la Belle de Haguenau
Comédie musicale en quatre épisodes, livret de Jean VARIOT d'après sa comédie (1921), musique de Maurice FOURET.
Création à Paris, au Trianon-Lyrique, le 21 février 1924. Mise en scène de Léon Joubert. Décors et costumes de Maxime Dethomas.
Première à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 17 novembre 1931. Mise en scène de Gabriel Dubois. Décors et costumes dessinés par Simon Lissim.
7 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950.
personnages | Trianon-Lyrique le 21 février 1924 | Opéra-Comique le 17 novembre 1931 |
la Belle Helpérinde | Mmes Germaine GIEN | Mmes Madeleine SIBILLE |
la Servante | Andrée MOREAU | Andrée MOREAU |
la Couturière | ENGEL | Odette DOUSSET |
Kasper | MM. Georges VILLIER | MM. Louis MUSY |
le Greluchon | Maurice COULOMB | Victor PUJOL |
le Reître | Willy TUBIANA | |
le Notaire | André ARBEAU | Gabriel JULLIA |
un Parent | HÉBERT | |
Chef d'orchestre | Louis MASSON | Georges LAUWERYNS |
une scène de la Belle de Haguenau lors de la création au Trianon-Lyrique
création de la Belle de Haguenau au Trianon-Lyrique
une scène de la Belle de Haguenau lors de la création au Trianon-Lyrique
[Création au Trianon-Lyrique] La Belle de Haguenau est une œuvre à la fois héroïque et burlesque d'une rare qualité. Les personnages y gardent des figures placides, des gestes uniformément saccadés de marionnettes. Ils sont entièrement soumis aux rythmes impérieux de la musique. La carrière de M. Maurice Fouret qui débute par une partition de cette vivacité ne peut qu'être durable et précieuse. Le librettiste de la Belle de Haguenau, M. Jean Variot, a senti revivre en lui l'esprit des vieux âges. Il est l'auteur de ces pièces : le Chevalier sans nom, la Rose de Rosheim, l'Aventurier, réunies en volume, sous le titre de Théâtre du Rhin. La grande province retrouvée y est célébrée avec un art profond et savoureux qui semble pris des anciennes chroniques. On ne saurait chérir d'un plus grand amour son pays d'origine. Les quatre épisodes de la Belle de Haguenau ressemblent à quatre grandes estampes populaires en couleurs. Sur la première image nous voyons le soldat Kasper s’introduire timidement dans le salon bourgeois d'Helperinde, la plus jolie héritière de Haguenau. Il est éperdument amoureux de la belle. Il ne l'a vue qu'une seule fois, alors qu'il était jeune droguiste. C’est un brave garçon intact et, en amour, d'une honnêteté qui paraît extravagante. Il a décidé d'épouser coûte que coûte la jeune fille. Pour la mériter, il a signé un engagement de cinq ans dans l'armée. Le voici de retour. On lui fait un accueil très froid. Ce rude compagnon n'est pas en harmonie avec l'âme frivole d'Helperinde. La belle de Haguenau doit, par ailleurs, épouser bientôt un riche vieillard. Kasper n'y voit pas malice. Cette déception ne lui donne pas d'amertume. Le mari qu'on destine à Helperinde est si âgé et malade qu'il ne peut tarder à succomber. Kasper reviendra demander la main d'Helperinde lorsqu'elle deviendra veuve. La seconde image représente, en effet, Helperinde vêtue de deuil. Elle se prépare à l'enterrement de son époux qui vient de mourir. Les membres de la famille du défunt entourent la coquette, apparemment désolée. Kasper, devenu caporal, fait son entrée, dans un grand vacarme. En ce décor funèbre, il ne craint pas de réitérer sa demande en mariage. Les parents affligés trouvent que le militaire exagère. Comment jeter dehors l'importun ? Helperinde lui fait comprendre qu'elle doit à sa réputation de porter le deuil au moins pendant un an. Elle ne peut songer décemment à se réjouir bientôt dans de nouveaux liens. Résigné, le caporal passera encore par cette nouvelle épreuve. Helperinde, sur la troisième image, s'apprête, en bel équipage, à aller au théâtre. Elle a épousé, en secondes noces, un greluchon. Mais Kasper, devenu colonel scandinave et riche, après de féroces exploits, trouble la fête. Il ne joue pas le sentiment d'un air cavalier. Il en