT. — Tiens ! Un brasse-carré !

LE GENDARME, accent corse. — Le lieutenant de vaisseau La Ralingue ?

CARTAHUT. — C'est ici !

LE GENDARME. — Un pli de la majorité...

CARTAHUT. — Donnez. Le capitaine est sorti ; on le lui remettra...

LE GENDARME. — Il faut signer sur mon livre...

CARTAHUT. — Voilà !...

LE GENDARME. — Bonsoir, monsieur, madame et la société...

(Il sort, accompagné par Périnaïk).

CARTAHUT. — Le cap'taine m'a dit d'ouvrir... Ouvrons... (Il lit). « J'ai l'honneur de vous adresser inclus la prolongation de congé que vous avez demandée pour le gabier breveté Cartahut Marius-Baptistin D. 723. (Parlé). Chouette ! Y a du bon !... (Lisant)... et de vous informer qu'à mon grand regret, je ne puis vous accorder la même faveur en ce qui vous concerne... En effet, par suite de l'entrée à l'hôpital du lieutenant de vaisseau Faubert vous êtes désigné pour vous rendre au Havre à sa place et pour y surveiller la construction... (Il lit en bredouillant). Vous devez être rendu à ce poste le 20 de ce mois. » (Parlé). Bon sang de bonsoir ! C'est après-demain ! Et le cap'taine qui est parti en bordée avec sa particulière... Nom de nom de nom de nom ! Comment faire pour lui éviter une tuile... Il est si brave, cet homme...

(Il marche de long en large).

PÉRINAÏK. — Eh bien, qu'est-ce qu'il y a ?

CARTAHUT. — Il y a... il y a que le cap'taine... (A part, s'arrêtant). Eh, eh ! pas si bête... les femmes ça a une langue de dix brasses... elle n'aurait qu'à vendre la mèche à l'autre... (Haut). Il y a qu'il faut que j'aille rejoindre le cap'taine...

PÉRINAÏK. — Quand ça ?

CARTAHUT. — Et tout de suite... Tiens, petite, tu vas mettre dans la grande malle la tenue numéro deux du capitaine, et sa grande tenue, le bicorne, les épaulettes, le sabre, et tout le diable et son train... Pendant ce temps-là... je vais faire mon sac... Va... dépêche...

PÉRINAÏK, sans bouger. — Oui.

CARTAHUT. — Fais donc vite, je te dis !... Le cap'taine il m'attend... Et quand tu resteras plantée à me regarder comme un philomène... ça n'avance pas la besogne !

PÉRINAÏK, pleurant. — Ma doué ! il s'en va !...

CARTAHUT. — Pleure donc pas ! (Périnaïk pleure plus fort ; il hurle). Pleure pas ! (Elle cesse brusquement de pleurer). On se reverra, grosse bête. Va donc. (Il la pousse dehors).

PÉRINAÏK, recommençant à pleurer. — Il s'en va !...

(Elle sort).

CARTAHUT, hurlant. — Pleure donc pas !... (Seul). Elle m'empêche de tripatouiller mes idées dans l'occiput... Comment prévenir le capitaine ! Bah ! en passant à Paris, je lui mettrai un bout d'écrit là ousqu'il va d'habitude, à l'hôtel, l'hôtel... Terminus. S'il n'y est pas encore, il le trouvera en arrivant... Moi, pendant ce temps-là, j'irai l'attendre au Havre... et je ferai patienter le monde !... Cartahut, mon garçon, il s'agit de te débrouiller... va faire ton sac, et déborde en douceur.

(Il sort).

 

 

SCÈNE XIV

PIMPRENELLE, CORA, MARIE-ROSE, LINE, CHICHETTE, PASSAVANT, BORDACHE

(Entrée bruyante des femmes et des hommes entourant Pimprenelle).

 

PIMPRENELLE. — Non ! Vous me direz ce que vous voudrez ! Il y a de quoi rager ! Ça n'arrive qu'à moi ! Moi qui étais si heureuse...

CHICHETTE. — Il faut te consoler... il reviendra...

CORA. — Il t'écrira...

MARIE-ROSE. — Tu pourras peut-être aller le voir !...

PASSAVANT. — Allons ! Voyons ! Faut pas se faire de bile comme ça...

PIMPRENELLE. — Ah ! c'est que je le connais !... Quand je suis avec lui, je le surveille... mais quand je ne suis pas là...

BORDACHE. — Fi donc ! la vilaine jalouse !

PIMPRENELLE. — Et puis ! Est-ce que c'est seulement vrai ?...

FISTOT. — Comment ? Vous l'avez mis vous-même dans le train...

PIMPRENELLE. — Qu'est-ce qui me dit qu'il va bien au Havre ?...

GRENADIN. — Voyons, Pimprenelle...

PIMPRENELLE. — Il n'a pas emmené Cartahut !... Vous pouvez raconter ce que vous voudrez... Cette histoire me semble louche. Ah ! si j'étais sûre qu'il m'a monté le coup !...

 

 

SCÈNE XV

LES MÊMES, CARTAHUT, en tenue de ville (pantalon bleu, vareuse, béret, son sac sur l'épaule), puis PÉRINAÏK

 

CARTAHUT. — Tiens ! Tout le monde est déjà revenu !

PIMPRENELLE. — Où allez-vous ?

CARTAHUT. — Où je vais ? Je vais rejoindre le cap'taine...

TOUS. — Là... Vous voyez...

CARTAHUT. — Eh Oui ! Et que même j'emporte sa grosse malle avé sa grande tenue pour les cérémonies...

PASSAVANT. — Eh bien, êtes-vous rassurée ?

PIMPRENELLE. — Oui ! mais ça n'est est pas plus amusant pour ça...

BORDACHE. — Allez ! ça passera... Tenez... voilà une bouteille de Cordon Rouge qui n'a pas été entamée... On va la vider à la santé de l'absent !

PASSAVANT. — Et à son prompt retour !...

PIMPRENELLE. — Et à la santé de Cartahut !...

TOUS. — Vive Cartahut !

CARTAHUT. — Merci, messieurs dames, merci !

 

ENSEMBLE

Air : LE TRAIN ONZE (refrain)

Buvons donc à la ronde, la ronde, la ronde,

Et tous le verre en main

Chantons avec entrain :

L' plus beau gabier du monde, du monde, du monde,

De tous c'est bien connu,

C'est Cartahut !

(Cartahut sort par le fond et tout le monde l'accompagne en lui criant : Adieu, Cartahut ! Bon voyage, Cartahut !).

(Rideau).

 

 

 

 

 

 

ACTE PREMIER

 

 

DEUXIÈME TABLEAU

 

Le Hall du Scaferlati-Palace, au Havre

 

 

Baie au fond, donnant sur la terrasse.

A gauche, premier plan, porte donnant accès à l'escalier qui mène aux appartements. A droite, premier plan, porte du salon de lecture. — A droite, deuxième plan, porte donnant accès à une chambre. — A gauche, deu­xième plan, le bureau du portier, dans une cage vitrée, avec guichet ou en retrait ; dans ce dernier cas, on aperçoit derrière l'encadrement de la porte, qui a été enlevée, les clefs suspendues à des clous, et le casier à correspondance. — Petites tables. Sièges en rotin. — Plantes vertes. — A gauche, près de la logette du portier, téléphone avec tableau distributeur. — Au milieu, une table ronde, sur laquelle se trouvent des journaux illustrés et un téléphone portatif.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

LES DEMI-MONDAINES : GRENOUILLETTE D'ISIGNY, LIANE D'ÉTRETAT, DIANE D'INGOUVILLE, SUZETTE DE VERNEUIL, SOLANGE D'ELBEUF, FRANCINE CAMARET, LÉA DE MONTLU­ÇON, LUCIE TAMBOUR, FLORE D'YVETOT, JULIE DES ROCHES-NOIRES, LE PREMIER MAÎTRE D'HÔTEL, LE PORTIER (*).

(*) Autant que possible grand et gros. Le costume: une redingote de livrée, très chamarrée.

 

ENSEMBLE
Air : FIVE O'CLOCK TEA (refrain)

Pour prendre un five o'clok tea,

Faut v'nir à Scaferlati :

On trouv' du pain rôti

Et des petits fours assortis.

Et puis on y trouve aussi

Des typ's au gousset garni,

Dont on s' fait des amis

Quand on n'a pas de parti-pris.

 

LE PORTIER. — Si ces dames veulent prendre la peine de s'asseoir...

FLORE. — Non, une fois suffit !

DIANE D'INGOUVILLE, aux autres. — On s'installe ?...

SOLANGE D'ELBEUF. — C'est qu'il n'y a encore personne...

FRANCINE, au maître d'hôtel. — Est-ce que l'officier de marine, M. La Ralingue, est à l'hôtel ?

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Oui, madame ; mais il est remonté dans sa chambre aussitôt après le déjeuner, et il n'en n'est pas encore descendu.

 

 

SCÈNE II

LES MÊMES, CARTAHUT, entrant par la gauche, premier plan, dans un uniforme de lieutenant de vaisseau qui n'est pas fait à sa mesure.

 

CARTAHUT. — Bonjour, mes petites chattes !

TOUTES. — Ah ! le voilà... Bonjour, Monsieur La Ralingue.

DIANE. — Comment, La Ralingue, vous étiez encore couché ?

CARTAHUT. — Dame ! Je m'offrais une sieste ! Avec la vie de patachon que vous me faites mener, il y a des moments où on a besoin d'aller se radouber !

GRENOUILLETTE. — Fatigué, vous ? Allons donc !

CARTAHUT — Ah ! pas toujours, ma petite Grenouillette ! Il y a des moments où je sais montrer que je suis un peu là !

GRENOUILLETTE, allumée. — Vrai ?

CARTAHUT, à Grenouillette. — Vous permettez ?... (Au portier, en lui tapant sur le ventre). Dis donc, vieux, tu n'as toujours pas de lettres au nom de Cartahut ?

LE PORTIER. — Non, monsieur. (Il regagne son bureau).

CARTAHUT, à part. — Toujours pas de nouvelles du cap'taine. C'est étonnant ! Heureusement que j'ai eu l'idée de prendre sa place ! Sans ça, il serait frais le pôvre !...

SOLANGE. — Monsieur La Ralingue, qu'est-ce que vous allez imaginer pour nous distraire, aujourd'hui ?

CARTAHUT. — Voulez-vous que je vous organise un concours de mollets, comme hier ? Alors, si on marchait un peu sur les mains ?

(On rit).

SOLANGE. — Il a de ces idées !

LÉA. — Y a pas à dire, il est épatant.

GRENOUILLETTE. — Pour sûr, alors ! Vive La Ralingue !

TOUTES. — Vive La Ralingue !

DIANE. — Mais d'abord, attendons notre sympathique amiral moldo-valaque.

CARTAHUT. — Kelbibine ! C'est vrai... Il y a des poules et il n'est pas là ! C'est étonnant !

GRENOUILLETTE. — Quand on parle du loup... Voilà l'amiral avec les officiers de son Etat-major !

 

 

SCÈNE III

LES MÊMES, KELBIBINE et LES OFFICIERS MOLDO-VALAQUES

(D'abord, sur une musique de scène, les officiers, puis Kelbibine).

 

KELBIBINE, accent slave. — On demande Kelbibine ?... Présent !

 

COUPLET

Air : DÉLICIEUSE PROMENADE

Je suis l'amiral Kelbibine,

Un type comme on en voit peu ;

Je représente la marine

Moldo-valaque de mon mieux.

Du ministèr' j'ai la confiance,

Et c'est lui qui m'envoie en France

Pour surveiller la construction

D'un navir' d' ma nation.

L' gouvernement m'a dit :

"On vous ouvre un crédit ;

Nous voulons un bateau,
N' ménagez rien pour qu'il soit beau !"

REFRAIN

A la lettre j'ai suivi ses instructions,

Plein d'attention ;

Je vous promets que j' ferai tout c' qu'il faut

Pour lui monter l' plus beau des bateaux ;

Mais pour en même temps faire aux populations!
Bonne impression,
Avec les p'tit's femm's je dépense sans compter
C'est pour ça que j' suis très coté ;

 

CARTAHUT. — Salut, amiral.

KELBIBINE. — Bonjour, cher ami. Quant à vous, mes toutes belles, je dépose à vos pieds mes hommages les plus énergiques. Et cependant, j'aurais raison à me plaindre ! Vous me négligez au bénéfice de notre excellent ami La Ralingue !

LISE. — Oh ! amiral ! pouvez-vous dire ?

KELBIBINE. — Je puis. Mais je ne vous en veux pas, ni à lui non plus ! C'est un si délicieux compagnon ! Il est effroyable !

CARTAHUT. — Ah ! on ne s'ennuie pas tous les deux !

KELBIBINE. — Certes non. C'est pourquoi je bénis le gouvernement moldo-valaque, qui, en me désignant pour surveiller la confection du premier cuirassé de notre naissante marine, m'a procuré la connaissance d'un officier aussi distingué que La Ralingue et celle de fem­mes aussi respectablement lascives que vous êtes, mesdames.

LISE. — Oh ! amiral Vous nous confusionnez ! (Conversations).

GRENOUILLETTE, allant à Cartahut. — Tu sais que j'ai un béguin pour toi !

CARTAHUT. — Tu as le béguin, Grenouillette ?

GRENOUILLETTE. — Parfaitement. Quand est-ce qu'on se voit ?

CARTAHUT. — Eh bien, ici, à six heures !

GRENOUILLETTE. — Entendu. (Elle s'éloigne).

CARTAHUT, à part, avec fatuité. — Toutes, je les aurai toutes !

KELBIBINE. — Mesdames, souffrez que je vous ingurgite quelques rafraîchissements !

SOLANGE. — Merci, je n'ai pas soif !

SUZETTE. — Si nous allions plutôt faire un petit bac... ?

KELBIBINE. — Un baccara !... Ça va me coûter les yeux de la cervelle !

FLORE. — Oh ! quelques louis...

KELBIBINE. — Quelques louis! Mais, mes charmantes, en ces trois jours derniers, j'ai déjà laissé sur le tapis vert plus de deux cents gros billets, sans parler de ce que j'ai laissé sur d'autres tapis, en ces trois dernières nuits.

LÉA. — Est-ce que ça compte pour un amiral moldo-valaque... ?

KELBIBINE. — Enfin... si vous y tenez... allons prendre une banque...

TOUTES. — Bravo, amiral !

KELBIBINE. — Passez devant, je vous rejoins. Le temps d'octroyer quelques instructions à mon secrétaire. (Désignant les officiers.) — Ces messieurs vont vous accompagner. (Sur le ton du commandement). Tanzilbeck !

LES OFFICIERS, saluant militairement. — Oïdda !

 

ENSEMBLE

Air : J'AI FAIT SAUTER LA BANQUE (refrain)

On dira tout c' qu'on voudra,

Y a rien d' tel que l' baccara !

C'est un petit jeu bien honnête,

C'est beaucoup mieux qu' la roulette :

Il suffit d' savoir ponter,

On n'a plus qu'à récolter,

Et l'on fait sauter la banqu' ! Viv' la galette !

(Elles sortent avec les officiers).

 

 

SCÈNE IV

KELBIBINE, puis NITCHEVO

 

KELBIBINE, au maître d'hôtel. — Mon secrétaire est là ?...

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Oui, amiral.

KELBIBINE. — Enjoignez-lui de venir.

LE MAÎTRE D'HÔTEL, à la cantonade. — Monsieur Nitchevo, l'amiral vous demande.

NITCHEVO, entrant (*). — Votre Excellence veut me parler ?

(*) Ce rôle doit se jouer en ganache et avec une raideur militaire.

KELBIBINE. — Un mot, tout juste ! (Négligemment). Donne-moi deux cent mille francs...

NITCHEVO. — Mais, Excellence, c'est impossible...

KELBIBINE. — En quoi, impossible, abruti ?

NITCHEVO. — Votre Excellence n'a plus un sou !

KELBIBINE. — Comment, plus un sou ? Et les cinq cent mille francs que j'ai prélevés lundi dernier à la compagnie des Chantiers de Normandie sur le crédit ouvert par le gouvernement moldo-valaque pour l'édification du cuirassé ?

NITCHEVO. — Votre Excellence les a entièrement dépensés.

KELBIBINE. — C'est effroyable. C'est même plus qu'effroyable !... C'est très embêtant... (Un temps). Demande-moi, dans le téléphone, les Chantiers de Normandie, la direction.

NITCHEVO. — Bien, Excellence... (Il va au téléphone placé contre le mur de gauche). Allo ! Donnez-moi les chantiers de Normandie, s'il vous plaît...

