Musique enregistrée de 1930 à 1937
(Larousse Mensuel Illustré)
Musique enregistrée – mai 1930
Parmi les auditions marquantes du mois, signalons les deux festivals donnés à l'Opéra, les 3 et 4 mai, par la Société Philharmonique de New York sous la direction d'A. Toscanini. Cet orchestre, composé de plus de cent musiciens, est d'une remarquable homogénéité, et les qualités propres des exécutants sont encore renforcées par la maîtrise du chef qui les dirige. Toscanini, qui, depuis 1921, tient le pupitre à la Scala de Milan, est assurément un des meilleurs conducteurs d'orchestre. Ses interprétations, exemptes de toute recherche inutile, paraissent surtout guidées par un double souci d'exactitude matérielle et de fidèle compréhension. Citons, entre autres, les très belles exécutions données de la Symphonie héroïque, du prélude de Tristan, du Boléro de Ravel, de la Mer de Debussy.
On pourra se rendre compte du haut degré de perfection auquel atteint la Société Philharmonique de New York, sous la direction de Toscanini, en écoutant la Symphonie en ré majeur de Haydn, que vient précisément d'éditer la Compagnie du Gramophone. La majesté presque religieuse de l'Adagio, auquel succède un spirituel Presto, la douceur enjouée de l'Andante, l'allégresse du Menuet, l'emportement mesuré du Finale sont traduits sur ces quatre disques par Toscanini et son orchestre avec une précision et une clarté qui se retrouvent dans les moindres nuances. C'est une joie pour l'oreille.
Le verso du quatrième disque nous réserve un véritable émerveillement : le Scherzo du Songe d'une nuit d'été, qui a figuré au programme du concert de Toscanini, et qui est reproduit ici sans rien perdre de cette légèreté immatérielle et de cette pureté aérienne qui transportèrent le public de l'Opéra.
On peut rapprocher cette exécution de celle du Vol du bourdon, de Rimski-Korsakov, enregistré chez Columbia par l'orchestre Halle, et dans lequel l'extrême rapidité du mouvement ne nuit ni à la netteté ni à la finesse.
Mais la grande production orchestrale de Columbia, ce mois-ci, a été le Prélude à l'après-midi d'un faune. Chacun sait à quelle difficultés d'interprétation se heurte, par la subtilité de ses rythmes, la musique de Debussy. On pouvait craindre que ces difficultés ne s'accrussent à l'enregistrement. Il n'en est rien. Le disque nous restitue pleinement l'atmosphère sonore et fluide de cette élégie musicale.
De la même maison, signalons encore les Plaisirs champêtres, de Monteclair, exécuté par la Société des instruments anciens. Ces pièces, écrites au début du XVIIIe siècle, ont une saveur classique, pleine de rustique fraîcheur.
Le Menuet antique de Ravel, exécuté par le Grand orchestre symphonique (Gramophone), mériterait mieux qu'une simple mention.
Parmi les instrumentistes, tandis que chez Columbia M. Ciampi exécute avec finesse et charme la Valse de l'adieu et la Polonaise en mi bémol mineur de Chopin, A. Cortot donne au Gramophone une interprétation parfaite de la Ballade en sol mineur du même auteur. A les écouter l'un et l'autre, il semble bien que la technique phonographique ait triomphé des difficultés que le piano opposait jusqu'ici à l'enregistrement. L'exécution de Cortot est particulièrement remarquable ; mais l'éloge de cet artiste n'est plus à faire.
Par contre, Gramophone nous révèle un jeune talent avec le violoniste Yehudi Menuhin. Quand on écoute, par exemple, le Chant d'Espagne de Samazeuilh, complété de deux pièces brèves de Serrano et de Spohr, on a peine à croire que cette technique si sûre, cette rare compréhension ce sens profond de la couleur et de la vie soient le partage d'un enfant âgé d'onze ans à peine. On éprouve à nouveau l'étonnement admiratif que ce jeune prodige nous a causé lors du concert qu'il a donné le 8 mai. Il faut entendre cette véritable curiosité musicale.
Dans l'extrême variété des disques de chant, mentionnons d'abord un enregistrement de haute qualité vocale : deux airs d'Ariane et Barbe-Bleue, interprétés dans un style émouvant par Mme Balguerie (Columbia). Les amateurs de modernisme écouteront avec plaisir les deux Poèmes juifs de Darius Milhaud, servis par la voix chaude de M. Panzera (Gramophone), tandis que les fidèles du « bel canto » applaudiront le ténor Tito Schipa dans deux mélodies espagnoles : Mi viejo amor et Rosalinda (Gramophone).
La place nous manque pour parler des disques de danse ; signalons seulement chez Gramophone de nouveaux fox-trots enregistrés par le Jazz de Jack Hylton, et surtout des mélodies hawaïennes, Southern mélodies, interprétées par les Walter Kolomoku's Honoluluans, qui expriment par les plaintes de leurs guitares toute la nostalgie des mers du Sud.
Les Trois baisers ne sont pas un boston ni une romance ; c'est un extrait du sermon de la Passion du R. P. Lhande (Columbia). La diction est fort nette. Voilà que le phonographe a gravi la chaire sacrée. Il fallait au moins souligner cette nouvelle conquête.
Musique enregistrée – juin 1930
De la production orchestrale de ce mois, outre l'ouverture d'Egmont, conduite par Rühlmann (Pathé), et la Symphonie en sol mineur, de Mozart, exécutée par le Berliner Staatskapelle (Columbia), il faut retenir « la Fête polonaise » du Roi malgré lui, de Chabrier, interprétée par le grand orchestre symphonique de Paris, sous la direction de P. Monteux, avec un grand souci du rythme et de la couleur, qui sont d'ailleurs les qualités maîtresses de cette page étincelante (Gramophone). Le maître Arbos, qui dirige l'Orchestre symphonique de Madrid, nous apprend, par son exécution à la fois sobre et nuancée de l'Intermezzo des Goyescas et de la Ronda Aragonesa de Granados (Columbia), comment les Espagnols comprennent la musique espagnole. Le crescendo qui marque la Ronda Aragonese atteste chez Arbos une subtile maîtrise de son orchestre. Très intéressant aussi, l'enregistrement du Zurich Tonhalle Orchestra, qui, sous la direction du Dr Andreae, nous donne un Andante pour flûte et orchestre de Mozart, et la gracieuse « Gavotte » d'Idoménée (Columbia).
Au piano, Mme Marguerite Long interprète deux pièces de Debussy : la Plus que lente, valse, et Jardins sous la pluie (Columbia). Cette seconde pièce, d'un mouvement très rapide, permet d'apprécier à la fois l'intelligente virtuosité de l'exécutante et l'excellence de l'enregistrement. Au violon, signalons deux pièces de Lili Boulanger, Nocturne et Introduction et Cortège, exécutées par Mlle Yvonne Astruc (Columbia), et aussi deux enregistrements du grand violoniste F. Kreisler : Old folks at home, et Souvenir (Gramophone). Au violoncelle, Maurice Maréchal donne une alerte interprétation de Guitane, de Moszkowski (Columbia) ; mais il faut faire une mention toute particulière de l'ensemble de violoncelles de P. Bazelaire, dont l'excellente sonorité atteint à de remarquables effets de puissance dans l'Aria di Chiesa de Stradella, et s'amenuise gracieusement dans un Menuet de Valentin (Pathé).
Dans les disques de chant, l'événement du mois est l'apparition chez Gramophone des derniers disques enregistrés par Caruso en 1920, moins d'un an avant sa mort. On y retrouve cet extraordinaire volume de voix, qui semble même un peu copieux pour la musique de Lulli, Caruso interprète, en effet, l'air d'Amadis, « Bois épais », en même temps qu'une mélodie de Crescenzo : Première caresse. M. Vezzani, de l'Opéra-Comique, accompagné des chœurs de l'Opéra, traduit avec beaucoup d'éclat l'ivresse mystique de Samson au premier acte de Samson et Dalila : « Arrêtez ô mes frères », et son accablement douloureux au dernier acte dans l' « Air de la meule » (Gramophone) ; il faut entendre M. Koubitzky dans Chant Indou, de Rimski-Korsakov, et surtout dans Hopak, de Moussorgski (Columbia). Chez Pathé, M. A. Huberty, la belle basse de l'Opéra, fait montre, dans le populaire Cor de Flégier, et dans le Pas d'armes du roi Jean de Saint-Saëns, de ses belles qualités vocales et de sa parfaite diction.
La voix de Mlle Jeanne Laval, qui interprète l'air de Rozenn du Roi d'Ys (Columbia), semble desservie par l'enregistrement ; par contre celle de Mme Martinelli garde sous le diaphragme toutes ses qualités de sonorité chaude et ample, dans l'air d'Elizabeth de Tannhäuser, et surtout dans le « Rêve d'Elsa » de Lohengrin (Pathé).
De curieux Chants d'Auvergne, fort adroitement harmonisés par Canteloube (Columbia), trouvent en Mme Mad. Grey une interprète d'un tempérament extrêmement souple, également capable de traduire la mélancolie des chants de bergers ou l'allégresse des bourrées rustiques.
Les masses chorales, qui sont souvent d'un enregistrement difficile, se meuvent avec une aisance remarquable dans les deux disques consacrés chez Pathé aux admirables chœurs de Boris Godounov. La joie recueillie qui salue le couronnement de Boris au prologue, aussi bien que l'élan de révolte qui emporte le peuple au quatrième acte, sont traduits avec une ampleur exempte de toute confusion. Il y a là une parfaite mise en place de voix.
Dans le genre léger, signalons : Sous les toits de Paris, chanté par Urban (Pathé), et J'ai compris, interprété avec émotion par Mme Germaine Lix (Pathé). Gramophone donne une très agréable sélection du Chant du désert, par l'orchestre Savoy Orphéans. En musique de danse, J.-M. Lucchesi s'efforce de pimenter par des sonorités imprévues deux tangos de Coppola : Manolito et Concha (Gramophone). Le jazz français de Grégor (Columbia), quoique assez trépidant, n'éclipse pas celui de Jack Hylton (Gramophone).
Avec diverses scènes de Tartuffe, du Dépit amoureux, des Femmes savantes, de l'Ecole des femmes, l'excellent acteur Léon Bernard, de la Comédie-Française, inaugure chez Pathé une fort intéressante série de disques de diction, consacrés aux grandes tirades classiques. La diction est très bonne ; tout au plus reprocherait-on à Bernard de n'avoir pas maintenu son Chrysale dans la note comique, où le bonhomme doit rester jusque dans ses accès de colère. Ces disques ont un grand intérêt pédagogique.
Musique enregistrée – juillet 1930
Trois œuvres, de caractères très différents, émergent de la production phonographique de ce mois. D'abord la Messe solennelle de Boezi, exécutée par les chœurs de la Chapelle Julienne de Saint-Pierre de Rome (Gramophone). Ecrite dans le style polyphonique traditionnel pour un double chœur de huit voix, cette messe, qui date de 1907, et dont l'exécution est ici dirigée par Boezi lui-même, est d'une richesse vocale étonnante. Il faut citer particulièrement l'Agnus Dei. La sonorité de l'église Sainte-Marie-des-Anges, où s'est fait l'enregistrement, ajoute encore à l'ampleur de cette œuvre ; l'orgue souligne le chant sans l'étouffer : on a pleinement l'illusion du réel.
La seconde œuvre est la deuxième suite de Daphnis et Chloé de Ravel, exécutée par l'orchestre symphonique de Boston, sous la conduite de S. Koussevitzky (Gramophone). Peut-être le bruissement qui annonce « le lever du jour » n'est-il pas rendu, au début, avec toute la netteté désirable; mais dès que le ton s'élève, toute confusion cesse. Sans aucune altération des timbres, la phrase mélodique, amorcée par la flûte, est reprise ensuite par les autres instruments, passe de l'un à l'autre, s'amplifie, s'adoucit. Et, après le spirituel intermède de la « pantomime » c'est l'éclatant crescendo de la « Danse générale » d'un dynamisme si puissant.
Enfin, à ceux qui douteraient des effets d'émotion qu'on peut tirer d'une machine parlante, nous signalerons l'adaptation phonographique que Jean Cocteau a faite de son acte du Français : la Voix humaine (Columbia). C'est Mme Berthe Bovy qui est au bout du fil, et il serait difficile de rester indifférent aux accents de cette voix, qui, mystérieuse, arrive toute chargée de tendresse, de douleur, de désespoir contenu. La suppression de tout élément visuel renforce l'effet.
Par ailleurs, l'admirable prélude du 3e acte des Maîtres chanteurs a trouvé dans la sûreté de l'orchestre Colonne et dans la ferveur du maître Pierné, les éléments d'une interprétation de haute qualité, dont l'intelligence s'atteste d'abord dans la délicate traduction de la Rêverie de Hans Sachs (Odéon). Bonne interprétation également par l'orchestre Andolfi de la Chauve-Souris de J. Strauss (Pathé). L'enjouement de cette musique alerte est fort bien rendu : on regrette cependant que les nuances y soient parfois sacrifiées à la sonorité, qui, elle, est excellente. L'orchestre hongrois de Majowski exécute par contre avec beaucoup de couleur et de rythme une Czardas sur des airs nationaux hongrois (Pathé). Le violon y chante agréablement.
Malgré les progrès réalisés dans les enregistrements de piano, ainsi qu'en témoignent Mme Marguerite Long avec la Ballade de Fauré (Columbia), Mlle Ida Périn avec le Ballet de Rosamunde de Schubert (Pathé) et M. G. de Lausnay dans un Prélude de Rachmaninov et une Valse de Chopin (Pathé), on déplore encore parfois un reste de sécheresse et certaines résonnances métalliques, par quoi le piano s'apparenterait au clavecin. C'est dire que ce dernier instrument supporte très bien l'enregistrement. Ecoutez, par exemple, la Toccatina de Scarlatti et la Pastorale variée de Mozart, exécutées avec une remarquable virtuosité par Mme Patorni-Casadesus (Columbia). La Sonate pour piano et violon de Debussy, toute en finesse et si curieuse d'harmonie, ne semble pas, malgré la perfection des interprètes, A. Cortot et J. Thibaud, garder sous l'aiguille toutes ses qualités (Gramophone). En revanche, la gravure reproduit avec toutes ses nuances le jeu impeccable du violoniste Huberman, chez qui la virtuosité la plus sûre s'allie au sentiment le plus exquis, soit dans la mélancolique Romance andalouse de Sarasate, soit dans la Mazurka si joliment colorée de Zarsycki (Odéon).
Revenant de Bayreuth en 1880, G. Fauré et A. Messager eurent l'idée d'écrire, pour piano à quatre mains, une fantaisie en forme de quadrille sur les principaux thèmes de l'Anneau du Nibelung : Souvenirs de Bayreuth. Ce n'est peut-être pas très respectueux, mais c'est très adroit, très spirituel et très divertissant (Gramophone).
Le second des disques de Caruso annoncés en juin n'a paru qu'en juillet : dans l'Addio de Tosti, l'artiste conduit sa voix avec un art tempéré et émouvant, tandis qu'il en déploie toutes les prodigieuses ressources dans l'air de l'Africaine : Deh ! Ch'io ritorni (Gramophone). Ce redoutable voisinage ne nuit cependant ni à M. Verdière, qui fait montre d'une voix solide dans le grand air de Guillaume Tell (Odéon), ni à M. G. Thill qui interprète avec beaucoup de charme et d'aisance l'air de Joseph de Méhul (Columbia), ni à M. H. Saint-Cricq, dont la voix ample et bien étoffée, aussi à l'aise dans l'aigu que dans le grave, sait cependant se mettre à la mesure de la musique de Grétry, aux grâces désuètes mais d'une fraîcheur charmante dans l'Ariette de Zémire et Azor et la Sérénade de l'Amant jaloux (Pathé).
A l'interprétation très classique que nous signalions le mois dernier du Cor de Flégier par Huberty (Pathé), on pourra comparer celle qu'en donne Chaliapine (Gramophone). Bien qu'elle ait par moments une allure très dramatique, elle surprend un peu par certaines notes exagérément tenues.
Mme Martinelli a droit à une mention toute spéciale pour sa belle interprétation de la Mort d'Yseult (Pathé). C'est surtout par des qualités de charme que se recommande Mlle Marise Beaujon, de l'Opéra, dans la Romance de Santuzza, de Cavalleria Rusticana, et dans l'air d'Esclarmonde de Massenet (Columbia). Mme Tessandra, de l'Opéra, a un beau contralto, qu'elle fit valoir dans deux airs de Samson et Dalila (Odéon) ; mais si on ne peut lui refuser la séduction, on lui voudrait plus d'énergie dans son appel à la vengeance. On goûtera aussi la voix très pure de Mme Ninon Vallin et la vérité d'accent qu'elle donne à deux chants populaires espagnols de J. Nin : Malaguena et Polo (Odéon). Le premier surtout est très attachant. Enfin le caprice des éditions permettra de confronter les qualités respectives des deux chanteuses de langue allemande, que nous avons applaudies cet hiver à Paris : Mmes Lotte Schœne et Lotte Lehmann. La première fait valoir ses dons remarquables de chanteuse légère dans un air de la Chauve-souriset dans les Histoires de la forêt viennoise de J. Strauss, où elle vocalise délicieusement (Gramophone) ; la seconde, dont la voix est plus étoffée, interprète deux romances : Son parfum et Donne-moi ton cœur, avec un sentiment si délicat qu'on ne saurait lui en vouloir d'avoir abandonné une fois son répertoire ordinaire (Odéon).
Signalons enfin, dans la note légère, un bon disque de Layton et Johnstone : Lucky me lovable you (Columbia) ; Tango te Cambiaron la Pinta, curieusement dit, plus encore que chanté, par l'Argentin Carlos Gardel, avec accompagnement de guitares (Odéon) ; des airs extraits de films parlants, tels que Je t'adore, mais pourquoi ? et surtout Chérie, tous les deux ! bien nuancés par R. Burnier (Pathé) ou encore la Tendresse, fox-trot chanté par Max Rogé (Pathé) ; sans oublier le virtuose de l'accordéon Fredo Gardoni qui interprète pour Pathé trois disques agréables : le Retour de la mazurka, Sous les toits de Paris, Sur la zone endormie.
Musique enregistrée – août 1930
Le phonographe est le gai compagnon des vacances, Son aimable babillage atténue l'ennui des journées inclémentes. Encore faut-il que ses discours ne soient pas trop sérieux. C'est donc surtout du côté de la musique légère que nous porterons ce mois-ci notre attention.
Une intéressante Danse japonaise à lanternes de Yoshitomo (Columbia), dont le motif principal est une valse aux sonorités curieuses, nous révèle un art japonais fortement influencé par l'Occident. Chez Columbia, également, deux disques offrent, sous le titre de Lehariana, une sélection des meilleurs motifs des opérettes de Franz Lehár. C'est un adroit pot-pourri, d'une musique facile sans vulgarité, et qui procure le plaisir de saluer au passage des airs familiers. C'est aussi le témoignage d'une époque, car aujourd'hui cette musique date fort ; elle rejoint dans un passé qui semble déjà lointain les grands succès d'autrefois, comme les Dragons de Villars, que l'orchestre G. Andolfi a vaillamment ressuscités chez Pathé. Les plus de quarante ans voudront écouter cette fantaisie alerte, malgré ses airs vieillots. Mais tout cela risque de paraître un peu fade aux oreilles rompues désormais à la trépidance des jazz.
Est-il temps encore de parler de Parade d'amour ? Entre tous les disques qu'a suscités ce film, un des meilleurs est assurément celui de la Marche des Grenadiers, édité par Odéon, Avec des moyens un peu grêles, le remarquable orchestre viennois de Dajos Bela obtient d'excellents effets de puissance ; et le xylophone y tient drôlement sa partie. Le revers du disque contient un tango très dansant : Donne-moi ton cœur.
La Grande Mare a, comme de juste, les honneurs de l'édition. Maurice Chevalier l'interprète lui-même chez Gramophone, Mais on aura également plaisir à entendre l'exécution qu'en donnent P. Whiteman et son orchestre, selon les plus subtiles recettes du jazz (Columbia). Quelle surprise d'y découvrir des réminiscences de l'air de Walther des Maîtres chanteurs !
Parmi les maîtres du jazz, un des premiers rangs revient à Jack Hylton ; non seulement ses exécutions sont d'une grande sûreté dans la fantaisie, mais il excelle dans les refrains chantés. Il convient, en effet, qu'émergeant d'entre les sonorités bruyantes des instruments, la voix apparaisse discrète et que le chant soit comme une sorte de repos pour l'oreille. Le fox-trot C'est un chant dans mon cœur (Gramophone) est, sous ce rapport, d'une réussite parfaite. Le ténor Richard, qui interprète Un nouveau bonheur (de « la Grande Mare ») [Columbia] a eu tort de méconnaître cette foi du jazz ; il pousse trop sa voix, d'ailleurs agréable. De la foule des disques de danse, détachons encore, non peut-être sans quelque arbitraire, un tango Prisionero par l'orchestre argentin Canaro (Odéon), deux fox-trots Should I ? et Without a song, exécutés l'un par Vincent Lopez, l'autre par Sam Lanin (Pathé), un slow fox-trot, Irough !, par l'orchestre du fameux Ted Lewis (Columbia). Voilà de quoi satisfaire les appétits de danse aiguisés par la pluie persistante !
Les vacances, c'est aussi la période des voyages. Le phonographe permet de voyager sans fatigue. Ecoutez, par exemple, les curieux chants tyroliens, si expertement ioulés par le Jodler-Gruppe de Bâle (Odéon), Ce ne sont pas là des tyroliennes de café-concert. Outre l'impression étrange que produisent ces voix bizarrement désaxées, avec ces roulements de gorge et ces sons aigus de tête, il y a dans ces chants populaires : Goldiwilerjodel, Hirtenlied, une poésie très particulière et très pénétrante. Non moins originaux sont les Chants populaires slovènes, interprétés par le quatuor et par le choral mixte de la « Glasbena matica » de Ljoubliana (Pathé). Tour à tour gais ou recueillis, ils sont très évocateurs, et, comme toujours dans les disques Pathé, la mise en place des voix est parfaite. On ne saurait trop encourager les maisons d'éditions dans ce dépouillement du folklore des divers pays. Préférez-vous le soleil d'Espagne ? Il transparaît, avec accompagnement de castagnettes, sous les doigts agiles de la Argentina, dans Cordobad'Albeniz, et le Boléro classique d'Yradier (Odéon) ; il anime aussi la voix solide du baryton Sagi-Barba dans Canción del Platero, et surtout dans Canto á Murcia, où le soliste est soutenu par des chœurs très colorés (Gramophone). Rêvez-vous d'échappées plus lointaines ? Le Kalama's quartet vous portera aux rivages hawaïens, et vous écouterez avec surprise ces voix qui ont su s'assimiler les inflexions de la guitare, au point que se confondent chants et accompagnements, dans A Flower lei, et plus encore dans My hawaiian home, si doucement mélancolique (Odéon), Et si, malgré tout, c'est le charme spirituel de Paris qui vous attire, écoutez Mlle Edmée Favart détailler avec espièglerie les couplets de Mannequins (Pathé), et interpréter ensuite avec un sentiment gracieux la romance du Chant du désert, ou la valse chantée : Je n'ai qu'un amour... (Pathé).
Un des attraits du phonographe est de mettre à notre portée des instruments que nous avons rarement l'occasion d'entendre. Les timbres du xylophone, par leur sécheresse même, se gravent bien sur la cire, et l'on a plaisir à écouter des virtuoses tels que la fantaisiste Maria Valente dans le Canari et la Grenouille et Mazurka brillante (Odéon), ou l'adroit Cariolato dans Nuit mélodieuse, fox-mélodie, et surtout dans une brillante mazurka à variations, Caprice de concert (Pathé). La scie musicale se prête également très bien à l'enregistrement ; on s'en convaincra en écoutant les duos de MM. Gaston Wiener et Jean Laffitte : Trop tard, et Sandri (Pathé). Signalons, enfin, plus à cause de l'instrument que des morceaux eux-mêmes, les deux pièces de clavecin : la Victoire et Danse rustique, interprétées par Mme Roesgen-Champion (Gramophone). Cette artiste a une technique impeccable ; sous ses doigts le clavecin acquiert une sonorité inaccoutumée ; on serait presque enclin à la trouver excessive ; les accords plaqués conviennent mal à cet instrument ; mais, telle quelle, l'interprétation est intéressante.
Musique enregistrée – septembre 1930
Parmi les derniers enregistrements d'orchestre, nous signalerons quatre œuvres également intéressantes. Tout d'abord l'Ouverture de la Flûte enchantée (Pathé), dont l'excellente impression garde toute la grâce délicate et enjouée de l'écriture de Mozart. Ce disque réserve en outre une surprise : quand l'orchestre s'est tu, le maître Henri Rabaud, qui le dirigeait, prend lui-même la parole pour exposer les circonstances dans lesquelles Mozart a composé cette ouverture. Nul doute que le public n'accueille favorablement cette originale série d'autographes vocaux.
Chez Odéon, le même H. Rabaud conduit sa délicieuse Eglogue, d'une grâce et d'une fraîcheur toutes virgiliennes, avec ce chant de flûte qui s'enlève sur le murmure continu des cordes. La qualité de l'enregistrement, respectueux de toutes les nuances, ajoute encore au charme de cette exquise page musicale.
Des deux Suites d'orchestre tirées de l'Arlésienne de Bizet, l'orchestre symphonique de Philadelphie, sous la direction du maître L. Stokowski, a extrait un certain nombre de morceaux qui fournissent matière à trois beaux disques (Gramophone). On y retrouve le Prélude, le Menuet, la Fête provençale et le Carillon. L'exécution est de tous points remarquable.
Enfin, on ne saurait rester indifférent à l'agrément de la Sonate pour flûte et instruments à cordes du Napolitain Alexandre Scarlatti, dont le Quintette instrumental de Paris donne chez Gramophone une très bonne interprétation. Cette œuvre, très représentative de l'art italien du XVIIe siècle, est d'une facture agréablement variée : après un Allegro moderato, qui se tempère en Adagio, un tournoi s'engage entre flûte et cordes dans une Fugue d'un dessin gracieux, que suit un Largo, dont la sérénité contraste avec l'enjouement de l'Allegro final.
Au piano, tandis que M. G. de Lausnay, qui interprète avec beaucoup d'autorité le beau Prélude de Rachmaninov, paraît s'attarder un peu dans la Valse en la bémol de Chopin (Pathé). M. Béla Bartók déploie un art plus nerveux dans trois pièces de sa composition : Danse roumaine, Este a székelyeknél, Medvetanc [Gramophone]. Ce sont des pièces d'une inspiration très debussyste, avec des recherches de tonalités, des ruptures de rythmes. Le jeu de l'artiste, très varié, en accuse encore le caractère.
Il est intéressant, au point de vue de l'évolution musicale, de rapprocher de cette Danse roumaine de B. Bartók, la Bourrée fantasque de Chabrier, qu'exécute chez Columbia Mme Marcelle Meyer. On ne peut manquer d'être frappé de la couleur déjà très moderne de cette composition. On souhaiterait seulement chez l'exécutante plus de nervosité et une sonorité plus vigoureuse.
Pour goûter le plaisir d'une belle interprétation pianistique, il n'est que d'entendre M. Maurice Rosenthal, dans Chant polonais de Chopin-Liszt et Mazurka de Chopin (Odéon). Il semble difficile de réunir à un plus haut degré la sonorité et le sentiment. Le jeu de M. Rosenthal vaut surtout par la richesse de la sensibilité et de l'émotion poétique. L'enregistrement est en outre très bon.
On connaît les bons enregistrements de l'organiste Commette. Bien qu'à vrai dire, l'orgue soit généralement un peu desservi par le disque, on écoutera volontiers le Choral N° 13 de Bach et le Scherzo de la IIe Symphonie de Widor (Columbia).
Il semble au contraire que l'aiguille renforce les qualités propres du violoncelle. C'est du moins l'impression que l'on éprouve en suivant les belles exécutions de Mme Caponsacchi chez Pathé. Nous recommandons particulièrement l'Aria de Bach et le Largo de Händel, ainsi que le Chant du soir de Schumann et la Litanie de Schubert. L'instrument chante de façon délicieuse.
Le saxophone est aussi un instrument très phonogénique. Remis à la mode avec le jazz, il a aujourd'hui ses virtuoses. L'un des meilleurs, M. Viard, module fort agréablement les mélodies un peu mièvres de Reynaldo Hahn : Mai, Rêverie, Si mes vers avaient des ailes (Pathé).
Parmi les disques de chant, nous signalerons la chanson populaire Maria, Mari, interprétée par le ténor Beniamino Gigli, qui fait songer à Caruso (Gramophone). Cet artiste possède une belle voix de poitrine, étendue et chaude, soutenue par un souffle robuste. La seconde face du disque porte un air gai : Quanno a femmena vo, d'un rythme vif, qui est enlevé aussi avec beaucoup d'éclat.
De l'art du ténor Gigli, parfait représentant de l'école italienne, il est intéressant de rapprocher l'art plus sobre de Franz, dont on regrette seulement que la voix trahisse parfois un peu de fatigue. Mais, dans l'air de Sigurd comme dans le grand air de Jean au troisième acte d'Hérodiade, quelle sûreté dans la conduite de la voix, quelle diction parfaite ! (Columbia) Servi par de tels artistes, l'art phonographique peut donner non seulement des impressions musicales, mais aussi des émotions dramatiques. Que l'on écoute, par exemple, le duo de la prison d'Aïda, interprété par Mlle Tessandra et M. R. Verdière (Odéon). Tout le pathétique de la scène transparaît ici, et la vie dont est animée cette musique garde sous l'aiguille tout son frémissement.
Nous mentionnerons encore, parmi les disques de chant, une agréable interprétation de Paysage de Reynaldo Hahn, et de la Truite de Schubert, par M. W. Tubiana, basse de l'Opéra-Comique (Gramophone), ainsi que deux mélodies : la Cloche de Saint-Saëns, et surtout l'Abandonnée de H. Büsser, chantées avec accompagnement d'orchestre, par Mme Abby Richardson, un bon mezzo-soprano (Columbia).
Musique enregistrée – octobre 1930
L'agrément d'un morceau de musique au phonographe ne dépend pas seulement de sa valeur intrinsèque. Le compositeur anglais Ketelbey a écrit des morceaux d'orchestre spécialement en vue de la reproduction. Sa musique, d'une inspiration au fond assez facile, parvient, en utilisant toutes les ressources orchestrales : instruments, orgue, cloches, chœurs, et en les groupant avec beaucoup d'adresse, à créer un décor musical très évocateur. Citons : Sous la lune, et les Cloches aux champs (Odéon).
Quoique trahissant les mêmes préoccupations, la partition du Vagabond roi, le premier opéra écrit pour film parlant, offre cependant moins d'originalité. La sélection qu'en donne chez Columbia le « Percival Mackey's band » est agréable à entendre, mais n'apporte aucune nouveauté.
On goûte tout de même plus de plaisir à écouter, malgré l'amenuisement inévitable, un immortel chef-d’œuvre, tel que la Septième Symphonie de Beethoven (Odéon).
Il semble que l'enregistrement favorise surtout la musique aux timbres fortement accentués. Une des meilleures réussites est l'édition du poème symphonique de Richard Strauss : Till Eulenspiegel (Pathé). Pour commenter les aventures de ce héros légendaire, Strauss a écrit une musique... espiègle, traversée d'appels narquois qui maintiennent l'atmosphère même dans les passages de force. Cette curieuse symphonie est excellemment mise en valeur par l'exécution de l'orchestre des concerts Pasdeloup, et aussi par la belle sonorité de l'enregistrement.
On en peut dire autant de l'ouverture du Roi d'Ys, traduite dans toute sa dramatique ampleur par l'orchestre des concerts Colonne, sous la direction de G. Pierné (Odéon). Le solo de violoncelle qui forme comme l'adagio de cette belle page symphonique est remarquablement exécuté par M. Lopès.
Deux œuvres symphoniques méritent aussi, chez Gramophone, de retenir l'attention. C'est d'abord la Symphonie en ut mineur, avec orgue, de Saint-Saëns. Construite tout entière sur le thème du Dies iræ, cette œuvre offre une richesse de développement qui n'en altère point l'harmonieuse clarté. L'orchestre de M. Piero Coppola la fait admirablement valoir, et l'enregistrement en est particulièrement réussi. Le même éloge peut être adressé à l'exécution par le « London Symphony Orchestra », du Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov. Composée en 1887, cette œuvre ne fut révélée en France qu'en 1910. C'est une des productions les plus intéressantes du grand compositeur russe. Cette vision de l'Espagne par un tempérament slave est très attachante. Particulièrement le quatrième mouvement : Scène et danse gitane est d'une couleur riche et savoureuse.
Signalons enfin, pour leur pittoresque, les Scènes alsaciennes de Massenet, dont l'orchestre Andolfi donne chez Pathé une très brillante interprétation.
Au violon, on ne sait que préférer de l'éblouissante virtuosité de Manuel Quiroga dans Cadence pour le Trille du diable (Pathé), ou du sentiment délicat de Zino Francescatti dans les Airs bohémiens de Sarasate (Columbia). Ce sont l'un et l'autre des violonistes de grande classe.
Au violoncelle, Mlle L. Radisse fait preuve de belles qualités de sonorité et de sentiment dans deux pièces de M. de Falla : Polo Asturiana et Jota (Odéon), encore que quelques vibrations parasites viennent troubler l'audition. Par contre, l'éloge de Pablo Casals n'est plus à faire. Il est difficile d'atteindre à plus de sûreté dans l'attaque et à un sens plus profond des ressources de l'instrument. Il déploie tout son art dans Vito de Popper et dans une Danse espagnole de Granados (Gramophone).
Il est amusant d'entendre cette même Danse commentée par les castagnettes de la Argentina (Odéon). Quelle virtuosité et quelle intelligence !
Musique enregistrée – novembre 1930
La voix humaine, dont les fréquences musicales s'échelonnent, de la basse au soprano, entre 80 et 900 périodes-secondes, s'inscrit aisément dans la gamme phonographique. On peut donc apprécier exactement la valeur des divers interprètes. Parmi les plus éblouissants, il faut citer d'abord Mme Ninon Vallin, soit dans des mélodies, comme les Etoiles et la Délaissée, délicieusement accompagnées par l'auteur, Reynaldo Hahn (Odéon), soit dans de la musique dramatique, comme les Contes d'Hoffmann ou Manon(Pathé). Le charme de sa voix d'une rare fraîcheur et d'une étincelante souplesse fait aisément pardonner le manque de netteté de sa diction. Autre Manon, Mme Fanny Heldy, dans l'air fameux : Je suis encor toute étourdie, et dans un air de la Traviata (Gramophone), a une voix également fort belle, mais d'un timbre plus aigu et moins velouté. Mlle Nespoulous ne le cède en rien aux artistes précédentes pour l'agrément et la sûreté de sa voix ; on a grand plaisir à l'entendre dans Mârouf et Sapho (Columbia).
Parmi les ténors, M. Thill exprime avec beaucoup de chaleur le ravissement de Vasco de Gama, dans l'Africaine (Columbia) ; mais pourquoi nous faire subir l'air de Martha ? M. Verdière, dans deux airs du Ier acte de la Walkyrie, est un Siegmund plein de fougue et d'un style très wagnérien (Odéon). M. Saint-Cricq semble moins à l'aise dans « l'Invocation à la nature » de la Damnation ou dans l'Attaque du Moulin (Pathé) que dans la Chanson triste et le Lamento de Duparc, qu'il phrase avec beaucoup d'art et d'émotion (Pathé). Dans une mélodie de Brahms, Feldeinsamkeit, le ténor allemand W. Kirchhoff a été peut-être desservi par l'enregistrement, car sa voix y parait sourde et sans éclat, tandis qu'elle se révèle d'une large et chaude sonorité sur l'autre face du disque, Du rote Ros' aug grüner Heide (Pathé). On goûtera par contre pleinement les deux airs de Fortunio, « la Chanson de Fortunio » et « la Maison grise » que M. Claudel détaille de façon charmante (Gramophone). Une mention spéciale doit être accordée aux disques hébraïques du cantor Saül Schenker (Pathé). L'accompagnement d'orgue qui soutient le premier chant, Adoschem !, est d'un rendu remarquable.
Si le baryton italien Ballarini, dans la Traviata et dans Hamlet (Odéon), déçoit un peu par la sécheresse et le manque de résonance de sa voix — défauts rares chez un Italien — par contre M. Pernet est excellent dans les couplets de la « Calomnie » du Barbier de Séville (Odéon) : il a du timbre et de l'ampleur. Dans deux mélodies russes : Elle riait..., et le Chant du prisonnier, Chaliapine atteste une fois de plus ses dons vocaux et son art si intensément dramatique (Gramophone). Mais si l'on veut avoir une idée de la perfection, il faut entendre M. Vanni-Marcoux dans le Noyer de Schumann (Gramophone) : qualité rare de la voix, pureté de la diction, sentiment, tout s'y retrouve.
Les ensembles vocaux se prêtent plus malaisément à l'inscription phonographique. Nous n'en signalons qu'avec plus de plaisir certains particulièrement réussis. Les chœurs des cosaques du Don, qui sont parvenus à une complète fusion des voix individuelles dans la masse chorale, donnent du Requiem de Lwovsky (Columbia) une exécution puissante et d'un profond sentiment religieux. Les chœurs de l'Opéra, dont il est de tradition de médire, méritent des félicitations pour la façon dont ils ont interprété le « Choral des épées » et la « Valse » de Faust (Odéon). Louons aussi les artistes de la Chanterie de la Renaissance, qui, sous la direction de M. H. Expert, ont exécuté dans un beau style la fameuse chanson de Janequin : la Bataille de Marignan (Columbia). Mais la réalisation la plus remarquable est la collection des principaux Chants Grégoriens, en douze disques (Gramophone). L'enregistrement a été fait à l'abbaye de Solesmes, où s'est conservé la pure tradition du plain-chant. Ici nous n'avons plus affaire à des chanteurs professionnels, mais à de simples moines qui chantent avec tout leur cœur.
Parmi les disques de diction bornons-nous à signale une sobre et émouvante interprétation de la Tristesse d'Olympio par M. Le Bargy (Odéon) ; d'amusants Dialogues conjugaux, qui mettent aux prises M. Koval et Mlle Gaby Binda (Pathé) ; une Causerie sur les animaux de Jules Moy, d’une irrésistible drôlerie (Odéon) ; enfin, pour les auditeurs d'avant-garde, des disques de Jean Cocteau, auteur et interprète à la fois : le Théâtre de Jean Cocteau et Trois poèmes (Columbia). Ces disques ne manqueront pas de surprendre et d'effarer même.