est profondément pénétré. La trahison l'irrite mais ne le décourage pas. Il veut toujours soumettre Helperinde à sa volonté. Il reviendra une fois encore, car il ne doute pas que la proie tant convoitée ne lui appartienne un jour. Sa constance passe les bornes de la raison. La quatrième et dernière image est plus tragique. Helperinde, mourante, a été abandonnée par son greluchon. Elle se désespère. Kasper, revêtu de puissance et chargé de gloire, pénètre dans la chambre de la délaissée. Il a été nommé amiral des flottes d'Espagne. Il s'offre de nouveau à la belle de Haguenau. Dans son délire d'agonisante, Helperinde insulte le haut personnage. Kasper s'agenouille et crie à celle qu'il aime ses souffrances et tant de fatigues supportées pour elle. Helperinde meurt. Il continue de dire les tortures qu'il endura pour satisfaire toutes ses ambitions. Il exige sa récompense. Il croit avoir fléchi, enfin, la bien-aimée. Quel silence ! Pour tant d'efforts surhumains, d'intrigues menées, de poursuites et de luttes, il n'obtiendra que la mort. C'est pour cette conquête finale que les plus passionnés calculent, s'agitent et se battent. Mais à qui, encore, Kasper dédiera-t-il ses entreprises hardies ? M. Jean Variot est une sorte de chevalier alsacien de la Table ronde. Sans archaïsme inutile ni pédanterie, il nous conte cette piquante épopée d'Alsace avec une bonhomie malicieuse, avec beaucoup de flamme, de joie et de simplicité. Son style franc a un robuste goût de terroir et je ne sais quoi des senteurs de la résine et de l'aiguille de sapin. M. Maurice Fouret a illustré musicalement cette intrigue avec une naïveté simulée, pleine de raffinement. Il est familier de toutes les curiosités modernes de notre musique. Il est, si j'ose dire, à la remorque du dernier bateau. On ne peut imiter avec plus de force et d'esprit Emmanuel Chabrier, Claude Debussy, MM. Maurice Ravel, Stravinsky et Darius Milhaud. Toute la partition de la Belle de Haguenau fourmille de réminiscences caricaturales. Le dernier acte a même quelque chose de la noblesse ordonnée de M. Vincent d'Indy. Cette habileté est si troublante que, pour un peu, on la prendrait au sérieux. Le second acte est, dans cette manière, le mieux réussi. Son humour macabre, son dessin avec ses hachures nettes, ses oppositions brusques sont d'un art consommé. Chaque personnage est typé de la plus désinvolte façon. Une sorte de marche héroïque et funèbre salue de ses rythmes obsédants et subtilement transformés toutes les apparitions, tous les déplacements du tenace militaire Kasper. Helperinde est dépeinte avec non moins de joyeuse application. Notez que rien n'est choquant ni décousu dans cette parodie allègre, chaleureuse et diverse. La déclamation seule laisserait à désirer. Elle est encore lente et pas assez caractéristique. Je la voudrais plus vivante, plus distinctive, avec ce je ne sais quoi de hargneux et de grommelé qui fait la saveur du patois alsacien. Haute et svelte, Mme Germaine Gien penche son visage aux cheveux bruns comme un iris noir balancé sur sa tige. Sa voix est jolie, son articulation défectueuse. Elle dramatise peut-être un peu trop le rôle d'Helperinde. Au dernier acte, elle prend l'air de l'oiseau allégorique d'Alsace et l'on dirait d'une grande cigogne blessée à mort et qui a replié ses ailes. Le visage joufflu, vernissé, pourpre, lavé d'eau claire et froide, Mlle Andrée Moreau figure avec truculence la grotesque servante. Cette création fait honneur à l'intelligente chanteuse. Mlle Engel, MM. Maurice Coulomb et André Arbeau sont excellents. Mais M. Georges Villier a fait du rôle de Kasper une composition d'un relief surprenant. Il a donné à sa physionomie une expression réellement enfantine. Il prend avec un naturel parfait les postures les plus pittoresques. Il articule avec netteté et chante d'une voix pleine, claire et savamment nuancée. La place de cet artiste est à l'Opéra-Comique. M. Louis Masson a dirigé l'exécution musicale de la Belle de Haguenau avec la justesse et la sollicitude nécessaires. Le décor et les costumes de M. Maxime Dethomas ravissent le regard par leurs exquises couleurs, leurs harmonies et leurs contours ingénieux. (Henry Malherbe, le Temps, 27 février 1924)