KELBIBINE, à part. — La vie parisienne, c'est déjà cher à Paris ; mais, par saint Wladimir, au Havre, c'est ruineux !

(Sonnerie).

NITCHEVO. — Allo ! Les Chantiers de Normandie ? La direction, s'il vous plaît... Voilà (Saluant, après avoir mis en place une fiche au distributeur). Excellence, la communication elle est branchite !

KELBIBINE, à l'appareil qui est sur la table du milieu.­ — Allo ! Monsieur Maillard ? Oui ?... C'est moi, l'amiral Kelbibine... Oui... je suis florissant ! Et vous ?... Tant mieux ; tant mieux... Dites donc, cher ami, je m'aperçois que j'ai oublié mon porte-monnaie dans ma chambre. Prêtez-moi donc deux cent mille francs ?... Qu'est-ce que vous dites ? Qu'avec les quatre millions huit cent mille francs que j'ai déjà prélevés, ça fera cinq millions ?... Je ne l'ignore pas... Quoi ? Qu'avec les quinze millions qui vous restent, vous ne pouvez pas exécuter le devis ? Eh bien, enlevez une tourelle, supprimez quelques canons à tir rapide et réduisez de quinze cents tonnes le tonnage du navire... Cela vous va ainsi ? Convenu, alors ! Mille grâces. Je vous envoie mon secrétaire. (Il raccroche le récepteur). Voilà qui est fait.

NITCHEVO. — Mais, Excellence, avec quinze cents tonnes de moins, le cuirassé ne sera plus qu'un simple croiseur !

KELBIBINE. — Eh bien, tant mieux !

NITCHEVO. — Tant mieux ?

KELBIBINE. — Sans doute, animal. Il n'en donnera que plus de satisfaction à Sa Majesté. Il en est des navires de même que pour les races de chevaux : ils s'améliorent par le croisement.

NITCHEVO. — Ah !

KELBIBINE. — Et puis, au lieu de me chagriner de tes réflexions inexorables, va donc toucher l'argent ; tu me l'apporteras au salon de jeu.

NITCHEVO. — Bien, Excellence.

(Il sort).

 

 

SCÈNE V
KELBIBINE, puis PIMPRENELLE et PÉRINAÏK

 

KELBIBINE, seul, à une table. — Voyons un peu, d'abord, ce que j'ai dépensé depuis que je suis ici... (Il fait des additions). 6.575.849... non, ce n'est pas ça... J'aurai de la peine à y arriver.

(Il s'absorbe dans ses calculs).

(Pimprenelle entre, suivie de Périnaïk).

PIMPRENELLE, entrant, à Périnaïk. — Il dira ce qu'il voudra... tant pis... je m'ennuyais trop toute seule à Toulon...

PÉRINAÏK. — Monsieur ne va pas être content que Madame arrive sans le prévenir.

PIMPRENELLE. — Ça m'est égal. J'ai voulu en avoir le coeur net. Car j'ai comme un pressentiment qu'il s'est fichu de moi, avec son histoire de mission... (Au portier). Est-ce que le lieutenant de vaisseau La Ralingue est là ?

LE PORTIER. — Non, madame.

PIMPRENELLE, à Périnaïk. — J'en étais sûre !

LE PORTIER, de sa logette. — Mais il ne va pas tarder à revenir... Il est allé faire un tour au salon de jeu.

PIMPRENELLE. — Ah !

PÉRINAÏK, à Pimprenelle. — Là... Qu'est-ce que je disais à Madame ? Monsieur est là !

PIMPRENELLE. — Eh bien, veuillez lui faire dire que je désirerais lui parler.

LE PORTIER. — Qui dois-je annoncer ?

PIMPRENELLE. — Vous annoncerez... (Elle hésite un moment, puis, tout à coup, prenant son parti). Vous annoncerez madame La Ralingue. (Mouvement de Kelbibine).

LE PORTIER. — Bien, madame... (Il sort).

KELBIBINE, s'approchant. — Qu'ai-je entendu ? Madame La Ralingue ?

PIMPRENELLE. — Mais... oui, monsieur...

KELBIBINE. — Ah ! madame, daignez absoudre ma désinvolture et accueillir le tribut de mes hommages. Le lieutenant de vaisseau La Ralingue est un de mes amis les plus excellents, et je le tiens en grandissime affection. (Se présentant). Amiral Kelbibine, de la marine moldo-valaque...

PIMPRENELLE, faisant des révérences exagérées. — Oh ! amiral ! Très flattée...

KELBIBINE. — Du tout, madame, c'est moi... Mais je vous avouerai que, par saint Bronislas, mon étonnement a été gigantesque. La Ralingue ne m'avait point dit qu'il eût une épouse !

PIMPRENELLE, embarrassée. — Ah ! vraiment !

KELBIBINE. — Il a voulu sans doute me déménager une surprise... agréable, car ce m'est un ravissement que de contempler une aussi jolie femme.

PIMPRENELLE, confuse. — Oh ! amiral !

KELBIBINE, avec un gros rire. — Il est plein d'imprévu, La Ralingue... Je le chéris de plus en plus. Il est effroyable. (Voyant Cartahut qui paraît, précédé par le portier). Arrivez donc, vilain cachottier ; madame La Ralingue vous attend avec une impatience démesurée...

(Le portier rentre dans sa logette).

 

 

SCÈNE VI

KELBIBINE, PIMPRENELLE, PÉRINAÏK, CARTAHUT

 

CARTAHUT, à part. — Nom de Dieu ! la poule du patron !

PÉRINAÏK et PIMPRENELLE, à part. — Cartahut !

(Temps froid).

KELBIBINE. — Eh ! quoi ! vous restez là tous les deux dans l'interdit !... Serait-ce que vous n'attendiez pas madame ?

CARTAHUT, même jeu. — Ah ! pour ça, non !

KELBIBINE. — Ah ! je saisis ! Madame aussi vous a provoqué une surprise...

PIMPRENELLE, vivement. — Oui... justement...

KELBIBINE. — Ah ! Madame, vous êtes, également, pleine d'imprévu... Mais vous pouvez enlacer votre époux de mari devant moi ; cela ne m'offusque point.

PIMPRENELLE, gênée. — Evidemment... mais...

KELBIBINE. — Allons... je vois que j'obstrue vos effusions... Je vais aller faire parade dans les salons de jeu et je reviens...

CARTAHUT. — Oui... oui... c'est ça !...

KELBIBINE, saluant Pimprenelle. — Madame...

PIMPRENELLE. — Amiral...

(Elle plonge).

KELBIBINE, à Cartahut. — A tout à l'heure, cher ami. (A part). Elle est terriblement désirable, madame La Ralingue !...

(Il sort).

 

 

SCÈNE VII

PIMPRENELLE, CARTAHUT, PÉRINAÏK, LE PORTIER

 

PIMPRENELE, se croisant les bras en face de Cartahut. — Et maintenant... à nous deux.

LE PORTIER, sortant de sa logette. — Dois-je monter les bagages de Madame dans la chambre de Monsieur...

PIMPRENELLE. — Non... dans une chambre voisine.

LE PORTIER. — Bien... madame...

PIMPRENELLE, à Périnaïk. — Va t'occuper de ça avec monsieur.

PÉRINAÏK. — Bien, madame. (A part, considérant Cartahut). Jésus, ma Doué... Est-il beau comme ça ! Est-il beau !

LE PORTIER. — Par ici, mademoiselle, si vous voulez, me suivre.

PÉRINAÏK. — Voilà ! voilà ! Est-il beau ! (Elle sort avec le portier).

 

 

SCÈNE VIII
CARTAHUT, PIMPRENELLE

 

PIMPRENELLE. — Qu'est-ce que c'est que toute cette co­médie ? La Ralingue n'est pas ici, n'est-ce pas ? Pourquoi ? Et comment te fais-tu passer pour lui ? Je savais bien qu'on se fichait de moi !

CARTAHUT, qui a essayé vainement de l'arrêter. — Voyons ! voyons ! ne vous fâchez pas ! Vous êtes là qui faites le boucan, sans me laisser seulement le temps de parler...

PIMPRENELLE. — T'expliqueras-tu, nom d'un chien ?

CARTAHUT. — Je vais vous dire... C'est un hasard... un petit hasard de rien du tout... Figurez-vous que ce pôvre capitaine... (A part). Qu'est-ce que je vais bien lui raconter ? (Haut). Eh bien, voilà... Il a eu tellement de chagrin de vous quitter que ça lui a monté à la tête.... qu'il est devenu quasiment comme s'il était fada. Tout le long du trajet, il s'imaginait vous reconnaître dans toutes les femmes que nous rencontrions. Et alors...

PIMPRENELLE, froidement. — Et alors ?

CARTAHUT. — Alors... Alors ? Ah ! oui ! il voit une dame qui passait là... Elle avait votre ressemblance qu'on aurait dit votre sœur... Dès qu'il l'aperçoit, le voilà qui me plante là et qui se met à lui courir après... en disant... Cartahut, je te dis que c'est-elle... Mais non, que je lui disais, cap'taine, ce n'est pas madame... Si, qu'il me disait, c'est elle... Je disais : Non, c'est pas elle... Il me disait : Si, c'est-elle... Je...

PIMPRENELLE, l'interrompant. — Et alors ?

CARTAHUT. — Alors... Alors ? il s'est mis à la suivre... Et je te suis, et je te suis, jusqu'à ce que la dame elle est montée à bord d'un transatlantique qui partait pour les Amériques, et que le cap'taine il y est monté derrière elle... J'ai voulu le faire descendre... Alors, il m'a foutu par dessus bord... tout simplement... C'était pour l'amour de vous !...

PIMPRENELLE. — Et alors ?

CARTAHUT. — Alors... Alors ? J'ai barboté... Et, pendant que je barbottais, le paquebot a dérapé, emmenant le cap'taine... Je l'ai suivi à la nage tant que j'ai pu ; mais au bout d'une heure... j'ai renoncé... Et je suis revenu à terre en faisant la femme morte...

PIMPRENELLE. — Et alors ?

CARTAHUT. — Alors... Alors ? Pour que le capitaine il soye pas porté manquant ou déserteur, j'ai pris sa place en attendant qu'il revienne... C'est tout... Voilà !...

(Il s'éponge le front).

PIMPRENELLE. — Tous mes compliments, Cartahut... Tu as beaucoup d'imagination...

CARTAHUT, indigné. — Ça serait-il des fois que vous ne me croyez pas ?

PIMPRENELLE. — Mais si, mais si, je te crois... Je trouve que tu as fait preuve d'une présence d'esprit admirable. Je te félicite !

CARTAHUT. — Alors, vous trouvez que j'ai bien fait de jouer le rôle de ce pôvre capitaine ?

PIMPRENELLE. — Sans doute ; et je trouve aussi que tu l'as joué avec trop de talent pour l'abandonner !

CARTAHUT, à part. — Elle vous a gobé ça, mon ami, comme un œuf à la coque... (Haut). Je savais bien que vous finiriez par entendre raison !

PIMPRENELLE. — Oui, mais moi qu'est-ce que je deviens dans tout ça ?

CARTAHUT. — Voulez-vous un bon conseil ?

PIMPRENELLE. — Parle.

CARTAHUT, insidieux. — Vous allez vous en retourner à Toulon par le premier train.

PIMPRENELLE, avec une émotion affectée. — Ah ! Cartahut, tu crois donc que je n'ai pas de cœur !

CARTAHUT. — Moi ? Pourquoi ça ?

PIMPRENELLE, sur le même ton. — Comment, tu te donnerais un mal de tous les diables pour sauver La Ralingue, et je te laisserais te débrouiller tout seul ! Jamais. Mon devoir est de rester. Je reste !

CARTAHUT, stupéfait. — Vous restez ?

PIMPRENELLE. — Mais oui... On te croit La Ralingue ? Je serai madame La Ralingue... Tu passeras pour mon mari... voilà tout !

CARTAHUT. — C'est que...

PIMPRENELLE. — Plus un mot. (Avec noblesse). Moi aussi, je veux sauver La Ralingue !... (A part). Ah mon bonhomme, tu m'as monté le coup !

CARTAHUT, à part. — Couqui de Diou, comment ça va-t-il finir ?

 

 

SCÈNE IX
LES MÊMES, PÉRINAÏK, puis LE PORTIER

 

PÉRINAÏK, paraît, traînant une malle. — Madame j'y arriverai point... Elle est trop lourde !....

PIMPRENELLE. — Qu'est-ce que tu fais donc, Périnaïk, avec cette malle ?

PÉRINAÏK. — Le grand sacristain habillé comme un général... il m'a plantée là... Je peux pourtant point la monter toute seule !

CARTAHUT. — T'émouve pas, ma grosse, on va te la monter ta malle.

(Il se met en devoir de charger la malle sur ses épaules).

LE PORTIER, entrant à ce moment et se précipitant vers Cartahut. — Ah ! monsieur, permettez-moi...

CARTAHUT. — Laisse donc tu n'y arriverais pas toi, astèque ! (Il la charge sur ses épaules).

LE PORTIER, à part. — C'est un sportsman ! Il s'entraîne !

(Il rentre dans son bureau. A ce moment apparaît Kelbibine).

 

 

SCÈNE X

LES MÊMES, KELBIBINE

 

KELBIBINE, entrant sans voir Cartahut et apercevant Pimprenelle. — Tiens, Mme La Ralingue !... Comment, belle madame, votre mari vous a donc déjà abandonnée ?

CARTAHUT, de dessous la malle. — Du tout, je suis là !... Le temps de poser la malle et je reviens...

KELBIBINE. — Tiens, cher ami, c'est vous qui êtes là-dessous ?

CARTAHUT. — Mais oui, je suis dessous... Il y a des fois que je suis dessus... C'est pour changer un peu.... Je ne vous serre pas la cuiller, mais le cœur y est !

KELBIBINE. — Comprimer une cuiller ? Quelle idée paradoxale ! Pourquoi transportez-vous cette grosse coffre ?

CARTAHUT. — Histoire de me dérouiller les abatis !...

KELBIBINE, à Pimprenelle. — Il est plein d'imprévu !

PIMPRENELLE, à Kelbibine. — Vous pouvez le dire ! (A Cartahut). Tenez, mon ami, voici la clef de ma malle ; vous aurez l'obligeance de la déballer, n'est-ce pas ?

CARTAHUT. — Bien. (A part). C'est toi que je voudrais déballer !

PIMPRENELLE, à Périnaïk. — Et vous, allez jusqu'à la gare voir si le chapeau qu'on devait m'expédier ici est arrivé.

PÉRINAÏK. — Bien, madame.
(Elle sort).

CARTAHUT. — Elle pèse, la bougresse !...

KELBIBINE, à Cartahut, qui se dirige vers la porte de gauche. — Dites donc, cher ami ?...

CARTAHUT. — Quoi ?

KELBIBINE. — Mes compliments. Elle est savoureuse, votre femme !

CARTAHUT. — Oh ! moi, vous savez, je m'en fous !

KELBIBINE. — Vous vous en foutez ?

CARTAHUT. — Oh ! si vous étiez à ma place, vous diriez comme moi !

KELBIBINE. — Ah !... Et maintenant c'est fini pour vous la bombance avec les femmes de mauvaise vie...

CARTAHUT. — Eh bien, si vous croyez que je vais me gêner pour elle !... Il ne manquerait plus que ça ! (A part). Elle avait bien besoin de venir, ce sacré choléra ! (Il sort).

 

 

SCÈNE XI

PIMPRENELLE, KELBIBINE, puis NITCHEVO, LES OFFICIERS

 

KELBIBINE, à part. — Il est effroyable ! (Un temps pendant lequel, en cherchant à engager la conversation, il échange des sourires avec Pimprenelle). — Eh bien, chère madame, je suppose que vous êtes dans le contentement d'avoir rejoint votre époux de mari.

PIMPRENELLE. — Oh ! moi, vous savez, je m'en fous !

KELBIBINE, à part. — Elle aussi !... Mais alors... (Haut). Je croyais que vous brûliez l'un pour l'autre d'un amour réciproque et formidable.

PIMPRENELLE. — Oui, mais enfin, il n'y a pas d'excès.

KELBIBINE. — Je vois... Je ne sais si, d'ailleurs, La Ralingue apprécie comme il faudrait le bonheur de vous posséder.

PIMPRENELLE, minaudant. — Amiral...

KELBIBINE. — Pour moi, je vous déclare tout net que vous m'êtes très sympathique et que votre seule vue me plonge dans l'excitation.

PIMPRENELLE, même jeu. — Amiral !

