Manon
Catalogue des morceaux
Prélude | ||
Acte I. — l'Hôtellerie d'Amiens | ||
Holà ! Hé ! Monsieur l'Hôtelier ! | Poussette, Javotte, Rosette, Guillot, De Brétigny, l'Hôtelier | |
Allez à l'auberge voisine | Lescaut, les Gardes, Bourgeois, Bourgeoises, Voyageurs, Voyageuses | |
Arrivée de Manon | Je suis encor tout étourdie... | Manon |
Revenez, Guillot, revenez ! | Poussette, Javotte, Rosette | |
Conseils de Lescaut | Regardez-moi bien dans les yeux | Lescaut |
Regrets de Manon | Voyons, Manon, plus de chimères | Manon |
Duo de la Rencontre | Et je sais votre nom... | Manon, Des Grieux |
Plus un sou ! le tour est très plaisant ! | Poussette, Javotte, Rosette, Lescaut, Guillot, De Brétigny, l'Hôtelier, Bourgeois, Bourgeoises | |
Acte II. — l'Appartement de Des Grieux et de Manon, rue Vivienne | ||
Prélude | ||
Duo de la Lettre | On l'appelle Manon | Manon, Des Grieux |
Enfin, les amoureux, je vous tiens tous les deux ! | Manon, Des Grieux, Lescaut, De Brétigny | |
Adieux de Manon | Adieu, notre petite table | Manon |
le Rêve de Des Grieux | En fermant les yeux | Des Grieux |
Acte III. — Premier tableau : le Cours-la-Reine | ||
Prélude (Entr'acte-Menuet) | ||
C'est fête au Cours-la-Reine ! | Marchands, Marchandes, Bourgeois de Paris | |
Duo de la Promenade | La charmante promenade | Poussette, Javotte |
A quoi bon l'économie !... O Rosalinde | Lescaut | |
Voici les élégantes ! | Bourgeois, Bourgeoises, Marchands, Marchandes | |
Manon au Cours-la-Reine | Je marche sur tous les chemins ! | Manon |
Gavotte | Obéissons, quand leur voix appelle | Manon |
Fabliau | Oui, dans les bois et dans la plaine | Manon |
Pardon !... mais j'étais là... | Manon, le Comte Des Grieux | |
Ballet | la Présentation - 1re Entrée - 2e Entrée - 3e Entrée - 4e Entrée | |
Deuxième tableau : le Parloir du Séminaire de Saint-Sulpice | ||
Quelle éloquence ! l'admirable orateur ! | les Dévotes | |
Epouse quelque brave fille | le Comte Des Grieux | |
Ah ! fuyez, douce image | Des Grieux | |
Pardonnez-moi, Dieu de toute puissance | Manon | |
Duo du Séminaire | Oui ! je fus cruelle et coupable ! | Manon, Des Grieux |
Duo du Séminaire : Scène de la Séduction | N'est-ce plus ma main que cette main presse ? | Manon |
Acte IV. — l'Hôtel de Transylvanie | ||
Le joueur sans prudence livre tout au hasard | les Aigrefins | |
A l'Hôtel de Transylvanie | Poussette, Javotte, Rosette | |
C'est ici que celle que j'aime | Lescaut | |
J'enfourche aussi Pégase | Guillot | |
Trio du Jeu | Manon, sphinx étonnant | Manon, Des Grieux, Lescaut |
A nous les amours et les roses ! | Manon, Poussette, Javotte, Rosette | |
Oui, je viens t'arracher à la honte ! | Manon, Poussette, Javotte, Rosette, Des Grieux, le Comte Des Grieux, Guillot, la Foule des Joueurs | |
Acte V. — la Route du Havre | ||
Capitaine, ô gué, es-tu fatigué | les Archers | |
Tu pleures ! | Manon, Des Grieux |
LIVRET
Enregistrements accompagnant le livret
- Version intégrale 1929 : Manon : Germaine Féraldy ; Poussette : Andrée Vavon ; Javotte : Rambert, sauf face 31 : Ravery ; Rosette : Andrée Bernadet, sauf face 29 : Marguerite Julliot, et faces 32 et 33 : Marinette Fenoyer ; la Servante : Marguerite Julliot ; Des Grieux : Joseph Rogatchewsky ; Lescaut : Georges Villier ; le Comte : Louis Guénot ; Guillot : Eugène de Creus ; Brétigny : André Gaudin, sauf faces 02 et 05 : Jean Vieuille ; l'Hôtelier : Paul Payen ; Chœurs et Orchestre de l'Opéra-Comique dir Elie Cohen ; Columbia D 15156 à D 15173 ; enr. du 05 décembre 1928 au 13 mars 1929.
- Version anthologique 1956 : René Doria (Manon) ; Alain Vanzo (Des Grieux) ; Adrien Legros (le Comte) ; Chœurs et Grand Orchestre Symphonique dir Jésus Etcheverry ; enr. à Paris en 1956.
Acte I. estampe de Jules Gaildrau du décor de la création
(version de la partition) [les passages parlés figurent en couleur violette]
Prélude
ACTE PREMIER
LA GRANDE COUR D'UNE HÔTELLERIE À AMIENS
Au fond, une grande porte cochère ouvrant sur la rue. A droite, au premier plan, un pavillon auquel on monte par quelques marches. A gauche, une tonnelle devant laquelle on trouve un puits et un banc de pierre. Derrière la tonnelle, au second plan, un peu plus avancée que la tonnelle, l'entrée de l'hôtellerie.
SCÈNE I BRÉTIGNY, GUILLOT DE MORFONTAINE, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE.
Au lever du rideau, Brétigny est debout à la porte du pavillon ; Guillot, sa serviette à la main, est au bas de la dernière marche.
GUILLOT (appelant) Holà ! Hé ! Monsieur l'hôtelier ! Combien de temps faut-il crier Avant que vous daigniez entendre ?...
BRÉTIGNY Nous avons soif !
GUILLOT Nous avons faim ! Holà ! Hé !
BRÉTIGNY Vous moquez-vous de faire attendre ?
GUILLOT et BRÉTIGNY Morbleu ! Viendrez-vous à la fin ?
GUILLOT (avec dépit) Foi de Guillot Morfontaine ! C'est trop de cruauté Pour des gens de qualité !
BRÉTIGNY (en colère) Il est mort, la chose est certaine.
GUILLOT (en colère) Il est mort !
GUILLOT et BRÉTIGNY Il est mort !
POUSSETTE (à la fenêtre, et riant) Allons, messieurs, point de courroux !...
GUILLOT Que faut-il faire ?...
BRÉTIGNY Que faut-il faire ?...
GUILLOT Il n'entend pas !
POUSSETTE (riant aux éclats) On le rappelle !
POUSSETTE et JAVOTTE On le harcelle !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE On le rappelle !
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY Voyons, monsieur l'hôtelier ! Montrez-vous hospitalier ! Montrez-vous hospitalier ! Voyons, monsieur l'hôtelier ! Voyons, monsieur l'hôtelier !
POUSSETTE Sauvez-nous de la famine !
GUILLOT Sauvez-nous de la famine !
JAVOTTE. Sauvez-nous de la famine ! Ayez pitié !
BRÉTIGNY Sauvez-nous de la famine !
ROSETTE Sauvez-nous de la famine !
POUSSETTE Montrez-vous hospitalier ! Voyons, monsieur l’hôtelier !
[ POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE [ Monsieur l'hôtelier ! [ Sauvez-nous de la famine ! [ Sauvez-nous de la famine ! [ Voyons, monsieur, monsieur l’hôtelier ! [ [ GUILLOT [ Monsieur l'hôtelier ! [ Soyez donc hospitalier ! [ Soyez donc hospitalier ! [ Voyons, monsieur, monsieur l’hôtelier ! [ [ BRÉTIGNY [ Monsieur l'hôtelier ! [ Sinon l'on vous extermine ! [ Sinon l'on vous extermine ! [ Monsieur, monsieur l’hôtelier !
BRÉTIGNY (écoutant) Eh bien !... Eh quoi ! Pas de réponse ?...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Pas de réponse ?...
GUILLOT Pas de réponse ?...
BRÉTIGNY Il est sourd à notre semonce !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Recommençons !
GUILLOT Pas trop de bruit ! Cela redouble l'appétit !
[ POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE et BRÉTIGNY [ Voyons, monsieur l'hôtelier, [ Montrez-vous hospitalier ! [ Montrez-vous hospitalier ! [ [ GUILLOT [ Montrez-vous hospitalier ! [ Montrez-vous hospitalier !
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(livret, édition de mars 1902)
Prélude
ACTE PREMIER
LA GRANDE COUR D'UNE HÔTELLERIE À AMIENS
Le théâtre représente la cour d'une hôtellerie à Amiens. — Au fond, une grande porte cochère ouvrant sur la rue. — A droite, premier plan, un pavillon auquel on monte par quelques marches. — A gauche, une tonnelle devant laquelle est un puits et un banc de pierre, — Derrière la tonnelle, deuxième plan, un peu plus avancée que la tonnelle, l'entrée de l'hôtellerie.
SCÈNE I BRÉTIGNY, GUILLOT DE MORFONTAINE, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE.
Au lever du rideau, Brétigny debout à la porte du pavillon, Guillot, sa serviette à la main, est au bas de la dernière marche.
GUILLOT, appelant. Holà ! hé ! monsieur l'hôtelier, Combien de temps faut-il crier, Avant que vous daigniez entendre ?
BRÉTIGNY. Nous avons soif !
GUILLOT. Nous avons faim !
BRÉTIGNY. Vous moquez-vous de faire attendre ?
BRÉTIGNY, GUILLOT. Morbleu ! viendrez-vous à la fin ?
GUILLOT. Foi de Guillot Morfontaine C'est par trop de cruauté Pour des gens de qualité !
BRÉTIGNY. Il est mort, la chose est certaine !
GUILLOT, avec désespoir. Il est mort, la chose est certaine !
POUSSETTE, à la fenêtre. Voyons, messieurs, point de courroux !
GUILLOT. Que faut-il faire ?...
JAVOTTE, riant. Eh ! l'on appelle !
BRÉTIGNY. Il n'entend pas, ma toute belle !
JAVOTTE, POUSSETTE, ROSETTE On le rappelle ! on le harcelle !
BRÉTIGNY. Fort bien ! Dans ce cas, voulez-vous Implorer ce rustre avec nous ?
JAVOTTE, POUSSETTE, ROSETTE. Puisque le malheur nous rassemble, Apostrophons-le tous ensemble !
JAVOTTE, POUSSETTE, ROSETTE, BRÉTIGNY, GUILLOT. Voyons, monsieur l'hôtelier, Montrez-vous hospitalier ! Sauvez-nous de la famine, Sinon l'on vous extermine ! Voyons, monsieur l'hôtelier, Montrez-vous hospitalier !
BRÉTIGNY, écoutant. Eh bien !... Eh quoi !... pas de réponse ! Il est sourd à notre semonce !
POUSSETTE. Recommençons !
GUILLOT. Pas trop de bruit ! Cela redouble l'appétit.
REPRISE DE L'ENSEMBLE. Voyons, monsieur l'hôtelier, Etc.
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décor de l'acte I de Manon à l'Opéra-Comique (nouvelle production de 1898)
SCÈNE II LES MÊMES, L'HÔTELIER.
L'hôtelier paraît sur le pas de la porte.
BRÉTIGNY (avec une explosion de joie et de surprise) Ah ! Voilà le coupable !
GUILLOT (avec une colère comique) Réponds-nous, misérable !
L'HÔTELIER (indigné) Moi !... Vous abandonner !... Je ne dirai qu'un mot : qu'on serve le dîner ! (A ce moment, des marmitons portant des plats sortent de l'hôtellerie. Les marmitons se dirigent lentement et presque solennellement vers le pavillon.)
L'HÔTELIER (avec importance) Hors-d’œuvre de choix...
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY Bien !
L'HÔTELIER ... et diverses épices... Poisson, ... poulet...
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY Parfait !
JAVOTTE Du poisson !...
GUILLOT Du poulet !...
BRÉTIGNY Parfait !
[ POUSSETTE [ O douce providence, [ On vient nous servir ! [ [ JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY [ Voilà qu'en cadence, [ On vient nous servir ! [ [ L'HÔTELIER [ Voyez ! On vient vous servir !
L'HÔTELIER (insistant) ... Un buisson d'écrevisses !...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE (avec joie) Des écrevisses !...
GUILLOT (avec joie) Des écrevisses !...
L'HÔTELIER Et pour arroser le repas, De vieux vins !...
GUILLOT (aux marmitons) Ne les troublez pas !...
L'HÔTELIER Et pour compléter les services : Le pâté de canard !
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY Un pâté !
L'HÔTELIER (se rengorgeant) Non pas, messieurs : un objet d'art !
GUILLOT Vraiment !
BRÉTIGNY Parfait !
[ POUSSETTE [ O douce providence, [ On vient nous servir ! [ [ JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY [ Voilà qu'en cadence, [ On vient nous servir ! [ [ L'HÔTELIER [ Voyez ! On vient vous servir !
[ POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et BRÉTIGNY [ O sort délectable, [ Lorsque l'on a faim, [ De se mettre enfin [ A table ! [ On vient nous servir ! [ [ L'HÔTELIER [ Il est préférable [ Et même très sain [ D'attendre la faim. [ Mettez-vous à table ! [ On vient vous servir !
JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT, BRÉTIGNY et L'HÔTELIER A table !
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT, BRÉTIGNY et L'HÔTELIER A table ! A table ! (Tous rentrent dans le pavillon dont la porte et la fenêtre se referment. L'hôtelier reste seul.)
SCÈNE III
L'HÔTELIER C'est très bien de dîner !... Il faut aussi payer ! Et je vais... Mais au fait, pensons au chevalier des Grieux ! Le temps passe... Et j'ai promis de retenir sa place Au premier coche. (se dirigeant au fond et apercevant les bourgeois qui se disposent à envahir l'hôtellerie) Mais, voilà Déjà La ribambelle Des bons bourgeois !... Ils viennent regarder Si l'on peut lorgner Quelque belle, Ou se moquer de quelque voyageur ! (sentencieusement) J'ai remarqué que l'homme est très observateur ! (Il entre dans le bureau. La cloche de l'hôtellerie se fait entendre. Les bourgeois et les bourgeoises envahissent peu à peu l'hôtellerie.)
SCÈNE IV BOURGEOIS et BOURGEOISES, puis LESCAUT et DEUX GARDES, VOYAGEURS, POSTILLONS et PORTEURS, puis MANON.
BOURGEOISES et BOURGEOIS Entendez-vous la cloche, Voici l'heure du coche. Il faut tout voir ! tout voir ! Les voyageurs, les voyageuses, Il faut tout voir ! Pour nous c'est un devoir ! (Lescaut entre, suivi de deux gardes.)
LESCAUT (s'adressant aux gardes) C'est bien ici l'hôtellerie Où le coche d'Arras va tantôt s'arrêter ?...
LES GARDES C'est bien ici !
LESCAUT (les congédiant) Bonsoir !
LES GARDES (se récriant) Quelle plaisanterie ? Lescaut, tu pourrais nous quitter ?
LESCAUT (avec bonne humeur) Jamais ! Jamais ! Jamais ! Allez à l'auberge voisine ; On y vend un clairet joyeux ; Je vais attendre ma cousine, Je vais attendre ma cousine, Et je vous rejoins tous les deux !
LES GARDES Rappelle-toi !
LESCAUT (froissé) Vous m'insultez !... C'est imprudent !
LES GARDES (suppliant) Lescaut !
LESCAUT (satisfait et insolent) C'est bon ! Je perdrais la mémoire Quand il s'agit de boire ! (avec autorité) Allez ! (finement, changeant de ton) à l'auberge voisine On y vend un clairet joyeux !... Je vais attendre ma cousine, Allez trinquer en m'attendant ! en m’attendant, allez trinquer ! (Les deux gardes sortent par la porte du fond. La rue s'emplit de postillons, de porteurs chargés de malles, de cartons, de valises et précédés ou suivis de voyageurs et de voyageuses qui tournent autour d'eux pour obtenir leurs bagages.)
BOURGEOISES et BOURGEOIS (avec joie) Les voilà ! Les voilà ! Les voilà ! (Au fond, on aperçoit le coche duquel descendent des voyageurs.)
UNE VIEILLE DAME (se rajustant) Oh, ma coiffure !... Oh, ma toilette !
CHŒUR (riant) Voyez-vous pas cette coquette !
UN VOYAGEUR Hé ! Le porteur !...
LE PORTEUR (de mauvaise humeur) Dans un instant !
CHŒUR (de même) Ah ! le singulier personnage !
UNE VOYAGEUSE Où sont mes oiseaux et ma cage ?
UN VOYAGEUR Hé, postillon !
UNE AUTRE (appelant aussi) Postillon !
UN AUTRE (de même) Hé, postillon !
UNE AUTRE (appelant aussi) Postillon !...
UN AUTRE Ma malle !
UNE AUTRE Mon panier !
[ LES VOYAGEURS [ Postillon ! Postillon ! [ [ POSTILLONS et PORTEURS (se dégageant) [ Dans un moment, dans un moment !
LES VOYAGEURS Donnez à chacun son bagage !
POSTILLONS et PORTEURS Moins de tapage !
[ LES VOYAGEURS [ Voyons ! Voyons ! Voyons ! [ [ POSTILLONS et PORTEURS [ Non ! Non ! Non ! Non ! Non !
[ LES VOYAGEURS [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment [ Quand il faut monter en voiture ! [ Ah ! Je le jure [ On ferait bien de faire avant son testament ! [ [ POSTILLONS et PORTEURS [Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun d'eux gémit et murmure [ Rien qu'en montant dans la voiture, [ Et recommence en descendant ! [ [ BOURGEOISES et BOURGEOIS [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun gémit [ Rien qu’en montant ou descendant ! [ Dieux, quel tourment !
[ LES VOYAGEURS [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! [ [ LES AUTRES VOYAGEURS [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! [ Ah ! Quel tourment ! [ [ POSTILLONS et PORTEURS [ Ça recommence en descendant !
[ LES VOYAGEURS [ Ah ! L’on devrait faire avant tout son testament ! [ Ah ! L’on devrait faire avant tout son testament ! [ Quel tracas ! Quel tourment ! [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! [ Quel tourment ! [ [ POSTILLONS et PORTEURS [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun gémit [ Taisez-vous ! Taisez-vous ! Taisez-vous ! Taisez-vous ! [ Dieux ! c'est à se damner vraiment ! [ Quel tourment ! [ [ BOURGEOISES et BOURGEOIS [ Ah ! Quel tracas et quel tourment ! [ Ah ! Quel tracas et quel tourment ! [(riant) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! [Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! [ Quel tourment!
BOURGEOISES et BOURGEOIS (riant) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
[ UNE VOYAGEUSE (poursuivant les postillons) [ Je suis la première ! [ [ UN VOYAGEUR (de même) [ Je suis le premier !
[ LES POSTILLONS (brusquement) [ Le dernier ! [ [ LES BOURGEOIS (imitant les postillons, en riant) [ Le dernier !
[ LA VOYAGEUSE [ La première ! [ [ LE VOYAGEUR [ Le premier !
[ LES POSTILLONS [ Non ! [ [ LES BOURGEOIS [ Non ! (Manon qui vient de sortir de la foule considère tout ce tohu-bohu avec étonnement.)
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SCÈNE II
LES MÊMES, L'HÔTELIER, sur le pas de
sa porte. BRÉTIGNY. Ah ! voilà le coupable !
GUILLOT. Réponds-nous, misérable !
L'HÔTELIER, indigné. Moi, vous abandonner ! Je ne dirai qu'un mot : qu'on serve le dîner ! A ce moment, des marmitons sortent de l'hôtellerie en portant des plats, ils se dirigent lentement et presque solennellement vers le pavillon.
L'HÔTELIER, avec importance. Hors-d'œuvre de choix...
TOUS. Bien !
L'HÔTELIER. Diverses épices... Poisson, poulet...
TOUS. Parfait !
L'HÔTELIER, insistant. Un buisson d'écrevisses ! Et pour arroser le repas, De vieux vins...
GUILLOT. Ne les troublez pas !
L'HÔTELIER. Et pour compléter les services, Le pâté de canard !
TOUS. Un pâté ?
GUILLOT. De canard ?
L'HÔTELIER, se rengorgeant. Non pas, messieurs ! un objet d'art !
[ ENSEMBLE [ BRÉTIGNY, GUILLOT, LES FEMMES. [ Douce providence, [ Il faut te bénir. [ Voilà qu'en cadence, [ On vient nous servir ! [ O sort délectable, [ Lorsque l'on a faim, [ De se voir enfin, [ Devant une table ! [ A table ! [ [ L'HÔTELIER. [ Ceci me dispense [ De plus discourir. [ Voyez en cadence, [ On vient vous servir ! [ Il est préférable, [ Et même très sain, [ D'attendre la faim [ Pour se mettre à table ! [ A table !
Ils rentrent dans le pavillon dont la fenêtre et la porte se referment.
SCÈNE III
L'HÔTELIER. C'est très bien de dîner !... Il faut aussi payer. Et je vais... Mais au fait, pensons au chevalier Des Grieux !... Le temps passe, Et j'ai promis de retenir sa place Au premier coche... Les bourgeois commencent à envahir la scène. Eh mais, voilà, Déjà La ribambelle Des bons bourgeois !... ils viennent regarder Si l'on peut lorgner Quelque belle,
Ou se moquer de quelque voyageur !... Il entre dans le bureau.
SCÈNE IV BOURGEOIS et BOURGEOISES, puis LESCAUT et DEUX GARDES, VOYAGEURS, POSTILLONS et PORTEURS, puis MANON.
LE CHŒUR DES BOURGEOIS, entrant au son d'une cloche. Entendez-vous la cloche, Voici l'heure du coche ! Il faut tout voir ! Les voyageurs, les voyageuses Des curieux, des curieuses, C'est le devoir ! Regardons leurs figures, Admirons leurs tournures, Regardons bien ! N'en perdons rien !
LESCAUT, entrant. C'est bien ici l'hôtellerie, Où le coche d'Arras va tantôt s'arrêter ?
LES GARDES. C'est bien ici !
LESCAUT, les congédiant. Bonsoir !
LES GARDES. Quelle plaisanterie ! Lescaut, tu pourrais nous quitter ?
LESCAUT. Jamais ! Allez à l'auberge voisine ; On y vend un clairet joyeux ; Je vais attendre ma cousine, Et je vous rejoins tous les deux !
LES GARDES Rappelle-toi !
LESCAUT, froissé. Je perdrais la mémoire, Quand il s'agit de boire ! Vous m'insultez, c'est imprudent.
LES GARDES, suppliant. Lescaut !
LESCAUT. C'est bon ! Allez trinquer en m'attendant. Les deux gardes sortent par la porte du fond. — Nouveau coup de cloche.
REPRISE DU CHŒUR. Entendez-vous la cloche... Etc. Sur la fin du chœur, on a vu au fond la rue se remplir de postillons et de porteurs chargés de malles, de cartons, de valises, et précédés d'une foule de voyageurs et de voyageuses qui tournent autour d'eux pour obtenir leurs bagages.
LES BOURGEOIS, avec joie. Ah ! les voilà !
UNE VIEILLE DAME, se rajustant. Mais ma coiffure !... oh ! ma toilette !
LE CHŒUR, riant. Voyez-vous pas cette coquette !
UN VOYAGEUR. Hé ! le porteur !
LE PORTEUR. Dans un instant !
LE CHŒUR. Ah ! le singulier personnage !
UNE VOYAGEUSE. Où sont mes oiseaux et ma cage ?
UN VOYAGEUR. Hé ! postillon !
LE POSTILLON. Dans un moment !
UN VOYAGEUR. Vite ma malle !
UNE VOYAGEUSE. Et mon panier !
TOUS. Je suis le premier !
LES POSTILLONS. Le dernier !
TOUS. Voyons, voyons !
LES POSTILLONS. Moins de tapage !
TOUS. Donnez à chacun son bagage !
ENSEMBLE DES VOYAGEURS. Dieux ! quel tracas et quel tourment ! Quand il faut monter en voiture, On ferait bien, je vous le jure, De faire avant son testament
POSTILLONS et PORTEURS, BOURGEOIS et BOURGEOISES. Ah ! c'est à se damner vraiment, Chacun d'eux gémit et murmure Rien qu'en montant dans la voiture, Et recommence en descendant ! Manon vient de sortir de la foule et considère tout ce tohu-bohu avec étonnement.
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LES BOURGEOISES (entre elles, regardant Manon) Voyez ! cette jeune fille !...
LESCAUT (l'observant à son tour) Eh ! J'imagine Que cette belle enfant, c'est Manon, ma cousine ! (allant vers elle) (à Manon, franchement) Je suis Lescaut.
MANON (avec une légère surprise) Vous... mon cousin ! (simplement) Embrassez-moi !
LESCAUT Mais très volontiers, sur ma foi !... Morbleu ! C'est une belle fille Qui fait honneur à la famille !
MANON (avec embarras) Ah ! mon cousin ! Mon cousin, excusez-moi !
LESCAUT (à part) Elle est charmante !