Ceux qui préfèrent, en art, la note juste à l’affabulation savante, l’esquisse rapide, humaine, émouvante au tableau achevé, verni et encadré ; ceux qui, plutôt que de suivre haletants une intrigue matoise qui fouette la curiosité, se délectent à se laisser conduire paresseusement au gré d'une action qui montre la vie sous un aspect différent à chaque détour du chemin, où l'on goûte un plaisir pareil à celui du voyageur qui descend les lents canaux de Hollande, où il faut plus de temps au batelier pour bourrer sa pipe qu'à M. Quinson pour écrire trois actes ; bref, les dilettantes et les délicats, aimeront, je crois, la Belle de Haguenau. C'est un spectacle pour gens de goût. Le livret est entièrement dépourvu de fausse rhétorique, la musique s'adapte au texte, l'éclaire et le met en relief, sans le bouleverser ni le fausser. La passion, au lieu de trouer la surface monotone de la vie quotidienne comme un cerceau de papier et de gravir le Parnasse, reste dans une sorte de pénombre ; elle modifie, elle amplifie la banalité de l'existence sans la dépasser. Le rôle du musicien était délicat ; il fallait garder une juste mesure, atténuer les passions sans les amenuiser, rogner les ailes de l'inspiration sans en diminuer la vigueur. Cette forme d'art peut paraître un peu décevante à ceux qui goûtent uniquement l'art lumineux, épique ; mais pour qui aime les jeux d'ombre et de lumière, c'est purement exquis. Kasper, ancien garçon droguiste, est amoureux de la belle Helpérinde ; cet amour prit naissance le jour où la belle Haguenoise alla commander dans sa boutique de l'huile pour la salade. Dans son trouble, Kasper lui remet de l'huile de ricin. La belle ne digéra ni la purge ni l'affront. Le droguiste s'en va comme soldat ; et tous les deux ans il revient demander à Helpérinde si elle veut l'épouser. Une première fois, il la retrouve veuve de son premier mari, vieux et riche ; la seconde fois, elle est remariée à un greluchon ; la troisième fois, le greluchon l'a quittée, Helpérinde est sur le point de mourir ; Kasper reçoit à genoux une pluie d'injures et de doubles croches (c'est du moins tout ce que j'ai entendu, car Mme Gien articulait si peu distinctement qu'il était impossible de comprendre un seul mot) ; et il repart à de nouvelles batailles après la mort de sa bien-aimée. M. Maurice Fouret a trouvé, pour traiter ce sujet, un récitatif vigoureux, frère cadet du récitatif debussyste, mais un frère cadet ruisselant de santé, qui ferait du sport au lieu d'errer sur la lande au clair de lune ; on y découvre quelquefois des intentions de parodie, mais assez légères. Le plus remarquable est la vitalité et la diversité du rythme, humoristique souvent, toujours vivant. D'autres morceaux, aussi fort bien venus, sont les récits de Kasper où il raconte sa vie de soldat, où il montre à Helpérinde comment l'amour l'a conduit à l'ambition et à la trahison, puis comment il s'est repenti, est allé à Saint-Jacques de Compostelle en pèlerinage, pour voguer après à la gloire sur un vaisseau qu'il a baptisé la Belle Helpérinde et qui a sombré comme son amour. M. Georges Villier a très bien composé le personnage de Kasper ; affinant ses manières et ses jeux de physionomie au fur et à mesure que Kasper évolue. Mme Gien semble un peu dépaysée dans cette pièce, et l'on a du mal à suivre ce qu'elle chante. Mme Andrée Moreau est une servante très burlesque. La mise en scène de M. Dethomas précise certains traits de l'atmosphère avec une vigueur remarquable ; si on peut reprocher à ce dessinateur un peu de raideur dans les robes d'Helpérinde et une crudité de couleur trop prononcée dans la composition du costume du greluchon, il réussit parfaitement dans les costumes comiques, comme celui du notaire ou de la servante. Il a habillé les personnages à la mode hollandaise, sans qu’on sache pourquoi. (Jean Royer, le Ménestrel, 29 février 1924)