KELBIBINE. — Et à ce propos ne serait-il pas opportun de célébrer ici votre arrivée par quelque réjouissance ?

PIMPRENELLE. — Quoi ! amiral, une fête en mon honneur !

KELBIBINE. — C'est la moindre des choses...

PIMPRENELLE, à part, avec joie. — Il est très riche !

KELBIBINE, appelant. — Nitchevo ! (A Pimprenelle). C'est mon secrétaire.

NITCHEVO, entrant. — Amiral ?

KELBIBINE. — Donne-moi... soixante-quinze mille francs.

NITCHEVO. — C'est impossible, Excellence.

KELBIBINE. — Par saint Nicéphore, et mes deux cent mille francs de tout à l'heure ?

NITCIIEVO. — D'après vos ordres, Excellence, je les ai donnés aux petites prostituées qui les ont tous perdus au baccara.

KELBIBINE. — Diable !

PIMPRENELE, à part, désappointée. — Il est panné....

KELBIBINE. — Mais ne vous tourmentez pas, belle dame... La fête aura lieu quand même. Cela me coûtera quelques tourelles, voilà tout.

PIMPRENELLE. — Plaît-il ?

KELBIBINE. — Il serait trop long d'expliquer... (A Nitchevo). Demande-moi les Chantiers de Normandie, la direction.

NITCHEVO. — Bien, amiral.

KELBIBINE, à Pimprenelle. — Nous aurons les fonds nécessaires.

PIMPRENELLE, à part, avec joie. — Il est très riche !...

NITCHEVO, au téléphone. — Allo Les Chantiers de Normandie ! (Un temps). Ah bien... (Il raccroche ; à Kelbibine). M. Maillard est sorti, Excellence.

KELBIBINE. — Je te remettrai un mot, et tu iras tout à l'heure... Mes officiers sont à proximité ?

NITCHEVO. — Oui, Excellence.

KELBIBINE. — Dis-leur de venir.

NITCHEVO. — Bien, Excellence.

(Il sort).

KELBIBINE, à Pimprenelle. — Je désire que vous fassiez leur connaissance. Ils forment l'Etat-Major du croiseur-cuirassé le Samovar.

PIMPRENELLE. — Oh ! amiral, déranger ces messieurs...

KELBIBINE. — Ils n'ont rien de mieux à faire, puisqu'ils servent sur un navire qui n'est pas encore construit.

NITCHEVO.  — Voici les officiers, Excellence.

(Entrée des officiers. Musique de scène).

KELBIBINE. — Messieurs, voilà Madame La Ralingue, épouse de notre excellent ami.

LES OFFICIERS, ensemble. — Hollavach ! Hollavach !

PIMPRENELLE, ahurie. — Comment ! Oh ! la vache ?

KELBIBINE. — Ça veut dire « hurrah » en moldo-valaque... Mais je continue. Madame, j'ai l'honneur de vous présenter : M. Wladimir Choknosof, M. Ladislas Detreff... M. Petrof Kretinski... M. Ivan Pazaloï, M. Pompilius Tonzilloff, M. Nicolas Kektumoff et M. Michel Lamerdazoff...

PIMPRENELLE, saluant. — Messieurs !

KELBIBINE. — Et maintenant, messieurs, apprenez que j'ai décidé d'offrir ce soir, en l'honneur de madame, une grande fête à notre légation. Occupez-vous immédiatement des préparatifs. Rompez.

LES OFFICIERS, ensemble. — Hollavach ! Hollavach !

PIMPRENELLE, à part. — Ils y tiennent !

(Ils sortent. Musique de scène).

PIMPRENELLE. — Amiral ! je suis confuse, vraiment.

KELBIBINE. — Du tout, chère madame. Encore une fois, c'est la moindre des choses... Mais que fait, donc notre ami ? Je me proposais de vous emmener tous les deux faire une courte promenade le long de la mer.

PIMPRENELLE, coquette. — Voyons, amiral, avons-nous vraiment besoin de lui ?

KELBIBINE. — Non, certes...

PIMPRENELLE. — Alors, votre bras, je vous prie. (Elle s'appuie sur son bras avec affectation).

KELBIBINE, à part. — Mais ça marche, ça marche...

PÉRINAÏK, entrant. — Madame, le chapeau n'est pas encore arrivé.

PIMPRENELLE. — Ça ne fait rien... Vous direz à M. La Ralingue que nous serons de retour dans quelques minutes.

PÉRINAÏK. — Bien, Madame.

PIMPRENELLE, au bras de l'amiral, même jeu que plus haut. — Ah ! amiral ! quel chouette pays que le Havre !

KELBIBINE. — Plus que chouette, madame : ineffablement hibou ! (A part). Une femme du monde, voilà qui va me faire réaliser des économies...

 

Air : C'EST UN P'TIT BÉGUIN (2e moitié du refrain)

Veuillez accepter mon bras,

On ne s'embêt'ra pas,

Vous verrez, ma charmante...

Car souvent, lorsque l'on suit tous deux le mêm' chemin,

On finit tous deux par avoir mêm' béguin !

(Ils sortent).

 

PÉRINAÏK, à part. — Ma Doué ! Ils ont l'air de très bien s'entendre tous les deux !

 

 

SCÈNE XII
CARTAHUT, PÉRINAÏK

 

CARTAHUT, entrant. — Ah ! te voilà, Périnaïk... Et Pimprenelle, où est-elle passée ?

PÉRINAÏK. — Elle va revenir.

CARTAHUT. — Alors, attendons. (A part). Il faudra que je m'en débarrasse adroitement...

(Il prend une pose avantageuse).

PÉRINAÏK, admirative. — Ma Doué, qu'il est beau !

CARTAHUT. — Alors, que qu'en dies, Plougastel ? Tu trouves que je dégote ?

PÉRINAÏK. — Pour sûr !

CARTAHUT. — Tu peux le dire. Toutes les femmes ici elles sont folles de moi !

PÉRINAÏK, inquiète. — Il y a des femmes ici ?...

CARTAHUT. — S'il y en a ! A remuer à la pelle ! Et de magnifiques, avec des chapeaux comme des parapluies, des bijoux plein les estomacs et des parfums à embaumer la Joliette tout entière ! (Périnaïk éclate en sanglots). Hé, quès aco ?

PÉRINAÏK, en pleurant. — Tu m'as trompée ! J'en étais sûre ! Tu m'as trompée !

CARTAHUT. — Pleure pas ! (Périnaïk pleure plus fort. Il hurle :) Pleure pas ! (Périnaïk cesse brusquement de pleurer). Je ne t'ai pas trompée. Evidemment je n'aurais eu qu'à lever le petit doigt pour les tomber toutes... Mais je me suis tenu...

PÉRINAÏK, pleurant encore un peu. — C'est bien vrai ?

CARTAHUT. — Tiens ! (Il crache). Ma foi de bon Dieu !

PÉRINAÏK. — Alors... (Tendant sa joue)... Fais une bise !

CARTAHUT. — Mais tu n'y penses pas ! Qu'est-ce qu'on dirait si on surprenait... le lieutenant La Ralingue en train d'embrasser une bonne !

PÉRINAÏK, éclatant en sanglots. — Tu ne m'aimes plus, tu ne m'aimes plus !

CARTAHUT. — Pleure pas ! (Elle pleure plus fort. A part). Ce qu'elle m'agace ! (Hurlant). Pleure pas !... (Elle cesse de pleurer). On s'embrassera... dans la chambre, là !

PÉRINAÏK, larmoyant. — Tu me le promets ?...

CARTAHUT. — Oui !... Et la Pimprenelle qui ne revient pas ! Au lieu de me faire des scènes tu aurais bien dû l'empêcher de s'amener, celle-là !

PÉRINAÏK. — Y a pas eu moyen... Elle se doutait que le capitaine lui avait menti et elle répétait tout le long du chemin que, si il lui avait raconté des blagues, elle le ferait cocu...

CARTAHUT. — Cocu ! Cocu ! C'est qu'elle est bien capable !... Heureusement qu'elle est sortie seule !

PÉRINAÏK. — Non... Elle était avec l'animal.

CARTAHUT. — Quel animal ? (Comprenant). Ah ! Kelbibine ! Coquin de sort ! Il faut que je m'en mêle ! (Il va pour sortir).

PÉRINAÏK. — Où vas-tu ?

CARTAHUT. — Les chercher, parbleu !

PÉRINAÏK. — Je t'espère ici ?

CARTAHUT, vivement. — Non... remonte dans la chambre... (A part). Sapristi, et Grenouillette qui va venir ! Ah ! tant pis... La Pimprenelle, elle risquerait de gâter les choses !... Le devoir avant tout !

(Il sort).

 

 

SCÈNE XIII
PÉRINAÏK, puis GRENOUILLETTE

 

PÉRINAÏK, seule. — C'est égal... Je suis comme la patronne, moi... Je n'ai pas confiance... (Voyant entrer .Grenouillette). En effet... il y en a de jolies femmes ici !

GRENOUILLETTE, après un courte inspection, au portier. — Vous n'avez pas vu M. La Ralingue ? (Mouvement de Périnaïk).

LE PORTIER. — Il vient de partir, madame.

GRENOUILLETTE. — Ça c'est un peu raide. Il avait rendez-vous avec moi !

LE PORTIER. — Il est peut-être dans les environs.

GRENOUILLETTE. — Vous croyez ? Je vais voir...

(Elle sort).

PÉRINAÏK, à part. — Oh ! En voilà z-une qui venait pour lui !... Mais, ma Doué, je trouverai moyen de le surveiller !

(Elle sort à gauche).

 

 

SCÈNE XIV
LABISTOQUE, LE PORTIER

 

LABISTOQUE, paraît au fond, sur les dernières répliques, sa valise à la main ; au portier. — Bonjour, Joseph.

LE PORTIER. — Monsieur Labistoque ! Quelle bonne surprise !...

LABISTOQUE. — Ma foi, je ne m'attendais guère à venir... Mais ma femme, m'ayant laissé libre, j'ai poussé jusqu'au Havre, dont je garde depuis l'année dernière de si agréables souvenirs.

LE PORTIER. — Et Monsieur le député compte nous rester quelque temps ?

LABISTOQUE. — Une huitaine... Vous avez une chambre pour moi ?

LE PORTIER.. — J'en ai une excellente, au rez-de-chaussée. (Il montre la porte du deuxième plan droite). Je vais y porter la valise de Monsieur le député.

LABISTOQUE. — Et on s'amuse toujours ici ?

LE PORTIER. — Enormément... Que M. le député m'excuse ! C'est l'heure où les mareyeuses nous apportent le poisson : je vais m'occuper d'elles. Après quoi je donnerai tous les tuyaux à M. le député.

LABISTOQUE. — Pendant ce temps, je ferai un brin de toilette.

LE PORTIER, accompagnant Labistoque, la valise à la main, jusqu'à la porte de la chambre. — A tout à l'heure, Monsieur le député. (Labistoque sort. Le portier seul). Voici précisément les mareyeuses.

 

 

SCÈNE XV
LE PORTIER, LES MAREYEUSES (*)

(*) Si l'on veut supprimer cette scène, voir aux variantes.


ENTRÉE DES MAREYEUSES

Chœur. Air : MONSIEUR DURAND (Refrain)

Ici nous apportons

Nos paniers de poissons ;

Ils sont encor vivants,

Brillants et frétillants ;

Admirez notre pêche :

Elle est belle, elle est fraîche !

Regardez, dites si

Les pécheuses le sont aussi !

Souvent des voyageurs,

Qui sont des connaisseurs,

Veulent aussi pécher

Et nous envoient chercher

Pour qu'on leur fasse voir,

C'est là notre savoir,

Plusieurs bonnes façons

D'accommoder l' poisson.

 

LE PORTIER, examinant les paniers. — Mes enfants, ça va bien. Allez porter tout ça à la cuisine.

 

SORTIE DES MAREYEUSES

Souvent nous faisons voir,

C'est là notre savoir,

Plusieurs bonnes façons

D'accommoder l' poisson.

 

 

SCÈNE XVI

LABISTOQUE, LE PORTIER

 

LABISTOQUE, sortant. — Me voici, Joseph.

LE PORTIER. — Que Monsieur le député me permette de lui faire mes compliments ; il est infatigable.

LABISTOQUE. — Hélas, c'est ce qui vous trompe, Joseph ! Je suis très fatigué et mes forces me trahissent souvent au moment décisif.

LE PORTIER. — Elles vous reviendront, Monsieur le député, grâce à l'air de la mer.

LABISTOQUE. — Espérons-le.

LE PORTIER. — Et puis, ici, Monsieur le député n'aura qu'à suivre le bon exemple !

LABISTOQUE. — Vous avez donc encore cette année des gens un peu... Ohé ! Ohé !

LE PORTIER. — Je crois bien. Il y a toujours ces dames ; et puis, il y a Monsieur La Ralingue, un vrai boute en train !

LABISTOQUE. — Bravo ! Et qu'est-ce qu'il fait de son métier M. La Ralingue ?

LE PORTIER. — C'est un lieutenant de vaisseau.

LABISTOQUE. — Ça, par exemple, c'est de la chance ! En sa qualité d'officier de marine, il peut m'être très utile ! Je serai doublement heureux de faire sa connaissance...

LE PORTIER. — Tenez, précisément, le voici...

LABISTOQUE. — Présentez-moi...

 

 

SCÈNE XVII

LES MÊMES, CARTAHUT

 

CARTAHUT, à part. — Où peut-elle être, cette rosse de Pimprenelle ?

LE PORTIER. — Monsieur La Ralingue, il y a là M. le député Labistoque qui désire vous être présenté...

CARTAHUT, allant carrément à Labistoque et lui serrant la main avec une vigoureuse familiarité. — Eh ! Labistoque, comment ça va ?

(Le portier s'éloigne).

LABISTOQUE. — Monsieur, vous pouvez me rendre un gros service... En deux mots, voici... Comme je me suis spécialisé à la Chambre dans les questions agricoles, on vient de me nommer rapporteur du budget de la marine... Je n'y connais rien, et je vous demande de bien vouloir m'aider de votre expérience.

CARTAHUT. — Ça, volontiers ! La marine, c'est ma partie.

LABISTOQUE. — J'ai bien essayé de me documenter moi-même. Je suis allé tout à l'heure dans le port visiter un navire...

CARTAHUT. — C'était une idée.

LABISTOQUE. — Ça n'a servi à rien. J'en suis encore tout ahuri...

 

COUPLETS

Air : EN SE PROMENANT

I

Sur le pont, d'abord, on m' montr' la mâture :

V'là les cacatois, v'là les perroquets ;

J' faisais, nez en l'air, un' drôl' de figure,
Oui, sans aucun dout' de moi l'on s' moquait,

Car de perroquets ou mêm' de perruches,

Y en avait pas trace... P't-êtr' qu'en insistant,

J' te leur aurais fait dir' qu'y avait des autruches !

Avouez qu' la marin', c'est déconcertant !

II

Tous les officiers viv'nt dans un' sall' ronde

Qu'en raison d' sa forme on nomme un carré ;

La barr'... c'est un' roue ! Ah ! quel drôl' de monde !

C'est à croir' vraiment qu'ils sont tous timbrés...

Ils vous dis'nt encor, — ça me stupéfie, —

Y a deux mille' chevaux sur notr' bâtiment :

Où les mettrait-on ? Y a pas d'écurie !

Avouez qu' la marin' c'est déconcertant !

 

CARTAHUT. — Eh, ce n'est pas étonnant que vous ne compreniez rien : vous vous perdez dans les détails : le matériel, c'est secondaire.

LABISTOQUE. — Mais alors qu'y a-t-il d'important ?

CARTAHUT. — Ce qu'il y a d'important, bagasse ? c'est la cuisine. Soignez la cuisine, mon vieux ; il n'y a que ça de vrai...

 

COUPLET

Air : CAROLINE

Au lieu d' mettre dans les soutes

D' la poudre et du charbon,

Mettez-y d' la choucroute,

Du poulet, du jambon.
Laissez dir' ceux qui r'ssautent

A cause de l'étranger ;

Avec les garde-côtes,

Faites des garde-manger !

Et les arsenaux,

J' trouv' qu'il y en a trop,

A la plac' faut des bistrots.

REFRAIN

La cuisine, (bis)
Y a rien d' tel pour les mat'lots.

La marine (bis)

Se r'lèv'ra par le fricot !

La cantine (bis)

C'est la forc' des cuirassés !

La marine (bis)

Ne bouff'ra jamais assez !

 

LABISTOQUE. — Alors, capitaine, on mange mal dans la marine ?

