LA PASSIONNANTE
HISTOIRE DU PHONOGRAPHE
TABLE DES MATIÈRES
Page
Introduction 13
Historique et rétrospective 17
Le phonographe enregistreur et la pédagogie 43
Les perfectionnements du phonographe 55
Applications diverses du phonographe 69
Introduction à la pratique du phonographe 81
Quelques mots sur l'enregistrement sonore 83
L'enregistrement électrique 91
Constitution et caractéristique des disques 93
Les appareils reproducteurs mécaniques 99
Les appareils reproducteurs électriques 103
Comment choisir son phono mécanique 105
Comment choisir son appareil électrophonique 111
Les aiguilles non métalliques 125
Présentation d'une soirée artistique de musique
mécanique 129
Influence de l'ambiance sur l'impression auditive 137
Où et comment installer un reproducteur 141
Etude sur la reproduction des disques. Correction
des défauts qui leur sont propres 145
Modification de la sonorité générale par le
potentiomètre du tone-contrôle 147
Etude sur les possibilités de l'impédance variable 151
Résumé des moyens propres à assurer des
Les défauts. Causes et remèdes. Conseils divers 157
Moteur mécanique 157
Moteur électrique 158
Plateau 158
Réglage de la vitesse 159
Arrêt automatique 161
Diaphragme 161
Pick-up 163
Aiguilles métalliques 164
Aiguilles non métalliques 165
Le disque et la discothèque 168
Disques souples 172
Présentation du récital Lucienne Delforge 175
Présentation du récital Louis Bory 179
Conclusion 183
Bibliographie 187
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HORACE HURM
LA PASSIONNANTE HISTOIRE
DU
PHONOGRAPHE
suivie de
LA PREMIÈRE MÉTHODE
pour en " jouer avec art"
LES PUBLICATIONS TECHNIQUES
2, RUE SAINT-SIMON, PARIS-7e
JUSTIFICATION DU TIRAGE
Il a été tiré de cet ouvrage 55 exemplaires sur vélin blanc neige pour le texte, couché Idéal pour l'illustration, sous couverture Jasmin de printemps, dont 25 exemplaires numérotés de 1 à 25 et signés par l'auteur, réservés à E. PLOIX-MUSIQUE, Disquaires à Paris, 25 exemplaires numérotés de 26 à 50 et 5 exemplaires hors commerce marqués H.C. de A à D.
Copyright 1943 by « Les Publications Techniques ». Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés.
PRÉFACE
Sauf le nom que je porte, rien, à mon sens, ne me désignait pour présenter au public ce premier livre d'Horace Hurm, même pas une longue amitié, puisque je ne le connaissais pas il y a un mois. Mais — et bien que je ne sois en aucune manière un spécialiste de la machine parlante — je n'en prends pas moins sur moi d'affirmer que les pages qui suivent viennent à leur heure et répondent à un besoin réel de tous les usagers du merveilleux instrument qu'est devenu aujourd'hui le paléophone, conçu et décrit par mon père dans son mémorable pli cacheté d'avril 1877. C'est qu'elles résument, ces pages, un labeur et une expérience de plusieurs lustres et nous en livrent la « substantifique moelle ». Ce qui en fait, avant tout, la dense valeur, c'est qu'elles sont l'œuvre d'un musicien raffiné qui se trouve être, en même temps, un homme de métier, rompu à toutes les difficultés de la mécanique de précision. Car Horace Hurm — il faut qu'on le sache — est une étonnante personnalité. Et pas commode, encore, à évoquer en quelques lignes !
Sorti tout jeune du Conservatoire avec un premier prix de hautbois, il a parcouru, depuis, une féconde carrière de technicien et d'inventeur (il doit avoir aujourd'hui quelque quatre-vingts brevets à son actif). Du détecteur à galène qui, il y a une trentaine d'années, étonna le général Ferrié, grand maître, comme on le sait, de la radiotélégraphie ; du Charmophone, premier phonographe à rendement artistique qui ait été muni d'une aiguille en bois, réalisé des 1914, lancé en 1921 ; jusqu'à ce créatographe tout récent, qui, du kaléidoscope délicieux et balbutiant de notre enfance, a fait une merveille aux cent angles divers, ce magicien aux doigts subtils — ne fut-il pas aussi, quelque temps, prestidigitateur ? — a réalisé dans son coin, avec une inlassable ténacité, maints rêves qu'avait conçus son cerveau d'artiste. Je ne veux pas faire ici de fastidieuses énumérations, je ne dresse pas de palmarès, mais je dis bien haut qu'il faut rendre hommage à tant de vigilante ingéniosité dans l'exploitation de talents aussi divers.