MANON (avec charme et émotion) Je suis... encor... tout étourdie... Je suis... encor... tout engourdie... Ah ! mon cousin, excusez-moi ! Excusez un moment d'émoi ! Je suis... encor... tout étourdie... Pardonnez à mon bavardage, J'en suis à mon premier voyage ! (en racontant) Le coche s'éloignait à peine Que j'admirais de tous mes yeux Les hameaux, les grands bois,... la plaine, Les voyageurs... jeunes et vieux ! (changeant de ton) Ah ! mon cousin, excusez-moi ! C'est mon premier voyage !... (continuant son récit) Je regardais fuir, curieuse, Les arbres frissonnant au vent ! Et j'oubliais toute joyeuse Que je partais pour le couvent !... pour le couvent !... pour le couvent !... Devant tant de choses nouvelles, Ne riez pas si je vous dis Que je croyais avoir des ailes Et m'envoler au paradis !... Oui, mon cousin ! Puis j'eus un moment de tristesse... Je pleurais... je ne sais pas quoi ! (changeant de ton) L'instant d'après, je le confesse, Je riais !... (riant aux éclats) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Je riais !... Mais sans savoir pourquoi ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (confuse) Ah ! mon cousin, excusez-moi ! Ah ! mon cousin, pardon ! Je suis... encor... tout étourdie... Je suis... encor... tout engourdie ! Pardonnez à mon bavardage, J'en suis à mon premier voyage ! (Grand mouvement. Les voyageurs, précédés des postillons, envahissent la cour de l'hôtellerie. On sonne le départ du coche.)
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LESCAUT, la regardant Eh j'imagine Que cette belle enfant, c'est Manon !... ma cousine ! Je suis Lescaut...
MANON Vous, mon cousin ? Embrassez-moi !
LESCAUT. Mais très volontiers, sur ma foi !... Morbleu ! c'est une belle fille, Qui fait honneur à la famille !
MANON. Ah ! mon cousin, excusez-moi ! Je suis encor tout étourdie, Tout engourdie ! Excusez un moment d'émoi, Pardonnez à mon bavardage, J'en suis à mon premier voyage ! Le coche s'éloignait à peine, Que j'admirais de tous mes yeux, Les hameaux, les grands bois, la plaine, Les voyageurs jeunes et vieux ! Je regardais fuir, curieuse, Les arbres frissonnant au vent ! Et j'oubliais, toute joyeuse, Que je partais pour le couvent ! Devant tant de choses nouvelles, Ne riez pas si je vous dis Que je croyais avoir des ailes, Et m'envoler au paradis ! Puis, j'eus un moment de tristesse Je pleurais... je ne sais pas quoi, L'instant d'après, je le confesse, Je riais sans savoir pourquoi ! Ah ! mon cousin, excusez-moi ! Je suis encore tout étourdie, Tout engourdie ! Excusez un moment d'émoi, Pardonnez à mon bavardage, J'en suis à mon premier voyage !
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LES POSTILLONS (aux voyageurs) Partez !... On sonne !
LES VOYAGEURS (avec une épouvante comique) Comment ?... Partir ?
LES POSTILLONS (brutalement aux voyageurs) Allons ! Sortez ! Voici l'autre voiture !
LES VOYAGEURS Partir !... Comment !... Quelle mésaventure ! (Tous se bousculent et réclament.)
LES POSTILLONS Partez !
[ VOYAGEUSES [ Mon carton ! Mes oiseaux ! [ Mon panier ! Mon paquet ! [ Mes oiseaux ! Mes oiseaux ! [ Mon carton ! Mon carton ! [ On nous rançonne ! [ Voyons ! Voyons ! Voyons ! Voyons ! [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! [ Quand il faut monter en voiture, [ Ah ! je le jure, [ On ferait bien de faire avant son testament ! [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! [ Ah ! L’on devrait faire avant tout son testament ! [ Ah ! L’on devrait faire avant tout son testament ! [ Quel tracas ! quel tourment ! [ Dieux ! quel tracas et quel tourment ! [ Quel tourment ! [ [ VOYAGEURS [ Non ! Mon paquet ! Non ! Mon chapeau ! [ Mon paquet ! Mon paquet ! [ Mon chapeau ! Mon chapeau ! [ On nous rançonne ! [ Voyons ! Voyons ! Voyons ! Voyons ! [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! [ Quand il faut monter en voiture, [ Ah ! je le jure, [ On ferait bien de faire avant son testament ! [ Dieux ! Quel tracas et quel tourment ! ah ! quel tourment ! [ Ah ! L’on devrait faire avant tout son testament ! [ Ah ! L’on devrait faire avant tout son testament ! [ Quel tracas ! quel tourment ! [ Dieux ! quel tracas et quel tourment ! [ Quel tourment ! [ [ LES POSTILLONS [ Allons ! On sonne ! [ Partez ! Voici l'autre voiture ! On sonne ! [ Partez ! Partez ! Partez ! [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun d'eux gémit et murmure. [ Rien qu'en montant dans la voiture [ Et recommence en descendant ! [ Ça recommence en descendant ! [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun gémit ! [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun gémit ! [ Taisez-vous ! Taisez-vous ! Taisez-vous ! Taisez-vous ! [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Quel tourment ! [ [ BOURGEOISES et BOURGEOIS (riant) [ Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! [ Ah ! c'est à se damner vraiment ! [ Chacun gémit ! [ Rien qu'en montant ou descendant [ Dieux ! Quel tourment ! [ Ah ! quel tracas et quel tourment ! [ Ah ! quel tracas et quel tourment ! [ (riant) [ Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! [ Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! [ Quel tourment !
BOURGEOISES et BOURGEOIS (riant) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (La foule s'éloigne peu à peu, laissant ensemble Lescaut et Manon. Celui-ci la quitte bientôt pour aller chercher ses paquets qui sont restés dans la voiture.)
LESCAUT (au moment de sortir pour aller chercher les paquets de Manon) Attendez-moi, soyez bien sage, Je vais chercher votre bagage !
LES BOURGEOIS ET LES BOURGEOISES Il faut tout voir ! Pour nous c'est un devoir ! (Ils disparaissent. Manon reste seule.) |
LESCAUT. Elle est charmante, elle me plaît !
LES POSTILLONS, aux voyageurs. Allons, sortez, voici l'autre voiture !
LES VOYAGEURS. Comment ! partir ! quelle mésaventure !
UN GROUPE. Mais ma valise !
PREMIER GROUPE. Et mes oiseaux ?
DEUXIÈME GROUPE. Et mon paquet ?
PREMIER GROUPE. On nous rançonne !
LES POSTILLONS. Partez ! on sonne ! La cloche sonne.
REPRISE DES ENSEMBLES. LES VOYAGEURS. Dieu ! quel tracas et quel tourment, Quand il faut prendre la voiture On ferait bien, je vous le jure, De faire avant son testament !
LES BOURGEOIS. Entendez-vous la cloche ? Voici l'heure du coche, Il faut tout voir, C'est le devoir ! La scène se vide peu à peu, la foule s'éloigne, laissant ensemble Lescaut et Manon. Celui-ci la quitte bientôt pour aller aussi chercher ses paquets qui sont restés à la voiture.
LESCAUT. Attendez-moi, soyez bien sage. Je vais chercher votre bagage !
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l'acte I de Manon à l'Opéra-Comique en décembre 1898 (nouvelle production)
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SCÈNE V MANON, puis GUILLOT.
GUILLOT (paraissant sur le balcon du pavillon) Hôtelier de malheur ! Il est donc entendu Que nous n'aurons jamais de vin ! (Apercevant Manon) Ciel ! Qu'ai-je vu ? Mademoiselle !... Hem, hem !... Mademoiselle ? (à part) Ce qui se passe en ma cervelle Est inouï !
MANON (à part, en riant) Cet homme est fort drôle, ma foi !
GUILLOT Mademoiselle, écoutez-moi ! On me nomme Guillot, Guillot de Morfontaine ; De louis d'or ma caisse est pleine, Et j'en donnerais beaucoup pour Obtenir de vous un seul mot d'amour... J'ai fini, qu'avez-vous à dire ?
MANON Que je me fâcherais si je n'aimais mieux rire ! (Manon éclate de rire, et son rire est répété par Brétigny, Javotte, Poussette et Rosette qui viennent d’arriver sur le balcon.)
BRÉTIGNY Eh bien ! Guillot, que faites-vous ? Nous vous attendons !
GUILLOT Au diable les fous !
POUSSETTE (à Guillot) N'avez-vous pas honte, à votre âge !...
BRÉTIGNY Cette fois-ci, le drôle a par hasard Découvert un trésor. Jamais plus doux regard N'illumina plus gracieux visage...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE (à Guillot, en riant) Dieu sait où vous mène un faux pas ! Cher ami Guillot, n'en faites pas ! Revenez ! Vous allez vous cassez le nez !
[ ROSETTE [ Revenez donc, Guillot ! Non ! non ! point de faux pas ! [ Guillot n’en faites pas ! [ [ JAVOTTE [ Revenez donc, Guillot ! Non ! non ! point de faux pas ! [ [ POUSSETTE [ Revenez donc, Guillot !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE (riant) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Revenez ! Vous allez vous cassez le nez ! Revenez donc, Guillot ! (rires) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah!
BRÉTIGNY Allons, Guillot, laissez Mademoiselle, Et revenez, l'on vous appelle !...
GUILLOT (impatienté) Oui, je reviens dans un moment ! (à Manon) Ma mignonne, un mot seulement !
BRÉTIGNY Guillot, laissez Mademoiselle !...
GUILLOT (bas à Manon) De ma part, tout à l'heure, un postillon viendra... Quand vous l'apercevrez, cela signifiera : Qu'une voiture attend, que vous pouvez la prendre... Et qu'après... vous devez comprendre... (Lescaut vient de rentrer.)
LESCAUT (brusquement, à Guillot) Plaît-il, Monsieur ?
GUILLOT (interdit, balbutiant) Monsieur ?...
LESCAUT Eh bien ! Vous disiez…
GUILLOT (de même) Je ne disais rien... (Il remonte malgré lui dans le pavillon.)
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE et BRÉTIGNY Revenez, Guillot, revenez ! Dieu sait où nous mène un faux pas. Cher ami Guillot, n'en faites pas ! Revenez ! Vous vous êtes cassé le nez ! (Ils rentrent en riant dans le pavillon.)
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SCÈNE V MANON, puis GUILLOT.
Entre Guillot sur le balcon. GUILLOT. Hôtelier de malheur ! il est donc entendu Que nous n'aurons jamais de vin !... Apercevant Manon. Ciel ! qu'ai-je vu ? Il descend. Mademoiselle !... hem !... hem !... mademoiselle... A part. Ce qui se passe en ma cervelle Est inouï !
MANON, à part, en riant. Cet homme est fort drôle, ma foi !
GUILLOT. Mademoiselle, écoutez-moi ! On me nomme Guillot, Guillot de Morfontaine ; De louis d'or ma caisse est pleine, Et j'en donnerais beaucoup pour
Obtenir de vous un seul mot d'amour...
MANON. Que je me fâcherais si je n'aimais mieux rire... Son rire est répété par Brétigny, Javotte, Poussette et Rosette qui viennent d'arriver sur le balcon.
BRÉTIGNY. Eh bien, Guillot, que faites-vous ? Nous vous attendons !
GUILLOT. Au diable les fous !
POUSSETTE. N'avez-vous pas honte !... à votre âge !...
BRÉTIGNY. Cette fois-ci, le drôle a par hasard Découvert un trésor. Jamais plus doux regard N'illumina plus gracieux visage...
LES TROIS FEMMES. Revenez, Guillot, revenez, Vous allez vous casser le nez La prudence est bonne à tout âge, Ne vous risquez pas davantage, Dieu sait où nous mène un faux pas, Ah ! cher ami, n'en faites pas !
BRÉTIGNY. Allons, Guillot, laissez mademoiselle, Et revenez, l'on vous appelle !...
GUILLOT, à Brétigny et aux femmes. Oui, je reviens dans un moment. A Manon. Ma mignonne, un mot seulement !
BRÉTIGNY. Guillot, laissez mademoiselle !...
GUILLOT, bas, à Manon. De ma part, tout à l'heure, un postillon viendra... Quand vous l'apercevrez, cela signifiera : Qu'une voiture attend, que vous pouvez la prendre... Et qu'après... vous devez comprendre... Lescaut vient de rentrer et se place devant Guillot, au moment où ce dernier se retourne et se dispose à rentrer dans le pavillon.
LESCAUT. Plaît-il, monsieur ?
GUILLOT, épouvanté. Monsieur ?
LESCAUT. Eh bien ? Vous disiez ?
GUILLOT. Je ne disais rien ! Il se retire.
BRÉTIGNY et LES FEMMES. Revenez, Guillot, revenez, Vous vous êtes cassé le nez !... Etc. Ils rentrent tous en riant dans le pavillon.
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SCÈNE VI LESCAUT, MANON, LES GARDES.
LESCAUT (à Manon, sérieusement) Il vous parlait, Manon ?
MANON (légèrement et vif) Ce n'était pas ma faute...
LESCAUT Certes, et j'ai de vous opinion trop haute Pour me fâcher.
UN GARDE (à Lescaut) Eh bien ! Tu ne viens pas !
UN AUTRE (de même) Les cartes et les dés nous attendent là-bas...
LESCAUT Je viens, mais à cette jeunesse, Permettez d'abord que j'adresse (avec suffisance) Quelques conseils remplis de sagesse !...
LES DEUX GARDES (résignés et avec respect) Ecoutons la sagesse !
LESCAUT (à Manon, avec importance) Regardez-moi bien dans les yeux, Je vais tout près à la caserne, Discuter avec ces messieurs De certain point qui les concerne. Attendez-moi donc un instant, Un seul moment ! Ne bronchez pas, soyez gentille, Et n'oubliez pas, mon cher cœur, Que je suis gardien de l'honneur De la famille ! De la famille !... Si par hasard… quelque imprudent Vous tenait un propos frivole… Dans la crainte d'un accident, Ne dites pas une parole ! Priez-le d'attendre un instant, Un seul moment ! Ne bronchez pas, soyez gentille, Et n'oubliez pas, mon cher cœur, Que je suis gardien de l'honneur De la famille ! De la famille !... (aux gardes, en leur faisant signe de partir) Et maintenant, voyons à qui de nous La Déesse du jeu va faire les yeux doux ! (Au moment de s'éloigner, il se retourne vers Manon.) Ne bronchez pas ! Soyez gentille ! (Il s’éloigne.)
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SCÈNE VI LESCAUT, MANON, LES GARDES.
LESCAUT. Il vous parlait, Manon ?
MANON. Ce n'était pas ma faute...
LESCAUT. Certes ! et j'ai de vous opinion trop haute Pour me fâcher.
LES GARDES. Eh bien, tu ne viens pas ? Les cartes et les dés nous attendent là-bas...
LESCAUT. Je viens, mais à cette jeunesse Permettez d'abord que j'adresse Quelques conseils tout remplis de sagesse !...
LES GARDES, résignés. Ecoutons la sagesse.
LESCAUT, à Manon. Regardez-moi bien dans les yeux ! Je vais tout près à la caserne, Discuter avec ces messieurs De certain point qui les concerne. Attendez-moi donc un instant, Un seul moment. Ne bronchez pas, soyez gentille, Et n'oubliez pas, mon cher cœur, Que je suis gardien de l'honneur De la famille ! Si par hasard, quelque imprudent Vous tenait un propos frivole, Dans la crainte d'un accident, Ne dites pas une parole.
Priez-le d'attendre un instant, Ne bronchez pas. Soyez gentille, Et n'oubliez pas, mon cher cœur, Que je suis gardien de l'honneur De la famille ! Aux gardes. Et maintenant, allons ; voyons à qui de nous La déesse du jeu va faire les yeux doux ! A Manon. C'est pour l'honneur de la famille !
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SCÈNE VII
MANON Restons ici puisqu'il le faut ! Attendons... sans penser !... Evitons ces folies !... Ces projets qui mettaient ma raison en défaut !... Ne rêvons plus !... (Manon semble plongée dans ses réflexions. Puis, tout à coup, simplement, elle porte les yeux sur le pavillon dans lequel sont enfermées Poussette, Javotte et Rosette.) (à elle-même) Combien ces femmes sont jolies ! La plus jeune portait un collier de grains d'or !... (se levant) Ah ! comme ces riches toilettes Et ces parures si coquettes Les rendaient plus belles encor !... (triste et résignée) Voyons, Manon, plus de chimères ! Où va ton esprit en rêvant ? Laisse ces désirs éphémères A la porte de ton couvent ! Voyons, Manon ! Voyons, Manon ! Plus de désirs, plus de chimères ! (changeant de ton) Et cependant ! Pour mon âme ravie, En elles tout est séduisant ! (avec un élan de volupté) Ah ! Combien ce doit être amusant De s'amuser toute une vie !... Ah ! Voyons, Manon, plus de chimères ! Où va ton esprit en rêvant ? Voyons, Manon ! Voyons, Manon ! Plus de désirs, plus de chimères !
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SCÈNE VII
MANON Restons ici, puisqu'il le faut ! Attendons... sans penser !... Evitons ces folies !... Ces projets qui mettaient ma raison en défaut !... Ne rêvons plus !... Long silence, pendant lequel Manon semble plongée dans ses réflexions. On sent à l'expression de son visage, qu'une sorte de combat se livre en elle. Elle devient rêveuse et machinalement porte les yeux sur le pavillon dans lequel sont enfermées Poussette, Javotte, Rosette.
Combien ces femmes sont jolies !... La plus jeune portait un collier de grains d'or !... Ah ! comme ces riches toilettes Et ces parures si coquettes Les rendaient plus belles encor !... Se levant. Voyons, Manon, plus de chimères Où va ton esprit en rêvant ? Laisse ces désirs éphémères A la porte de ton couvent ! Et cependant, pour mon âme ravie En elles tout est séduisant ! Combien ce doit être amusant De s'amuser toute une vie !... Voyons, Manon, plus de chimères... Où va ton esprit en rêvant ? Laisse ces désirs éphémères, A la porte de ton couvent !
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SCÈNE VIII MANON, puis DES GRIEUX.
MANON (apercevant Des Grieux) Quelqu'un !...Vite ! A mon banc de pierre ! (Des Grieux s’avance sans voir Manon.)
DES GRIEUX (à lui-même) J'ai marqué l'heure du départ... J'hésitais... Chose singulière !... (résolument) Enfin, demain soir au plus tard J'embrasserai mon père !... Mon père !... Oui, je le vois sourire, Et mon cœur ne me trompe pas ! Je le vois, il m'appelle et je lui tends les bras ! (Involontairement, Des Grieux s'est tourné vers Manon.) O ciel !... Est-ce un rêve ?... Est-ce la folie ?... (avec extase et comme si une vision lui apparaissait) D'où vient ce que j'éprouve ?... On dirait que ma vie Va finir... ou commence !... Il semble qu'une main De fer me mène en un autre chemin Et malgré moi m'entraîne devant elle !... (Peu à peu Des Grieux s’est rapproché de Manon.) Mademoiselle...
MANON Eh, quoi ?
DES GRIEUX Pardonnez-moi ! Je ne sais... j'obéis... je ne suis plus mon maître... Je vous vois, J'en suis sûr, pour la première fois Et mon cœur cependant vient de vous reconnaître !
MANON (simplement) On m'appelle Manon...
DES GRIEUX (avec émotion) Manon !
MANON (à part) Que son regard est tendre ! Et que j'ai de plaisir à l'entendre !...
DES GRIEUX Ces paroles d'un fou, veuillez les pardonner !
MANON (simplement) Comment les condamner ? Elles charment le cœur en charmant les oreilles ! J'en voudrais savoir de pareilles Pour vous les répéter !
DES GRIEUX (avec transport) Enchanteresse Au charme vainqueur ! Manon, vous êtes la maîtresse De mon cœur !
[ MANON [ Mots charmants, enivrantes fièvres [ Enivrantes fièvres… du bonheur !... [ [ DES GRIEUX [ O Manon ! Vous êtes maîtresse… [ Vous êtes maîtresse de mon cœur !...
DES GRIEUX Ah ! parlez-moi !
MANON Je ne suis qu'une pauvre fille... (souriant) Je ne suis pas mauvaise, mais souvent On m'accuse dans ma famille D'aimer trop le plaisir !...On me met au couvent Tout à l'heure... et c'est là l'histoire De Manon... (simplement) de Manon Lescaut...
DES GRIEUX (avec ardeur) Non, je ne veux pas croire A cette cruauté ! Que tant de charmes, de beauté Soient voués à jamais à la tombe vivante !
MANON Mais c'est, hélas ! la volonté Du ciel dont je suis la servante, Puisqu'un malheur si grand ne peut être évité !
DES GRIEUX (avec fermeté) Non ! Non ! Votre liberté ne sera pas ravie !...
MANON (avec joie) Comment ?
DES GRIEUX Au chevalier Des Grieux, vous pouvez vous fier !
MANON Ah ! Je vous devrai plus que la vie !
DES GRIEUX (avec passion) Ah ! Manon, vous ne partirez pas ! Dussé-je aller chercher au bout du monde Une retraite inconnue et profonde Et vous y porter dans mes bras !...
[ MANON [ A vous ma vie et mon âme ! [ A vous ! [ A vous toute ma vie à jamais ! [ [ DES GRIEUX [ Enchanteresse ! [ Manon, vous êtes la maîtresse [ De mon cœur ! (A ce moment, le postillon à qui Guillot de Morfontaine a dit précédemment de se tenir aux ordres de Manon paraît dans le fond.)
MANON (elle regarde le postillon, réfléchit et sourit) Par aventure Peut-être avons-nous mieux : Une voiture !... La chaise d'un seigneur... II faisait les doux yeux A Manon ! Vengez-vous !...
DES GRIEUX Mais comment ?
MANON Tous les deux Prenons-là !...
DES GRIEUX (Au postillon, qui s’éloigne aussitôt) Soit, partons !
MANON (troublée) Eh quoi ! Partir ensemble !...
DES GRIEUX (avec transport) Oui, Manon ! Le ciel nous rassemble !
[ DES GRIEUX [ (ému et avec charme) [ Nous vivrons à Paris ! [ Tous les deux, [ Et nos cœurs amoureux, [ L'un à l'autre enchaînés, [ Pour jamais réunis, [ N'y vivront que des jours bénis ! [ [ MANON (tendre et émue) [ Tous les deux !... A Paris ! [ A Paris !... [ Nos n'aurons que des jours bénis !
MANON et DES GRIEUX A Paris !... A Paris, tous les deux, Nous vivrons à Paris, tous les deux !
DES GRIEUX (se rapprochant tendrement de Manon) (avec âme) Et mon nom deviendra le vôtre ! (puis revenant à lui) (avec émotion) Ah ! pardon !
MANON Dans mes yeux... Vous devez bien voir Que je ne puis vous en vouloir ! (presque parlé) Et cependant... c'est mal !
[ DES GRIEUX [ Viens ! Nous vivrons à Paris ! [ Tous les deux, [ Et nos cœurs amoureux, [ L'un à l'autre enchaînés, [ Pour jamais réunis, [ N'y vivront que des jours bénis ! [ [ MANON (tendre et émue) [ Tous les deux !... A Paris ! [ A Paris !... [ Nos n'aurons que des jours bénis !
MANON et DES GRIEUX A Paris !... A Paris, tous les deux, Nous vivrons à Paris, tous les deux ! (éclats de rires dans le pavillon)
[ POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE [ Revenez, Guillot, revenez ! [ Vous allez vous casser le nez ! [ Revenez donc, Guillot ! [ (riant) [ Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! [ [ MANON (se souvenant) [ Ce sont elles ! [ [ DES GRIEUX [ Qu'avez-vous ? [ [ MANON (avec trouble) [ Rien !... Ces femmes si belles !...
LESCAUT (en dehors, aviné) Ce soir, vous rendrez tout au cabaret voisin !
DES GRIEUX (effrayé) Là !...
MANON (de même) C'est la voix de mon cousin !...
DES GRIEUX Viens ! Partons !...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE (au dehors, dans le pavillon) Revenez, Guillot, revenez, revenez ! (Eclats de rire.)
MANON (à part, avec un élan de volupté) Ah ! Combien ce doit être amusant... De s'amuser... toute une vie !
[ MANON [ Ah ! Partons ! [ [ DES GRIEUX [ Viens ! Partons ! (Ils s'enfuient tous deux.)
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SCÈNE VIII MANON, puis DES GRIEUX.
MANON, apercevant des Grieux. Quelqu'un ! Vite à mon banc de pierre ! Elle s'assied vivement et reprend la position que lui a indiquée Lescaut.
DES GRIEUX, sans la voir. J'ai marqué l'heure du départ... Rêveur. J'hésitais... chose singulière !... Résolument. Enfin, demain soir au plus tard
J'embrasserai mon père !... Oui, je le
vois sourire, Je le sens, il m'attire, Et je lui tends les bras ! Involontairement des Grieux s'est tourné vers Manon, il la regarde d'abord avec étonnement, puis avec extase et comme si une vision lui apparaissait. O ciel !... Est-ce un rêve ?... Est-ce la folie ?... D'où vient ce que j'éprouve ? On dirait que ma vie Va finir... ou commence !... Il semble qu'une main De fer me mène en un autre chemin Et malgré moi m'entraîne devant elle !... Peu à peu et involontairement il s'est rapproché de Manon qui s'est levée et qui le regarde souriante et étonnée. Mademoiselle...
MANON. Eh ! quoi ?
DES GRIEUX. Pardonnez-moi ! Je ne sais... j'obéis... je ne suis plus mon maître... Je vous vois, J'en suis sûr, pour la première fois
Et mon cœur cependant vient de vous
reconnaître !
MANON. On m'appelle Manon...
DES GRIEUX. Manon !
MANON, à part. Que son regard est tendre ! Et que j'ai de plaisir à l'entendre !...
DES GRIEUX. Ces paroles d'un fou, veuillez les pardonner !...
MANON. Comment les condamner !
Elles charment le cœur en charmant les
oreilles ! Pour vous les répéter !
DES GRIEUX. Enchanteresse Au charme vainqueur ! Manon vous êtes la maîtresse De mon cœur !
MANON.
Mots charmants, enivrantes fièvres
Qui, pour moi, montez à ses lèvres
DES GRIEUX, après un long silence. Ah ! parlez-moi !
MANON. Je ne suis qu'une pauvre fille... Souriant. Je ne suis pas mauvaise, mais souvent On m'accuse dans ma famille D'aimer trop le plaisir !... On me met au couvent... Tout à l'heure... et c'est là l'histoire De Manon Lescaut !...