CARTAHUT. — Ne m'en parlez pas. Le fricot, c'est à vous lever le cœur. Et savez-vous pourquoi ?

LABISTOQUE. — Non.

CARTAHUT. — Parce que ça manque d'ail... De là le mécontentement des équipages, les grèves des inscrits etc., etc.

LABISTOQUE. — Ce sont là des aperçus très neufs...

CARTAHUT. — Je vous crois. Et voulez-vous tout remettre en ordre, voulez-vous acquérir avec votre rapport une immense popularité ? Voilà l'ordinaire qu'il faut donner à la flotte : le matin, le café... avé de l'ail, à dix heures, la soupe avé de l'ail...

LABISTOQUE, s'installant à une table. — Bien... je prends des notes.

CARTAHUT. — A midi... (A part). Il faut pourtant que je m'occupe de Pimprenelle... (Haut). Vous permettez que nous fassions un petit tour, tout en causant !...

LABISTOQUE. — Mais... certes... (Il se lève).

CARTAHUT. — A midi, le ragoût de mouton, avé de l'ail.

LABISTOQUE. — Mais c'est très intéressant...

CARTAHUT. — Je vous le dis. (En sortant). A deux heures, une tartine de beurre avé de l'ail... A quatre heures, un verre d'eau de vie...

LABISTOQUE. — Avec de l'ail ?...

CARTAHUT. — Mais parfaitement... (Ils sortent en continuant la conversation dont on n'entend que ces mots : « Avé de l'ail » qui reviennent comme un refrain).

 

 

SCÈNE XVIII
LE PORTIER, DEUXIÈME MAÎTRE D'HÔTEL

 

LE DEUXIÈME MAÎTRE D'HÔTEL, entrant, au portier. — Monsieur Joseph, vous pouvez aller dîner.

LE PORTIER. — Ah ! c'est vous, le nouveau, qui me remplacez ? C'est bien. Installez-vous.

LE DEUXIÈME MAÎTRE D'HÔTEL. — Bon appétit, Monsieur Joseph. (Il rentre dans la logette).

LE PORTIER. — Merci.

(Il sort).

 

 

SCÈNE XIX

KELBIBINE, PIMPRENELLE

(Ils entrent bras dessus bras dessous).

 

PIMPRENELLE. — Oui, mon petit amiral... c'est à prendre ou à laisser... quinze mille balles ou rien... Vous avez compris ?...

KELBIBINE. — Oui... je comprends... et je trouve que c'est fameusement... dépensif...

PIMPRENELLE. — Dépensif ! Ah ça, pour qui me prenez-vous... je ne suis pas une grue...

KELBIBINE. — Je m'en aperçois... (A part). Et moi qui me figurais que j'allais faire des économies avec les femmes du monde...

PIMPRENELLE. — Eh bien ! Est-ce convenu, oui ou non ?

KELBIBINE. — C'est convenu !

PIMPRENELLE. — A la bonne heure !...

KELBIBINE. — Ah ! madame La Ralingue, ce que je vous gobe, c'est effroyable !

PIMPRENELLE. — Tant que ça ?

KELBIBINE. — Profondément.
(Il chante).

 

Air : OH ! LES VALSES LENTES

A mon émoi

Sans tarder nous allons mettre — un terme.

Viens avec moi,

Je veux te caresser l'é — piderme !

Auprès de toi,

Et si dans mes bras je te renferme,
Au bon moment

Je veux t'entendre app'ler ta maman.

Dans mes bras, sur mon cœur, où tu veux,

Sur le nez, sur le dos, dans les ch'veux,

Sur un' chais', sur l' piano, sur la table ou dans l' pieu
On s'aim'ra, dis veux-tu, tous les deux ?

PIMPRENELLE

Tous les deux,

Oui, j' veux.

KELBIBINE

Mon amour, ma passion, mon trésor,

Dis-moi z-oui, dis le me le z-encor,

Mon extas' mon désir,

Mon extas', mon désir,

Je te veux... De te voir ça m'excite ;
Veux-tu, partons bien vite ?

 

PIMPRENELLE. — Quoi... vous voulez que nous partions maintenant ?

KELBIBINE. — Oui, donc !

PIMPRENELLE. — Où ça ?

KELBIBINE. — Mais dans ma chambre, donc déjà !

PIMPRENELLE. — Oh ! décidément, mon cher, on voit que vous n'avez pas l'habitude de fréquenter les honnêtes femmes...

KELBIBINE. — Pourquoi ça ?...

PIMPRENELLE. — Parce qu'avec une femme du monde il est d'usage de tenir ses promesses avant de demander quoi que ce soit.... Donnez-moi d'abord les quinze mille francs. Nous verrons après...

KELBIBINE. — Soit. Je vais voir si mon abruti de secrétaire est allé chercher la somme aux Chantiers de Normandie...

PIMPRENELLE. — Bien ; allez, je vous attends.

KELBIBINE. — Je vole... à très bientôt, paroxysme de mon amour !

(Il sort).

PIMPRENELLE, seule. — Décidément, pour bien faire ses affaires, quand on est grue, il faut être mariée... (Elle s'installe à une table et feuillette des illustrés).

 

 

SCÈNE XX
LABISTOQUE, PIMPRENELLE

 

LABISTOQUE, entrant. — Quel charmant garçon que ce La Ralingue !... Il m'a donné les éléments d'un rapport sensationnel... Mais maintenant que les affaires sérieuses sont réglées, si on songeait un peu à la rigolade... (Apercevant Pimprenelle). Tiens ! Une femme ! Et jolie encore !... Ohé ! Ohé ! Essayons... Pardon, madame... vous attendez peut-être quelqu'un ?

PIMPRENELLE, à part. — Toi, tu me prends pour une grue ! Je vais t'épater ! (Haut). Précisément, j'attends mon mari.

LABISTOQUE, à part. — Zut !

PIMPRENELLE. — Le lieutenant de vaisseau La Ralingue...

LABISTOQUE, à part. — Pan, la gaffe ! Rattrapons là ! (Haut). Comment, vous êtes la femme de M. La Ralingue ?...

PIMPRENELLE, un peu inquiète. — Vous le connaissez ?

LABISTOQUE. — Oui, depuis un quart d'heure. Mais nous sommes déjà très bons amis...

PIMPRENELLE. — Alors, enchantée, monsieur ! Mais à qui ai-je l'honneur ?

LABISTOQUE. — M. Labistoque, député.

PIMPRENELLE. — Et vous êtes ici en vacances, monsieur ?

LABISTOQUE. — Pas tout-à-fait ! (D'un air important). Je prépare mon rapport sur le budget de la marine : Gros travail ! Pensez donc, six cents millions à équilibrer !

PIMPRENELLE. — Six cents millions ! (A part). Il ne faut pas laisser échapper ça ! (Haut). Et vous maniez, sans trembler, de pareilles sommes ?

LABISTOQUE. — L'habitude...

PIMPRENELLE. — Vous êtes un homme admirable !

LABISTOQUE. — Vous exagérez... Mais ce compliment me touche, venant de la compagne d'un officier aussi brillant que M. La Ralingue.

PIMPRENELLE. — Oh ! je vous en prie, ne parlons pas de mon mari. Je ne veux pas plus m'occuper de lui qu'il ne s'occupe de moi...

LABISTOQUE. — Comment, il vous délaisse, vous, une femme charmante ?...

PIMPRENELLE. — Hélas, oui... Et moi, voyez-vous, (langoureusement) j'ai besoin d'affection...

LABISTOQUE, à part. — Comme elle me regarde...

PIMPRENELLE, se rapprochant de lui peu à peu. — Il me faut un amour violent, passionné... Je suis prête à me donner sans réserve à l'homme que j'aurai remarqué... Je suis sûre que la sympathie irréfléchie qui m'entraînera vers lui ne me trompera pas. Il pourra m'emporter, pantelante de désir, impatiente de goûter avec lui les plus exquises voluptés...

LABISTOQUE, l'étreignant brusquement. — Oui, je le sens, vous m'aimez !

PIMPRENELLE, avec une candeur affectée. — Comment, vous m'aviez devinée ?

LABISTOQUE. — Ah ! ne restons pas ici. Venez...

PIMPRENELLE, le suivant. — Non... non... pas encore.

LABISTOQUE, l'entraînant. — Mais si... de suite... Venez... Viens...

PIMPRENELLE, même jeu. — Non... (A part). Six cents millions, y a du pied !…

LABISTOQUE. — Viens... (A part). Pourvu que ça marche, grand Dieu ! (Haut). Viens... Dis-moi ton petit nom !...

PIMPRENELLE. — Pimprenelle.

LABISTOQUE. — Pimprenelle !

 

COUPLET

Air : PHILOMÈNE (Refrain)

Ah ! vraiment, Pimprenelle, Pimprenelle,

Ah ! quel joli nom !

Et, comm' tu n'es pas bien cruelle,
J' te gobe avec passion.

Viens, et tu verras, ô ma tourterelle,

Combien ça s'ra bon !

Ah ! vraiment, Pimprenelle, Pimprenelle,

C'est un joli nom !

(Ils sortent à droite, deuxième plan).

 

 

SCÈNE XXI

CARTAHUT, puis LE PREMIER MAÎTRE D'HÔTEL et PÉRINAÏK, puis KELBIBINE

 

CARTAHUT, entrant. — Ah ça ! Où c'est-il qu’elle est passée, la poule au cap'taine ? Je lui cours après depuis un bon moment, et chaque fois elle me glisse dans les doigts... Elle n'est pas avé le Kelbibine... Je l'ai aperçu tout seul en venant… C'est que je ne suis pas rassuré avec elle... Elle vous ferait le capitaine cocu comme on siffle un pataclé. Si j'allais voir dans la chambre...

(Il va pour monter, quand paraît le premier maître d'hôtel).

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Monsieur La Ralingue, il y a là un matelot qui demande à vous parler.

CARTAHUT, étonné. — Un matelot ? Comment qu'il s'appelle ?

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Cartahut.

CARTAHUT, sursautant. — Hein ? Quoi ?

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Oui… c'est bien ça... Cartahut.

CARTAHUT. — Ah bien ! Par exemple, je ne serais pas fâché de le voir, celui-là ! (Au maître d'hôtel). Faites-le venir.

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Bien, monsieur. (Il sort).

CARTAHUT, à part. — Qu'est-ce que c'est que cette galéjade ?

LE MAÎTRE D'HÔTEL, introduisant Périnaïk en matelot. — Par ici, mon garçon.

PÉRINAÏK, saluant militairement. — Bonjour, cap'taine...

(Le maître d'hôtel sort).

CARTAHUT, se retournant. — Qués aco ?... (Il s'approche). Ah ça ! Mais je ne me trompe pas... C'est toi...

(Il pouffe de rire).

PÉRINAÏK. — C'est moi... Comme j'étions inquiète de savoir ce que tu faisais et que je ne pouvions point te suivre habillée en bretonne, j'ons mis ton costume ; au moins comme ça, que j' m'ai dit, j' pourrons l'accompagner partout où qu'il ira...

CARTAHUT. — Non ! Mais avance un peu !... (Il rit). C'est que tu fais là un mousse qui n'est pas dans une canule à lavement... Non... mais pige-moi cette paire de bossoirs... capoun de Boun diou ! et cet étambot...

(Il lui tape sur le derrière).

PÉRINAÏK. — Est-ce que tu me trouves bien ?...

CARTAHUT. — Eh ! alors, il faudrait que je sois difficile... Je te promets que s’il y avait beaucoup de mathurins comme toi en escadre, lou capéon rouge ne ferait pas ses affaires !

PÉRINAÏK. — Alors, je te plaisions autant que toutes ces poupées qui te courent après ?

CARTAHUT. — Jalouse ! va... Mais tu es très bien, pitchoune !... (A part). C'est curieux ce qu'elle m'excite, comme ça ! (Haut). Allons, viens un peu sur mes genoux... Et fais-moi vite la bise... Eh !... (Elle l'embrasse). Mieux que ça...

(Kelbibine entrant à ce moment, les aperçoit et pousse une exclamation étouffée).

PÉRINAÏK, se dégageant. — Ma doué ! S'il venait du monde !

CARTAHUT. — Tu as raison... Viens... (A part). Il est temps que je m'occupe un peu de moi !... Viens...

(Il l'entraine vers la gauche. Ils sortent en s'embrassant à pleine bouche).

 

 

SCÈNE XXII
KELBIBINE, puis NITCHEVO

 

KELBIBINE, seul. — Par saint Athanase, par saint Théodore, par saint Zacharie, voilà qui est plus fort que tout ce que la conception peut imaginer !... La Ralingue avec un matelot... Ça, c'est complet... (Eclatant d'un gros rire). Il n'y a pas à dire, il est plein d'imprévu. Il est effroyable...

NITCHEVO, entrant. — Excellence !

KELBIBINE, riant toujours. — Il est effroyable !...

NITCHEVO. — Plaît-il ?

KELBIBINE. — Non... tu ne comprendrais pas... Eh bien, tu es allé aux Chantiers de Normandie ? On t'a remis l'argent ?

NITCHEVO. — On me le remettra ce soir, Excellence ; mais comme il ne reste plus assez de crédit pour construire un croiseur... on ne fera qu'un torpilleur...

KELBIBINE. — C'est bien suffisant... Et les invitations pour la fête ?

NITCHEVO. — Je m'occupe de les distribuer.

KELBIBINE. — Bien. (A part). Madame La Ralingue ne m'a pas attendu. Il faut que je la retrouve de suite. Le spectacle du matelot m'a furieusement exaspéré de désir charnel.

(Il sort).

 

 

SCÈNE XXIII
NITCHEVO, puis LE DEUXIÈME MAÎTRE D'HÔTEL, puis LA RALINGUE et RAYMONDE

 

NITCHEVO, sortant de sa poche une liasse d'enveloppes. — Voyons un peu... M. Durand... M. Dubois... (En tirant une). Ah ! (La remettant au maître d'hôtel, au moment où La Ralingue entre avec Raymonde). Vous remettrez ceci à M. La Ralingue.

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Bien, monsieur. (Nitchevo sort sans voir La Ralingue).

LA RALINGUE, au Maître d'hôtel. — M. La Ralingue ? Mais c'est moi... donnez... (Il lit). « L'amiral Kelbibine et les officiers du Samovar prient Monsieur et (avec étonnement) Madame La Ralingue d'assister à la fête qu'ils donnent ce soir à la légation moldo-valaque. »

RAYMONDE. — Il y a monsieur et madame ?

LA RALINGUE. — Oui… on a dit sans doute que j'étais marié...

RAYMONDE. — Je serai donc, pour la circonstance, Mme La Ralingue.

LA RALINGUE. — Ce qui me permet d'ailleurs de vous donner un nom, puisque vous refusez obstinément de me faire connaître le vôtre.

RAYMONDE. — Ne vaut-il pas mieux conserver à notre aventure le mystère qui en fait le charme ?

LA RALINGUE. — Comme vous voudrez. (Un temps). Il est curieux tout de même que Cartahut ne soit pas venu nous chercher à la gare... Comme je n'ai trouvé sa lettre que ce matin à Paris, puisque nous nous sommes arrêtés trois jours à Fontainebleau, je lui ai télégraphié pour le prévenir de notre arrivée... Il a dû recevoir ma dépêche... (Mettant la main à sa poche, il en tire une formule télégraphique). Ah ! sapristi !

RAYMONDE. — Quoi ?

LA RALINGUE. — J'ai oublié de l'envoyer !

RAYMONDE. — Quel étourdi !

LA RALINGUE. — Voilà... Quand on est amoureux !...

RAYMONDE. — Il faudrait pourtant penser à nous loger...

LA RALINGUE, au maître d'hôtel. — Vous avez une chambre ?

LE MAÎTRE D'HÔTEL. — Oui, monsieur, j'en ai une très bonne, au 32. Si monsieur veut visiter...

RAYMONDE. — Allez-y seul, mon ami. Je me sens un peu fatiguée...

LA RALINGUE, au maître d'hôtel. — Je vous suis.

(Il sort à gauche, premier plan, avec le maître d'hôtel).

 

 

SCÈNE XXIV
RAYMONDE, GRENOUILLETTE
(Raymonde, dans un fauteuil, feuillette un illustré).

 

GRENOUILLETTE, entrant, une lettre à la main et allant à la loge du portier. — Pour M. La Ralingue... Tiens ! il n'y a personne ! Eh bien... je vais la laisser là. (Elle pose la lettre sur le guichet et sort).