On peut conjecturer qu'après avoir réuni, pour les offrir au public spécial des répétitions générales, la Farce du chaudronnier, de M. Fijan, la Belle de Haguenau de M. Fouret, et la Guitare, de M. Pedrell, M. Masson séparera ces trois comédies en musique, qui s'en trouveront bien. Nous ne nous arrêterons pas à la première pochade sans grand intérêt, mais la Belle de Haguenau et la Guitare, qui s'opposent connue jour et nuit, sont deux œuvres fort réussies, chacune en son genre, et qui méritent l'attention et la sympathie. La comédie de M. Jean Variot a fourni à M. Maurice Fouret les éléments d'un incomparable livret. Elle est extrêmement connue, elle est presque célèbre, et il y aurait du ridicule à la découvrir ici. La constance inébranlable du pauvre Kasper, amoureux toujours éconduit de la Belle de Haguenau ; les phases successives et en quelque sorte symétriques de sa déconvenue ; la simplicité du plan et ce mélange de bonhomie et de verve cocasse, d'émotion naïve et de force tragique ; tout ce comique généreux et toute cette mélancolie vouaient la Belle de Haguenau à l’illustration musicale. M. Fouret n'a pas laissé échapper l'occasion. Il a eu de surcroît le bon goût de ne pas considérer le chef-d'œuvre de Jean Variot comme prétexte à musique. Il n'en a pas dérangé l'ordonnance. Il n'en a pas altéré la lettre, ni l'esprit, et il l’a servi avec un bonheur presque constant. M. Fouret est vraiment un musicien de théâtre : on devine qu'il préfère être écouté plutôt que lu. Peut-être même estimera-t-on qu'il a pour l'écriture et la conduite des développements musicaux un mépris excessif. Mais il a le don du rythme et de la couleur, un sens précieux du comique, avec la faculté remarquable de donner un relief vigoureux aux situations et aux caractères. Ajoutez à cela qu'il ne professe point, pour les tessitures vocales, ce superbe mépris qui est de règle, depuis Gounod, chez les meilleurs musiciens. C'est bien vainement qu'on se livrerait, en l'honneur de M. Fouret, à la recherche des influences. La seule qu'il ait subie est celle de M. Variot. Préoccupé non d'affirmer une esthétique musicale personnelle, mais d'illustrer correctement et utilement les péripéties de la Belle de Haguenau, le compositeur ne se met jamais en scène. Tant de modestie a trouvé sa récompense : de tous les ouvrages de M. Fouret, voici le mieux réussi. « Vérisme », si l'on veut, le vérisme du compositeur de la Belle de Haguenau a tous les mérites de la discrétion et de la pudeur. Ce sont des mérites qu'on a coutume d'aller chercher ailleurs et c'est double plaisir de les trouver réunis dans une œuvre qui se présente aux suffrages du grand public avec toutes les assurances du succès. L’interprétation et la mise en scène de la Belle de Haguenau font le plus grand honneur au Trianon-Lyrique. Nous avons en France des barytons plus célèbres que M. Georges Villier : nous n'en avons pas un qui possède, avec une technique plus ferme, une voix plus splendide. M. Villier incarne le personnage de Kasper avec une chaleur et une véhémence obstinée qui n'ont pas médiocrement contribué à la réussite de l'ouvrage. Mlle Germaine Gien est une Helpérinde magnifiquement insensible, qui réalise exactement les intentions du dramaturge et du musicien. Sans doute le rôle ne convient-il pas parfaitement à sa tessiture, mais c'est double mérite que d'y briller comme elle le fait. Mlle Andrée Moreau, qui est toujours excellente, s'est encore surpassée sous les traits de la pauvre servante d'Helpérinde. Burlesque et douloureuse tour à tour, elle a su nous divertir et nous toucher avec un art irrésistible. Les autres rôles sont bien tenus et l'orchestre est conduit par M. Louis Masson. Rien ne vaut, dit-on, l'œil du maître... Encore faut-il que le maître soit habile à diriger les travaux de sa maison. M. Masson est ce maître-là. Le fait est assez rare en France pour être signalé. La mise en scène de M. Joubert est adroite, le décor et les costumes de M. Maxime Dethomas discrètement splendides. Le jeu des étoffes et des lumières, au dernier acte, forme le plus harmonieux tableau qui se puisse contempler. M. Maxime Dethomas qui n'en est plus à son coup d'essai, multiplie ses coups de maître avec un bonheur incessant. (Roland-Manuel, Lyrica, mars 1924)