DES GRIEUX. Non, non ! je ne veux pas croire A cette cruauté ! Que tant de charmes et de beauté Soient voués pour jamais à la tombe vivante !
MANON.
Mais c'est, hélas !... la volonté
DES GRIEUX. Non, votre liberté ne sera pas ravie !...
MANON, avec joie. Comment ?
DES GRIEUX. Au chevalier Des Grieux, ô Manon ! vous pouvez vous fier !
MANON Je vous devrai plus que la vie !
DES GRIEUX, avec passion. Vous ne partirez pas. Dussé-je aller chercher au bout du monde Une retraite inconnue et profonde Et vous y porter dans mes bras !... A ce moment, le postillon à qui Guillot-Morfontaine a dit précédemment de se tenir aux ordres de Manon paraît dans le fond, Manon le regarde, réfléchit et sourit.
MANON, gaiement. Par aventure, Peut-être avons-nous mieux :
Une voiture ! A Manon ; vengez-vous !...
DES GRIEUX. Mais comment ?
MANON. Tous les deux Prenons-la !...
DES GRIEUX, au postillon. Soit, partons ! Le postillon se retire.
MANON. Eh quoi, partir ensemble !...
DES GRIEUX. Oui, Manon !... Le ciel nous rassemble!
DES GRIEUX et MANON. Nous irons à Paris tous deux, Et nos cœurs amoureux, Enchaînés l'un à l'autre, Pour jamais réunis N'y vivront que des jours bénis !
DES GRIEUX Et mon nom deviendra le vôtre ! Des Grieux s'est rapproché de Manon, et sur ces derniers mots entraîné comme malgré lui, il s'est penché vers elle pour l'embrasser.
DES GRIEUX, revenant à lui. Pardon !...
MANON, simplement. Dans mes yeux vous devez bien voir Que je ne puis vous en vouloir ; Et cependant, c'est mal !... Eclats de rire dans le pavillon, se souvenant. Ce sont elles !
DES GRIEUX. Qu'avez-vous ?...
MANON, rêveuse. Rien !... ces femmes si belles !...
LESCAUT, au dehors, aviné. Ce soir, vous rendrez tout au cabaret voisin !
DES GRIEUX, effrayé. Là ?...
MANON. C'est la voix de mon cousin ! Partons !... Des Grieux l'entraîne et Manon le suit tout en regardant le pavillon où sont Javotte, Poussette, etc. Combien ce doit être amusant De s'amuser toute une vie !... Ils partent
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SCÈNE IX LESCAUT, puis GUILLOT ; BOURGEOIS et BOURGEOISES, puis BRÉTIGNY, JAVOTTE, POUSSETTE, ROSETTE, L'HÔTELIER.
LESCAUT (paraissant gris) Plus un sou !... Le tour est très plaisant !... (appelant) Hé ! Manon ! (Il la cherche.) (avec stupéfaction) Quoi !... Disparue ! (criant) Holà ! Holà !
GUILLOT (descendant doucement le perron, avec précaution) Je veux la retrouver !
LESCAUT (le voyant et lui barrant le passage) Ah ! c'est vous ! Le gros homme !
GUILLOT (reculant) Hein ?
LESCAUT (brutalement) Vous avez pris Manon, vous, rendez-la !
GUILLOT (terrifié) Taisez-vous !
LESCAUT (criant plus fort) Rendez-la moi ! Rendez-la moi ! Rendez-la moi ! (Les bourgeois et l'hôtelier arrivent peu à peu de toutes parts au bruit des cris de Lescaut et se montrent en riant les deux personnages.)
LESCAUT (à Guillot) Allons ! Rendez-la moi !
GUILLOT (à Lescaut, montrant tout le monde) Regardez donc comme vous attirez la foule !
LESCAUT Ah ! bah ! Ça m'est égal ! (aux bourgeois) Il a pris notre honneur ! (à Guillot) C'est un trop beau régal Pour ton vilain museau !...
GUILLOT (terrifié) Quelle aventure !
LESCAUT (aux bourgeois) Il a pris notre honneur !
L'HÔTELIER, BOURGEOISES et BOURGEOIS Voyons, expliquez-vous !
GUILLOT Soit ! Mais très doucement, très doucement Et sans injure !
LESCAUT (encore plus fort) Répondez catégoriquement ! Je veux Manon ! Je veux Manon !
L'HÔTELIER Quoi ! Cette jeune fille ?... Elle est partie avec un jeune homme !... Ecoutez ! (bruit lointain de la voiture)
GUILLOT (avec désespoir) O ciel !
BOURGEOISES et BOURGEOIS Elle est partie !
LESCAUT (furieux) Mais c'est l'honneur de la famille !
L'HÔTELIER (désignant Guillot) Dans la voiture de Monsieur !...
BOURGEOISES et BOURGEOIS Dans la voiture de Monsieur...
GUILLOT Non... Arrêtez !
LESCAUT (voulant s’élancer sur Guillot) Gredin !
[ GUILLOT (se dégageant) [ Lâchez ! Lâchez ! [ [ LESCAUT (cherchant à le rattraper malgré l'hôtelier) [ Non ! Il faut que je châtie !... [ [ L'HÔTELIER, BOURGEOISES et BOURGEOIS [ Ah ! Ah ! La drôle de figure !... [ Vit-on jamais pareil malheur !
BRÉTIGNY (qui est sorti du pavillon avec les femmes) Eh ! Quoi ! Pauvre Guillot ! Votre belle est partie ! (Les femmes rient.)
BOURGEOISES et BOURGEOIS Quelle mésaventure Pour un aussi grand séducteur !...
GUILLOT Taisez-vous tous ! Je veux être vengé Et de cette perfide... et de cet enragé !
[ POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, BRÉTIGNY, L’HÔTELIER, BOURGEOISES et BOURGEOIS (riant) [ Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! La drôle de figure ! [ Ah ! quel malheur ! Ah ! quel malheur ! [ [ LESCAUT [ Morbleu ! Manon, Ah ! vous me reverrez [ Et vous, petit, vous le paierez ! (Tout le monde rit.) |
SCÈNE IX LESCAUT, puis GUILLOT ; BOURGEOIS et BOURGEOISES, puis BRÉTIGNY, JAVOTTE, POUSSETTE, ROSETTE, L'HÔTELIER.
LESCAUT, gris. Le tour est très plaisant, J'avais une fortune et la voilà ravie Plus un sou ! Appelant. Hé !... Manon !... quoi ! Disparue ! holà !
GUILLOT, descendant doucement le balcon. Je veux la retrouver !...
LESCAUT, le voyant et lui barrant le passage. Ah ! c'est vous le gros homme ! Vous avez pris Manon, vous, rendez-la !
GUILLOT, terrifié. Taisez-vous !
LESCAUT, criant plus fort. Rendez-la-moi ! Les bourgeois et l'hôtelier arrivent peu à peu de toutes parts au bruit des cris de Lescaut et se montrent en riant les deux personnages.
GUILLOT, bas. Regardez donc comme Vous attirez la foule !
LESCAUT. Ah ! bah ! ça m'est égal ! Aux bourgeois. Il a pris notre honneur !... A Guillot. C'est un trop beau régal Pour ton vilain museau !...
GUILLOT. Quelle aventure !
L'HÔTELIER, et le chœur. Voyons, expliquez-vous ?...
GUILLOT. Soit !... mais bien doucement Et sans injure !
LESCAUT. Répondez très catégoriquement : Je veux Manon !
L'HÔTELIER. Quoi ! cette jeune fille ? Elle est partie avec un jeune homme !... Ecoutez ! Roulement de la voiture.
GUILLOT. O ciel !
LESCAUT, furieux. Mais c'est l'honneur de la famille !
L'HÔTELIER. Dans la voiture de monsieur...
GUILLOT, à Lescaut qui s'élance sur lui. Non ! arrêtez !...
LESCAUT. Gredin !
GUILLOT, se dégageant. Lâchez !
LESCAUT, cherchant à le rattraper malgré l'hôtelier. Il faut que je châtie...
BRÉTIGNY, sortant du pavillon avec les femmes. Eh ! quoi ! Pauvre Guillot, votre belle est partie ! Tout le monde rit.
GUILLOT. Taisez-vous tous !... Je veux être vengé !... Et de cette perfide et de cet enragé !
L'HÔTELIER et LES BOURGEOIS, riant. Ah ! ah ! la drôle de figure ! Vit-on jamais pareil malheur Et semblable mésaventure Pour un aussi grand séducteur ! Cela révolte la nature ; Les amoureux sont en voiture Et vous, monsieur, vous partirez En courant comme vous pourrez ! Ah ! ah ! ah !
GUILLOT. Morbleu ! quelle mésaventure ! Vit-on jamais pareil malheur, Un amoureux prend la voiture De Guillot le grand séducteur ! Cela révolte la nature ; Je vengerai pareille injure Ah ! bientôt vous me le paierez Et nous verrons si vous rirez !
BRÉTIGNY, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE. Ah ! ah ! la drôle de figure ! Vit-on jamais pareil malheur Et semblable mésaventure Pour un aussi grand séducteur ! Cela révolte la nature ; Les amoureux sont en voiture Et vous, Guillot, vous partirez, Pauvre ami, comme vous pourrez ! Ah ! ah ! ah !
LESCAUT. Morbleu ! cette sanglante injure Causera quelque grand malheur. Manon qui part dans la voiture De ce prétendu séducteur ! Cela révolte la nature ; Me laisser seul à l'aventure ! Ah ! Manon, vous me reverrez, Et vous, petit, vous le paierez ! Tout le monde rit. Rideau.
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Acte II. estampe de Jules Gaildrau du décor de la création
(version de la partition)
ACTE DEUXIÈME
L'APPARTEMENT DE DES GRIEUX ET DE MANON, RUE VIVIENNE
Porte d'entrée à droite, une porte à gauche. A gauche, au premier plan, un petit bureau-secrétaire. Une table près de la cheminée à droite. L'ameublement est des plus simples. Au fond, une fenêtre à petites vitres donnant sur la rue.
Prélude
SCÈNE I MANON, DES GRIEUX, puis LA SERVANTE.
Des Grieux est assis devant un petit bureau-secrétaire. Manon s'avance doucement derrière lui et cherche à lire ce qu'il écrit.
DES GRIEUX (s'arrêtant d'écrire et d'un ton de reproche, souriant) Manon !...
MANON (gaiement) Avez-vous peur que mon visage frôle Votre visage ?
DES GRIEUX Indiscrète Manon !
MANON Oui, je lisais sur votre épaule Et j'ai souri, voyant passer mon nom !...
DES GRIEUX J'écris à mon père et je tremble Que cette lettre, où j'ai mis tout mon cœur, Ne l'irrite...
MANON Vous avez peur ?
DES GRIEUX Oui, Manon, j'ai très peur !...
MANON Eh bien ! il faut relire ensemble...
DES GRIEUX Oui ! C'est cela, ensemble relisons !
MANON (lisant ; simplement) On l'appelle Manon, elle eut hier seize ans. En elle tout séduit, la beauté, la jeunesse, La grâce ! Nulle voix n'a de plus doux accents, Nul regard, plus de charme avec plus de tendresse...
DES GRIEUX (répétant avec ardeur) Nul regard, plus de charme avec plus de tendresse !
MANON (s'arrêtant de lire) Est-ce vrai ? Moi, je n'en sais rien ; (tendrement) Mais je sais que vous m'aimez bien !
DES GRIEUX (avec élan) Vous aimer ?... Vous aimer ! Manon... je t'adore !
MANON (se dégageant) Allons, monsieur, lisons encore !...
DES GRIEUX (lisant) Comme l'oiseau qui suit en tous lieux le printemps, Sa jeune âme à la vie, sa jeune âme est ouverte sans cesse ; Sa lèvre en fleur sourit et parle Au zéphyr parfumé qui passe et la caresse !
[ MANON (répétant) [ Au zéphyr parfumé qui passe et la caresse ! [ [ DES GRIEUX [ Au zéphyr qui passe et la caresse !
MANON (pensive) Il ne te suffit pas alors de nous aimer ?
DES GRIEUX (avec enthousiasme) Non ! Je veux que tu sois ma femme !
MANON Tu le veux ?...
DES GRIEUX Je le veux, et de toute mon âme !
MANON Embrasse-moi donc, chevalier ! (Ils s'embrassent.) Et va porter ta lettre.
DES GRIEUX Oui, je vais la porter ! (Il se dirige vivement vers la porte, et s'arrête.) Voilà des fleurs qui sont fort belles ; D'où te vient ce bouquet, Manon ?
MANON (vivement) Je ne sais pas…
DES GRIEUX Comment, tu ne sais pas ?
MANON (riant) Beau motif de querelles ! (avec une feinte insouciance) Par la fenêtre, on l'a lancé d'en bas... Comme il était joli, je l'ai gardé... Je pense Que tu n'es pas jaloux ?
DES GRIEUX (tendrement) Non, je puis te jurer Que je n'ai de ton cœur aucune défiance...
MANON Et tu fais bien ! Ce cœur et à toi tout entier ! (On entend un bruit de voix au dehors.)
DES GRIEUX Qui donc se permet un tel tapage ?
LA SERVANTE (entrant effarée) Deux gardes du corps sont là qui font rage ; L'un se dit le parent de Madame...
MANON Lescaut ! C'est Lescaut !
LA SERVANTE (bas à Manon et vite) L'autre, c'est... ne parlons pas trop haut, L'autre, c'est quelqu'un qui vous aime, Ce fermier général qui loge près d'ici...
MANON (bas) Monsieur de Brétigny ?...
LA SERVANTE (bas) Monsieur de Brétigny. (Le bruit redouble.)
DES GRIEUX Cela devient trop fort et je vais voir moi-même... (Au moment où il va s'élancer, la porte s'ouvre. Entrent Brétigny, costumé en garde du corps, et Lescaut.)
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(livret, édition de mars 1902)
ACTE DEUXIÈME
L'APPARTEMENT DE DES GRIEUX ET DE MANON, RUE VIVIENNE
Porte d'entrée à droite, une porte à gauche. — A gauche, premier plan, un petit bureau-secrétaire. — Une table près de la cheminée à droite. — Ameublement des plus simples. — Au fond, une fenêtre à petites vitres donnant sur la rue.
Prélude
SCÈNE I MANON, DES GRIEUX, puis LA SERVANTE.
Des Grieux est assis devant le bureau, Manon s'avance doucement derrière lui et cherche à lire ce qu'il écrit.
DES GRIEUX, s'arrêtant d’écrire et d'un ton de reproche ; souriant. Manon !...
MANON, gaîment. Avez-vous peur que mon visage frôle Votre visage ?...
DES GRIEUX. Indiscrète Manon !...
MANON.
Oui, je lisais sur votre épaule,
DES GRIEUX. J'écris à mon père et je tremble Que cette lettre, où j'ai mis tout mon cœur, Ne l'irrite...
MANON. Vous avez peur ?
DES GRIEUX. Oui, Manon, j'ai peur, j'ai très peur...
MANON. Eh bien ! il faut relire ensemble...
DES GRIEUX. C'est cela, relisons ensemble !
MANON, lisant.
« On l'appelle Manon ; elle eut hier
seize ans. La grâce ! Nulle voix n'a de plus doux accents, Nul regard, plus de charme avec plus de tendresse... »
DES GRIEUX, répétant. Nul regard plus de charme avec plus de tendresse !
MANON, s'arrêtant de lire. Est-ce vrai ? Moi, je n'en sais rien ; Mais je sais que vous m'aimez bien !
DES GRIEUX, avec élan. Vous aimer ?... Manon... je t'adore !
MANON, se dégageant. Allons, monsieur, lisons encore !...
DES GRIEUX, lisant. « Comme l'oiseau qui suit en tous lieux le printemps, Sa jeune âme à la vie est ouverte sans cesse ; Sa lèvre en fleur sourit et parle par instants Au zéphyr parfumé qui passe et la caresse ! »
MANON, répétant. Au zéphyr parfumé qui passe et la caresse ! Réfléchissant. Il ne te suffit pas alors de nous aimer ?
DES GRIEUX, avec enthousiasme. Non ! je veux que tu sois ma femme !
MANON, rassurée. Tu le veux ?...
DES GRIEUX. Je le veux, et de toute mon âme !
MANON. Embrasse-moi donc, chevalier, Et va porter ta lettre.
DES GRIEUX. Oui, je cours la porter ! Il s'arrête et regarde un bouquet qui est placé sur la cheminée. Voilà des fleurs qui sont fort belles, D'où te vient ce bouquet, Manon ?
MANON, vivement. Je ne sais pas.
DES GRIEUX. Comment, tu ne sais pas ?
MANON, riant. Beau motif de querelles ! Par la fenêtre, on l'a lancé d'en bas... Comme il était joli, je l'ai gardé... Je pense Que tu n'es pas jaloux ?
DES GRIEUX, tendrement. Non, je puis te jurer Que je n'ai de ton cœur aucune défiance...
MANON. Et tu fais bien ! Ce cœur est à toi tout entier !
On entend un bruit de voix au dehors. DES GRIEUX. Qui donc se permet un pareil tapage ? Entre la servante effarée.
LA SERVANTE. Deux gardes du corps sont là qui font rage ! L'un se dit le parent de madame...
MANON. Lescaut ! C'est Lescaut !
LA SERVANTE, bas à Manon et vite. L'autre c'est... ne parlons pas trop haut ! L'autre, c'est quelqu'un qui vous aime, Ce fermier général qui loge près d'ici...
MANON, bas. Monsieur de Brétigny ?...
LA SERVANTE, bas. Monsieur de Brétigny.
DES GRIEUX. Cela devient trop fort et je vais voir moi-même... Au moment où il va s'élancer, la porte s'ouvre. Entrent Brétigny et Lescaut. |
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SCÈNE II LES MÊMES, LESCAUT, DE BRÉTIGNY.
LESCAUT (brusquement) Je vous tiens tous les deux !
BRÉTIGNY Soyez clément, Lescaut, songez à leur jeunesse…
LESCAUT (à Des Grieux, avec insolence) Vous m'avez, l'autre jour, brûlé la politesse, Monsieur le drôle !
DES GRIEUX (vivement) Hé ! là ! Parlez plus doucement !
LESCAUT (ironique) Plus doucement ?
DES GRIEUX (calme et menaçant) Plus doucement !
LESCAUT C'est à tomber foudroyé sur la place ! J'arrive pour venger l'honneur de notre race, Je suis le redresseur, je suis le châtiment, Et c'est à moi qu'on dit de parler doucement ! de parler doucement !
BRÉTIGNY Contiens-toi...
LESCAUT (presque parlé) Coquin !
BRÉTIGNY Retiens-toi...
DES GRIEUX C'est bien, je vais vous couper les oreilles !
LESCAUT (presque parlé, à Brétigny, feignant de n'avoir rien compris) Hein ? Qu'est-ce qu'il dit ?
BRÉTIGNY (à Lescaut, en riant) Qu'il va vous couper les oreilles !
LESCAUT Vit-on jamais insolences pareilles ? Il menace...
BRÉTIGNY Ça m'en a l'air...
LESCAUT Par la mort !
BRÉTIGNY (le contenant) Lescaut !...
LESCAUT Par l'enfer !...
[ MANON [ Ah ! chevalier, je meurs d'effroi ! je meurs d'effroi ! [ Je le sais bien, je suis coupable ! [ Veillez sur moi ! [ Ah ! chevalier, je meurs d'effroi ! [ Veillez sur moi ! [ Ah ! c’en est fait !... [ Son regard courroucé m’accable ! [ Je meurs d'effroi ! Je meurs d'effroi ! [ [ DES GRIEUX [ O Manon, soyez sans effroi ! [ Comptez sur moi ! [ Seul de nous deux, je suis coupable ! [ Comptez sur moi ! [ O cher amour ! Ne tremblez pas ! [ Comptez sur moi ! [ Il sera bientôt plus traitable ! [ Manon ! Comptez sur moi ! [ Manon ! Comptez sur moi ! Comptez sur moi ! [ [ LESCAUT [ Coquin ! Retenez-moi ! Retenez-moi ! [ Retenez-moi ! Drôle !... Retenez-moi ! [ Je sais de quoi je suis capable ! [ Retenez-moi ! Je sais de quoi je suis capable ! [ Quand il faut punir un coupable ! [ Retenez-moi ! Retenez-moi ! [ Drôle ! Coquin ! Drôle ! Retenez-moi ! Retenez-moi ! [ Coquin ! Je veux punir ! Retenez-moi ! Retenez-moi ! Retenez-moi ! [ [ BRÉTIGNY [ Contiens-toi, Lescaut ! [ Allons, contiens-toi, Lescaut ! [ Le remords les accable ! [ Vois ! Chacun d'eux est coupable ! [ Le remords les accable ! [ Allons ! de l’indulgence, [ Contiens-toi, Lescaut ! [ Lescaut, contiens-toi ! Retiens-toi !
BRÉTIGNY (à Lescaut, s'interposant) Lescaut ! Vous montrez trop de zèle ! Expliquez-vous plus posément !
LESCAUT (avec importance) Soit ! J'y consens ! (à Des Grieux) Mademoiselle Est ma cousine et je venais très poliment...
DES GRIEUX (menaçant encore) Très poliment ?
LESCAUT Très poliment ; Oui, je venais très poliment Dire : Monsieur, sans vous chercher querelle... Répondez : oui, répondez : non, Voulez-vous épouser Manon ?
[ LESCAUT [ La chose est claire, [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ C'est ainsi qu'on traite une affaire ! [ La chose est claire, [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ Voilà l’affaire ! [ [ BRÉTIGNY [ La chose est claire, [ Entre lurons [ C'est ainsi qu'on traite une affaire ! [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ La chose est claire, [ Entre lurons [ Oui c’est ainsi : c’est l’affaire !
BRÉTIGNY (à Des Grieux, riant) Eh bien ! Etes-vous satisfait ?
DES GRIEUX (riant) Ma foi, je n'ai plus de colère, Et votre franchise me plaît.
[ BRÉTIGNY (riant) [ C'est ainsi qu'on traite une affaire ! [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ La chose est claire, [ Entre lurons, [ Oui c’est ainsi : c’est l’affaire ! [ [ LESCAUT [ C'est ainsi qu'on traite une affaire ! [ La chose est claire, [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ Voilà l’affaire ! [ [ DES GRIEUX [ Ma foi, je n'ai plus de colère, [ Je n'ai plus de colère !
DES GRIEUX (à Lescaut) Je venais d'écrire à mon père, (montrant sa lettre) Avant qu'on y mette un cachet, Vous lirez bien ceci, j'espère...
LESCAUT (prenant la lettre) Volontiers... mais voici le soir... (observant Manon et Brétigny) Allons tous deux pour y mieux voir... (éloignant Des Grieux avec intention) Nous placer près de la fenêtre, Et là nous lirons votre lettre. (Il remonte vers le fond avec Des Grieux. Brétigny se trouve près de Manon.)
MANON (à Brétigny, furtivement) Venir ici sous un déguisement...
BRÉTIGNY (à Manon, de même) Vous m'en voulez ?
MANON Certainement… Vous savez que c'est lui que j'aime.
BRÉTIGNY J'ai voulu vous avertir moi-même Que ce soir, de chez vous, on compte l'enlever...
MANON Ce soir ?...
BRÉTIGNY Par ordre de son père.
MANON (avec émotion et surprise) Par ordre de son père ?...
BRÉTIGNY Oui, ce soir, ici-même On viendra l'arracher…
MANON (faisant un pas) Ah ! je saurais bien empêcher...
BRÉTIGNY (l'arrêtant) Prévenez-le, c'est la misère Pour lui, pour vous... (à voix basse, de très près) Ne le prévenez pas ! Et c'est la fortune au contraire... Qui vous attend...
MANON (vivement et avec crainte) Parlez plus bas !
[ LESCAUT (lisant et accusant chaque syllabe) [ « On l'appelle Manon... [ Elle eut hier seize ans… [ En elle, tout séduit… » [ (changeant de ton) [ Que ces mots sont touchants ! [ Que ces mots sont touchants ! [ Vous l’épousez ? [ (lisant) [ « Comme l’oiseau qui suit… le printemps… [ (se reprenant) [ En tous lieux le printemps ! » [ Poésie… Amour ! [ (lisant) [ « Sa jeune âme à la vie… » [ (à lui) [ Poésie ! [ (lisant) [ « Est ouverte sans cesse… » Amour ! [ Vous l’épousez ! Vraiment ! [ [ BRÉTIGNY (bas à Manon, avec fièvre) [ Ne le prévenez pas ! [ Cédez… C’est la fortune ! [ Manon ! Manon ! Voici l’heure prochaine [ De votre liberté ! [ Manon ! Manon ! Bientôt vous serez reine, [ Reine par la beauté ! [ Manon, vous serez reine par la beauté ! [ Vous serez reine ! Ecoutez-moi ! [ Vous serez reine par la beauté ! [ Ah ! Manon c’est la fortune ! [ [ MANON (à Brétigny) [ Jamais... Parlez plus bas… [ Jamais ! Parlez plus bas ! [ (à part) [ Quel doute étrange et quel tourment ! [ Dans mon cœur quel délire ! [ Quel doute étrange et quel tourment ! [ Ah ! quel tourment pour mon cœur troublé, quel tourment ! [ Ah ! quel tourment pour mon cœur ! Partez ! [ Ah ! quel tourment pour mon cœur troublé ! [ Ah ! partez ! Ah ! partez ! [ [ DES GRIEUX [ Ah ! Lescaut, c'est que je l'adore ! [ (simplement) [ Laissez-moi vous le dire encore ! [ C'est que je l'adore ! [ C'est que je l'adore ! [ Lescaut ! Laissez-moi vous le dire encore… [ C'est que je l'adore ! [ C'est que je l'adore ! [ Ah ! je l’adore !