RAYMONDE. — Oh par exemple ! Pour M. La Ralingue ?.. Ma foi, tant pis !... (Elle va prendre la lettre, l'ouvre et lit :) « Mon lapin doré, je suis venue à l'hôtel à six heures, tu n'étais pas là. Tâche de plaquer ton crampon, et viens dîner avec moi. Signé : Ta Grenouillette. » (Avec indignation). Oh !

 

 

SCÈNE XXV
LA RALINGUE, RAYMONDE

 

LA RALINGUE. — La chambre est très confortable, chère amie...

RAYMONDE, se contenant avec peine. — Même pour un crampon ?

LA RALINGUE. — A qui en avez-vous ?

RAYMONDE. — Mais à vous, monsieur ! Il était inutile de m'emmener ici pour me tromper avec des grenouilles, que dis-je, avec des Grenouillettes !...

LA RALINGUE. — Je ne vous comprends pas...

RAYMONDE. — Vous faites l'innocent. Lisez. (Elle lui tend la lettre).

LA RALINGUE. — Ah ! par exemple ! Mais... je ne connais pas cette personne ; il y a là un simple malentendu que Cartahut nous aidera à éclaircir...

RAYMONDE. — En attendant, je ne veux pas rester ici une minute de plus.

LA RALINGUE. — Mais, Raymonde...

RAYMONDE. — Inutile... Adieu !...

(Elle sort).

LA RALINGUE. — Raymonde... Raymonde...

(Il sort).

LE MAÎTRE D'HÔTEL, courant après La Ralingue. — Monsieur, monsieur, on va sonner le dîner !... (Après que La Ralingue est sorti). En voilà de drôles de clients !

 

 

SCÈNE XXVI
TOUT LE MONDE

 

PIMPRENELLE, sortant de la chambre de Labistoque. — Eh bien, vous savez ! je ne vous fais pas mes compliments.

LABISTOQUE. — Je prendrai ma revanche...

PIMPRENELLE. — Espérons-le.

LABISTOQUE, à part. — Ça n'a pas marché du tout... (On sonne la cloche du dîner).

KELBIBINE, entrant, à Pimprenelle. — Ah ! vous, enfin ! Je n'ai pu vous joindre.

PIMPRENELLE, avec un geste de présentation. — J’étais avec M. le député Labistoque.

KELBIBINE, avec un mouvement de contrariété. — Ah !... Enchanté !... (Il salue un peu froidement Labistoque qui rend le salut. Puis bas à Pimprenelle). Je vous remettrai l'argent ce soir.

PIMPRENELLE, montrant Cartahut qui entre. — Chut, mon mari !...

CARTAHUT, allant à Pimprenelle. — Ah ! vous voilà ?... Qu'avez-vous donc fait ?

PIMPRENELLE. — Oh ! rien de particulier...

GRENOUILLETTE, bas à Cartahut. — Dis donc, mon béguin, si nous dînions tous les deux ?

PÉRINAÏK, en matelot, entrée derrière Cartahut, d'un air narquois, à Grenouillette. — Non, le cap'taine n'a plus faim...

KELBIBINE. — Mesdames et messieurs, je vous rappelle que je compte sur vous tous pour ma fête de ce soir.

TOUS. — Entendu.

LES OFFICIERS. — Hollavach ! Hollavach !

 

ENSEMBLE
Air : VENEZ, LES AMOUREUX (Refrain)

Allons tous d'un pas léger

Dans la grand' salle à manger.

Le menu des plus savants

Nous donn'ra sûr'ment de l'agrément ;

Donc, gaiement attablons-nous...

Puisque l'on offr' ce soir une fête,

C'est bien le moins qu'on nous permette,

Pour bien danser,

De bien manger.

(Rideau).

 

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME

 

 

TROISIÈME TABLEAU

 

Au Havre. — Les jardins de la Légation moldo-valaque

 

 

A droite, deuxième plan, perron praticable, donnant dans les salons très éclairés. A gauche, une serre praticable. Guirlandes électriques, lanternes vénitiennes dans les arbres. Sorties sur les côtés. Au fond, sur des tréteaux, un buffet garni. Au premier plan à droite : un fauteuil de jardin.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

CARTAHUT, en pantalon blanc, redingote, aiguillettes, épaulettes, ceinturon sans sabre, casquette à coiffe blanche ; LES OFFICIERS MOLDO-VALAQUES ; LES DEMI-MONDAINES : GRENOUILLETTE, LIANE, DIANE, SUZETTE, SOLANGE, FRANCINE, LÉA, LUCIE, FLORE, JULIE ; VALETS DE PIED, au buffet.

(Quand le rideau se lève, les couples achèvent une danse. Cartahut danse avec Grenouillette, et la fait tourner avec exagération).

 

Air : LE PETIT BOUT D'HOMME (refrain)

Allons-y, tricotons des gambettes !

Elle est très réussi', cette fête !

Il y a tell'ment d' mond' que l' grand salon est plein

Et qu'on est obligé de descendre au jardin !

C'est charmant ces ombrages,

Ces feuillages,

Pour un bal cet endroit est parfait,

Et, c' qu'il y ya d' plus chic (bis), c'est qu'on dans' devant l' buffet.
(Sur le dernier accord, tout le monde s'arrête, sauf Cartahut qui continue à faire tournoyer Grenouillette.)

 

DIANE. — Eh bien ! voyons... Monsieur La Ralingue, c'est fini !

CARTAHUT, s'arrêtant. — Oh ! moi... vous savez, une fois que je suis parti, je ne m'arrête plus.

GRENOUILLETTE, s'éventant. — C'est pas pour dire... mais il vous a une façon de danser...

CARTAHUT. — Hé bé ! On sait y faire !

DIANE. — Elle est très réussie, la fête de notre ami Kelbibine.

CARTAHUT. — Pas mal ! Mais ça ne vaut pas les bals du Casino, à Toulon !...

SUZETTE. — Ça, c'est vrai !

(On entoure le buffet. Les valets de pied servent).

GRENOUILLETTE, prenant Cartahut à part. — Et nous deux.... quand ça se fera-t-il ?

CARTAHUT. — As pas peur, pitchoun ! Mais, pour le moment, j'ai une soif qu'un petit enfant en pleurerait... J'en ai la langue qui pèle...

GRENOUILLETTE. — Alors, une coupe de champagne ?

CARTAHUT. — Qué coupé ! Té foutés dé iou ? Une coupe !... Une bouteille, voilà ce qu'il me faut. (Au valet de pied) Une bouteille de Mümm cordon rouge pour Bibi.

TOUS. — Bravo !

CARTAHUT, buvant à même la bouteille et la rendant vide. — Voilà... Ça fait du bien par où ça passe... (A part). Ma foi, le cap'taine, il aurait bien tort de revenir ; je commence à m'habituer à jouer son rôle.

GRENOUILLETTE. — Et, maintenant, on va se reposer un peu ?

CARTAHUT. — Se reposer ? Tu le voudrais pas. Je vais vous montrer une nouvelle danse que j'ai rapportée des colonies.

TOUS. — Une nouvelle danse ?

CARTAHUT. — Oui, les enfants, la danse du Zambèze.

(Il prend Grenouillette).

 

COUPLET

Air : DANSE DU ZAMBÈZE

Pour les femm's, ne vous déplaise,

Rien ne vaut la dans' du Zambèze.

Inutil' de faire des façons :

On la leur apprend en un' leçon.

Y a rien d' tel pour les séduire :

Tout de suite on les voit sourire

Aussitôt qu'avec un bon danseur

Ell's ont fait un tour en douceur !

Et l' pays

Où l'on s' trémousse ainsi...

REFRAIN

C'est à côté de Zanzibar,

Pas bien loin de Madagascar ;

Quand la danse commence,

Bien en cadence :

On dit : Veux-tu v'nir avec moi,

Et j' vais montrer à fair', ma foi,

La danse du Zambèze avec moi !

(Danse et sortie sur le refrain. Grenouillette reste seule en scène).

 

 

SCÈNE II

GRENOUILLETTE, LABISTOQUE

 

GRENOUILLETTE, seule. — Ouf ! J'en ai assez ! (Elle se retourne et aperçoit Labistoque qui vient d'entrer). Tiens, ce vieux Labistoque ! Comment, vous êtes aussi de la fête ?

LABISTOQUE. — Naturellement.

GRENOUILLETTE. — Toujours noceur, hein, comme l'année dernière !

LABISTOQUE. — Heu ! heu ! L'année dernière j'étais plus jeune... Tandis que cette année, je suis sujet à... de terribles défaillances...

GRENOUILLETTE. — Allons donc !

LABISTOQUE. — Tenez. J'étais avec une personne pour laquelle… je ressens un sentiment...

GRENOUILLETTE. — On a compris... Continuez...

LABISTOQUE. — Eh bien, au moment de lui prouver mon... amour... pfutt !... comme un foulard !

GRENOUILLETTE. — Oh ! mon pauvre ami...

LABISTOQUE. — C'est très, très, très embêtant !

GRENOUILLETTE — Oui. (Frappée d'une idée subite). Oh !... je me rappelle... (A Labistoque). Eh bien, vous pouvez vous vanter d'avoir de la chance !

LABISTOQUE. — Moi ?

GRENOUILLETTE. — J’ai entendu tout à l'heure, dans un salon, des gens qui disaient que le docteur Matchinekoff était invité à la fête de ce soir.

LABISTOQUE. — Matchinekoff ? Ce jeune savant qui a inventé le sérum régénérateur ?

GRENOUILLETTE. — Oui.

LABISTOQUE. — Mais avec une piqûre... il changerait mon foulard... en épingle de cravate !

GRENOUILLETTE. — Seulement... voilà.. Il paraît que Matchinekoff ne veut pas faire de clientèle au Havre...

LABISTOQUE. — Diable ! Il faut absolument que je prenne ma revanche de mon affront de cet après-midi !

GRENOUILLETTE. — Alors, mon cher ami, tâchez de découvrir le docteur !

LABISTQQUE. — Comme c'est commode !... Je ne le connais pas !... Et dans la conversation que vous avez surprise, on n'a donné aucun détail qui puisse permettre d'identifier à l'occasion, ce satané Matchinekoff ?

GRENOUILLETTE, cherchant. — Attendez donc... Oui, c'est ça... on a dit qu'il se promenait toujours seul, absorbé dans ses réflexions...

LABISTOQUE. — C'est déjà un signalement... Je saurai bien le décider à venir à mon secours... Ma petite Grenouillette... vous me sauvez !

GRENOUILLETTE. — Et je me sauve aussi ! J'ai également une revanche à prendre... (Elle va pour sortir).

LABISTOQUE. — Faites… Au revoir... et merci !

(Grenouillette sort).

 

 

SCÈNE III
LABISTOQUE, puis KELBIBINE

 

LABISTOQUE, seul. — Allons ! la situation s'améliore !... Mais, sapristi, j'y songe !... Si Matchinekoff n'exerce pas ici, il n'aura pas sur lui le matériel nécessaire... Je cours chez le premier pharmacien venu et...

KELBIBINE, entrant en grande tenue, avant la fin de la réplique et le rappelant. — Monsieur le député !... Je suis effroyablement satisfait de faire votre rencontre.

LABISTOQUE. — C'est que je suis un peu pressé...

KELBIBINE. — Moi aussi ; j'ai besoin d'avoir avec vous un entretien spécial et particulier.

LABISTOQUE. — A quel propos ?

KELBIBINE. — A propos... de Mme La Ralingue.

LABISTOQUE. — Ah !

KELBIBINE. — Oui... Vous lui faites des assiduités dans le désir intentionnel de la... dormir avec.

LABISTOQUE. — Ah ! vous savez...

KELBIBINE. — Je sais... et comme je suis moi aussi dans le même désir, je vous demanderai de renoncer à cette personne...

LABISTOQUE. — Et pourquoi ça, je vous prie... ?

KELBIBINE. — D'abord parce qu'il me déplaît, et puis parce que vous n'avez aucune chance...

LABISTOQUE. — Croyez-vous...?

KELBIBINE. — Je crois... Moi seul ai l'espérance de donner satisfaction à Mme La Ralingue sous le rapport de l'amour...

LABISTOQUE. — C'est curieux. Je prétends, moi aussi, avoir cet espoir...

KELBIBINE. — Vous êtes dans l'erreur... Tenez, je fais le pari avec vous...

LABISTOQUE. — Un pari ?

KELBIBINE. — Oui... Celui de nous deux qui dormira le premier avec Madame La Ralingue, gagnera le pari et l'autre lui paiera...

LABISTOQUE. — Un déjeuner ?

KELBIBINE. — Non pas ! quinze mille francs.

LABISTOQUE. — Bigre ! (A part). Bah, avec le sérum, qu'est-ce que je risque ? (Haut). Eh bien, entendu !

KELBIBINE. — Entendu !

 

COUPLET
Air : AH ! VOUI (refrain)

KELBIBINE

Ah ! oui ! je posséd'rai cette femme !

LABISTOQUE

Ah, ! oui ! j'exécut'rai mon programme.

KELBIBINE, à part

Je n'ai qu'à montrer mes bank-notes,

LABISTOQUE, à part

J'ai l' sérum qui ravigote ;

ENSEMBLE

Ah ! oui !

J' gagn'rai le pari !

(Labistoque sort).

 

 

SCÈNE IV
KELBIBINE, puis CARTAHUT

 

KELBIBINE, seul. — Ce que j'ai fait est astucieux ! Gomme Mme La Ralingue tombera dans mes bras dès que je lui aurai remis les quinze mille francs qu'elle attend, je gagnerai le pari, et, en gagnant le pari, je m'introduirai dans mes frais... C'est la première fois que j'aurai eu une femme à l'œil, et la première fois aussi que les quinze mille francs d'un député auront servi à quelque chose !

CARTAHUT, entrant, il a la tunique déboutonnée et s'éponge le front. — Couqui dé Diou ! qué fa çao ! ça fait rien... c'est fatigant de remplacer le cap'taine.

KELBIBINE. — Ah ! capitaine ! Laissez-moi vous dire que je suis absolument satisfait ; grâce à vous, la soirée est pleine d'un entrain formidable !

CARTAHUT. — Oh ! moi, vous savez, pour ce qui est d'organiser une ribouldingue... ça me connaît..

KELBIBINE. — A merveille... Mais je suis énormément surpris de n'avoir pas encore aperçu Mme La Ralingue.

CARTAHUT. — Oh ! c'est cocasse... J'allais justement vous demander de ses nouvelles...

KELBIBINE. — A moi ?

CARTAHUT. — Bien sûr, à vous !... Voyons, ce n'est pas la peine de me prendre pour un fanfre. Allons, là, franchement, vous avez dû vous en payer avec la petite, vieux farceur ?

KELBIBINE, vivement. — Rien, cher ami, rigoureusement rien.

CARTAHUT. — Ah ? Rien ?... Personnellement, ça m'est égal.... Mais j'aime mieux ça...

KELBIBINE, avec un gros rire. — Il est effroyable !

CARTAHUT, frappé d'une idée subite. — Mais, sapristi, si elle ne s'occupe pas avec vous, elle est bien fichue de s'occuper ailleurs !

KELBIBINE. — Eh bien, cher excellent ami, comme vous m'êtes très sympathique, je considère comme un devoir de vous signaler l'empressement exagéré de ce monsieur le français député, qui m'a apparu très entrepreneur dans le vis-à-vis de madame votre épouse...

CARTAHUT. — Je vous vois venir : vous voulez parler du copain Labistoque ?

KELBIBINE. — Justement !

CARTAHUT. — Alors, vous croyez que cette garce... (Se reprenant) que ma femme s'en laisse conter par ce vieux détritus ?

KELBIBINE. — J'en ai peur.

CARTAHUT, énergiquement. — Pas de ça, Lisette !... je ne marche pas... j'ai les pieds en savon de Marseille... en savon mou... Je vais allez voir si elle est arrivée, et si le Labistoque il est là, je l'étrangle...

KELBIBINE, précipitamment. — Pas de drame, n'est-ce pas ? J'ai une peur terrible de ces choses...

CARTAHUT. — Allons donc... c'est très rigolo les drames... au théâtre...

KELBIBINE. — Au théâtre, peut-être... mais pas dans la vie... Ainsi, tenez... moi, j'ai été amalgamé à un drame d'amour...

CARTAHUT. — Vous ?

KELBIBINE. — Il y a longtemps de cela... à Cherbourg, j'ai séduit la femme d'un de vos collègues, un officier ; le mari l'a su et a fait serment de me tuer partout où il me rencontrerait... Alors... c'est plus fort que moi, toutes les fois qu'on parle d'un drame passionnel...

CARTAHUT. — Ça vous fiche la cacagne ? Je comprends ça !