Il s'agit là d'une fort amusante comédie. L'histoire de la belle Helpérinde, qui échappe par quatre fois aux assiduités d'un ancien commis de droguiste devenu soldat, puis colonel, puis amiral, est de la meilleure veine. Cet héroïque amoureux joue de malchance : la première fois, la belle va se marier ; la seconde, il lui faut attendre la fin de son deuil de veuve ; la troisième, elle est éprise d'un greluchon, et la quatrième elle meurt du désespoir d'avoir été abandonnée par ce greluchon. La musique de Maurice Fouret est spirituelle et adroite, mais elle n'évite peut-être pas toujours la banalité. (Larousse Mensuel Illustré, avril 1924)
|
[Première à l'Opéra-Comique] La Belle de Haguenau était présentée dans de curieux décors de Simon Lissim, qui a imaginé de nous faire voir un assemblage de grands paravents, à sujets guerriers. Ainsi il essayait de créer l'atmosphère héroïque nécessaire à la pièce. (Larousse Mensuel Illustré, 1931)
En attendant les créations importantes qui figurent au programme de la présente saison, M. Louis Masson offre à ses abonnés un spectacle composé de deux ouvrages qu'il a créés autrefois, comme directeur du Trianon-Lyrique. C'est un hors-d’œuvre savoureux. La Belle de Haguenau, jouée en février 1924, est une très originale comédie musicale en quatre petits actes de M. Jean Variot, dont M. Maurice Fouret a écrit la musique. C'est un régal pour les délicats. Kasper, ancien droguiste, est devenu amoureux de la belle Helpérinde le jour où la belle vint lui demander de l'huile pour la salade et où, troublé, il lui remit par erreur de l'huile de ricin. La belle ne lui a pas pardonné sa méprise. Il part comme soldat, et, tous les deux ans, revient lui demander si elle veut l'épouser. Il la retrouve successivement veuve, remariée, puis mourante, reçoit son dernier soupir et repart vers de nouvelles batailles. Ce sujet constitue une rapide succession de notations, d'esquisses, tour à tour burlesques et émouvantes, que la musique de M. Fouret met en relief avec une sûreté et une délicatesse de touche singulières. Il use d'un récitant humoristique, le plus souvent rythmé vigoureusement avec une grande variété d'accents, qui s'agrémente de discrètes intentions parodiques et évolue avec souplesse vers une note d'émotion pénétrante. M. Musy a campé le personnage de Kasper en grand artiste, faisant preuve à la fois d'une unité et d'une diversité de talent qui méritent les plus vifs éloges. Il accuse la sincérité timide du personnage avec une candeur à la fois comique et touchante, pour aboutir à l'émotion contenue, mais profonde, à l'expression de laquelle ajoutent la beauté et la couleur prenante de sa voix. Mlle Madeleine Sibille est une belle d'imposante allure, témoignant d'un sens dramatique intense. Mlle Andrée Moreau, qui subsiste seule de la distribution primitive, reste incomparable dans les personnages de servante burlesque, qu'elle chante d'une voix sûre, fort bien conduite, et qu'elle compose avec une verve, une fantaisie irrésistibles, parfois peut-être un peu appuyées. La voix et la diction de M. Tubiana font merveille dans le rôle secondaire du héraut-récitant. Quant à l'orchestre, il est dirigé par M. Georges Lauweryns avec la sensibilité la plus intelligente et la plus chaleureuse. La présentation fort originale de l'ouvrage, dans un beau décor de M. Simon Lissim, mérite une mention toute particulière. (le Ménestrel, 20 novembre 1931)