LESCAUT C'est parfait, on ne peut mieux dire Et je vous fais mon compliment ! Cousine, et vous cousin, (avec importance) je vous rends mon estime ! Prenez ma main, car ce serait un crime De vous tenir rigueur. Enfants, je vous bénis... (avec un attendrissement comique) Les larmes... le bonheur... (à Brétigny, à part, changeant de ton) Partons-nous ?
BRÉTIGNY Je vous suis…
[ LESCAUT (en s’en allant) [ La chose est claire ! [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ C'est ainsi qu'on traite une affaire ! [ (Ils sortent.) (dehors, en s’éloignant) [ Entre lurons… Voilà l’affaire ! [ [ BRÉTIGNY (de même, entre eux) [ La chose est claire ! [ Entre lurons [ C'est ainsi qu'on traite une affaire ! [ Entre lurons [ Et bons garçons, [ (Ils sortent.) (dehors, en s’éloignant) [ Et bons garçons, c’est l’affaire !
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SCÈNE II
LES MÊMES, LESCAUT, DE BRÉTIGNY,
costumé en garde du corps. Enfin, les amoureux, Je vous tiens tous les deux !
BRÉTIGNY. Soyez clément, Lescaut, songez à leur jeunesse !
LESCAUT. Vous m'avez, l'autre jour, brûlé la politesse, Monsieur le drôle !
DES GRIEUX. Hé là ! parlez plus doucement !
LESCAUT, ironique. Plus doucement ?
DES GRIEUX, calme. Plus doucement !... vraiment !
LESCAUT. C'est à tomber foudroyé sur la place ! J'arrive pour venger l'honneur de notre race, Je suis le redresseur, je suis le châtiment, Et c'est à moi qu'on dit de parler doucement ! Coquin !
DES GRIEUX. C'est bien ! Je vais vous couper les oreilles !
LESCAUT, se reculant. Qu'est-ce qu'il dit ?...
BRÉTIGNY, riant. Qu'il va vous couper les oreilles !
LESCAUT. Il menace...
BRÉTIGNY. Ça m'en a l'air...
LESCAUT. Par la mort, par l'enfer... Vit-on jamais insolences pareilles !
ENSEMBLE Contiens-toi, Lescaut, retiens-toi ! Chacun d'eux sans doute est coupable ; Mais, vois, le remords les accable ! Contiens-toi, Lescaut, retiens-toi !
DES GRIEUX. O Manon, soyez sans effroi ! Seul de nous deux, je suis coupable, Bientôt il sera plus traitable ; O Manon, je veille sur toi !
LESCAUT. Retenez-moi ! retenez-moi ! Je sais de quoi je suis capable, Quand il faut punir un coupable ! Retenez-moi ! retenez-moi !
MANON. Ah ! chevalier, je meurs d'effroi ! Je le sens bien ! je suis coupable, Son regard courroucé m'accable. Ah ! chevalier, veillez sur moi !
BRÉTIGNY.
Lescaut, vous montrez trop de zèle !
LESCAUT. Soit, j'y consens. A Des Grieux. Mademoiselle Est ma cousine, et je venais très poliment...
DES GR1EUX, ironique. Très poliment ?
LESCAUT. Très poliment, Oui, je venais très poliment Dire : monsieur, sans vous chercher querelle... Répondez : Oui, répondez : Non, Voulez-vous épouser Manon ?
BRÉTIGNY et LESCAUT. La chose est claire ; Entre lurons Et bons garçons, C'est ainsi qu'on traite une affaire !
BRÉTIGNY, à Des Grieux, riant. Eh bien, êtes-vous satisfait ?
DES GRIEUX, de même. Ma foi, je n'ai plus de colère, Et votre franchise me plaît, A Lescaut. Je venais d'écrire à mon père... Montrant sa lettre. Avant qu'on y mette un cachet, Vous lirez bien, ceci, j'espère...
LESCAUT. Volontiers ! Mais, voici le soir... Allons tous deux, pour y mieux voir, Nous placer près de la fenêtre, Et là nous lirons votre lettre... Il remonte vers le fond avec Des Grieux. Brétigny se trouve près de Manon.
MANON, à Brétigny. Venir ici sous un déguisement !...
BRÉTIGNY. Vous m'en voulez ?
MANON. Certainement... Vous savez que c'est lui que j'aime !
BRÉTIGNY. J'ai voulu vous avertir, moi-même, Que ce soir de chez vous on compte l'enlever, Par ordre de son père !
MANON. Par ordre de son père !
BRÉTIGNY. Oui, ce soir, d'ici même on viendra l'arracher…
MANON, faisant un pas. Ah ! je saurai bien empêcher...
BRÉTIGNY, l'arrêtant. Prévenez-le, c'est la misère Pour lui, pour vous ; ne le prévenez pas, Et c'est la fortune, au contraire, Qui vous attend...
MANON. Parlez plus bas !
LESCAUT, lisant.
« On l'appelle
DES GRIEUX. Ah ! Lescaut, c'est que je l'adore, Laissez-moi vous le dire encore !
BRÉTIGNY. Répondez, Manon !
MANON. Non, non ! Partez, je vous en prie, C'est lui que j'aime et pour la vie.
LESCAUT. Je veux relire, laissez-moi ! Lisant. « Sa jeune âme à la vie est ouverte sans cesse. » O poésie ! amour !... Cette délicatesse... M'enchante, par ma foi !...
BRÉTIGNY, à Manon. Manon, voici l'heure prochaine De votre liberté !
Manon, bientôt vous serez reine,
MANON. Dans mon cœur troublé quel délire ! Quel doute étrange et quel tourment !
LESCAUT, redescendant avec Des Grieux. C'est parfait, on ne peut mieux dire Et je vous fais mon compliment ! Cousine, et vous cousin, je vous rends mon estime ! Prenez ma main, car ce serait un crime De vous tenir rigueur. Enfants, je vous bénis... Les larmes... le bonheur... Changement de ton, à Brétigny. Partons-nous ?
BRÉTIGNY. Je vous suis !
LESCAUT et BRÉTIGNY, s'éloignant. La chose est claire ! Entre lurons Et bons garçons, C'est ainsi qu'on traite une affaire ! Ils sortent.
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l'acte II de Manon à l'Opéra-Comique avec Mary Garden (Manon) et Adolphe Maréchal (Des Grieux), en décembre 1898 (nouvelle production)
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SCÈNE III MANON, DES GRIEUX, LA SERVANTE.
[ MANON (pensive, à elle-même) [ Dans mon cœur... quel tourment… [ [ DES GRIEUX (à lui-même, heureux) [ Puisse du bonheur où j'aspire, [ Le jour se lever souriant... (Entre la servante avec une lumière.) Que nous veut-on ?
LA SERVANTE C'est l'heure du souper, Monsieur.
DES GRIEUX C'est vrai pourtant. Et je n'ai pas encore Porté ma lettre ! (La Servante dispose le couvert pour le souper.)
MANON Eh bien ! Va la porter !
DES GRIEUX (indécis) Manon…
MANON Après ?
DES GRIEUX Je t'aime, je t'adore ! Et toi, dis, m'aimes-tu ?
MANON Oui, mon cher chevalier, je t'aime...
DES GRIEUX (avec un ton de reproche) Tu devrais, en ce cas, me promettre...
MANON Quoi ?
DES GRIEUX (changeant de ton) Rien du tout, je vais porter ma lettre ! (Il sort.)
SCÈNE IV
MANON (très troublée) Allons !... il le faut ! Pour lui-même… Mon pauvre chevalier !... Oh, oui ! c'est lui que j'aime, Et pourtant j'hésite aujourd'hui ! Non ! Non ! Je ne suis plus digne de lui ! J'entends cette voix qui m'entraîne Contre ma volonté : « Manon ! Manon, tu seras reine, Reine par la beauté ! » Je ne suis que faiblesse et que fragilité !... Ah ! Malgré moi, je sens couler mes larmes… Devant ces rêves effacés ! L'avenir aura-t-il les charmes De ces beaux jours déjà passés ? (Elle s'est rapprochée peu à peu de la table toute servie.) Qui nous réunit si souvent ! Adieu,… adieu, notre petite table, Si grande pour nous cependant ! (avec un triste sourire) On tient, c'est inimaginable, Si peu de place en se serrant ! Adieu, notre petite table ! Un même verre était le nôtre, Chacun de nous, quand il buvait, Y cherchait les lèvres de l'autre... Ah ! Pauvre ami, comme il m'aimait !... Adieu, notre petite table ! (avec un sanglot) Adieu ! (entendant Des Grieux ; à part et vivement) C'est lui ! Que ma pâleur ne me trahisse pas !
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SCÈNE III MANON, DES GRIEUX, LA SERVANTE.
Entre la servante.
DES GRIEUX. Que nous veut-on ?
LA SERVANTE C'est l'heure du souper, Monsieur.
DES GRIEUX, souriant. C'est vrai pourtant. Et je n'ai pas encore Porté ma lettre !
MANON. Eh bien, va la porter !
DES GRIEUX, s'approchant de Manon. Manon !
MANON, distraite. Après ?
DES GRIEUX. Je t'aime, je t'adore ! Et toi, dis, m'aimes-tu ?
MANON, de même. Oui, mon cher chevalier... Je t'aime...
DES GRIEUX. Tu devrais en ce cas, me promettre...
MANON. Quoi ?
DES GRIEUX Rien du tout !... Je vais porter ma lettre ! Il sort.
SCÈNE IV
MANON, très troublée.
Allons !... il le faut !... Nous séparer déjà !.. Rêve fini trop tôt ! Mon pauvre chevalier !... Oh ! oui, c'est lui que j'aime Et pourtant j'hésite aujourd'hui ! Non ! non ! je ne suis plus digne de lui ! J'entends cette voix qui m'entraîne Contre ma volonté : « Manon, tu seras reine, Reine par la beauté ! » Je ne suis que faiblesse et que fragilité !... Ah !malgré moi je sens couler mes larmes Devant ces rêves effacés ! L'avenir aura-t-il les charmes De ces beaux jours déjà passés ? Peu à peu elle s'est approchée de la table toute servie. Adieu, notre petite table Qui nous réunit si souvent ! Adieu, notre petite table, Si grande pour nous cependant O tient, c'est inimaginable, Si peu de place en se serrant ! Un même verre était le nôtre, Chacun de nous, quand il buvait, Y cherchait les lèvres de l'autre... Ah ! Pauvre ami, comme il m'aimait !...
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SCÈNE V MANON, DES GRIEUX.
DES GRIEUX (avec élan) Enfin, Manon, nous voilà seuls ensemble ! (Il s'approche d'elle.) Eh quoi ? Des larmes ?
MANON Non !
DES GRIEUX Si fait, ta main tremble...
MANON (s'efforçant de sourire) Voici notre repas !
DES GRIEUX C'est vrai, ma tête est folle ! Mais le bonheur est passager, Et le ciel l'a fait si léger Qu'on a toujours peur qu'il s'envole ! A table !
MANON A table !
DES GRIEUX Instant charmant Où la crainte fait trêve, Où nous sommes deux seulement ! Tiens, Manon, en marchant, je viens de faire un rêve.
MANON (à part, avec amertume) Hélas ! Qui ne fait pas de rêve ?
DES GRIEUX (à Manon, avec intimité) En fermant les yeux, je vois Là-bas une humble retraite, Une maisonnette Toute blanche au fond des bois ! Sous ses tranquilles ombrages Les clairs et joyeux ruisseaux, Où se mirent les feuillages, Chantent avec les oiseaux ! C'est le paradis !... Oh non ! Tout est là triste et morose, Car il y manque une chose : Il y faut encor Manon !
MANON (doucement) C'est un rêve, une folie !
DES GRIEUX Non !... Là sera notre vie, Si tu le veux, ô Manon ! (On entend frapper à la porte.) |
SCÈNE V MANON, DES GRIEUX.
DES GRIEUX, avec élan. Enfin, Manon, nous voilà seuls ensemble ! Il s'approche d'elle. Quoi ?... des larmes ?
MANON. Non pas !
DES GUEUX, pressant. Si fait votre main tremble...
MANON, s'efforçant de sourire. Voici notre repas.
DES GRIEUX. C'est vrai, ma tête est folle ! Mais le bonheur est passager, Et le ciel l'a fait si léger Qu'on a toujours peur qu'il s'envole ! A table!
MANON. A table!
DES GRIEUX. Instant charmant Où la crainte fait trêve, Où nous sommes deux seulement ! Tiens, Manon, en marchant, je viens de faire un rêve.
MANON, avec amertume, à part. Hélas ! qui ne fait pas de rêve ?
DES GRIEUX. En fermant les yeux, je vois Là-bas une humble retraite, Une douce maisonnette Toute blanche au fond des bois ! Sous ses tranquilles ombrages Les clairs et joyeux ruisseaux, Où se mirent les feuillages, Chantent avec les oiseaux ! C'est le paradis !... Oh non Tout est là triste et morose, Car il y manque une chose : Il y faut encor Manon !
MANON, doucement. C'est un rêve, une folie !
DES GRIEUX. Non ! Si tu le veux, ô Manon, Là sera notre vie!
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MANON (à part) Oh ! Ciel ! déjà !
DES GRIEUX Quelqu'un ?... (gaiement) Il ne faut pas de trouble-fête... (se levant) Je vais renvoyer l'importun (souriant) Et je reviens !
MANON (troublée) Adieu !...
DES GRIEUX (étonné) Comment ?
MANON (avec embarras et émotion contenue) Non !... Je ne veux pas...
DES GRIEUX (insistant) Pourquoi ?
MANON Ah ! Tu n'ouvriras pas cette porte ! Je veux rester dans tes bras !...
DES GRIEUX (se dégageant doucement) Enfant !... Laisse-moi !
MANON Non !
DES GRIEUX Que t'importe !
MANON Non !
DES GRIEUX Allons !
MANON Je ne veux pas !
DES GRIEUX Quelque inconnu !... C'est singulier ! Je le congédierai d’une façon polie, Je reviens, nous rirons tous deux de ta folie ! (Il sort. On entend un bruit de lutte. Manon se lève et court vers la fenêtre. Roulement de voiture)
MANON Mon pauvre chevalier ! (Manon paraît en proie à la plus vive douleur. Le rideau baisse lentement.)
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MANON, suffoquant. Ah ! On entend doucement frapper à la porte. A part. Oh ciel ! déjà !
DES GRIEUX. Quelqu'un ! Il ne faut pas de trouble fête... Se levant. Je vais renvoyer l'importun Qui veut rompre le tête-à-tête, Souriant. Et je reviens.
MANON, troublée. Adieu !
DES GRIEUX, étonné. Comment !...
MANON, avec embarras et émotion contenue. Je ne veux pas !... Tu n'ouvriras pas cette porte ! Non... je veux rester dans tes bras !...
DES GRIEUX, se dégageant doucement. Enfant !... laisse-moi... que t'importe ! Allons !... Quelque inconnu !... c'est singulier ! Je le congédierai d’une façon polie, Je reviens, nous rirons tous deux de ta folie ! Il l'embrasse et sort. On entend un bruit de lutte.
MANON, se lève et court vers la fenêtre. — Roulement de voiture. Mon pauvre chevalier ! mon pauvre chevalier ! Rideau.
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Acte III. 1er tableau. estampe de Jules Gaildrau du décor de la création
(version de la partition)
ACTE TROISIÈME
PREMIER TABLEAU
La promenade du Cours-la-Reine, un jour de fête populaire. A droite, l'enseigne d'un bal. Entre les grands arbres, des boutiques de marchands de toutes sortes : modistes, marchands de jouets, saltimbanques, marchands de chansons, etc. Grand mouvement au lever du rideau : des marchands et des marchandes poursuivent des passants, seigneurs, bourgeois et bourgeoises, en leur offrant divers objets. Au fond, on aperçoit les rives de la Seine et la coupole des Invalides.
Prélude (Entr'acte-Menuet)
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(livret, édition de mars 1902)
ACTE TROISIÈME
PREMIER TABLEAU
La promenade du Cours la Reine un jour de fête populaire. A droite, l'enseigne d'un bal. Entre les grands arbres, des boutiques de marchands de toutes sortes : modistes, marchands de jouets, saltimbanques, marchands de chansons, etc., grand mouvement au lever du rideau : des marchands et des marchandes poursuivent des passants, seigneurs, bourgeois et bourgeoises, en leur offrant divers objets. Au fond on aperçoit les rives de la Seine et la coupole des Invalides.
Prélude (Entr'acte-Menuet)
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CHŒURS, MODISTES, MARCHANDS, CUISINIERS, BOURGEOIS et BOURGEOISES.
[ UNE MARCHANDE [ Rouge, mouches et manchettes, [ Plumes et fines aigrettes ! [ Rouge, mouches et manchettes ! [ [ LES MODISTES [ Voyez ! Mules à fleurettes ! [ Fichus et coqueluchons ! [ Bonnets, paniers, collerettes ! [ Gaze, linons et manchons ! [ Voyez ! Mules à fleurettes ! [ Fichus et coqueluchons ! [ [ LES MARCHANDS [ Billets pour la loterie, [ Rubans, cannes et chapeaux ! [ Bonbons et pâtisserie, [ Jouets, balles et sabots ! [ Billets pour la loterie ! [ [ UN MARCHAND DE CHANSONS [ Achetez-moi mes chansons ! (ter) [ [ UN MARCHAND [ Poudres, râpes à tabac. (ter) [ [ UN MARCHAND D’ELIXIR [ Elixir pour l’estomac ! (ter) [ [ UN CUISINIER [ Il est temps qu'on se régale, [ Ma cuisine est sans égale ! [ Il est temps qu'on se régale !
MARCHANDS, BOURGEOISES, BOURGEOIS C'est la fête au Cours-la-Reine ! On y rit, on y boit, A la santé du Roi ! On y rit, on y boit, Pendant une semaine, On y rit, on y boit, A la santé du Roi ! A la santé du Roi ! C'est la fête au Cours-la-Reine ! On y boit à la santé du Roi ! (Musique du bal dans le lointain. Poussette et Javotte sortent du bal. Deux petits clerc qui paraissent chercher quelqu’un dans la foule les aperçoivent et, sur un signe d'elles, courent à leur rencontre. Rosette paraît à son tour.)
POUSSETTE et JAVOTTE Ah ! Que ce séjour est doux ! Que c'est bon, que c’est bon une escapade Loin des regards d'un jaloux !
POUSSETTE (aux petits clercs avec précaution) C'est entendu !
JAVOTTE Tenez-vous bien !...
ROSETTE Un mot pourrait nous compromettre !
POUSSETTE C'est entendu !
JAVOTTE Mon cœur veut bien tout vous promettre !...
POUSSETTE Tout !...
ROSETTE Mais que Guillot n'en sache rien !...
POUSSETTE et JAVOTTE (changeant de ton) La charmante promenade ! Ah ! Que ce séjour est doux ! Que c'est bon, que c’est bon une escapade Loin des regards d'un jaloux !
POUSSETTE Que c’est bon !
JAVOTTE La charmante promenade ! Que c’est bon !
POUSSETTE La charmante promenade !
POUSSETTE et JAVOTTE Loin des regards d'un jaloux ! Que c’est bon ! (Poussette et Javotte rentrent dans le bal, Rosette s'est éloignée.)
[ UNE MARCHANDE [ Rouge, mouches et manchettes ! [ [ LES MODISTES [ Voyez, mules à fleurettes ! [ Fichus et coqueluchons ! [ [ UN MARCHAND DE CHANSONS [ Achetez-moi mes chansons ! [ [ LES MARCHANDS [ Billets pour la loterie ! [ Rubans, cannes et chapeaux ! [ [ UN MARCHAND [ Poudre, râpes à tabac ! [ [ MARCHAND D’ELIXIR [ Elixir pour l’estomac ! [ [ UN CUISINIER [ Il est temps qu’on se régale !
MARCHANDS, BOURGEOISES, BOURGEOIS C'est la fête au Cours-la-Reine ! On y rit, on y boit, A la santé du Roi !
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SCÈNE I CHŒURS, MODISTES, MARCHANDS, CUISINIERS, BOURGEOIS et BOURGEOISES.
CHŒUR GÉNÉRAL. C'est fête au Cours la Reine ! On y rit, on y boit, Pendant une semaine, A la santé du Roi !
LES MODISTES. Voyez ! mules à fleurettes, Fichus et coqueluchons, Bonnets, paniers, collerettes, Gaze, linons et manchons !
UN MARCHAND. Elixir pour l'estomac !
UNE MARCHANDE. Rouge, mouches et manchettes, Plumes et fines aigrettes !
LE MARCHAND. Poudre, râpes à tabac !
UN MARCHAND DE CHANSONS. Achetez-moi mes chansons !
UN CUISINIER. Il est temps qu'on se régale, Ma cuisine est sans égale !
LE MARCHAND DE CHANSONS. J'en ai de toutes façons !
UN GROUPE DE MARCHANDS. Billets pour la loterie, Rubans, cannes et chapeaux ! Bonbons et pâtisserie, Jouets, balles et sabots ! Au loin, musique du bal. — Poussette et Javotte, puis Rosette paraissent dans la foule ; trois petits clercs les aperçoivent et, sur un signe d'elles, courent à leur rencontre.
POUSSETTE, JAVOTTE. La charmante promenade ! Ah ! que ce séjour est doux ! Que c'est bon une escapade, Loin des regards d'un jaloux ! La charmante promenade !
POUSSETTE, aux petits clercs avec précaution. C'est entendu !
JAVOTTE. Tenez-vous bien !...
ROSETTE. Un mot pourrait me compromettre !
JAVOTTE. Mon cœur veut bien tout vous promettre…
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE. Mais que Guillot n'en sache rien !... Poussette, Javotte et Rosette s'éloignent.
REPRISE DU CHŒUR. C'est fête au Cours la Reine ! On y rit, on y boit, Pendant cette semaine, A la santé du roi !
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SCÈNE II LES MÊMES, LESCAUT.
MARCHANDES et MARCHANDS (poursuivant Lescaut fendant la foule) Tenez, monsieur ! Tenez, monsieur ! Prenez, monsieur ! monsieur ! Monsieur, choisissez ! Prenez ! Choisissez !
LESCAUT Choisir ! et pourquoi ? Donnez ! Donnez ! Donnez ! Donnez ! Donnez encore ! Ce soir j'achète tout ! C'est pour la beauté que j'adore, Je m'en rapporte à votre goût ! à votre goût ! (Il prend tous les objets qu'on lui donne et paie tout le monde.)
MARCHANDES et MARCHANDS Tenez ! monsieur, tenez, prenez !
LESCAUT Quand on a trois dés en main, Et que l'on sait le chemin De l'hôtel de Transylvanie ! A quoi bon !... A quoi bon l'économie ! A quoi bon !... A quoi bon l'économie !
MARCHANDES et MARCHANDS Tenez ! Monsieur ! Tenez ! prenez ! tenez ! prenez !
LESCAUT Assez ! Assez ! (avec sentiment) O Rosalinde, Il me faudrait gravir le Pinde, Pour te chanter comme il convient ! Que sont les sultanes de l'Inde Et les Armide et les Clorinde, Près de toi, que sont-elles ? Rien… Rien du tout, rien du tout, rien du tout ! O ma Rosalinde ! Je veux gravir le Pinde Pour te chanter comme il convient ! Ma Rosalinde ! Ma Rosalinde ! Ma Rosalinde ! Choisir ! choisir ! non, ma foi ! A quoi bon l'économie Quand on a trois dés en main Et que l'on sait le chemin De l'hôtel de Transylvanie ! A quoi bon !... A quoi bon l'économie ! Approchez, ô belles, approchez... J'offre un bijou… J'offre un bijou. J'offre un bijou pour deux baisers... (Sortie de Lescaut, mouvement dans la foule.)
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SCÈNE II
LES MÊMES, LESCAUT, fendant la foule. Tenez, monsieur ! Achetez-moi ! Prenez ! Choisissez !
LESCAUT. Choisir, et pourquoi ? Donnez ! donnez encore ! Ce soir j'achète tout ! C'est pour la beauté que j'adore, Je m'en rapporte à votre goût. Il prend tous les objets qu'on lui donne et paie tout le monde. A quoi bon l'économie Quand on a trois dés en main, Et que l'on sait le chemin De l'hôtel de Transylvanie !
LES MARCHANDS. Tenez ! Prenez !
LESCAUT, montrant qu'il a les bras remplis de ses achats. Assez ! Avec sentiment. O Rosalinde, Il me faudrait gravir le Pinde, Pour te chanter comme il convient Que sont les sultanes de l'Inde Et les Armide et les Clorinde Près de toi, que sont-elles ? Rien, Rien du tout, ô ma Rosalinde !
LES MARCHANDS. Voyez, monsieur ! achetez-moi ! Prenez ! choisissez !
LESCAUT. Choisir, non ma foi ! A quoi bon l'économie Quand on a trois dés en main Et que l'on sait le chemin De l'hôtel de Transylvanie ! Approchez, belles, approchez... J'offre un bijou pour deux baisers... Il sort, poursuivi par les marchands. |
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décor du 1er tableau de l'acte III de Manon à l'Opéra-Comique (nouvelle production de 1898)
SCÈNE III GUILLOT, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE et les PETITS CLERCS.
Poussette, Javotte et Rosette sortent du bal.
GUILLOT (les apercevant). Bonjour Poussette !
POUSSETTE (avec un cri) Ah ! Ciel !
GUILLOT Bonjour Javotte !
JAVOTTE (de même) Ah ! Dieu !
GUILLOT Bonjour Rosette !
ROSETTE (de même) Ah !
GUILLOT Par la morbleu ! Elles me plantent là. Coquine ! Péronnelle ! Et j'en avais pris trois !... pourtant il me semblait Pouvoir compter, si l'une me trompait, Qu'une autre au moins serait fidèle... La femme est, je l'avoue, un méchant animal !