KELBIBINE. — N'est-ce pas ?...

CARTAHUT. — Et le nom de l'officier ?

KELBIBINE. — Ça... c'est curieux... je l'ai oublié !... La femme s'appelait Nini, ou Zizi, ou Cloclo... je ne me souviens plus... Attendez... si : elle s'appelait... ça finit par un a...

CARTAHUT. — Ne vous donnez pas la peine... c'est de la vieille histoire... ça n'a aucune importance... Mais je vous demande pardon... Je vais retourner au bal pour surveiller un peu Labistoque...

KELBIBINE. — Allez, chez ami.

CARTAHUT, à part, en sortant. — Il faudra bien que je la fasse filer, cette Pimprenelle !

(Il sort).

 

 

SCÈNE V
KELBIBINE, NITCHEVO

 

KELBIBINE, seul. — Je l'ai lancé sur la piste du Français député ; de cette façon il ne s'occupera pas de moi... Mais j'avais commandé que l'on m'apportât, ici, Nitchevo.

NITCHEVO, apparaissant. — Excellence !

KELBIBINE. — Ah ! te voilà, individu ! Tu as touché l'argent ?

NITCHEVO. — Oui, Excellence.

KELBIBINE. — Et tu as préparé un chèque ?

NITCIIEVO. — Oui, Excellence... de quinze mille francs.

KELBIBINE. — Très bien ! Tu vas décrire un mot sur ma carte... tu y es ?...

NITCHEVO. — Oui, Excellence.

KELBIBINE. — Décris... (Il dicte). « L'amiral Kelbibine a le plaisir de remettre ci-inclus à Mme La Ralingue, les quinze mille francs qu'elle lui a demandés. Il espère qu'en échange, elle voudra bien tenir sa promesse de voluptés et se trouver à onze heures dans le petit salon rouge, au bout de la galerie. On lui montrera ce que c'est que l'amour en Moldo-Valachie. On lui baise les mains... en attendant mieux. » Je crois qu'elle comprendra... Tu as décrit ?

NITCHEVO. — Oui, Excellence.

KELBIBINE. — Bien ; tu vas glisser cette carte dans l'enveloppe avec les quinze mille francs et tu remettras le tout à Mme La Ralingue dès qu'elle arrivera.

NITCHEVO. — Bien, Excellence.

KELBIBINE. — Reste ici pour l'attendre. Moi, je retourne dans la fête.

NITCHEVO. — Bien, Excellence.

(Kelbibine sort).

 

 

SCÈNE VI
NITCHEVO, LE PREMIER VALET DE PIED

 

NITCHEVO, seul, se retournant et apercevant le buffet. — Oh ! le buffet !

LE PREMIER VALET DE PIED. — Un verre de citronnade, M. Nitchevo ?

NITCHEVO. — De la citronnade ! A moi ! Quelle profanation !... Du champagne, petit père ; je veux du champagne.

LE PREMIER VALET DE PIED, lui remettant un magnum. — En voilà une bouteille.

NITCHEVO. — Merci, mon petit père. Je vais aller dans un endroit écarté, savourer le vin français avec religion. (Au moment de sortir). Ah ! voilà une lettre importante. Je te le confie ; tu la remettras à Madame La Ralingue... (A la bouteille qu'il tient devant lui à deux mains). Oh ! petite sœur ! Petite sœur champagne ! (Il sort).

 

 

SCÈNE VII

LE PREMIER VALET DE PIED, LA RALINGUE, RAYMONDE

(Ils rentrent en discutant).

 

LA RALINGUE, à Raymonde. — Ecoutez, mon amie, pourquoi revenir là-dessus, puisque je vous ai donné ma parole que je ne comprenais rien à toute cette histoire ?...

RAYMONDE. — C'est bon, c'est bon. Ah ! dans quelle sotte aventure me suis-je lancée ?

 

COUPLET

Air : ON N'Y PENSE PAS

I

On trouve un peu fad' la vi' de ménage :

Un jour on rencontre un garçon charmant ;

On prête l'oreille à son bavardage,

On se laisse prendre à son boniment.

Et puis, il vous press', le tendre jeune homme,

De sort' qu'à la fin on tomb' dans ses bras.

Si c'est amusant de croquer la pomme,

C'est dang'reux aussi !... Mais on n'y pense pas !

II

On part avec lui. D'abord c'est l'idylle.

On fait des bêtis's le long du chemin ;

Sûr de son amant, on est bien tranquille,

On marche tous deux, la main dans la main.

N'a-t-il pas promis amour éternelle?

Mais l’ mensong' pour l'homme est rempli d'appas !

Un jour il vous tromp' pour un' péronnelle !

Il fallait l' prévoir... Mais on n'y pens' pas !

 

LA RALINGUE. — Encre une fois, je vous jure que je ne connais pas cette demoiselle Grenouillette..

RAYMONDE. — Nous verrons bien. Je ne vous ai accompagné à cette fête que pour tirer l'affaire au clair...

LA RALINGUE. — Et moi, c'est uniquement pour vous prouver mon innocence que j'ai accepté d'y venir, car je n'ai pas d'uniforme, puisque cet animal de Cartahut a emporté ma grande tenue... et que je n'ai pu parvenir à le rejoindre.

RAYMONDE. — Bah ! Vous vous excuserez de venir en habit... voilà tout...

LA RALINGUE. — Mais quittez donc votre manteau, chère amie.

RAYMONDE. — Si vous voulez !

LA RALINGUE, au premier valet de pied. — Valet de pied, portez donc au vestiaire le manteau de Madame La Ralingue...

LE VALET DE PIED. — Ah ! madame est madame La Ralingue ?

LA RALINGUE, vivement. — Mais, naturellement !

LE VALET DE PIED. — Dans ce cas, madame, voici une lettre que je suis chargé de vous remettre de la part de l'amiral Kelbibine...

RAYMONDE. — Une lettre pour moi ?

LE VALET DE PIED. — Oui, madame.

RAYMONDE. — Donnez... (Le valet de pied donne la lettre et s'éloigne). Tiens !... un chèque...

LA RALINGUE. — Qu'est-ce que ça veut dire ?

RAYMONDE, qui a lu. — Ah ! par exemple ! C'est violent !...

LA RALINGUE, se penche sur elle et lit. — Tiens ! Tiens !... Vous connaissez fort bien l'amiral... à ce que je vois...

RAYMONDE. — Mais pas du tout, mon ami, je vous assure...

LA RALINGUE. — Je comprends, à présent, votre insistance à vous rendre à cette fête...

RAYMONDE. — Encore une fois, je vous jure...

LA RALINGUE. — Il suffit... Vous refusez de me croire, moi, et vous voudriez que je vous croie, en présence de ceci.... qui me semble assez significatif.

RAYMONDE. — Il y a là une méprise...

LA RALINGUE. — C'est à voir. Je vais aller trouver l'amiral...

 

 

SCÈNE VIII

LES MÊMES, CARTAHUT, LES DEMI-MONDAINES, DES OFFICIERS

(Au moment où La Ralingue et Raymonde, discutant toujours, gravissent les degrés du perron, les mondaines et les officiers font irruption en farandole, conduits par Cartahut qui a quitté sa redingote et est en pantalon blanc et tricot).

 

ENSEMBLE

Air : TOUT EN ROSE (Refrain, repris deux fois)

En avant ! c'est la farandole !

De l'entrain, nous en avons tous,

Et les dam's s'amus'nt comm' des folles,

Les messieurs (bis) comme des fous !

(La farandole fait le tour de la scène. Cartahut fait passer tout le monde et, au moment de sortir le dernier, s'arrête au buffet pour boire du champagne à la bouteille).

 

LA RALINGUE, qui depuis l'entrée de la farandole a suivi Cartahut du regard avec l'air de quelqu'un qui n'en croit pas ses yeux. — Mais... c'est Cartahut (Descendant les degrés du perron). Cartahut !

CARTAHUT, s'arrêtant. — Qui m'appelle ? (Il se retourne et aperçoit La Ralingue). Bon diou !.. Le cap'taine...

LA RALINGUE. — Eh bien !.. quoi !.. Qu'est-ce que tu fais là ?... Qu'est-ce que c'est que cette tenue ?

CARTAHUT, embarrassé. — Cap'taine... c'est rapport à ce que j'ai donné un coup de main pour le gros ouvrage.

LA RALINGUE. — Veux-tu me dire comment il se fait qu'après t'avoir cherché vainement partout, je te trou­ve ici...

CARTAHUT, bredouillant. — Cap'taine... c'est que...

LA RALINGUE. — Allons.., parle, dépêche-toi...

CARTAHUT. — Voilà... figurez-vous...

LA RALINGUE. — Au fait, non ! Nous verrons plus tard. Avant tout, tu vas me conduire auprès de l'amiral Kelbibine... Allons vite ; mets ton béret et ta vareuse...

CARTAHUT. — C'est que...

LA RALINGUE. — Quoi ?

CARLAHUE. — Je les avais posés là, tout à l'heure, et...

LA RALINGUE. — Bougre d'andouille, tu les as égarés ? (A Raymonde). Je ne peux pourtant pas lui faire traverser les salons dans cette tenue... (A Cartahut). Attends-moi ici, et tâche de retrouver tes vêtements... (A Raymonde). Venez, chère amie... (En sortant). Il me faut une explication, et je l'aurai.

(Il sort avec Raymonde).

 

 

SCÈNE IX
CARTAHUT, seul, puis KELBIBINE

 

CARTAHUT, seul. — Oh ! que ça sent mauvais ! Si encore il était de bonne humeur, on pourrait causer ! mais grinchu comme il est, s'il rencontre le Kelbibine !...

KELBIBINE. — Comment, cher ami, vous, dans ce costume ?...

CARTAHUT. — Je vais vous dire... c'est la chaleur...

KELBIBINE. — Et vous vous êtes mis dans votre aise ?

CARTAHUT. — Tout juste !...

KELBIBINE, riant. — Il est effroyable !

CARTAHUT. — Tenez, vous devriez en faire autant... Allons, Kelbibine, allez-y, faites sauter la veste !

KELBIBINE. — Impossible... Et la pancarte ?

CARTAHUT. — La pancarte ? Qué pancarte?

KELBIBINE. — Pardon. Je voulais dire l'étiquette.

CARTAHUT. — Ah ! Bon ! (A part, en riant). La pancarte !

KELBIBINE. — Mais, dites-moi... votre charmante femme est-elle arrivée ?...

CARTAHUT. — Ah ! il s'agit bien d'elle !...

KELBIBINE. — Et de qui donc s'agit-il ?

CARTAHUT. — De qui ?... de qui ?... (A part). Oh ! quelle idée ! (Haut, à Kelbibine). Vous savez, l'homme de Cherbourg, l'officier ?...

KELBIBINE. — Celui qui a fait serment de mon trépas ?

CARTAHUT. — II est ici !

KELBIBINE. — Saint Stanislas ! prends-moi en pitié !... Vous en êtes sûr ?...

CARTAHUT. — Si j'en suis sûr !

 

DUO
Air : S. A. R. : DUO DES BONNES INTENTIONS
CARTAHUT

Je viens d' le voir, il était écumant ;

Il vous cherchait partout furieusement ;

KELBIBINE, tremblant
Maman, maman, maman !
CARTAHUT

Oui, criait-il,

Où donc est mon fusil ?

Il faut que j'extermine

Kelbibine !...

KELBIBINE, même jeu
Maman, maman, maman !
CARTAHUT

J' veux, illico,

Lui rompre ici les os !
Et c' n'est pas tout : il me faut
Sa peau !

KELBIBINE, même jeu

Maman !...

Ah ! quel destin affreux !

CARTAHUT

Moi je vous plains, mon vieux !

KELBIBINE

Je crains qu'il ne m' fass' mon affaire !

CARTAHUT

Moi, ça me désespère !

ENSEMBLE

Quel fâcheux contre-temps,

Ce bal était charmant !

Laisser tuer l' maîtr' de la maison,
Ce n' serait pas d' saison,

Non !

 

KELBIBINE. — Il faut à tout prix que j'évite de faire collision avec ce furieux officier !

CARTAHUT. — Ce ne sera pas commode... Vous ne le reconnaîtrez pas. Il est en civil...

KELBIBINE. — Alors, faire quoi ?

CARTAHUT. — La fuite : hissez les focs, les perruches et les cacatois... (Il avise la serre et y fourre Kelbibine). Tenez, entrez ici... Il arrive... il arrive...

 

 

SCÈNE X

CARTAHUT, seul, puis LA RALINGUE et RAYMONDE

 

CARTAHUT, seul. — Déblayons, déblayons ! Il était temps !... Mais comment me débarrasser de l'autre ? (La Ralingue et Raymonde entrent).

LA RALINGUE, à Raymonde. — Impossible de joindre ce monsieur... Mais il ne perdra rien pour attendre. (A Cartahut). Tu n'as pas vu l'amiral ?

CARTAHUT. — Non, cap'taine...

LA RALINGUE. — Et tu n'as toujours pas retrouvé tes frusques ?

CARTAHUT. — Non, cap'taine...

LA RALINGUE. — Maintenant, vas-tu m'expliquer comment il se fait que tu sois ici et pas à l'hôtel ?...

CARTAHUT. — Oh ! capitaine... c'est d'un compliqué... Si vous m'en croyez... foutons le camp !

LA RALINGUE. — Pourquoi ?

RAYMONDE. — Ce brave garçon a l'air tout inquiet...

LA RALINGUE. — C'est vrai, qu'est-ce que tu as à regarder de tous côtés ?...

CARTAHUT. — C'est que... j'ai la frousse de la voir rappliquer... ça ferait un tel chichi !...

LA RALINGUE. — De qui veux-tu parler ?...

CARTAHUT. — Oh ! ma foi, tant pis... (Bas). Pimprenelle est ici...

LA RALINGUE, à mi-voix. — Pimprenelle !

RAYMONDE. — Qui ça... Pimprenelle ?...

LA RALINGUE. — C'est une personne qui... c'est la bonne amie de Cartahut...

CARTAHUT, vivement. — Oui... c'est une femme du monde... qu'elle est folle de moi... Qué vous voulez ? Avé mon physique !... Elles ne me laissent pas tranquille... Et comme celle-là est jalouse, elle a voulu venir...

RAYMONDE. — Eh bien... c'est très amusant ; je serai enchantée de faire sa connaissance...

LA RALINGUE. — Non... c'est tout à fait inutile...

CARTAHUT. — Oui... ça n'est pas une société pour une dame comme madame...

RAYMONDE. — Ah !

LA RALINGUE. — Il a raison...

RAYMONDE. — Comment... puisque c'est une femme du monde ? Et alors vous renoncez à avoir avec l'amiral Kelbibine l'explication que vous sembliez tant dé­sirer ?...

LA RALINGUE. — Oh ! pour le moment...

(A ce moment, Cartahut qui n'a cessé de surveiller l’entrée, redescend).

CARTAHUT, bas, à La Ralingue. — Attention ! Voilà la Pimprenelle !...

LA RALINGUE. — Diable !...

CARTAHUT, bas. — Filez... (Haut) : Tenez... cap'taine... courez vite… voilà justement l'amiral qui passe là-bas...

(Il le pousse à droite).

LA RALINGUE, à Raymonde. — Une minute, et je reviens…

(Il sort).

CARTAHUT, à part. — Déblayons, déblayons !... (A Raymonde). Si madame veut bien venir...

 

 

SCÈNE XI

RAYMONDE, CARTAHUT, LABISTOQUE, PIMPRENELLE

(A ce moment, entrent Labistoque et Pimprenelle, qui se trouvent face à face avec Cartahut et Raymonde).

 

LABISTOQUE, à part. — Sapristi ! Ma femme !...

(Il s'écarte de Pimprenelle).

RAYMONDE, à mi-voix. — Mon mari !

CARTAHUT, qui a entendu, à part. — Sa femme ! Son mari !... Coquin de sort !... (Haut, allant à Labistoque). Eh bé !... c'est aimable à vous de vous être occupé de cette chère amie !... (Bas, à Raymonde). C'est elle...

RAYMONDE. — Plaît-il ?

CARTAHUT. — C'est ma dame du monde...

RAYMONDE. — Ah !

CARTAHUT. — Mais je ne veux pas abuser davantage...

LABISTOQUE, ahuri. — Mais oui... certainement... comme vous voudrez... (A Pimprenelle) : Chère madame !

PIMPRENELLE, résistant à Cartahut qui cherche à l'entraîner. — Ah ça ! mais...

CARTAHUT, bas, à Pimprenelle. — Venez donc. C'est sa femme...