Musique enregistrée – décembre 1930
A ceux qui reprochent aux enregistrements d'orchestre de manquer de puissance, il suffit d'opposer la Chevauchée des Walkyries et la Marche hongroise de la Damnation, exécutées sous la direction de Weissmann chez Odéon. C'est merveille qu'un disque puisse emmagasiner sans confusion tant d'énergie sonore. Moins bruyante mais aussi brillante, l'ouverture de Don Juan, qui fut écrite par Mozart la nuit mime qui précéda la première représentation, a toute la fougue d'une géniale improvisation. L'exécution qu'en donne le maître H. Rabaud chez Pathé garde les qualités d'éclat, de chaleur et de mouvement qui caractérisent cette œuvre.
Il est vrai cependant que le disque s'accommode mieux de sonorités moins éclatantes. Par exemple, le charmant poème symphonique de Saint-Saëns, le Rouet d'Omphale, est dans sa transcription phonographique, très agréablement nuancé [Pathé]. En conduisant, pour Odéon, son gracieux ballet : Cydalise ou le Chèvre-pied, G. Pierné a mis adroitement en valeur cette musique érudite, dont les curieuses recherches harmoniques n'altèrent point la classique clarté. Les stridences de flûtes qui scandent la marche des petits Faunes s'inscrivent très purement sur le disque, ce qui prouve la valeur de l'enregistrement. D'une couleur et d'une facture plus modernes, avec un emploi subtil des dissonances, est le Festin de l'Araignée de Roussel, interprété par Columbia par l'orchestre des Concerts Straram. Ce drame qui se joue dans le monde minuscule des fourmis, des papillons et des éphémères, se maintient à l'échelle de ses héros. En dépit d'une rare richesse orchestrale, tout n'est dans ce poème que fluidité, que légèreté aérienne. La mise au point est parfaite.
Le modernisme de Roussel est de loin distancé par celui de Stravinsky, dont on ne peut recommander la Suite n° 2 pour petit orchestre (Odéon) qu'aux oreilles que n'irritent point les combinaisons sonores les plus audacieuses. Mais quelle étonnante technique, quelle fougue d'inspiration toujours neuve et colorée ! Ceux que n'aura pas effarouchés cette Suite pourront aborder le Capriccio pour piano et orchestre du mime auteur (Columbia).
Si, au sortir de cette orgie de sons, on recherche une atmosphère plus sereine, il faut écouter le poème symphonique de César Franck : Psyché, qu'on peut entendre exécuté soit par la Société des concerts du Conservatoire (Gramophone), soit par l'orchestre des Concerts Colonne (Odéon). Dans le Sommeil de Psyché, aussi bien que dans l'entretien de Psyché et Eros, tout n'est que suavité. L'amour s'y élève du plan terrestre au plan mystique.
Il faut bien dire toutefois que c'est surtout dans la musique de chambre que Franck a excellé. Aussi devons-nous savoir gré à Gramophone de nous avoir donné, avec A. Cortot et l'International String Quartet, une magistrale interprétation du pathétique Quintette en fa mineur. Les trois mouvements sont rendus avec une égale intelligence ; nos préférences cependant vont au deuxième.
Le Double concerto en la mineur de Brahms pour violon et violoncelle est d'un agréable coloris, avec les élans nostalgiques de l'Allegro initial et la fantaisie joyeuse du finale. Les deux noms de J. Thibaud et Pablo Casals disent la qualité de l'exécution. L'orchestre est, par surcroit, dirigé par A. Cortot (Gramophone).
Au piano, mentionnons seulement la ferveur que M. M.-F. Gaillard apporte dans l'interprétation de Debussy. Pagodes et Valse romantique (Odéon) témoignent d'une longue fréquentation de l’œuvre du maître.
Au violon, si M. M. Quiroga atteste une fois de plus sa virtuosité dans la Tarentelle de Sarasate, il montre dans Chant du soir de Schumann qu'il est autre chose qu'un virtuose (Pathé).
Malgré le talent de M. P. Jamet, dans Etude de concert de Tournier, et Prière d'Hasselmans (Pathé), il semble bien que la harpe soit peu favorable à l'enregistrement. Ceux qui n'ont entendu le saxophone que dans le jazz, admireront les étonnantes ressources de cet instrument, utilisé, selon une technique toute classique, par MM. Mule, Chaligne, Painbœuf et Chauvet. Ce quatuor obtient des sonorités d'orgue dans le Scherzo du premier quatuor de Rimski-Korsakov (Gramophone).
Musique ou acrobatie, on ne sait trop, mais Mlle Maria Valente est surprenante lorsqu'elle exécute au xylophone l'Ouverture et le Prélude du 4e acte de Carmen (Odéon).
Enfin, si les virtuoses de l'accordéon abondent, Fredo Gardoni est un des meilleurs, avec le Lac de Côme (Pathé), Parmi les ensembles, mentionnons les balalaïkistes de Scriabine, dans Chanson géorgienne de Rachmaninov (Pathé), plutôt que dans la Mort d'Ase de Peer Gynt, dont le caractère convient peu à cette sorte d'instruments.
Pour la musique de danse, quelques noms et quelques titres ; côté des fox-trots : Cooking breakfast for the one i love, par les Ipana troubadours (Columbia) ; Miss Wonderful, par le House Orchestra (Pathé) ; The man from the South, par Rube Bloom (Columbia) ; Ragamuffin Romeo, par P. Whiteman (Columbia) ; More than you Know, par Ambrose (Gramophone) ; côté des tangos : Misa de once et Comadre, par Pizarro (Pathé) ; Asi es la Vida et No me Olvides, par Canaro (Odéon).
Musique enregistrée – janvier 1931
Puisque le romantisme est à la mode, signalons d'abord quelques œuvres d'un intérêt historique autant que musical, car elles aident à suivre les progrès de l'art romantique. Encore classique dans sa structure, l’ « Ouverture » d'Euryanthe, qui date de 1823, trahit avec timidité les aspirations de la jeune école. Elle est excellemment conduite par H. Rabaud (Pathé). Bien qu'antérieure d'un an, la Symphonie inachevée de Schubert, que nous donne, en trois disques, l'Orchestre symphonique de Philadelphie (Gramophone), est d'un caractère plus accusé. C'est que, dans les deux morceaux qui la composent, si différents de couleur — le tragique funèbre de l'Allegro s'opposant à la sérénité presque mystique de l'Andante — elle a surtout en accent personnel qui est la marque même du romantisme. Romantique également par sa spontanéité, mais délicieux de discrétion et de mesure, est l'adagio du Trio en si bémol du même Schubert, que les artistes du Concertgebouw d'Amsterdam exécutent avec un art consommé (Odéon). Quel contraste avec la fougue effrénée, tumultueuse de Berlioz, dans sa Symphonie fantastique, écrite en 1830 ! Bien des hardiesses d'alors nous paraissent anodines ; néanmoins cette œuvre est, par son outrance même, des plus significatives. La Marche au supplice et le fantastique Songe d'une nuit de Sabbat sont des pages extrêmement colorées (Gramophone).
A côté de cette véhémente tourmente, l'Apprenti sorcier de P. Dukas, malgré son modernisme, fait presque figure d'œuvre classique. N'est-elle pas d'ailleurs désormais classique cette jolie illustration de la ballade de Goethe ? Il faut l'entendre dans l'exécution du maître Toscanini (Gramophone).
La suite du Bourgeois gentilhomme de Richard Strauss (Columbia), commente avec une verve tour à tour gracieuse et moqueuse la comédie de Molière. Ecrite pour un orchestre restreint, cette partition a un air agréablement vieillot ; sans tomber dans le pastiche, elle nous replace dans l'atmosphère musicale du XVIIe siècle. Au contraire, la sélection de valses tirée du Chevalier à la rose du même auteur (Columbia) est du plus pur style viennois. Et puisque noue parlons de musique gaie, signalons une fantaisie sur la Belle Hélène, alertement enlevée par l'orchestre de G. Andolfi (Pathé).
Inspirée d'un poème de Mickiewicz : le Lac des Willis, qui développe une légende analogue à celle de la ville d'Ys, la Ballade en fa majeur de Chopin décrit surtout l'aspect riant du paysage actuel, que trouble par moments l'évocation du drame d'autrefois. Sérénité, horreur tragique trouvent en A. Cortot un interprète également subtil et extrêmement personnel (Gramophone). Pour apprécier pleinement la virtuosité de C. Szreter dans deux Danses hongroises de Brahms, on souhaiterait que la partie d'orchestre fût moins importante. Mais, pour cela même, ce disque forme un ensemble d'une brillante sonorité (Odéon).
Au violon, F. Kreisler donne deux compositions de lui : Shepherd's madrigal et Gypsy caprice, dont la première est simplement agréable, mais dont la seconde, plus curieuse de couleur et d'un chromatisme continu, exige une souplesse et une virtuosité extrêmes (Gramophone). Manuel Quiroga, dans une Jota tour à tour vive et mélancolique de Manuel de Falla et un Tango bien connu d'Albeniz, hérissé par Kreisler de difficultés, marque, avec son art consommé, sa vive compréhension de la musique espagnole (Pathé).
Cette couleur propre à la musique espagnole, c'est surtout dans les chants populaires qu'elle apparaît. On la trouvera pleinement dans la Procession et Amapola, deux chansons interprétées par Encarnita Marzal avec beaucoup de force évocatrice (Columbia), ou encore, avec un art plus apparent toutefois, dans les Chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla, auxquelles Maria Barrientos prête sa belle voix de soprano (Columbia).
Parmi les autres disques de chant, nous avons plaisir à signaler le Duo de Saint-Sulpice de Manon, magnifiquement interprété par M. Fernand Ansseau et Mme Fanny Heldy, Manon vraiment pathétique (Gramophone) ; le grand air de Sigurd « Salut splendeur du jour », que Mme Germaine Lubin interprète avec une belle puissance dramatique, encore que sa diction ne soit pas aussi nette que l'on souhaiterait (Odéon). Le même reproche pourrait s'adresser à Mme Ninon Vallin, qui traduit pourtant avec tant de charme deux exquises mélodies de Fauré : Clair de lune et les Roses d'Ispahan (Pathé). Mme Abby Richardson chante avec beaucoup de mélancolie la Princesse endormie de Borodine et la fameuse Chanson hindoue de Rimski-Korsakov (Columbia). Avec une fougue toute italienne, le solide ténor B. Gigli et le baryton Ezio Pinza, soutenus par l'orchestre et les chœurs du « Metropolitan Opera » de New York, interprètent deux scènes de Lucia de Lammermoor d'une belle écriture vocale (Gramophone). Dans deux airs des Pêcheurs de perles et de Carmen, M. Saint-Cricq fait valoir ses dons de chanteur adroit et émouvant (Pathé). Que ne peut-on faire quand on sait se servir de sa voix ? Il suffit pour s'en rendre compte d'écouter M. Reynaldo Hahn interpréter deux vieilles chansons populaires : le Retour du marin et le Pauvre laboureur (Columbia). Il touche à la perfection.
Dans le genre léger signalons les couplets de l'opérette Enlevez-moi, détaillés avec esprit par M. Gabaroche et Mlle E. de Creus (Pathé) ; signalons aussi les duettistes Leardy et Verly qui continuent, en y apportant une note plus française, le genre illustré par Layton et Johnstone (Odéon).
Musique enregistrée – février 1931
L'enregistrement intégral du Faust de Gounod, sous la direction de H. Büsser (20 disques, Gramophone), et celui du Tannhäuser de Wagner, au théâtre de Bayreuth (18 disques, Columbia) sont deux événements d'importance. On conçoit combien il est intéressant pour les amateurs de musique d'avoir ainsi à leur portée une œuvre complète, surtout lorsqu'elle est interprétée par des artistes de la classe de Mireille Berthon, César Vezzani et Marcel Journet, pour Faust, de Maria Muller, Sigismund Pilinsky et H. Janssen, pour Tannhäuser. On aura une idée de l'effort réalisé, si l'on songe que chacune de ces auditions n'exige pas moins de deux heures et demie d'attention continue. Certains auditeurs trouveront peut-être que c'est beaucoup.
On peut se demander en effet si le plaisir du phonographe ne doit pas être plutôt fragmentaire, et si la variété n'en est pas une des conditions essentielles. Passer d'un air d'opéra, tel que la « Scène du miroir » de Thaïs, supérieurement interprété par Mme Ninon Vallin, une des reines du micro (Pathé), ou le duo de Mireille, agréablement détaillé par Mlle Féraldy et M. Rambaud (Columbia), à une mélodie, soit la Procession de Franck, dont Mme Sibille traduit avec émotion la gravité mystique (Pathé), soit l'Extase ou le Tombeau des Naïades, de Debussy, dont toute la grâce enveloppante et subtile se retrouve sous la voix de Mme Bathori (Columbia), soit encore ces Chants d'Auvergne de Canteloube, dont Mme M. Grey nous avait fait apprécier déjà l'original coloris (Columbia), mais qu'on entend avec un nouveau plaisir dans l'interprétation de Mme M. Soyer (Gramophone) ; écouter ensuite un morceau d'orchestre, par exemple l'ouverture du Barbier de Séville, plus délicieuse encore de fraîcheur et de légèreté dans l'exécution qu'en donne le « Philarmonic symphony » de New York sous l'incomparable direction de Toscanini (Gramophone), ou encore la Sinfonia breve d'Inghelbrecht, dont les trois mouvements, Tranquillo, Pastorale et Final, ont également ce caractère d'élégance discrète et agréable qui marque les œuvres de ce maître (Pathé) ; alterner une page classique, comme le Trio en ré mineur de Mendelssohn, charmant spécimen de musique de chambre, où le trio du Concertgebouw d'Amsterdam apporte son habituelle maîtrise (Odéon), avec quelques morceaux de musique viennoise, tantôt sautillante comme les valses qu'elle évoque, témoin cet agréable pot-pourri sur le Baron tzigane, de J. Strauss, par l'orchestre de Dajos Bela (Odéon), tantôt chargée de la mélancolique nostalgie de l'âme tzigane, comme en ce Lied et Czardas, de F. Lehár, que l'orchestre de W. Wacek exécute avec un sentiment si profond (Pathé) ; savourer l'art d'un virtuose, en écoutant soit Mme Ida Perrin interpréter au piano Mes joies, nocturne de Liszt d'après un chant polonais de Chopin, ainsi que la Deuxième valse caprice de Philip (Pathé), soit M. André Lévy jouer au violoncelle, avec une sonorité un peu voilée, la « Mort d'Ase » et la « Danse d'Anitra » de Peer Gynt (Odéon), ou, mieux encore, M. Pablo Casals phraser sur le même instrument le Chant sans paroles en ré de Mendelssohn et surtout une exquise page de Dvorak : Histoires que ma mère m'a apprises (Gramophone) ; telle nous parait être la meilleure formule.
L'embarras n'est que de choisir dans l'abondante production mensuelle. Pour nous en tenir aux disques de qualité, signalons encore la remarquable Carmen qu'est Mme Conchita Supervia, dont la voix, chaude et prenante, est particulièrement belle dans le grave (Odéon) ; est-ce à sa qualité d'étrangère qu'elle doit cette netteté de diction dont on regrette souvent l'absence chez d'autres artistes ? L'art de Mme Lotte Lehmann fait merveille dans le lied. Sa voix s'élève dans l'aigu sans rien perdre jamais de sa douceur ; aussi l'enregistrement en garde-t-il tout le charme : les quatre disques consacrés à l'Amour et la vie d'une femme, de Schumann, sont d'une absolue perfection (Odéon). Les mêmes lieder sont interprétés par Mme Ninon Vallin (Pathé). Il est intéressant de comparer les deux artistes. C'est aussi avec un art consommé que M. Vanni-Marcoux interprète, en italien, deux mélodies : Il Volontario, et Voi dormite, signora ! D'une musique assez banale, il obtient par la souplesse de sa voix d'étonnants effets (Gramophone).
Parmi les ensembles vocaux, les chœurs de l'église de Saint-Guillaume de Strasbourg méritent une mention particulière, pour leur exécution de la Passion selon Saint-Jean de Bach ; les voix, un peu lointaines, sont admirablement fondues (Odéon). Les Cosaques du Don de Serge Jaroff donnent Deux vieux chants d'épousailles très curieux (Columbia). D'un genre un peu différent, les cosaques balalaïkistes de Scriabine ont aussi une puissante originalité : Prière et Lezghinka de Chamil, Koubagne, Sur la Volga, Qui pleures-tu ? sont des titres à retenir (Pathé).
Signalons, en terminant, un progrès technique réalisé par les « Cellodisc », qui ont l'avantage d'être légers et souples, et qui assurent, par la suppression presque totale du frottement de l'aiguille, une émission à la fois plus douce et plus pure.
Musique enregistrée – mars 1931
D'une inspiration austère, le Concerto de Manuel de Falla pour clavecin, flûte, hautbois, clarinette, violon et violoncelle (Columbia), malgré la qualité de l'exécution et de l'enregistrement, ne donne pas tout l'agrément qu'on en pouvait attendre. Ne serait-ce pas que le clavecin s'accommode mal de la technique moderne ? Mieux vaut réserver cet instrument aux œuvres anciennes, telles que le Rossignol en amour de Couperin ou la « Pastorale » de la Sonate 9 de Scarlatti, que Mme Wanda Landowska exécute avec infiniment de charme et de brio (Gramophone) Peut-être aussi l'inspiration de M. de Falla est-elle plus à l'aise lorsqu'elle s'applique au vieux fonds populaire espagnol. Rien de plus exquis que telles mélodies de lui, par exemple Cancion, Polo et surtout Asturiana, chantées par Mme Ninon Vallin (Pathé), ou certaines pièces comme Nana, berceuse délicatement jouée par Mlle L. Radisse (Odéon). Mais si l'on est friand de couleur espagnole, il faut écouter surtout les disques de la Argentina, dont les castagnettes semblent plus expressives encore lorsqu'elles sont soutenues par un simple accompagnement de piano, par exemple dans la Danse ibérienne de J. Nin (Odéon), que lorsqu'elles se fondent dans un ensemble d'orchestre, comme pour la Habanera de Sarasate (Odéon). Malgré son titre, la Habanera de L. Aubert (Gramophone) est en réalité un poème symphonique qui se déroule, tour à tour emporté et mélancolique, sur un fond de habanera rythmé par les timbales.
Aux amateurs de musique classique nous recommanderons le Concerto en ré majeur pour flûte, de Mozart, finement interprété par M. Moyse (Gramophone), et surtout le Trio en sol mineur de Schumann, rendu avec une parfaite homogénéité par le trio de la cour de Belgique (Columbia). Quelques bonnes réalisations encore : Masques et Bergamasques de Fauré par l'orchestre des concerts Pasdeloup (Pathé), le Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy, dirigé par M. Coppola (Gramophone), Peer Gynt de Grieg, sous la direction de G. Pierné (Odéon). Honegger a conduit lui-même son prélude pour la Tempête (Odéon), mouvement symphonique dont la puissance contraste avec l'enjouement de sa partition du Roi Pausole ; on prendra plaisir à en écouter l'Ouverture, ainsi que l'amusante parodie de la Coupe de Thulé, chantée par Dorville (Odéon). Parmi les opérettes nouvelles, l'agréable Brummell, de Reynaldo Hahn, s'entend volontiers dans les enregistrements qu'en ont donnés les principaux interprètes, notamment le duo « Je vous aimais sans le savoir », par Mlle Sim-Viva et M. L. Arnoult (Odéon).
La récente reprise de Pénélope a remis en vedette l'excellent ténor Muratore ; à ceux qui ne peuvent entendre ce remarquable artiste à l'Opéra-Comique, nous signalons son interprétation des Mélodies arabes de Perez : Son nom, Une jeune fille (Pathé).
Pathé nous offre encore ce mois-ci deux autres disques de chant qui sont réellement de premier ordre : le « récit du Graal » de Lohengrin, par Franz, et les Amours du poète de Schumann, par Mme Martinelli. Une délicieuse révélation : les claires vocalises de Mlle Lily Pons dans l'air de « la Reine de la nuit » de la Flûte enchantée (Odéon). Mlle Lucy Perelli chante avec beaucoup d'émotion vraie Berceuse et Triste est la steppe, de Gretchaninov (Gramophone). Toujours égal à lui-même, M. Vanni-Marcoux ne se surpasse pas dans la « Sérénade » et la « Chanson de la puce » de la Damnation (Gramophone). Le ténor italien R. Zanelli a une voix puissante, mais sèche et dépourvue de timbre. La scène qu'il interprète du 1er acte d'Otello, avec les chœurs de la Scala de Milan est très dramatique (Gramophone).
Parmi les disques de chant détachons encore deux tangos : Mosquita muerta et Caminito chantés par Mlle Alice Cocéa (Columbia) ; Always in all Ways, par Jeanette MacDonald (Gramophone) ; l'Orgue et J'ai peur, deux chansons terrifiantes de Damia (Columbia), auxquelles il sera bon d'opposer la divertissante fantaisie de Marie Dubas, dans Pedro et Butterfly-Tox (Odéon) ; Tout est permis quand on rêve, du film « le Chemin du paradis », par Max Rejean (Pathé).
En diction, la drôlerie des dialogues des deux clowns Antonet et Beby (Pathé) supporte mal d'être privée de l'atmosphère indulgente du cirque les scènes comiques de Bach et Henry-Laverne, le Fauconnier du roi, En chemin de fer (Odéon), ne manquent pas d'humour, mais les voix sont un peu trop fortes ; les Blagues marseillaises de Doumel valent surtout par son savoureux accent (Columbia). Mais une excellente réalisation est la scène des Précieuses ridicules, jouée par G. Berr et Mlle Marie Lecomte (Odéon). Pour être vraiment intéressant, un disque de diction exige d'abord la qualité du texte.
Aux disques de danse et de musique légère, notons The Missouri Waltz et Till we meet again, joliment rendus par les Edge Thomas' Collegians (Columbia) ; Great Day et Monte-Carlo, agréables sélections par l'orchestre New Mayfair (Gramophone) ; et surtout Danse scandinave et la Bohémienne par le Jahrl's Novelty Quintette (Columbia). N'oublions pas l'adroit accordéoniste Gardoni, dans J'ai ma combine et C'est pour mon papa (Pathé).
Musique enregistrée – avril 1931
L'enregistrement en cinq disques du Requiem de Fauré, sous la direction de M. G. Bret (Gramophone) est la pièce de résistance de ce mois. Cet office des morts, imprégné de douceur mystique, compte parmi les plus belles œuvres du maître. Rien de terrifiant ni de rude dans ces pieuses implorations, où s'exprime moins l'horreur de la mort que la sérénité de la paix éternelle. L'enregistrement, effectué dans une tonalité très douce et sans éclat, conserve à l'œuvre son caractère essentiel. Sauf quelques légères réserves quant à la netteté des chœurs — qui sont ceux de la société Bach — la réalisation est très bonne. Les solistes, Mme Mallory-Marseillac et M. Morturier sont excellente, et M. Cellier conduit son orgue avec une grande délicatesse de touche.
Après l'excellent enregistrement de Tannhäuser à Bayreuth, il était périlleux d'entreprendre celui de Werther (15 disques, Columbia). La confrontation des deux méthodes, allemande et française, est sans désavantage pour cette dernière. La mise en place est judicieuse, l'orchestre, dirigé par M. Cohen, et le chant s'équilibrent exactement ; Mme Ninon Vallin (Charlotte) et M. Georges Thill (Werther) savent assouplir leurs belles voix aux exigences du micro ; celle de Mlle Feraldy (Sophie) est moins docile.
Si les « Danses » de Mârouf dirigées par M. Coppola (Gramophone), déçoivent un peu, malgré de jolis passages, un enregistrement parfait, au contraire, est celui de Siegfried Idyll, sous la direction de Bruno Walter (Columbia). Tout y est fondu et distinct à la fois. Fort louable également est l'édition du Camp de Wallenstein de Vincent d'Indy (Pathé) sous la direction du maître lui-même, qui, longtemps réfractaire au phonographe, se décide enfin à sacrifier au nouveau dieu. Il n'a pas à le regretter. Cette page pittoresque et haute en couleurs, écrite en 1874, a une fougue juvénile très séduisante. Mentionnons encore une bonne exécution de la Marche héroïque de Saint-Saëns par l'orchestre des concerts Colonne, conduit par G. Pierné (Odéon)
La trop fameuse Légende de la sauge, qui agace bien des gens, aurait-elle agacé aussi son interprète, M. Vanni-Marcoux (Gramophone) ? Il la chante comme un pensum, d'une voix trop constamment soutenue et dépourvue d'émotion. M. Franz apporte plus de conviction généreuse dans l'air de Joseph, de Méhul (Pathé) ; il s'y montre l'excellent ténor d'opéra que l'on connaît. Mais le plus délicat plaisir nous est donné par M. G. Jouatte, dans la « Chanson du printemps » de la Walkyrie et le Chant de la puce de Moussorgski (Odéon). Intelligence, diction très nette, ampleur de voix exactement dosée, ce sont là des qualités particulièrement précieuses chez cet excellent ténor. C'est par les mêmes mérites que valent les très remarquables interprétations de la Vie antérieure, de Duparc, par Mme Martinelli (Pathé) et du Lamento du même auteur par Mme Croiza (Columbia).
Il faut toute l'intelligence et la virtuosité de Ricardo Vinès pour traduire au piano l'originale invention de Manuel de Falla dans l'Amour sorcier (Columbia). La « Danse rituelle du feu » et la « Danse de la frayeur » sont interprétées de façon saisissante. A ceux qui préfèrent une musique plus classique, nous signalerons une solide et très sensible exécution du Scherzo en si bémol mineur de Chopin par J. Dupont (Pathé), ainsi qu'une traduction pleine de légèreté et de grâce du Rondo capriccioso de Mendelssohn, par Léon Kartun (Odéon). Il convient aussi de louer la souple délicatesse de Mlle Carmen Guilbert dans la 6e Barcarolle de Fauré, d'une excellente mise au point (Pathé).
La sonorité du violoncelle de M. Maurice Maréchal dans Dimanche de Pâques sur la mer de G. Dupont, et Lamento indien de Dvorak-Kreisler (Columbia) a une sécheresse, imputable plutôt à l'enregistrement qu'au jeu, joliment nuancé, de l'exécutant. Par contre, M. Jacques Thibaud a droit à tous les éloges pour sa parfaite interprétation au violon du Déluge de Saint-Saëns et surtout de la « Danse espagnole » de la Vie brève de M. de Falla (Gramophone). Voilà un disque hante qualité. Dans Czardas de Monti et Minuetto de Bolzoni, M. A. Locatelli fait preuve d'un sentiment juste et d'une agréable virtuosité (Odéon).
Parmi les disques de danses nous relevons un très amusant fox-trot par Jack Hylton : We all go Oo, Ha, ha ! together (Gramophone), une pittoresque orchestration de Mon cocktail d'amour par Dajos Bela (Odéon) ; le Jeffry's Jazz interprète plus sagement A quoi bon, tango et Avoir un bon copain, one-step (Pathé) ; signalons encore de P. Whitemann, Body and Soul, fox-trot (Columbia), de Guy Lombardo, Swinging in a hammock, slow fox-trot (Columbia).
Musique enregistrée – mai 1931
Le brillant succès qu'a remporté, au Théâtre Mogador, la reprise de la Vie parisienne, dont la musique est restée étonnamment alerte malgré ses soixante-cinq ans, nous vaut une abondance de disques. Tandis que l'orchestre de G. Andolfi exécute dans un mouvement très vif une trépidante Fantaisie (Pathé), l'orchestre de Mogador, dirigé par M. Diot, nous donne le fameux Quadrille (Odéon). F. Oudart chante avec beaucoup de verve le Rondeau du Brésilien et les Couplets du major (Pathé) ; Henry-Laverne a de la fantaisie dans l'air « Elles sont tristes, les marquises » (Odéon) ; la voix légère de Mlle Régelly détaille avec malice le Rondeau de la lettre (Odéon) ; Mlle Sibille sait assouplir son beau soprano dans les Couplets de la Parisienne (Pathé). Tout cela est plein d'entrain et de gaîté.
Dans les pièces d'orchestre, nous signalerons trois œuvres marquantes : le Carnaval romain de Berlioz, cette seconde ouverture de Benvenuto Cellini, dont l'orchestre des Concerts Pasdeloup, sous la direction de M. Inghelbrecht, donne une interprétation colorée et chaude (Pathé) ; l'Entr'acte de Messidor, de Bruneau, hymne d'une ferveur mystique à la splendeur de la terre, supérieurement exécuté par l'orchestre des Concerts Colonne, conduit par G. Pierné (Odéon) ; enfin le Tombeau de Couperin, une des pages les plus exquises de Ravel, où les adroites réminiscences de musique ancienne s'enrichissent des plus délicates subtilités de l'orchestration moderne (Gramophone). L'enregistrement est excellent, et il faut louer autant les « ingénieurs au son » que l'orchestre du Conservatoire et son chef P. Coppola.
C'est aussi une parfaite réussite que l'enregistrement au piano de la Ballade en fa mineur de Chopin par A. Cortot (Gramophone). L'œuvre a un charme extrême, qui, admirablement traduit par l'intelligence de l'artiste, transparaît tout entier sous l'aiguille, sans aucune déformation. Mentionnons aussi la belle sonorité de J. Dupont dans l’Etude op. 10, du même Chopin (Pathé). Au piano encore, Yves Nat nous montre une nouvelle et très délicate forme de son talent dans les Scènes d'enfants, de Schumann (Columbia). Arriver à mettre tant de personnalité dans l'interprétation de pièces dites faciles, c'est, au fond, un tour de force.
Ceux qui n'ont pu entendre le ténor Tito Schipa à la Salle Pleyel le 12 ou le 20 mai seront dédommagés en l'écoutant dans Ideale et Marechiare, de Tosti (Gramophone). Admirable dans les grands airs lyriques, Chaliapine ne l'est pas moins lorsqu'il interprète des chansons populaires, comme Down the Petersky, ou Maschenka (Gramophone). Il trouve d'extraordinaires modulations, et, parfois, quelque chose de sauvage traverse son chant. Maschenka surtout, qu'il chante sans accompagnement, produit beaucoup d'effet, Sûr de sa voix, Vanni-Marcoux « italianise » peut-être trop complaisamment dans l'Ultima canzone et Segreto de P. Tosti (Gramophone). Une chose exquise est Paysage d'or, du compositeur antillais Maïotte Almaby, délicatement chanté par le ténor Villabella (Pathé). L'autre face du disque, Amour inquiet, est une mélodie plus banale. Il faut entendre Paysage d'or.
Les fervents de Dranem l'écouteront dans Mes maudits maux de reins (Pathé), quoique le genre « scie » perde beaucoup au phono. Les disques comiques de qualité sont rares. Parmi ceux-là il faut signaler la Cinquantaine, de Courteline, où Marg. Moreno fait valoir ses remarquables dons de fantaisiste (Odéon). Dans la scène du troisième acte de Tartufe, Léon Bernard exprime toute l'âme papelarde du personnage. Excellent disque d'enseignement (Pathé). Le même artiste dit aussi avec brio la « tirade des nez » et celle des « Non, merci » de Cyrano (Pathé). On souhaiterait un débit plus rapide, mais sans doute l'artiste a-t-il voulu sauvegarder la netteté de la diction. G. Berr et Dehelly donnent de leur côté une spirituelle interprétation du premier acte du Barbier de Séville(Odéon).
Le film le Petit café a suscité une série de disques sur les deux airs : « Mon idéal » et « Quand on tient l' coup ». Ni l'un ni l'autre ne sont pourtant très attrayants, qu'on les entende avec Jean Granier (Pathé) ou Ray Ventura (Odéon) ou même enjolivés des trouvailles de Jack Hylton (Gramophone). Plus entraînant est le fox-trot du film Marions-nous : « Moi, je n' fiche rien », chanté par R. Burnier et F. Gravey (Pathé). Plus pittoresque surtout le fox-trot Choo-Choo, par Jack Hylton, qui est vraiment de la musique comique (Gramophone). L'orchestre argentin Canaro donne deux disques intéressants : d'une part Linyera, tango qui a eu le premier prix au concours de Buenos-Aires de 1930, et En el silencio de la noche, valse criollo, d'un joli mouvement ; d'autre part, Sueno de Arrabal, tango également primé, et Pegandole al Cimarron, amusante ranchera (Odéon).
Musique enregistrée – juin 1931
L'effort des maisons d'édition semble s'être ralenti pendant le mois de juin. Certes, les disques de danses abondent, et nous en pouvons détacher deux tangos chantés par Carlos Gardel : Almagro et Pajarito (Odéon) ; une jolie valse, pittoresquement orchestrée : Mon amour, quand je danse avec toi, par Lewis Ruth Band (Gramophone) ; deux amusants fox-trots : Sing et Three little words, par the Ipana Troubadours (Columbia). Le rayon « romances », avec l'afflux des films sonores, n'est pas moins fourni. Le music-hall même triomphe avec l'enregistrement intégral du sketch comique de Grock (Odéon), en quatre disques, auxquels il ne manque que la vision de l'artiste, avec son accoutrement, ses jeux de physionomie, ses attitudes ; c'est malheureusement beaucoup !
Quant à la vraie musique, c'est à peine si, parmi les pièces d'orchestre, on en trouve deux ou trois à citer : la Valse, de Ravel (Gramophone), dont Mme Ida Rubinstein donne précisément ce même mois une traduction chorégraphique, et que voudront entendre les fervents de ce musicien, encore que son talent si subtil s'accommode assez mal, semble-t-il, des conditions trop étroites de l'enregistrement ; Sevilla, de Turina (Odéon), œuvre d'un coloris très personnel, dont la technique originale nous repose agréablement des traditionnelles conventions de la musique dite espagnole ; c'est un très bon disque ; l'ouverture du Freischutz, de Weber, dont l'orchestre de M. Philippe Gaubert traduit excellemment le romantisme encore ingénu (Columbia). Ajoutons encore un adroit pot-pourri de Finck, More melodious memories, où se joue la virtuosité des musiciens de Jack Hylton (Gramophone), et aussi une exécution très animée et très sonore du célèbre quadrille de la Vie parisienne, par l'orchestre G. Andolfi (Pathé).
Au violon, trois artistes, trois tempéraments : le jeune prodige Yehudi Menuhin, dans l'adagio du Concerto en sol majeur de Mozart, fait preuve d'une rare émotivité, qui toutefois ne ralentit ni ne trouble la limpidité de son jeu ; et celui-ci, dans Sarabande et Tambourin de Sarasate, channe par son agile souplesse (Gramophone). Bronislaw Hubermann vaut surtout par ses qualités de douceur et de chant dans la Valse en la majeur de Brahms : il arrive même, dans l'Aria de Bach sur la corde de sol, à donner à son instrument la tonalité et l'ampleur du violoncelle (Odéon). Plus nerveux, M. Quiroga témoigne d'une virtuosité acrobatique, mais toujours mélodique, dans Zapaterado de Sarasate et Sérénade espagnole de Chaminade. Il y a chez lui un brio inégalable qui s'allie à une grande richesse de sentiment (Pathé).
Jacques Dupont, interprète subtil de Chopin, exécute avec beaucoup de sûreté mais avec un peu trop de sècheresse mécanique le 24e prélude ; ce léger défaut disparaît dans la 13e mazurka, qu'il joue au contraire d'une façon délicieuse et pleine de charme (Pathé). Dans la Cathédrale engloutie de Debussy, Arthur Rubinstein atteste un sens dramatique d'une élégante sobriété ; la même élégance marque son interprétation du gracieux Capriccio en si mineur de Brahms (Gramophone).
Parmi les autres instruments, signalons, au saxophone, Liebesfreud de F. Kreisler et Humoresque de Dvorak, délicatement phrasés par Viard, dont l'instrument a une très riche sonorité (Pathé), et, au cymbalum, Caprice tzigane et Air hongrois de Racz, exécutés par l'auteur avec une virtuosité effarante. Cet instrument bizarre, qui tient du piano et du clavecin, acquiert une singulière puissance sous les marteaux diaboliques de Racz, que l'on a justement surnommé « le Liszt du cymbalum » (Columbia).
Beaucoup d'amateurs de phono goûtent — avec raison — le nasillement languide et mélancolique de la guitare hawaïenne. Nous leur indiquons Moonlight in Hawaii, fantaisie plaintive (Odéon), et surtout Kamiki Hula, exécuté par le trio hawaïen Ricada-Mathorez, où à la guitare hawaïenne se marient la guitare espagnole et l'ukulele (Columbia). Aux plaintes nostalgiques des hawaïens s'oppose la fougue des balalaïkistes russes, soit ceux de Tchernoyarov, avec la Russie sous la neige (Odéon), soit ceux du « Prado » conduits par G. Gladirevski, dans la Clairière (Pathé).
Notons une très belle réalisation des Murmures de la forêt, où le ténor Franz est un Siegfried bien disant et à la voix d'une chaleureuse jeunesse (Pathé). Voilà un disque français qui soutient hardiment la comparaison avec les meilleures productions étrangères. Par ailleurs, Mlles Cernay et Gauley chantent fort agréablement le duo du 1er acte du Roi d'Ys (Odéon). Mais leur art n'atteint pas à la maîtrise de Mme Ninon Vallin, dans deux mélodies de R. Strauss : Rêve crépusculaire et Sérénade (Odéon). Volume justement mesuré de la voix, sentiment, diction, tout s'y retrouve.
Que M. G. Martinelli soit un ténor italien, il suffit, pour s'en convaincre de l'écouter chanter le grand air de Paillasse (Gramophone), tant les sanglots qui se mêlent à son chant trahissent sa nationalité ! Il a d'ailleurs une voix solide et chaude. On peut néanmoins préférer l'art plus sobre de notre ténor Villabella, qui, dans l'air de la Tosca « le Ciel luisait d'étoiles », fait valoir, sans exagération inutile, la belle étendue et la sonorité de sa voix (Pathé).