BRÉTIGNY (qui est entré sur ces dernières paroles) Pas mal, Guillot, ce mot-là n'est pas mal ! Mais il n'est pas de vous. (Guillot le regarde avec fureur,) Dieu ! Quel sombre visage ! Dame Javotte, je le gage, Vous aura fait des traits...
GUILLOT Javotte, c'est fini !...
BRÉTIGNY Et Poussette ?...
GUILLOT Poussette aussi !...
BRÉTIGNY Vous voilà libre alors ? (ironiquement) Guillot, je vous en prie, N'allez pas m'enlever Manon !
GUILLOT Vous enlever...
BRÉTIGNY (suppliant de même) Non, jurez-moi que non !
GUILLOT Laissons cette plaisanterie ! Mais dites-moi, mon cher, on m'a conté A propos de Manon, que, vous ayant prié De faire venir l'Opéra chez elle, Vous avez, en dépit des larmes de la belle, Répondu : Non !
BRÉTIGNY C'est très vrai ; la nouvelle Est exacte !...
GUILLOT Il suffit ; souffrez que je vous quitte Pour un instant,… mais je reviendrai vite ! (Il sort en se frottant les mains et en fredonnant) Dig et dig et don ! Dig et dig et don ! On te la prendra ta Manon ! Dig et dig et don ! On te la prendra ta Manon !
SCÈNE IV BRÉTIGNY, rentrée des PROMENEURS et des MARCHANDS, puis MANON, suivie de sa chaise à porteurs, et accompagnée d'un coureur, de deux petits nègres et de porteurs à grande livrée.
Les Promeneurs et les Marchands reviennent.
[ MARCHANDES et BOURGEOISES [ Les belles indolentes, [ Maîtresses des cœurs, [ Aux regards vainqueurs ! [ Voici les élégantes, [ Aux regards vainqueurs ! [ [ MARCHANDS [ Voici les élégantes, [ Les belles indolentes, [ Voici les élégantes, [ Aux regards vainqueurs ! [ [ BOURGEOIS [ Voici les élégantes, [ Aux regards vainqueurs ! [ Voici les élégantes, [ Aux regards vainqueurs ! (Manon paraît, Brétigny l’accompagne, ainsi que plusieurs jeunes Seigneurs.)
BOURGEOIS (entre eux) Quelle est donc cette princesse ?
MARCHANDS (de même) C'est au moins une Duchesse !
MARCHANDES (aux promeneurs) Eh ! Ne savez-vous pas son nom ? C'est Manon !
MARCHANDS et BOURGEOIS C'est Manon !
MARCHANDES C'est la belle Manon !
[ MARCHANDS [ Voici les élégantes ! [ Les belles indolentes, [ Maîtresses des cœurs ! [ [ MARCHANDES et BOURGEOISES [ Voici les élégantes ! [ Les belles indolentes, [ Aux regards vainqueurs ! [ [ BOURGEOIS [ Voici les élégantes, [ Aux regards vainqueurs !
BRÉTIGNY (à Manon) Ravissante Manon !
SEIGNEURS (avec empressement) Ravissante Manon !
MANON Suis-je gentille ainsi ?
BRÉTIGNY et LES SEIGNEURS Adorable ! Divine ! Divine !
MANON Est-ce vrai ? Grand merci ! (avec coquetterie) Je consens, vu que je suis bonne, A laisser admirer ma charmante personne... (Avec impertinence et gaieté) Je marche sur tous les chemins Aussi bien qu'une souveraine ; On s'incline, on baise ma main, Car par la beauté je suis reine ! Je suis reine ! Mes chevaux courent à grands pas ; Devant ma vie aventureuse, Les grands s'avancent chapeau bas ; Je suis belle, je suis heureuse ! Je suis belle ! Autour de moi, tout doit fleurir ! Je vais à tout ce qui m'attire Et si Manon devait jamais mourir, Ce serait, mes amis, dans un éclat de rire ! (en riant) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
BRÉTIGNY et LES SEIGNEURS Bravo ! Bravo ! Manon !
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SCÈNE III GUILLOT, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE et les PETITS CLERCS.
GUILLOT, les apercevant. Bonjour, Poussette !
POUSSETTE, avec un cri, se sauvant. Ah ! ciel !
GUILLOT Bonjour, Javotte !
JAVOTTE, de même. Ah ! Dieu ! Même jeu entre Guillot et Rosette.
GUILLOT. Par la morbleu ! Elles me plantent là. Coquine ! Péronnelle ! Et j'en avais pris trois !... pourtant il me semblait Pouvoir compter, si l'une me trompait, Qu'une autre au moins serait fidèle... La femme est, je l'avoue, un méchant animal !
BRÉTIGNY, entrant. Pas mal, Guillot, ce mot-là n'est pas mal ! Mais il n'est pas de vous. Guillot le regarde avec fureur. Dieu ! quel sombre visage ! Dame Javotte, je le gage, Vous aura fait des traits...
GUILLOT, vexé. Javotte ? c'est fini !...
BRÉTIGNY. Et.... Poussette ?...
GUILLOT. Poussette aussi !...
BRÉTIGNY.
Vous voilà libre alors Guillot, je vous
en prie,
GUILLOT. Vous enlever ?...
BRÉTIGNY, suppliant. Non, jurez-moi que non !
GUILLOT. Laissons cette plaisanterie ! Avec une finesse affectée. Mais dites-moi, mon cher, on m'a conté A propos de Manon, que vous ayant prié De faire venir l'Opéra chez elle, Vous avez, en dépit des larmes de la belle, Répondu non ?
BRÉTIGNY. C'est très vrai ; la nouvelle Est exacte !... et, l'on dit ?...
GUILLOT. Il suffit ! Souffrez que je vous quitte Pour un instant ; mais je reviendrai vite ! Il sort en se frottant les mains et en fredonnant.
Et dig et dig et don,
SCÈNE IV BRÉTIGNY, rentrée des PROMENEURS et des MARCHANDS, puis MANON, suivie de sa chaise à porteurs, et accompagnée d'un coureur, de deux petits nègres et de porteurs à grande livrée.
ENSEMBLE. Voici les élégantes, Les belles indolentes, Maîtresses des cœurs, Aux regards vainqueurs !
PROMENEURS. Mais quelle est cette princesse ? C'est au moins une duchesse !
MARCHANDES. Eh ! ne savez-vous pas son nom ? C'est Manon, la belle Manon !
ENSEMBLE. Voici les élégantes Les belles indolentes ! Pendant ce temps, Brétigny s'est avancé avec quelques seigneurs de ses amis et a aidé Manon à descendre de sa chaise.
BRÉTIGNY. Ravissante Manon !
MANON. Suis-je gentille ainsi ?
LES SEIGNEURS. Adorable, divine !
MANON. Est-ce vrai ? Grand merci ! Je consens, je suis bonne, A laisser admirer ma charmante personne... Je marche sur tous les chemins Aussi bien qu'une souveraine ; On s'incline, on baise mes mains, Car par la beauté je suis reine ! Mes chevaux courent à grands pas ; Devant ma vie aventureuse Les grands s'avancent chapeau bas ; Je suis belle, je suis heureuse ! Autour de moi, tout doit chanter, fleurir ! Je vais à tout ce qui charme et m'attire Et si Manon devait jamais mourir, Ce serait, mes amis, dans un éclat de rire ! |
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Gavotte
MANON Obéissons quand leur voix appelle Aux tendres amours, Toujours, toujours, toujours, Tant que vous êtes belle, Usez sans les compter vos jours Tous vos jours ! Profitons bien de la jeunesse, Des jours qu'amène le printemps, Aimons, rions, chantons sans cesse, Nous n'avons encor que vingt ans !
[ BRÉTIGNY et LES SEIGNEURS [ Profitons bien de la jeunesse, [ Profitons bien de la jeunesse, [ Rions ! (en riant) Ah ! Ah ! [ [ MANON [ Profitons bien de la jeunesse, [ Aimons, rions, chantons sans cesse, [ Nous n'avons encor que vingt ans ! [ (en riant) Ah ! Ah !
MANON Le cœur, hélas ! le plus fidèle, Oublie en un jour l'amour, l'amour, l'amour, Et la jeunesse ouvrant son aile A disparu sans retour, sans retour. Profitons bien de la jeunesse ! Bien court, hélas ! est le printemps, Aimons, chantons, rions sans cesse ! Nous n'aurons pas toujours vingt ans !
[ BRÉTIGNY et LES SEIGNEURS [ Profitons bien de la jeunesse, [ Profitons bien de la jeunesse, [ Rions ! (en riant) Ah ! Ah ! [ [ MANON [ Profitons bien de la jeunesse, [ Aimons, chantons, rions sans cesse, [ Nous n'avons encor que vingt ans ! [ (en riant) Ah ! Ah !
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Fabliau (qui peut être chanté à la place de la Gavotte)
BRETIGNY Ah ! vous êtes vraiment la reine des amours, O Manon, qui riez toujours !
MANON Toujours ?... Vous vous trompez ! Peut-être mon cœur est-il moins gai Qu'il ne veut paraître ! (Le fabliau commence alerte et léger.) Oui, dans les bois et dans la plaine Rien que pour rire et sans raison Manon riait jadis et de sa voix lointaine L'écho, son compagnon, riait avec Manon Du rire de Manon ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! L'écho riait ainsi du rire de Manon ! Ah ! Ah ! L'écho riait du rire de Manon !
LA FOULE L'écho riait du rire de Manon !
MANON Parfois, voyant des colombes fidèles, Manon les admirait... et pensait à leurs ailes ! Et le soir qui tombait souvent la retrouvait Pensive encor ! Manon rêvait ! Ah ! pensive encor, Manon rêvait ! Manon rêvait ! (vif, alerte et léger) Bientôt fuyait le rêve Et dans les airs passait le son d'une chanson ! Et comme l'alouette pour nous saluer la vie, Alors Manon chantait l'amour et la jeunesse ! Alors Manon chantait ! Ah !
[ MANON [ Manon chantait l'amour, l'amour et la jeunesse ! [ Ah ! Manon chantait la jeunesse ! [ [ LA FOULE [ Manon chantait l'amour ! [ Manon chantait !
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Manon Brétigny
le 1er tableau de l'acte III de Manon à l'Opéra-Comique avec Mary Garden (Manon) et Maurice Cazeneuve (Brétigny), en décembre 1898 (nouvelle production)
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MANON (à Brétigny) Et maintenant, restez seul un instant… Je veux faire ici quelque emplette…
BRÉTIGNY (galamment) Avec vous disparaît tout l'éclat de la fête ! Ravissante Manon ! Avec vous disparaît tout l'éclat de la fête !
MANON Une fadeur !... C'est du dernier galant ! On n'est pas grand seigneur sans être un peu poète ! (Manon s'éloigne et se dirige vers les petites boutiques du fond, escortée des curieux qui sortent peu à peu.)
PROMENEURS, MARCHANDES et MARCHANDS Voici les élégantes ! Les belles indolentes, Maîtresses des cœurs, Aux regards vainqueurs ! (en s’éloignant) Les élégantes… Les élégantes…
UN MARCHAND (au loin) Poudre, râpes à tabac !...
SCÈNE V BRÉTIGNY, LE COMTE, MANON, au fond.
BRÉTIGNY Je ne me trompe pas, le Comte Des Grieux ?
LE COMTE Monsieur de Brétigny...
BRÉTIGNY Moi-même ! C'est à peine Si je puis en croire mes yeux, Vous, à Paris ?...
LE COMTE C'est mon fils qui m'amène...
BRÉTIGNY Le Chevalier ?...
LE COMTE Il n'est plus Chevalier, C'est l'abbé Des Grieux qu'à présent il faut dire...
MANON (qui s'est rapprochée, tout en feignant de parler à un marchand.) Des Grieux !...
BRÉTIGNY Abbé ! Lui ! Comment !...
LE COMTE Le ciel l'attire !... Dans les ordres il veut entrer. Il est à Saint-Sulpice, et ce soir, en Sorbonne, Il prononce un discours.
BRÉTIGNY (souriant) Abbé ! Cela m'étonne ; Un pareil changement... (Manon s'éloigne après avoir entendu ces derniers mots.)
LE COMTE (souriant aussi) C'est vous qui l'avez fait, En vous chargeant de briser net L'amour qui l'attachait à certaine personne…
BRÉTIGNY (montrant Manon qui est au fond) Plus bas !...
LE COMTE C'est elle ?...
BRÉTIGNY Oui, c'est Manon.
LE COMTE (gouailleur) Je devine alors la raison Qui vous fit, avec tant de zèle, Prendre les intérêts de mon fils... (voyant Manon qui se rapproche) Mais, pardon ! Elle veut vous parler... (Il salue et s'éloigne un peu.) (à part) Elle est vraiment fort belle !
MANON (à Brétigny) Je voudrais, mon ami, Avoir un bracelet pareil à celui-ci... Je ne puis le trouver...
BRÉTIGNY C'est bien, je vais moi-même… (Il salue le Comte et sort.)
LE COMTE (à part) Elle est charmante et je comprends qu'on l'aime !...
SCÈNE VI MANON, LE COMTE.
MANON (au Comte, avec embarras) Pardon... mais j'étais là... près de vous, à deux pas... J'entendais malgré moi... je suis très curieuse...
LE COMTE (souriant) C'est un petit défaut... très petit ici bas... (saluant, voulant s’éloigner) Madame !...
MANON (se rapprochant) Il s'agissait d'une histoire... amoureuse ?
LE COMTE (étonné) Mais oui...
MANON (contenant son émotion) C'est que je crois Pardonnez-moi, je vous en prie... Je crois… que cet abbé... Des Grieux, autrefois… aimait...
LE COMTE Qui donc ?
MANON Elle était mon amie...
LE COMTE Ah ! Très bien !...
MANON (avec une émotion croissante) Il l'aimait et je voudrais savoir Si sa raison sortit victorieuse... Et si de l'oublieuse Il a pu parvenir A chasser de son cœur le cruel souvenir ?...
LE COMTE Faut-il donc savoir tant de choses ? Que deviennent les plus beaux jours, Où vont les premières amours, Où vole le parfum des roses ?
[ MANON (à part) [ Mon Dieu ! mon Dieu ! Donnez-moi le courage [ De tout oser lui demander ! [ Mon Dieu ! Donnez-moi le courage [ De tout oser lui demander ! [ [ LE COMTE [ Ignorer n'est-il pas plus sage, [ Au passé pourquoi s'attarder ?
MANON Un mot encore !... A-t-il souffert de son absence ?... Vous a-t-il dit parfois son nom ?
LE COMTE (la regardant fixement) Ses larmes coulaient en silence...
MANON (très émue) L'a-t-il maudite en pleurant ?...
LE COMTE Non !
MANON Vous a-t-il dit que la parjure L'avait aimé ?
LE COMTE (après avoir hésité) Son cœur, guéri de sa blessure, S'est refermé !...
MANON Mais depuis ?...
LE COMTE (légèrement et avec intention) Il a fait ainsi que votre amie, Ce que l'on doit faire ici-bas, Quand on est sage, n'est-ce pas ? On oublie !
MANON (douloureusement) On oublie ! (Le comte salue respectueusement et se retire.) (à elle-même) On oublie !
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MANON, à Brétigny. Et maintenant restez seul un instant ; Je veux faire ici quelque emplette.
BRÉTIGNY, galamment. Avec vous disparaît tout l’éclat de la fête !
MANON. Charmant ! Une fadeur !... C'est du dernier galant ! On n'est pas seigneur sans être un peu poète ! Elle s'éloigne et se dirige vers les petites boutiques du fond du théâtre, escortée des curieux qui sortent peu à peu.
SCÈNE V BRÉTIGNY, LE COMTE, MANON, au fond.
BRÉTIGNY. Je ne me trompe pas ? le comte Des Grieux !
LE COMTE. Monsieur de Brétigny...
BRÉTIGNY. Moi-même ; c'est à peine Si je puis en croire mes yeux Vous à Paris ?...
LE COMTE. C'est mon fils qui m'amène...
BRÉTIGNY. Le chevalier !...
LE COMTE. Il n'est plus chevalier. C'est l'abbé Des Grieux qu'à présent il faut dire...
MANON, qui s'est rapprochée tout en feignant de parler à un marchand. Des Grieux !
BRÉTIGNY. Abbé ! lui ! comment...
LE COMTE. Le ciel l'attire ! Dans les ordres, il veut entrer ; Il est à Saint-Sulpice, et, ce soir en Sorbonne Il prononce un discours.
Manon s'éloigne après avoir entendu
ces derniers mots. BRÉTIGNY, souriant. Abbé ! cela m'étonne ; Un pareil changement !...
LE COMTE, souriant aussi. C'est vous qui l'avez fait, En vous chargeant de briser net L'amour qui l'attachait à certaine personne.
BRÉTIGNY, montrant Manon qui est au fond. Plus bas !...
LE COMTE. C'est elle ?...
BRÉTIGNY. Oui, c'est Manon.
LE COMTE, raillant. Je devine alors la raison Qui vous fit, avec tant de zèle, Prendre les intérêts de mon fils... Voyant Manon qui se rapproche. Mais, pardon, Elle veut vous parler... Il salue et s'éloigne. Elle est vraiment fort belle !
MANON, à Brétigny. Je voudrais, mon ami, Avoir un bracelet pareil à celui-ci... Je ne puis le trouver...
BRÉTIGNY. C'est bien, je vais moi-même… Il salue le comte et sort.
LE COMTE. Elle est charmante et je comprends qu'on l'aime !
SCÈNE VI MANON, LE COMTE.
MANON, avec embarras. Pardon... mais j'étais là... près de vous, à deux pas... J'entendais malgré moi... je suis très curieuse...
LE COMTE, souriant. C'est un petit défaut... très petit ici-bas... Saluant. Madame !
MANON, se rapprochant. Il s'agissait d'une histoire... amoureuse ?
LE COMTE Mais oui...
MANON, contenant son émotion. C'est que je crois... Pardonnez-moi, je vous en prie... Que cet abbé... Des Grieux, autrefois Aimait...
LE COMTE. Qui donc ?...
MANON. Elle était mon amie...
LE. COMTE. Ah ! très bien !...
MANON, émotion croissante. Il l'aimait, et je voudrais savoir S'il voulut la revoir... Si sa raison sortit victorieuse... Et si de l'oublieuse Il a pu parvenir A chasser de son cœur le cruel souvenir ?...
LE COMTE. Faut-il donc savoir tant de choses ? Que deviennent les plus beaux jours, Où vole le parfum des roses, Où vont les premières amours ?
MANON, à part. Mon Dieu, donnez-moi le courage De tout oser lui demander !
LE COMTE. Ignorer n'est-il pas plus sage, Au passé pourquoi s'attarder ?
MANON.
Un mot encore !... A-t-il souffert de son
absence ?...
LE COMTE, la regardant fixement. Ses larmes coulaient en silence...
MANON, très émue. L'a-t-il maudite, en pleurant ?...
LE COMTE. Non !
MANON. Vous a-t-il dit que la parjure L'avait aimé ?
LE COMTE, après avoir hésité.
Son cœur, guéri de sa blessure,
MANON. Mais depuis ?...
LE COMTE. Il a fait ainsi que votre amie. Ce que l'on doit faire ici-bas ; Quand on est sage, n'est-ce pas ? On oublie !
MANON, douloureusement, On oublie ! Le comte salue respectueusement et se retire.
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SCÈNE VII MANON, BRÉTIGNY, GUILLOT, puis LESCAUT, SEIGNEURS, PROMENEURS, MARCHANDS, MARCHANDES.
Brétigny et Guillot sont accompagnés de quelques amis.
BRÉTIGNY Répondez-moi, Guillot ! (On rit.)
GUILLOT Jamais ! Mais rira bien qui rira le dernier !
BRÉTIGNY Monsieur de Morfontaine, Vous allez tout me dire !
GUILLOT A vous mon ami, rien ! (se tournant vers Manon) Mais à vous, ô ma reine !
BRÉTIGNY Plaît-il ?
GUILLOT Eh bien, oui... l'Opéra que vous lui refusiez... Il sera dans un instant… ici. (Mouvement dans la foule.)
BRÉTIGNY (à Guillot) Je dois rendre les armes !... (à Manon) Vous êtes triste ?
MANON Oh ! non !
BRÉTIGNY On dirait que des larmes...
MANON Folie !
GUILLOT (à Manon) Allons ! Manon, approchez, s'il vous plaît, (avec importance) On va danser pour vous notre nouveau ballet ! (à Lescaut, presque parlé) Lescaut, venez !
LESCAUT (vivement empressé) Je suis là pour vous plaire...
GUILLOT Veillez... le tout est à mes frais, A ce qu'on donne à boire au populaire. (tirant sa bourse) Combien ?...
LESCAUT (prenant la bourse et s’éloignant) Nous compterons après !...
SEIGNEURS, PROMENEURS, MARCHANDS et MARCHANDES Voici l'Opéra ! Voici l'Opéra ! Voici l'Opéra ! l’Opéra !
Préambule (la Présentation)
[ BRÉTIGNY [ L'Opéra ! Voici l'Opéra !... [ Tout Paris en parlera ! [ C'est le ballet de l'Opéra ! [ C'est un plaisir de souveraine, [ L'ami Guillot se ruinera. [ Avoir fait venir l'Opéra ! [ [ LES SEIGNEURS [ L'Opéra ! Voici l'Opéra !... [ Tout Paris en parlera ! [ C'est le ballet de l'Opéra ! [ (entre eux) [ C'est un plaisir de souveraine [ Et son rival enragera. [ Avoir fait venir l'Opéra ! [ [ LA FOULE [ L'Opéra ! Voici l'Opéra !... [ Tout Paris en parlera ! [ C'est le ballet de l'Opéra ! [ C'est un plaisir de souveraine [ Avoir fait venir l'Opéra !
GUILLOT (à part, avec joie) C'est un plaisir de souveraine ! Avoir fait venir l'Opéra, Et son ballet au Cours-la-Reine ! (en imitant le mouvement des danseurs) Mon rival enragera ! Il enragera ! Il enragera !
[ BRÉTIGNY [ Avoir fait venir l'Opéra ! [ Mais Guillot se ruinera ! [ C'est le ballet de l'Opéra ! [ [ LES SEIGNEURS et LA FOULE [ Avoir fait venir l'Opéra ! [ Tout Paris en parlera ! [ C'est le ballet de l'Opéra !
1re Entrée – 2me Entrée – 3me Entrée – 4me Entrée
MANON (à part, à elle-même, troublée) Non… sa vie à la mienne est pour jamais liée, Il ne peut m'avoir oubliée... (voyant Lescaut près d'elle) Ma chaise, mon cousin…
LESCAUT Où faut-il vous porter cousine ?
MANON A Saint-Sulpice !
LESCAUT Quel est ce bizarre caprice ? Pardonnez-moi de faire répéter. A Saint-Sulpice ?
MANON A Saint-Sulpice !
GUILLOT Eh bien, maîtresse de ma vie, Qu'en dites-vous ?
MANON Je n'ai rien vu !...
GUILLOT (stupéfait) Rien vu ?...Voilà le prix de ma galanterie !... Est-ce là ce qui m'était dû ?
PROMENEURS, MARCHANDS et MARCHANDES C'est fête au Cours-la-Reine ! On y danse, on y boit à la santé du Roi ! On y danse, on y boit à la santé du Roi, à la santé du Roi ! (le Chœur continue rideau baissé) C'est fête au Cours-la-Reine ! C’est fête !
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SCÈNE VII MANON, BRÉTIGNY, GUILLOT, puis LESCAUT, SEIGNEURS, BOURGEOIS.
Brétigny et Guillot sont accompagnés de quelques amis.
Répondez-moi, Guillot ! On rit.
GUILLOT. Jamais ! Mais rira bien Qui rira le dernier !
BRÉTIGNY. Monsieur de Morfontaine, Vous allez tout me dire !
GUILLOT. A vous, mon ami ? rien ! Se tournant vers Manon. Mais à vous, ô ma reine !
BRÉTIGNY. Plaît-il ?
GUILLOT. Eh bien oui... l'Opéra Que vous lui refusiez... sera Dans un instant ici.
BRÉTIGNY, à Guillot. Je dois rendre les armes !... A Manon. Vous êtes triste ?
MANON. Oh ! non !
BRÉTIGNY. On dirait que des larmes...
MANON. Folie !
GUILLOT. Allons, Manon, approchez, s'il vous plaît : On va danser pour vous notre nouveau ballet ! A Lescaut. Lescaut, venez !
LESCAUT. Je suis là pour vous plaire...
GUILLOT. Veillez... le tout est à mes frais, A ce qu'on donne à boire au populaire. Tirant sa bourse. Combien ?...
LESCAUT, la prenant et saluant. Nous compterons après !...
Divertissement
[ ENSEMBLE. [ Ah ! fête charmante, [ Vraiment surprenante, [ Tout Paris en parlera ! [ C'est un plaisir de souveraine [ Avoir fait venir l'Opéra [ Et son ballet au Cours la Reine [ Tout Paris en parlera ! [ [ BRÉTIGNY. [ La chose est piquante, [ Vraiment surprenante, [ Guillot se ruinera ! [ C'est un plaisir de souveraine, [ Avoir fait venir l'Opéra [ Et son ballet au Cours la Reine, [ Guillot se ruinera ! [ [ GUILLOT. [ Vraiment, je m'en vante, [ La fête est piquante. [ C'est un plaisir de souveraine, [ Avoir fait venir l'Opéra [ Et son ballet au Cours la Reine, [ Mon rival enragera !
Divertissement 1re Entrée – 2me Entrée – 3me Entrée – 4me Entrée
MANON, à part, après le ballet. Non, sa vie à la mienne est pour jamais liée, Il ne peut m'avoir oubliée... Voyant Lescaut près d'elle. Ma chaise, mon cousin.
LESCAUT, se préparant à partir. Où faut-il vous porter Cousine ?
MANON. A Saint-Sulpice !