PIMPRENELLE, bas. — Ah ! zut !... (A son tour, elle entraîne Cartahut, dans le sens opposé).

RAYMONDE, à Pimprenelle. — Madame... que ce ne soit pas moi qui vous fasse partir...

PIMPRENELLE. — Pas du tout... pas du tout... (A Cartahut). Vous venez ?

CARTAHUT. — Oui, oui... (A part). Déblayons, déblayons.

(Cartahut sort avec Pimprenelle).

 

 

SCÈNE XII

LABISTOQUE, RAYMONDE

 

LABISTOQUE, après un moment de gêne. — Eh bien !... Pour une surprise, c'est une surprise !...

RAYMONDE, avec un sourire forcé. — Vous ne vous attendiez pas à me rencontrer ?...

LABISTOQUE. — Non... Il faut vous dire que je suis venu ici... à cause de mon rapport sur la marine...

RAYMONDE. — Et je vous y trouve en bonne compagnie...

LABISTOQUE, vivement. — Oh ! une femme du meilleur monde !

RAYMONDE. — Oui, mais dont la situation est un peu irrégulière.

LABISTOQUE, vivement. — Du tout...

RAYMONDE. — Allons donc !

LABISTOQUE. — C'est juste ! On a oublié de vous présenter. Cette dame est la femme de M. La Ralingue...

RAYMONDE, à part. — Oh ! Il est marié !

(Elle tombe sur le fauteuil et pique une crise de nerfs).

LABISTOQUE, à part. — Allons bon ! Et si je ne lui échappe pas, ça me coûte quinze mille francs !... Valet de pied, dites donc, mon ami... occupez-vous de Madame...

LE VALET DE PIED, qui est venu taper dans les mains et sur la figure de Raymonde. — Oh ! la pauvre femme, la pauvre femme !...

RAYMONDE, revenant à elle. — Où suis-je ? (S'apercevant que le valet de pied lui tapote la figure). Insolent ! (Elle le gifle). La Ralingue, marié, il faut que je le voie. (Elle sort précipitamment).

LE VALET DE PIED. — En voilà une façon de vous re­mercier ! (Il sort à son tour, dès qu'est entré Kelbibine qu'il n'aperçoit pas).

 

 

SCÈNE XIII

KELBIBINE, puis LA RALINGUE

 

KELBIBINE, en marmiton, entr'ouvrant la porte de la serre, avec précaution. — J'ai réfléchi que si j'étais resté là-dedans enfermé, l'autre était capable de profiter de mon absence... Heureusement, j'ai trouvé dans cette serre un costume de marmiton, en train de dessécher. Je l'ai revêtu, pour circuler sans craindre le furieux... Où peut être Pimprenelle ?
(Il regarde de côté et d'autre).

LA RALINGUE, entrant. — Cartahut a dû emmener Pimprenelle... Pourvu qu'il ne fasse pas de gaffes... En attendant, si j'essayais de joindre l'amiral !... (Apercevant Kelbibine). Tiens, un marmiton... (Le hélant) Hé là ! marmiton... Est-ce que tu n'as pas vu l'amiral Kelbibine ?...

KELBIBINE, vivement. — Non, monsieur, non.

LA RALINGUE. — Tu en es sûr ?

KELBIBINE, même jeu. — Tout à fait sûr... (A part). Comme il me jette l'œil !

LA RALINGUE. — Décidément, il est introuvable, ce monsieur... Je veux lui apprendre qu'on ne se moque pas impunément d'un officier de marine !

KELBIBINE, à part, tremblant. — C'est lui !... C'est l'homme de Cherbourg !... (Haut, en se jetant aux pieds de La Ralingue). Grâce ! Pitié ! ne me faites pas de mal, mon bon monsieur !...

LA RALINGUE, avec colère. — Qu'est-ce que tu chantes-là ? Es-tu bête ! Veux-tu me foutre le camp ?

KELBIBINE, se défilant. — Oui, mon bon monsieur... (A part). Oh 1 je l'ai échappée belle !...

(Il sort).

 

 

SCÈNE XIV
LA RALINGUE, puis LABISTOQUE

 

LA RALINGUE, seul. — Quel drôle de marmiton !... Et puis, d'ailleurs, tout est étrange, ici… l'attitude de Cartahut, l'arrivée de Pimprenelle... la disparition de l'amiral... Comment se retrouver dans cet imbroglio ?

(Il se promène, en gesticulant avec agitation).

LABISTOQUE, entrant. — Ma femme est partie, sans doute... Il ne s'agit plus maintenant que de trouver Matchinekoff... (Apercevant La Ralingue). Eh ! mais... ce monsieur qui se promène... l'air absorbé... Il n'y a pas à s'y tromper... C'est lui !... (Il s'approche de La Ralingue). Un mot... monsieur...

LA RALINGUE, s'arrêtant. — Parlez.

LABISTOQUE. — Voilà !... J'ai un rendez-vous avec une personne... une personne d'un sexe qui n'est pas le mien...

LA RALINGUE, sèchement. — Qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

LABISTOQUE. — La question n'est pas là... Vous pouvez me rendre un grand service...

LA RALINGUE. — Je ne vois pas en quoi...

LABISTOQUE. — Mais si !... Puisqu'avec une piqûre de votre sérum je pourrai...

LA RALINGUE. — Mon sérum ?

LABISTOQUE. — Voyons, docteur... Vous voyez que j'y mets toute la discrétion désirable...

LA RALINGUE. — Désolé, monsieur, mais je ne suis pas le docteur...

LABISTOQUE. — Je sais... on m'a prévenu... Mais j'ai acheté une ampoule de sérum et une seringue ; vous n'avez qu'à me faire la piqûre... Ça n'est pas difficile...

LA RALINGUE. — Mais encore une fois... je ne suis pas docteur !...

LABISTOQUE. — Allons ! allons !... Pourquoi dissimuler ? Je sais très bien que vous êtes le docteur Matchinekoff...

LA RALINGUE. — Mais pas du tout, monsieur. Je suis Monsieur La Ralingue, lieutenant de vaisseau...

LABISTOQUE, éclatant de rire. — Ah ! elle est bonne !... elle est bien bonne !... Seulement, vous tombez mal... Je connais le lieutenant de vaisseau La Ralingue... Trouvez autre chose... et faites-moi la piqûre...

(Il fait mine de se déboutonner).

LA RALINGUE. — Ah ! vous connaissez le lieutenant de vaisseau La Ralingue ?...

LABISTOQUE. — Mais oui... et, comme vis-à-vis d'un médecin on n'a pas de secrets... c'est avec sa femme que j'ai rendez-vous...

LA RALINGUE. — Hein ! Vous dites ?...

LABISTOQUE. — La vérité... mais c'est entre nous...

LA RALINGUE, méphistophélique. — Ne seriez-vous pas, par hasard, l'amiral Kelbibine ?

LABISTOQUE. — Moi... mais pas du tout...

LA RALINGUE. — Vous niez ? Peu m'importe. Je vous déclare que vous vous êtes conduit d'une manière inqualifiable !

LABISTOQUE. — Moi ?

LA RALINGUE. — Oui, vous, amiral !

LABISTOQUE. — Amiral ? Mais je vous répète, docteur…

LA RALINGUE. — Docteur ? Encore ! (Exaspéré). Oh !

(A ce moment entre Cartahut qui aperçoit les deux hommes).

 

 

SCÈNE XV

LES MÊMES, CARTAHUT

 

CARTAHUT. — Fi de garce ! Le cap'taine et le mari !...

LA RALINGUE, apercevant Cartahut. — Ah ! te voilà... toi... Je te prends à témoin... Dis à monsieur si, oui ou non, je suis le lieutenant la Ralingue.

LABISTOQUE, s'esclaffant. — Ah ! docteur, ça, c'est le bouquet !...

CARTAHUT, à La Ralingue, bas. — Attention !... c'est le mari de la dame de Bordeaux... (A Labistoque). Allons (avec intention, pour que La Ralingue soit complètement renseigné), M. le député Labistoque, on ne peut pas vous la faire à vous. Oui, vous avez raison, monsieur est docteur.

LABISTOQUE. — Le docteur Matchinekoff, n'est-ce pas ?

CARTAHUT. — Oui... oui... c'est ça même...

LABISTOQUE. — Je le savais bien... (Bas à La Ralingue). Je savais bien aussi que vous ne m'appeliez amiral que pour achever de me dépister.

LA RALINGUE. — Naturellement.

LABISTOQUE. — C'est drôle. Et maintenant, docteur, faites-moi la piqûre, de grâce !

CARTAHUT. — Quelle piqûre ?

LABISTOQUE, à Cartahut. — Une piqûre pour... (Il lui parle à l'oreille).

CARTAHUT, riant. — Ah ! bien. (A La Ralingue). Allons, docteur, foutez-y sa piqûre... (Bas) Il nous foutra la paix...

LA RALINGUE. — C'est bon... je vais vous piquer... Mais où ça ?

LABISTOQUE. — Dame ! où on la fait généralement...

(Il montre son derrière).

LA RALINGUE. — Je ne vous demande pas ça... Où vais-je vous conduire pour la petite opération ?...

LABISTOQUE. — Je ne sais pas, moi...

CARTAHUT, à La Ralingue. — Emmenez monsieur dans un des petits salons.

LA RALINGUE, à Cartahut. — Comment diable vais-je m'y prendre ?...

CARTAHUT, bas. — Foutez-lui en un bon coup pour qu'il n'ait pas envie de recommencer...

LA RALINGUE. — Eh bien, venez, monsieur...

LABISTOQUE. — Ah ! docteur ! quelle reconnaissance !...

CARTAHUT. — Pour sûr ! Vous pouvez vous vanter d'avoir une veine !... (Bien en face) Une veine de cocu !... Le sérum du docteur... ça vous réveillerait l'eunuque du sultan.

 

COUPLET

Air L'AMOUR QUI RIT
CARTAHUT

Aux homm's affaiblis pour donner du cœur,

On composa des liqueurs :
Sirops de don Juan, remède des fakirs,

De la blagu' tous les élixirs.

Les douch's, les massag's ou bien les frictions,

N' procur'nt pas satisfaction.

Et seul, le remèd' qu'on vient d'inventer

A d' l'efficacité !

Comme Maxima, le sérum

Donne le maximum...

REFRAIN

Le sérum c'est magique :

On pique, on pique, on pique !

Un coup d' s'ringu' dans le bas des reins !

Le résultat est soudain :

On r'devient énergique,

On r'pique, on r'pique, on r'pique !

On retrouve de suite ses vingt ans,

Ah ! quel merveilleux trait'ment !

(Reprise du refrain en trio. Sortie de La Ralingue et de Labistoque).

 

 

SCÈNE XVI
CARTAHUT, seul, puis PÉRINAÏK

 

CARTAHUT, seul. — Déblayons, déblayons ! Quand je raconterai ça aux copains du cinquième dépôt, ils diront encore que je blague !... Ce que c'est que de dire la vérité !...

PÉRINAÏK, entre en Bretonne. — Ah ! madoué... te voilà ! Enfin !... je peux dire que j'en ons eu du mal à te retrouver !...

CARTAHUT. — Toi, ici ?... Qu'est-ce que tu viens faire...

PÉRINAÏK. — J'étions venue pour te voir...

CARTAHUT. — Alors, je ne peux pas mettre un pied avant l'autre, sans t'avoir pendue à mes brailles ?

PÉRINAÏK, larmoyant. — Oh ! mon petit Cartahut, si tu savais... Est-ce que c'est de ma faute si je suis énamourée avec toi ?

CARTAHUT. — C'est bon... c'est bon... seulement, tu vas filer, et vivement...

PÉRINAÏK. — Tu veux que j' m'ensauve ? (Elle pleure).

CARTAHUT. — Pleure pas ! (Elle pleure plus fort. Il hurle). Pleure pas !... (Elle cesse de pleurer). Et va-t­-en : ça n'est pas ta place ici...

PÉRINAÏK. — T'y es bien, toi...

CARTAHUT. — Heureusement que j'y suis ! Sans ça, ça en ferait du joli... pôvre de moi 1

PÉRINAÏK. — Laisse-moi rester dans un coin pour te voir...

CARTAHUT. — Non... non... non... Mets les voiles et puis... bon vent... Tu me ferais arriver des désagréments si on te voyait ici... avec ton costume...

PÉRINAÏK. — Mon costume ?...

CARTAHUT. — Bien sûr ! Ça n'est pas un bal masqué, on n'est pas en carnaval... Voilà du monde... sauve-toi..

PÉRINAÏK. — C'est bon... je me sauve... (A part). Plus souvent !

(Elle se faufile dans la serre pendant que Cartahut observe du côté opposé).

CARTAHUT, seul. — Partie ? C'est bien... Déblayons... déblayons !...

 

 

SCÈNE XVII

CARTAHUT, LABISTOQUE

 

CARTAHUT, voyant entrer Labistoque, qui marche avec peine. — Voilà le piqué !

LABISTOQUE. — Ouye... ouye... ouye !... Je ne sais pas si ça me fera du bien... Mais pour le moment, ça me fait un mal de tous les diables... Le docteur a été très gentil, mais je crois qu'il m'a cassé l'aiguille dans le derrière !

CARTAHUT. — Ce n'est que ça ?... Bah ! ça passera !

LABISTOQUE. — Ah ! mon cher La Ralingue... Enfin... j'ai obtenu ce que je voulais... J'espère qu'à présent je vais pouvoir...

CARTAHUT, à part. — Celui-là, il faut le semer... (Haut). Eh bien, ne perdez pas de temps... allez vivement la retrouver... Donnez-moi le bras... je vous accompagne un morceau de chemin... mais rassurez-vous... je ne serai pas indiscret...

LABISTOQUE. — Et dire que c'est lui qui m'emmène !

CARTAHUT, à part. — Déblayons ! Déblayons ! (Il emmène Labistoque, en lui envoyant à chaque pas sournoisement un coup de pied dans le derrière, pour lui faire croire que sa piqûre lui donne des élancements ; à chaque coup de pied, Labistoque pousse un cri de douleur).

 

 

SCÈNE XVIII
RAYMONDE, puis PÉRINAÏK

 

RAYMONDE, entrant à droite. — La présence de mon mari... le trouble de La Ralingue, la lettre de Grenouillette... celle de l'amiral... tout ça n'est pas naturel... seul l'amiral va pouvoir m'expliquer...

(A ce moment la porte de la serre s'ouvre et Périnaïk sort habillée avec l'uniforme de Kelbibine).

PÉRINAÏK. — Comme ça... au moins, je ne me ferai pas remarquer, et je pourrai aller partout pour surveiller Cartahut. (Elle aperçoit Raymonde). Oh ! une dame... (Elle se détourne).

RAYMONDE. — Quel hasard !... Voilà justement l'amiral... Allons-y !... Pardon... C'est bien à l'amiral Kelbibine que j'ai l'honneur...

PÉRINAÏK, de dos, avec humeur. — Ma doué ! Kéradigouskette !

RAYMONDE, à part. — Du russe !... Pas d'erreur... c'est lui ! (Haut). Amiral !... je suppose que vous êtes un galant homme... Il se passe ici des événements étranges... dont vous seul pouvez me donner l'explication... Je vais donc vous parler à cœur ouvert... Je suis madame Labistoque... Mais j'ai un amant... c'est monsieur La Ralingue !...

PÉRINAÏK, à part. — Ça y est... encore une créature qui s'a envoyé Cartahut... (Haut, brutalement). Tmalertoui !

(Elle va pour sortir).

RAYMONDE, la retenant. — Je vous en prie, amiral, écoutez-moi !... On m'a remis, à tort, une lettre de vous adressée à madame La Ralingue... Il ne faut pas que La Ralingue fasse un scandale... Voyez-le.... je vous en prie...

PÉRINAÏK, toujours de dos. — Ah ! pour sûr... je vas y dire deux mots à c'ti-là... Vous pouvez compter sur moi !... (A part). Ah ! mon Cartahut, quoi c'est que tu vas prendre !

(Elle sort).

RAYMONDE. — Ah ! par exemple !... Ces Moldo-Valaques sont extraordinaires !... Voilà un amiral qui écrit une lettre cynique à une femme mariée... et il est furieux contre le mari !... C'est à n'y rien comprendre... (A ce moment, paraît Kelbibine en marmiton, entouré des mondaines). Encore des gens qui font les fous... je leur cède la place...

(Elle sort).

 

 

SCÈNE XIX
KELBIBINE, LES DEMI-MONDAINES, puis CARTAHUT

 

ENSEMBLE
LES FEMMES

Air : Y A DU BON (Refrain)

Marmiton, (3 fois)

Quelle drôle de bobine !

