Fleurette

 

décor des actes II et IV "Dans la garenne de Nérac", dessin-bois gravé de J.-B. Vettiner, 1927

 

 

Drame lyrique en quatre actes, livret d'Eugène PUJOL, musique d'Aristide MARTZ.

 

   partition ; livret

 

 

Création au Grand Théâtre de Bordeaux le 30 janvier 1920 ; mise en scène de Louis Perron ; décors d'Artus.

Reprise à ce théâtre le 14 janvier 1921 ; plusieurs représentations jusqu'en 1948.

 

L'action se passe en 1572 ; les Ier, IIe et IVe actes à Nérac, le IIIe à Pau. Ballet à l'acte IV (le Rêve de Fleurette).

 

 

 

personnages

emplois

Grand Théâtre de Bordeaux

30 janvier 1920

(création)

Grand Théâtre de Bordeaux

14 janvier 1921

(reprise)

Fleurette (18 ans, fille du Jardinier du Château royal de Nérac) soprano dramatique Mmes Simone LOGIER Mmes Suzanne CESBRON de l'Opéra-Comique
la Reine Jeanne d'Albret (38 ans) soprano Berthe CAZALIS Berthe CAZALIS
la Princesse (soeur du Prince Henri) soprano Elise CAZENEUVE Aline SÉRALDY
Béatrix (la servante) mezzo-soprano Mad LUZZI Elise CAZENEUVE
Pierrette (une jeune fille) soprano
une Jeune Fille soprano ou mezzo-soprano   Jeanne LAISNÉ
Henri, prince d'Albret (19 ans) ténor MM. Fernand LEMAIRE MM. Fernand LEMAIRE
le Père Honoré (60 ans, Jardinier du Château royal de Nérac) baryton Henri RAYNAL Henri RAYNAL
le Chevalier d'Aillas (25 ans, Capitaine des Gardes du Château royal de Nérac) basse chantante Félix LASSERRE Félix LASSERRE
le Seigneur espagnol (35 ans) baryton Gaston RICARD Gaston RICARD
le Soldat (originaire du Comté de Foix) ténor René REVALDI  
le Camarade "gris" ténor Ernest LAROCHE Ernest LAROCHE
le Messager du Prince (un jeune Seigneur) ténor NÉGRIÉ NÉGRIÉ
Premier Bûcheron ténor
Deuxième Bûcheron baryton René CORMERAIS René CORMERAIS
Marcelin ténor DAROLLES DAROLLES
un Palois ténor
un Paysan ténor ou baryton SIGNARBIEUX SIGNARBIEUX
un Sergent baryton THIERRY THIERRY
Soldats, Paysans, Paysannes, Enfants, Jeunes Gens, Jeunes Filles, Paloises et Palois      
Chef d'orchestre   E.-Henry PETIT E.-Henry PETIT

 

 

 

 

Créé au Grand Théâtre de Bordeaux le 30 janvier 1920 — puis joué à Nérac, le « drame lyrique » de Fleurette n'a pas encore d'histoire, mais il a l'Histoire elle-même pour marraine — et la plus jolie, celle que l'on apprend à travers la Légende — et la plus populaire, celle du bon Roi Henri de Navarre.

Un biographe aimablement anecdotique des règnes essentiellement galants — M. de Lescure — a, dans la préface de l'opuscule consacré par lui aux amours capitales de Henri IV, dressé la liste de ses maîtresses : d'après d'Aubigné, Sully, Bassompierre, L'Estoille, Tallement des Réaux — et diverses autorités plus ou moins discutables... Il en catalogue une soixantaine, sans compter les apocryphes : dans le nombre, « Fleurette », la fille du jardinier de Nérac, vient en bonne place — entre Mademoiselle de Rebours et Mademoiselle Fosseuse (1579). C'était donc un amour de jeunesse, avant la belle Corisande. On la confond encore volontiers, dans la tradition populaire, avec « la jardinière d'Anet ». — Mais sur l'épisode qui la concerne, l'érudit reste réservé. Nous entendons qu'il la rattache au domaine de la fiction relative. A ce titre, la petite villageoise relève indirectement du conteur ou de l'auteur dramatique — et, Gasconne, il est excellent qu'elle ait eu pour parrain, au théâtre, quelqu'un de chez nous...

Remercions donc M. Eugène Pujol et son collaborateur musical, M. Aristide Martz, de nous avoir « conté Fleurette » — tout en notant, pour mémoire, qu'il a été représenté, sous le même titre : « Fleurette ou les premières amours de Henri » du maître de ballet Aniel, une Pantomime en deux actes (Bordeaux, 1833).