Musique enregistrée – juillet 1931
Que mettrons-nous dans la mallette à disques, au moment du départ pour les vacances ? Quelques disques de danse, naturellement : un tango très dansant, chanté par Man. Pizarro, Clavel del aire (Pathé), un fox-trot de Jack Hylton, Thank your father (Gramophone), un paso-doble de J. Lucchesi, Vuelta al Ruedo (Gramophone), accompagné des castagnettes alertes de Manuela del Rio, une valse de Dajos Bela, Trink, trink (Odéon), ou, si l'on préfère les sonorités un peu canailles de l'accordéon, deux valses exécutées avec brio par Alexander, l'Oasis et le Tourbillon (Columbia).
Mais on ne peut pas toujours danser. Pour les heures de repos, nous réserverons une agréable fantaisie valse sur des airs russes, Promenade sur le Volga, jouée par l'orchestre de Dajos Bela (Odéon). Il y a dans cette page beaucoup de couleur ; nous choisirons aussi deux morceaux de Ketelbey : la Pendule et les figures de porcelaine, et Au jardin d'une pagode chinoise (Gramophone). L'art de Ketelbey est très habile : ses compositions semblent écrites en vue de la reproduction mécanique, tant elles se prêtent aux moindre exigences de l'enregistrement : les différents timbres y sont adroitement utilisés. Les suites de valses du Comte de Luxembourg et d'Amour tzigane, exécutées par l'orchestre de Mischa Majowski (Pathé), berceront agréablement l'heure du porto.
Aux heures chaudes de la journée, à la campagne, il faut entendre le Festin de l'Araignée, d'Albert Roussel, conduit par l'auteur (Pathé). A propos de l'édition qu'en a donnée naguère Columbia, nous avons dit déjà tout le charme de ce poème musical d'un modernisme si délicat. L'exécution de Columbia avait peut-être plus de moelleux ; celle-ci vaut surtout par le fini et le soin du détail : le chant de flûte du prélude, le pizzicato qui enveloppe le vol du papillon, le mouvement de valse qui accompagne la danse de l'éphémère, tout cela est rendu avec un souci de perfection qui n'altère jamais l'atmosphère lumineuse et aérienne de l'ensemble.
Sous le ciel mélancolique de Bretagne, on goûtera davantage la Cloche des morts, de Guy Ropartz (Pathé) : c'est un paysage breton d'une exacte tonalité. Un autographe vocal de l'auteur nous apprend que cette page fut composée en 1887, et qu'elle commente un air populaire de basse Bretagne, le chant des trépassés.
Mais voici encore de la lumière et de la joie, avec la Pastorale d'été d'A. Honegger (Odéon). Il y a chez ce musicien une telle plénitude de dons qu'il arrive à unir l'inspiration la plus classique au déploiement orchestral le plus moderne, le tout avec une exacte mesure et sans exagération. Echos de danses provençales, appels lointains de cors, agrestes chants de flûtes parent ce poème symphonique de couleur, de soleil et aussi de fraîcheur.
Parmi les instrumentistes, vous n'aurez que l'embarras du choix. Le piano de Cortot n'a pas, cette fois, semble-t-il, son habituelle plénitude. Mais la personnalité de l'artiste s'affirme toujours dans deux pièces d'Albéniz : Malaguena et Seguidillas (Gramophone). Vous pourrez avoir aussi le privilège d'entendre le grand prix de Rome de cette année, Jacques Dupont, dans une douce et poétique Berceuse de Chopin, d'un enregistrement très louable (Pathé). Blanche Selva et le violoniste Jean Massia interprètent avec une rare sensibilité la Sonate op. 24 de Beethoven (Columbia). Au violon, Mischa Elman fait valoir son beau tempérament d'artiste et de virtuose dans le Nocturne en ré bémol majeur de Chopin. Il exécute aussi avec beaucoup de sentiment un chant religieux de Mendelssohn (Gramophone).
Il faut aussi du chant dans la mallette ! Le baryton Endrèze, à la voix chaude et à l'articulation précise, vous dira le Rondel de l'adieu, d'I. de Lara, et un air de Messaline, du même auteur (Odéon). Cet excellent chanteur rivalise avec les meilleurs. Autre baryton, M. Musy vous chantera le grand air de Benvenuto Cellini, mais vous écouterez plus volontiers sa spirituelle interprétation de l'air de Coppelius, des Contes d'Hoffmann (Gramophone). Le ténor allemand Tauber apportera autant de douceur et de sentiment à détailler deux airs aimables, tirés du Pays de sourire, de F. Lehár (Odéon), qu'il met de puissance à traduire les poèmes dramatiques de Wagner. Ceux-ci trouveront toujours dans Franz un interprète remarquable, ainsi qu'il en témoigne dans le Chant des Pèlerins retour de Rome, du Tannhäuser (Pathé). Il convient de jouer ce disque avec une aiguille douce. Le ténor Devriès vous charmera dans l’ « Invocation à la nature » de Werther (Odéon), encore que le souvenir de G. Thill dans le même morceau (Columbia) suscite une lourde comparaison. Mais il y a entre Devriès et Thill la différence entre un ténor d'opéra-comique et un ténor d'opéra. Il faudra garder aussi une place pour Mme Ninon Vallin, dans deux mélodies de R. Hahn, le Printemps et l'Air (Odéon), ainsi que pour Mme Martinelli, dans la pure Phydilé de Duparc (Pathé).
Un disque surprenant qui, par son étrangeté, mérite d'être classé à part est l'enregistrement des plaintes et des chants du mur des lamentations de Jérusalem (Columbia). Le passage alterné du chant à la plainte est effectué par l'interprète, Rowina, de façon saisissante. L'autre face du disque, le Chant de vie, par les chœurs du théâtre Habima, n'est pas moins curieuse.
Enfin, si mesurée que soit la place, il faut en réserver une pour le dernier enregistrement de l'humoriste Betove : Abouche ta bouche avec ma bouche, opérette trépidante à la mode américaine, qui est bien une des plus amusantes cocasseries que le disque nous ait données (Odéon).
Musique enregistrée – août 1931
Après la Vie parisienne au théâtre Mogador, Offenbach a triomphé encore ces derniers mois à l'Opéra-Comique avec les Brigands, dont la création remonte au 10 décembre 1869. A quoi tient la vogue de cette musique, vous le comprendrez en écoutant soit les « couplets de Fiorella », par Emma Luart, soit les « couplets du caissier », par M. Duvaleix, ou encore le « Trio des marmitons » par Mme Luart et MM. Carpentier et Payen (Odéon). La Comtesse Maritza, autre succès de l'année, peut être entendue soit dans le pot-pourri qu'en donne l'orchestre de Dajos Béla (Odéon), soit dans une Fantaisie exécutée par l'orchestre du théâtre Mogador (Columbia), soit dans les deux fragments, « Joue, tzigane » et « C'est pour un baiser », que chante l'excellent baryton A. Baugé (Pathé). Mais reprendra-t-on dans soixante ans la Comtesse Maritza ?
Parmi les disques de chant, nous signalerons particulièrement deux airs de la Tosca et de la Manon de Puccini, dans lesquels le ténor Gigli déploie son extraordinaire puissance vocale : c'est l'art italien dans sa plénitude (Pathé). Avec des moyens moins étendus, le ténor Saint-Cricq fait preuve d'une délicatesse plus grande dans la Chanson de l'adieu de Tosti (Pathé), dont nous signalions l'an dernier l'interprétation par Caruso (Gramophone). L'intensité dramatique de Chaliapine s'atteste une fois de plus dans la Sérénadeet l'air du Veau d'or de Faust, qu'accompagnent les chœurs de l'Opéra (Gramophone). Un long extrait du troisième acte du même Faust est supérieurement interprété par Mme Nespoulous, MM. G. Thill et F. Bordon. C'est toute la scène du Jardin qui est inscrite sur ces deux disques d'une remarquable exécution (Columbia).
La plus intéressante pièce d'orchestre est certainement le Carnaval des animaux, de Saint-Saëns, exécuté par l'orchestre symphonique de Philadelphie sous la direction du maître Stokowski (Gramophone). On connaît ce chef-d’œuvre d'humour, au milieu duquel le cygne vient apporter sa grâce délicate ; les trois disques sur lesquels il est inscrit sont d'une grande perfection d'enregistrement. Signalons encore une bonne exécution de la Rhapsodie hongroise N° 4 de Liszt, par l'orchestre Halle (Columbia). L'habileté du compositeur Ketelbey, qui utilise si adroitement toutes les ressources de l'enregistrement électrique, se marque encore dans une agréable page : Dans les eaux bleues hawaïennes (Odéon). Musique facile, mais très plaisante.
Entre les instrumentistes, notons le pianiste Jacques Dupont, qui traduit avec une vive sensibilité et une grande clarté d'enregistrement la tristesse si prenante de la 4e Ballade de Chopin (Pathé). Viard nous donne ce mois-ci le Clair de lune de Fauré (Pathé), et se montre une fois de plus un virtuose du saxophone, doublé d'un réel artiste. Les sonorités naturellement un peu nasillardes de la clarinette s'accommodent parfaitement de l'enregistrement phonographique, et la Canzonetta de Pierné est excellemment mise en valeur par L. Cahuzac (Odéon). Dans une Danse bavaroise de sa composition, l'accordéoniste Marceau prouve que l'accordéon n'est pas exclusivement réservé aux javas populaires (Odéon)
Dans les disques de diction, on se divertira à écouter les nouveaux Dialogues conjugaux (Madame achète un chien ; Madame fait des économies) de Koval et Gaby Benda (Pathé). Signalons aussi deux poèmes de R. Ponchon, le Gigot et la Soupe à l'oignon, que Léon Bernard dit de façon à vous en faire venir l'eau à la bouche (Pathé). Enfin il faut entendre Léon Daudet célébrer sa Provence et faire l'Eloge du vin (Columbia). Il ne saurait, cette fois, trouver de contradicteurs.
Musique enregistrée – septembre 1931
Le baryton Endrèze est assurément, parmi nos chanteurs, un de ceux dont la voix est le plus phonogénique. Cette réussite est due tant à la plénitude du timbre qu'à la rare netteté de l'articulation. Le chant est agréablement nuancé, mais sans aucune exagération des accents. On ne saurait mieux interpréter la Procession et Nocturne, ces deux belles pièces de C. Franck (Odéon). Le même artiste chante avec beaucoup d'autorité et, surtout, en évitant l'écueil si facile de vulgarité, les couplets du toréador de Carmen (Odéon). L'autre face de ce disque nous donne le fougueux duo du troisième acte, entre Escamillo et don José : le ténor Micheletti est pour Endrèze un excellent partenaire.
Fort belle aussi est la voix du ténor R. Verdière : elle tient sans fatigue les notes élevées et n'a jamais de ces résonances criardes que l'aiguille amplifie si fâcheusement. Les deux morceaux qu'il chante, tirés de Lohengrin et de Parsifal (Odéon), offrent en outre l'intérêt de nous présenter côte à côte deux aspects de l'inspiration wagnérienne : tandis que Lohengrin est encore imprégné d'italianisme, nous touchons, avec Parsifal, à un art de pure spiritualité.
Plus métallique est la voix du ténor Villabella, et il lui faut faire effort pour mettre toute la douceur voulue dans deux airs d'un charme pénétrant, tirés de l'Illustre Frégona : « Peut-être au soir ? », et « Mélancolique, tombe le soir » (Pathé).
Parmi les voix de femmes, il faut louer celle de Mlle Eidé Norena, soprano d'une souplesse extrême : elle vocalise délicieusement dans la Voix du printemps de J. Strauss, et se joue des chromatismes de l'Hymne au soleil de Rimski-Korsakov (Odéon), où sa voix a la docilité d'un instrument.
Toute de même, si l'on souhaite une diction nette, c'est plutôt aux chanteurs de music-halls qu'il faut s'adresser. Leur voix n'est souvent pas très étendue, mais ils savent la conduire et, surtout, ont le souci d'articuler. Aussi sont-ils à l'aise devant le microphone d'enregistrement. Il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter Jean Sorbier chanter deux airs des films Nuits de Venise et David Golder (Columbia), ou encore Max Réjean dire : « Mon amour quand je danse avec toi » et « C'est suffisant pour des amants » du film Princesse à vos ordres ! (Pathé).
Deux chants empruntés au folklore indien et arrangés avec beaucoup d'adresse par Mme Herscher Clément : Danse du nuage et Danse du soleil sont interprétés avec une suffisante couleur d'exotisme par le chef Peau-Rouge Os-ko-mon, dont on attendrait la voix plus gutturale. L'accompagnement offre des timbres curieux (Odéon).
La musique instrumentale est assez pauvrement représentée ce mois-ci. Quel besoin d'exhumer l'ouverture de Il Guarany, vieil opéra de C. Gomès, qui fut créé à Milan en 1870, et qui n'est qu'un reflet des pires procédés de Verdi et de Meyerbeer ? (Pathé). Le bon orchestre Andolfi pouvait mieux s'employer. Mieux vaut encore écouter la Suite orientale de Popy, d'une écriture bien conventionnelle, quoique élégante, et dont l'orchestre de Marek Weber s'efforce d'animer les bayadères et les almées, aux grâces aimables mais peu authentiques (Gramophone). La Marche slave de Tchaïkovski a une couleur ethnique plus marquée. Le London Symphony Orchestra, sous la conduite de M. Albert Coates, en donne une exécution vigoureuse, qui fait ressortir la richesse des timbres et la franchise du rythme (Gramophone).
Nous n'avons pas retrouvé en écoutant le scherzo du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, exécuté par l'orchestre des Concerts Colonne, sous la direction de G. Pierné (Odéon), l'émerveillement que nous avait causé le même morceau dirigé par Toscanini (Gramophone). L'interprétation et l'enregistrement sont néanmoins très bons. Un second disque, qui contient du même poème symphonique le Nocturne et la fameuse Marche nuptiale, forme avec le premier un ensemble très intéressant (Odéon). Le Concertgebouw d'Amsterdam donne une traduction, de tous points remarquable, de l'ouverture de Léonore n° 3, de Beethoven (Columbia). Il semble difficile de mieux rendre l'esprit de cette ouverture qui est, en réalité, un véritable poème symphonique ; cette exécution est supérieure à celle que nous connaissions déjà, du New Queen's Hall Orchestra (Columbia). Enfin signalons une brillante valse de Strauss, les Mille et une nuits, par le British Symphony Orchestra, ayant à sa tête le maître Weingartner (Columbia).
Parmi les instrumentistes, nous noterons une Etude op. 10 de Chopin, et une Etude op. 8 de Scriabine par le pianiste russe Gourévitch, dont le jeu un peu sec manque parfois de nuances, rosis qui fait bien sonner son instrument (Pathé). Nous avons signalé déjà l'étonnante virtuosité sur le cymbalum d'Aladar Racz ; elle ne se dément pas dans une Danse roumaine (Columbia). Virtuoses du biniou et de la bombarde, Salaun et Bodivit concertent dans deux airs de Bretagne : Sao-Breiz izel et la Marche des lutteurs bretons(Odéon). Leur jeu est pittoresque, mais les instruments paraissent bien grêles sous l'aiguille.
Aux disques de diction nous ne pouvons manquer de recommander à ceux qui n'ont pas vu Topaze d'entendre les quatre disques qui reproduisent quelques-unes des meilleures scènes, notamment la Leçon de morale, la Scène des vespasiennes, le Coup de téléphone (Pathé). Ceux qui ont vu cette pièce auront plaisir à en retrouver les créateurs : Lefaur, Pauley, Jeanne Provost. Les voix sont bien posées.
Si grand que soit le talent de Féraudy, il faut regretter qu'au disque ses sifflantes... sifflent avec trop d'exagération. Ce léger défaut gâte un peu le plaisir qu'on a à écouter cet excellent artiste dans quatre spirituelles poésies, dont trois : A la Madeleine, la Plainte des fleurs, les Amoureux, sont charmantes (Pathé). Sied-il d'incriminer l'enregistrement ? Nous ne le croyons pas, car cette défectuosité devrait se retrouver toujours. Or, rien de semblable n'apparaît dans le Monologue de Figaro que Georges Berr détaille avec une émotion pleine d'amertume et d'âpreté et surtout une perfection de diction qui donne à ce disque toute sa valeur (Odéon).
Musique enregistrée – octobre 1931
Parmi les compositeurs, Ravel figure en bonne place dans les éditions du mois, avec trois œuvres également intéressantes. Toutefois, au Trio, d'une précision un peu sèche, correctement exécuté par M. Merckel, Mme Marcelli-Herson et Mlle Zurfluh-Zenroe (Gramophone), on préférera peut-être la Rapsodie espagnole, qui, par la richesse du pittoresque et l'élégante nervosité des rythmes, est une des œuvres capitales du maître. L'orchestre Colonne, conduit par G. Pierné, a su traduire la fluidité de cette musique, que l'enregistrement a, de son côté, respectée (Odéon). Un enregistrement également remarquable est celui de l'Alborada del Gracioso, dont l'orchestre Straram rend parfaitement l'élégance spirituelle (Columbia). Signalons, d'autre part, une bonne exécution du poème symphonique de Balakirev, Thamar, par l'orchestre du Conservatoire sous la direction de P. Coppola (Gramophone), et, pour les amateurs de musique moins austère, les Evocations arabes, d'Abita, deux pièces d'une jolie couleur — surtout celle qui a pour titre Dans un café maure — écrites d'après des thèmes arabes authentiques (Pathé).
En dépit des résistances que le piano offre encore à une transposition exacte sur la cire, la virtuosité et la sensibilité d'artistes tels que Paderewski, Kartun, R. Viñes font oublier les imperfections, d'ailleurs minimes, de l'enregistrement. Dans deux Préludes de Debussy : le Vent dans la plaine, et Minstrels, Paderewski fait montre d'une extraordinaire légèreté de touche qui dégage les moindres intentions de l'auteur (Gramophone) ; on ne saurait, croyons-nous, rendre mieux que Kartun la couleur mélancolique de la 3e Etude ou la grâce aérienne des Valses 11 et 51 de Chopin ; la sonorité est, par surcroît, excellente (Odéon) ; interprète né des modernes, R. Viñes exprime dans deux pièces de Turina : les Jardins de Murcie et Miramar, toute la personnalité de ce compositeur, chez qui l'originalité de la technique s'allie au respect de la tradition (Columbia).
Au violon, nous nous bornerons à mentionner deux morceaux très chantants : Cloches de minuit et le Vieux refrain, interprétés par Kreisler avec son habituelle maîtrise (Gramophone).
Au violoncelle, l'austère Sarabande de la Première suite en sol de Bach et la Sérénade, aux sonorités un peu déconcertantes, de Samazeuilh font valoir surtout la grande sûreté d'exécution et aussi la sûre musicalité de Marix Lœvensohn (Odéon). Moins puissant peut-être, V. Pascal donne cependant un plaisir plus complet avec le Nocturne en fa dièse majeur de Chopin, et Goyescas de Granados (Gramophone).
L'organiste Commette, servi par l'acoustique de la cathédrale de Lyon, qui s'adapte merveilleusement à l'enregistrement phonographique, donne la Marche nuptiale et l'Allegro molto de la sixième sonate de Mendelssohn (Columbia). Pour donner toute son ampleur, un tel disque exige la reproduction électrique.
La scie musicale se marie agréablement à la guitare hawaïenne : leurs timbres arrivent même à se confondre sous l’aiguille ; l'orchestre de Nullo Romani soutient ces deux instruments dans Nuits napolitaines et Valse de minuit (Columbia).
Les disques de chant n'apportent rien de sensationnel, à l'exception toutefois d'un très bon enregistrement du ténor allemand Richard Tauber : das Lied ist aus, et Adieu mein kleiner Garde offizier (Odéon). Sa voix chaude et souple, adroitement conduite, est, en outre, servie par une diction très nette. Egalement bien timbrée est la voix du ténor Marino, qui chante avec beaucoup de charme une mélodie : Si j'étais un rayon de lune, et une barcarolle, avec accompagnement de guitare et de mandoline : la Chanson des étoiles (Pathé).
Aux bons artistes de music-hall que nous signalions le mois dernier, il faut joindre Jovatti, qui excelle dans la chanson sentimentale. Pour qui aiment les bostons et les tangos chantés, nous indiquerons : Ton si troublant baiser, et Vers toi, je reviens (Pathé).
Parmi les disques de danse, signalons un bon fox-trot, Ho Hum, par Ambrose et son orchestre (Gramophone) ; un tango bien rythmé, Criolla Linda, par l'orchestre Brodman-Alfaro (Gramophone) ; deux fox-trots pleins de verve par le jazz de Tom Waltham : Quand on s'en va, et Si l'on ne s'était pas connu (Pathé), et surtout les valses, mazurkas et polkas exécutées avec beaucoup d'entrain par l'orchestre villageois polonais ; citons quelques titres : Valse réséda, Krakowiak, Dans les bois, valse, les Nôtres arrivent, mazurka (Pathé).
Musique enregistrée – novembre 1931
La production marquante de ce mois est une sélection en dix disques de la Damnation de Faust, de Berlioz (Gramophone) ; elle offre les pages les plus caractéristiques de cette splendide symphonie dramatique, chef-d’œuvre du romantisme musical. Le rôle de Faust a été confié à M. J. de Trévi, dont la voix, ample et sonore à souhait, a peut-être, dans les duos, un peu trop de volume pour celle de Mlle Mireille Berthon, qui tient avec beaucoup de sensibilité le rôle de Marguerite ; M. Panzera est un excellent Méphisto, qui se montre aussi bien caressant dans l’ « Air des roses » que sardonique dans la « Sérénade », et qui, par surcroît, articule très nettement. Il faut aussi louer la chorale Saint-Gervais qui traduit les chœurs avec une rare délicatesse de nuances. Soulignons au point de vue technique, la parfaite mise en place des voix et l'exact dosage de l'orchestre. Quelques heureuses réussites sont également à signaler parmi les disques de chant. Le ténor Villabella, dans deux airs de Werther (Odéon), fait valoir l'étendue et le charme de sa voix, qui apparaît moins métallique que dans les enregistrements Pathé du même artiste. Offrande et Je me mets sous votre mercy, de R. Hahn, nous permettent de goûter une fois de plus la perfection du talent de Vanni-Marcoux, qui excelle, plus peut-être que dans les grands airs d'opéra, à faire rendre à de légères mélodies tout ce qu'elles renferment et parfois même davantage (Gramophone). Même qualité chez Mme Marguerite Soyer, qui interprète de façon très personnelle l'air rebattu de Madame Butterfly « Sur la mer calmée » (Gramophone). Le duo final de Carmen trouve en Mme Supervia et M. Micheletti des interprètes pleins de fougue et bien disants (Odéon). L'émouvant contralto de Mme Alice Raveau, artiste de grande classe, magnifie l'hommage consacré par Marcel Samuel-Rousseau Aux Anonymes ensevelis au hasard des champs d'honneur (Pathé), tandis que le baryton Baugé, qui dit avec beaucoup de charme l'air de « la Rose rouge » de Monsieur Beaucaire, ténorise avec une remarquable facilité dans un morceau du IIe acte de Paganini.
La rentrée de Mistinguett au Casino de Paris est un événement d'importance. Aussi Odéon et Pathé se hâtent-ils de nous donner les enregistrements de ses dernières chansons. Hélas ! le tango Garde-moi est, sous l'aiguille, tout simplement attristant. Seuls sont supportables des airs comme Un boy, c'est gentil (Pathé) et A travers les barreaux de l'escalier (Odéon), où se joue la verve gouailleuse de la fameuse divette.
C'est que ce genre se passe difficilement des trémoussements de jambes, des jeux de physionomie. Le comique de Dranem, irrésistible à la scène, a bien de la peine à se maintenir sur le disque. Il est cependant amusant dans l'air « Encore cinquante centimes » de l'opérette de ce nom (Odéon).
On écoutera plus volontiers la très gracieuse série des Chansons du Beau jardin de France, de Paul-Groffe et Zimmermann (Columbia). Ces six disques nous promènent à travers nos diverses provinces, et la musique est un agréable pastiche qui ne manque pas de couleur. La Pastourelle béarnaise, chantée par J. Sorbier, a beaucoup de charme.
Enfin, avant que s'effacent de notre mémoire les visions exotiques que nous a offertes l'Exposition coloniale, il est intéressant d'écouter les disques de chant malgache édités par Gramophone : ils sont d'une aimable puérilité, et les chœurs ont des voix un peu criardes mais très juvéniles. Les rythmes sont vifs. Au contraire, les chants de Tahiti, édités par la même maison, ont quelque chose de grave et de mélancolique. Nous recommandons particulièrement le chant intitulé Té Réva Nëi (Gramophone).
Parmi les pièces symphoniques, nous ne voyons guère à signaler que le Phaéton, de Saint-Saëns, dont la Société des concerts du Conservatoire donne une exécution à la fois vive et mesurée (Gramophone). Et, bien que ce ne soit pas une nouveauté, on prendra plaisir à entendre la Parade des soldats de plomb, et la Parade de la garde siamoise, spirituellement exécutées par l'orchestre de Dajos Bela (Odéon).
Musique enregistrée – décembre 1931
La crise semble avoir eu pour effet de cantonner la plupart des maisons d'édition dans une activité purement commerciale. Entendons par là les disques de danse, qui, malgré la virtuosité des Jack Hylton (Gramophone), des Billy Cotton (Columbia), des Jack Payne — dont nous signalerons cependant un curieux arrangement du Boléro de Ravel (Columbia) — des Ray Ventura (Odéon), des Canaro (Odéon), finissent par se répéter terriblement, et aussi les enregistrements d'opérettes, de films sonores, les refrains de café-concert. Si l'on écoute sans déplaisir la charmante chanson de Jean de la Lune, de Claude Augé, arrangée par Cazaux (Pathé), ou Raquel Meller dans Doña Mariquita (Odéon), ou encore le bon ténor Muratore dans le Chanteur inconnu (Pathé), l'art phonographique n'a, au fond, rien à voir à tout cela.
Cependant de louables efforts se manifestent encore, au premier rang desquels il faut placer une excellente interprétation du Premier quatuor à cordes de Debussy, par le quatuor Calvet (Columbia). Cette œuvre, qui fut écrite en 1893, est une des plus exquises du maître. Fort intéressant également est le poème symphonique de Sibelius : le Cygne de Tuonela, dont l'orchestre symphonique de Philadelphie donne une interprétation impeccable (Gramophone). Inspiré par une légende du Kalevala, ce poème, qui nous conduit aux enfers de la mythologie finnoise, est construit sur un thème d'une mélancolie funèbre, enrichi d'une orchestration colorée.
A part le plaisir d'entendre une Madame Chrysanthème et une Madame Butterfly authentiques, avec Mlle Yoshiko Miyakawa (Columbia), les disques de chant ne nous offrent que le répertoire et les interprètes habituels. Toutefois, le « Basler Kammerchor », soutenu par l'orchestre de la Société d'études mozartiennes, nous fait entendre en deux disques très réussis, les chœurs d'Idomeneo de Mozart, un chef-d’œuvre trop peu connu en France (Gramophone). Du point de vue technique, il faut louer l'exact dosage du volume des voix qui permet une gamme étendue de nuances.
Aux instruments, signalons les bons enregistrements de saxophone de Viard, Cruelle souvenance de Dvorak, et Five o'clock, curieux fox-trot de Ravel (Pathé), les castagnettes de la Térésina, digne émule de la Argentina, dans Serenata et Jota Aragonese(Gramophone), deux jolies pages de violoncelle, Sérénade de Borodine, et la célèbre Mélodie en fa de Rubinstein, traduites avec sentiment par M. Boulmé (Pathé), enfin le Concerto de Rachmaninov pour piano et orchestre, dont la brillante exécution par Serge Rachmaninov et l'orchestre symphonique de Philadelphie n'atténue pas entièrement les longueurs (Gramophone).
Les petits n'ont pas été oubliés en ce mois des étrennes. Voici pour eux le Cochon savant, et les Petits cadeaux, par Jaboune et Babylas (Pathé), les Rondes enfantines, par les chœurs d'enfants de Mme de Sainte-Croix (Odéon), les Contes de Perrault, paroles de R.-P. Groffe, musique de Zimmermann (Columbia), et surtout la Chanson des contes de Perrault, paroles de Bach-Sisley, musique de Darcieux, orchestrée par Bervily, six disques charmants, chantés avec beaucoup d'entrain et de fraîcheur par Mlle A. Gallon (Gramophone). Les plus grands écouteront avec plaisir et profit trois fables de La Fontaine : les Animaux malades de la peste, le Savetier et le Financier, la Mort et le Bûcheron, dites d'une façon tout à fait remarquable par M. J. Leitner (Gramophone), ou encore la ballade du duel de Cyrano de Bergerac, détaillée avec beaucoup de mordant par M. R. Monteux (Odéon).
Musique enregistrée – janvier 1932
Bach est à l'honneur ce mois-ci. L'orchestre symphonique de Philadelphie nous donne Passacaille en do mineur (Gramophone), tandis que l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam nous fait entendre la Suite en si mineur pour flûtes et cordes (Columbia). C'est d'ailleurs tout ce qu'il y a à signaler aux enregistrements d'orchestre, car on ne voit guère pourquoi Rühlmann a exhumé l'Ouverture du Carnaval de Venise d'A. Thomas (Pathé).
Le chant est plus riche. Deux Carmen de tempérament très différent nous sont offertes avec Mme Alice Raveau qui donne tout son sens tragique à l'Air des cartes (Pathé), et Mme Conchita Supervia qui, secondée par le ténor Micheletti, joue avec beaucoup de vie et de passion la grande scène du deuxième acte (Odéon). Vanni-Marcoux eût pu être mieux inspiré qu'en choisissant ces deux airs du XVIIIe siècle : Chanson normande et Cantatille (Gramophone). Sans doute a-t-il voulu nous montrer tout ce qu'un art comme le sien peut tirer des choses les plus insignifiantes. Plus curieuses sont les Histoires naturelles de Ravel : Mlle Elsa Ruhlmann les dit avec beaucoup d'esprit (Gramophone). Signalons aussi le trio des Contes d'Hoffmann, chanté par Mmes G. Féraldy et A. Richardson, et M. Guénot : la puissance et la netteté des voix sont à remarquer (Columbia). Un essai fort intéressant est l'enregistrement de mélodies religieuses dans la cathédrale de Lyon, dont l'acoustique a de si précieuses qualités. Le Panis Angelicus de C. Franck par le ténor A. d'Arkor, et le Pie Jesu du Requiem de Fauré par Mlle Jane Laval sont d'une heureuse réussite (Columbia).
Parmi les instruments, la belle Sonate de Grieg pour violon et piano trouve en Mlle Astruc et M. M. Ciampi, d'excellents interprètes, encore que l'on souhaiterait chez le pianiste moins de raideur mécanique (Columbia). Combien plus vivant, plus nuancé, plus chaleureux, le jeu d'Alfred Cortot, qui exécute avec une égale richesse de sentiment et de virtuosité les Etudes symphoniques de Schumann (Gramophone) ! Que l'on rapproche — puisque le disque permet de telles confrontations — la douceur triste du thème initial et la fougue du finale, et l'on sentira toute la variété du jeu de l'artiste. La sonorité d'autre part est vraiment remarquable. Léon Kartun exécute avec beaucoup d'adresse la Marche turque de Mozart, et avec non moins de légèreté la Sonatine de Scarlatti (Odéon).
Au violon, Jacques Thibaud, dans un Adagio de Vivaldi-Bach et une Sicilienne de Paradis atteint à une grande force d'émotion (Gramophone). C'est un enchantement de l'entendre.
La scie musicale, qui a désormais sa place parmi les instruments compte aussi ses virtuoses. M. J. Laffitte en est un, et l'on aura plaisir à écouter ses sonorités frémissantes dans Aubade d'amour et Ay, Ay, Ay (Pathé).
Signalons enfin l'excellente idée qu'ont eue deux maisons d'éditions, Odéon et Gramophone, d'enregistrer les Batteries et sonneries réglementaires de l'armée française, infanterie et cavalerie. Les deux enregistrements se valent pour la sonorité, celui de Gramophone offre cependant une collection plus complète de sonneries.
Musique enregistrée – février 1932
Il faut se frayer une voie difficile à travers la masse compacte des disques tirés des films parlants pour découvrir dans les catalogues quelques enregistrements de choix. Il y en a pourtant, ne serait-ce que la délicieuse Petite Suite de Debussy, conduite par H. Büsser (Columbia), ou la « Marche funèbre » du Crépuscule des dieux, dirigée par Bruno Walter (Columbia), ou encore l'ouverture des Maîtres chanteurs, conduite par G. Pierné (Odéon). Dajos Bela a groupé deux cents exécutants pour mettre en disque l'ouvrage de Poète et Paysan (Odéon). Etait-il besoin de déranger tant de monde ?
Nous goûtons davantage l'exécution que donne le London Symphony Orchestra de la Symphonie en si mineur de Borodine (Gramophone). C'est une œuvre riche de couleur et de mouvement, parfois même tumultueuse dans l'Allegro du début et le Final, avec de délicates échappées mélodiques. De la couleur, on en trouvera également dans Navarra d'Albeniz, dont P. Coppola et l'orchestre des Concerts du Conservatoire offrent une excellente traduction. La Chanson du lanternier, qui figure au revers du disque, a du pittoresque, mais l'abus du thème la rend un peu monotone (Gramophone).
Aux disques de chant, deux aspects de l'impeccable Ninon Vallin, dans la Veuve joyeuse (Pathé), et dans Manon (Odéon). Mme Croiza détaille, avec son habituelle délicatesse, Après un rêve, et Soir, de Fauré (Columbia). Le baryton Endrèze est excellent dans le monologue d'Hamlet (Pathé). Le ténor Gigli, qui possède peut-être bien la plus puissante voix de l'heure, l'affirme un peu trop dans deux mélodies : Vecchio Ritornello et Carmela, qui demanderaient plus de sobriété. Mais son timbre est si clair que la critique tombe (Gramophone). De même, on peut discuter les interprétations mélodiques de Chaliapine, dans le Chant d'amour persan, de Rubinstein, et l'Elégie de Massenet (Gramophone). Mais quel merveilleux artiste d'opéra ! La scène des « Adieux » et celle de la « Mort » de Boris Godounov sont deux pages admirables, d'une réalisation phonographique excellente, notamment la Mort de Boris, où la voix puissante de Chaliapine s'enlève avec une extraordinaire sonorité sur le fond vocal des chœurs et la trame continue de l'orchestre. Ces trois éléments se superposent sans se confondre : même dans les endroits où, suivant un procédé familier, Chaliapine substitue le parlé au chant, même à la fin, où il se réduit à un balbutiement plaintif, la voix reste toujours distincte (Gramophone).
Un air de Rosamunde, de Schubert, et un Larghetto, de Weber, suffisent à F. Kreisler pour nous faire admirer son talent de violoniste, mais ne lui permettent pas de donner toute la mesure de son talent (Gramophone). Z. Francescatti nous révèle mieux son tempérament un peu étrange avec Tzigane, rapsodie de concert de Ravel (Columbia).
Les disques de danse ? Ils sont toujours légion ; détachons entre cent, Say the word ! et Goin' to town, deux fox-trot par l'orchestre Luis Russel, un des meilleurs « hot » jazz noirs du moment (Gramophone), ainsi que Canto de Amor, tango adroitement traduit par l'orchestre Alongi (Gramophone).
Musique enregistrée – mars 1932
L'intérêt de la production du mois de mars se concentre sur un nombre restreint d'enregistrements. Parmi ceux-ci, la Symphonie en sol majeur de Haydn, œuvre colorée, exécutée par l'orchestre du Conservatoire royal de Bruxelles (Columbia) ; les Reflets d'Allemagne, de Florent Schmitt (Pathé), pièces primitivement écrites pour le piano, lors d'un séjour en Allemagne en 1904 ; c'est une suite de huit valses, dont quatre seulement furent orchestrées, en 1905 ; le disque nous en offre deux : Munich et Nuremberg ; les fragments symphoniques du Martyre de saint Sébastien, de Debussy, par l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire (Gramophone). Ecrite en 1911, cette partition, où se retrouve tout l'art subtil et complexe de Debussy avec ses affinements d'harmonies, renferme quelques-unes des pages les plus émues que le maitre ait écrites. Il y a là un bel effort d'édition phonographique.
On en pourrait dire autant de la Sonatine pour piano de Ravel en deux disques, admirablement interprétée par A. Cortot (Gramophone). Cette œuvre, qui remonte déjà à 1905, est d'une inspiration très classique, malgré l'ingéniosité toute moderne de l'écriture. Le jeu de l'interprète en fait encore valoir la sûreté technique. On a joint au revers du second disque les fameux Jeux d'eaux, datés de 1901, que l'on réentend toujours avec plaisir.
Aux disques de chant, les éditeurs sont contraints soit de rééditer sans cesse les mêmes morceaux, soit, pour donner de l'inédit, d'exhumer des œuvres d'un intérêt médiocre. Pour apprécier un talent nouveau, faut-il se résigner à entendre éternellement la Tosca ou Madame Butterfly ? On ne le regrette pas trop quand l'interprète a, comme Mme Maria de Alexandrowicz, une voix pleine, sonore, et de belles qualités d'émotion (Gramophone). Ninon Vallin est toujours une Manon séduisante, à qui le ténor Villabella donne agréablement la réplique dans le « Duo de la lettre » (Pathé). Le puissant ténor G. Thill s'efforce d'assouplir sa voix à deux mélodies : Barcheta, de R. Hahn, et Enlèvement, de Ch. Levadé (Columbia). On écoute également avec plaisir une sélection en quatre disques de la Veuve joyeuse, qui présente les passages les plus séduisants de cette œuvre désormais populaire (Odéon). Un régal plus délicat est l'interprétation très fine et très adroite qu'Yvonne Printemps donne de deux vieux airs : Plaisir d'amour et Au clair de la lune (Gramophone). Parfaitement, Au clair de la lune ! Et il est curieux de voir ce que le joli talent d'Yvonne Printemps fait de cette chanson naïve, dont l'accompagnement au clavecin accroit encore la saveur.
Quand nous aurons signalé l'heureuse association du violoncelliste Jean Witkowski et de l'organiste Commette dans un Nocturne de Fauré (Columbia), la virtuosité du xylophoniste Cariolato dans Valse espagnole de Métra (Odéon), la sonorité, un peu poussée peut-être, de la guitare hawaïenne de D. Arnau dans la Paloma et Maria-Marie (Gramophone), nous aurons épuisé les sources d'intérêt des dernières éditions.