On jurerait Kelbibine

Qu'aurait changé de position.

Marmiton, (3 fois)

Ne nous prends pas pour des poires !

Raconte-nous ton histoire,

Marmiton, (3 fois)

 

KELBIBINE, essayant de se cacher la figure derrière son tablier. — Mesdames, je vous assure, je ne suis pas celui que vous croyez...

GRENOUILLETTE. — Moi, je vous dis que c'est lui...

TOUTES. — Oui… c'est lui... c'est lui !...

CARTAHUT. — Qu'est-ce qui se passe encore ?... Qu'est-ce que c'est que ce marmiton-là ? (Il s'avance. A part). Mais c'est l'amiral...

KELBIBINE, bas. — Oui, c'est moi... Tirez-moi de leurs griffes, ou je suis perdu...

CARTAHUT, bas. — J'ai compris... (Haut). Eh, ce n'est pas l'amiral, c'est son frère de lait !...

TOUTES. — Son frère de lait ?

CARTAHUT. — Et puis, la question n'est pas là... il y a autre chose de plus intéressant...

TOUTES, entourant Cartahut. — Quoi donc ?

CARTAHUT, bas, à Kelbibine. — Débinez-vous... (Kelbibine se faufile à nouveau dans la serre. Aux autres). Ecoutez... Les officiers moldo-valaques vont venir nous danser leur danse nationale.

TOUTES. — Bravo !

(Elles se placent des deux côtés du théâtre).

 

 

SCÈNE XX

LES MÊMES, moins KELBIBINE, LES OFFICIERS

 

CARTAHUT, à part. — Il est parti ? Très bien... Déblayons, déblayons !... (Remontant). Eh bien, messieurs, quand vous voudrez ! A la disposition de usted ! comme disent les Anglais... (Danse des officiers) (*).

(*) Si, les rôles d'officiers moldo-valaques n'étant point tenus par des danseuses anglaises, on veut supprimer le divertissement, voir aux variantes à la fin de la brochure.

 

TOUS, après la danse. — Bravo ! Bravo !

LES OFFICIERS. — Hollavach ! Hollavach !

CARTAHUT. — Et maintenant, si qu'on irait faire un tour au buffet !... J'ai la pépie...

GRENOUILLETTE, montrant le buffet complètement dégarni. — Il n'y a plus rien à boire, ici.

CARTAHUT. — Allons à l'autre...

TOUTES. — Au buffet !...

(Sortie).

 

Air : ADOREZ-VOUS (Refrain)

Quand on se donn' du mouv'ment,

On a b'soin d' rafraîchiss'ments !

Au buffet, rendons-nous donc !

Nous y boirons !

Nous y rirons !

Le champagne ce s'ra charmant,

Les sirops, les orangeades,

Vont passer certain'ment

Un mauvais moment :

Car ça donn' soif de s'offrir autant d' rigolade.

(Sortie).

 

 

SCÈNE XXI

PIMPRENELLE, puis KELBIBINE

 

PIMPRENELLE, entrant. — Pour un lapin... c'est un lapin !... On m'y repincera à croire aux promesses d'un amiral moldo-valaque !... J'aurais dû m'en douter... C'est un rasta... Ah ! si seulement je pouvais le rejoindre... qu'est-ce que je lui raconterais !... C'est comme ce vieux farceur de Labistoque !... Quelle purée, messeigneurs !... Il n'est pas seulement capable de... (Elle rit). Et pourtant j'ai fait tout ce que j'ai pu...

KELBIBINE, sortant de la serre, en bretonne, à part. —J'ai trouvé encore ce costume dans la serre... J'espère que cette fois on ne me reconnaîtra pas... Oh ! c'est elle !... (Il s'avance vers Pimprenelle, et lui prenant la taille par derrière). Coucou... me voilà !...

PIMPRENELLE, se retournant. — Ah ! ça !... Périnaïk... vous êtes folle, ma fille !... (Elle fixe Kelbibine). Mais... ça n'est pas Périnaïk...

KELBIBINE. — C'est moi... Kelbibine... moi oui vous attends avec une impatience considérable... J'ai revêtu ce costume pour donner le change à mes invités... Venez vite...

PIMPRENELLE. — Ah ! ça... est-ce que vous n'êtes pas un peu marteau ?... Espèce de vieux fou...

KELBIBINE. — Fou... Oui, je le suis… fou de vous !... Et j'ai hâte de vous voir tenir votre promesse...

PIMPRENELLE. — Ma promesse ? Commencez donc par tenir la vôtre... Je les attends toujours, vos quinze mille francs !...

KELBIBINE. — Comment dites-vous ces choses !... On ne vous a pas remis ?...

PIMPRENELLE. — Rien du tout... En fait d'argent !... j'ai reçu peau de zébie, peau de balle et balai de crin...

KELBIBINE. — Je ne vous ai rien envoyé de pareil... C'est colossalement stupide... (Voyant entrer Nitchevo). Ah ! Nitchevo !...

 

 

SCÈNE XXII
LES MÊMES, NITCHEVO, puis RAYMONDE


NITCHEVO, entrant, il est ivre. — Qui m'appelle ?...

KELBIBINE. — Moi.

NITCHEVO, dans un hoquet. — Mais je ne vous connais pas !...

KELBIBINE. — Par Saint Pancrace, serait-ce possible ! Tu ne reconnais pas ton maître, espèce de crétois !

NITCHEVO, sursautant. — Oh ! Excellence... c'est vous !

KELBIBINE. — Alors, tu n'as pas remis à madame le pli duquel je t'avais rechargé ?

NITCHEVO, se levant avec effort. — Si, Excellence !... le pli a été remis à madame La Ralingue...

KELBIBINE. — Par toi-même ?

NITCHEVO. — Non, Excellence, mais par le maître d'hôtel... qui m'a affirmé l'avoir remis à madame La Ralingue.

KELBIBINE. — Bon... Va me chercher le maître d'hôtel...

RAYMONDE, qui est entrée et a entendu ces dernières répliques. — Inutile... Il y a, en effet, erreur... On m'a remis cette lettre, renfermant quinze mille francs et, puisque cette somme était destinée à madame... à madame La Ralingue... (D'un air pincé) Je me fais un plaisir de la lui remettre.

PIMPRENELLE.. — Oh ! merci, madame...

KELBIBINE. — Madame, je suis considérablement navré...

RAYMONDE. — Pourquoi, cela, ma fille ?

KELBIBINE, à part. — Sa fille ?... Ah ! c'est vrai, le costume !...

PIMPRENELLE, sautant au cou de Kelbibine. — Tiens... je t'adore !... Viens, ma crotte... Viens... je suis bonne joueuse... je paie mes dettes... mais grouillons-nous... Viens nous aimer !

(Kelbibine et Pimprenelle sortent, enlacés).

 

 

SCÈNE XXIII
RAYMONDE, NITCHEVO, puis CARTAHUT

 

RAYMONDE, à part. — Mme La Ralingue avec une bretonne ? Quelles mœurs ! (A Nitchevo). Dites-moi, monsieur, vous qui semblez connaître ces personnes... quelle est cette bretonne qui vient de sortir avec.... madame La Ralingue ?

NITCHEVO. — Cette Bretonne... mais c'est mon maître, l'amiral Kelbibine !... (Il retombe, abruti, sur le fauteuil dans lequel il était assis pendant les répliques précédentes).

RAYMONDE. — Rien à tirer de cet imbécile... il est complètement saoul !... (Apercevant Cartahut qui passe). Ah ! Cartahut ! (L'appelant). Monsieur Cartahut !

CARTAHUT. — Présent !... (Il aperçoit Raymonde, à part). Couqui de sort... La dame de Bordeaux... Je la croyais partie...

RAYMONDE. — Mon ami, répondez-moi franchement... Le capitaine La Ralingue est marié, n'est-ce pas ?

CARTAHUT. — Lui !.. Dieu garde !... il est garçon... heureusement pour lui...

RAYMONDE. — Alors... cette personne, qui passe pour madame La Ralingue, est sa maîtresse ?...

CARTAHUT, après un temps de réflexion. — Mais non !... Elle n'est pas sa maîtresse...

RAYMONDE. — Alors, pourquoi se fait-elle appeler Madame La Ralingue.

CARTAHUT. — Ah ! ma foi, tant pis... j'en ai assez, je vais tout vous dire... C'est moi qui suis cause de tout ça. Pour rendre service au cap'taine qui était en bordée avé vous... j'ai pris sa place et je me suis fait passer pour lui...

RAYMONDE. — Vous ?

CARTAHUT. — Oui.... Et, comme Pimprenelle est venue me rejoindre, on a cru que c'était ma femme. Et voilà...

RAYMONDE. — Alors... cette Pimprenelle n'a rien de commun avec M. La Ralingue ?

CARTAHUT. — Rien du tout... Le cap'taine était bien trop chipé pour vous... voyons ! Et si j'étais à sa place... je serais comme lui...

 

 

SCÈNE XXIV
LES MÊMES, LABISTOQUE

 

LABISTOQUE, entrant, une dépêche à la main ; à Raymonde. — Comment ! vous êtes là ?... Vous êtes donc revenue... ? C'est un heureux hasard... Je viens de recevoir cette dépêche. (A Cartahut). Ah ! mon ami, c'est à vous que je dois ce qui m'arrive...

RAYMONDE. — Mais que vous arrive-t-il donc ?

LABISTOQUE. — Monsieur m'a fourni les éléments d'un rapport sensationnel dont j'ai, de suite, téléphoné, à Paris, les grandes lignes : il s'est trouvé que le sous-secrétaire d'Etat à la marine venait de démissionner. On me propose sa place. (A Cartahut). Cher ami, je n'ai pas besoin de vous dire que je vous prends comme officier d'ordonnance...

CARTAHUT, à part, éclatant de rire. — Officier d'or­donnance, moi !

 

 

SCÈNE XXV

LES MÊMES, KELBIBINE, puis LA RALINGUE, puis PIMPRENELLE

 

KELBIBINE, en Bretonne, entrant joyeux, à Labistoque, sans voir Cartahut. — Mon cher ami... C'est moi que Madame La Ralingue a honoré le premier de ses faveurs ! Vous avez perdu votre pari.

RAYMONDE, qui était en train de lire la dépêche, à Labistoque. — Quel pari ?

LABISTOQUE, bas, à Raymonde. — Aucune importance. (A Kelbibine). Taisez-vous donc !

KELBIBINE, apercevant Cartahut. — Oh ! l'époux !

LA RALINGUE, entrant, à Cartahut. — Ah ! te voilà !... Grenouillette m'a tout expliqué.

LABISTOQUE, à part. — Le docteur.

KELBIBINE, à part. — L'homme de Cherbourg !

PIMPRENELLE, entrant, haut. — La Ralingue !

KELBIBINE et LABISTOQUE, à Pimprenelle. — Comment, La Ralingue ?

LA RALINGUE. — Naturellement !

KELBIBINE et LABISTOQUE, montrant Cartahut. — Et lui alors ?

LA RALINGUE. — Lui... c'est Cartahut, mon matelot.

LABISTOQUE, bas, à Cartahut. — Oh ! on s'est moqué de moi... on m'a abîmé le derrière, y a rien de fait !

CARTAHUT, bas à Labistoque. — Vous, si vous soufflez un seul mot, je raconte vos farces à votre femme...

LABISTOQUE, bas, à Cartahut. — Bon, bon, je n'ai rien dit. (A Kelbibine). Mais, à propos... Madame n'est pas Mme La Ralingue...

KELBIBINE. — Je perds le pari... Il m'est égal : je garde Pimprenelle ; c'est le bon morceau.

PIMPRENELLE. — Oui, mais pas pour le même prix... Il me faut cinq cent mille francs.

KELBIBINE. — Il m'est égal. Au lieu d'un torpilleur, on construira un joujou pour le petit prince.

CARTAHUT. — Et moi, dans tout ça, qu'est-ce que je fais ?

PÉRINAÏK, entrant, habillée en amiral. — Cartahut ! Cartahut ! (Entrée des autres personnages).

LA RALINGUE. — Je te donnerai une dot pour faire le bonheur de Périnaïk.

CARTAHUT, reconnaissant Périnaïk. — Comment... c'est Périnaïk... Eh bien, tu sais, tu m'excitais déjà en matelot... mais, en amiral... Ah ! ma petite !

KELBIBINE, riant. — Il est effroyable !

 

COUPLET FINAL

Air : AH ! DONNE-MOI (refrain)
CARTAHUT

Alors, tout a bien fini ?

TOUS

Oui, oui !

CARTAHUT

Tout le monde est réuni ?

TOUS

Oui, oui !

CARTAHUT

Il faut que chacun ici

TOUS

Oui, oui !

CARTAHUT

Nous déclare aussi

Que j'ai réussi ;

Car, je puis l' dir’,

Si vous avez tous ri,

TOUS

Oui, oui !

CARTAHUT

Si vous vous êt's divertis,

TOUS

Oui, oui !

Nous s'rons contents, car ce fut,
Le but

Du matelot Cartahut !

 

(Rideau).

(Pendant le final, Nitchevo, accoté à l'angle droit du théâtre, s'écroule peu à peu, tenant toujours sa bouteille de champagne, et lançant après les autres des « oui, oui » rauques comme des aboiements. Il se trouve assis par terre en avant du rideau quand celui-ci baisse, et il ne regagne la coulisse que lorsque les spectateurs sont sortis).

 

 

 

VARIANTE N° 1

 

Si l'on veut, au deuxième tableau, supprimer l'entrée des Mareyeuses, relier la scène XIV à la scène XVI en modifiant les répliques comme suit :

SCÈNE XIV : Après la réplique du Portier : J'en ai une excellente au rez-de-chaussée :

Je vais y porter la valise de Monsieur le député. (Il y porte la valise et revient de suite).

LABISTOQUE. — Et l'on s'amuse toujours ici ?

LE PORTIER. — Enormément. Que Monsieur le député me permette de lui faire mes compliments : il est infatigable, etc., etc.

 

VARIANTE N° 2

 

Pour supprimer la danse des officiers moldo-valaques, au troisième tableau :

SCÈNE XIX : Après la réplique : Quoi donc ?

CARTAHUT, bas, à Kelbibine. — Attention pour vous débiner. (Aux autres). Ecoutez... Je viens de voir un aéroplane extraordinaire, éclairé à gigorno...

TOUTES. — Où ça ?

CARTAHUT, montrant un point du ciel. — Là. (Tout le monde regarde en l'air. Kelbibine profite de l'inattention générale pour se faufiler à nouveau dans la serre).

SCÈNE XX

LES MÊMES, moins KELBIBINE

GRENOUILLETTE. — Je ne vois rien.

LES AUTRES. — Moi non plus...

CARTAHUT. — Mais si, regardez mieux. (A part). Il est parti ? Très bien... Déblayons, déblayons.....

GRENOUILLETTE. — Toujours rien !

CARTAHUT. — Alors, c'est que l'oiseau s'est envolé... Eh bien si qu'on irait faire un tour au buffet... J'ai la pépie, etc., etc.

 

 

 

 

De Gabriel TIMMORY :

le Cultivateur de Chicago, en 2 actes, d’après une nouvelle de Mark Twain, Grand-Guignol.
le Client de Province, 1 acte, Grand-Guignol.

En collaboration avec Maurice de Marsan :

les Bandits de Capetown ou le Tour du Monde d'une Orpheline, pièce à spectacle en 5 actes, Théâtre Molière.

le Matelot Cartahut, 2 actes, Eldorado.

En collaboration avec Jean Manoussi :

Un Beau Mariage, 1 acte, Grand-Guignol.

Petite Bonne sérieuse, 1 acte, Grand-Guignol.

Pomme-de-Terre, 1 acte, Grand-Guignol.

Un Gentilhomme, 1 acte, Théâtre Royal.

Balance sentimentale, 1 acte, Théâtre Moderne.

l'Honnête Michelon, 1 acte, Théâtre Moderne.

l'Amour en Boutique, 1 acte, Eldorado.

l'Usurier, 2 actes, Capucines.

 

De Maurice de MARSAN :

En collaboration avec Léon Nunès:

Béguin de Roi, 2 actes, la Scala.

En collaboration avec Léon Nunès et Fabrice Lémon :

Mam'zelle Crésus, 2 actes, la Scala.

En collaboration avec Benjamin Lebreton :

la Dernière Vadrouille, 2 actes, Eldorado.

En collaboration avec R. Girardet :

Vasco-de-Gama, vaudeville, 1 acte, Eldorado.

 

 

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