La Belle de Haguenau m'avait beaucoup plu lors de sa création au Trianon-Lyrique, à cette période que j'appellerai « l’âge d'or du Trianon » ! La pièce reposait sur une idée claire, sans ambiguïté, comportant cependant cette étrangeté, d'être à la fois poignante et bouffonne. C'est, si l'on veut, l'épopée d'un Sancho Pança, marchant sur les traces de son maître. La musique de M. Fouret, toute en rythme, se plie on ne peut mieux aux situations nettes du scénario ; elle est tout d'un jet, franche et honnête et, vers la fin, trouve des accents dramatiques extrêmement simples et poignants. La mise en scène, ou pour mieux dire le décor unique de la pièce, m'a un peu éberlué ; il m'a paru n'avoir aucun rapport avec l'action et bien moins en situation que celui du Trianon, qui était un simple intérieur alsacien d'époque, mais, d'après un bel article de M. Quelvée, paru dans Comœdia, il paraît que ce décor est au contraire admirable en ce sens qu'il prétend symboliser l'idée même de la pièce. Moi, bêta, je n'y voyais pas si loin, il me paraissait qu'une scène où le héros saute par la fenêtre doit comporter tout au moins une fenêtre — mais puisque, en effet, le décor est symbolique, la fenêtre ne doit pas l'être moins. Ce sont là questions épineuses à notre époque de super-intellectualisme. Au surplus, je préfère revenir à l'interprétation. Elle fut, je le dis avec joie, tout à fait satisfaisante et même davantage. Mlle Sibille est toujours indiquée pour les rôles de beauté, mais elle ne se contente pas de ces triomphes trop faciles, elle se donne la peine — et le plaisir — d'avoir beaucoup de talent et de travailler ses rôles pour en extraire le maximum d'expression artistique. Elle fut absolument parfaite d'un bout à l'autre de l'ouvrage. Mlle Andrée Moreau, engagée tout dernièrement pour le Mariage secret, où elle fut une remarquable Fidalma, me parut cette fois un peu moins dans le mouvement qu'à la création. Elle semblait un peu bridée, même dans sa grime. Extérioriser violemment certains rôles n'est pas toujours une faute de goût, si ces rôles l'exigent. Ceci n'implique pas une critique. Mlle Moreau est excellente ; c'est pour l'Opéra-Comique une recrue de premier ordre. Le rôle principal, créé par le baryton Villier à Trianon, est échu à Musy, qui l'a réalisé presque à la perfection, aussi bien vocalement que scéniquement. Musy est un des plus sûrs artistes de l'Opéra-Comique et les critiques que j'ai faites de quelques-unes de ses dernières interprétations n'infirmaient en rien l'opinion que j'ai de lui ; au contraire, dirai-je, car c'est justement en raison de l'estime et de l'admiration que j'ai pour cet artiste, que je prends la peine de disséquer ses interprétations et de lui dire, en bien comme en mal, ce que je pense, espérant qu'il en tirera profit et progrès. Sans doute, parmi l'éclat aveuglant (c'est le mot) des éloges dithyrambiques qu'on leur adresse, les chanteurs trouvent mes moindres réserves désobligeantes — je n'y puis rien — convaincu que mon devoir est de leur dire toujours la vérité, dussé-je être le seul. Mais la vérité n'est pas toujours bonne à dire... et encore moins à entendre. Dans Kaster, Musy a trouvé l'occasion de mettre en relief la naïveté de ce brave Sancho-Don Quichotte, qui part comme son maître à la poursuite de la gloire et de la fortune, pour conquérir sa Dulcinée. Dans les scènes avec la servante, il fut comique sans exagération, juste ce qu'il fallait. Mais c'est surtout au dernier tableau, alors que désolé, désemparé devant l'écroulement de son rêve chimérique, il s'en va titubant, que ses accents atteignirent à un pathétique du plus profond effet. A Pujol, on a confié un rôle trop court, auquel il prête sa jolie voix et son jeu plein de jeunesse. La mise en scène comportait entre chaque tableau une sorte de préambule chanté par douze guerriers, dont le chef Tubiana fit remarquer sa voix solide et sa diction impeccable. L'orchestre était parfaitement dirigé par M. Lauweryns. (Thomas Salignac, Lyrica, décembre 1931)
|