LESCAUT. Quel est ce bizarre caprice ? Pardonnez-moi de faire répéter.
MANON. A Saint-Sulpice !
GUILLOT, à Manon, un genou en terre. Eh bien, maîtresse de ma vie, Qu'en dites-vous ?
MANON, troublée. Je n'ai rien vu !...
GUILLOT, mécontent, s'éloignant. Rien vu ?... voilà le prix de ma galanterie !... Est-ce là ce qui m'était dû ?
REPRISE DE L'ENSEMBLE Rideau. |
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Acte III. 2e tableau. estampe de Jules Gaildrau du décor de la création
(version de la partition)
ACTE TROISIÈME
DEUXIÈME TABLEAU
LE PARLOIR DU SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE
Architecture très simple du XVIIIe siècle. Grande porte grillée au milieu, entre deux colonnes. Une grande boiserie de chêne règne tout autour du parloir, jusqu'à moitié de la hauteur ; des bancs, de vieux chêne également, sont au bas de cette boiserie et en font partie. Le haut du parloir est peint de chaux blanche. De chaque côté de la porte du fond, sont accrochés deux tableaux de sainteté (genre Lesueur). Une petite porte à droite, au premier plan.
SCÈNE I
Grandes dames et bourgeoises dévotes sortent de la chapelle du séminaire.
GRANDES DAMES et BOURGEOISES DEVOTES (entre elles, parlant de Des Grieux) [ Premiers sopranos [ Quelle abondance ! [ L’admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ Quelle éloquence ! [ Ah ! L’admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ L’admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ Quelle éloquence ! [ Quelle douceur et quelle flamme ! [ En l'écoutant, la ferveur [ Pénètre doucement jusqu'au fond de nos âmes ! [ Ah ! L’admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ De quel art divin [ Il a, dans sa thèse, [ Peint saint Augustin [ Et sainte Thérèse ! [ C'est un fait certain, [ Un saint ! N'est-ce pas, ma chère ? [ C’est certain ! C’est certain ! [ C’est un Saint ! un Saint ! [ C'est lui, c'est l'abbé Des Grieux, [ Voyez comme il baisse les yeux ! [ [ Seconds sopranos [ L'admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ L'admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ Quelle éloquence ! [ Le grand prédicateur ! [ L'admirable orateur ! Le grand prédicateur ! [ Quelle éloquence ! [ Et dans sa voix quelle douceur ! [ Comme en l'écoutant, la ferveur [ Pénètre doucement jusqu'au fond de nos âmes ! [ Ah ! Quel orateur ! Le grand prédicateur ! [ De quel art divin [ Il a, dans sa thèse, [ Peint saint Augustin [ Et sainte Thérèse ! [ Lui-même est un saint, [ Lui-même est un saint, [ N'est-ce pas, ma chère ? [ C’est un saint ! C’est un saint ! [ C’est certain ! C’est un saint ! un saint ! [ C'est lui, c'est l'abbé Des Grieux, [ Voyez comme il baisse les yeux ! (Les dévotes et les fidèles sortent peu à peu après avoir salué Des Grieux avec de profondes révérences.)
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(livret, édition de mars 1902)
ACTE TROISIÈME
DEUXIÈME TABLEAU
LE PARLOIR DU SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE
Architecture très simple du XVIIIe siècle. Grande porte grillée au milieu, entre deux colonnes. Une grande boiserie de chêne règne tout autour du parloir, jusqu'à moitié de la hauteur ; des bancs, de vieux chêne également, sont au bas de cette boiserie et en font partie. Le haut du parloir est peint de chaux blanche. De chaque côté de la porte du fond sont accrochés deux tableaux de sainteté (genre Lesueur). Une petite porte à droite, premier plan.
SCÈNE I
GRANDES DAMES, BOURGEOISES, DÉVOTES. Quelle éloquence, L'admirable orateur ! Quelle abondance, Le grand prédicateur ! Ah ! dans sa voix quelle douceur, Quelle douceur et quelles flammes ! Comme en l'écoutant, la ferveur Pénètre doucement jusqu'au fond de nos âmes ! De quel art divin Il a, dans sa thèse, Peint saint Augustin Et sainte Thérèse ! Lui-même est un saint C'est un fait certain, N'est-ce pas, ma chère ? S'il ne l'est déjà, On le nommera Bientôt, je l'espère ! Ah ! dans sa voix quelle douceur ! Comme en l'écoutant la ferveur Pénètre doucement jusqu'au fond de nos âmes ! C'est lui, c'est l'abbé Des Grieux, Voyez comme il baisse les yeux ! Les dames sortent peu à peu et saluent Des Grieux avec de profondes révérences. Quelle éloquence, etc.
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décor du 2e tableau de l'acte III de Manon à l'Opéra-Comique
SCÈNE II DES GRIEUX, LE COMTE DES GRIEUX.
LE COMTE Bravo, mon cher, succès complet ! Notre maison doit être fière D'avoir parmi les siens un nouveau Bossuet !
DES GRIEUX De grâce, épargnez-moi, mon père ! (Silence.)
LE COMTE Et, c'est pour de bon, Chevalier, Que tu prétends au ciel pour jamais te lier ?
DES GRIEUX Oui, je n'ai trouvé dans la vie Qu'amertume et dégoût...
LE COMTE (avec une légère ironie) Les grands mots que voilà ! Quelle route as-tu donc suivie ? Et que sais-tu de cette vie Pour penser qu'elle finit là ? Digne de nous, digne de toi, Deviens un père de famille Ni pire, ni meilleur que moi. Le Ciel n'en veut pas davantage ; C'est là le devoir, entends-tu ? C'est là le devoir ; La vertu qui fait du tapage N'est déjà plus de la vertu !... Epouse quelque brave fille, Digne de nous, digne de toi, Le Ciel n'en veut pas davantage ! Le Ciel n'en veut pas davantage… C’est le devoir ! c’est le devoir !...
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SCÈNE II LES MÊMES, DES GRIEUX, LE COMTE DES GRIEUX.
ENSEMBLE.
LE COMTE. Bravo, mon cher, succès complet, Notre maison doit être fière D'avoir parmi les siens un nouveau Bossuet
DES GRIEUX. De grâce, épargnez-moi, mon père ! Un silence.
LE COMTE. Et, c'est pour de bon, chevalier, Que tu prétends au ciel pour jamais te lier ?
DES GRIEUX. Oui, je n'ai trouvé dans la vie Qu'amertume et dégoût...
LE COMTE. Les grands mots que voilà ! Quelle route as-tu donc suivie ? Et que sais-tu de cette vie Pour penser qu'elle finit là ? Epouse quelque brave fille, Digne de nous, digne de toi, Deviens un père de famille Ni pire, ni meilleur que moi. Le ciel n'en veut pas davantage, C'est là le devoir, entends-tu ?... La vertu qui fait du tapage N'est déjà plus de la vertu !... Epouse quelque bonne fille Deviens un père de famille !
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DES GRIEUX Rien ne peut m'empêcher de prononcer mes vœux.
LE COMTE C'est dit alors ?
DES GRIEUX Oui, je le veux !
LE COMTE Soit ! Je franchirai donc seul cette grille Et vais leur annoncer là-bas, Qu'ils ont un saint dans la famille… J'en sais beaucoup qui ne me croiront pas !...
DES GRIEUX Ne raillez pas, Monsieur, je vous en prie !
LE COMTE (ému) Un mot encore, comme il n'est pas certain Que l'on te donne ici, du jour au lendemain, Un bénéfice, une abbaye… Je vais dès ce soir t'envoyer Trente mille livres...
DES GRIEUX Mon père...
LE COMTE C'est à toi, c'est ta part Sur le bien de ta mère. Et maintenant... adieu, mon fils !
DES GRIEUX Adieu, mon père !
LE COMTE (il sort) Adieu... Reste à prier !
SCÈNE III DES GRIEUX, puis LE PORTIER DU PARLOIR.
DES GRIEUX Je suis seul ! Seul enfin !... c'est le moment suprême ! (calme) Il n'est plus rien que j'aime Que le repos sacré que m'apporte la foi ! Oui, j'ai voulu mettre Dieu même Entre le monde et moi ! Ah ! Fuyez, douce image à mon âme trop chère, Respectez un repos cruellement gagné, Et songez, si j'ai bu dans une coupe amère, Que mon cœur l'emplirait de ce qu'il a saigné ! Ah ! fuyez ! fuyez ! loin de moi ! Ah ! fuyez ! Que m'importe la vie et ce semblant de gloire ? Je ne veux que chasser du fond de ma mémoire Un nom maudit !... Ce nom qui m'obsède... et pourquoi ? (Grand orgue dans le lointain.)
LE PORTIER DU SEMINAIRE C'est l'office !
DES GRIEUX J'y vais ! (à lui-même) Mon Dieu ! De votre flamme Purifiez mon âme… Et dissipez à sa lueur L'ombre qui passe encor dans le fond de mon cœur ! Ah ! fuyez, douce image, à mon âme trop chère ! Ah ! fuyez ! fuyez ! loin de moi ! (il s’éloigne lentement) Ah ! fuyez ! loin de moi ! loin de moi !
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DES GRIEUX, après un silence. Rien ne peut m'empêcher de prononcer mes vœux.
LE COMTE. C'est dit alors ?
DES GRIEUX. Oui, je le veux !
LE COMTE. Je franchirai seul cette grille Et vais leur annoncer là-bas, Qu'ils ont un saint dans la famille ; J'en sais beaucoup qui ne me croiront pas !...
DES GRIEUX. Ne raillez pas, monsieur, je vous en prie !
LE COMTE, ému. Un mot encor : — comme il n'est pas certain Que l'on te donne ici, du jour au lendemain, Un bénéfice, une abbaye, Je vais dès ce soir t'envoyer Trente mille livres...
DES GRIEUX. Mon père...
LE COMTE. C'est à toi, c'est ta part sur le bien de ta mère ; Et maintenant... adieu, mon fils !
DES GRIEUX. Adieu, mon père !
LE COMTE, se retournant avant de sortir. Adieu... reste à prier ! Il sort.
SCÈNE III DES GRIEUX, puis LE PORTIER DU PARLOIR.
DES GRIEUX. Je suis seul ! seul enfin !... C'est le moment suprême ! Il n'est plus rien que j'aime Que le repos sacré que m'apporte la foi ! Oui, j'ai voulu mettre Dieu même Entre le monde et moi ! Que m'importe la vie et ce semblant de gloire ! Je ne veux que chasser du fond de ma mémoire Un nom maudit !... Ce nom qui m'obsède... et pourquoi ? Ah ! fuyez, douce image à mon âme trop chère, Respectez un repos cruellement gagné, Et songez si j'ai bu dans une coupe amère Que mon cœur l'emplirait de ce qu'il a saigné ! On entend un bruit d'orgues très lointaines.
LE PORTIER. C'est l'office !
DES GRIEUX. J'y vais ! A part. Mon Dieu, de votre flamme Purifiez mon âme, Et dissipez à sa lueur L'ombre qui passe encore dans le fond de mon cœur ! Mon Dieu, purifiez mon âme ! Il sort
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SCÈNE IV
LE PORTIER Il est jeune... et sa foi Semble sincère... il a fait grand émoi Parmi les plus belles De nos fidèles !
SCÈNE V LE PORTIER, MANON.
MANON (avec effort) Monsieur... je veux parler... à l'abbé Des Grieux !
LE PORTIER DU SEMINAIRE Fort bien !
MANON (lui donnant de l'argent) Tenez ! (Le portier du séminaire salue et sort.)
SCÈNE VI
MANON Ces murs silencieux... Cet air froid qu'on respire... Pourvu que tout cela n'ait pas changé son cœur ! Devenu sans pitié pour une folle erreur, Pourvu qu'il n'ait pas appris à maudire !
[ VOIX DANS LA CHAPELLE DU SEMINAIRE (dans le lointain) [ Magnificat anima mea Dominum, [ Et exultavit Et exultavit Spiritus meus, Spiritus meus. [ [ MANON (écoutant) [ Là-bas… on prie… Ah ! je voudrais prier !
MANON Pardonnez-moi, Dieu de toute puissance, Pardonnez-moi, Dieu de toute puissance, Car si j'ose vous supplier En implorant votre clémence, Si ma voix de si bas... peut monter jusqu'aux cieux... Ah ! c'est pour vous demander le cœur de Des Grieux ! Pardonnez-moi, mon Dieu ! Pardonnez-moi, mon Dieu !
SCÈNE VII MANON, DES GRIEUX.
Des Grieux entre par le fond.
[ VOIX DANS LA CHAPELLE DU SEMINAIRE [ In Deo Salutari meo, Salutari meo. [ [ MANON (avec angoisse) [ C’est lui ! (Manon se détourne, elle est prête à défaillir. Des Grieux s’avance)
DES GRIEUX (presque parlé) Toi !... Vous !
MANON Oui, c'est moi ! moi ! c'est moi ! Oui, c’est moi !
DES GRIEUX Que viens-tu faire ici ?...Va-t-en ! va-t-en ! Eloigne-toi !
MANON (douloureux et suppliant) Oui, je fus cruelle et coupable ! Mais rappelez-vous tant d'amour !... Ah ! dans ce regard qui m'accable, Lirai-je mon pardon, un jour ?
DES GRIEUX Éloigne-toi !...
MANON Oui, je fus cruelle et coupable ! Ah ! rappelez-vous tant d'amour !... Rappelez-vous tant d'amour !
DES GRIEUX Non ! J'avais écrit sur le sable Ce rêve insensé d'un amour Que le ciel n'avait fait durable Que pour un instant, (avec amertume) pour un jour !
MANON Oui, je fus coupable !
DES GRIEUX J'avais écrit sur le sable...
MANON Oui, je fus cruelle !...
DES GRIEUX C'était un rêve Que le ciel n'avait fait durable Que pour un instant, pour un jour ! Ah ! perfide Manon !
MANON (se rapprochant) Si je me repentais !...
DES GRIEUX Ah ! perfide !... Perfide !
MANON Est-ce que tu n'aurais pas de pitié ?...
DES GRIEUX (l'interrompant) Je ne veux pas vous croire. Non, vous êtes sortie enfin de ma mémoire Ainsi que de mon cœur !
MANON (avec des larmes) Hélas ! Hélas !... L'oiseau qui fuit Ce qu'il croit l'esclavage, Le plus souvent la nuit... D'un vol désespéré revient battre au vitrage ! Pardonne-moi !
DES GRIEUX Non !
MANON Je meurs à tes genoux ! (avec élan et désespoir) Ah ! rends-moi ton amour si tu veux que je vive !
DES GRIEUX Non, il est mort pour vous !
MANON L'est-il donc à ce point que rien ne le ravive ! Ecoute-moi !... Rappelle-toi ! (avec un grand charme et très caressant) N'est-ce plus ma main que cette main presse ? N'est-ce plus ma voix ?... N'est-elle pour toi plus une caresse, Tout comme autrefois ! Et ces yeux jadis pour toi pleins de charmes, Ne brillent-ils plus à travers mes larmes ? Ne suis-je plus moi ? N'ai-je plus de nom ? Ah ! regarde-moi ! Regarde-moi ! N'est-ce plus ma main que cette main presse Tout comme autrefois ? N'est-ce plus ma voix ? N'est-ce plus Manon ? Rappelle-toi... N'est-ce plus ma main ? Écoute-moi : n'est-ce plus ma voix ? N'ai-je plus mon nom ? N'est-ce plus Manon ?
DES GRIEUX (dans le plus grand trouble) O Dieu ! Soutenez-moi dans cet instant suprême !
MANON Je t'aime !
DES GRIEUX Ah ! tais-toi ! Ne parle pas d'amour ici, c'est un blasphème !
MANON Je t'aime !
DES GRIEUX Ah ! tais-toi ! Ne parle pas d'amour !
MANON Je t'aime !
DES GRIEUX (écoutant, avec angoisse un son de cloche lointaine) C'est l'heure de prier !...
MANON Non, je ne te quitte pas !...
DES GRIEUX On m'appelle là-bas !
MANON Non, je ne te quitte pas ! Viens ! N'est-ce plus ma main que cette main presse, Tout comme autrefois ?
DES GRIEUX (éperdu peu à peu) Tout comme autrefois !
MANON Et ces yeux, jadis pour toi pleins de charmes, N'est-ce plus Manon ?
DES GRIEUX Tout comme autrefois. Tout comme autrefois.
MANON Ah ! Regarde-moi ! Ne suis-je plus moi ? N'est-ce plus Manon ?
DES GRIEUX (avec élan) Ah ! Manon ! Je ne veux plus lutter contre moi-même !
MANON (avec un cri de joie) Enfin !
DES GRIEUX Et dussè-je sur moi faire crouler les cieux... Ma vie est dans ton cœur, ma vie est dans tes yeux ! (avec exaltation et abandon) Ah ! Viens, Manon ! Je t'aime !
MANON et DES GRIEUX Je t'aime !
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SCÈNE IV
LE PORTIER. Il est jeune... et sa foi Semble sincère... il a fait grand émoi Parmi les plus belles De nos fidèles !
SCÈNE V LE PORTIER, MANON.
MANON, à demi voilée, avec effort. Monsieur... je veux parler... à l'abbé Des Grieux !
LE PORTIER. Fort bien !
MANON. Allez ! Le portier sort.
SCÈNE VI
MANON. Ces murs silencieux... Cet air froid qu'on respire... Pourvu que tout cela n'ait pas changé son cœur ! Devenu sans pitié pour une folle erreur, Pourvu qu'il n'ait pas appris à maudire ! On entend chanter dans la chapelle du séminaire. Là-bas... on prie... Ah ! je voudrais prier !... Pardonnez-moi, Dieu de toute puissance, Car si j'ose vous supplier En implorant votre clémence, Si ma voix de si bas peut monter jusqu'aux cieux, C'est pour vous demander le cœur de Des Grieux Dieu de clémence !
SCENE VII MANON, DES GRIEUX.
Des Grieux entre par le fond.
MANON. C'est lui ! Elle se retourne et ferme son voile, elle est prête à défaillir. — Des Grieux s'avance vers elle, — Manon laisse tomber lentement la dentelle qui couvrait son visage. — Des Grieux lève les yeux vers elle et pousse un cri en la reconnaissant.
DES GRIEUX, avec élan. Toi !... vous !
MANON. Oui, moi, moi ! moi ! c'est moi !
DES GRIEUX. Que viens-tu faire ici ?... va-t'en, éloigne-toi !...
MANON, suppliante. Oui, je fus cruelle et coupable Mais rappelez-vous tant d'amour ! Ah ! dans ce regard qui m'accable, Lirai-je mon pardon un jour ? Oui, je fus cruelle et coupable !
DES GRIEUX. Non, j'avais écrit sur le sable Ce rêve insensé d'un amour Que le ciel n'avait fait durable Que pour un instant, pour un jour ! Non, j'avais écrit sur le sable ! Un silence. Ah ! perfide Manon !
MANON, se rapprochant. Si je me repentais…
DES GRIEUX. Ah ! perfide ! perfide !
MANON. Est-ce que tu n'aurais Pas de pitié ?
DES GRIEUX, l'interrompant. Je ne veux pas vous croire, Non, vous êtes sortie enfin de ma mémoire Ainsi que de mon cœur.
MANON. Hélas ! l'oiseau qui fuit Ce qu'il croit l'esclavage, Le plus souvent la nuit D'un vol désespéré revient battre au vitrage ! Pardonne-moi... je meurs à tes genoux !
DES GRIEUX. Non !
MANON. Rends-moi ton amour si tu veux que je vive !
DES GRIEUX. Non ! il est mort pour vous !
MANON, se rapprochant. L'est-il donc à ce point que rien ne le ravive ! Ecoute-moi, Rappelle-toi ! Lui prenant les mains dans les siennes. N'est-ce plus ta main que cette main presse ? N'est-ce plus ma voix ? N'est-elle pour toi plus une caresse, Tout comme autrefois, Et ces yeux, jadis pour toi pleins de charmes ? Ne brillent-ils plus à travers mes larmes ! Ne suis-je plus moi, n'ai-je plus mon nom, Ah ! regarde-moi, n'est-ce plus Manon ?
DES GRIEUX. O Dieu, soutenez-moi dans cet instant suprême !
MANON. Je t'aime !
DES GRIEUX, à Manon. Ne parle pas d'amour ici, c'est un blasphème !
MANON. Je t'aime ! Chœur lointain.
DES GRIEUX. C'est l'heure de prier... on m'appelle là-bas...
MANON. Non, je ne te quitterai pas. Des Grieux revient ramené vers Manon, comme par une force invincible.
DES GRIEUX, avec élan. Je ne veux pas lutter, Manon, contre moi-même ! Oui, dussé-je sur moi faire crouler les cieux, Ma vie est dans ton cœur, ma vie est dans tes yeux ! Ah ! viens, Manon, je t'aime ! Il tombe dans les bras de Manon et s'enfuit avec elle. Rideau.
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Acte IV. estampe de Jules Gaildrau du décor de la création
(version de la partition)
ACTE QUATRIÈME
L'HÔTEL DE TRANSYLVANIE
Une grande et luxueuse salle de l'hôtel de Transylvanie, séparée par de larges baies des autres salons. A gauche, une fenêtre. Des tables de jeu sont établies dans cette salle et dans les autres salons. Au lever du rideau, une foule de joueurs entourent les tables.
SCÈNE I LESCAUT, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, CROUPIERS, JOUEURS, AIGREFINS.
CROUPIERS (au fond) Faites vos jeux, Messieurs !
UN JOUEUR Mille pistoles !
SECOND JOUEUR C'est tenu !
PREMIER JOUEUR Je double !...
SECOND JOUEUR Brelan !
PREMIER JOUEUR C'est perdu !
PREMIER JOUEUR (à la table des dés) Deux...
SECOND JOUEUR Cinq...
PREMIER JOUEUR Sept...
SECOND JOUEUR Dix...
UNE VOIX AU FOND Cent louis !...
VOIX DE LESCAUT Quatre-cents louis !
LESCAUT Vivat, j'ai gagné !
UN JOUEUR (poursuivant Lescaut) Je vous jure Que l'argent m'appartient !
LESCAUT Du moment qu'on l'assure Avec autant d'aplomb...
LE JOUEUR J'avais l'as et le roi !
LESCAUT Recommençons alors... Ça m'est égal à moi ! (Les aigrefins s'avancent discrètement.)
LES AIGREFINS (à demi-voix, à part) Livre tout au hasard, Mais le vrai sage pense Que jouer est un art ! Pour la rendre opportune Nous savons sans danger, Nous savons sans danger, Nous savons quand il faut corriger L'erreur de la fortune !
LESCAUT (en empochant l'argent) Tout en jouant honnêtement Je n'ai jamais joué autrement ! Tout en jouant honnêtement Je n'ai jamais joué autrement !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE (toutes les trois se promènent en observant les joueurs et les aigrefins) Accourez tous, on vous en prie. A l'Hôtel de Transylvanie, Passez vos jours, passez vos nuits.
POUSSETTE L'or vient tout seul aux plus belles !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Et c'est nous qui gagnons toujours ! toujours ! toujours ! toujours !
LES AIGREFINS (qui ont fait un tour, reviennent de l'autre côté) Le joueur sans prudence Livre tout au hasard, Mais le vrai sage pense Que jouer est un art ! Pour la rendre opportune Nous savons sans danger, Nous savons sans danger, Nous savons quand il faut corriger L'erreur de la fortune ! (Lescaut revient triomphant. Il est entouré par les aigrefins et par Poussette, Javotte et Rosette.)
LESCAUT (avec entrain) C'est ici que celle que j'aime A daigné fixer son séjour Et je vous dirai quelque jour Certains couplets que j'ai moi-même Faits en l'honneur de notre amour ! (Bruit de l'or, au fond) Et c'est ce bruit, ce bruit charmant Qui leur sert d'accompagnement… C’est ce bruit, ce bruit charmant ! Ce bruit… charmant Qui leur sert d'accompagnement… Celle que j'aime... je me pique D'être plein de discrétion Pourtant… je vous dirai son nom... Son nom...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Oui, son nom !...
LESCAUT C'est Pallas, la dame de pique, Et là s'arrête ma chanson ! (Bruit de l'or, au fond)
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, LESCAUT et LES AIGREFINS Et c'est ce bruit, ce bruit charmant Qui lui sert d'accompagnement ! C’est ce bruit, ce bruit charmant ! Ce bruit… charmant Qui lui sert d'accompagnement !
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(livret, édition de mars 1902)
ACTE QUATRIÈME
L'HÔTEL DE TRANSYLVANIE
Une grande et luxueuse salle de l'hôtel de Transylvanie, séparée par de larges baies des autres salons. — A gauche, une fenêtre. Des tables de jeu sont établies dans cette salle et dans les autres salons. Au lever du rideau, une foule de joueurs entourent les tables.
SCÈNE I LESCAUT, POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, CROUPIERS, JOUEURS, AIGREFINS.
LES CROUPIERS, répètent au fond : — Faites vos jeux, messieurs !
UN JOUEUR. Mille pistoles !
DEUXIÈME JOUEUR. C'est tenu !
PREMIER JOUEUR. Je double !
DEUXIÈME JOUEUR. Brelan !
PREMIER JOUEUR. C'est perdu ! Cent louis !
LESCAUT. Vivat !... j'ai gagné.
UN JOUEUR. Je vous jure Que l'argent m'appartient !
LESCAUT. Du moment qu'on l'assure Avec autant d'aplomb...
LE JOUEUR. J'avais l'as et le roi !
LESCAUT. Recommençons alors, ça m'est égal à moi !
LES AIGREFINS. Le joueur sans prudence, Livre tout au hasard ! Mais le vrai sage pense Que jouer est un art ! Pour la rendre opportune, Nous savons sans danger Quand il faut corriger L'erreur de la fortune !