Musique enregistrée – avril 1932
La technique du phonographe et celle du cinématographe sont si voisines qu'elles devaient fatalement influer l'une sur l'autre. Voilà qui est fait. Dans un disque, intitulé la Musique du monde (Odéon), on a tenté de réaliser un phono-montage analogue aux photo-montages si fréquemment pratiqués au cinéma, et par le moyen desquels une image s'estompe graduellement, tandis qu'une autre la remplace peu à peu. Ici ce sont des airs qui se succèdent, naissant pour ainsi dire les uns des autres. C'est une forme nouvelle du pot-pourri. La tentative est curieuse ; il ne conviendrait pas d'en abuser.
Il y a plus de plaisir à écouter une œuvre de valeur, présentée dans les formes traditionnelles, telle que la 35e Symphonie en ré majeur de Mozart, exécutée par l'orchestre Philharmonic Symphony de New York (Gramophone). Composée à l'occasion du mariage d'une fille de Siegmund Haffner, bourgmestre de Salzbourg, cette œuvre est pleine d'entrain, d'allégresse joyeuse, avec, dans l'amante, une teinte discrète d'émotion. Et puis, elle est conduite par Toscanini, dont l'extraordinaire dynamisme se communique à tout l'orchestre. C'est un régal.
Des trois grands poèmes symphoniques de Saint-Saëns, la Danse macabre est certainement celui où le pittoresque est le plus accusé. Aussi est-il le plus connu. On en écoutera avec plaisir l'enregistrement par l'orchestre de Rühlmann (Pathé) ; rappelons à ce propos les éditions récentes du Rouet d'Omphale (Pathé) et de Phaéton (Gramophone).
Il nous tarde d'arriver à une production qui témoigne d'un noble effort artistique : c'est l'enregistrement, en six disques, des douze pièces du premier livre des Préludes de Debussy (Gramophone). On peut dire que tout le génie de Debussy est enclos dans ces courtes pièces d'une musicalité si rare et si suggestive. Art infiniment délicat et subtil, dont les étrangetés harmoniques sont l'exact reflet d'une sensibilité extraordinairement réceptive. Pour en rendre toutes les nuances, il faut une profonde compréhension de la pensée debussyenne, et c'est bien ce qu'atteste l'interprétation à la fois si personnelle et si fidèle d'A. Cortot.
Dans la Folia, de Corelli, le jeune violoniste Yehudi Menuhin, qu'on entendra le 11 mai à la salle Pleyel, ne nous fait pas seulement apprécier sa virtuosité : il affirme aussi un tempérament d'artiste vraiment surprenant chez un enfant de cet âge (Gramophone). Par ailleurs, sa sûreté d'attaque, sa sonorité sont celles d'un homme fait ; et il n'a rien à envier à M. Francescatti, par exemple, qui interprète avec beaucoup d'agrément des Variations sur un thème de Corelli (Columbia).
Dans les disques de chant, nous signalerons le duo d'Hamlet, « Doute de la lumière », chanté par Fanny Heldy et Marcel Journet, que l'on retrouve encore, associés à Fernand Ansseau, dans le trio du cinquième acte de Faust, « Anges purs » (Gramophone). Il ne semble pas que la voix de femme y ait toute sa pureté. Ninon Vallin affectionne Manon. Il est vrai qu'elle y est excellente. Elle donne ce mois-ci chez Odéon la « Gavotte » qu'elle donnait le mois dernier chez Pathé ; elle y joint l'air du premier acte, « Je suis encor toute étourdie ». Le robuste ténor, Georges Thill, ménagerait-il sa voix, ou voudrait-il nous révéler un nouvel aspect de son talent, en nous donnant Elégie de Massenet, et l'air de « la maison grise » de Fortunio (Columbia) ? L'interprétation de la « Romance à l'étoile » de Tannhäuser par l'excellent baryton Endrèze est dans la meilleure tradition wagnérienne (Pathé).
Signalons en terminant deux amusantes fantaisies musicales de Jack Hylton et son orchestre : Grasshoppers' Dance et les Noces de la rose (Gramophone). C'est de la musique reposante, quoique sautillante, alerte et curieusement timbrée.
Musique enregistrée – mai 1932
Les enregistrements d'orgue n'exigent pas seulement la virtuosité de l'artiste ; ils réclament aussi des conditions particulières d'acoustique et de mise en place, faute de quoi les sons tenus de l'instrument se brouillent sur la cire par le prolongement de résonances fâcheuses, surtout sensibles dans les « forte ». Cette union difficile de la puissance et de la pureté est parfaitement réalisée dans la Toccata de M.-A. Rossi, et le Petit prélude et fugue en si bémol majeur de J.-S. Bach, par Heitmann (Ultraphone) ; excellent disque d'orgue. Très intéressante également est la Messe solennelle de Saint-Hubert, où les cors du Cercle cynégétique de France se marient à l'orgue de façon très heureuse (Pathé).
Aux enregistrements d'orchestre, trois disques de musique de ballets permettent de comparer les grâces vieillottes mais charmantes de Céphale et Procris, de Grétry (Columbia), la technique adroite et les rythmes légers de la Source, de Léo Delibes (Odéon), la couleur et le mouvement de la « Bacchanale » de Samson et Dalila (Pathé). Mais on écoutera plus volontiers le « Scherzo de la reine Mab » de Roméo et Juliette, symphonie dramatique de Berlioz (Gramophone) ; c'est une page délicieuse, dont les recherches et les effets de sonorité apparaissent d'un singulier modernisme ; on la croirait écrite d'hier ; elle date pourtant de 1839. On comprend l'émoi de la critique d'alors, qui comparait irrévérencieusement la fluidité de cette orchestration subtile à « un bruit grotesque de seringues mal graissées ! » Signalons aussi de bons arrangements pour orchestre de pièces de piano : ce sont Granada et Cataluna, de la « Suite espagnole » d'Albeniz, et deux Danses espagnoles de Moszkowsky. Ces quatre œuvres réunies sur un même disque suggèrent d'intéressantes comparaisons : elles sont également riches en couleur ; on serait même tenté de trouver les danses de Moszkowsky plus « espagnoles » que les pièces d'Albeniz ; mais l'audition de celles-ci révèle précisément ce qu'il y a de conventionnel dans ce que nous appelons la couleur espagnole. L'exécution de ces petites pièces par l'orchestre symphonique de Berlin est impeccable (Ultraphone).
Dans un genre plus badin, le même orchestre de Berlin interprète avec légèreté et grâce une sélection sur le Monde est beau, de Fr. Lehár (Ultraphone). Ce n'est pas du meilleur Lehár, bien qu'on y retrouve les agréments habituels de ce maître de l'opérette. Saluons, à propos de l'opérette, la conquête définitive qu'elle a faite du film parlant. « Il est charmant », de Moretti, est un des plus récents succès de cette formule nouvelle ; Gramophone en donne une sélection, comportant les principaux airs, dont plusieurs sont chantés par Mlle Galland, MM. Rousseau et Génio.
Aux disques de chant, nous écoutons avec plaisir Ninon Vallin, toujours égale à elle-même aussi bien dans l'air de Lia de l'Enfant prodigue, de Debussy (Odéon) que dans les célèbres couplets de Carmen (Pathé). L'excellent ténor Koubitzky chante avec esprit la Chanson de la puce de Moussorgski, et avec grâce la Romance orientale de Glazounov (Columbia). L'air de la meule, de Samson et Dalila, trouve en Franz un interprète émouvant (Pathé). Deux productions, toutefois, se détachent de l'ensemble : Chaliapine, que l'on entend en ce moment à l'Opéra-Comique, interprète avec sa voix magnifique et son sens dramatique si puissant, le Pouvoir hostile, de Sierov, et Chants et danses de la mort, de Moussorgski (Gramophone). Ce sont deux pièces d'une couleur âpre, que rehausse encore le soutien des chœurs. D'autre part, M. Panzéra, un de nos meilleurs barytons, donne les principales mélodies de Duparc : Soupir et Chanson triste ; l'Invitation au voyage et la Vie antérieure ; Phidylé et la Vague et la cloche (Gramophone). Ces trois disques forment un ensemble du plus haut intérêt, tant par la sereine beauté de la musique que par l'excellence de l'interprétation très nuancée et toujours très nette.
Les amateurs de pittoresque goûteront les chœurs si expressifs des « Revellers », dans Dancing in the Dark et When Yuba plays the Rumba on the tuba (Gramophone). La curieuse utilisation des voix produit d'amusants effets.
L'inénarrable partie de cartes de Marius, avec les créateurs de la pièce, Raimu en tête, garde sur la cire toute sa saveur méridionale (Columbia).
Enfin, aux disques de danses, indiquons un bon paso-doble, Espana cani, par l'orchestre argentin de Juan Llossas (Ultraphone), Chavire, polka biguine par l'orchestre guyanais de H. Volmar (Odéon), et deux fox-trots bien cadencés, All of me et Just friends par l'excellent orchestre d'Ambrose (Gramophone).
Musique enregistrée – juin 1932
Le meilleur enregistrement d'orchestre de ce mois
est certainement la Chevauchée des Walkyries, par l'orchestre symphonique
de Berlin, sous la direction de Meyrowitz (Ultraphone). Mouvement, sonorité,
valeur respective des divers instruments, tout s'y trouve. Cet enregistrement
est supérieur même à celui de la « marche funèbre » du Crépuscule des dieux,
par le même orchestre, cependant, mais conduit par Kleiber (Ultraphone). Certes,
ici ce n'est plus l'allégresse guerrière, mais le deuil, le recueillement morne,
douloureux, et c'est ce que Kleiber a cherché avant tout à traduire, mais avec
trop de minutie, semble-t-il ; le disque en prend une teinte assourdie comme
voilée : le grondement des mesures initiales, par exemple, est à peine
perceptible.
Rien de délicat d'ailleurs comme la répartition des masses d'orchestre devant le
micro. La moindre erreur de mise en place altère l'exécution. On en voit un
exemple dans le prélude de la Habanera (Gramophone), page émouvante,
toute chargée de mystère et de terreur imprécise ; pourquoi faut-il que les
cuivres, rejetés trop en arrière, soient presque étouffés par les cordes ? A
moins que ce ne soit une recherche volontaire. On le croirait presque, car
l'ouverture de Gwendoline, qui est pourtant une page symphonique d'une
fougue étincelante, présente le même caractère (Gramophone).
Quand on a entendu le prélude de la Habanera, il ne faut pas manquer d'écouter les deux airs qu'en chante Vanni-Marcoux, et dans lesquels il déploie — surtout dans le premier « C'est à moi que l'on dit : Chante ! » — avec sa voix merveilleusement timbrée, une puissance dramatique très intense (Gramophone). C'est le grand art de Vanni-Marcoux de pouvoir tout interpréter avec une égale maîtrise. Son rival, en cela, est le ténor allemand Tauber, qui, après s'être révélé dans les Maîtres chanteurs, nous donne une charmante interprétation de la chanson de Vilja de la Veuve joyeuse (Odéon). Ce pouvait être périlleux. Ainsi, dans le grand air de Benvenuto Cellini, l'agréable A. Baugé n'a pas toute la majesté voulue (Pathé) ; par contre, Morturier, l'excellente basse de l'Opéra-Comique, dans la valse célèbre du Congrès s'amuse, « Ville d'amour », a un volume de voix trop ample pour la légèreté de cet air (Gramophone). Une des reines de la chanson est bien Marie Dubas, qui nous livre, dans la Java du crochet et J' suis bête, toute la spontanéité de son étonnant tempérament (Odéon).
Un disque vraiment curieux, qui montre ce que l'on peut faire avec des voix bien conduites, est celui des Comedian Harmonists : Fandango espagnol et Tarentella sincera (Gramophone). Il y a là un étonnant soprano qui imite à s'y méprendre la mandoline, tandis qu'une robuste basse éructe des pincements de guitare ; c'est très drôle.
Précisément, D. Arnau nous révèle, avec Ton doux sourire, que la guitare hawaïenne ne dispose pas uniquement de miaulements, mais qu'on en peut, à l'occasion, tirer des harmonies très douces (Gramophone). Ce disque diffère de ceux qu'on entend généralement.
Au piano, nous signalerons la très remarquable sonorité et la sûreté d'attaque d'Auguste de Radwan dans trois Préludes et deux Mazurkas de Chopin (Ultraphone). Peu de disques de piano donnent une telle impression de plénitude : rien de métallique. Il faut mentionner aussi, comme enregistrement de premier ordre, l'étincelant Concerto de Ravel, exécuté par Mme Marguerite Long et l'orchestre dirigé par Ravel lui-même (Columbia). Les opérateurs ont triomphé là des pires difficultés.
Musique enregistrée – juillet 1932
Nous voici dans les mois morts de l'édition phonographique, qui se préoccupe surtout de satisfaire la clientèle des plages et des villes d'eaux ; que choisir pour faire sa réaction après le bain ? Parmi les disques de danses les mieux venus signalons : Si-Si, rumba, et Chant cubain, biguine, par l'orchestre de Guy Zoka (Columbia) ; Parmi toutes les fleurs, tango, et Mon seul regret, boston, joliment interprétés par Dajos Bela (Odéon) ; Living in clover, fox-trot, et Good night Vienna, tango, par Ray Noble et son orchestre, qui est un des meilleurs jazz (Gramophone) ; Save the bast dance for me, une valse très langoureuse, par Ambrose, doublée d'un trépidant fox-trot Sud Buster's Dream — rêve plutôt agité —, par Tiny Parham (Gramophone) ; enfin, pour les fervents de l'accordéon, les refrains entraînants de Fredo Gardoni : Dansons Titine, et Près des rives de la Seine (Pathé). Le soir, dans un décor lunaire, on écoutera D. Arnau dire sur sa guitare hawaïenne une chanson mexicaine, doucement nostalgique : Amapola(Gramophone). L'originalité d'Arnau est de donner de la force à un instrument d'ordinaire plutôt plaintif.
Quant à ceux qui ne dansent pas, ils auront plaisir à goûter le beau contralto de Mme Duchène, du Metropolitan Opera de New York, dans la fameuse scène du IIe acte de Samson et Dalila « Mon cœur s'ouvre à ta voix ». Le timbre est ample et en même temps très pur, et le chant est conduit avec une intelligente émotion (Gramophone). Le ténor Vezzani, qui donne la réplique à Mme Duchène, fait apprécier par ailleurs sa voix puissante, aux riches sonorités, dans le grand air de Jean d'Hérodiade et l'air « Ah ! fuyez, douce image », de Manon. Il escalade sans effort les notes les plus hautes, et les tient sans fatigue (Gramophone). Une belle voix aussi est celle du baryton Endrèze, qui a, en outre, beaucoup de sensibilité dans deux airs d'Othello, le « Credo de Iago » et « le Rêve » (Odéon). Dans une note plus intime, Mme Claire Croiza donne une idée de la perfection dans deux mélodies : Jazz dans la nuit, de Roussel, et Jet d'eau, de Debussy (Columbia).
Et s'il est encore des gens qui échappent à l'obsession des films parlants, et qui a des fions-fions faciles préfèrent de la musique véritable, nous leur recommanderons soit le Concerto brandebourgeois en sol majeur de J.-S. Bach, écrit pour trois violons, trois violes de gambe, trois violoncelles et contrebasse, et remarquablement dirigé par A. Cortot (Gramophone), soit, exécuté par le London Symphony Orchestra, le célèbre poème symphonique de Moussorgski Une nuit sur le mont Chauve, nuit de sabbat, où se déchaînent les puissances des ténèbres, dans une orgie de couleur et de mouvement (Gramophone). Même sur un appareil ordinaire, ce disque donne une rare impression de sonorité.
Musique enregistrée – août 1932
C'est la trêve des vacances. La plupart des maisons suspendent leurs éditions ; les autres se bornent à des productions légères et plus commerciales qu'artistiques. Ultraphone, dont les disques d'orchestre sont généralement de qualité, se contente d'un Verdi Pot Pourri ; signalons encore de la même maison Prélude en do dièse mineur, de Rachmaninov, et Rêve d'amour, de Liszt, exécutés au piano par W. Grosz, que soutient l'orchestre d'E. Orthmann.
Gramophone nous régale du Concerto en ré majeur pour piano, violon et quatuor à cordes, de Chausson, dont les principaux interprètes sont Alfred Cortot et Jacques Thibaud, excellemment secondés par MM. Isnard, Voulfman, Blanpain et Eisemberg. Cette œuvre, dont on trouverait difficilement l'équivalent, car cette forme de concerto est, à notre connaissance, très rare, offre, malgré quelques longueurs, dans les quatre mouvements qui la composent, de réelles beautés. Si l'inspiration franckiste s'y décèle par endroits, elle n'en est pas moins très personnelle. La partie de piano, d'une particulière richesse, est d'une exécution difficile, et il ne fallait pas moins, pour la traduire, de la sûre virtuosité de Cortot. L'ensemble est d'ailleurs parfait, au point de vue technique, et ce sont là cinq disques excellents.
Dans la musique légère, recommandons deux « paso-doble » : Zaragozana, et Morena y Sevillana, ponctués de castagnettes, et enlevés avec beaucoup d'entrain et de couleur par l'orchestre de Lucchesi (Gramophone), ainsi que deux valses : Ville d'amour, par the London palladium orchestra, et C'est une valse de France (Gramophone). Indiquons aussi une agréable Sélection de danses et de chansons de films sonores par le jazz d'A. Bèrès (Ultraphone).
Les disques de chant n'offrent qu'un intérêt modéré, Mlle Ninon Guérald chante agréablement les Anes du Caire, et Clair de lune, de Nerini (Ultraphone). Le baryton Crabbe a une fort belle voix, puissante à l'occasion, et adroitement conduite ; mais si agréable qu'elle soit, on préférerait l'entendre dans des airs moins rebattus que l'air du Trouvère : « Son regard, son sourire... », ou d'une facture plus originale que les Adieux d'Apollon, d'A. Maurage, quoique ce dernier morceau renferme de jolis passages (Gramophone).
Musique enregistrée – octobre 1932
Longtemps réfractaire à la musique enregistrée, Vincent d'Indy n'avait consenti que tardivement à confier ses œuvres à la reproduction phonographique ; il avait été charmé de la traduction du Camp de Wallenstein (Pathé), dont nous avons parlé en son temps ; il eut goûté sans réserve celle d'Istar, donnée par la Société du Conservatoire, direction P. Coppola (Gramophone). Ce poème symphonique, inspiré par la légende sumérienne d'Istar descendant vers la demeure des morts pour en arracher son amant, le dieu Tammouz, a une couleur fortement accusée, sans recherche toutefois d'archaïsme ou d'exotisme. L'originalité de l'œuvre réside surtout dans sa structure : les variations y précèdent l'exposé du thème, qui n'apparaît dans sa belle nudité qu'à la fin, telle Istar franchissant le seuil de la septième porte, après avoir laissé à chacune des six précédentes une pièce de sa parure. Du point de vue technique, ce disque est remarquable.
Nous appliquerons le même éloge au célèbre Prélude de Rachmaninov, arrangé pour piano et orchestre, qui est une merveilleuse réussite phonographique (Ultraphone), tant pour la sonorité, que pour la pureté des timbres. Le piano, un peu étouffé par l'orchestre dans le Rêve d'amour de Liszt qui figure sur l'autre face, se soutient ici sans désavantage, et concourt à un ensemble d'un prestigieux effet.
Signalons aussi l'exécution, d'une belle tenue classique, de l'Ouverture de Coriolan, de Beethoven, par l'orchestre Rühlmann (Pathé).
Beaucoup d'amateurs aiment le genre pot pourri, qui a l'avantage de faire défiler les principaux morceaux d'une œuvre ou les pages les plus fameuses d'un compositeur. Ce genre particulièrement goûté en Allemagne, est en soi absurde ; il devient cependant agréable lorsque les raccords sont adroitement faits. C'est le cas par exemple du « pot pourri », qui coud bout à bout les pages les plus fameuses d'un compositeur. Il offre l'attrait de la reconnaissance, à défaut de celui de la découverte. Parmi les meilleurs disques de ce genre, très goûté en Allemagne, mentionnons Verdi pot pourri, Sélection d'opéras de Mozart, Puccini pot pourri, par l'orchestre philharmonique de Berlin (Ultraphone). Le Pot pourri de mélodies viennoises, que donne le trio Schrammel, violon, accordéon et guitare, est agréable, mais manque de chaleur et semble joué dans un mouvement trop lent (Ultraphone).
Le Quatuor en ré mineur de Schubert, « la Mort et la jeune fille », œuvre posthume d'une gracieuse mélancolie, est assez connu pour qu'il suffise d'indiquer l'excellente interprétation qu'en donne le quatuor Bruinier (Ultraphone). On regrette de ne pouvoir que signaler l'intelligente virtuosité de J. Dupont, dans le Scherzo en ut dièse mineur de Chopin, et les Etudes symphoniques de Schumann (Pathé).
L'événement du mois en musique instrumentale est le début au micro du maître Widor. Pour la première fois nous pouvons entendre l'illustre organiste exécuter sur son instrument familier, l'orgue de Saint-Sulpice, une de ses œuvres, la fameuse Toccata de la 5e Symphonie. Nous ne dirons rien de la pièce elle-même, si brillante, ni de la virtuosité du maître ; le miracle est que, sur un simple « portatif », on arrive, par la qualité de l'enregistrement, à avoir l'impression d'être auprès de l'instrument même (Gramophone).
Dans les disques de chant, à côté des grandes vedettes, Ninon Vallin dans Enchantement et Elégie de Massenet (Pathé), Franz dans le grand air de Jean d'Hérodiade (Pathé), Alice Raveau dans le Secret et Au cimetière de Fauré (Pathé), nous indiquerons deux jolies mélodies de Nerini : les Anes du Caire, et Clair de lune, chantées par Mlle Ninon Guérald qui a une voix très agréable, et dont on regrette seulement qu'elle n'ait pas une diction plus nette (Ultraphone), comme on regrette aussi que Chardy, chanteur à la voix chaude et à la diction parfaite, n'apporte un peu plus de nuance dans la Sérénade de Schubert et l'Heure exquise de R. Hahn (Ultraphone). Une belle page musicale est la Berceuse et le Monologue d'Aliette, de la Lépreuse, que Mlle M. Sibille fait admirablement valoir (Gramophone).
Dans les disques de danse, Manuela del Rio dans Perchelera et De mi Andalucia, atteste, sur les castagnettes, une virtuosité qui, si le jeu était plus nuancé, égalerait celle de la Argentina (Gramophone). Entre les innombrables fox-trots et tangos qui ont l'air d'être faits en série, une note d'un exotisme vraiment curieux est apportée par l'orchestre cubain de don Azpiazu, qui, aux instruments ordinaires de jazz, en joint de bizarres, tels que fongos, guiros, maracas, claves. De tout cela il tire des sonorités étranges qui, avec le soutien de chœurs aux voix psalmodiantes, ponctuent le rythme des rumbas et des « sons ». Ecoutez, par exemple Marianna et surtout Wanna lot' o' love (Gramophone).
Musique enregistrée – novembre 1932
Ce mois est celui de l'Auberge du cheval blanc, l'opérette de Mogador, qui figure sur les catalogues de toutes les maisons d'édition ; comment choisir entre tant de disques ? Recommandons simplement Milton dans Adieu ! Adieu ! (Columbia), Mlle Hélène Regelly et le ténor G. Jouatte dans le duo Tout bleu... tout bleu... (Odéon), ainsi que la Sélection donnée par l'orchestre de Jack Hylton (Gramophone). On écoutera volontiers aussi les couplets de l'opérette Azor, enregistrés par les interprètes mêmes : Jane Marnac, Gabaroche, Eliane de Creus, Koval (Ultraphone) ; et l'on retrouvera avec plaisir ce dernier dans les principaux airs de Passionnément, la gracieuse opérette de Messager. « Quand on a bu », chanté par Koval, est une chose pleine de saveur (Ultraphone).
Dans un genre plus sérieux, signalons la sélection en sept disques sur la Tosca, avec, comme interprètes, Mme Ninon Vallin, MM. di Mazzei, Endrèze et Payen (Odéon). Il est à noter que Ninon Vallin, qui n'a jamais chanté la Tosca à la scène, fait ici ses débuts dans ce rôle. Parmi les autres disques de chant, nous détacherons l'air des cartes de Carmen, par Ninon Vallin (Pathé), le chant du Printemps de la Walkyrie, par le ténor Vezzani (Gramophone), un air d'Iphigénie en Tauride de Gluck, par le ténor Georges Thill (Columbia), et surtout deux mélodies japonaises, délicieusement chantées par Mlle Ayako Oghino (Gramophone). Extraites de l'ancien folklore japonais, ces mélodies, qui font songer aux Chants d'Auvergne de Canteloube, sont d'un très délicat coloris ; elles sont de plus mises remarquablement en valeur par la voix au timbre très pur de l'interprète. Ceux qui ont gardé le souvenir du brio avec lequel Jeanette MacDonald scandait la « Marche des grenadiers » de Parade d'amour s'étonneront de ce que donne cette même artiste dans Aimez-moi ce soir (Gramophone). Peut-être cette déception vient-elle en partie de ce que Jeanette MacDonald chante en français.
Si le violon ne nous donne guère comme enregistrement intéressant que le Largo de la Symphonie du « Nouveau monde » de Dvorak et le Chant des Bateliers de la Volga, prestigieusement exécutés par F. Kreisler (Gramophone), nous sommes par contre plus gâtés avec le piano ; nous devons signaler une belle interprétation du « Prélude » et du « Clair de lune » de la Suite bergamasque, de Debussy, par M.-F. Gaillard (Odéon), deux pièces de F. Poulenc, Novelettes et Caprice, exécutées par l'auteur (Columbia), la Toccata et le Jardin sous la pluie, de Debussy, par Magda Tagliaferro (Ultraphone), et surtout la Sonate en si mineur de Chopin, que Cortot traduit dans sa manière si personnelle (Gramophone).
A l'orchestre, trois œuvres émergent, d'un caractère d'ailleurs tout différent : c'est d'abord l'Ouverture d’Iphigénie en Aulide de Gluck par l'Orchestre philharmonique de Berlin (Ultraphone), le Shylock de Fauré, d'une rare distinction d'écriture, particulièrement l'Epithalame et le Nocturne (Gramophone), enfin l'Histoire du soldat de Stravinsky, aux tonalités hasardeuses, parfois même inquiétantes (Columbia).
Parmi les disques de danse, nous indiquerons une exécution très nourrie et bien enlevée de Hoch Caroline par Ambrose (Gramophone), ainsi qu'un tango Amparito, agréablement rythmé par la guitare hawaïenne de M. Kalola (Gramophone).
Musique enregistrée – décembre 1932
Décembre est le mois des enfants, et les éditeurs de disques ne les ont pas oubliés. Voici, à leur intention, une série de sketches amusants où ils retrouveront les figures familières de Zig et Puce (Columbia) ; voici également, sur six disques, les Chansons de Bécassine (Gramophone), où la légendaire Bretonne, incarnée par Mlle Gallon, apparaît avec son cortège d'enfants espiègles ; chaque chanson, soutenue par des chœurs, s'accompagne d'un texte parlé, constituant ainsi une petite saynète. C'est de quoi amuser les enfants.
Les parents préféreront sans doute écouter la ravissante Suite de ballet de Grétry, orchestrée par F. Mottl (Gramophone). Nous l'avions entendue cette année, sous la même direction de Coppola, aux Concerts Pasdeloup, nous la retrouvons ici intégralement enregistrée avec son spirituel tambourin, son menuet plein de poésie, sa gigue fougueuse. C'est une œuvre pleine de grâce et de charme. Fort agréables aussi sont les Impressions de music-hall de G. Pierné, traduites par l'orchestre des Concerts Colonne, sous la direction du maître lui-même (Odéon). On appréciera ce commentaire amusé, spirituel et subtil des principales scènes du music-hall, où défilent les Chorus Girls, l'Excentrique, les clowns musicaux. Deux autres disques sont encore à recommander : l'ouverture de Tannhäuser, par le Concertgebouw d'Amsterdam (Columbia), et surtout l'admirable prélude de Lohengrin, exécuté avec un sens profond de la pensée wagnérienne, par l'Orchestre philharmonique de Berlin (Ultraphone). Il y a dans cette ensemble une plénitude et à la fois une souplesse également remarquables. C'est un très beau disque.
Dans la musique instrumentale, après avoir signalé le beau Concerto pour violoncelle et orchestre de Lalo, enregistré en trois disques par Maurice Maréchal (Columbia), nous nous arrêterons particulièrement à la Sérénade d'Hugo Wolf, le maître auquel sont dus tant de charmants lieder, délicatement interprétée, dans ses moindres nuances, par le quatuor Kolisch (Ultraphone), et au Concerto en ré majeur de Mozart pour violon et orchestre, qui bénéficie d'une interprétation exceptionnelle, avec Yehudi Menuhin et George Enesco (Gramophone).
Les disques de chant — à part bien entendu les innombrables extraits de films sonores — se confinent dans l'éternel répertoire ; et malgré tout le talent de Ninon Vallin dans Manon (Pathé), de Villabella dans Carmen et le Roi d'Ys (Pathé), de Lucy Berthrand dans Mignon et la Vie de Bohème (Odéon), tout ceci, on en conviendra, manque de nouveauté. Détachons seulement une interprétation, dans un style d'un curieux modernisme, de la Romance du Saule d'Otello, par Mme Eidé Norena, ainsi que deux mélodies, bien vieillottes, de Gounod, Envoi de fleurs, et Prière, auxquelles le prestigieux talent de Vanni-Marcoux redonne une grâce nouvelle.
Et nous ne nous arrêterons aux multiples disques de danse que pour signaler une rumba mélancolique et obsédante, Lamento esclavo, exécutée dans une bien jolie couleur par le Rico's creole band (Gramophone).
Musique enregistrée – janvier 1933
Lorsque Caruso mourut en 1921, la technique phonographique était encore imparfaite et utilisait surtout l'enregistrement mécanique. La Compagnie du Gramophone a réalisé un véritable tour de force en reprenant un ancien disque de Caruso et en le réenregistrant par le procédé électrique, tandis qu'un nouvel orchestre, couvrant avec une synchronisation parfaite l'enregistrement primitif, assurait l'accompagnement. Ainsi, dans l'air de Paillasse et celui de Martha, peut-on retrouver, dans toute son ampleur et dans ses moindres nuances, la voix du prodigieux ténor. C'est là un précieux document.
Une très belle réalisation également est celle obtenue par le concours de Chaliapine et des chœurs de l'église métropolitaine russe de Paris, dans Litanie de supplication, de Gretchaninov (Gramophone). Sur la trame continue des masses vocales, que l'orgue appuie, la voix de Chaliapine s'enlève en un dessin chaud et vigoureux ; par le double effet de sa puissance naturelle et d'une mise en place particulièrement réussie, la voix du soliste se détache des chœurs, toujours maintenus à l'arrière-plan, sans rien perdre de leur netteté. Retenons aussi l'excellent baryton Endrèze dans la « Chanson bachique » d'Hamlet (Pathé).
L'amusante opérette, Un soir de Réveillon, se retrouve avec deux de ses créateurs, Meg Lemonnier (« Etre une poule », « Si tu m'aimes »), et Koval (« Avec une Française », « Ces p'tits mots-là ») (Ultraphone). Le même Koval interprète avec esprit deux chansons de Tiarko Richepin : Comme le bon Dieu a du talent, et Bye !... Bye !... (Ultraphone).
Ceux qui n'ont pas encore entendu le trop fameux air du Pays du sourire : « Je t'ai donné mon cœur », pourront l'écouter détaillé avec une infinie complaisance par Willy Thunis, le créateur du rôle à la Gaîté-Lyrique (Pathé).
Tandis que Joséphine Baker chante ses principaux refrains du Casino de Paris : Si j'étais blanche, les Mots d'amour, Sans amour, Ram-Pam-Pam (Columbia), Marie Dubas présente deux aspects de son talent multiforme avec une chanson populaire canadienne, Son voile qui volait, et un air plus fantaisiste de Christiné-Rip : Mais qu'est-ce que j'ai ? (Odéon).
Ne manquons pas de noter les débuts phonographiques du bon chansonnier Vincent Hyspa, avec Quel joli temps, et Réunion électorale (Odéon).
Enfin, pour épuiser tous ces « tours de chant » signalons la fantaisie très disciplinée des excellents Comedian Harmonists qui interprètent à leur façon la Marche des laveurs de carreaux, et Mon bel espoir du film Un Rêve blond (Gramophone). Ils chantent en allemand, mais les paroles ont si peu d'importance !
On sait que le premier opéra de Wagner fut Rienzi, représenté à Dresde le 20 octobre 1842. C'est du Wagner avant la lettre, peut-on dire, car le jeune compositeur — il avait alors vingt-neuf ans — qui venait de passer trois ans à Paris, était encore sous l'influence de Meyerbeer et de l'opéra français. On s'en rendra compte en écoutant l'Ouverture de Rienzi, dont l'Orchestre philharmonique de Berlin donne une belle et sonore interprétation (Ultraphone). On tirera profit à comparer le morceau avec le Carnaval romain, de Berlioz, écrit vers la même époque (1844), et très bien traduit par l'orchestre Halle (Columbia). Les auditeurs plus sensibles aux qualités de grâce noble goûteront particulièrement le Concert dans le goût théâtral de François Couperin que l'orchestre de l'École normale de musique de Paris, sous l'intelligente direction d'A. Cortot, nous restitue avec sentiment et élégance (Gramophone).
Enfin, détachons deux disques de piano d'une égale qualité. G. Bertram, qui interprète dans un style parfait, le Scherzo en mi mineur de Mendelssohn, nous révèle, en outre, la curieuse Danse nègre de Cyril Scott, celui qu'on a appelé justement le « Debussy anglais » (Ultraphone). Réservera-t-on le surnom de « Debussy brésilien » au compositeur Villa-Lobos ? Les trois pièces de lui qu'interprète au piano A. Rubinstein, révèlent une forte influence des Préludes, surtout la première, Moreninka. Mais à cette influence, Villa-Lobos ajoute sa propre personnalité, et la troisième de ces pièces, Polichinelle, est, dans le pittoresque de son dessin, extrêmement originale (Gramophone).
Musique enregistrée – février 1933
L'opérette de Maurice Yvain Oh ! papa, dont nous rendons compte d'autre part, abonde en couplets alertes, qu'on aura plaisir à entendre dits par les créateurs mêmes : Boucot est plein d'entrain dans Je suis petit et l'Homme orchestre, où chaque instrument ponctue tour à tour les avatars d'un infortuné musicien ; il faut l'entendre aussi dans le Train surprise, d'une curieuse harmonie imitative (Ultraphone) ; Jacqueline Francell est charmante dans la jolie valse Rien qu'en se frôlant (Ultraphone). De son côté, Dranem, l'inénarrable chauffeur-mentor d'Un soir de réveillon, redit pour nous sa bouffonne Chanson du doge (Pathé).
La technique des ensembles vocaux, qui nous furent révélés naguère par les chœurs russes, s'est considérablement perfectionnée. Les voix arrivent maintenant à tenir lieu d'instruments. Nous avons déjà signalé les originaux enregistrements des Comedian Harmonists (Gramophone). Ces artistes ont fait école. Dans un fox-trot, Vera, et un paso-doble, Isabella, les « 5 Songs » attestent une très amusante virtuosité (Ultraphone). Leurs voix reproduisent avec adresse toutes les fantaisies harmoniques du jazz. D'un style plus classique, le quintette féminin des « Pallos ladies » traduit de façon très expressive le Moment musical de Schubert et une Berceuse de Pallos. Il y a chez ces chanteuses un souci subtil des nuances, et elles obtiennent des effets pleins de charme (Gramophone). Comment définir celui qui se dégage des chansons tsiganes de Barbara Diu, Korabli et Gde ti moïa schoura (Ultraphone) ? La voix n'est pas d'une qualité exceptionnelle, et pourtant elle est prenante et a un accent très personnel.
Dans la note traditionnelle, nous signalerons l'émouvant contralto d'Alice Raveau dans les Amours du poète, de Schumann (Pathé), et un nouvel aspect du talent de Ninon Vallin dans deux valses populaires, Angoisse d'amour, de Benatzky et Valse chantée de Broqua (Pathé). Pierre Dupré, baryton-basse de l'Opéra-Comique, exprime avec beaucoup d'émotion et de goût la peine de Figaro dans l'air : O Suzanne, quelle peine est la mienne ! (Odéon). Enfin, si le fameux quatuor de Rigoletto risque de paraître, dans sa bravoure, un peu vieillot, malgré la valeur des interprètes : Mmes Y. Brothier, G. Galland, et MM. Vezzani et Morturier, par contre le « Miserere » du Trouvère n'a, aujourd'hui encore, rien perdu de son intensité dramatique ; le ténor Vezzani et Mlle O. Ricquier interprètent avec beaucoup d'éclat cette page justement célèbre (Gramophone).
Parmi les pièces d'orchestre, nous mentionnerons l'exécution par l'orchestre Halle de la Symphonie en ré majeur de Haydn, dite « l'Horloge » (Columbia). L'interprétation est soignée, sans valoir cependant celle qu'en a donnée naguère le maître Toscanini (Gramophone). Développé à l'orchestre, l'adagio de la Sonate pathétique perd un peu du charme intime qu'il a au piano, mais l'orchestre philharmonique de Berlin le traduit avec une religieuse ferveur. Pour l'adagio de la Sonate au clair de lune, interprété par le même orchestre sur l'autre face du disque, on a conservé la partie de piano, mais le mouvement en est un peu précipité (Ultraphone). Et puisque nous touchons aux sommets musicaux, signalons tout particulièrement le fameux Concerto brandebourgeois de J.-S. Bach, dont Cortot au piano, Thibaut au violon et Cortet à la flûte nous donnent le premier et le deuxième mouvement exécutés dans un style remarquable (Gramophone).
Aux amateurs de disques de danse recommandons le fox-trot Take me away from the River, un des plus colorés qui soient, par l'orchestre de Fletcher Henderson (Gramophone) ; et, si l'on préfère des harmonies moins hardies, une jolie valse : When mother played the organ, par l'orchestre d'Ambrose (Gramophone).
Musique enregistrée – mars 1933
Parmi les Ouvertures d'opéras, celle de Guillaume Tell est justement considérée comme une des plus brillantes. Les quatre parties qui la composent : le cantabile de violoncelle qui en forme le début, le mélancolique ranz des vaches modulé sur le cor anglais et la petite flûte, le grondement de l'orage, enfin les sonneries de clairon qui annoncent la lutte et le chant de victoire qui en célèbre l'heureuse issue, contribuent à créer l'atmosphère de l'œuvre. Aussi écoute-t-on avec agrément l'interprétation très nuancée qu'en donne l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire (Gramophone).