La multiplicité de vos dons, mon cher Horace Hurm, votre curiosité de toutes choses, votre désintéressement aussi, vous apparente à ce génial Charles Cros pour qui vous montrez une si émouvante admiration. Je ne crois pas que je puisse vous dispenser plus bel éloge à votre gré.
Mai 1943.
Guy-Charles CROS.
Non loin du Palais-Royal, dans la rue Jean-Jacques-Rousseau au dernier étage d'un vieil hôtel où, dit-on, demeura La Fontaine, habite depuis plus d'un demi-siècle, un homme mince et de petite taille, de sombre vêtu, dont le regard pâli mais toujours malicieux s'abrite derrière d’épaisses lunettes. Sa voix est restée étonnamment jeune. Ses mains longues et fines sont comme hésitantes et toujours agitées, mais d'une singulière adresse.
Les boutiquiers de la paisible rue, lorsqu'ils le voient rentrer sous son porche noir et majestueux, le prennent sans doute pour un tranquille fonctionnaire. Ils ne se doutent pas que cet homme mériterait d'inspirer la plus charmante chronique au Lenôtre du XXIIe siècle qui exhumera les existences courageuses, attentives et poétiques de notre époque agitée.
Horace Hurm est, en effet, un des plus curieux personnages qu’il soit donné de connaître. Epris de mécanique et d'invention, il a depuis son enfance joué avec tout ce que la science contemporaine nous a apporté de merveilleux : optique, photographie, électricité, radio, téléphone et surtout phonographe.
Ajoutez qu'Horace Hurm a étudié le spiritisme, qu'il n'y croit pas d'ailleurs, car il pratiquait parallèlement la prestidigitation où il est passé maître et dont il a inventé quelques trucs célèbres ; qu'il a réalisé une série de photographies du vieux Paris et de son village natal, Montmartre, qui sont d'authentiques œuvres d'art ; qu'il est musicien et premier prix du Conservatoire de Paris.
Songez qu'Horace Hurm en est à son quatre-vingt-troisième brevet d'invention des ordres les plus divers, que dans son appartement truqué le plafond s'abaisse pour dévoiler la plus rarissime collection de coléoptères et d'araignées géantes, que, dans chaque coin de sa maison, des haut-parleurs vous accueillent avec la voix de leur maître, ou vous rappellent au moment de votre départ les propres paroles que vous venez de prononcer, et vous aurez une faible idée de ce Coppélius moderne.
Mais j'allais oublier le trait dominant de cette originale personnalité : Horace Hurm est un poète. Comme Charles Cros, il n'a jamais séparé la science de la poésie et c'est en enfant toujours amoureux de ses jouets que cet industriel et cet inventeur (à qui l'on doit en France, avec la collaboration de son associé, le premier appareil de qualité pour enregistrement privé sur disques et qui possède une des plus belles collections de phonogrammes du monde) continue de manipuler et de perfectionner dans son cinquième étage son mystérieux attirail mécanique et électrique.
Il donne un livre sur le phonographe. Nul ne pouvait le faire mieux que lui. Je suis « du bâtiment » depuis près de vingt ans mais la lecture de ce livre m'a appris beaucoup de petits secrets de métier, beaucoup d'anecdotes que j'ignorais. Il est bourré de documents, de conseils pratiques. Il fixe des points de petite histoire qui, sans lui, seraient peut-être perdus et que tous les amateurs de cette miraculeuse machine qu'est le phonographe seront heureux de connaître. Il ouvre aussi des aperçus singuliers sur les possibilités d'application du disque. Horace Hurm mérite d'être appelé l'apôtre du phonographe. Il défend avec éloquence des idées essentielles qui paraîtront très simples plus tard mais qui ne se sont pas encore imposées : je pense particulièrement au très beau chapitre sur l'utilité du phonographe dans l'enseignement.
Ce livre, toujours exact, toujours sincère, n'ennuiera pas un instant et il demeurera certainement un des témoignages les plus intéressants et les plus complets des temps héroïques et des premiers grands triomphes de la machine parlante.
