Instruction pour le maniement du Phonautographe

 

 

Le cylindre à mouvement hélicoïde est la partie essentielle de l’appareil pour l’enregistrement graphique des mouvements vibratoires sonores et il peut suffire seul pour beaucoup d’expériences. Le corps dont on veut écrire les mouvements vibratoires est disposé en face du cylindre, de telle manière qu’un style planté sur ce corps le touche par son extrémité, et que la direction des mouvements vibratoires soit parallèle à l’axe du cylindre qu’on a enduit préalablement de noir de fumée, ou sur lequel on a appliqué une feuille de papier noirci. Le tout ainsi disposé, on fait tourner la manivelle simplement avec la main.

 

1. Si l’on veut déterminer le nombre de vibrations d’une note on dispose le petit mouvement d’horlogerie de façon que sa pointe à échappement se trouve à côté du style planté dans le corps vibrant et qu’elle marque alors le temps à côté du tracé des vibrations. Presque toujours en tombant sur le cylindre, la pointe rebondit d’abord plusieurs fois et trace ainsi une ligne discontinue, puis elle reste tranquillement appuyée sur le cylindre et y trace pendant quelques temps un trait continu ; ensuite la pointe se relève et reste éloignée du cylindre jusqu’à ce qu’un nouvel échappement la fasse retomber sur ce dernier. Par conséquent, pour connaître le nombre de vibrations de la note, il faut compter les vibrations du commencement du premier trait discontinu jusqu’au commencement du trait suivant, et diviser ce nombre par le nombre de secondes qui s’écoulent entre deux échappements.

Pour que la pointe, en tombant sur le cylindre, produise une bonne marque, il faut la garnir d’une petite barbe de plume qui doit dépasser cette pointe d’environ un millimètre.

 

2. Si l’on connaît bien le nombre de vibrations d’un diapason, c’est celui-ci qui doit servir de chronoscope. On le met alors à la place que, dans l’expérience précédente, occupait le mouvement d’horlogerie, et lui fait écrire ses vibrations à côté des vibrations du corps, qu’il s’agit de compter ; la comparaison donne alors immédiatement le nombre de ces vibrations.

Cette application du diapason est de la plus grande importance, car c’est grâce à ce moyen que l’on peut faire abstraction du mouvement régulier du cylindre pour toutes les observations chronographiques.

 

3. Le cylindre seul sert aussi dans tous les cas où il s’agit d’enregistrer des mouvements complexes, qui existent dans un corps solide, comme par exemple les mouvements des cordes, plaques, diapasons, etc…, qui, à côté du son fondamental, font entendre des sons harmoniques, ou bien le mouvement résultant de la composition de deux vibrations rectangulaires dans les verges de M. Weatstone.

 

4. Pour enregistrer les mouvements vibratoires de l’air, il faut se servir de la membrane, car c’est aux membranes que les vibrations aériennes se communiquent le plus facilement.

La membrane se trouve dans le foyer du grand paraboloïde et peut être tendue et tournée à volonté pour forcer le style : 1° à vibrer sous l’influence de chaque note, et 2° à vibrer dans une direction qui lui permette d’écrire sur le cylindre.

On peut opérer la tension de la membrane, soit en serrant plus ou moins les quatre vis de pression qui appuient sur l’anneau tenseur, soit en appuyant à un point de sa surface la vis de la petite planchette mobile à rainure, qui est fixée à l’anneau inférieur du porte-membrane.

Il est difficile de donner une description tout à fait exacte de la position du style et il faut toujours un peu tâtonner pour trouver celle où il écrit le mieux. En général, il faut que le style ne soit pas posé au centre de la membrane, mais en un point intermédiaire entre le centre et le bord ; qu’il soit incliné sur la membrane et qu’il penche aussi un peu du côté de la vis du cylindre. Il faut en outre que la pointe du style traîne un peu sur le cylindre.

 

5. Pour écrire la figure résultante de deux ou plusieurs sons, il faut d’abord s’assurer que le style écrive chaque note avec une intensité à peu près égale ; si le style vibre pour une de ces notes dans une autre direction que pour l’autre, il faut tourner le porte-membrane de manière à lui donner une position intermédiaire.

Le style le plus avantageux paraît être une petite barbule de plume fixée sur un bout de soie de sanglier. Ce genre de style convient surtout à cause de sa grande légèreté pour écrire les vibrations des diapasons et autres corps solides, quand on veut déterminer le nombre de vibrations ; mais s’il s’agit plutôt de la forme des vibrations que de leur nombre, comme dans les expériences indiquées sous le n°3, un style en laiton mince et qui a, à peu près, cette forme :     … me paraît préférable.

Je me suis presque toujours servi de membranes de baudruche qui rendent de bons services. Quelquefois il est bon de les induire d’un peu de glycérine.

Pour noircir le papier sur le cylindre, on peut employer l’huile ordinaire, que l’on peut mélanger d’un peu de goudron ou d’une autre matière résineuse. Pendant l’opération, il ne faut pas tenir la lampe trop près du cylindre, que l’on doit tourner pendant tout le temps.

 

 

N.B. Comme on est forcé, en inscrivant les vibrations de la membrane, d’approcher celle-ci assez près du cylindre, on éprouve toujours quelque difficulté à écrire les vibrations du diapason chronoscope à côté des vibrations tracées par le style de la membrane surtout lorsque ce diapason est fixé dans un des supports mobiles en bois qui accompagnent l’appareil. On n’arrive pas sans peine à déplacer ce diapason de manière qu’il ne touche, ni le cylindre, ni le porte-membrane ou la membrane même ; de plus, le moindre coup d’archet dérange souvent la bonne disposition de l’ensemble. C’est pour ces raisons que j’ai encore ajouté à l’appareil un petit support en fonte de fer, contre lequel on fixe solidement le diapason dans la position voulue. Ce support lui-même est vissé sur le plateau à l’endroit des deux écrous encastrés. Cette nouvelle disposition lève toute la difficulté d’exécution de l’expérience précitée.

 

 

Paris, octobre 1865                                                                   Rudolph Koenig

 

 

 

[Karl Rudolph KŒNIG, physicien français d’origine allemande (Königsberg, Prusse, 26 novembre 1832-Paris, 21 octobre 1901). Il s’est intéressé principalement au phénomène acoustique. Il a étudié dans sa ville natale. Vers 1852, il arriva à Paris, et devint l’élève du célèbre luthier Jean-Baptiste Vuillaume (1798-1875). Six ans plus tard, après s’être fait naturaliser Français, il fonda à Paris des ateliers de fabrication d’instruments de musique. On lui doit des travaux sur la vitesse des sons, les mouvements vibratoires, le diapason normal, l’audition colorée, les percussions acoustiques, etc. ; il a inventé un certain nombre d’instruments, parmi lesquels une sirène et surtout l’ingénieux appareil connu sous le nom de capsule manométrique, destiné à étudier les mouvements vibratoires de l’air, et le trombone de Kœnig, pour l’étude des interférences et des ondes stationnaires en acoustique.]

 

 

 

 

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