Un peu différente dans sa forme, qui rappelle plutôt celle de la sonate, l'ouverture dite de Concert recherche également la couleur et l'éclat. On trouvera l'une et l'autre dans l'ouverture solennelle que Tchaïkovski composa en 1880 pour l'inauguration de l'église du Saint-Sauveur à Moscou, et qu'il a intitulée 1812. C'est un tableau vigoureusement brossé de la Russie lors de l'invasion française : le thème de la « Marseillaise » circule au long de l'œuvre, qui s'achève par l'hymne national russe, chanté par des chœurs, en signe d'allégresse, après le départ de l'envahisseur. Ce mélange d'orchestre et de voix (celles-ci placées au début et à la fin) produit de très heureux effets, qui se retrouvent dans l'exécution très sonore de l'Orchestre philharmonique de Berlin (Ultraphone).
Dans la musique de genre, mentionnons deux czardas, de la Comtesse Maritza et de la Princesse Czardas, jouées avec beaucoup de couleur et de rythme par l'orchestre tzigane de Lajos Kiss (Ultraphone), ainsi qu'une très amusante fantaisie imitative, le Tortillard, dont le jazz de Schindler retrace le pittoresque parcours à travers la campagne (Ultraphone).
Cavalleria rusticana est certainement la meilleure œuvre du vérisme italien. Le duo qui termine le premier acte est d'un mouvement très dramatique, que rompent par instants de larges unissons. Les deux voix du ténor Vezzani et de Mlle O. Ricquier s'accordent merveilleusement et leur enregistrement est parfait (Gramophone). Le contralto de Mlle Tessandra dans l'arioso de la reine d'Hamlet ne manque ni de chaleur ni d'ampleur (Odéon) ; mais ces qualités se retrouvent à un degré supérieur dans les deux mélodies religieuses de Beethoven : la Mort et la Gloire de Dieu dans la nature, qu'interprète Mlle Alice Raveau (Pathé), dont la voix est, par surcroît, très émouvante.
Il se dégage aussi de l'émotion de la diction de Lucienne Boyer, qui nous donne, ce mois-ci, deux chansons : J'ai laissé mon cœur et Parle-moi d'autre chose (Columbia). Elle a évidemment assez demandé qu'on lui parlât d'amour.
Depuis que Layton et Johnstone ont créé leur remarquable numéro, qu'ils poursuivent d'ailleurs avec Leven pounds of heaven (Columbia), on a vu une abondante floraison de duettistes. Parmi les meilleurs du moment, il faut signaler Richard et Carry qui sont très agréables dans Ma chanson du Nil et Berceuse des feuilles (Gramophone).
Dans les disques d'instruments, il faut retenir un bel enregistrement du jeune violoniste Yehudi Menuhin : Guitare de Moskowski-Sarasate et Sicilienne et Rigaudon de Francœur-Kreisler (Gramophone). Cet artiste, dont la technique est impeccable, n'a heureusement pas que de la technique. Le même éloge se peut appliquer au pianiste Jacques Dupont, qui exécute la redoutable Méphisto-Valse de Liszt, à la fois en virtuose et en musicien. Et, puisque nous parlons de virtuoses, signalons The Saw Player (le Joueur de scie), qui, soutenu par un orchestre de violons et des chœurs mixtes, interprète fort adroitement une Mélodie de Chopin et le trop fameux Clair de lune de Werther (Odéon).
Aux mélancoliques recommandons les Histoires d'Olive, dites par Gorlett, avec l'accent le plus savoureux (Gramophone). Elles font oublier pour cinq minutes les ennuis de l'heure présente.
Musique enregistrée – avril 1933
En face de la pauvreté de la production phonographique de ce mois, nous nous bornerons à signaler la nouvelle édition, en trois disques, que Gramophone donne de la Mer, de Debussy. Un précédent enregistrement en avait paru il y a environ quatre ans ; mais la subtile fluidité de la musique de Debussy est telle qu'elle a peine à se fixer sur la cire. La nouvelle présentation, due à l'orchestre des Concerts du Conservatoire, semble avoir triomphé de toutes ces difficultés et les fervents de Debussy pourront goûter le miracle sonore de ce beau poème symphonique.
Indiquons aussi, chez la même maison, la nouvelle série d'enregistrements de la Comédie-Française, consacrés ceux-ci au théâtre romantique. Victor Hugo n'y tient pas, comme on pourrait le croire, la première place. Il n'y est représenté que par deux disques, donnant l'un la scène de la noce d'Hernani et la tirade de Job des Burgraves, par Jean Hervé, l'autre l'admirable scène du retour de don César au IVe acte de Ruy Blas. André Brunot y est un César d'une fantaisie claironnante. Musset, par contre, a pour lui quatre disques : A quoi rêvent les jeunes filles, et Fantasio ; le Chandelier ; Il ne faut jurer de rien ; Un caprice. La finesse de ce dialogue délicat, tout en nuances, s'accommode très bien de la forme abstraite de l'émission phonographique. Enfin, on a joint la scène de la séduction du Carrosse du Saint-Sacrement, de Mérimée. Mme Mary Marquet y fait valoir tous ses dons qui sont multiples.
Musique enregistrée – mai 1933
Les éditions de ce mois nous apportent simultanément : les principaux airs de Katinka, notamment « Viens aimer », « Chanson de Katinka », et « Avec un sourire », chantés par Mlle Rita Georg, qu'on entendrait avec moins d'agrément si elle n'était pas si agréable à considérer (Gramophone) ; les couplets de l'amusante opérette de G. Dolley, Jean Nohain et Mireille, A la belle Bergère, enregistrés par les créateurs : Le Gallo, Cl. Dauphin, Christiane Dor (Ultraphone) ; enfin quelques extraits de Dix-neuf ans, dont il convient de signaler l'air si gracieux « Dix-neuf ans », chanté par Eliane de Creus (Gramophone). Il semble, décidément, que désormais toute la musique soit vouée à l'opérette. Par un phénomène contraire, voici que le cinéma tente de s'annexer la grande musique : écoutez plutôt Chaliapine, oui lui-même, chanter, avec une autorité qui risque peut-être de paraître un peu lente à l'écran, mais qui garde dans le disque toute sa plénitude, la « Chanson à Dulcinée » et la « Mort de Don Quichotte », du film Don Quichotte, dont Jacques Ibert a écrit la musique (Gramophone).
Aux amateurs de goûts plus traditionalistes, nous ne voyons guère à recommander que la Symphonie pathétique de Tchaïkovski, dont l'orchestre philharmonique de Berlin exécute le Scherzo et la Marche dans un heureux mouvement et avec une agréable légèreté (Ultraphone).
Au piano on écoutera avec plaisir la Rhapsodie hongroise n° 12, de Liszt, interprétée par A. de Radwan, avec une nervosité qui rachète par la sonorité ce qu'elle peut avoir d'un peu sec parfois (Ultraphone) ; et quelques pièces de Chopin : Prélude en si mineur, Mazurka en sol majeur et Etude en sol bémol majeur, où le subtil interprète du maître, Vladimir de Pachmann, apporta, quoique octogénaire, une ferveur demeurée juvénile (Gramophone).
Parmi les disques de chant, nous retiendrons la voix bien chantante du ténor Muratore dans deux chansons napolitaines : Silenzio cantatore, Palomma' e notte (Pathé) ; l'organe puissant de B. Gigli dans A canzona' e Napule (Gramophone), la parfaite diction de Jean Lumière, dans les Emigrants et le Passeur du printemps (Odéon), enfin la fantaisie toujours amusante et admirablement réglée des « Comedian Harmonists » dans Fête villageoise et Chanson à boire (Gramophone).
Parmi les orchestres de genre, signalons le Cercle d'accordéonistes « Spielring », de Zurich, avec Souvenir du foyer et Parade de garde lilliputienne (Ultraphone), et l'Orchestre napolitain, très homogène dans O marenariello et O Sole mio (Pathé).
Enfin mentionnons, au moins comme essai intéressant de théâtre phonographique, une adaptation d'Hamlet, en six disques, de Jean Variot, d'où toute émotion dramatique n'est pas absente (Columbia).
Musique enregistrée – juin 1933
Connaissez-vous le koto ? C'est l'instrument national du Japon ; il est formé d'une table d'harmonie sur laquelle sont tendues treize cordes soutenues par des chevalets. La sonorité n'en est point grêle, mais pleine, plus ample que celle de la harpe. Rien de plus curieux, sous ce rapport, que le disque Haru no umi (la Mer au printemps) [Gramophone]. Ecrit primitivement pour koto et flûte par le professeur Miyagi, ce morceau a été transcrit pour koto et violon par Mme Charmet, qui l'exécute avec l'auteur. La musique est d'un exotisme très accusé et d'un charme très prenant, dû à la fois à la mélodie elle-même et à la qualité particulière de l'interprétation. M. Miyagi est, paraît-il, un virtuose célèbre en son pays : nous le croyons volontiers, à en juger par la maîtrise qu'il montre ; quant à Mme Charmet, elle parvient à donner à son violon la sonorité sans vibration des flûtes de bambou dont se servent à l'ordinaire les musiciens japonais, et ses pizzicati s'apparentent étroitement à la technique du koto.
Plus aigre paraît, par comparaison, la sonorité du clavecin ; mais, que de grâces vieillottes dans ce Rigaudon, cette Musette et tambourin de Daquin, que Mme Rœsgen-Champion interprète avec tant de sûreté ! (Gramophone).
Bonne exécution de la première Suite de l'Arlésienne, en trois disques, par l'orchestre d'Inghelbrecht (Pathé).
Parmi les disques de chant, retenons deux fragments de Guercœur, d'A. Magnard, fort heureusement servis par la voix chaude et nuancée du baryton Endrèze (Pathé), ainsi que deux mélodies de Fauré : les Berceaux et Clair de lune, que fait valoir le beau contralto d'Alice Raveau (Pathé). Nous préférons cependant l'interprétation du même Clair de lune par Ninon Vallin (Pathé). Le ténor allemand Melchior nous présente un incomparable Siegfried, dans l'air du premier acte : « Nothung ! Nothung ! ». Il y a, dans son chant, une frénésie sauvage, une exaltation de primitif qui touche au grand art (Gramophone).
M. Marchesini joue au violoncelle de façon délicieuse l'Attente et le Ruisseau, de Schubert (Gramophone).
Enfin, nous recommandons le disque de Monsieur de Pourceaugnac, qui nous offre sur une face la scène de l'apothicaire, où l'excellent Croué se révèle un virtuose du bégaiement, et sur l'autre face le duo des médecins grotesques, dont la musique a une charmante couleur très dix-septième siècle, et qui est enlevé avec beaucoup de brio (Gramophone).
Musique enregistrée – juillet 1933
Le jazz « hot », qui fait fureur en Amérique, semble un peu rude pour nos oreilles françaises. Les musiciens s'y livrent à des fantaisies d'improvisation parfois ahurissantes, et exécutent sur le thème de base des variations acrobatiques, où leurs instruments — notamment saxophones et trompettes bouchées — tour à tour crient, rient, gémissent. Il y a là un incontestable dynamisme ; mais pour le goûter, il faut soit l'accablement de la chaleur, car cette musique est elle-même brillante comme un soleil d'été, soit le grand air, qui aide l'oreille à endurer cette cacophonique symphonie. Pour stimuler l'engourdissement de certaines villégiatures, rien de tel que certains disques d'Armstrong, le célèbre trompette nègre, ou de Duke Ellington, animateur forcené de son jazz. Nous recommandons du premier Mahogany hall stomp, qui est presque un solo continu de trompette, et Hobo you can't ride this train (Gramophone), où la voix éraillée d'Armstrong et son timbre canaille de nègre américain sont fort pittoresques ; et du second, Mississipi dry, où l'on relèvera de délicats effets de cuivres bouchés, et Bugle call rag, un véritable déchainement (Gramophone).
Les oreilles plus sensibles trouveront des joies plus délicates à écouter le jeune virtuose Yehudi Menuhin dans Campanella, de Paganini, où son archet, d'une légèreté aérienne, semble danser sur toutes les cordes du violon, véritable merveille de grâce, et dans la mélancolique complainte de la Fiancée du tzar, de Rimski-Korsakov, où son instrument atteint à l'émouvante sonorité du violoncelle (Gramophone).
Naturellement, Frasquita, la récente opérette de F. Lehár, figure sur tous les catalogues. On peut en entendre les principaux airs par le ténor Villabella (Pathé), Max Bussy (Gramophone) ou Mme Guyla (Gramophone) ; mais il vaut mieux écouter les créateurs de l'œuvre, M. Louis Arnoult et surtout Mme Conchita Supervia, dont la voix, d'un mezzo très étendu, semble enfermer tout le rayonnement et la chaleur de l'Espagne, et dont le sentiment dramatique anime cette nouvelle Carmen, plus viennoise qu'espagnole (Ultraphone). Grâce à elle, l’ « Entrée de Frasquita » ne manque pas d'allures, et les deux chansons populaires espagnoles Tango lunares et Los ojos negros negritos prennent une couleur presque véridique.
Un bon ensemble est celui formé par le ténor Vezzani et Mme Guyla dans le grand duo du troisième acte de la Tosca. Les voix sont belles, amples, et — chose rare — la diction est distincte (Gramophone). Au plaisir que nous donnent ces deux excellents chanteurs s'ajoute celui de comprendre ce qu'ils disent !
Recommanderons-nous Quand ma Zézette yoyote, fox-trot chanté par Dranem (Pathé) ? Il n'y faut recourir qu'en cas de complet accablement. Mais on prendra certainement plaisir à écouter Max Dearly, dans deux scènes de la Fille à Lévy, la leçon d'économie, et les conseils d'Abraham. Max Dearly a campé là un type de vieil israélite, que par la seule magie de sa voix, de son accent et de ses intonations, il arrive à nous rendre visible. En l'écoutant, on croit le voir (Gramophone).
Musique enregistrée – août 1933
Le disque ne se contente plus de nous faire danser. Le voici qui se propose de nous initier à l'art de la danse, et c'est, ma foi, une heureuse idée. En écoutant les conseils de Mlle Argentin, chacun pourra aisément se débrouiller dans les complications du one-step, du fox-trot, du tango et même de la rumba. Sans doute, les explications de Mlle Argentin sont forcément, quoique très claires, assez concises, et l'on risque de ne pas saisir du premier coup ; mais, comme la patience du professeur est inépuisable, puisqu'il suffit de remettre le disque en marche, on peut prolonger la leçon tout le temps nécessaire. La démonstration du one-step comporte en outre, en manière de préface, un exposé des principes généraux de la danse moderne de salon : tenue des danseurs, position des pieds, etc. Ce n'est plus, selon l'ordinaire formule, « le parfait danseur en quatre leçons », mais le parfait danseur en quatre disques (Gramophone).
Musique enregistrée – septembre 1933
L'ouverture de Preciosa, quoique ne comptant pas parmi les œuvres maîtresses de Weber, est néanmoins empreinte d'une couleur romantique assez chaude pour qu'on en écoute avec intérêt l'interprétation qu'en donne l'orchestre philharmonique de Berlin (Ultraphone) ; mais on goûtera certainement davantage l'admirable prélude de Tristan et Isolde, impeccablement traduit, dans toute sa fièvre de passion, par The B. B. C. Symphony orchestra (Gramophone). C'est, à notre connaissance, une des meilleures exécutions qui aient été enregistrées de ce chef-d’œuvre.
Aux amateurs de musique légère, nous recommanderons deux brillantes valses de Johann Strauss : Voix du Printemps et les Lagunes (Ultraphone), qui évoquent une époque charmante et déjà lointaine, et aussi une aimable fantaisie sur l'opérette célèbre Phi-Phi, par l'orchestre Andolfi, qui ajoute à l'interprétation orchestrale des refrains chantés par Simone Cerdan et Denis Paulet (Pathé).
La pièce de choix de ce mois est certainement le Prélude, Aria et Finale de César Franck, interprété au piano, en trois disques, par Alfred Cortot (Gramophone). Musique subtile et spiritualisée, pourrait-on dire, que l'art de l'interprète rend plus pénétrante encore. Moins connu de nous, le violoncelliste Emmanuel Feuermann est un virtuose de haute classe, dont on appréciera le talent dans la brillante et périlleuse Rhapsodie hongroise, de Popper (Ultraphone). C'est un disque d'une ample sonorité.
Aux disques de chant, on ne voit guère à signaler, dans le grand répertoire, que le « duo de Saint-Sulpice » de Manon, interprété avec beaucoup de feu par l'excellent ténor Villabella et Ninon Vallin, dont la voix est, décidément, une des plus phonogéniques qui soient (Pathé). Le cinéma parlant — et chantant —, qui s'annexe désormais toutes les vedettes, nous permet d'entendre le prestigieux Tito Schipa dans Sérénade à la lune, et surtout Esperanza, tango bien rythmé, deux airs tirés de Trois hommes en habit(Gramophone). Enfin, du répertoire des vieilles chansons françaises, souvent un peu libres dans leur inspiration et leur texte, mais savoureuses néanmoins par leur malice gauloise, nous extrairons Ma femme est morte et les Moines de Saint-Bernardin, que chante avec entrain Sarthel (Ultraphone).
Musique enregistrée – octobre 1933
L'irrésistible drôlerie de Knock, la célèbre comédie de Jules Romains, persiste dans la traduction phonographique que Louis Jouvet, l'inimitable créateur de la pièce, nous donne ce mois-ci de deux scènes particulièrement amusantes (Columbia). Elles répondent l'une et l'autre aux conditions particulières du théâtre phonographique, qui ne peut tirer ses effets que du comique des répliques et de la cocasserie du ton.
Et voici encore un excellent disque de diction, dû à Mme Mary Marquet, qui, un peu trop élégiaque dans la courte pièce des Contemplations. « Elle était déchaussée », dit avec beaucoup d'émotion l'épisode du « Chien », extrait de Jocelyn, et obtient de dramatiques effets dans le Vent, de Verhaeren (Gramophone). Cette dernière pièce marque une très intelligente adaptation de la voix et du timbre aux intentions du texte, et l'on regrette seulement que le poème n'ait pas été donné intégralement.
Une très belle chose est le Poème pour violon et orchestre, de Chausson, enregistré en deux disques par le jeune Yehudi Menuhin et l'orchestre symphonique de Paris (Gramophone). Debussy en louait très justement « la douceur rêveuse ». De facture très franckiste, ce poème se déroule selon une ligne mélodique empreinte de mélancolie et de mystère, et que n'alourdissent pas les cadences de virtuosité, toujours expressives et liées au dessin général.
Au violon également, signalons les pittoresques interprétations que donne Mlle Yvonne Curti des Scènes montagnardes, de Jean Dyff, et de la Noce bretonne, de Willaume. Ce sont deux pièces de caractère imitatif, aux sonorités parfois inattendues et curieuses (Pathé).
Le souffle, vraiment étonnant, de M. Gaston Crunelle, première flûte solo de l'Opéra-Comique, se joue sans effort des acrobatiques difficultés de la brillante Valse de Chopin, op. 64, n° 1 (Gramophone).
Aux disques de chant, s'il convient de louer le tour de force technique réalisé par la surimpression d'un nouvel orchestre sur un ancien disque de Caruso, il faut avouer que le volume de voix du grand ténor, acceptable dans l'air d'Aïda, « Céleste Aïda », paraît beaucoup trop ample pour l'air des Pêcheurs de perles, « Je crois entendre encore » (Gramophone). Un régal plus délicat nous est offert par Mme Alice Raveau, dans deux mélodies, l'une de Laparra, la Lumière morte, l'autre de Barlow, Droite, dans la candeur des voiles (Pathé).
Signalons, pour terminer, une excellente traduction des airs du nouveau film-revue, The gold diggers of 1933 (les Chercheuses d'or), par Leo Reismann qui exécute un fox-trot The gold diggers' song, et par Ray Noble, qui joue très pittoresquement the Shadow waltz, valse aux agréables sonorités (Gramophone).
Musique enregistrée – novembre 1933
Obligées de suivre l'actualité, les maisons d'éditions enregistrent toutes les opérettes nouvelles, quelle qu'en soit la valeur. On trouve donc dans les catalogues de ce mois et des Deux sous de fleurs, avec Mlle Rita Georg (Gramophone) ou Mlle Germaine Duclos (Odéon), et des Dubarry, avec Mlle Janine Guise (Gramophone) ou Mlle Simone Lencret et S.-M. Bertin (Ultraphone). La pauvreté musicale de ces deux productions ne vaut pas qu'on s'y arrête.
Louons plutôt le souci d'art qui a présidé à l'enregistrement de la 5e Symphonie de Beethoven, admirablement conduite par F. Weingartner (Columbia), et des délicieux épisodes de Ma Mère l'Oye, de Ravel : « Pavane de la Belle au bois dormant », « le Petit Poucet », « Laideronnette », « la Belle et la Bête ». Toute la suggestive subtilité de cette musique est excellemment traduite par l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire (Gramophone).
Réjouissons-nous aussi du plaisir — un peu austère, mais d'une rare qualité — qui est offert aux amateurs de musique sacrée par la maîtrise de la cathédrale de Dijon, dans ses interprétations des maîtres religieux de la Renaissance (Gramophone). On souhaiterait pouvoir analyser dans le détail les divers échantillons de l'art polyphonique qui nous sont proposés, et entre lesquels se détachent particulièrement un Ave cœlorum domina, de Josquin des Prés, un psaume de J. Mauduit : En son temple sacré, le Kyrie de la Missa assumpta, de Palestrina. Bornons-nous à renvoyer à la savante notice qu'a rédigée pour ces disques M. Samson, le maître de chapelle de la cathédrale de Dijon, et signalons seulement le caractère très nuancé de l'exécution par ce chœur imposant de cent vingt voix.
Revenus à la musique profane, nous goûterons l'exceptionnelle délicatesse avec laquelle le pianiste Vladimir Horowitz interprète, constamment en demi-teintes, l'Etude en fa majeur et la Mazurka en fa mineur, de Chopin (Gramophone). Aucun éclat, aucune recherche de l'effet tapageur, mais une finesse de touche surprenante. Ceux que pourrait surprendre le debussysme exacerbé de la Fontaine d'Aréthuse, de Szymanowski, subtilement traduit par le violoniste J. Thibaud, n'en goûteront que mieux, par le même artiste, le Scherzando plus classique de Marsick, qui fut justement le maitre de Thibaud (Gramophone).
Le « sex appeal » de Marlène Dietrich, incontestable à l'écran, est beaucoup plus discutable au micro. Il en est cependant qui goûtent sa voix rauque et sourde ; reconnaissons d'ailleurs que son interprétation de Jonny est dramatique et assez émouvante (Ultraphone). Plus attrayant est l'entrain de Robert Burnier et Claude Pingault dans d'aimables duos sans prétentions, tel que le Petit train départemental (Ultraphone). Signalons aussi la dernière fantaisie de Betove : Baromètre du sex appeal musical (Odéon).
Dans la musique de danse, toujours abondante, nous retiendrons seulement un slow-fox et un fox-trot tirés l'un et l'autre du Pays du sourire et très joliment arrangés par l'orchestre de Marek Weber (Gramophone), et un són : Lamento cubano, d'Eliseo Grenet, dont la plaintive mélopée tranche curieusement sur le rythme vif de l'accompagnement (Gramophone).
Musique enregistrée – décembre 1933
Il y a maintenant des disques d'étrennes comme il y a des livres d'étrennes. Mais ceux-là amuseront-ils les enfants autant que ceux-ci ? Signalons du moins une amusante adaptation de Robinson Crusoé présentée avec verve par Urban (Gramophone).
Aux autres rayons, nous relevons une pieuse et sonore interprétation du « Prélude » du 3e acte de Lohengrin et de « la marche » de Tannhäuser, par l'orchestre philharmonique de Berlin (Ultraphone), et, du même Wagner, « l'Enchantement du Vendredi saint » de Parsifal, par le B. B. C. Symphony Orchestra (Gramophone). De telles pages musicales gardent toujours leur attrait, en dépit du flot envahissant des opérettes.
Parmi celles-ci, bornons-nous à indiquer une belle exécution de l'ouverture de la Chauve-souris par l'orchestre philharmonique de Vienne (Gramophone), et la marche militaire de Rose de France : « Quand les soldats vont au pas », qui offre d'abondantes réminiscences de la marche des grenadiers de Parade d'amour ; comme, par surcroît, Mme J. Guyla rappelle Jeanette MacDonald par la fraîcheur et l'éclat de son timbre, la ressemblance s'accuse davantage encore (Gramophone). André Baugé interprète agréablement un tango et la valse « Pour vivre auprès de vous » de la même opérette (Pathé).
Entre les instrumentistes, nous détacherons le violoniste Georges Kulenkampff, qui, dans Tambourin chinois de Kreisler et Tango d'Albeniz, a une fort jolie sonorité (Ultraphone). Au piano, Jacques Dupont traduit avec beaucoup de couleur Triana d'Albeniz (Pathé) ; quant à A. Cortot, il garde toujours la même aisance et le même charme dans la virtuosité : son interprétation de l'Étude en forme de valse de Saint-Saëns, est exquise (Gramophone).
Une fort intéressante révélation est celle de Mlle Elsie Houston, chanteuse sud-américaine qui interprète des airs populaires du folklore brésilien. Ces « côcos » et « emboladas » qui se déroulent sur le rythme trépidant et obsédant des rumbas, sont excellemment mis en valeur par la voix très souple et très variée de l'interprète. Des plus curieux notamment est le contraste entre la tonalité sourde et triste de la Berceuse africano-brésilienne et l'éclat de l'embolada qui lui succède : Oia o sapo. C'est un disque à entendre et à garder (Gramophone).
Notons enfin, parmi les disques de danse, un joli fox-trot, par Don Bestor et son orchestre, Isn't this a night for love ?, doublé, sur l'autre face, d'un fox-trot tiré du Beau chant du Nil, par l'orchestre de Leo Reisman, qui trahit des intentions d'orientalisme un peu naïves (Gramophone) ; une valse-boston, Tout pour toi, mon amour, par l'orchestre Barnabas von Geczy (Ultraphone) ; deux valses, l'Or et l'argent de F. Lehár, et Sang viennois de J. Strauss, par l'orchestre viennois de Bela Rex (Pathé), et, pour clôturer tout concert, les deux valses brillantes : les Nuits napolitaines et Valse de minuit, très pittoresquement orchestrées, à renfort de scies musicales, de mandolines... (Ultraphone).
Musique enregistrée – janvier 1934
La rentrée de Mistinguett aux Folies-Bergère est un événement de telle importance que les diverses maisons d'éditions se sont empressées de lui demander l'exclusivité de ses chansons. La divette, qui a le cœur généreux, l'a accordée... à toutes. Aussi peut-on l'entendre dans C'est vrai et dans Tout ça n'arrive qu'à moi, aussi bien chez Pathé que chez Odéon ou Columbia ! Gramophone seul reste fidèle à la revue du Casino de Paris, et cela nous vaut un disque de tout premier ordre : la célèbre rumba Ali-Baba, interprétée par les Comedian Harmonists. Jamais ce fameux quintette vocal n'a obtenu dans ses ingénieuses trouvailles une aussi parfaite réussite ; c'est une merveille d'orchestration vocale. D'une texture toute différente, l'air : Tout le jour, toute la nuit, où les voix se réduisent parfois à un simple murmure, est également fort suggestif (Gramophone).
Très spirituel aussi est le fox-trot de Mireille : Ce petit chemin ; on pourra l'entendre, soit traduit par l'orchestre Fred Adison (Gramophone), soit agréablement chanté par Jean Sablon (Columbia).
Le déferlement des opérettes s'est heureusement un peu calmé. Nous retiendrons toutefois la Madone du promenoir, dont Mlle Sim-Viva, la créatrice de l'opérette au théâtre Mayol, a enregistré les principaux airs : Je veux revoir Paris, la Madone du promenoir, et Un homme (Ultraphone). Musique facile, sans doute, mais agréable et bien suivie par la voix de l'interprète.
Les préventions que l'on peut avoir contre les sketches dits comiques — dont certains sont d'une attristante niaiserie — se dissipent en écoutant Duvallès dans les Joies du téléphone (Ultraphone). Sans doute regrette-t-on la mimique de cet amusant comédien et son ahurissement hilare, mais on y supplée aisément grâce à la drôlerie du débit, aux inflexions tour à tour emportées et suppliantes du malheureux abonné.
On ne peut par contre se défendre de quelque émotion triste, malgré le caractère des scènes, en entendant Gémier dans Boubouroche et le Gendarme est sans pitié. Ce sont les seuls enregistrements qui nous conserveront la diction sobre de cet excellent acteur, dont la mort est encore si récente (Odéon).
Dans la Prière de la Charlotte, de J. Rictus, la fantaisiste Marie Dubas révèle un aspect émouvant de son talent si divers. La mise en scène sonore qui accompagne ce poème plaira à certains (Columbia).
Un enregistrement de qualité est celui des « Chœurs de la grande synagogue de Berlin » (Pathé). La musique religieuse hébraïque a gardé, dans son pathétique, quelque chose de l'orientalisme primitif. L'enregistrement de Emess est très réussi.
C'est également une fort belle réussite, digne de tous éloges, que l'enregistrement de la Chevauchée des Walkyries, par l'orchestre Pasdeloup, avec le concours de Mme Marjorie Lawrence — une énergique Brünhilde — et de huit walkyries de l'Opéra. De beaux effets de sonorité y sont obtenus par le groupement judicieux des voix, qui se marient sauvagement aux timbres de l'orchestre (Gramophone).
La question du volume des voix a, au micro, une importance primordiale. Celles de Mme J. Guyla et de M. C. Vezzani s'apparient exactement dans les deux duos du Ier et du IVe acte d'Hérodiade (Gramophone).
Au piano, Mme Magda Tagliaferro, dans la Grande valse et l'Impromptu de Chopin, atteint à la perfection du mécanisme ; on souhaiterait cependant un jeu moins rapide, car certaines nuances du texte en sont altérées. L'interprétation, quoique sacrifiant un peu trop à la virtuosité, est d'ailleurs très personnelle, avec des recherches de contrastes. A ce titre, ce disque est des plus intéressants (Ultraphone).
Signalons enfin une jolie réalisation obtenue par l'accord du piano (Grigault), du chant (Rose Temps) et du saxophone (Viard), dans la célèbre Sérénade de Braga et dans un air gracieux de Rimski-Korsakov : Aimant la rose, le rossignol... (Gramophone). Le saxophone s'y montre le rival de la voix humaine au point qu'il est malaisé parfois de distinguer l'un de l'autre.
Musique enregistrée – février 1934
Le Concerto brandebourgeois n° 1 en fa majeur, de Bach, donné par l'orchestre de chambre de l'École normale de musique sous la direction d'A. Cortot (Gramophone), et la Symphonie inachevée de Schubert, exécutée par l'Orchestre symphonique de Londres (Columbia), sont les deux meilleurs enregistrements d'orchestre de ce mois, tant par la qualité musicale des œuvres que par l'excellence de la technique.
Noua en dirons autant du Concerto en mi majeur pour violon et orchestre, de Bach, interprété par Yehudi Menuhin, dont le talent — à l'inverse de beaucoup d'enfants prodiges — s'affermit encore avec l'âge (Gramophone). Deux disques fort intéressants associent I. Stravinsky, au piano, et S. Dushkin, au violon, dans des pièces de Stravinsky même : signalons, notamment, le « Scherzo » et la « Berceuse » de l'Oiseau de feu (Columbia).
Dans les disques de chant, nous détacherons un beau Chaliapine, dans l' « Air du meunier » de Roussalka et le « Rondo de Farlaf » de Rousslan et Ludmilla (Gramophone) ; un séduisant Kiepura, qui cherche à renouveler la tradition dans le grand air d'Aïda(Odéon) ; un Robert Burnier plein d'entrain dans deux des meilleurs morceaux de l'opérette Florestan Ier : « Amusez-vous » et « Margot » (Pathé).
Les possibilités ouvertes par la radiophonie incitent les musiciens à rechercher des formules nouvelles : une œuvre récente de Tomasi, Tam-tam, témoigne de cet effort, qu'il faut suivre avec intérêt ; on écoutera donc deux airs de Tam-tam : « les Désillusions » et « la Chanson des sables », interprétés par Mlle Deva-Dassy (Gramophone).
Enfin, signalons un renouvellement des Comedian Harmonists, qui abordent maintenant des œuvres purement musicales, comme le Perpetuum mobile de J. Strauss ou le Menuet de Boccherini (Gramophone). C'est un véritable orchestre que réalise ce quintette vocal.
Musique enregistrée – mars 1934
L'excellent enregistrement des interludes des 1er et 3e actes de Parsifal (Gramophone) atteste que la technique phonographique s'est parfaitement adaptée à tous les timbres de l'orchestre. Cependant, parmi les instruments, il en est de plus particulièrement phonogéniques, et les compositeurs, qui ne sauraient désormais se désintéresser de la reproduction phonographique, doivent en tenir compte. C'est ainsi que le maître Gabriel Pierné vient de composer une partition de ballet, Giration, spécialement écrite pour la machine parlante. Il a utilisé un orchestre réduit de onze instruments, comprenant, outre le quintette à cordes et le piano, une flûte, une clarinette, un basson, une trompette et un trombone. L'effet ainsi obtenu est remarquable (Columbia).
N'est-ce pas d'ailleurs la prédominance de la trompette qui donne aux orchestres de jazz tant d'affinités pour le disque ? Signalons, en ce genre, deux morceaux exécutés par l'orchestre de Ray Noble, Close your eyes et Dinner at eight, qui tranchent agréablement sur la banalité de beaucoup de ces productions (Gramophone).
Boris Godounov restera le triomphe de Chaliapine. On possédait déjà de lui, au disque, les Adieux et la Mort de Boris ; il nous donne aujourd'hui le monologue du 2e acte et la scène du Carillon. Toute la puissance dramatique de l'artiste se déploie dans ces deux pages maîtresses (Gramophone). André Baugé nous offre de Plaisir d'amour une version qu'on ne saurait, semble-t-il, qualifier de nouvelle, puisqu'elle est strictement conforme à l'édition originale ; mais il se trouve que c'est justement là ce qui en fait la nouveauté (Pathé). Le grand duo du 3e acte de Lohengrin — une des plus belles pages de la partition — est excellemment traduit par Mlle Mireille Berthon et M. Vezzani (Gramophone).
Au rayon des opérettes, signalons les deux airs fameux de Florestan Ier : « Amusez-vous » et « Margot », alertement chantés par A. Simon-Girard (Gramophone), deux pages charmantes de Valses de Vienne : « Tout est soleil... » et « Je ne suis pas de votre rang », par la créatrice de l'opérette, Mlle Lucienne Tragin (Columbia), et deux amusants couplets du Bonheur, mesdames : « la Baya » et « Ah ! le joli jeu », d'une musique déjà vieillotte, que la voix pointue de Mlle Arletty rajeunit plaisamment (Pathé). Les amis de Maurice Chevalier le retrouveront, avec sa bonne humeur, dans deux fox-trot de l'Amour guide : « Près de vous » et « Un peu plus, un peu moins » (Gramophone).
Aux amateurs de curiosités musicales, il faut recommander les enregistrements du Persan Aminoullah Hossein, qui nous révèle les ressources de l'instrument national, le tar. C'est une sorte de guitare, aux sonorités un peu grêles, mais dont la souplesse s'accorde parfaitement avec l'extrême richesse d'intervalles de la gamme persane qui va jusqu'aux tiers de tons. Hossein exécute une suite persane, Bayati Isphahan, dont l'origine remonte au XIVe siècle, et qui, malgré la grande variété des rythmes, garde quelque chose de rêveur et de nostalgique (Gramophone).
Musique enregistrée – avril 1934
L'offensive de l'opérette s'est ralentie ce mois-ci, et celle-ci n'apparaît que par quelques morceaux, d'ailleurs alertes, de Trois de la marine, particulièrement la marche « A Toulon », harmonisée de pittoresque et entraînante façon par le Jazz Musette de Georges Sellers (Gramophone).
Nous n'en sommes que plus à l'aise pour goûter quelques beaux enregistrements d'orchestre. Citons la Quatrième symphonie de Beethoven, qui, sans être une des plus marquantes, se recommande par la délicatesse de l'Adagio et le brillant du Finale. Exécutée par l'Orchestre philharmonique de Londres, sous la direction de F. Weingartner, elle emplit quatre disques (Columbia). Citons aussi les Préludes de Liszt, qui, écrits en 1850, pendant le séjour de Liszt à Weimar, comptent parmi les plus belles pages symphoniques de ce maître, et dont le troisième a été enregistré sous la direction de Selmar Meyrowitz (Pathé). Enfin, l'orchestre de chambre de l'Ecole normale de musique continue, sous la direction d'A. Cortot, la brillante série des Concertos brandebourgeois de Bach. Après les trois premiers, voici le quatrième, en « sol majeur », qui ne le cède en rien aux précédents comme intérêt musical et comme perfection d'exécution (Gramophone). On ne saurait quitter le domaine de la musique de chambre sans signaler un bel enregistrement de la Sonate en la majeur de Fauré, avec Mme Magda Tagliaferro au piano et Mlle Denise Soriano au violon (Pathé).
Le pianiste Vladimir Horowitz, à qui nous devions déjà un bel enregistrement de la Mazurka en fa mineur de Chopin, interprète la Mazurka en mi mineur du même avec cette légèreté de touche qui caractérise son jeu. Mais son talent, si varié, apparaît plus amplement dans les Hallucinations de Schumann, qui s'apparentent aux Arabesques (Gramophone).
Est-il besoin de louer l'art du violoniste J. Thibaud dans la Malagueña d'Albéniz ? Pittoresque, émotion, tout se retrouve. On goûtera aussi la religieuse Intrada, de Desplanes (1672), qui figure sur le revers du disque (Gramophone).