LESCAUT. Tout en jouant honnêtement, Je n'ai jamais fait autrement !
LES AIGREFINS. Pour la rendre opportune, Nous savons corriger l'erreur de la fortune !
LES CROUPIERS. Faites vos jeux, Messieurs !
POUSSETTE et JAVOTTE. A l'hôtel de Transylvanie, Accourez tous, on vous en prie, Passer vos nuits et vos jours, Chercheurs de chances nouvelles ! L'or vient tout seul aux plus belles, C'est nous qui gagnons toujours !
LESCAUT. C'est ici que celle que j'aime A daigné fixer son séjour, Et je vous dirai quelque jour Certains couplets que j'ai moi-même Faits en l'honneur de notre amour. Bruit de l'or. Et c'est ce bruit, ce bruit charmant, Qui leur sert d'accompagnement. Celle que j'aime... je me pique D'être plein de discrétion... Pourtant, je vous dirai son nom, C'est Pallas, la dame de pique ! Et là s'arrête ma chanson... Bruit de l'or. Et c'est ce bruit, ce bruit magique, Et c'est ce bruit charmant, Qui lui sert d'accompagnement ! Guillot de Morfontaine vient d'entrer,
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SCÈNE II LES MÊMES, GUILLOT.
GUILLOT (qui vient d'entrer. A Lescaut) Bravo, mon cher !
LESCAUT Merci !
LES CROUPIERS (au fond) Faites vos jeux, Messieurs ! (Pendant que Guillot félicite Lescaut, les aigrefins remontent vers la table de pharaon. Les joueurs ont recommencé le jeu au fond et Guillot a retenu auprès de lui Lescaut et les trois amies.)
GUILLOT(avec assurance) De temps en temps ; ainsi moi j'ai sur le Régent Fait des vers très malins ! mais, en homme prudent Je gaze… Et passe les mots dangereux… Vous allez voir, on ne comprend que mieux ! (avec précaution) Quand le... C'est le Régent... Va voir… C'est sa maîtresse... Il dit... (finement) On me comprend ?... Elle répond... De Votre Altesse ! Tra la la ! la la la ! la la la ! la la la ! Tra la la la ! Tra la la la ! (à ceux qui l’entourent) Ah ! c’est badin, c’est léger !
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE et LESCAUT (en riant) Et l'on ne court aucun danger !
GUILLOT Ah ! c'est piquant ! C'est badin, c'est léger ! Tra la la ! la la la ! la la la la la la la ! la la ! la !
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, GUILLOT et LESCAUT Chut ! (Grand tapage. Tout le monde se lève pour regarder les personnes qui entrent.)
SCÈNE III LES MÊMES, MANON, DES GRIEUX.
GUILLOT Mais qui donc nous arrive et fait tout ce tapage ?...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE C'est la belle Manon avec son Chevalier ! (Elles s'éloignent.)
DES GRIEUX (regardant autour de lui d'un air sombre et inquiet) M'y voici donc !... J'aurais dû résister... Je n'en ai pas eu le courage !
GUILLOT (vexé) Le Chevalier...
LESCAUT (à Guillot) Vous changez de visage Et quelque chose ici paraît vous irriter !
GUILLOT A bon droit, je fais la grimace... Car j'adorais Manon et je trouve blessant Et froissant Qu'elle en aime un autre à ma place !... (Lescaut entraîne Guillot.)
LES CROUPIERS (au fond) Faites vos jeux, messieurs ! (Tout le monde retourne au jeu. Manon et Des Grieux sont restés isolés sur le devant de la scène. Manon, voyant que Des Grieux continue d'être triste, s'approche de lui.)
MANON De ton cœur, Des Grieux, suis-je plus souveraine ?
DES GRIEUX (avec la plus violente passion) Sphinx étonnant ! Véritable sirène ! Cœur trois fois féminin !... Que je t'aime et te hais ! Pour le plaisir et l'or quelle ardeur inouïe ! Ah ! Folle que tu es... Comme je t'aime !
MANON (avec une perfide volupté) Et moi... comme je t'aimerais... Si tu voulais...
DES GRIEUX Si je voulais ?...
MANON (changeant de ton, et revenant à la réalité) Notre opulence est envolée... Chevalier, nous n'avons plus rien ! Mais ici, quand on le veut bien Une fortune est vite retrouvée !
DES GRIEUX (avec trouble) Que me dis-tu, Manon ?
LESCAUT (se rapprochant de Manon) Elle a raison ! En quelques coups de pharaon, Une fortune est vite retrouvée...
DES GRIEUX Qui ? Moi ? Jouer ?... Jamais ! jamais !
LESCAUT Vous avez tort... Manon n'aime pas la misère…
MANON Chevalier, si je te suis chère, Consens !... consens ! Et tu verras qu'après Nous serons riches !
LESCAUT C'est probable ! La fortune n'est intraitable Qu'avec le joueur éprouvé Qui contre elle souvent a lutté ! Elle est douce, au contraire, à celui qui commence !
MANON (à Des Grieux) Tu veux bien, n'est-ce pas ?...
DES GRIEUX Infernale démence !
LESCAUT (pressant) Venez !
DES GRIEUX (à Manon) Je t'aurai tout donné !
LESCAUT Vous gagnerez !
DES GRIEUX Mais qu'aurai-je en retour ?
LESCAUT Vous gagnerez !
MANON (avec élan) Mon être tout entier, ma vie et mon amour !
[ DES GRIEUX [ Manon, Manon ! Sphinx étonnant, véritable sirène ! [ Cœur trois fois féminin... Que je t'aime et te hais ! [ Pour le plaisir et l'or quelle ardeur inouïe ! [ Ah ! folle que tu es !... [ Comme je t'aime ! [ Ah ! faut-il donc que ma faiblesse [ Te donne jusqu'à mon honneur ! [ Tout, jusqu’à mon honneur ! [ [ MANON [ Repose-toi sur ma tendresse ! [ Ne doute jamais de mon cœur ! [ Ne doute jamais de mon cœur ! [ Ah ! c'est là notre bonheur ! [ Ne doute jamais ! Ah ! jamais ! [ A toi mon amour ! [ A toi tout mon être, Ah ! à toi ! [ [ LESCAUT [ Votre chance est certaine ! [ Jouez toujours, jouez sans cesse ! [ Jouez toujours, c'est le bonheur ! [ Jouez, jouez encor ! Venez ! [ Ah ! vous gagnerez ! Venez ! venez ! [ Jouez toujours ! Jouez toujours ! Ah ! Venez !
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SCÈNE II LES MÊMES, GUILLOT.
GUILLOT. Bravo, mon cher !
LESCAUT. Merci.
GUILLOT. J'enfourche aussi Pégase, De temps en temps ! Ainsi, moi, j'ai sur le régent Fait des vers très malins ! mais en homme prudent Je gaze ! Et passe les mots dangereux, Vous allez voir, on ne comprend que mieux « Quand le... Il tousse. C'est le régent ! »Va voir... Il tousse. C'est sa maîtresse » Il dit... Il tousse. On me comprend ? » Elle répond. Il tousse. De Votre Altesse ! C'est piquant, n'est-ce pas, c'est vif, badin, léger…
LESCAUT et LES FEMMES, en riant. Et l'on ne court aucun danger ! Grand tapage, tout le monde se lève pour regarder les personnes qui entrent.
SCÈNE III LES MÊMES, MANON, DES GRIEUX.
GUILLOT. Mais qui donc nous arrive et fait tout ce tapage ?...
POUSSETTE et JAVOTTE. C'est la belle Manon avec son chevalier.
DES GRIEUX, regardant autour de lui. M'y voici donc ! j'aurais dû résister ! Je n'en ai pas eu le courage.
GUILLOT, vexé. Le chevalier...
LESCAUT, à Guillot. Vous changez de visage, Et quelque chose ici, paraît vous irriter...
GUILLOT. A bon droit, je fais, la grimace, Car j'adorais Manon et je trouve blessant Qu'elle en aime un autre à ma place !
LES CROUPIERS.
Faites vos jeux, Tout le monde retourne au jeu. Manon et Des Grieux sont restés isolés sur le devant de la scène. Manon voyant que Des Grieux continue d'être triste, s'approche de lui.
MANON. De ton cœur, Des Grieux, suis-je plus souveraine ?
DES GRIEUX « Manon, sphinx étonnant, véritable sirène !... « Cœur trois fois féminin... que je t'aime et te hais ! « Pour le plaisir et l'or quelle ardeur inouïe !... « Ah ! folle que tu es !... » Comme je t'aime !
MANON. Et moi, comme je t'aimerais ! Si tu voulais...
DES GRIEUX. Si je voulais...
MANON. Notre opulence est envolée, Chevalier, nous n'avons plus rien ! Mais ici, quand on le veut bien, Une fortune est vite retrouvée... Lescaut se rapproche d'elle.
DES GRIEUX. Que me dis-tu, Manon ?
LESCAUT. Elle a raison ! En quelques coups de pharaon, Une fortune est vite retrouvée...
DES GRIEUX. Qui moi, jouer ?... jamais !
LESCAUT, bas. Vous avez tort ! Manon n'aime pas la misère.
MANON. Chevalier, si je te suis chère, Consens, et tu verras qu'après, Nous serons riches...
LESCAUT. C'est probable ! La fortune n'est intraitable Qu'avec le joueur éprouvé Qui souvent contre elle a lutté, Elle est douce au contraire, à celui qui commence !
MANON, à Des Grieux. Tu veux bien, n'est-ce pas ?
DES GRIEUX. Infernale démence, Je t'aurai tout donné ! mais qu'aurai-je en retour ?
MANON. Mon être tout entier, ma vie et mon amour !
DES GRIEUX. Manon, sphinx étonnant, véritable sirène !
LESCAUT.
Venez, votre chance est certaine, Vous gagnerez !
ENSEMBLE. [ DES GRIEUX. [ Ah ! trop cruelle enchanteresse ! [ N'est-ce pas assez de mon cœur ? [ Et faut-il donc que ma faiblesse, [ Te donne jusqu'à mon honneur ? [ [ MANON. [ Repose-toi sur ma tendresse, [ Ne doute jamais de mon cœur ; [ Et ce que tu crois ta faiblesse, [ Des Grieux, c'est notre bonheur ! [ [ LESCAUT. [ Quand vous aurez goûté l'ivresse [ Qu'ici vient chercher le joueur, [ Jouer toujours, jouer sans cesse [ Deviendra votre seul bonheur ! Guillot rentre en scène avec Javotte et Poussette. |
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Rosette Poussette Manon Javotte Des Grieux le Comte Guillot
l'acte IV de Manon à l'Opéra-Comique avec Mmes Mary Garden (Manon), de Théza (Rosette), Charlotte Mellot (Poussette), L. Muller (Javotte), MM. Adolphe Maréchal (Des Grieux), Emile Henri Jacquin (le Comte) et Gourdon (Guillot) vers 1900 (nouvelle production de 1898)
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GUILLOT (à Des Grieux) Un mot, s'il vous plaît, Chevalier ! Je vous propose une partie... Nous verrons si sur moi vous devez l'emporter Toujours...
POUSSETTE (gaiement) Bravo, Guillot ! Pour vous, moi je parie...
JAVOTTE (de même) Et je parie, alors, moi, pour ce Chevalier !
GUILLOT (à Des Grieux) Acceptez-vous ?
DES GRIEUX (avec trouble) J'accepte !...
GUILLOT Commençons !
POUSSETTE Nous parions toujours !
JAVOTTE et ROSETTE Nous parions !
GUILLOT Mille pistoles !
DES GRIEUX Soit, monsieur, mille pistoles !
LESCAUT (avec admiration et transport) Mille pistoles ! (Il va se mettre à une autre table de jeu.) A moi, Pallas, à moi !
MANON Ces ivresses folles, C'est la vie !
[ MANON [ Ah ! c'est la vie !... [ [ POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE [ C'est la vie !...
MANON Ou du moins c'est celle que je veux !
LES CROUPIERS (au fond) Faites vos jeux, Messieurs !
MANON Ce bruit de l'or, ce rire et ses éclats joyeux ! A nous les amours et les roses ! Chanter, aimer, sont douces choses... Qui sait si nous vivrons demain !... Qui sait si nous vivrons demain !... Demain !... demain !... demain !... demain !... A nous les amours ! à nous les amours et les roses !...
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Chanter, aimer sont douces choses !
MANON, POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Qui sait si nous vivrons demain ! Qui sait si nous vivrons demain !
MANON La jeunesse passe, La beauté s'efface ! Que tous nos désirs Soient pour les plaisirs ! L'amour et les fièvres Sur toutes les lèvres ! Pour Manon, encor De l'or ! de l'or ! encor ! de l'or ! De l’or ! de l’or ! de l’or !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE De l’or !
MANON A nous les amours et les roses !
MANON, POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Chanter, aimer, sont douces choses ! Qui sait si nous vivrons demain ! Qui sait si nous vivrons demain ! demain ! demain ! A nous les amours ! à nous les amours et les roses ! A nous de l'or ! de l'or ! de l'or !
POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE Qui sait si nous vivrons demain ! Pour nous de l'or ! de l'or !
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GUILLOT. Un mot, s'il vous plaît, chevalier ! Je vous propose une partie. Nous verrons si sur moi vous devez l'emporter Toujours...
JAVOTTE. Bravo, Guillot, pour vous, moi je parie…
POUSSETTE. Et je parie alors, moi, pour ce chevalier…
GUILLOT, à Des Grieux. Acceptez-vous ?
DES GRIEUX. J'accepte... On entend dans le fond les croupiers qui répètent : faites vos jeux, messieurs.
GUILLOT. Eh bien, mille pistoles ? Commençons !
POUSSETTE. Nous parions toujours ?
JAVOTTE. Nous parions !
LESCAUT. A moi, Pallas, à moi ! Il va se mettre à une autre table de jeu.
MANON. Ces ivresses folles C'est la vie, ou du moins c'est celle que je veux ! Prenant le verre que lui donne Javotte. Ce bruit de l'or, ce rire et ces éclats joyeux ! A nous les amours et les roses, Chantons, aimons, le verre en main, Chanter, aimer, sont douces choses, Qui sait si nous vivrons demain ! La jeunesse passe, La beauté s'efface, Que tous nos désirs Soient pour les plaisirs ! Sur toutes les lèvres L'amour et ses fièvres, Pour Manon encor De l'or et de l'or !...
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LES JOUEURS ET LES AIGREFINS (à Lescaut) Au jeu ! Au jeu !
LESCAUT (se défendant) Permettez-moi de jouer sur parole, Je suis de bonne foi !
LES JOUEURS ET LES AIGREFINS Au jeu ! Au jeu !
LESCAUT Plus un louis, pas même une pistole ! Plus rien ! Ils m'ont volé... moi !... moi !
GUILLOT (à Des Grieux, tout en jouant) Vous avez une chance folle ! Mille louis de plus !
DES GRIEUX (fiévreusement) Soit, Monsieur !... Mille louis !
GUILLOT J'ai perdu…
MANON (à Des Grieux, s'approchant des joueurs) Eh bien, gagnes-tu ?
DES GRIEUX (lui montrant l'or et les bons de caisse) Regarde !
MANON C'est à nous ?...
DES GRIEUX C’est à nous…
MANON Je t'adore !
GUILLOT Le double ! Voulez-vous ?
DES GRIEUX C'est dit !
GUILLOT Je perds encore…
MANON (à Des Grieux) Je te l'avais bien dit que tu devais gagner…
DES GRIEUX Manon ! Manon ! Je t'aime ! Je t'aime !
GUILLOT (quittant la table) J'arrête la partie !...
DES GRIEUX (se levant aussi) C'est comme vous voudrez !
GUILLOT (avec intention) Ce serait duperie De s'obstiner...
DES GRIEUX (changeant de ton et menaçant) Plaît-il ?
GUILLOT Il suffit, je m'entends ! (Avec ironie insolente) Vous avez vraiment des talents !
DES GRIEUX (en colère) Que dites-vous ?
GUILLOT Quelle furie ! Vouloir encor battre les gens Quand on les a volés !
DES GRIEUX (s'élançant sur Guillot) Infâme calomnie ! Misérable ! (Tout le monde accourt.)
[ POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, LESCAUT, LES AIGREFINS [ Messieurs ! voyons, voyons, messieurs ! [ Messieurs ! voyons, messieurs ! [ Quand on est dans le monde, [ Il faut se tenir mieux ! Messieurs ! Voyons, Messieurs ! [ [ LA FOULE DES JOUEURS [ Messieurs ! voyons, voyons, messieurs ! [ Messieurs ! Messieurs ! [ Quand on est dans le monde, [ Il faut se tenir mieux ! Messieurs ! Voyons, Messieurs !
GUILLOT (très agité) Je prends à témoin messieurs... mesdemoiselles ! (à Des Grieux et Manon) Pour vous deux... vous aurez bientôt de mes nouvelles ! (Il sort.)
SCÈNE IV LES MÊMES, moins GUILLOT.
[ LA FOULE DES JOUEURS (entre eux) [ La chose ne s'est jamais vue ! [ Non, non, jamais, certainement [ On n'a volé ! Jamais, pareillement ! [ Jamais on n’a volé pareillement ! [ Non, non, jamais ! on n’a volé pareillement ! [ (désignant Des Grieux) [ On a volé ! c’est lui ! [ On a volé ! c’est lui ! [ [ LESCAUT (s'interposant) [ Voyons, messieurs ! Calmez-vous, messieurs ! [ (à Des Grieux) [ Ah ! quel ennui ! Qu’avez-vous fait ? [ (aux joueurs) [ Messieurs ! Messieurs ! [ [ LES AIGREFINS (à part) [ Le maladroit !... Ah ! quel ennui ! [ Le maladroit !... Ah ! quel ennui ! [ La chose ne s'est jamais vue ! [ Non, non, jamais ! certainement ! [ (aux joueurs) [ Faites vos jeux, Messieurs ! [ Faites vos jeux, Messieurs ! [ [ POUSSETTE, JAVOTTE et ROSETTE [ Non, non, jamais ! jamais ! on n'a volé ! [ (s'interposant dans la dispute) [ Voyons, Messieurs, Messieurs ! [ (aux joueurs) [ Faites vos jeux, Messieurs ! [ Faites vos jeux, Messieurs !
MANON (à Des Grieux) Partons, je t'en supplie ! Partons vite !...
DES GRIEUX (avec fermeté) Non, sur ma vie ! Si je partais, peut-être croirait-on Qu'en m'accusant cet homme avait raison ! (On frappe fortement à la porte.)
POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, LESCAUT et LES AIGREFINS (à part) Eh mais... qui frappe de la sorte ? (On frappe de nouveau.)
LES JOUEURS Vite ! Vite ! Cachez l'argent ! Cachez l'argent !
MANON (à part, interdite) Qui frappe à cette porte ? Je tremble... Je ne sais pourquoi !
UNE VOIX (au dehors) Ouvrez ! Au nom du Roi...
LESCAUT Un exempt de police ! Gagnons vite le toit ! (Il se sauve. Un exempt de police, suivi de gardes, pénètre dans la salle.)
SCÈNE V LES MÊMES (moins LESCAUT), GUILLOT, LE COMTE, UN EXEMPT, GARDES.
GUILLOT (désignant Des Grieux) Le coupable est Monsieur... et voilà sa complice !
MANON (bas à Guillot) Misérable !
GUILLOT (à Manon) Mille regrets, mademoiselle, Mais la partie était trop belle ! (bas) Je vous avais bien dit que je me vengerais ! (à Des Grieux) J'ai pris ma revanche, mon maître ! Il faudra vous en consoler…
DES GRIEUX (terrible) J'y tâcherai ! Mais je vais commencer Par vous jeter par la fenêtre !
GUILLOT (méprisant) Par la fenêtre !
LE COMTE (au Chevalier, avec calme) Et moi !... M'y jetez-vous aussi ?
DES GRIEUX Mon père !... Vous ici !... Vous !
MANON Son père !
LE COMTE Oui, je viens t'arracher à la honte Qui chaque jour grandit sur toi ! Insensé ! Vois-tu pas qu'elle monte Et va s'élever jusqu'à moi !
[ MANON (avec grand sentiment et désespoir) [ O douleur, l'avenir nous sépare [ Et d'effroi, mon cœur est tremblant ! [ Un tourment trop cruel me dévore à jamais ! [ Est-ce donc fait de mon bonheur ? [ [ DES GRIEUX (à son père, avec un grand sentiment) [ Ah ! comprends ce regard qui t'implore, [ Qui voudrait fléchir ta rigueur ! [ Le remords, tu le vois, me dévore [ A jamais ! Ne peux-tu sauver mon honneur ? [ [ LE COMTE [ Oui, je viens t'arracher à la honte [ Et malgré ton regard qui m'implore... [ Pas de pardon ! Non, pas de pardon ! [ Je dois veiller sur notre honneur ! [ [ POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, LES AIGREFINS et LA FOULE DES JOUEURS [ Ah ! cédez à ses pleurs ! Ah ! cédez à ses pleurs ! [ Pour sa jeunesse ! [ Grâce ! Tant de beauté [ Mérite que l'on ait pitié. [ [ GUILLOT (à part) [ Me voilà donc vengé ! Me voilà donc vengé ! [ Ma vengeance est terrible, elle est prompte ! [ Non, pas de pitié ! [ Vous appartenez à la loi !
LE COMTE (désignant Des Grieux) Qu'on l'emmène ! (au chevalier) Plus tard, on vous délivrera !
DES GRIEUX (désignant Manon, avec anxiété) Mais elle ?
GUILLOT (s'interposant) Le guet la conduira Où l'on emmène ses pareilles !
DES GRIEUX (avec élan) N'approchez pas ! (S'élançant au devant de Manon) Je saurai la défendre !
MANON (s'évanouissant) Ah ! c'en est fait !... Je meurs ! Grâce !...
[ MANON (avec un suprême effort) [ Ah ! pitié ! [ [ DES GRIEUX (avec désespoir) [ O douleur ! L'avenir nous sépare à jamais ! [ [ POUSSETTE, JAVOTTE, ROSETTE, LES AIGREFINS et LA FOULE DES JOUEURS [ Ah ! pitié ! [ [ GUILLOT et LE COMTE [ Non jamais !
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LES JOUEURS. Au jeu !
LESCAUT. Permettez-moi de jouer sur parole ! On me connaît, je suis de bonne foi !
LES JOUEURS. Au jeu !
LESCAUT. Plus un louis, pas même une pistole ! Plus rien! ils m'ont volé, moi... moi !...
GUILLOT, à Des Grieux. Vous avez une chance folle. Mille louis de plus !
DES GRIEUX. Soit, monsieur !
GUILLOT. J'ai perdu
MANON, s'approchant des joueurs. Eh bien ! chevalier, gagnes-tu ?
DES GRIEUX, lui montrant l'or et les bons de caisse. Regarde...
MANON. C'est à nous ?
DES GRIEUX. C'est à nous.
MANON. Je t'adore.
GUILLOT. Le double voulez-vous ?
DES GRIEUX. C'est dit !
GUILLOT. Je perds encore…
MANON. Je te l'avais bien dit que tu devais gagner. Tu refusais de m'écouter...
GUILLOT. J'arrête la partie !
DES GRIEUX. C'est comme vous voudrez.
GUILLOT. Ce serait duperie De s’obstiner.
DES GRIEUX. Plaît-il ?
GUILLOT. Il suffit, je m'entends ; Vous avez vraiment des talents !
DES GRIEUX. Que dites-vous ?
GUILLOT. Quelle furie ! Vouloir encor battre les gens Quand on les a volés !
DES GRIEUX. Infâme calomnie !...
LESCAUT, POUSSETTE, JAVOTTE, TOUT LE MONDE, Messieurs, voyons, voyons, messieurs, Quand on est dans le monde il faut se tenir mieux !
GUILLOT. Je vous prends à témoin, messieurs, mesdemoiselles... A Des Grieux et à Manon, menaçant. Pour vous deux, vous aurez bientôt de nos nouvelles ! Il sort.
SCÈNE IV LES MÊMES, moins GUILLOT.
CHŒUR. Non, non jamais, certainement La chose ne s'est jamais vue, Dans une maison bien tenue, On n'a volé pareillement. Au fond les croupiers répètent : Messieurs, faites vos jeux.
Partons, je t'en supplie, Partons vite...
DES GRIEUX. Non, sur ma vie ! Si je partais, peut-être croirait-on Qu’en m'accusant cet homme avait raison !... En ce moment on frappe fortement à la porte.
POUSSETTE et JAVOTTE. Eh mais, qui frappe de la sorte ?
LES JOUEURS. Vite, vite, cachez l'argent ! On frappe de nouveau.
MANON. Qui frappe à cette porte ? Je tremble, je ne sais pourquoi !
UNE VOIX. Ouvrez ! au nom du roi !
LESCAUT. Un exempt de police Gagnons vite le toit !
SCENE V LES MÊMES (moins LESCAUT), GUILLOT, LE COMTE, UN EXEMPT, GARDES.
GUILLOT, désignant Des Grieux. Le coupable est monsieur... (Montrant Manon.) et voici sa complice. A Manon. Mille regrets, Mademoiselle, Mais la partie était trop belle. Bas, Je vous avais bien dit que je me vengerais.
DES GRIEUX. Misérable !
GUILLOT. J'ai pris ma revanche, mon maître ! Il faudra vous en consoler.
DES GRIEUX.
J'y tâcherai ! Mais je vais commencer
GUILLOT, se sauvant. Par la fenêtre !...
LE COMTE DES GRIEUX, se plaçant devant lui et croisant les bras. Et moi !... M'y jetez-vous aussi ?
DES GRIEUX, cachant son visage dans ses mains. Mon père !... vous ici !... Vous!
MANON. Son père....
