PHYSIQUE
Le phonographe, à son dernier degré de perfection, est un triomphe scientifique et un modèle de mécanique, mais il est surtout destiné à faciliter les échanges commerciaux et sociaux bien plus qu’à servir à des expériences purement scientifiques. Il porte pourtant en lui-même tous les éléments nécessaires pour une série d'expériences de physique très intéressantes. Elles ont toutes pour objet le son ou les mouvements vibratoires, quelques-unes sont l'explication même du phénomène de la reproduction de la parole par le phonographe et c’est par l’une de ces dernières que nous commencerons.
Fig. 1. – Le phonographe portant un miroir tournant.
L'instrument reproduit par la gravure possède les plus récents perfectionnements. Le phonogramme est inscrit sur un cylindre creux d’une substance semblable à la cire. Ce cylindre est porté par un cône monté sur un axe fileté. Cet axe repose à ses extrémités sur deux coussinets dont l’un est fixe et l’autre mobile (celui de droite sur la figure). Cette disposition permet de placer très facilement le phonogramme sur le cône et de le retirer sans grand dérangement : il suffit de faire tourner la pièce qui porte le coussinet mobile.
Sur une tige fixe parallèle est coulé un manchon fixe qui porte à l’une de ses extrémités un ressort appuyant constamment une portion d’écrou sur la partie filetée de l’axe. A l'autre extrémité est fixée une pièce recourbée qui passe sur le phonogramme et supporte l'appareil reproducteur dont nous allons surtout nous occuper. Pour les autres détails de l’appareil nous renverrons nos lecteurs à l'article que nous avons, il y a un an, consacré au phonographe (Voir la Science illustrée, t. II, p. 225).
Fig. 2. – Détails de l’appareil reproducteur.
Le diaphragme (fig. 2) est un disque de verre, épais d'un dixième de millimètre, dont les bords sont sertis entre deux minces rondelles de caoutchouc. A son centre est attachée une petite pièce métallique réunie à l’extrémité du levier a. L'autre extrémité du levier est bifurquée, l’une des branches porte le stylet reproducteur b ; l’autre le stylet traçant c. Ces stylets sont en saphir, corps dont la dureté rivalise avec celle du diamant. Le stylet reproducteur est une sphère ou une bille microscopique, parfaitement polie. Le stylet traçant est muni d'un coin très acéré à l’extrémité qui doit entamer le tube phonographique.
Le levier a s'articule en son centre avec une pièce qui dépend d’un levier plus fort d, fixé à la partie supérieure de l'appareil reproducteur et dont l'extrémité inférieure libre peut se mouvoir entre certaines limites. Grâce à cette disposition, les stylets peuvent suivre exactement la surface du cylindre phonographique, quel que soit son diamètre.
On voit que le levier a est un levier du premier genre, mais dont le point fixe serait mobile, si bien qu’au moment où son extrémité libre est soulevée par les saillies du phonogramme, il tend à soulever le levier d ; celui-ci, en raison de son inertie, résiste et n'épouse pas complètement les mouvements du levier a. En conséquence, les mouvements de ce dernier sont transmis au diaphragme qui vibre et reproduit la parole. Si, au contraire, on parle devant l'appareil, les mouvements du diaphragme sont transmis au stylet traçant, qui creuse sur le cylindre un sillon plus ou moins profond.
Un moteur électrique, à marche absolument uniforme, fait tourner le tube phonographique. Ce moteur parfait a été une des choses les plus difficiles à trouver ; la marche uniforme du tube était en effet un des points les plus importants à résoudre. Dans les morceaux de musique, par exemple, le ralentissement ou l'accélération de sa vitesse eût suffi pour en changer complètement la nature.
Maintenant que nous sommes familiarisés avec la structure de l'appareil, parlons de ses applications scientifiques. La première nous servira en même temps à bien montrer le caractère de l'inscription phonographique ; nous allons faire l’étude optique du sillon creusé par le stylet traçant ; cela reviendra absolument à l'analyse optique des ondes sonores qui ont fait vibrer le diaphragme.
Deux trous sont percés dans un bouchon ordinaire, et dans ces deux trous on fait passer deux tubes de verre recourbés. L'un de ces tubes est effilé de façon à ne présenter à son extrémité supérieure qu'un orifice très étroit ; l’autre est relié par un tube de caoutchouc avec une conduite de gaz d'éclairage ordinaire. Le bouchon, taillé en forme de cône, est enfoncé dans l’embouchure du phonographe, si bien que le gaz remplit l'espace resté libre entre le bouchon et le diaphragme et s'échappe par le tube effilé. On l'enflamme à sa sortie et l'on obtient ainsi une flamme très longue et très étroite. Derrière elle on dispose un écran suffisamment long et large pour la protéger.
En face on dresse un miroir à quatre pans ; ce sont simplement quatre glaces appliquées contre les parois d’une boîte. Cette boite est portée par un axe central vertical dont l'extrémité inférieure est munie d'une roue à friction. Le frottement de cette roue contre le grand axe du moteur fait tourner les miroirs. La lige qui porte les miroirs passe dans un court manchon qui la maintient verticale.
Grâce à cette disposition, les miroirs tournent quand le phonographe est en marche. Tant que le diaphragme reste au repos, le jet de gaz forme une flamme toujours d'égale longueur et les miroirs ne reflètent qu'une large bande de lumière. Mais quand le contact du stylet reproducteur avec le phonogramme tracé sur le cylindre fait vibrer le diaphragme, chaque saillie du phonogramme pousse le diaphragme en avant, chasse le gaz avec un peu plus de force, accélère sa vitesse de sortie, et par conséquent augmente la longueur de la flamme. Toutes les fois que le stylet rencontre une dépression, le diaphragme revient à sa position primitive, grâce à son élasticité, ralentit par conséquent l’émission du gaz et diminue la longueur de la flamme. Ces changements dans la longueur de la flamme sont très rapides, si bien que, vue directement, elle ne semble pas bouger ; on peut pourtant apercevoir son mouvement vibratoire en tournant rapidement les yeux de côté et d’autre, mais l’analyse de la flamme faite ainsi ne donne aucun résultat.
Ces vibrations s'aperçoivent très facilement par réflexion dans le miroir tournant. Le bord supérieur de la bande lumineuse est hérissé de crêtes irrégulières de hauteurs variables qui sont la représentation des ondes lumineuses. Ces flammes reproduisent, mais très exagérée, la forme des saillies et des dépressions du phonogramme. Chaque voyelle produit une série d'ondulations de la flamme qui est sa caractéristique, et ces ondulations sont rendues sensibles après réflexion sur le miroir tournant. Les sons musicaux de différents instruments donnent des flammes qui ne ressemblent en rien à celles des sons vocaux.
Cette simple expérience fait très bien comprendre la constitution du tracé phonographique et l’action du phonographe.
(la Science illustrée, n°130, 24 mai 1890)