Dans les disques de chant, Mme Ninon Vallin, dans la Dernière valse de R. Hahn, et dans une mélodie sur la troisième Etude de Chopin, Intimité, fait valoir les qualités exceptionnellement phonogéniques de sa voix (Columbia). Il ne suffit pas, en effet, d'avoir une belle voix ; encore faut-il que le timbre se prête aux exigences de l'enregistrement. Celui de Mme Yvonne Brothier, par exemple, si pur par ailleurs, paraît un peu trop aigu, et cela nuit au charme de deux mélodies de Tiarko Richepin, Aujourd'hui plus qu'hier, et l'Amour qui passe (Gramophone). Par contre, Mme Marjorie Lawrence est une Brunhilde d'un pathétique sauvage, dans deux extraits de la Walkyrie, qui complètent le bel enregistrement que nous signalions dernièrement de la Chevauchée des Walkyries (Gramophone). Un bon ensemble est celui formé par Germaine Féraldy, Villabella, Rousseau et Lanzone, dans le quatuor de Rigoletto, un peu vieillot, mais d'une agréable inspiration mélodique (Pathé).
Mme Piérat interprète un sketch d'une grande intensité dramatique, la Berceuse au browning, spécialement écrit pour l'enregistrement par Boussac Saint-Marc. L'éminente tragédienne y fait valoir son pathétique sobre et profondément émouvant (Odéon).
Enfin, aux disques de danses, signalons le trio Ferera, qui exépute sur la guitare hawaïenne deux valses, Beautiful love et When the moon comes over the mountain (Odéon), et l'orchestre de Wayne King, qui interprète, dans les meilleures traditions, une valse langoureuse, The waltz you saved for me (Gramophone).
Musique enregistrée – mai 1934
Chaque mois voit la vogue d'un air, qu'il faut se hâter d'entendre, car il est, bientôt après, remplacé par un autre. Le mois de mai a été placé sous le signe des Trois petits cochons, l'amusant dessin animé dont le leitmotiv : Qui craint le grand méchant loup, est interprété par Milton (Columbia), Dréan (Pathé), et repris à l'accordéon par F. Gardoni (Pathé). L'arrangement le plus original et le plus amusant est celui de Wraskoff, exécuté par l'orchestre de Fred Adison. Le mélange d'orchestre et de chant, les trouvailles instrumentales qui recréent l'atmosphère même du film, font de ce disque une page de franche gaîté (Gramophone).
Parmi les disques tirés de films, qui offrent au moins l'attrait de la nouveauté et reposent des Traviata, des Rigoletto, des Si j'étais roi, signalons un air de Prologues, très délicatement chanté par l'agréable ténor Tino Rossi (Columbia). Le même film est interprété par Adrien Lamy (Odéon), Licette Limozin et Jean Sorbier (Pathé), et, en anglais, par Lina d'Acosta (Pathé).
L'excellent musicien Louis Aubert a eu la fantaisie de s'attaquer à la musique populaire, et il a eu raison, car, dans ses deux chansons : la Berceuse du marin et la Mauvaise prière, la naïve simplicité de l'inspiration populaire s'enrichit d'un couleur qui peut seule donner un art subtil et savant. Il a trouvé en Mlle Germaine Sablon une interprète tour à tour émouvante et âpre. L'orchestration curieuse concourt à l'effet dramatique ; à cause de cela, on lui en veut moins de couvrir parfois un peu la voix (Columbia). Dans le même genre populaire, signalons deux intéressantes mélodies corses : Ninina et O Cinciarella, interprétées par Mme Alice Raveau. Elles ont pour auteur Henri Tomasi, dont on voudrait bien voir enregistrer les récents Chants laotiens (Pathé).
L'amusant Dranem maintient joyeusement les traditions de l'opérette, avec deux airs de son dernier succès : les Sœurs Hortensias (Pathé).
La musique instrumentale nous offre un choix très varié avec la Symphonie en mi bémol, dite Symphonie rhénane, de Schumann, dont la couleur romantique et l'inspiration variée, qui va de la mélancolie passionnée de l’ « allegro » initial à la joie de l’ « allegro » final, par la simplicité paisible du « moderato » et la gravité religieuse du « maestoso », sont excellemment traduites par l'orchestre de la société du Conservatoire (Gramophone) ; avec le délicieux Quatuor en fa de Ravel, que le quatuor à cordes « Pro Arte » exécute avec beaucoup d'intelligence (Gramophone) ; avec les Songes, ballet de Darius Milhaud (Columbia).
Aux instruments, nous signalerons l'Etude en la bémol et le Nocturne en fa dièse majeur, de Chopin, où le pianiste Victor Gille, interprète passionné de Chopin, apporte la richesse — un peu débordante parfois — de son tempérament personnel (Odéon). Nous avons eu un réel plaisir à réentendre Pablo Casals, qui depuis longtemps n'avait plus affronté le micro. Dans un Largo de Vivaldi on le retrouve tout à fait lui-même, et cela dit tout (Gramophone).
Musique enregistrée – juin 1934
Il fallait s'y attendre ! De conquête en conquête, le disque s'annexe désormais la politique, comme en témoigne l'enregistrement de l'allocution prononcée, le 14 mai 1934, par le président Doumergue (Columbia). Voilà un précieux « documentaire », et il faut applaudir à cette initiative, sous réserve toutefois qu'il n'en soit usé qu'avec discrétion.
N'est-ce pas encore la politique qui perce à l'arrière-plan du Coriolan de Shakespeare, dont les scènes les plus caractéristiques viennent d'être enregistrées par les artistes mêmes qui ont créé cette œuvre à la Comédie-Française (Gramophone) ? L'apologue des Membres et de l'Estomac, dit avec une fine bonhomie par Léon Bernard, excellent Menenius, la touchante supplication de Volumnie (Delvoir) à son fils Coriolan (Alexandre), et surtout les débats de Coriolan avec la plèbe et sa diatribe contre les mauvais tribuns constituent autant de tableaux phoniques d'une haute intensité d'évocation.
Dans un genre tout différent, André Randall divertira les plus moroses dans un amusant sketch de Willemetz, le Parleur inconnu (Gramophone).
Le Duo concertant pour violon et piano de Dushkin et Stravinsky, exécuté par les deux auteurs, contient de jolis passages, notamment deux églogues d'une agréable couleur (Columbia). — Soutenu par l'orchestre Rühlmann, le pianiste Jacques Dupont interprète avec beaucoup d'éclat la Fantaisie hongroise de Liszt (Pathé). Le maître du saxophone Viard traduit, au contraire, avec infiniment de douceur la Chanson hindoue de Rimski-Korsakov et la Sérénade de Rachmaninov (Pathé).
Le rayon « chansons » nous offre quelques réalisations intéressantes : c'est Jean Sorbier, avec la valse du Rosaire et les Châteaux de Tiarko Richepin (Gramophone) ; c'est Jean Lumière, avec la Chanson des genêts et Je sais une étoile jolie (Odéon) ; et c'est aussi un nouvel ensemble vocal parfaitement discipliné, les « 5 de la chanson », qui interprètent avec originalité Qui craint le grand méchant loup et 27, rue des Acacias.
Il nous faut signaler enfin l'enregistrement qui a été fait par Mme Solange Delmas et M. André Pernet, l'un et l'autre de l'Opéra, de quelques airs du Don Juan de Mozart, dans la version nouvelle récemment donnée. Les deux airs de Zerline : « Frappe, frappe une innocente » et « Pauvre Masetto », la sérénade et l'air « Pour cette fête », accompagné de mandoline, enfin le délicieux duo « Viens, une voix t'appelle » évoquent d'exquise façon cet admirable ouvrage (Gramophone).
Musique enregistrée – juillet 1934
La période des vacances appelle surtout de la musique légère. Pourtant entre deux fox-trots on écoutera avec plaisir la Grotte de Fingal de Mendelssohn, dont le thème principal annonce curieusement celui de la Chevauchée des Walkyries de Wagner. Cette ouverture est très brillamment rendue par le B. B. C. Symphony Orchestra (Gramophone). Le London Philharmonic Orchestra donne une vive Tarentelle de Glazounov (Gramophone), que l'on préférera à une suite d'orchestre du même Glazounov, intitulée Chopiniana (le vilain nom !) et construite sur une Polonaise et un Nocturne de Chopin (Gramophone).
Dans le genre léger, nous recommanderons le dernier enregistrement des Comedian Harmonists, qui, étendant leur répertoire, nous donnent une curieuse interprétation de l'Humoresque de Dvorak (Gramophone). Un chant d'amour, agréablement chanté par le ténorino Guy Berry, cadrera bien avec une nuit d'août baignée de clair de lune (Pathé), à moins qu'on ne préfère Tu me disais ou Ressemblance, deux mélodies de Delmet, dites avec une grande sobriété d'expression par Jean Lumière (Odéon). Il faut nécessairement joindre au programme un disque de Lucienne Boyer ; ce sera, si l'on veut bien : Dites-moi je vous aime (Columbia). Tout le monde connait le Vieux château et la Partie de bridge, de J. Franc-Nohain et Mireille, que les duettistes Pills et Tabet ont inscrit l'an dernier à leur répertoire (Columbia). Cependant on réentendra avec amusement ces deux aimables fantaisies interprétées, à la manière des Comedian Harmonists, par le Trio lyrique (Gramophone). Il y a là une basse qui réussit de plaisants effets. L'humoriste Bétove déploie toute sa cocasserie dans l'Amour musical à travers les âges, qui nous promène de la chanson mythologique de l'âge d'or jusqu'au tango tragique (Odéon).
Enfin dans la musique de danse, où le choix est bien embarrassant, détachons seulement un joli fox-trot de Sarony, When a soldier's on parade, interprété par l'orchestre de Jack Jackson (Gramophone), et la rumba Carioca, que nul ne doit ignorer, bien scandée par le RKO Studio Orchestra (Gramophone).
Musique enregistrée – août 1934
Si l'on excepte une brillante exécution en cinq disques de la Symphonie pastorale de Beethoven par l'orchestre des Concerts Colonne, sous la direction de M. Paul Paray, œuvre magistrale qu'on ne se lasse jamais de réentendre (Columbia), il semble bien que la grande musique ait pour l'instant déserté les studios. Elle s'est muée en musiquette, avant de prendre son essor vers les centres de villégiature. On pourra écouter encore deux jolies mélodies de Fauré : Fleurs d'or et Tarentelle, chantées en duo par Mlle G. Cernay et le ténor René Talba (Columbia) ; mais, en ces jours de vacances, l'oreille sera surtout sollicitée par le ton berceur des romances et les accords bruyants des jazz.
Le difficile est de choisir. Parmi les disques de chant, Il convient de signaler en première ligne Croyez-vous, ma chère, chanson où Marie Dubas traduit spirituellement le fond de médisance qui couve sous l'apparente tranquillité des petites villes (Columbia). L'excellent acteur Koval nous donne un « tour de chant » de la meilleure qualité, en déployant sa verve dans la Java de la maffia et Magasins modernes, et en disant avec beaucoup d'humour un monologue de Dorin : Du Français en général (Ultraphone). Dans le genre sentimental, les préférences iront soit à Ne t'en va pas et Du fond du cœur, valses chantées par Tino Rossi (Columbia), soit à Si tu n'étais pas là et Un baiser vaut davantage (Pathé), qui sont également deux valses chantées par Guy Berry. Ces deux interprètes ont l'un et l'autre une voix agréable et une diction très nette.
Aux amateurs d'exotisme, nous recommanderons un disque de Alina de Silva, chanteuse argentine, à la voix claironnante et rauque, qui donne beaucoup de caractère à deux « son » cubains Por qué ? et Negra consentida (Gramophone). On a vraiment l'impression d'être loin de ces Espagnes de pacotille où l'on nous conduit trop souvent.
L'art des ensembles vocaux est assez spécial. N'y réussit pas qui veut. Il ne suffit pas que les voix s'accordent, il faut aussi savoir tirer de leurs contrastes des effets imprévus et amusants. Les duettistes Charles et Johnny, dans Adieu Paris et dans Augustine et Augustin, donnent un exemple de telle réussite (Pathé). Mais nous goûtons davantage encore l'association Leardy et Verly ; ces deux jeunes Bordelais savent unir la sensibilité et l'humour ; leurs duos sont tout à fait au point, et l'on prendra plaisir à les entendre dans Deux petits bateaux et Partir en voyage (Gramophone).
Parmi les chansonniers, Souplex est certainement l'un des plus agréables, non seulement par l'esprit de ses chansons, mais aussi par le timbre de sa voix qui est d'une chaude et ample sonorité : Braderies, Et puis voici des fleurs forment un disque fort amusant à écouter (Gramophone).
Les disques de danses sont, comme à l'ordinaire, fort nombreux. Bornons-nous à signaler Nuits blanches et My Dancing lady, deux slow fox, enlevés avec beaucoup d'entrain par Grégor et ses Grégoriens (Ultraphone) ; Morning Bells, valse, par l'orchestre de Léon Kartun (Ultraphone) ; Caresses vénitiennes et Rêverie hawaiienne, où s'épandent les miaulements de la guitare de Manara (Gramophone) ; enfin, pour ne pas étendre démesurément cette énumération, Avec les pompiers, fox-trot humoristique, et A la casa Loma, fox-stomp d'un mouvement endiablé, obsédant par la persistance des rythmes, l'un et l'autre joués par l'excellent orchestre de Fred Adison (Gramophone).
Musique enregistrée – octobre 1934
Dans les circonstances économiques actuelles, il faut savoir gré aux maisons qui trouvent dans leur conscience artistique assez de cran pour éditer autre chose que des refrains de films ou des airs de danse, d'un écoulement facile, mais d'une valeur musicale médiocre.
Un enregistrement comme celui de la Sonate en ré mineur de Schumann, pour piano et violon, fait autant d'honneur aux prestigieux exécutants qu'à la maison qui a osé l'entreprendre (Gramophone). Cette œuvre, qui compte parmi les plus attachantes du maître, a pour interprètes le jeune violoniste Yehudi Menuhin et sa sœur Hephzibah. Les amateurs qui ont entendu le 13 octobre ces deux artistes à la salle Rameau retrouveront sur ces quatre disques leurs impressions de naguère. On sait la virtuosité de Yehudi Menuhin ; elle se manifeste ici de la façon la plus diverse, notamment dans le « molto animato » du 2e mouvement et le « dolce semplice » du 3e, où l'artiste rivalise avec la harpe, tandis que dans l' « animato » du final il atteint avec son instrument à des sonorités d'orgue. Quant à sa sœur elle a une vigueur d'attaque et une netteté de traits des plus remarquables.
Une autre production également intéressante est l'enregistrement par l'orchestre des Concerts Pasdeloup de plusieurs fragments de la Salomé de Richard Strauss (Gramophone). Nous signalerons notamment la « Danse des sept voiles » d'une prodigieuse intensité de couleurs. Mme Marjorie Lawrence, qui chante la scène finale de l’œuvre, a triomphé des redoutables difficultés vocales qu'elle présente. Mais une part de ce triomphe revient sans conteste aux ingénieurs de sons qui ont réalisé cet enregistrement extrêmement délicat.
On ne saurait de même rester indifférent à l'enregistrement, en cinq disques, de la Symphonie pastorale de Beethoven (Columbia). Ce sommet de la musique a trouvé dans l'orchestre des Concerts Colonne, conduit par Paul Paray, de dignes interprètes, et l'exécution technique en est impeccable.
Inghelbrecht, qui, à la tête de l'orchestre du Festival Debussy, a déjà donné une excellente interprétation de « Fêtes », une des pièces de Nocturnes de Debussy, poursuit son effort en nous conviant à écouter « Nuages », tirés des mêmes Nocturnes (Pathé). Avec « Sirènes », qui paraîtront prochainement, on possédera l'intégralité de cette œuvre importante de notre grand compositeur, qui se situe chronologiquement entre le Prélude à l'après-midi d'un Faune et la Mer.
Le quatuor de saxophones de la Garde républicaine, qui forme un des ensembles les plus homogènes qui soient, exécute avec beaucoup de brio le Minuetto de Bolzoni et la Valse chromatique de Villones (Columbia).
Les disques de chant apportent leur contingent d'airs traditionnels avec leurs habituels interprètes. Nous en détacherons seulement une très dramatique traduction de la mort de Don Quichotte, par Vanni-Marcoux (Gramophone).
Musique enregistrée – novembre 1934
L'enregistrement des Nocturnes de Debussy, que nous signalions le mois dernier, s'active avec Sirènes, une des pièces les plus émouvantes de ce chef-d'œuvre de l'impressionnisme musical (Pathé). Les voix de femmes, qui se mêlent en arrière-plan aux sonorités de l'orchestre, accroissent encore la richesse harmonique de l'ensemble.
Un plaisir du même ordre nous est apporté par la suite des Valses nobles et sentimentales de Ravel, qui, primitivement écrites pour le piano en 1911, furent, l'année suivante, orchestrées par l'auteur. C'est cette version orchestrale qui nous est donnée par la Société des Concerts du Conservatoire, sous la direction de P. Coppola (Gramophone). On goûtera le charme raffiné de ces huit pièces, groupées en deux disques, d'une heureuse variété de caractère — les unes gaies, les autres mélancoliques — et d'une délicate originalité d'invention mélodique.
La récente reprise de Sigurd à l'Opéra a permis à Mme Marjorie Lawrence de faire valoir une fois de plus ses admirables dons. On aura plaisir à les retrouver, fidèlement reproduits, dans un disque comportant deux des principaux airs de Brunehilde : « Salut, splendeur du jour » et « O palais radieux » (Gramophone)
Dans l'Arabesque de Schumann, le pianiste Vladimir Horowitz nous permet d'apprécier son toucher d'une étonnante légèreté, d'où il tire d'ailleurs presque uniquement tous ses effets. Sous ses doigts cette gracieuse page pianistique se révèle pleine d'intentions jusque-là inaperçues (Gramophone).
Dans la musique gaie, on écoutera avec agrément les enregistrements des principaux airs de la revue du Casino de Paris, Parade de France, avec Alibert et sa chanson provençale : Entre Marseille et Toulon, Guy Berry dans le tango Vivons l'amour, et la vedette Jacqueline Claude, dans la valse Ce que je veux, et dans un Pot-pourri de chansons des provinces de France (Pathé).
Sur l'amusant refrain de « Florestan Ier » Amusez-vous, et le fox-trot : Avec les pompiers, les Comedian Harmonists — dont la prononciation française fait de réels progrès — ont brodé deux plaisantes fantaisies musicales enrichies de leurs habituelles trouvailles (Gramophone).
Musique enregistrée – décembre 1934
Trois grands noms : Berlioz, V. d'Indy, Debussy ; trois belles réalisations : la Symphonie fantastique, la Symphonie pour orchestre et piano sur un chant montagnard français, le Children's Corner.
La première œuvre, rutilante de toutes les couleurs du romantisme triomphant (elle date de 1830), revit avec toute sa fièvre et sa puissance dans l'interprétation du grand orchestre philharmonique Pathé, dirigé par Selmar Meyrowitz (Pathé).
Mme Marguerite Long, secondée par l'orchestre des Concerts Colonne, a mis tout son talent au service de la Symphonie sur un thème montagnard, qui compte parmi les œuvres les plus pittoresques de Vincent d'Indy (Columbia).
Le « Coin des Enfants », Children's corner, de Debussy, est une suite de pièces qui allient délicieusement la grâce enfantine (« Sérénade à la poupée »), l'humour (« Berceuse des éléphants »), et la rêverie la plus exquise (« la Neige danse »). Ecrits pour le piano en 1908, ces morceaux furent orchestrés en 1911 par A. Caplet. Le nouvel enregistrement qui en a été fait est nettement supérieur aux précédents (Gramophone).
A ces œuvres symphoniques, on peut joindre l'Ouverture de Sigurd qui, en dépit de quelques passages un peu vieillis, vaut par sa couleur et sa sonorité (Gramophone).
Aux disques de chant, l'éphémère destin du Fragonard de G. Pierné ne doit pas faire dédaigner l'aimable romance : « Ah ! tu ne peux pas savoir », chantée par André Baugé (Pathé). De même, nul ne résistera à l'entrain de Koval et de Pauline Carton, dans le fameux « Duo des Palétuviers » de l'opérette Toi c'est moi (Ultraphone).
Mais un enregistrement de tout premier ordre est celui de Chaliapine, assisté du chœur Afonsky et de balalaïkistes, dans la Chanson du Pèlerin nécessiteux (Gramophone). Ici, le grand artiste semble s'être dépassé lui-même, car, renonçant à ces effets dramatiques obtenus — un peu trop facilement parfois — en substituant le parlé au chant, il conduit sa voix de façon magistrale.
Le baryton Panzéra, qui excelle dans le lied, interprète dans un style prenant le Roi des Aulnes de Schubert (Gramophone). Sa voix chaude est particulièrement phonogénique.
Les deux derniers sketches de Bach et Laverne : A la halle aux poissons et Chez l’ marchand de vélos, ne comptent pas parmi leurs meilleurs (Odéon). On goûtera davantage une fantaisie de Souplex, les Belles vacances, d'un comique moins chargé, mais réellement drôle (Gramophone).
Il est malaisé de choisir parmi tant d'orchestres argentins, cubains, bohémiens, qui nous sollicitent par leurs tangos, leurs rumbas, leurs czardas et leurs valses. Signalons seulement une rumba Aquillos ojos verdes, pittoresquement chantée par Alina de Silva (Gramophone).
Musique enregistrée – janvier 1935
Si nous signalons l'enregistrement de la Neuvième Symphonie avec chœurs de Beethoven, exécutée par l'orchestre symphonique de Philadelphie (Gramophone), c'est moins pour rappeler une œuvre universellement connue, que pour attirer l'attention sur les progrès constants des procédés de reproduction. Cet enregistrement en neuf disques est nettement supérieur à ceux que l'on possédait déjà.
La même constatation est suggérée par l'audition de la Symphonie en ut majeur de Mozart, dite « Jupiter », que nous donne l'orchestre philharmonique de Londres, dirigé par sir Thomas Beecham (Columbia). Signalons particulièrement le délicieux Andante cantabile du 2e mouvement.
L'actualité nous sollicite avec Mandrin, l'opérette du théâtre Mogador, dont le créateur G. Jouatte nous fait entendre la Chanson de route (Pathé), et avec le succès du Châtelet, Au temps des merveilleuses, dont André Baugé a enregistré deux airs : « Dis-moi que je t'aime » et « Partir, c'est mourir un peu » (Pathé), tandis que l'interprète du rôle de Lilian, Mlle Marcelle Denya, nous redit sa romance « On dit que l'amour est roi » (Gramophone).
Parmi les autres disques de chant, nous avons eu le plaisir de retrouver l'excellent Vanni-Marcoux, qui se plaisait depuis plusieurs mois à de médiocres romances, dans des œuvres plus dignes de lui : la « Berceuse » de Louise, et surtout la scène du premier acte de Boris Godounov : « Mon cœur est triste ». Il a toujours sa belle voix et sa parfaite diction (Gramophone).
Un autre baryton également bien doué est Martial Singher, de l'Opéra, qui a enregistré avec beaucoup d'adresse, de sûreté et d'émotion, trois chansons de Don Quichotte à Dulcinée, de Maurice Ravel. Ce sont trois petites pièces construites sur des rythmes espagnols et basques, d'une couleur à la fois marquée et discrète, comme est l'art même de Ravel.
Igor Stravinsky a écrit pour le piano et le jazz deux pièces curieuses d'une harmonisation des plus modernes : Piano-Rag-Music et Rag-Time pour 11 instruments. Il les exécute lui-même au piano secondé par d'habiles instrumentistes (Columbia).
La Symphonie provençale que Vincent Scotto a composée pour le beau film de Pagnol, Angèle, s'inspire heureusement de motifs populaires (air de Magali, la farandole) très adroitement harmonisés. L'ensemble y acquiert une saveur et une couleur incontestablement provençales (Gramophone).
Croirait-on que Sacha Guitry puisse être jamais intimidé ? Et pourtant, en dépit de sa verve toujours amusante, de son indulgente philosophie, de son humour coupé d'élans lyriques, il ne nous a point paru être absolument lui-même quand il a réédité devant le micro sa spirituelle causerie sur les Femmes et l'amour (Gramophone). Cette abondance de débit qui est chez lui caractéristique, se trouve ici un peu réfrénée ; il y a de sa part moins d'abandon, mais il y a toujours autant de charme.
Musique enregistrée – février 1935
Saluons avec une satisfaction et aussi une gratitude toutes particulières l'enregistrement — que l'on pourrait presque qualifier d'intégral — en huit disques, de l'Orphée de Gluck (Pathé). Les premier et deuxième actes sont donnés dans leur intégrité ; les actes trois et quatre gardent, dans leur resserrement, les pages les plus belles et les plus célèbres. Cette adaptation a été d'ailleurs effectuée par Mme Alice Raveau, dont on sait l'intelligente dévotion au chef-d’œuvre de Gluck. Elle y apporte en outre, dans le rôle d'Orphée, les richesses de son émouvant contralto. Auprès d'elle, Mme Germaine Féraldy est une touchante Eurydice et Mlle Jany Delille un Amour plein de grâce. Ajoutons que les chœurs sont exécutés par la compagnie russe Vlassoff. Il n'y a enfin qu'à louer l'orchestre, conduit par H. Tomasi. C'est une belle réussite.
Lorsque Cl. Debussy, alors pensionnaire de la Villa Médicis, adressa en 1887, comme envoi de Rome, sa Damoiselle élue, poème lyrique d'après G. Rossetti, il vit son œuvre refusée comme trop fortement entachée de modernisme. Ce jugement nous paraît étrange aujourd'hui, lorsque nous écoutons l'enregistrement de ce poème par l'orchestre Pasdeloup, la chorale féminine Saint-Gervais et les solistes Mmes J. Guyla et O. Ricquier, de l'Opéra (Gramophone). Il est curieux au contraire de voir ici ce musicien, dont l’œuvre entière allait se développer en réaction contre le wagnérisme, si fortement soumis encore à l'influence du maître de Bayreuth.
La Symphonie en si bémol majeur de Chausson, d'une grandeur presque tragique et d'une mélancolie farouche, garde sa couleur et son sentiment dans l'exécution qu'en donne l'orchestre des Concerts du Conservatoire, dirigé par P. Coppola (Gramophone).
Il faut signaler aussi la Ballade de Maurice Jaubert, d'une couleur très personnelle. L'auteur a dirigé lui-même l'orchestre pour cet enregistrement (Columbia).
Nous négligerons cette avalanche de chansons, de romances, pour la plupart extraites de films, et qui, supportables peut-être quand elles soulignent seulement des images lumineuses, perdent tout intérêt lorsqu'elles sont privées de leur support. Faisons exception pour une amusante chanson de Mireille : Faut-il que je vous fasse un petit dessin ? (Columbia) et, dans un genre plus relevé, pour une belle interprétation de l'air du troisième acte des Troyens de Berlioz, par le ténor Georges Thill (Columbia). On ne saurait aussi laisser de côté les Comedian Harmonists, qui interprètent, à leur manière si personnelle, Natacha et Sonia (Gramophone). Ces excellents chanteurs ont d'ailleurs fait école, et voici les « Cinq de la Chanson » avec En cueillant la noisette et J'aime une tyrolienne, d'une agréable mise au point (Odéon).
Dans deux pièces très différentes, Caprice, de Paganini-Kreisler, et Sumare, de D. Milhaud, le violoniste Heifetz, un des meilleurs virtuoses du moment, nous permet d'apprécier toute la souplesse de son talent à la fois robuste et nuancé (Gramophone). Cependant Mlle Lily Laskine exécute avec une dextérité remarquable l'Impromptu pour harpe de G. Fauré (Gramophone).
Le joyeux orchestre de Fred Adison lance une amusante Retraite aux flambeaux. Deviendra-t-elle aussi populaire que le fameux fox Avec les pompiers ? Souhaitons-le, quoiqu'il soit périlleux d'exploiter plusieurs fois la même veine.
Musique enregistrée – mars 1935
Lorsque Gustave Charpentier donna en 1892 sa Vie du poète, la critique souligna le « réalisme extra-musical » du jeune musicien, s'effaroucha même de son « exubérance anarchique ». Aujourd'hui, ce qui apparaît surtout, c'est que Charpentier fut l'élève de Massenet. Telle est la réflexion que suggère l'adaptation phonographique qui vient d'être faite — en quatre disques — sous la direction de l'auteur, de la Vie du poète (Gramophone). L'œuvre est d'ailleurs intéressante, jaillie d'un tempérament généreux et spontané, avec une recherche de la couleur et des trouvailles de sonorités. Mais c'est surtout un document qui a sa place dans l'histoire du renouveau romantique qui se marqua à la fin du XIXe siècle. Au point de vue technique, la mise en place des masses d'orchestre et des chœurs est parfaite : les voix s'éloignent, se rapprochent, et ainsi l'oreille supplée à l’œil pour suivre la marche du drame.
C'est aussi un « décor sonore » qu'a cherché à réaliser M. Jean Variot dans son adaptation du Médecin malgré lui (Gramophone). Inscrire trois actes de Molière en quatre disques était une entreprise assez téméraire. Coupures et raccords ont été très adroitement effectués et l'on ne peut que se réjouir de posséder dans une intégrité approximative cette œuvre si riche de verve comique. Elle est interprétée par des artistes de la Comédie-Française, en tête desquels il faut placer Brunot dans le rôle de Sganarelle et Mme de Chauveron dans celui de Martine.
Une amusante confrontation s'impose entre l'interprétation de Brunot et celle de Dranem, qui vient aussi d'enregistrer les scènes III et IV du deuxième acte du Médecin malgré lui (Columbia). Comédie-Française et music-hall, deux traditions qui ont également leur mérite !
A défaut de nouveauté, signalons la première suite de Peer Gynt, orchestre sous la direction d'Inghelbrecht, dont nous avions indiqué déjà le bel enregistrement des Nocturnes de Debussy. Celui-ci ne le cède en rien comme qualité (Pathé).
Deux bons enregistrements de violoncelle : Nocturne en do dièse mineur de Chopin, par Gregor Piatigorsky (Gramophone), et la première Sonate en ut mineur de Saint-Saëns pour violoncelle et piano, avec P. Bazelaire et I. Philipp (Pathé). Cette dernière œuvre a une couleur très dramatique.
Au département du chant, nous trouvons une belle traduction de l'admirable Chanson triste de Duparc, par Panzéra (Gramophone) ; dans la chanson, nous écoutons avec plaisir Jean Tranchant interprétant lui-même ses œuvres avec un souci de la composition particulièrement remarquable dans Où vas-tu la belle fille ? (Pathé). Les duettistes Gilles et Julien sont spirituels dans le Jeu de massacre (Columbia). Et avant que l'oubli, prompt aux gens de théâtre, s'empare d'Edith Méra, on écoutera avec quelque émotion cette gracieuse artiste dans ses deux derniers succès de la revue des Folies-Bergère : Une rose, c'est un mot d'amour, et Pour toi, Madonna (Gramophone).
Le fox-trot du mois : Spellbound, par Rudy Vallée and his Connecticut Yankees (Gramophone).
Musique enregistrée – avril 1935
La Symphonie héroïque de Beethoven, par le London Philharmonic Orchestra, sous la direction de S. Koussevitzky (Gramophone), et la Symphonie espagnole pour violon et orchestre, de Lalo, interprétée par le violoniste Bronislaw Huberman et l'Orchestre philharmonique de Vienne (Columbia), voilà deux œuvres, d'inspiration et de technique différentes, mais également propres à réjouir les amateurs de belle musique.
Un virtuose du violon, Yehudi Menuhin, nous donne la fameuse Sonate à Kreutzer ; la partie de piano est tenue par la sœur du jeune artiste, Hephzibah : ce couple fraternel s'entend — et se fait entendre — merveilleusement (Gramophone).
Deux très bons disques de chant : les « Adieux de Wotan », au troisième acte de la Walkyrie, par le baryton Endrèze, dont la voix est servie par une technique impeccable et une expression très personnelle (Pathé), et quatre mélodies de Fauré, tirées de l'Horizon chimérique, auxquelles Panzéra, qui est peut-être actuellement le meilleur interprète du lied, apporte tout son art et toute sa dévotion au maître qui lui a dédié cette œuvre (Gramophone). Par comparaison, l'adresse de Richard Tauber, dans la Rose sauvage de Schubert, apparaît un peu trop visible (Odéon), et l’on serait presque tenté d'en dire autant de Georges Thill, qui interprète cependant avec beaucoup de charme la Sérénade de Schubert (Columbia).
C'est un régal et une profitable leçon pour les pianistes que d'écouter Quatorze valses de Chopin, enregistrées en six disques par A. Cortot (Gramophone). Il y faut joindre, par le même artiste, la Valse de l'Adieu, qui accompagne une Tarentelle du même Chopin (Gramophone). Il est possible ainsi de pénétrer les secrets de la technique du célèbre virtuose, et, à l'occasion, de discuter quelques-unes de ses interprétations, où la recherche de la personnalité ne s’accommode pas toujours d'une scrupuleuse fidélité à la pensée du maître. Mais, même de là, on puise un enseignement utile.
Le Baiser, la charmante fantaisie de Théodore de Banville, perd un peu d'être resserrée en un disque. Mais la légèreté de diction de Mlle Nizan et de M. Jean Weber rend imperceptibles les coupures qui ont été pratiquées, et l’œuvre garde, malgré tout, sa grâce aérienne (Pathé).
Disques de danses attrayants : Continental, fox-trot, par l'orchestre de Michel Warlop (Gramophone) ; le Beau Printemps et Amour méconnu, valses par l'orchestre de Marek Weber (Gramophone) ; Tahiti, tango, par l'orchestre de Pesenti (Columbia).
Musique enregistrée – mai 1935
Le Grand Prix du Disque, fondé pour encourager l'édition phonographique française, a été décerné le 6 mai. Les principales récompenses ont été attribuées aux disques suivants : Symphonie fantastique de Berlioz, direction Meyrowitz (Pathé) ; Trio op. 9 de Beethoven, par le trio Pasquier (Pathé) ; la Bourrée fantasque de Chabrier, la Deuxième barcarolle de Fauré et les Poissons d'or, par le pianiste J. Doyen (Ultraphone) ; l'Impromptu pour harpe de Fauré, par Mlle Lily Laskine (Gramophone) ; le Colibri, par Pierre Bernac (Ultraphone) ; Don Juan, par Panzéra (Gramophone) ; l'Amour et la vie d'une femme, par Mme Germaine Martinelli (Gramophone) ; les Troyens, par G. Thill (Columbia) ; l'Anthologie sonore, Split, valse tzigane, par les Ondes Martino (Columbia) ; les Femmes et l'amour, causerie par Sacha Guitry (Gramophone).
Parmi les nouveautés du mois, signalons particulièrement la Rhapsodie espagnole de Maurice Ravel, œuvre empreinte de cette couleur subtile qui est la marque du maître et très finement exécutée par l'orchestre symphonique de Philadelphie (Gramophone).
Signalons aussi quelques enregistrements du nouvel opéra de Reynaldo Hahn, le Marchand de Venise, par les principaux interprètes de l'œuvre, Martial Singher, André Pernet et Fanny Heldy, qui est une exquise Portia (Gramophone). L'air de Shylock « Je te hais », chanté par André Pernet, a un accent particulièrement émouvant.
Très originaux sont les enregistrements de Chansons de la Russie asiatique, de Maximilien Steinberg, par Mlle Lydia Chaliapine (Pathé). Ce sont quatre mélodies, empruntées au folklore de la Sibérie ou du Turkestan, très discrètement orchestrées et d'une saveur très spéciale. Lydia Chaliapine, qui porte avec aisance un grand nom, les interprète avec un sens profond.
Musique enregistrée – juin 1935
Ce n'est pas dans les enregistrements d'orchestre qu'il convient de chercher, ce mois-ci, les nouveautés sensationnelles. Certes l'Ibéria de Debussy est une œuvre d'un coloris délicat, mais nous la connaissions déjà par un enregistrement antérieur et l'on ne peut dans l'édition présente que constater les réels progrès techniques qui ont été réalisés depuis (Gramophone). L'ouverture de la Pie voleuse est une des pages les plus brillantes de Rossini, et l'orchestre philharmonique de Londres, sous la direction de Thomas Beecham, en a excellemment rendu la verve truculente et joviale (Columbia). Mais elle date de 1817 et a surtout un intérêt rétrospectif. Signalons aux amateurs d'histoire anecdotique que c'est, dit-on, dans cet ouvrage que le tambour apparut pour la première fois comme instrument d'orchestre. Il suffira enfin de mentionner les quatre préludes de Carmen, par l'orchestre de D.-E. Inghelbrecht : belle réalisation (Pathé).
Plusieurs disques d'instruments, par contre, sollicitent l'attention. Au premier rang se place la remarquable interprétation de la Sonate du clair de lune, de Beethoven, par l'éminent pianiste Wilhelm Backhaus, de Leipzig. L'adagio est traduit avec un sentiment profond et le presto agitato déploie une vélocité extraordinaire (Gramophone). Malgré sa forme classique et l'impeccable exécution de Mme M. Long, le Concerto pour piano et orchestre de Darius Milhaud souffre un peu de ce voisinage (Columbia). Dans une note plus divertissante, signalons les amusants A la manière de... réalisés par Maurice Roget, et qui transposent « les trois petits cochons » à la manière d'O. Métra, « Qu'avez-vous fait de mon amour » à la manière de Stravinsky, et « le Chaland qui passe » à la manière d'une rapsodie de Liszt (Pathé). C'est drôle et spirituel.
L'éloge de Jacques Thibaud n'est plus à faire ; disons seulement que l'on ne saurait mieux rendre la célèbre Havanaise de Saint-Saëns, ce brillant concerto pour violon et piano (Gramophone). Dans le Menuet de Boccherini et Rêverie de Schumann, le quatuor de saxophones de la Garde républicaine montre les infinies ressources de cet instrument (Columbia).
Dans les disques de chant, nous sélectionnerons trois enregistrements de choix : deux airs des Maîtres chanteurs, le duo du deuxième acte par Mme Martinelli et G. Thill, et la romance du troisième acte, « l'Aube vermeille... », par le même ténor G. Thill (Columbia). Deux mélodies de Fauré : Automne et la Rose, interprétées par Mme Ninon Vallin avec cette intelligence et cette sensibilité qu'on lui sait (Pathé). Enfin deux mélodies : Chanson du pêcheur de Fauré, et Souvenir de Lalo, arrangées l'une et l'autre pour quintettes, et dans lesquelles la voix de Panzéra et le quatuor français Maurice Blondel forment un ensemble de la qualité la plus rare. Souvenir, surtout, est d'une réalisation parfaite (Gramophone).
Signalons enfin un excellent disque d'enseignement musical : les Instruments de l'orchestre, présentés et commentés par Reynaldo Hahn (Ultraphone). Flûte, petite flûte, hautbois, cor anglais, clarinette, saxophone, basson, cor, trompette, trombone, timbales, xylophone, jeux de timbres, harpe, nous apparaissent successivement avec leurs timbres typiques et leurs particularités nous sont expliquées de façon attrayante et claire.