 

***

 

La ville de Nérac est en fête ; la reine Jeanne d'Albret a projeté d'organiser une bataille de fleurs à la mode vénitienne — et le bon père Honoré, jardinier du château, se désole à l'idée de voir saccager les parterres de roses, destinées à servir de projectiles embaumés. Sa fille, la douce Fleurette, dont il cultive la jeune grâce comme la plus rare de ses plantes préférées, le console gentiment... Elle est dans tout l'éclat de son printemps — chansons et rires — et le chevalier d'Aïllas, capitaine des gardes, qui l'aime en secret, n'a pas réussi à troubler sa quiétude. La paix règne sur toutes choses... On entend au loin un refrain de Gascogne « au doux charme obsesseur » — le tendre et naïf Si canto, de Gaston Phœbus ; un soldat inconnu vient d'escalader le rempart... il bondit sur le chemin de ronde — c'est l'Amour qui entre en maître dans la place, en attendant de pénétrer, avec effraction, au cœur de Fleurette... C'est le prince Henri de Navarre, « lou nosté Henric », envoyé du Parlement de Pau et porteur d'un message destiné à la reine sa mère, à la veille de son départ pour la cour de France. La petite garnison de Nérac le prend pour un espion ; des horions sont échangés, et Henri reçoit une estafilade. Sans trahir son incognito, il fait aussitôt reconnaître sa qualité de messager, et Fleurette s'empresse pour panser la blessure : en se précipitant, elle a laissé choir sa corbeille de roses fraîchement cueillies... Le « Vert Galant » en a déjà ramassé une — il regarde la jeune fille, qui baisse les yeux... et c'est, tout de suite, une scène d'amour naissant.

La Reine de Navarre arrive : le prince Henri se fait espièglement reconnaître de sa mère, et le bon peuple l'acclame... Seule, Fleurette, dont le cœur déjà se prenait au délicieux attrait de la première idylle, éprouve une angoisse soudaine... Un amour de Roi, c'est bien fragile — et c'est bien lourd !

Cependant, cet amour va croître et embellir. Le soir de la fête fleurie, la petite jardinière et son prince charmant échangent les serments éternels et les caresses initiales, cachés sous la ramée de la garenne, au coin de la rustique fontaine — encore visible à Nérac... C'est là qu'ils sont surpris par le chevalier, dont l'ombrageuse passion se fait jour, et qui va prévenir le père... Le vieil Honoré, déjà chagrin du gaspillage de ses roses, intervient brutalement et maladroitement : Fleurette se rebiffe, et, tout entière à l'éveil de ses sens, n'écoute rien — ni supplication, ni menaces... Elle s'enfuit à Pau, pour ne pas quitter son amant.
Nous retrouvons la vierge folle dans l'antique cité béarnaise... Déjà les beaux jours sont passés, — le futur Henri IV l'a si tôt oubliée ! mais il l'a installée dans une maisonnette gentille, sur les bords du Gave — elle y vit de ses souvenirs. Cependant, on s'occupe d'elle : son père, accompagné du chevalier, est parvenu à retrouver sa trace : ils songent à la ramener à Nérac par tous les moyens ; d'autre part, un seigneur espagnol, agent d'intrigues louches, cherche à exploiter la haine qu'il croit grandie dans le cœur de l'abandonnée, afin de se servir d'elle pour un complot dirigé contre la vie de son royal séducteur. Il s'agit d'obtenir qu'elle attire le Vert Galant dans quelque guet-apens, en lui assignant un dernier rendez-vous. Frémissante, Fleurette va feindre d'accepter... Elle espère, en révélant au Prince le péril qui le guette, au risque de sa propre vie, de reconquérir son amour... et c'est en vain que son père et son soupirant vont tenter de l'en détourner en la suppliant de les suivre. La peur de compromettre le salut de Henri arrête les explications sur les lèvres de la jeune femme, qui demeure insensible en apparence aux malédictions du vieillard, persuadé qu'elle s'attache au déshonneur. Il s'en va, fou de désespoir... Le Béarnais s'approche : il écoute, avec une distante courtoisie, une reconnaissance froide, le récit de son ancienne maîtresse — mais n'entend pas payer ce dévouement de la liberté de son cœur... Pour Fleurette, c'est la fin du rêve.

Brisée, quasi mourante, la pauvrette revient à Nérac... La voici dans cette garenne, qui fut le berceau de son seul amour ; c'est l'automne, et les feuilles tombent dans la vasque de la fontaine, dont le miroir glacé l'attire... Elle s'assied sur la margelle. La fatigue, la douleur, l'accablent, et le sommeil s'empare d'elle ; un sommeil plein de visions : Fleurette revit les péripéties minutieuses de son histoire passionnelle, symboliquement évoquée par le ballet des Joies et des Douleurs — que personnifient, dans une symphonie de couleurs extrêmement originale, des Fées et des Amours bleus, des Amours et des Fées rouges... et lorsque l'hallucination se dissipe, l'amoureuse ne veut pas survivre à ce joli songe — très naturellement, très doucement, elle va se laisser glisser dans cette eau calme où viennent de disparaître les fantômes de son bonheur.

Nous craignons fort de n'avoir pas donné du charme de ce sujet une idée suffisamment exacte dans cette brève analyse : il y a danger à souligner, d'un doigt même léger, les lignes d'un pastel... Et l'on ne saurait trop conseiller aux amateurs la lecture du « libretto », si consciencieusement psychologique dans les plus minutieux détails de ses indications scéniques, luxueusement édité par la maison Albin Michel.

 

(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)

 

 

 

 

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