Jean BERARD.
...qu'il est préférable de lire
Chacun sait « faire marcher » son phono.
Bien peu savent « en jouer »... !
Il en est du phonographe comme de tout instrument du plus noble au plus populaire, qu'il faut étudier pour s'en rendre maître en tant que virtuosité et moyen d'expression. L'exécutant doit s'astreindre à de longues études pour faire rendre par l'intermédiaire de son instrument, simple objet matériel, les sentiments impondérables de son tempérament d'artiste. C'est par l'asservissement total de ses ressources, ainsi que par la perfection de son maniement, que cet objet prendra vie en concrétisant pour l'auditeur attentif les concepts du cerveau créateur.
L'instrument n'est donc que le lien, le trait d'union, entre l'âme de l'artiste et celle de l'auditeur. C'est par lui qu'elles peuvent vibrer à l'unisson, se pénétrer, se comprendre. Plus la maîtrise instrumentale sera poussée, plus précise sera cette communion intellectuelle.
S'il en est ainsi pour un instrument purement matériel, pourquoi ne l'admettrait-on pas pour un appareil scientifique dont le but est justement de reproduire les sons de toute nature, préalablement fixés de façon immuable ?
Un tel appareil ne parviendra à sa raison d'être véritable que s'il arrive à donner à la reproduction, l'illusion de la réalité.
En plus de la perfection scientifique, l'usager doit savoir tirer le meilleur parti de son appareil. Il doit en connaître les particularités et toutes les possibilités pour se créer une technique d'exécution tendant à la beauté des résultats, quels que soient le genre et la qualité de l'oeuvre à reproduire, la nature de l'enregistrement et les conditions locales d'audition. C'est seulement lorsque la vérité la plus grande aura été obtenu que se produira une étonnante sensation : celle de la présence de l'artiste et que s'établira une communion réelle avec sa pensée. Il est troublant de constater que la cire, en fixant dans sa matière les vibrations sonores avec fidélité, y a aussi, pour ainsi dire, enclos le génial et immatériel sentiment qui les a fait naître. Et nous pouvons en ressentir à nouveau l'émotion en la provoquant selon notre désir ! N'est-ce point là l'un des plus extraordinaires et profonds miracles scientifiques ?
Plus de quarante-cinq années de pratique, de recherches et d'adaptations aux immenses progrès et découvertes réalisés durant cette période nous ont permis d'atteindre à la parfaite reproduction sonore, provoquant une réelle jouissance et parfaite compréhension artistique.
Nous pensons qu'il est de notre devoir de vulgariser les connaissances acquises au cours de nos longs travaux, afin que chacun puisse réaliser à son profit les hautes sensations d'art que procure une excellente audition phonographique.
Ce faisant, nous croyons être utile à l'art musical et dramatique, en général. La diffusion de qualité, telle que nous la comprenons, ne pourra que relever le niveau artistique actuel des masses : le phonographe, porté à ce degré de perfection, devient un puissant moyen d'éducation.
C'est pourquoi nous n'hésitons pas à publier cette Méthode de Phonographe, aussi étrange que cela puisse paraître, dans l'espoir que nos efforts ne seront pas vains et que notre formule : « La Science au service de l'Art » (Sciencia pro Arte) atteindra enfin son but suprême.
Charles Cros en 1875
Caricature relative à un monologue, « le hareng saur », de Charles Cros, dédié à son fils
***
CHAPITRE I
UN GRAND SAVANT MÉCONNU
Comme les traits dans les camées
J'ai voulu que les voix aimées
Soient un bien qu'on garde à jamais
Et puissent répéter le rêve
Musical de l'heure trop brève.
Le temps veut fuir, je le soumets.
Strophe admirable dans laquelle s'affirme la puissance créatrice d'un homme de génie ayant conscience de l'inestimable valeur de sa découverte et fier de sa victoire sur l'un des éléments les plus fugitifs, les plus impondérables de la création.