Musique enregistrée – juillet 1935
Deux évocations de genre et de style différents sont à signaler parmi les disques d'orchestre. L'une est un agréable pastiche d'airs de danse du XVIe siècle, dû au talent à la fois érudit et délicat de Reynaldo Hahn, et s'intitule le Bal de Béatrice d'Este(Gramophone). Ecrit pour quatorze instruments, il se compose de quatre mouvements de danse : lesquercade, romanesque, ibérienne, courante, qu'encadrent une brillante « Entrée de Ludovic le More » et un « Salut final au duc de Milan » et au milieu desquels se place un intermède léonardesque « Léda et l'oiseau », inspiré du tableau de Vinci.
L'autre, qui sera pour beaucoup une révélation, est une suite de ballet, tirée de la Rosière républicaine de Grétry, qui fut représentée à l'Opéra national de Paris en 1793. Orchestrée avec goût et respect par Selman Meyrowitz, qui en a dirigé également l'enregistrement, cette suite nous offre une série d'airs traditionnels : gavotte, romance, rondeau, dans la note sensible qui était alors de mode, et sur lesquels vient se greffer à la fin l'âpreté inattendue de la Carmagnole. Par ce mélange de sensibilité gracieuse et de fièvre révolutionnaire, la Rosière républicaine constitue un intéressant document (Pathé).
Aux disques de chant, indiquons Villanelle, extrait des « Nuits d'été » de Berlioz, par Ninon Vallin (Pathé), et deux chœurs a capella de la manécanterie des Petits chanteurs à la Croix de bois, qui, abandonnant la musique religieuse, nous donnent cette fois une vieille chanson de marins, harmonisée par Vincent d'Indy : le Vingt-cinq d'août, et une chanson populaire espagnole : Zengo de subir al puerto, qui est chantée par une gracieuse voix d'alto, soutenue par un discret accompagnement vocal (Gramophone).
On ne saurait non plus oublier les Comedian Harmonists, qui, en dépit des nombreux imitateurs qui leur ont surgi, gardent toujours leur maîtrise dans l'art de tisser autour d'un air quelconque une trame vocale d'un dessin toujours original et enrichi d'arabesques imprévues. Ils nous donnent cette fois en allemand deux agréables chansons : Schöne Lisa et Guitarren spielt auf (Gramophone).
Parmi les orchestres de danse, la palme de la fantaisie revient certainement à Ray Ventura et à ses collégiens. Ils ont de l'entrain, de la bonne humeur, de l'esprit, tout cela allié avec un sens profond du rythme. Ils excellent aussi bien dans un fox humoristique, comme Tout va bien, que dans un slow-fox tendrement sentimental, tel qu'Un amour comme le nôtre (Pathé). D'autres ensembles méritent également d'être signalés. On aura notamment plaisir à danser sur les deux fox-trot que nous donne Ray Noble : I’ll string along with you et Fair and Warmer (Gramophone), et les fidèles de Jack Hylton — qui mérite bien cette fidélité — accueilleront avec plaisir : I Beliere in miracles et She wore a little jacket of blue (Gramophone). Voilà de quoi alimenter le nécessaire répertoire de danses des vacances.
Musique enregistrée – août 1935
Les « chansons de bord » font fureur ce mois-ci. N'est-ce pas l'époque où, sur les plages les plus diverses, jeunes et vieux, ayant adopté le large pantalon à pont et la rouge vareuse d'Audierne, sentent passer en eux un peu de l'âme marine ? Chacun rêve de lointains départs, d'aventures au grand large, et l'on se console de ne point naviguer en écoutant ou en chantant des chansons de marins. Une voile a claqué, chante Réda Caire (Pathé). Damia, de toute l'âpreté rauque de sa voix, clame la Mauvaise prière, qui convient merveilleusement à son tempérament dramatique (Columbia). Peut-être ses effets sont-ils un peu appuyés ; elle ne fait pas oublier, en tous cas Germaine Sablon qui, l'an dernier, enregistra cette œuvre si émouvante et si colorée du maître L. Aubert (Gramophone). De la même Damia, deux chansons de bord : Pique la baleine et Sur le pont de Morlaix, qui ne manquent pas d'accent (Columbia). Ph. Soguel, soutenu par un chœur d'hommes, nous donne le Grand coureur, chanson à virer, et Nous irons à Valparaiso, chanson à hisser (Gramophone). Quoique plus connue, la seconde garde nos préférences, surtout dans cet enregistrement, où les voix du chœur sont fort adroitement utilisées. C'est un disque à recommander.
Revenons à terre. Nous y sommes accueillis par la gracieuse Mireille qui, avec son ingénuité coutumière, nous attendrit sur le Petit pot de lait (Columbia). Les pianistes Wiener et Doucet font défiler, en un pot-pourri plein d'entrain, intitulé Souvenir du Bœuf sur le toit, les fantaisies à deux claviers qui firent leur gloire : nous reconnaissons, au passage, de vieux airs familiers : Smiles, Black bottom, Halleluyah, etc. (Pathé). Rosita Barrios, qui s'était fourvoyée dans la plate sentimentalité d'une « mélodie » (?) : Ne souris pas de mon amour, redevient heureusement elle-même dans un tango en espagnol : Canto (Gramophone). Milton déploie sa bonne humeur dans Papa vient d'épouser la bonne (Columbia). Soudain, les papotages s'arrêtent, les rires se suspendent. Dans le calme s'élève une voix admirablement timbrée : c'est Hugues Cuénod qui chante un « negro spiritual » : O Lord, what a mornin', un de ces cantiques nègres, empreints d'une ferveur mystique et naïve à la fois (Gramophone). Ces sortes de chants furent fort en vogue, il y a quelques années ; puis ils s'étaient faits plus rares. Réjouissons-nous de les voir reparaître. Celui-ci est particulièrement émouvant.
Mais l'heure de la danse est venue, et voici le déchaînement des jazz. Auxquels s'arrêter ? Tous ces fox-trot semblent sortis de la même usine. Retenons la Chanson de Broadway, d'un rythme alerte, par l'orchestre Wal-Berg (Gramophone) ou l'orchestre R. Himber (Gramophone) ; C'est gentil quand on y passe, par Ray Ventura et ses collégiens (Pathé) ; Soon, par Ray Noble (Gramophone) ; I won't dance, par le Savoy Hotel Orpheans (Columbia).
Et si, dans cette débauche de sons, il est encore place pour de la musique véritable, nous conseillerons à ceux qui ne dansent point d'écouter soit le Concerto en mi mineur de Mendelssohn, pour violon et orchestre, par F. Kreisler, et le London Philharmonic Orchestra (Gramophone), soit la Symphonie des Adieux, de Haydn, conduite par sir H. J. Wood (Columbia).
Musique enregistrée – octobre 1935
La reprise de la production phonographique, après le repos des vacances, ne nous apporte rien de bien sensationnel. Beaucoup de chansons, de musique de danses, mais peu d'œuvres marquantes. Il n'en faut que louer davantage les éditeurs qui, au lieu de se cantonner dans la musique facile, nous donnent par surcroît des productions d'un caractère plus élevé.
Parmi celles-ci, il convient de signaler la Symphonie du « Nouveau Monde » de Dvorak, que celui-ci composa en 1894, lorsqu'il dirigeait le Conservatoire national de New York. Bien que datant déjà un peu, cette œuvre symphonique, dont le largo est devenu célèbre, a une belle couleur, mise en valeur par l'interprétation de l'Orchestre symphonique de Philadelphie conduit par L. Stokowski (Gramophone). Plus favorisée, la musique de chambre est représentée par le Troisième concerto en si mineur pour violon et orchestre de Saint-Saëns, dont on a fêté, le 9 octobre, le centenaire de naissance (Gramophone), et le Premier quatuor en ut mineur pour piano, violon, alto et violoncelle de Gabriel Fauré, on transparaissent le charme et la distinction du maître (Columbia).
Une œuvre haute en couleurs, et d'une écriture spécialement adaptée aux exigences de la musique enregistrée, est Tam-tam d'Henri Tomasi, qui fut justement composée en vue des émissions radiophoniques. C'est une page qui a presque la valeur d'un documentaire et qui évoque de façon saisissante le mystère de l'Afrique noire. Avec Tam-tam on a l'Afrique chez soi (Pathé).
Dans les disques de chant, nous signalerons deux scènes de la Walkyrie, chantées, l'une par G. Thill seul, l'autre par G. Thill et Mme Martinelli (Columbia) ; l'air du premier acte du Barbier de Séville, par le gracieux phénomène vocal qu'est Mlle Lily Pons (Gramophone), et les nouveaux Negro spirituals : « Swing low » et « Lis' en to de lams », interprétés par Hugues Cuénod (Gramophone).
Parmi les curiosités musicales, il faut mentionner Larry Adler, étonnant virtuose de l'harmonica, qui, dans Continental et Smoke gets in your Eyes, arrive à évoquer tout un orchestre sur son frêle instrument (Columbia).
Enfin, signalons aux amateurs l'enregistrement au clavecin, par Mme Wanda Landowska, de Cinq suites de Georges-Frédéric Haendel. Ici l'art consommé de l'exécutante et la fidélité de la reproduction concourent à réaliser dans ces six disques un ensemble qui touche à la perfection (Gramophone).
Musique enregistrée – novembre 1935
La musique légère a, ce mois-ci, le pas sur la musique sérieuse. Sans doute, les musiciens prendront plaisir à écouter le Septuor à cordes vocales et instrumentales d'André Caplet, d'une écriture si fidèlement et si délicatement debussyste (Gramophone), ou à suivre la virtuosité d'Alfred Cortot dans le Concerto en ut mineur de Saint-Saëns (Gramophone), et de Robert Casadesus dans le Concertstück en fa mineur de Weber, œuvre musicalement intéressante par sa couleur romantique, et, de plus, d'une réelle difficulté technique, quand on sait que Weber, pianiste lui-même, prenait avec aisance des accords exigeant une grande extension et n'a pas manqué d'en semer dans ses compositions pianistiques (Columbia). De même, les trois premiers disques parus de la Faust Symphonie, cette œuvre capitale de Liszt, font bien augurer de ce que sera l'ensemble, lorsqu'auront été réalisées les deux autres parties consacrées aux épisodes de Marguerite et de Méphisto (Pathé).
Mais il est probable que la faveur du grand public ira aux enregistrements de Parade du monde, la revue du Casino de Paris, qui lui restituent la jovialité, toujours bon enfant, de Maurice Chevalier, qu'elle se teinte de cynisme dans les Mirlitons, de sentimentalité dans Donnez-moi la main..., de fantaisie dans Quand un vicomte (Gramophone). Le succès tout récent de la Chanson du bonheur, la nouvelle opérette de Franz Lehár, incitera ceux qui ont entendu Mlle Georgette Simon à l'écouter à nouveau dans deux charmantes mélodies de cet ouvrage : Tout l'amour et Dis, mon petit cœur ? (Pathé) ; la voix est claire et agréable.
L'opérette la Nuit est belle, dont nous rendions compte le mois dernier, a, au point de vue musical, un double mérite : d'abord, de marquer une réaction très nette à l'égard des trépidances excessives des opérettes américaines (il n'y a même pas de batterie à l'orchestre) et, par là même, un retour aux traditions de l'ancienne opérette française ; ensuite, d'avoir comme interprètes des chanteurs qui ne se contentent pas de savoir chanter, mais ont aussi de la voix. Aussi prend-on un plaisir réel à réentendre au disque les principaux airs de cette gentille opérette, interprétés par les créateurs mêmes : Eliane de Creus dans Je t'aime et Quand dans vos bras vous m'avez prise, et Vanni-Marcoux dans la Nuit est belle et Une robe qui tombe (Gramophone).
Bien que d'un genre plus sérieux, une réalisation qui doit être goûtée du public est la suite de vingt mélodies de Schubert, intitulée la Belle Meunière, que Mme Martinelli a intégralement enregistrées en quatre disques (Columbia). Musique limpide, toute en touches légères, et dont l'apparence familière trahit cependant une sensibilité très vive. L'interprétation de Mme Martinelli, qui suit très exactement le dessin de l'œuvre, en restant néanmoins personnelle, est tout à fait intéressante.
Les mélodies tirées des films innombrables continuent, comme de juste, à se multiplier. Elle sont de qualité très diverse. Signalons seulement l'excellente basse anglaise Paul Robeson dans deux disques du film « Bozambo » : Congo Lullaby et The Killing Songd'une part, Canoe Song et Love Song d'autre part. Il y a en ces disques beaucoup de couleur et de caractère (Gramophone).
Musique enregistrée – décembre 1935
La date de Noël nous vaut un certain nombre de disques de circonstance, dont la plupart ne sont que des rappels ; bornons-nous à signaler la Charlotte prie Notre-Dame, de Jehan Rictus, par Marie Dubas, avec orgue et chœurs (Columbia). Parmi les œuvres nouvelles, la Vierge à la crèche, de César Franck, en duo par Mme S. Laydeker et Jeanne Renault (Pathé), et le Noël des petits Santons, par Alibert (Pathé), méritent d'être mentionnés. L'art de Mme Berthe Bovy donne un accent émouvant à un petit sketch, Nuit de Noël, qui nous montre les impressions d'un jeune gavroche parisien (Pathé).
Un événement d'importance est l'enregistrement en huit disques de la Neuvième Symphonie avec chœurs de Beethoven, par l'orchestre philharmonique de Vienne, sous la direction de Felix Weingartner (Columbia). On en possédait déjà diverses éditions ; celle-ci ne sera pas superflue ; car, outre la maîtrise de la technique et la qualité de l'enregistrement, elle nous donne, avec les chœurs chantés en allemand, une version conforme au texte original de l'œuvre.
Page moins puissante, mais d'un charme très pénétrant, est Printemps de Debussy, un de ses premiers ouvrages, écrit durant son séjour à Rome en 1886. L'originalité du musicien s'y marque déjà, encore très discrète, assez nette cependant pour avoir effarouché à l'époque les juges de l'Institut. Conformément au remaniement effectué par Debussy lui-même, la partie vocale primitive est remplacée ici par une partie de piano à quatre mains (Gramophone).
On goûtera aussi pour leur couleur les Huit chants populaires russes pour orchestre, de Liadow, exécutés par l'orchestre symphonique de Philadelphie, sous la direction de L. Stokowski (Gramophone). Le ton en est très varié, allant de la berceuse et de la complainte au chant religieux et au chant comique.
La mort du saxophoniste Viard sera vivement ressentie par tous ceux qu'avaient charmés ses enregistrements. Il nous est donné de l'entendre une dernière fois dans le quatuor qu'il avait formé et qui exécute un Ave verum de Mozart et un Minuetto de Bolzoni (Pathé).
Au piano, nous signalerons la Grande Polonaise, op. 22, de Chopin, dont Arthur Rubinstein fait valoir les éclatantes et martiales sonorités (Gramophone).
Dans les disques de chant, une production retient avant tout l'attention. C'est l'enregistrement en trois disques de la série complète des « lieder » de Schumann intitules les Amours du poète. L'interprétation vocale en a été confiée à M. Panzéra, et c'est Alfred Cortot lui-même qui a assumé la tâche d'accompagnateur. On conçoit ce qu'a pu donner une telle collaboration (Gramophone).
Dans la musique légère, avouons ne goûter que médiocrement les airs de Un de la Cannebière, par G. Sellers et son orchestre (Gramophone). On commence à se lasser de cette musique prétendue provençale. Par contre, l'association de Joséphine Baker et des Comedian Harmonists conduit à d'amusantes réalisations avec Sous le ciel d'Afrique et Espabilate (Columbia). Quant au couple Pills et Tabet, il montre toujours la même fantaisie alerte dans les chansons de Mireille : la Petite Ile et C'est gentil quand on y passe(Columbia).
Musique enregistrée – janvier 1936
Les lois particulières de la radiophonie et de l'enregistrement musical, parmi lesquelles il faut compter la capacité de l'attention, c'est-à-dire les limites entre lesquelles une audition peut être supportée avec intérêt et sans fatigue, obligent à recourir, pour certaines œuvres, au procédé de l'adaptation. Ce procédé est délicat et ne conduit pas toujours à des résultats heureux. Il est du moins inattaquable lorsque c'est l'auteur lui-même qui le dirige. Tel est le cas de la version phonographique de Louise, conçue et réalisée par Gustave Charpentier (Columbia). Les huit disques qui la composent enferment l'essentiel de l'ouvrage, et celui-ci, débarrassé de certaines longueurs un peu verbeuses, s'écoute avec agrément. Il est d'ailleurs magnifiquement servi par Ninon Vallin, Georges Thill et André Pernet. Malheureusement, à une œuvre qui, comme celle-ci, se réclame d'un réalisme trop direct, il manque toujours, dans une adaptation phonographique, le mouvement de la vie, que, sans le secours de la vision, l'audition seule ne peut donner.
Rien, par contre, n'affaiblit le plaisir que procure une œuvre comme Shéhérazade, le célèbre poème symphonique de Rimski-Korsakov. Ici la musique, éminemment suggestive, nous emporte en plein rêve, évoquant par la seule magie des sons toute la splendeur colorée de l'Orient. Et elle suggère d'autant mieux que rien ne vient s'interposer entre elle et nous. L'interprétation qu'en donne l'orchestre symphonique de Philadelphie, sous la direction de Stokowski, est, dans l'ensemble, digne d'éloges ; tout au plus lui reprocherait-on quelque lenteur dans l'andantino ; elle est, par contre, très soigneusement nuancée : certains effets même n'ont dû être obtenus que par un déplacement du micro. C'est dire le soin qui a présidé à l'enregistrement de ces six disques que l'on ne saurait trop vivement recommander (Gramophone).
Très louable aussi est l'exécution de la dernière partie du Faust de Liszt, sous la direction de Selmar Meyrowitz (Pathé), dont nous avons eu déjà l'occasion de parler. Cette dernière face d'un beau triptyque musical ne le cède en rien aux précédentes, et l'on goûtera surtout la sérénité grandiose de la conclusion.
Nous parlons d'autre part de l'agrément de la musique dont Maurice Yvain a paré l'opérette du Châtelet : Au soleil du Mexique. On aura plaisir à réentendre André Baugé dans la « Marche de Nino » et le slow-mélodie « On croit toujours aux mots d'amour » (Pathé).
Une réalisation, qui vaut surtout par la difficulté vaincue, est le réenregistrement d'un ancien disque de Caruso — un air de la Tosca et l'Agnus Dei de Bizet — par les procédés électriques modernes et avec accompagnement d'un nouvel orchestre (Gramophone). On imagine au prix de quels efforts se peut obtenir une synchronisation parfaite.
Si le violoniste Yehudi Menuhin ne nous étonne plus par sa précocité, il nous ravit toujours par sa virtuosité intelligente et sensible. Il nous en donne un nouveau témoignage avec le Concerto en ré majeur de Paganini (Gramophone).
Enfin on ne saurait oublier les Joueurs de flûte, trois pièces pour flûte et piano d'Albert Roussel, dont M. Moyse traduit délicieusement tout le charme (Columbia).
Musique enregistrée – février 1936
On connaît peu la Marche funèbre pour la dernière scène d'Hamlet, que Berlioz composa vers 1850 et inséra dans la partition vocale et orchestrale de Tristia. C'est cependant une page émouvante, où le style berliozien s'affirme avec éclat, et les musiciens sauront gré à sir Hamilton Harty de nous l'avoir restituée, avec le concours de l'orchestre philharmonique de Londres (Columbia). C'est d'ailleurs la seule œuvre symphonique qui mérite d'être signalée ce mois-ci, car on ne saurait compter parmi les nouveautés — en dépit d'une bonne interprétation — l'ouverture d'Obéron, de Weber, par le même orchestre (Gramophone).
Il faut donc se rabattre sur la musique de chambre, et là le choix est assez abondant. Voici le Concerto en sol majeur de Mozart pour violon et orchestre, avec Yehudi Menuhin. G. Enesco, qui peut être fier de son élève, a tenu à diriger lui-même l'orchestre. Excellent ensemble, avec, dans la partie de violon, de nouvelles cadences de Sam Franko (Gramophone). Voici encore, du même Mozart, le Concerto en la bémol majeur pour piano et orchestre, qui comptera parmi les meilleurs enregistrements de Mme Marguerite Long (Columbia). Le Concertstück pour harpe et orchestre de G. Pierné est très finement traduit par Mlle Lily Laskine (Gramophone). Il convient de signaler aussi une très vivante exécution de la pathétique Sonate en ut mineur pour violon et piano de Beethoven, par MM. Albert Dubois et Marcel Maas (Columbia). Enfin Florent Schmitt, dont tous les musiciens ont salué avec joie l'élection à l'Institut, a prêté son concours personnel au quatuor Calvet pour tenir la partie de piano du « Lento » de son émouvant Quintette pour piano et cordes (Columbia).
Les disques de chant nous apportent un enregistrement intégral du premier acte de la Walkyrie avec pour interprètes Lotte Lehmann, Mauritz Melchior et Emanuel List ; tous trois chantent en allemand, naturellement. C'est un très belle réalisation, à laquelle a présidé le chef d'orchestre Bruno Walter (Gramophone).
Dans le genre gai nous retiendrons un sketch parodique de la « scène du jardin » de Faust par les deux comiques Charpini et Brancato ; des gags d'une amusante fantaisie mettent dans cette scène beaucoup de drôlerie (Columbia). A signaler aussi deux charmants duos de Mireille et Jean Sablon : Fermé jusqu'à lundi et Puisque vous partez en voyage (Columbia).
Parmi les disques de « danses et films », toujours abondants, comme à l'ordinaire et de qualité variable, nous retiendrons une Sélection par P. Whiteman et son orchestre sur l'amusant film Top Hat, où le retrouvera le déjà fameux « Cheek to Cheek » (Gramophone), et, par les Lemona Cuban boys, deux airs cubains, Puchunguita et Rumbas Cubanas, dont le deuxième surtout est très riche en couleurs (Columbia).
Musique enregistrée – mars 1936
De la manière de trilogie symphonique que Respighi a consacrée au décor varié de Rome, avec les Fontaines de Rome (1917), les Pins de Rome (1924), les Fêtes de Rome (1929), le second de ces poèmes est, sinon le plus coloré, du moins peut-être le plus expressif. Ce n'est pas seulement de la musique descriptive — encore que l'auteur soit allé jusqu'à introduire dans le troisième morceau, « les Pins du Janicule », des gazouillements d'oiseaux — mais de la musique suggestive, tendant à évoquer dans le décor choisi des souvenirs et des images : psalmodies s'élevant du fond des Catacombes, pas sourds des légionnaires romains martelant la voie Appienne... Les deux disques qui nous donnent les Pins de Rome (Gramophone) sont, de ce fait, particulièrement intéressants ; on pourrait seulement, du point de vue technique, reprocher aux basses d'être un peu assourdies et de se réduire parfois à un bruit de fond insuffisamment distinct.
Debussy n'a écrit qu'une sonate pour piano et violon, et qui date de 1916. C'était l'époque où le maitre était parvenu à la pleine maturité de son talent et où son écriture se plaisait au jeu des sonorités les plus subtiles, des harmonies les plus affinées. L'interprétation que donnent de cette Sonate pour violon et piano, MM. Alfred Dubois et Marcel Dubois charmera tous les debussystes... et les autres (Columbia).
Les amateurs de musique ancienne goûteront, eux, les restitutions de Lully, si heureusement poursuivies par M. Maurice Cauchie. Ce sont, cette fois, le « Menuet des ombres heureuses » de Proserpine, une « gavotte » d'Atys, et un menuet d'Amadis (Pathé). Il y a là plus qu'une curiosité archéologique. Ces airs de danses — qui, il ne faut pas l'oublier, sont à peu près les seuls où le musicien, astreint le plus souvent à la tyrannie du récitatif, ait pu donner libre essor à son imagination — sont tout à fait révélateurs de l'art, un peu mièvre, mais si gracieux, du créateur de l'opéra français.
Cette sélection serait incomplète si l'on n'y ajoutait la Sonate en la mineur pour violon et piano de G. Enesco, interprétée par Yehudi et Hephzibah Menuhin (Gramophone) ; le Concerto en mi majeur pour violon et orchestre de Bach, dont le violoniste Bronislaw Huberman, soutenu par l'Orchestre philharmonique de Vienne, donne une version émouvante et robuste (Columbia) ; une Fantaisie chromatique et fugue du même Bach, jouée au clavecin, avec l'art que l'on sait, par Mme Wanda Landowska (Gramophone).
La comparaison que M. G. Devaise établit entre la sélection de l'opérette Au soleil du Mexique (Gramophone) et les bandes que l'on projette dans les salles de cinéma pour annoncer « le film de la semaine prochaine », est très heureuse. Les principaux airs de l'opérette, que l'on a adroitement ajustés et groupés sur ce disque, forment une mosaïque chatoyante et d'une grande variété de tons.
Très pittoresque aussi, un disque — le premier à notre connaissance — de Miliza Korjus, agile soprano, qui avec accompagnement de mandolines, de tambours de basque et de chœurs d'hommes, chante, dans un mouvement frénétique, la Danza de Rossini (Gramophone).
Puisque nous en sommes à l'Italie, signalons deux mélodies, Mattinatta de Leoncavallo et Torna a Surriento de E. de Curtis, chantées par B. Gigli (Gramophone), et qu'on ne saurait assez recommander aux amateurs du « bel canto ». Gigli fait penser à Caruso : c'est une race de chanteurs qui se raréfie, semble-t-il. Il faut se hâter d'entendre ceux qui subsistent encore.
Dans un autre genre, nous signalerons la Polka des échelles et les Cinq filles de Monsieur de Nesles, les deux dernières chansons de Jean Tranchant, interprétées par leur auteur (Pathé), ainsi que huit poèmes — en trois disques — de Paul Claudel, dits par Eve Francis, parmi lesquels nous retiendrons surtout le Cantique de la chambre intérieure et l'ode Aux morts des armées de la République (Pathé).
Musique enregistrée – avril 1936
Les vacances de Pâques, qui semblent avoir mis en chômage la grande musique, représentée seulement par la Symphonie en sol mineur de Mozart (Gramophone), le Trio en mi bémol majeur de Schubert (Gramophone) et le Quatuor en do majeur, « l'Empereur », de Haydn (Columbia), nous incitent à nous tourner vers la musique légère.
Ce qualificatif convient-il toutefois à la célèbre chanson hongroise, Sombre dimanche, autour de laquelle une adroite publicité a formé une légende d'horreur et de désespérance ? Elle nous arrive sous des présentations diverses, traduite par l'orchestre tzigane de Roszy Réthy (Pathé) et celui de Costa Barléaza (Columbia), qui y apportent l'un et l'autre une égale ardeur, ou bien interprétée vocalement par Annette Lajon (Pathé) et par Damia (Columbia). Cette dernière interprétation nous parait plus séduisante — en dépit d'un nasillement outré sur le mot « dimanche » —, à cause d'un accompagnement vocal par les chœurs russes Afonsky, qui renforce le relief du disque et accroît le charme nostalgique de la chanson. Au revers de ce disque, on goûtera, par contraste, une java, C'est la guinguette, d'un mouvement un peu canaille mais très entraînant.
Le même chœur russe Afonsky nous donne par ailleurs un excellent arrangement d'une vieille chanson russe, Cloches du soir, fort adroitement harmonisée (Gramophone).
On connaît la voix si claire et si claire de Lily Pons. Tout comme les autres vedettes elle s'est laissé attirer par le cinéma et interprète deux airs du film I dream too much ; elle chante en anglais mais vocalise délicieusement et l'on a grand plaisir à l'entendre (Gramophone).
La musique de danse fournit, comme à l'ordinaire, son important contingent. On pourrait critiquer la facilité de cette musique — toujours la même au fond, qu'elle soit accommodée en fox-trots ou en valses —, si elle n'était relevée par d'ingénieuses trouvailles et de curieux effets d'harmonie. Il y a donc dans chaque air quelque chose qui retient et amuse. Citons seulement deux valses, l'une Little rose of the rancho par l'orchestre de Xavier Cugat, l'autre A beautiful lady in blue, par l'orchestre de Ray Noble, figurant toutes deux sur le même disque (Gramophone) ; on trouve dans l'une d'elles un intéressant emploi du glockenspiel. Citons encore deux fox-trots : Anything Goes par Jack Hylton et Moonburn par Eddie Duchin (Gramophone). La note humoristique est donnée par Ray Ventura et ses collégiens, avec la Musique vient par ici, fox-trot cocasse (Pathé), et C'est idiot, mais c'est marrant, sketch musical, que double Sans pitié, « chanson presque russe » (Pathé). Enfin il convient de signaler tout particulièrement un morceau très étrange, interprété par les Lecuona cuban boys, Folie nègre (Columbia). C'est un air curieusement rythmé, passant de la douceur nostalgique à la frénésie la plus sauvage. Beaucoup de couleur et beaucoup d'intelligence dans l'interprétation.
Musique enregistrée – mai 1936
Le Prince Igor de Borodine compte parmi les œuvres les plus colorées de l'école russe, et particulièrement les « Danses polovtsiennes » du deuxième acte, dont le rythme est souligné par les accents tour à tour nostalgiques et allègres des voix qui les accompagnent. On en goûtera tout le charme dans l'interprétation qu'en donne l'orchestre philharmonique de Londres avec les chœurs du Festival de Leeds (Columbia). Mais s'il faut louer la magie du disque de perpétuer les grandes œuvres musicales d'une gloire consacrée, il ne faut pas moins lui savoir gré de nous révéler des œuvres moins connues ou plus récentes. Nous pensons au Quatuor en mi majeur de Marcel Delannoy, interprété par le quatuor Calvet (Pathé). L'auteur du Poirier de misère avait fait applaudir déjà à l'Opéra-Comique des dons de simplicité et de fraîcheur ; il atteste ici des qualités d'invention thématique et rythmique, où, en bon élève d'Honegger, le modernisme s'allie à ce que la tradition a de meilleur.
Aux disques de chant, il faut signaler une nouvelle incarnation de Ninon Vallin, dans des mélodies — en espagnol ou en quechua — inspirées du plus ancien folklore péruvien. Chants assez courts, n'utilisant qu'une échelle de notes très brève, où transparaît dans sa naïveté le fonds poétique des races primitives des Indiens quechuas. De porte en porte, Chant d'amour, Je te cherche, amie, Hymne au Soleil, sont les pièces les plus caractéristiques de cet ensemble (Pathé).
On s'étonnait que Mlle Elen Dosia, qui triompha l'an dernier au Conservatoire en remportant les premiers prix de chant, d'opéra et d'opéra-comique, n'ait pas encore fait graver dans la cire sa voix, si riche, si jeune, aussi colorée que sa Grèce natale. Voilà qui est fait. Elle a choisi pour ses débuts deux airs de la Tosca (Gramophone). On peut discuter le choix ; on ne saurait que louer l'interprétation, qui annonce une artiste remarquablement douée. Confesserons-nous notre faible pour le ténor Beniamino Gigli ? Il a tous les défauts des chanteurs italien, mais aussi toutes les qualités. Et celles-ci dépassent assez largement ceux-là pour qu'on écoute avec plaisir cet artiste du « bel canto » dans Addio, bel Sogno et Serenata veneziana (Gramophone).
Il paraît que miss Joan Warner est une très jolie personne. On regrette de ne pas voir la femme et de n'entendre que sa voix, lorsqu'elle détaille les Tribulations de Joan Warner ou exprime son désir d'Etre parisienne, ce qu'elle serait aisément n'était ce diable d'accent américain (Pathé).
Nous préférons la gaminerie et la malice ingénue de Mireille, dans Chanson enfantine, sur les grues automatiques (Columbia). Elle a le talent de rendre attrayant un genre, qui, à ne point se renouveler, risquerait de devenir fastidieux.
Musique enregistrée – juin 1936
Les perturbations apportées par les grèves récentes ne nous ont pas permis de prendre connaissance des dernières productions de la maison Pathé. Mais même limitée à Columbia et à Gramophone, la récolte est assez abondante.
Voici d'abord une version nouvelle, d'une qualité technique impeccable, de la Septième symphonie en la majeur de Beethoven, celle que Wagner appelait justement « l'apothéose de la Danse ». Cette œuvre débordante de vie et de joie, quoique écrite par Beethoven dans des années particulièrement douloureuses, est exécutée par l'orchestre philharmonique de Vienne, sous la direction de Felix Weingartner, à qui l'on doit déjà l'enregistrement de la 4e, de la 5e et de la 9e symphonie. Les cinq disques qui la composent raviront les amateurs de musique (Columbia).
Ceux-ci ne seront pas moins sensibles au charme plus discret et plus moderne de la Suite en rocaille de Florent Schmitt, pour flûte, violon, alto, cello et harpe. Le quintette instrumental de Paris, à qui cette œuvre est dédiée, en exprime avec délicatesse la couleur volontairement vieillotte (Gramophone).
Deux bons disques de piano : une Mazurka (en do dièse majeur) et deux Etudes de Chopin, par Vladimir Horowitz, qui à une technique très classique allie les qualités propres de sa personnalité vigoureuse (Gramophone), et deux pièces de Debussy : Reflets dans l'eau et Soirée dans Grenade, par Walter Gieseking, dont la sensibilité semble rejoindre celle du maître lui-même (Columbia).
Bien curieuse collaboration que celle de Ronsard et de Darius Milhaud ! Sur trois poèmes des « Amours », la Rose, l'Aubépine, le Rossignol, le musicien a écrit d'originales mélodies, où concertent les voix de Mlle Mahé, MM. Sthenneberg, Rouquetty et Froumenty, de l'Opéra. L'auteur dirige lui-même l'orchestre ; l'ensemble est curieux et plaisant, malheureusement un peu confus parfois (Gramophone).
On se souvient du succès que remporta, il y a une dizaine d'années, l'Association Johnstone et Layton, dont dérivent tous les duettistes qui depuis... Turner Layton nous revient seul aujourd'hui, avec sa voix toujours suave et profonde, son sentiment musical si pénétrant. Dans Solitude, mélodie et Sophisticated lady, pièce pour piano, il montre le double aspect de son talent de chanteur et de pianiste (Columbia). Et puisque nous en sommes aux gens de couleur, il nous faut citer la mystérieuse Marian Anderson, qui, dans un Te Deum de Haendel et une mélodie en italien du même auteur, Ch'io mai vi possa, nous ravit par l'exceptionnelle qualité de sa voix (Gramophone).
Retour d'Amérique, Lucienne Boyer reprend contact avec la terre de France dans le Tango des filles et l'Hôtel du clair de lune (Columbia), cependant que, fidèle à sa Corse natale, Tino Rossi interprète la jolie berceuse corse de Tomasi O Cinciarella, qui fut son premier grand succès (Columbia).
Signalons enfin deux agréables fox-trot : Chanson arabe et Selon l'usage, par Fred Adison et son orchestre (Gramophone).
Musique enregistrée – juillet 1936
Les vacances sont peu propices à la grande musique. Pourtant, on écoutera volontiers, entre deux fox-trots, le poème symphonique de Richard Strauss : Ainsi parlait Zarathoustra (Gramophone), qui s'inscrit dans l’œuvre du compositeur entre Till Eulenspiegel et Don Quichotte. Il date de 1895. Comme les deux autres poèmes, c'est le commentaire musical d'une œuvre littéraire, se modelant naturellement sur l'esprit et le caractère de cette œuvre. L'inspiration nietzschéenne a-t-elle été favorable à Strauss ? Elle nous a paru un peu tumultueuse. Recommandons aussi l'ouverture des Maîtres Chanteurs, dirigée par Selmar Meyrowitz (Pathé) : interprétation très heureuse, qui met intelligemment en valeur les moindres intentions du maître. Enfin, la verve truculente de Rossini se déploie dans l'ouverture de l'Echelle de soie, morceau assez peu connu, qui mérite cependant de l'être (Columbia).
Que si la belle ordonnance de la Polonaise en do dièse mineur de Chopin parait peu convenir au négligé des pyjamas de plage, en dépit de la belle exécution qu'en donne A. Rubinstein (Gramophone), du moins goûtera-t-on sans réserve la couleur et la lumière ensoleillée du « Retour des muletiers », extrait de Cerdana, de Déodat de Séverac. Le pianiste Robert Casadesus interprète avec beaucoup de goût cette page, que double sur l'autre face du disque le Prélude en ré mineur et le Cinquième impromptu de Fauré (Columbia).
Oui, nous laisserons Georges Thill chanter Paillasse et le « brindisi » de la Traviata (Columbia), André Pernet mener la « Ronde du Veau d'or » de Faust (Gramophone), pour écouter Lucienne Boyer dans les Prénoms effacés (Columbia), et surtout Marie Dubas dans Mon légionnaire (Columbia).
Et, pour forcer le soleil revêche, on recourra aux airs espagnols, si chauds et si lumineux. Voici justement Manuela del Rio, dont les castagnettes agiles et claquantes comme un chant de cigales se prodiguent dans Fandanguillo et Torre Bermeja d'Albéniz (Gramophone) ; et voici encore Rosita Altea, chanteuse gitane, qui évoque l'Espagne populaire dans Toro et nous apporte dans Tana un écho de la vieille Espagne du temps des Maures (Pathé).
Musique enregistrée – août 1936
La trêve des vacances continue. Pourtant quelques efforts intéressants à signaler. Le prestigieux maître Toscanini a dirigé, avec l'orchestre philharmonique de New York, une des plus belles pages symphoniques du Crépuscule des dieux, le « Voyage de Siegfried sur le Rhin ». L'ensemble forme deux disques. Au revers du second est gravé le beau Prélude du troisième acte de Lohengrin. C'est une réalisation sonore de premier ordre (Gramophone). Dans le domaine symphonique, retenons encore la Symphonie 99 en mi bémol majeur de Haydn, dite « Impériale ». On y retrouve les deux qualités dominantes du maître : le souci de la construction et le sens du développement qui, poussé jusqu'à la virtuosité, lui permet de tirer un parti étonnant de thèmes assez brefs. L'enregistrement, effectué par l'orchestre philharmonique de Londres, sous la direction de sir Thomas Beecham, est très réussi (Columbia).