ENSEMBLE. LE COMTE. Oui, je viens t'arracher à la honte Qui chaque jour grandit sur toi, Insensé, vois-tu pas qu'elle monte Et va s'élever jusqu'à moi ! Non, malgré ton regard qui m'implore, Qui voudrait fléchir ma rigueur, Je ne veux pas pardonner encore, Je dois veiller sur notre honneur !
DES GRIEUX. Ah ! comprends ce regard qui t'implore, Qui voudrait fléchir ta rigueur Le remords, tu le vois me dévore, Ne peux-tu sauver mon honneur ?
MANON. Quel remords en secret me dévore, D'effroi je sens trembler mon cœur, Le destin me poursuit-il encore ? Est-ce donc fait de mon bonheur ?
GUILLOT. Ma vengeance est terrible, elle est prompte. Vous appartenez à la loi, Chevalier, vous trouvez du mécompte A vous être moqué de moi !
LE COMTE. Je l'ai dit !... Il est temps que justice se fasse ! Montrant des Grieux : Qu'on l'emmène !
DES GRIEUX. Manon !... faites-lui grâce.
LE COMTE, à Des Grieux. Plus tard on vous délivrera.
GUILLOT. Quelques jours de cachot opèrent des merveilles.
DES GRIEUX. Mais elle ? Hélas !
GUILLOT. Le guet la conduira Où l'on emmène ses pareilles !
DES GRIEUX. Ah ! Dieu ! quels mots viens-je d'entendre ! N'approchez pas, je saurai la défendre ! On le désarme.
MANON, s'évanouissant. Ah ! c'en est fait !... Je meurs
TOUT LE MONDE. Par grâce, cédez à ses pleurs !
REPRISE DE L'ENSEMBLE.
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Acte V. estampe de Jules Gaildrau du décor de la création
(version de la partition)
ACTE CINQUIÈME
LA ROUTE DU HAVRE
Un chemin poudreux. Quelques arbres desséchés par le vent de la mer ; un talus à droite où poussent des genêts, des ajoncs ; au fond, un chemin creux ; à l'horizon, la mer. C'est la fin du jour.
SCÈNE I
DES GRIEUX (assis sur le tertre) Manon ! Pauvre Manon ! Je te vois enchaînée avec ces misérables ! Et la charrette passe !... O cieux inexorables ! Faut-il désespérer ?... (apercevant Lescaut) Non ! C'est lui !
SCÈNE II DES GRIEUX, LESCAUT.
DES GRIEUX (allant à Lescaut, fiévreusement) Prépare ton escorte ! Les archers sont là-bas !... Ils arrivent ici ! Tes hommes sont armés ? Ils nous prêtent main forte Et nous la délivrons ! (voyant que Lescaut ne lui répond pas) Quoi !... N'est-ce pas ainsi Que tout est convenu ?... Tu gardes le silence !...
LESCAUT (honteux et avec effort) Monsieur le chevalier...
DES GRIEUX (anxieux) Eh bien ?
LESCAUT Je pense… Que tout est perdu !
DES GRIEUX Quoi ?
LESCAUT (piteusement) Dès qu'au soleil ont lui Les mousquets des archers, tous ces lâches ont fui !
DES GRIEUX (éperdu) Tu mens ! Tu mens ! (avec âme) Le ciel a pris pitié de ma souffrance ! C'est l'instant de la délivrance !... Tout à l'heure, Manon va tomber dans mes bras !
LESCAUT (tristement) Je ne vous trompe pas !
DES GRIEUX (faisant le geste de le frapper) Va-t-en !...
LESCAUT (se courbant devant lui) Frappez ! Que voulez-vous, on est soldat ! Le roi Paie assez mal ! Alors, bien malgré soi, (tout en larmes) On devient un coquin, un homme abominable !
DES GRIEUX (violent) Va-t-en ! (Ils écoutent interdits.)
LES ARCHERS (au loin) Es-tu fatigué De nous voir à pied !
DES GRIEUX (écoutant) Qu'est-ce là ?
[ LES ARCHERS [ Mais non ! Mais non, La Ramée ! [ On n'est pas trop mal [ Sur un bon cheval [ Pour mener l'armée ! [ [ LESCAUT (allant sur le chemin) [ Ce sont eux sans doute !
DES GRIEUX (voulant s'élancer) Manon ! Manon ! (Lescaut l'arrête.) Je n'ai que mon épée Mais nous allons les attaquer tous deux !
LESCAUT (se récriant) Quelle folle équipée !
DES GRIEUX Allons !
LESCAUT Vous la perdrez ! Croyez-moi, il vaut mieux Prendre un autre moyen...
DES GRIEUX Lequel ?
LESCAUT Je vous en prie, Partons !
DES GRIEUX (résistant) Non, non !
LESCAUT Vous la verrez, je le promets !
DES GRIEUX Partir ! Lorsque son cœur me crie : « Viens à moi… » Non, jamais !
LESCAUT Si vous l'aimez, venez !
DES GRIEUX Ah ! si je l'aime !... Quand je veux tout braver ! Quand je voudrais mourir pour elle !
LESCAUT Venez !
DES GRIEUX Quand la verrai-je ?
LESCAUT A l'instant même ! (Il entraîne Des Grieux derrière le buisson.)
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(livret, édition de mars 1902)
ACTE CINQUIÈME
LA ROUTE DU HAVRE
Un chemin poudreux. Quelques arbres desséchés par le vent de la mer ; un talus à droite où poussent des genêts, des ajoncs ; au fond un chemin creux ; à l'horizon la mer. C'est la fin du jour.
SCÈNE I
DES GRIEUX, assis sur le tertre. Manon ! pauvre Manon ! Je te vois enchaînée avec ces misérables, Et la charrette passe !... O cieux inexorables, Faut-il désespérer ?... Non ! non !
SCÈNE II DES GRIEUX, LESCAUT.
DES GRIEUX, allant à lui fiévreusement. C'est lui !... Prépare ton escorte ! Les archers sont là-bas... ils arrivent ici... Tes hommes sont armés... Ils nous prêtent main forte, Et nous la délivrons !... Voyant que Lescaut ne lui répond pas. Quoi ?... N'est-ce pas ainsi Que tout est convenu ?... Tu gardes le silence ?
LESCAUT, avec effort. Monsieur le chevalier...
DES GRIEUX. Eh bien ?
LESCAUT. Je pense Que tout est perdu !
DES GRIEUX. Quoi ?
LESCAUT. Dès qu'au soleil ont lui Les mousquets des archers, tous ces lâches ont fui !...
DES GRIEUX, éperdu.
Tu mens !... Le ciel a pris pitié de ma
souffrance. Tout à l'heure, Manon, va tomber dans mes bras !
LESCAUT, tristement. Je ne vous trompe pas !
DES GRIEUX. Va-t'en !
LESCAUT. Frappez, je donnerais ma vie, Pour racheter les heures d'infamie ! Que voulez-vous ?... on est soldat, le roi Paye assez mal... alors, bien malgré soi, On devient un coquin, un homme abominable !
DES GRIEUX. Va-t'en, messager de malheur, Va-t'en et laisse-moi seul avec ma douleur. On entend un bruit lointain. Qu'est cela ?
LESCAUT. Ce sont eux, sans doute ! Il regarde. Je les vois sur la route !
DES GRIEUX, voulant s'élancer. Manon ! Manon !... Lescaut l'arrête et lui fait signe d'écouter. — Chant militaire jusqu'à la fin de la scène. Je n'ai que mon épée, Mais nous allons les attaquer tous deux !
LESCAUT. Ah ! chevalier, quelle folle équipée !
DES GRIEUX. Allons !
LESCAUT. Vous la perdrez !... Croyez-m'en, il vaut mieux Prendre un autre moyen...
DES GRIEUX. Lequel ?
LESCAUT. Je vous en prie, Partons !
DES GRIEUX Non, non !
LESCAUT. Vous la verrez, je le promets !
DES GRIEUX. Partir, lorsqu'elle me supplie, Et que son cœur me crie : « Viens à moi ! » — Non, jamais !
LESCAUT. Si vous l'aimez, venez !
DES GRIEUX. Ah ! si je l'aime ! Quand je veux tout braver, Quand je voudrais mourir pour la sauver !
LESCAUT. Venez !
DES GRIEUX. Quand la verrai-je ?
LESCAUT. A l'instant même ! Il entraîne Des Grieux par la gauche. |
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maquette du décor de l'acte V de Manon par Jusseaume (ce décor a été refait à l'occasion de la reconstruction de l'Opéra-Comique, en 1897)
SCÈNE III LES MÊMES, cachés, ARCHERS, UN SERGENT.
LES ARCHERS (de très près et toujours se rapprochant) Capitaine, ô gué ! Es-tu fatigué De nous voir à pied ! Mais non ! mais non ! La Ramée ! On n'est pas trop mal Sur un bon cheval Pour mener l'armée ! Capitaine, ô gué ! Est-c' que je boirai Au gué ? Capitaine, ô gué ! (Les archers paraissent.)
UN ARCHER (au Sergent) Après chanter, il faut boire !
LE SERGENT C'est bien le moins ! Car ce n'est pas la gloire D'escorter l'arme au bras et de faire embarquer Des demoiselles sans vertu !
LES ARCHERS C'est se moquer De nous !
LE SERGENT N'importe ! C'est le métier ! Et que disent là-bas Les captives ?
L'ARCHER Oh, rien ! Elles ne bougent pas ! L'un d'elles est déjà malade, à demi-morte !
LE SERGENT Laquelle ?
L'ARCHER Eh ! celle qui cachait son visage et pleurait Quand l'un de nous cherchait A lui parler !
LE SERGENT Manon, alors !...
DES GRIEUX (derrière le feuillage) O ciel !
LESCAUT (le retenant) Silence ! Laissez-moi faire ! (au Sergent au loin) Hé, camarade !
LE SERGENT Un soldat !
LESCAUT Mieux, je pense, un ami ! (à Des Grieux, bas) Avez-vous de l'argent ? (au Sergent) Vous êtes obligeant J'en suis sûr !... Je viens donc réclamer un service…
LE SERGENT Et lequel ?
LESCAUT C'est... rien que pour un instant De me laisser causer avec la pauvre fille Dont vous parliez...
LE SERGENT Pourquoi ?
LESCAUT Je suis de sa famille…
LE SERGENT Impossible !
LESCAUT (il lui donne une pièce de monnaie) Ah !
LE SERGENT (regardant si on l'a vu) Pourtant...
LESCAUT (nouvelle pièce d'argent) En insistant ?...
LE SERGENT Peut-être ?
LESCAUT (lui donnant encore) On insiste !
LE SERGENT Ah ! ma foi, vous parlez en maître ! Accordé ! (haut) Je ne suis pas si noir Que j'en ai l'air ! Là-bas est le village Vous l'y ramènerez vous-même, avant ce soir ! (aux archers) Détachez-la !
LESCAUT Merci, mon cher, et bon voyage !
LE SERGENT N'allez pas pour me remercier, Essayer de nous l'enlever !
LESCAUT (levant la main) J'en fais mon grand serment, en faut-il davantage ?
LE SERGENT Non, d'ailleurs quelqu'un restera Qui de loin vous surveillera !
LESCAUT Merci, mon cher, et bon voyage !
LE SERGENT En marche ! Allons !
DES GRIEUX (caché) Merci, Dieu de bonté ! (Les archers sortent et disparaissent. On entend leur chanson de marche qui se perd peu à peu dans le lointain. Des Grieux et Lescaut les suivent du regard avec anxiété.)
LES ARCHERS Capitaine, ô gué ! Es-tu fatigué De nous voir à pied ! Mais non ! mais non ! La Ramée ! On n'est pas trop mal Sur un bon cheval Pour mener l'armée !
SCÈNE IV DES GRIEUX, LESCAUT.
DES GRIEUX (encore caché, à Lescaut avec transport) Manon ! je vais la voir !...
LESCAUT Et bientôt, je l'espère, Vous pourrez l'emmener !
LES ARCHERS (plus loin) Capitaine, ô gué !
DES GRIEUX (montrant l'archer laissé là par le Sergent) Ce soldat ?
LESCAUT J'en fais mon affaire ! (faisant sonner ce qui reste dans la bourse) [ J'ai très bien fait de ne pas tout donner ! [ [ LES ARCHERS (plus loin) [ Es-tu fatigué ?... (Lescaut remonte.) (très loin) Pour mener l'armée...
SCÈNE V DES GRIEUX, MANON.
Manon paraît ; elle descend péniblement et comme brisée par la fatigue, le petit sentier..
MANON (poussant un cri de joie en voyant Des Grieux) Ah ! Des Grieux !
DES GRIEUX (avec ivresse) O Manon ! (presque sans voix) Manon ! Manon ! (avec émotion) Manon !
MANON (pleurant) Oui... de honte sur moi,... Mais de douleur sur toi !
DES GRIEUX (tendrement) Manon ! Lève la tête et ne songe qu'aux heures D'un bonheur qui revient...
MANON (avec amertume) Ah ! pourquoi me tromper ?...
DES GRIEUX Non, ces terres lointaines, Dont ils te menaçaient, tu ne les verras pas ! Nous fuirons tous les deux !... Au-delà de ces plaines Nous porterons nos pas ! (Silence de Manon.) (avec affection) Manon, réponds-moi donc !
MANON (avec une tendresse infinie) Seul amour de mon âme, Je ne sais qu'aujourd'hui la bonté de ton cœur, Et si bas qu'elle soit, hélas, Manon réclame Pardon, pitié pour son erreur ! (Des Grieux veut l'interrompre.) Non ! non ! Encor !... Mon cœur fut léger et volage Et, même en vous aimant Eperdument, J'étais ingrate !
DES GRIEUX Ah ! pourquoi ce langage ?
MANON (continuant) Et je ne puis imaginer Comment et par quelle folie J'ai pu vous chagriner Un seul jour de ma vie !
DES GRIEUX (avec effusion) Assez !
MANON (tout en larmes) Je me hais et maudis en pensant A ces douces amours par ma faute brisées, Et je ne paierais pas assez de tout mon sang La moitié des douleurs que je vous ai causées ! Pardonnez-moi ! (comme étouffée par les sanglots) Ah ! pardonnez-moi !
DES GRIEUX (attendri et passionné) Qu'ai-je à te pardonner Quand ton cœur à mon cœur vient de se redonner !
MANON (avec un cri d'ivresse) Ah ! (comme transfigurée) Ah ! je sens une pure flamme M'éclairer de ses feux ! (s'attendrissant) Je vois enfin les jours heureux !
[ DES GRIEUX (avec transport) [ O Manon ! Mon amour, ma femme ! [ Oui, ce jour radieux [ Nous unit tous les deux ! [ Voici les jours heureux ! les jours heureux ! [ Ah ! Manon, mon amour, ma femme !... [ (avec élan) [ Oui, ce jour radieux [ Nous unit tous les deux ! oui, tous les deux ! [ [ MANON [ Ah ! je sens une flamme [ Qui vient m’éclairer de ses feux ! [ Voici les jours heureux ! [ Ah ! je sens une pure flamme [ M’éclairer de ses feux ! [ Je vois les jours heureux ! les jours heureux !
DES GRIEUX Le ciel lui-même Te pardonne... Je t'aime !
MANON (avec sensibilité) Ah ! je puis donc mourir !
DES GRIEUX Mourir !... Non,… vivre ! Et sans dangers désormais pouvoir suivre, Deux à deux, ce chemin où tout va refleurir !
MANON (comme dans un rêve) Oui, je puis encore être heureuse… (Très émue et presque sans voix) Nous reparlerons du passé... De l'auberge... du coche... et de la route ombreuse, Du billet par ta main tracé... De la petit table... et de ta robe noire A Saint-Sulpice ! (avec un sourire triste) Ah ! j'ai bonne mémoire !
DES GRIEUX C'est un rêve charmant ! (avec joie) Tout s'apprête pour notre liberté !
MANON (de même) Partons ! (faiblissant peu à peu) Non, il m'est impossible D'avancer davantage… Je sens le sommeil qui me gagne ! (à part, avec effroi) Un sommeil... sans réveil ! (plus haut, malgré elle) J'étouffe... Je succombe !
DES GRIEUX (vivement, avec inquiétude) Reviens à toi... Voici la nuit qui tombe... C'est la première étoile !...
MANON (rouvrant les yeux et regardant le ciel avec un sourire) Ah ! le beau diamant ! (à Des Grieux) Tu vois, je suis encore coquette !
DES GRIEUX On vient ! Partons !... (doucement) Manon !...
MANON (d'une voix éteinte) Je t'aime… Et ce baiser, c'est un adieu… (suffoquant) suprême !
DES GRIEUX (avec désespoir) Non ! Je ne veux pas croire ! Ecoute-moi ! Rappelle-toi ! (avec tendresse et émotion) N'est-ce plus ma main que cette main presse ?
MANON (vaguement) Ne me réveille pas !
DES GRIEUX N'est-elle pour toi plus une caresse ?
MANON Berce-moi dans tes bras !
DES GRIEUX Reconnais ma voix à travers mes larmes !
MANON Oublions le passé !
DES GRIEUX Souvenirs pleins de charmes !
MANON O cruels remords !
DES GRIEUX Je t'ai pardonné !
[ MANON [ Ah ! puis-je oublier les tristes jours [ De nos amours ! [ Oui, c'est bien sa main que cette main presse, [ Ah ! c'est bien sa voix ! [ Oui, c'est bien son cœur, c'est bien la tendresse [ Des jours d'autrefois ! [ Bientôt renaîtra le bonheur passé ! [ [ DES GRIEUX [ Tout est oublié ! [ N'est-ce pas ma main qui cette main presse, [ N'est-ce pas ma voix ! [ N'est-elle pour toi plus une caresse [ Tout comme autrefois ! [ Bientôt renaîtra le bonheur passé !
MANON (en défaillant) Ah ! je meurs !...
DES GRIEUX (avec effroi) Manon !
MANON Il le faut ! Il le faut ! (en murmurant) Et c'est là l'histoire... De Manon Lescaut !... (Elle meurt. Des Grieux jette un cri déchirant et tombe sur le corps de Manon.)
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SCENE III LES MÊMES, cachés, ARCHERS, UN SERGENT.
Capitaine, ô gué ! Es-tu fatigué, De nous voir à pied, Capitaine, au gué ! Mais non, La Ramée, On n'est pas trop mal Pour mener l'armée Sur un bon cheval ; Marche, La Ramée ! Capitaine, ô gué, Est-c' que je boirai, Au gué ! Capitaine, ô gué !
UN ARCHER, au sergent. Après chanter, il faut boire !
LE SERGENT. C'est bien le moins !... car ce n'est pas la gloire, D'escorter l'arme au bras et de faire embarquer Des demoiselles sans vertu !
LES ARCHERS. C'est se moquer De nous !
LE SERGENT. N'importe ! C'est le métier !... Et que disent là-bas Les captives ?
L'ARCHER. Oh ! rien !... Elles ne bougent pas ! L'une d'elle est déjà malade, à demi morte.
LE SERGENT. Laquelle ?
L'ARCHER. Eh ! celle qui cachait Son visage, et pleurait quand l'un de nous cherchait A lui parler.
LE SERGENT. Manon, alors ?...
DES GRIEUX, derrière le feuillage. O ciel !...
LESCAUT, le retenant. Silence ! Laissez-moi faire... Avez-vous de l'argent ? Des Grieux donne sa bourse à Lescaut et s'éloigne. — Lescaut s'avançant seul vers le sergent. Hé, camarade !
LE SERGENT. Un soldat !...
LESCAUT. Mieux, je pense, Un ami !... Vous êtes obligeant, J'en suis sûr !... Je viens donc réclamer un service...
LE SERGENT. Mais lequel ?
LESCAUT. C'est, rien que pour un instant, De me laisser causer avec la pauvre fille Dont vous parliez...
LE SERGENT. Pourquoi ?
LESCAUT. Je suis de sa famille...
LE SERGENT. Impossible !
LESCAUT. Ah ! Il lui donne une pièce de monnaie.
LE SERGENT, regardant si on l'a vu. Pourtant...
LESCAUT, nouvelle pièce d'argent. En insistant ?
LE SERGENT. Peut-être !
LESCAUT, lui donne la bourse. On insiste !
LE SERGENT. Dès lors que vous parlez en maître !... Haut. Accordé !... Je ne suis pas si noir Que j'en ai l'air !... Là-bas est le village, Vous l'y ramènerez vous-même, avant ce soir ! Détachez-la !
LESCAUT. Merci, mon cher, et bon voyage !
LE SERGENT. N'allez pas, pour me remercier, Essayer de nous l'enlever !
LESCAUT, levant la main. J'en fais mon grand serment, en faut-il davantage ?
LE SERGENT. Non, d'ailleurs quelqu'un restera, Qui de loin vous surveillera !
LESCAUT. Merci, mon cher, et bon voyage !
LE SERGENT, après avoir donné un ordre à un archer. En marche, allons !
DES GRIEUX, caché. Merci, Dieu de bonté !
REPRISE DE LA CHANSON DE MARCHE. Capitaine, ô gué, Es-tu fatigué De marcher à pied, Capitaine, au gué ! Ils sortent.
SCÈNE IV DES GRIEUX, LESCAUT.
DES GRIEUX, avec transport. Manon ! je vais la voir !
LESCAUT. Et bientôt, je l'espère, Vous pourrez l'emmener !
DES GRIEUX, montrant l'archer laissé là par le sergent. Mais ce soldat ?
LESCAUT. C'est mon affaire ! Faisant sonner ce qui reste dans la bourse. J'ai très bien fait de ne pas tout donner. Il remonte, cause un instant avec l'archer et l'emmène. — Le chant des archers qui s'éloignent a cessé.
SCÈNE V DES GRIEUX, MANON.
MANON, elle descend péniblement et comme brisée par la fatigue, le petit sentier tracé sur le talus ; son costume est pauvre et simple, elle pousse un cri de joie en voyant Des Grieux et tombe dans ses bras. Des Grieux !
DES GRIEUX. O Manon ! Manon ! Manon ! Silence. — Tout à coup, brusquement, Manon se dégage des bras de Des Grieux, tombe et se prend à pleurer amèrement. Tu pleures !
MANON, pleurant, la tête dans ses mains. Oui, de honte sur moi, mais de douleur sur toi !
DES GRIEUX. Manon... lève la tête et ne songe qu'aux heures D'un bonheur qui revient !
MANON. Ah ! pourquoi Me tromper ?
DES GRIEUX. Non, ces terres lointaines Dont ils te menaçaient, tu ne les verras pas !
Nous fuirons tous les deux !... Au delà
de ces plaines Silence de Manon. Manon !... réponds-moi donc !...
MANON, avec une tendresse infinie. Seul amour de mon âme, Je ne sais qu'aujourd'hui la bonté de ton cœur Et, si bas qu'elle soit, hélas ! Manon réclame Pardon, pitié pour son erreur ! Des Grieux veut l'interrompre, elle lui met la main sur la bouche. Non !... non !... encor !... Mon cœur fut léger et volage Et même en vous aimant Eperdument J'étais ingrate !...
DES GRIEUX. Ah ! pourquoi ce langage ?
MANON, continuant. Et je ne puis m'imaginer Comment, et par quelle folie J'ai pu vous chagriner Un seul jour de ma vie !
DES GRIEUX. Assez !...
MANON. Je me hais et maudis en pensant A ces douces amours, par ma faute brisées, Et je ne paierais pas assez de tout mon sang La moitié des douleurs que je vous ai causées ! Pardonnez-moi !
DES GRIEUX. Qu'ai-je à te pardonner Quand ton cœur à mon cœur vient de se redonner ! Manon, mon cher amour, ma femme, Oui, ce jour radieux Nous unit tous les deux !
MANON.
Ah ! je sens une pure flamme Je vois les jours heureux !
DES GRIEUX. Oui, le ciel lui-même Te pardonne... Je t'aime !
MANON. Ah ! je puis donc mourir !
DES GRIEUX. Mourir !... non, vivre !... Et, sans dangers, désormais pouvoir suivre Deux à deux ce chemin où tout va refleurir !...
MANON, comme dans un rêve s'appuyant sur Des Grieux. Oui... je puis encore être heureuse ! Nous reparlerons du passé... De l'auberge... du coche... et de la route ombreuse Du billet, par ta main tracé... De la petite table... et de ta robe noire A Saint-Sulpice !... Oh ! j'ai bonne mémoire...
DES GRIEUX. Oui, rêve charmant, Enivrant !...
MANON, portant la main à son cœur. J'étouffe !... je succombe.
DES GRIEUX. Reviens à toi !... voici la nuit qui tombe ! C'est la première étoile !...
MANON, regardant le ciel. Ah ! le beau diamant ! Souriant. Tu vois, je suis encor coquette !
DES GRIEUX. Viens ! tout s'apprête Pour notre liberté !
MANON. Non ! Je sens le sommeil Qui m'arrête ! Un sommeil sans réveil !
DES GRIEUX. Partons !
MANON, avec une tendresse infinie. Je t'aime !
DES GRIEUX, cherchant à l'entraîner. Manon !
MANON. Non !... Non !... Et ce baiser, c'est un adieu suprême !
DES GRIEUX. Non !.. tu ne mourras pas !... Ecoute-moi ! Rappelle-toi ! N'est-ce plus ma main que cette main presse ?
MANON, s'endormant. Ne me réveille pas !
DES GRIEUX. N'est-elle pour moi plus une caresse ?...
MANON. Berce-moi dans tes bras !
DES GRIEUX. Reconnais ma voix à travers mes larmes !...
MANON. Oublions le passé !...
DES GRIEUX Je t'ai pardonné ! L'avenir sourit pour nous plein de charmes !
MANON. Ah ! puis-je oublier ces funestes jours ! Ces tristes amours !
DES GRIEUX. Ils sont sortis de ma mémoire !
MANON Non… je meurs !.. il le faut ! C’est le pardon....
DES GRIEUX. Non ! Je ne veux pas croire…
MANON, comme s'endormant. Et c'est là l'histoire De Manon Lescaut. Elle meurt. |
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