Les sonates de Scarlatti, qui sont en réalité des pièces isolées pour clavecin, en forme de lied, ont surtout le caractère d'exercices, qui requièrent un brio tout particulier d'exécution. Il était naturel que le remarquable pianiste Vlad. Horowitz, un des meilleurs de notre époque, se complût à ces jeux d'esprit musicaux, où se peut déployer toute sa virtuosité. Il faut l'entendre dans l' « Andante mosso » de la Sonate en si mineur, et dans le « Presto » de la Sonate en la majeur (Gramophone).
Avec la quatrième Danse slave de Dvorak, si agréablement colorée et très bien traduite par le Czech Philharmonic Orchestra (Gramophone), on aura un ensemble de disques particulièrement attrayant.
On y pourra joindre, dans un genre plus léger, Celui que j'aime et Hawaï vous appelle, une valse et un slow-fox chantés par Jeanne Aubert, qui a décidément une très jolie voix (Columbia), et deux amusants sketches de Max Régnier et sa compagnie : Cours d'automobile et Cours de gymnastique (Columbia). C'est de l'excellent humour.
Musique enregistrée – octobre 1936
Il convient de signaler, aux enregistrements d'orchestre, une excellent exécution du Premier Concerto brandebourgeois de Bach par les « Busch Chamber Players » sous la direction d'Adolf Busch (Columbia). Qualité individuelle des exécutants, parfaite homogénéité de l'ensemble, tels sont les principaux mérites de cette production. Les Inscriptions pour les portes de la ville, de Philippe Gaubert, n'ont pas attendu longtemps pour recevoir la consécration du disque. Ces courtes pièces musicales, destinées à illustrer les vers d'Henri de Régnier, furent données en première audition aux Concerts Colonne en décembre 1934. L'inspiration en paraîtra peut-être un peu impersonnelle, mais l'orchestration est très habile (Gramophone). Depuis 1910, où il fut représenté pour la première fois, l'Oiseau de feu de Stravinsky n'a rien perdu de sa jeunesse et de son éclat. Seules, les hardiesses harmoniques et orchestrales, qui avaient alors un peu surpris, paraissent aujourd'hui presque anodines. La ronde infernale qui ouvre le second tableau, et que l'on trouvera sur le deuxième disque (il y en a trois), est d'une frénésie extrême. On est heureux de posséder cet enregistrement d'une œuvre qui marque une date dans l'histoire de la musique (Gramophone).
Que dire du talent de pianiste de Mme M. Long ? Il vaut mieux, tout simplement, l'écouter dans le 6e Nocturne de G. Fauré (Columbia). On découvrira tout ce qu'il y a en cette artiste d'intelligence et d'émotion. Le Conte bleu et or, pour piano à quatre mains, de Mme Roesgen-Champion, exécuté par l'auteur et Jean Doyen, a beaucoup d'agrément et de charme (Pathé). Nous noterons enfin la Sonatine pour flûte et piano de Stan Golestan, qui baigne dans une ambiance pastorale, imprégnée d'une pointe d'exotisme, dû aux origines roumaines de l'auteur et à son dessein d'exprimer en cette œuvre un peu de l'âme populaire de sa patrie. L'adagietto est surtout caractéristique à cet égard (Gramophone).
Rien de bien marquant dans les disques de chant, à part l'admirable contralto de la chanteuse noire Marian Anderson, très émouvante dans la Nuit de mai de Brahms et le Noyer de Schumann (Gramophone). L'opéra s'efface devant le café-concert, où l'on retrouve d'ailleurs les artistes familiers : Suzy Solidor, avec deux tangos, Sous tes doigts et N'espère pas (Pathé) ; Guy Berry, qui susurre Je vous aime (Pathé) ; Bruno Clair, qui, dans Corsica bella (Pathé), rivalise avantageusement avec Tino Rossi, que l'on entend dans une barcarolle corse : D'Ajaccio à Bonifacio (Columbia).
Et, dans les orchestres de danse, on peut retenir l'humour de Ray Ventura dans Allez donc faire ça plus loin (Pathé), la couleur des Lecuona Cuban Boys dans Coubanakan (Columbia), l'entrain de Fred Adison, avec Petit Soldat et les Petits Canards(Gramophone).
Musique enregistrée – novembre 1936
Un point curieux à noter pour les musicographes de l'avenir est la vogue extraordinaire de ces voix ténorisantes, qui suppléent à leur défaut de puissance par une large utilisation de la voix de tête ou de fausset, tels les « falsettistes » espagnols, qui jadis précédèrent les castrats dans les chœurs de la chapelle pontificale. Elles ne manquent point de charme, encore que certains les tiennent pour agaçantes. Aux auditeurs de se faire leur jugement en écoutant, soit Bruno Clair dans deux tangos : Ce que tu n'oses pas dire et Danila (Pathé), soit Jean Lumière dans Au gré de ma barque et Napoli (Gramophone), soit surtout Tino Rossi dans les principaux airs de son dernier film, Au son des guitares, notamment dans Bella ragazzina, sérénade et Loin des guitares, tango chanté (Columbia). Sachons gré aux forts ténors de tenir courageusement tête à cette rédoutable offensive. Tout au plus font-ils quelques concessions au goût de l'heure par le choix de leurs mélodies : c'est pour Villabella une mélodie-sérénade, Soleil, et une mélodie-valse, Heure intime (Pathé), pour Gigli deux airs du film « Ave Maria » : Solo tu, Maria et Anima mia (Gramophone). Seul, G. Thill se maintient dans la grande tradition avec le Benedictus de la « Grand'messe en si mineur » de Bach (Columbia). Le solo de violon — par H. Merckel — qui seconde la voix fait de ce disque une belle et très complète réalisation. Ne quittons pas les disques de chant sans signaler au moins les deux mélodies de Schumann, Die Kartenlegerin et Waldesgesprach, délicieusement interprétées par Mme Lotte Lehmann (Gramophone).
Nous avons dit, le mois dernier, la qualité de l'enregistrement du premier Concerto brandebourgeois de Bach par « the Busch chamber players ». La série continue avec le Concerto n° 2, où l'on peut apprécier particulièrement la virtuosité du flûtiste Marcel Moyse (Columbia).
Du même Bach la Suite française en mi majeur est fort agréablement traduite au clavecin par Mme Wanda Landowska. C'est là que ces petites pièces — elles sont au nombre de huit, très brèves mais très caractérisées néanmoins — prennent réellement tout leur prix. Mieux que le piano, le clavecin en conserve l'élégante légèreté, surtout lorsque cet instrument est conduit par des mains aussi expertes que celles de Mme Landowska (Gramophone).
De son côté, Mme Magda Tagliaferro interprète au piano la Sonatine en ut majeur de R. Hahn, œuvre charmante, que l'auteur a parée de grâces vieillottes, au travers desquelles transparaît comme un reflet du dix-huitième siècle (Pathé).
Signalons enfin un fort intéressant disque sur lequel sont gravées deux Sonates de Mozart, l'une pour cordes et orgue, l'autre pour petit orchestre et orgue. Ce sont de petite pièces riches de fantaisie et d'invention ; bien qu'elles ai nt été composées pour l'archevêque de Salzbourg, elles ont un caractère moins religieux que profane. La seconde surtout, en do majeur, ressemble par son allégresse joyeuse, à une ouverture d'opéra bouffe. L'une et l'autre sont parfaitement jouées à l'orgue par Mlle Noëlie Pierront (Pathé).
Musique enregistrée – décembre 1936
En cette période de fêtes de fin et de début d'année, la faveur du public se portera sans doute de préférence sur les disques de musique légère. Voici de quoi le satisfaire. Aux disques de danse, deux alertes fox-trots de Fred Adison : Quand les andouilles volerontet Voulez-vous danser, madame ? (Gramophone) ; deux tangos bien rythmés de Raphaël Canaro : Je ne sais et la Muchachada (Columbia) ; deux airs cubains, toujours curieusement orchestrés, des Lecuona Cuban boys ; Hindou et Dime adios (Columbia) ; un fox humoristique de Ray Ventura : C'est une petite devinette (Pathé).
Les amateurs de chansons retrouveront leurs interprètes favoris : Jeanne Aubert, avec une valse chantée, J'ai quelqu'un dans mon cœur (Columbia) ; Joséphine Baker, aussi charmante dans les Nuits d'Alger que dans les Nuits de Miami, mais plus expressive dans Doudou (Columbia) ; Jean Tranchant et sa cocasse Mademoiselle Adeline (Pathé) ; le murmurant Reda Caire, avec Je rêve au fil de l'eau, et Dis-moi que tu m'aimes (Pathé) ; Jean Lumière, avec Alone, une des plus jolies mélodies de ces dernières années (Gramophone) ; Elyane Celis, fort agréable dans Nous serons heureux et Chanson nouvelle ; enfin et surtout les « Comedian Harmonists », à qui l'on pourrait reprocher de ne pas se renouveler, s'ils n'avaient atteint déjà à la perfection de leur genre, et que l'on retrouve avec toutes leurs qualités dans Rumba-Tambah et In my solitude (Gramophone).
Ces amusettes ne sauraient cependant masquer le remarquable effort fourni par nos éditeurs dans le domaine de la grande musique.
L'enregistrement de la Sonate pour piano et violon de C. Franck, par Hephzibah et Yehudi Menuhin (Gramophone), du Quintette de Schubert, « la Truite », par le quatuor Pro Arte et Claude Hobday (Gramophone), du Don Juan de Richard Strauss par le London philharmonic orchestra (Gramophone), et encore de la Symphonie héroïque de Beethoven par l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de F. Weingartner (Columbia), sont des réalisations de premier ordre, qui méritent de retenir l'attention des musiciens.
Mais celle-ci se fixera surtout sur une magnifique anthologie : Trois siècles de musique d'orgue, qui ne comprendra pas moins de douze disques et qui nous conduira depuis les primitifs jusqu'à J.-S. Bach (Pathé). Trois des quatre disques déjà parus sont consacrés aux premiers maîtres de l'orgue, à commencer par Fr. Landino, qui vécut au XIVe siècle et qui, ayant perdu la vue dès l'enfance, devint organiste de l'église San Lorenzo, à Florence. On y trouvera également des pièces caractéristiques de Palestrina, de Gabrieli, de Frescobaldi ; les Espagnols y sont représentés par Cabezon, Sancta-Maria et Cabanillès, qui vécurent aux XVIe et XVIIe s. En manière d'introduction, l'organiste André Marchal présente et commente, en un disque liminaire, les jeux de l'orgue ; et ce disque est peut-être le plus intéressant de la série.
Musique enregistrée – janvier 1937
Après avoir été exagérément admiré de son vivant et injustement décrié après sa mort, Tchaïkovski connaît aujourd'hui un regain de faveur. Si sa musique n'offre pas cette couleur — plus orientale d'ailleurs que slave — des maîtres de la grande école russe, elle n'est pas dépourvue de lyrisme et ne laisse pas d'être quelquefois pathétique. C'est justement l'épithète qui a été donnée à la Symphonie n° 6 en si mineur, la dernière œuvre de Tchaïkovski, qui en dirigea pour la première fois l'exécution à Saint-Pétersbourg en 1893, neuf jours seulement avant sa mort. On écoutera cette symphonie avec intérêt et l'on goûtera sûrement l'interprétation qu'en donne l'orchestre de la Société du Conservatoire sous l'habile direction de Philippe Gaubert (Columbia)
Cette œuvre est, avec la Septième symphonie de Beethoven, dont Toscanini, à la tête de l'Orchestre philharmonique de New York, donne une prestigieuse exécution (Gramophone), la production la plus marquante de ce mois.
Il ne faut pas oublier cependant la Sérénade en ré majeur de Beethoven, œuvre de jeunesse, soumise encore aux formes musicales du XVIIIe siècle et imprégnée de la grâce un peu maniérée de cette époque. Elle est remarquablement jouée par le trio Pasquier (Pathé).
Au piano, l'élégante virtuosité de Niedzielski trouve une riche matière avec le Scherzo en si mineur de Chopin, tandis que sa délicatesse s'exprime dans trois Préludes du même, gravés au dos du second disque du Scherzo. Cela constitue un ensemble copieux et varié (Gramophone).
Signalons enfin, par l'orchestre Locatelli, une Gavotte de Gossec, et Granada, de la « Suite espagnole » d'Albéniz : deux pièces de caractère très différent, mais également agréables à entendre (Columbia).
Des disques de chant, nous retiendrons surtout la suite de mélodies enregistrées par Pierre Bernac qu'accompagne au piano Francis Poulenc. Prison et Jardin nocturne de Fauré, Trois chansons de France de Debussy, Sainte et Sur l'herbe de Ravel, l’Ile heureuse et Ballade des gros dindons de Chabrier, neuf mélodies en quatre disques, qui, par leur variété, permettent d'apprécier à leur mesure les qualités vocales de Bernac, la souplesse de son art, et son intelligence musicale. Si nous ajoutons qu'ici l'accompagnateur n'est pas seulement le soutien du chanteur, mais qu'il collabore étroitement avec lui pour joindre au charme de la voix l'enchantement de la musique, on comprendra la perfection ainsi obtenue (Gramophone).
Le légitime succès qu'ont remporté au Châtelet l'opérette Yana et son principal interprète José Janson rendra le public curieux d'entendre ce bon chanteur dans quelques-uns des principaux airs de cette partition. Voici justement trois mélodies : Sur toi je veille, tango, Combien je l'aime, fox-trot, O ma Yana, et un duo avec Mme Deva-Dassy : A quoi bon mentir (Pathé).
On aime ou l'on n'aime pas Damia. Si oui, on écoutera avec intérêt la Marie-Jeanne et Qu'en pensez-vous, pauvres petits ?, deux chansons où se déploie pleinement le tempérament de l'artiste (Columbia).
Musique enregistrée – février 1937
On nous pardonnera de faire figurer en tête des disques d'orchestre l'Ouverture du « Barbier de Séville », réalisée par les Comedian Harmonists avec l'unique secours de leur virtuosité vocale (Gramophone). Jamais encore celle-ci n'avait atteint un tel degré de perfection : cordes, bois, cuivres, batterie, tout est reproduit avec une surprenante fidélité. A peine pourrait-on marquer une légère imperfection dans les parties de basse, où transparaissent les tonalités de la voix humaine. Jusqu'ici, les Comedian Harmonists s'étaient bornés à harmoniser avec une agréable fantaisie des mélodies, des chansons, des airs de danse. Les voici maintenant qui s'attaquent à des pièces d'orchestre. On peut se demander où ils s'arrêteront. En attendant, ce disque est des plus réussis.
Si l'on veut mesurer toute la différence qui sépare notre vieux monde, toujours sensible, malgré tout, au charme du passé, et le monde nouveau d'outre-Atlantique, uniquement possédé de la fièvre de la vie moderne, il suffit d'écouter comparativement les « Quatre images musicales », A travers Paris, de Louis Beydts (Gramophone), et le Panorama américain de D. Amfithéatrof (Pathé). Les « Images » de Beydts, en forme de Sarabande, de Sicilienne, de Ballabile, nous promènent à Cluny, au Louvre, à Carnavalet, à la fontaine Médicis, bref dans les coins de Paris qui gardent le mieux l'empreinte des siècles écoulés, et le modernisme de l'orchestration ne cache pas l'inspiration volontairement vieillotte. Le modernisme du poème symphonique d'Amfithéatrof est, au contraire, exaspéré, hallucinant. C'est le halètement formidable d'une cité gigantesque, où le bruit des machines se mêle aux stridences cuivrées des orchestres nègres. Le Panorama américain a plus de vigueur, ou, comme on dit volontiers aujourd'hui, plus de dynamisme ; les Images musicales ont incontestablement plus de charme.
Aux disques de chant, nous signalerons la belle interprétation de l'admirable duo du troisième acte de Lohengrin — un des sommets de l'œuvre — par Mme Martinelli et M. G. Thill. Les seuls noms de ces artistes suffisent à définir la qualité de cet enregistrement (Columbia). Nous insisterons davantage sur les trois fragments de l'Orfeo de Monteverdi, chantés par M. Y. Le Marc'hadour. On est frappé du modernisme de cette musique, vieille pourtant de plus de trois siècles (Orfeo date de 1607), qui ne craint pas d'attaquer les dissonances sans préparation — tout comme de nos jours Debussy —, qui donne au récitatif un accent humain et réellement pathétique, qui enfin réserve un rôle très important à l'accompagnement musical. Celui-ci, confié ici au quatuor, au clavecin et à l'orgue, recrée l'atmosphère exacte de l'œuvre. C'est une excellente réalisation (Pathé).
L'agrément du film Green Pastures tient évidemment surtout au pittoresque des images ; mais le sens profond de l'œuvre est exprimé par les chants qui accompagnent et commentent l'action. Issus de la veine des « negro spirituals », ils traduisent à la fois la naïveté et la religiosité foncière de l'âme nègre. On goûtera donc certainement, dans l'interprétation qu'en donne la basse P. Robeson, des airs comme Git on board, lil’ Chillun, ou Go down, Moses, ou encore, en duo avec Lawrence Brown, Joshua fit de battle of Jericho (Gramophone).
Musique enregistrée – mars 1937
Arrêtons-nous d'abord à l'enregistrement en quatre disques de l'amusante comédie de Sacha Guitry, le Mot de Cambronne, avec les artistes qui l'ont créée naguère au théâtre de la Madeleine : Sacha Guitry, Marguerite Moreno, Pauline Carton, Jacqueline Delubac (Gramophone). L'anecdote, encore qu'ingénieuse, est un peu grêle et vaut surtout par la façon dont elle est accommodée ; mais il y a là un tour de main extrêmement habile qui fait de cette piécette une œuvre parfaitement adaptée aux exigences du disque. Peut-on s'en étonner, et Sacha Guitry n'est-il pas lui-même, par son extraordinaire facilité verbale, sa volubilité intarissable, une merveilleuse « machine parlante » ?
Une révélation musicale du plus haut intérêt est l'édition de la 3e Leçon des Ténèbres pour le mercredy, de François Couperin (Gramophone). On parlait beaucoup de ces fameux motets que Couperin composa entre 1712 et 1714, mais peu de gens les connaissaient ; il est vrai que des neuf leçons primitives, il n'en subsiste que trois, celles que vient d'enregistrer le disert musicographe A. Hoerée. Il les a restituées dans leur vrai style, les soutenant d'une instrumentation conforme aux suggestions de l'auteur et comportant clavecin, orgue et cordes, doublant, par surcroît, les voix par les trompettes dans les grands ensembles, et développant enfin les « ornements » vocaux abréviativement indiqués par Couperin. Tout ceci a été conçu avec un sens très averti des caractères traditionnels de la musique religieuse du XVIIe siècle, et admirablement réalisé par les interprètes de choix dont A. Hoerée s'est entouré. L'ensemble est vigoureux et émouvant.
A ces deux productions diversement intéressantes, il convient d'ajouter le Concerto en mi bémol majeur pour piano et orchestre de Mozart, interprété par Walter Gieseking et les meilleurs solistes de l'orchestre de l'Opéra de Berlin (Columbia). L'andantino, qui forme le deuxième mouvement, est d'un grand charme mélodique et le menuetto cantabile, qui s'inscrit à la fin du concerto, a une légèreté exquise.
Musique enregistrée – avril 1937
La Sixième symphonie en fa majeur de Beethoven, la « Pastorale », est si classique et si universellement connue que l'intérêt d'une nouvelle édition réside moins dans l'œuvre elle-même que dans les comparaisons que l'on peut faire avec des éditions antérieures. Nous possédions déjà de très bons enregistrements de cette œuvre magistrale, mais celui que vient de réaliser l'orchestre symphonique de Vienne, sous la direction de Bruno Walter, permet de mesurer tous les progrès accomplis en ces dernières années par la technique phonographique : netteté des timbres qui, au lieu de se confondre comme il arrivait parfois, gardent leur individualité dans la masse orchestrale, nuances plus finement traduites, et aussi résistance plus grande à la forte amplification, naguère souvent déformante, telles sont les principales acquisitions que révèlent les cinq disques où s'inscrit cette symphonie (Gramophone).
Une intéressante et attrayante utilisation de l'orchestre de jazz nous est fournie par le Poème rapsodique pour piano et orchestre de jazz de Léon Kartun ; cette œuvre, d'un caractère naturellement très moderne, est interprétée par l'auteur lui-même, qui met toutes les ressources de sa virtuosité au service d'une formule neuve et originale (Gramophone). Ainsi le jazz acquiert-il peu à peu ses lettres de noblesse.
Qu'il ne les galvaude pas cependant, en se complaisant trop à ces sortes de sketches humoristiques, parfois d'une bien fâcheuse indigence, dont Ray Ventura donnait encore récemment un spécimen avec Vous permettez que j' déballe mes outils (Pathé). Le jazz comporte dans l'ordre purement musical assez de ressources pour se suffire à lui-même ; écoutez les ingénieux arrangements que donnent le même Ray Ventura et ses collégiens de deux mélodies : Vous qui passez sans me voir, et Je sais que vous êtes jolie (Pathé).
C'est cette fantaisie qui donne leur prix à certains orchestres de danse. Un des plus intéressants à cet égard est celui des Lecuona Cuban boys, qui savent allier à une fantaisie trépidante et à des sonorités imprévues un accent naïf et populaire, parfois plein de nostalgie, témoin leur dernière production : Quim-bam-ba et la Conga de Jaruco (Columbia).
Que cette digression ne nous fasse pas omettre le Trio en mi, pour hautbois, clarinette et basson, du compositeur P.-O. Ferroud, mort tragiquement l'an dernier. Cette œuvre, exécutée par le Trio d'anches de Paris, comprend un allegro moderato, un allegro graciozo et un quasi presto en forme de rondo (P.).
Mentionnons enfin, pour en rappeler seulement l'exquise qualité, le quatuor pour instruments à cordes de Maurice Ravel, interprété par le quatuor Calvet (Gramophone).
Il faut entendre Yehudi Menuhin traduire avec un charme exquis deux petites pièces, où la virtuosité n'a rien à faire : la Fille aux cheveux de lin de Debussy et Quand ma mère m'apprenait de Dvorak (Gramophone).
Aux disques de chant, signalons la suite, en trois disques, des mélodies de G. Fauré, inspirées de la Bonne chanson de Verlaine. L'écriture un peu précieuse de ces pièces conviendrait mieux, semble-t-il, aux Fêtes galantes, et l'on serait tenté de reprocher à l'interprète, Ch. Panzéra d'avoir trop fidèlement suivi les suggestions du musicien : on eût souhaité dans sa diction plus de spontanéité et de chaleur.
Mais l'art du chanteur fait oublier cette légère infidélité aux intentions du poète (Gramophone).
Musique enregistrée – mai 1937
L'enregistrement des symphonies de Beethoven (Columbia), qui portait déjà sur sept d'entre elles, se poursuit avec celui de la Deuxième symphonie en ré majeur. Celle-ci, datée de 1802, appartient encore à la période où le maître n'est pas totalement libéré de l'influence de Mozart. Son génie personnel perce dans cette œuvre, plus qu'il ne s'affirme : il apparaît surtout dans l'Adagio et le Finale, qui, celui-ci par sa fougue initiale, celui-là par son inspiration méditative, portent la marque du maître. L'interprétation actuelle est due à l'Orchestre Philarmonique de Londres, dirigé par sir Thomas Beecham. Elle est excellente.
En manière de commentaire du Faust de Goethe, Liszt écrivit en 1858 et 1861 deux Mefisto Waltzer, d'une grande puissance de couleur et de mouvement. La première, intitulée Der nächtliche Zug, la Procession nocturne, nous est donnée par l'orchestre symphonique de Boston, sous la direction de Serge Koussevitzky (Gramophone).
Les amateurs de musique de chambre apprécieront les deux Suites de Bach, la troisième et la quatrième, toutes deux en ré mineur, qu'a enregistrées l'orchestre d'Adolph Busch (Gramophone). Le même orchestre avait interprété déjà les suites 1 et 2. Souhaitons qu'ils nous donne aussi les deux dernières, et nous aurons ainsi l'ensemble de ces six pièces, qui sont délicieuses. Il est seulement regrettable que l'on ait réparti ces deux suites sur cinq disques, dont le troisième comporte la fin de la troisième et le début de la quatrième ; cette disposition ne permet pas de se procurer chacune de ces suites séparément.
Dans les enregistrements de piano, nous signalerons deux œuvres de marque : la Sonate en si bémol mineur de Chopin — dont l'andante est formé par la célèbre « marche funèbre » —, interprétée par Serge Rachmaninov (Gramophone), et la suite de menues pièces de Debussy intitulées The Children's Corner, par Walter Gieseking. Cet excellent exécutant s'est acquis dans le Debussy une indiscutable maîtrise, et il est aujourd'hui l'un de ceux qui traduisent le mieux la délicatesse raffinée de l'art debussyste (Columbia). A ces pièces désormais classiques on peut joindre une charmante Pastorale de Mme Rœsgen-Champion, qui l'interprète elle-même au piano, secondée par le violoncelle de M. Cruque et le hautbois de M. Bleuzet (Pathé).
Jusqu'ici nous n'avions guère entendu le baryton Endrèze que dans des airs d'opéras au service desquels il mettait sa voix chaudement timbrée et sa vive intelligence des rôles. Le voici maintenant, toujours pareil à lui-même dans deux mélodies : Phyllis, des « Etudes latines » de R. Hahn et un air écrit par Paladilhe pour la Psyché de Corneille : Je suis jaloux (Pathé). Le charme un peu mièvre de la première de ces pièces, l'émouvante gravité de la seconde sont rendus avec un égal talent par ce remarquable artiste. Une fort jolie réalisation, est celle obtenue avec des Ariettes de Scarlatti, par Mme Leïla Ben Sedira, avec accompagnement de clavecin, de violons et de cello (Gramophone). Il faut louer particulièrement l'exacte mise au point de cet ensemble.
Et voici que commencent à sortir les airs destinés à se propager cet été sur les plages et dans les villes d'eaux. Tous ne réaliseront pas leur ambition. Parmi ceux qui ont le plus de chances, citons seulement : C'est beau d'être musicien et Ah ! Ah ! dit le curé, deux fox-trots par l'orchestre de Fred Adison (Gramophone) ; Sous le kiosque à musique, marche humoriste par Ray Ventura et ses collégiens (Pathé).
Musique enregistrée – juin 1937
Naguère, une maîtresse de maison eût ébloui ses invités en leur annonçant qu'elle leur ferait entendre Paderewski dans une sonate de Beethoven, et que le maître interpréterait aussi son célèbre Menuet en sol majeur. Pareil régal est devenu aujourd'hui chose banale, grâce aux miracles de l'enregistrement, par quoi, ainsi que l'écrit Paul Valéry, « les plus grands maîtres, les voix les plus rares, les dictateurs d'orchestre les plus célèbres, les virtuoses et les ensembles les plus renommés obéissent au moindre désir qui nous vient de les entendre ».
Quel sera ce mois-ci notre caprice ? Ecouter une des grandes gloires du piano, Paderewski, dont l'âge n'a point noué les articulations et dont les doigts gardent sur le clavier une agilité merveilleuse ? Un geste, et le maître traduira pour nous la magnificence émouvante de la Sonate du « Clair de lune » ou la grâce un peu maniérée de son propre Menuet (Gramophone). Voulons-nous avancer dans la connaissance de l'œuvre pianistique de Prokofiev, une des figures les plus attachantes de la jeune école russe ? Le voici qui nous ouvre lui-même le trésor de ses compositions, ses Visions fugitives, pièces brèves, qui valent par l'accent, ses savoureux Contes de la vieille grand'mère, sa Sonatine pastorale, sa sarcastique Suggestion diabolique, deux Gavottes, une Etude, un Andante, tout ceci en quatre disques (Gramophone). Préférons-nous au contraire saluer un nouveau talent, lourd de promesses et déjà d'une belle maturité ? Ecoutons le jeune virtuose Kilenyi, récemment révélé aux Parisiens, dans son interprétation tout à fait remarquable de Chopin, avec le Prélude en si bémol mineur et trois Etudes, et admirons la sûreté de sa technique dans la Quinzième Rapsodie de Liszt (Pathé).
Parmi les disques de chant, nous nous bornerons à signaler deux airs de Manon, le « Rêve » et « Fuyez, douce image », par G. Thill (Columbia), pour insister davantage sur les qualités vocales d'un nouveau chanteur nègre, Aubrey Pankey, qui, avec deux mélodies de Tchaïkovski, Sérénade de Don Juan et Légende, se révèle de la classe des Roland Hayes (Pathé). L'interprétation de la Chanson de Solveig par les Petits chanteurs à la croix de bois est d'une réalisation excellemment nuancée (Gramophone). Dans le genre léger, on goûtera l'amusante fantaisie des duettistes Pills et Tabet dans Serait-elle en retard ? et Un petit rien nous amuse, la dernière chanson de Mireille (Columbia), cependant que Joséphine Baker affirme ses louables progrès dans C'est un nid charmantet Toc-toc partout (Columbia).
Pas de grandes pièces d'orchestre ce mois-ci. En revanche, des œuvres délicates et savoureuses, comme l'Andantino et Allegro marziale de Jacques Ibert et la Pastorale de Darius Milhaud, par le Trio d'anches de Paris (Pathé) ; et la suite brillante de Concertos brandebourgeois de Bach, le troisième et le quatrième, par The Bush Chamber players, auxquels le flûtiste Marcel Moyse prête l'appoint de son talent (Columbia). L'orchestre d'A.-W. Ketelbey nous donne deux œuvres de ce compositeur, écrites comme toujours en vue de la reproduction radiophonique, et exactement adaptées à ses nécessités : Cloches aux champs et Sanctuaire du cœur (Columbia). A ce style s'apparentent deux pièces pour orgue de cinéma : In the chapel in the moonlight, et Sleep, my little one, une agréable berceuse, où les innombrables ressources de l'orgue s'enrichissent encore d'un quatuor vocal. L'ensemble est fort plaisant (Gramophone).
Musique enregistrée – juillet 1937
C'est une heureuse inspiration qu'à eue Toscanini de faire enregistrer, avec l'Orchestre philharmonique de New York, l'Ouverture de Sémiramis de Rossini (Gramophone). Ce n'est pas que cet ouvrage soit le meilleur du maître : il fut accueilli avec froideur, lors de sa création à Venise, en 1828, et c'est même ce demi-échec, venant après une série ininterrompue de succès, qui détermina Rossini à quitter l'Italie. Mais l'Ouverture est justement regardée comme une des conceptions les plus remarquables de l'imagination musicale ; Rossini y a déployé toute la richesse de son invention, vivifiant et colorant de sa fougue personnelle les formules de la tradition italienne. On prendra donc plaisir à entendre cette page.
On écoutera de même avec intérêt Pau Casals, soutenu par le « London symphony orchestra », dans un concerto pour violoncelle et orchestre, d'abord parce que Casals est un merveilleux exécutant et que son récent retour au micro, après un silence de plusieurs années, a enchanté tous les musiciens, et aussi parce que l'œuvre choisie, Kol Nidrei, compte parmi les meilleures de Max Bruch, composé sur un thème hébraïque, ce concerto a une saveur vraiment originale. Au revers du deuxième disque consacré à cet ensemble est gravé un charmant Menuet de Haydn (Gramophone).
Les pianistes prendront plaisir et profit à suivre l'interprétation très personnelle que donne Yves Nat de trois pièces des Fantasiestucke de Schumann : Au soir, Elévation, Pourquoi ? Ce sont de petites choses, mais exquisement traduites (Columbia).
Nous avons dit déjà l'agrément et le charme qu'apporte Yvonne Printemps dans l'opérette des Bouffes, les Trois valses. On en retrouvera le reflet et l'écho dans les deux disques où sont inscrits les principaux airs : C'est la saison d'amour, la valse second-empire qui ouvre l'opérette, Te souvient-il, C'est le destin peut-être, la valse moderne chantée par les deux protagonistes devant le micro dans un studio de cinéma, enfin Je ne suis pas ce que l'on pense, ou Yvonne Printemps fait preuve d'une délicieuse gaminerie (Gramophone).
Parmi les autres disques de chant, nous signalons deux airs, un tango et un fox-trot, du film Vivere : « Torna Piccina » et « Vivere », chantés avec l'éclat que l'on devine par Tito Schipa (Gramophone), et deux mélodies de R. Strauss : Sérénade et Prière secrète, délicatement détaillées par Georges Thill (Columbia). Signalons aussi un très intéressant Quatuor vocal féminin, le « Quatuor Lel », qui, dans la tradition des chœurs russes, interprète des chansons populaires slaves. Le même disque réunit : Aie Lully de Rimski-Korsakov, la Chanson de Saratof et le Boulvan, chansons populaires russes, enfin un joli chant populaire ukrainien : Chanson de Noël (Gramophone).
Musique enregistrée – octobre 1937
Deux œuvres d'importance figurent dans les nouveautés de ce mois : le Trio en la mineur de Tchaïkovski, pour piano, violon et violoncelle, œuvre brillante, écrite « à la mémoire d'un grand artiste », en l'occurrence N. Rubinstein, et à laquelle on pourrait seulement reprocher une complaisance trop marquée pour les effets de virtuosité, avec six suites de variations. Il est vrai que sous l'archet de Yehudi Menuhin, qui est accompagné au piano par sa sœur Hephzibah et au violoncelle par Maurice Eisenberg, la virtuosité reste toujours intelligente et expressive (Gramophone) ; le Concerto n° 1, en do majeur de Beethoven, pour piano et orchestre, exécuté par Walter Gieseking et l'orchestre de l'Opéra de Berlin, œuvre puissante et d'une riche sensibilité (Columbia).
La pittoresque suite pour piano de Ravel intitulée Gaspard de la nuit a trouvé en Jean Doyen un interprète attentif à traduire toute la subtilité de cette musique, que la fantaisie de Ravel a teintée d'un romantisme ingénieux (Gramophone).
Depuis ses premières révélations Marian Anderson a fait une brillante carrière. Elle chante cette fois, en suédois et en allemand, deux mélodies de Sibelius Aus banger Brust (D'une âme inquiète), et Langsam som gvallskyn (Doucement comme une âme du soir). La voix a toujours son charme prenant ; nous l'aimions mieux lorsqu'elle traduisait la mysticité naïve des « spirituals » (Gramophone).
D'un genre différent, une émouvante chanson de Damia, Je suis dans la dèche, évoque la détresse des pauvres destinées : rien ici d'analogue à la jovialité de Ma Pomme ; mais une atmosphère tragique, une désespérance à laquelle la sensibilité de l'artiste donne tout son accent (Columbia).
Plusieurs disques ont été déjà tirés des comédies de Pagnol. Voici que de César, la dernière pièces de la trilogie cinématographique inaugurée par Marius, on nous donne aujourd'hui la « Confession de Panisse », avec Raimu et Charpin comme protagonistes ; c'est dire la saveur de cette scène, où l'humour se mêle à l'émotion (Columbia).
La musique de danses est, comme à l'ordinaire, toujours abondante ; bornons-nous à signaler un amusant pot-pourri, les Airs d'Henry Himmel, par l'orchestre de Fred Adison (Gramophone). Avec The Merry-go-round Broke down et Where are you, l'habile Sydney Torch déploie toutes les ressources de l'orgue de cinéma (Columbia).
Musique enregistrée – novembre 1937
Nous connaissions déjà le bel enregistrement de la Symphonie en ré mineur de César Franck par l'Orchestre symphonique de Philadelphie sous la direction de L. Stokowski. La nouvelle édition qui nous en est donnée accuse un progrès technique qui permet de goûter plus pleinement cette œuvre si représentative de la manière franckienne. César Franck avait soixante-cinq ans lorsqu'il l'écrivit — c'est l'époque du célèbre Prélude, choral et fugue, de la Sonate pour piano et violon, de Psyché — ; son art, dégagé, semble-t-il, de toute attache terrestre, s'était pour ainsi dire, sublimisé. Cette symphonie en est une des expressions les plus complètes (Gramophone).
Un autre enregistrement d'importance est celui du Concerto en la mineur de Grieg, interprété par le pianiste W. Gieseking et l'orchestre de l'opéra de Berlin. Grieg avait lui-même joué ce concerto en première audition au Gewandhaus de Leipzig, en 1879. Il est douteux que son interprétation ait pu être de beaucoup supérieure à celle de Gieseking, qui apporte dans son jeu un art plein à la fois de sûreté, d'intelligence et de finesse (Columbia).
Des qualités analogues se retrouvent dans les trois pièces pour piano Tonadas chilenas, Bailecito et Milonga, que joue Ricardo Viñes (Gramophone).
Nous regrettions le mois dernier que Marion Anderson paraisse délaisser les « negro spirituals ». Voici justement qu'elle revient à ce genre où elle excelle, avec deux pièces : Go down Moses et My soul's been anchored in the Lord. Réjouissons-nous de retrouver là tout entière, avec ses dons si personnels, cette remarquable artiste (Gramophone).
On peut avoir des doutes sur la valeur militaire de l'armée rouge de l'U. R. S. S. Il faut convenir du moins qu'elle compte d'excellents chanteurs. Les traditions chorales se sont maintenues là-bas, en dépit des révolutions, et l'ensemble dirigé par A. V. Alexandroff ne le cède en rien aux chœurs russes que nous avions déjà entendus. Il est curieux — sans plus — d'entendre ces soldats de l'armée rouge chanter la Marseillaise et le Chant du départ, mais on écoute avec un vif intérêt le Tourbillon blanc, chanson populaire, la Chanson sur un maire de village, chœurs de l'opéra « Nuit de mai », et enfin les immortels Bateliers de la Volga (Columbia).
Dans le genre léger, nous devrons mentionner l'agréable trio, Lucienne Boyer, Pills et Tabet, dans deux airs de l'opérette « la Belle saison » : la Romance du Printemps et Chez nous (Columbia) ; la fantaisiste Fernande Saala, dans Je n' peux pas et la Femme d'Arbi-arba (Pathé) ; la très vivante Lyne Clevers, dans un fox-trot, Mandarines, et une rumba, Un vrai Cubain (Columbia) ; et enfin, pour les amateurs de tyroliennes, l'habile et mélodieux iouleur Sepp Möllinger, dans der Kuckuc et der Lustige Bua (Columbia).
Des orchestres de danse, détachons seulement deux fox-trots, les Topinambours et C'était une bergère, par l'orchestre de Fred Adison (Gramophone) et deux pièces humoristiques Au premier et Elle a... par Ray Ventura et ses collégiens (Pathé).
Les enregistrements partiels du film de Pagnol, César, se poursuivent en deux disques, avec deux scènes : « Panisse est cuit » et la Partie de cartes, de « l'Enterrement » (Columbia).