Qui pourrait maintenant — soixante-cinq ans seulement après l'apparition du PHONOGRAPHE — dire le nom de son inventeur ? Hélas ! bien peu s'en souviennent et conservent pieusement le souvenir du « poète » si apprécié de Verlaine ; de « l'humoriste », créateur du « monologue » (Coquelin cadet fut l'inénarrable interprète d'œuvres moins oubliées que leur auteur) ; du « savant » réalisateur de tant de trouvailles scientifiques parmi lesquelles figurent : le photophone, que Graham Bell avait projeté d'utiliser pour faire « parler la lumière » ; le radiomètre, employé par William Crookes pour jauger le vide ; son étude sur la « Mécanique cérébrale » qui le classe au rang des plus profonds psychologues ; son projet de « transmission de messages interplanétaires » ; la « synthèse artificielle des pierres précieuses », avant Moissan et autres chimistes ; la « photographie des couleurs » par le procédé « trichrome » tel qu'il subsiste actuellement, se rencontrant fortuitement dans cette découverte avec un inventeur de province : Ducos de Hauron. Leurs deux mémoires furent présentés le même jour, le 7 mai 1869, à la Société française de photographie. Leurs deux noms furent désormais inséparables, comme la sincère amitié qui les unit à la suite de cette séance mémorable ; enfin, le 30 avril 1877 — huit mois et demi avant le dépôt du brevet Edison — un pli cacheté fut déposé sur le bureau de l'Académie des sciences. Il contenait la description intégrale de son paléophone (voix du passé) tel que le réalisa, plus tard, le célèbre Américain...
Il est donc incontestable que l'invention du PHONOGRAPHE — comme le prouve du reste le document poétique reproduit au début de ce chapitre — appartient de plein droit à celui dont le nom est, pour ainsi dire, resté inconnu des générations qui ont immédiatement suivi la sienne.
Cet homme, « le plus grand savant du XIXe siècle », ainsi que le désignèrent ceux qui l'ont approché, c'est :
Charles CROS
Avant Charles Cros, des poètes et des écrivains avaient prophétisé dans des œuvres de pure imagination la conservation et la reproduction de la parole et des sons. Des descriptions fantaisistes d'appareils et de procédés se trouvent dans Rabelais (1548) et Cyrano de Bergerac (1656).
Radiomètre de Charles Cros
Les premières recherches scientifiques datent de 1807. Thomas Young fut le premier qui parvint à inscrire, sur la surface d'un cylindre enduit de noir de fumée, le tracé de la vibration de corps sonores. Puis, Duhamel reprit cette expérience avec une corde vibrante. Wertheim remplaça la corde par un diapason et Lissajoux provoqua électriquement les vibrations de ce diapason. En 1857, Léon Scott de Martinville, ouvrier typographe français, construit son phonautographe, instrument se composant d'un diaphragme, dont le style inscrivait, sous l'influence de la parole, un sillon ondulé dans une mince couche de noir de fumée recouvrant une lame de cristal transparent. Celle-ci servait alors de négatif pour le tirage d'épreuves photographiques. Le phonautographeconçu uniquement pour produire des diagrammes ou graphiques destinés à l'étude des vibrations sonores, devait servir, dans l'esprit de Scott, d’ « accordeur universel ». S'il songeait à la reproduction, il ne l'a jamais réalisée. Il mourut totalement oublié, un an après l'apparition du premier phonographe, en 1879. Tous ces travaux avaient abouti à la conquête de la première partie du problème : le tracé des vibrations sonores. Certains auteurs affirment que le savant Marcel Deprez avait émis une théorie scientifique (la première) concluant à la possibilité de capter et de reproduire la voix humaine et les sons. Malheureusement il n'a laissé aucun écrit sur ce sujet. L'appareil qu'il voulait faire construire par un mécanicien célèbre, Napoli, ne fut jamais terminé.
C'est à Charles Cros que revient l'idée géniale de reporter et de graver photographiquement, sur une surface métallique, le sillon sonore transparent obtenu par Léon Scott. Ce sillon, gravé en creux ou en relief dans une matière solide donnait enfin la possibilité de reproduire le son qui l'avait formé en entraînant le style solidaire d'un diaphragme dans toutes ses fluctuations. Le phonographe était trouvé !
l’Usine Lioret à Paris (extrait du catalogue Lioret, 1900)
***
Mis en rapport avec une banque américaine, place de la Bourse, pour la réalisation et l'exploitation industrielle de son invention, Charles Cros s'aperçut un jour en avoir trop dit. C'est pourquoi, faute d'argent pour prendre un brevet, il déposa son pli cacheté à l'Académie des Sciences pour « prendre date ». Ce pli fut ouvert et lu à la séance du 3 décembre 1877. Dans un article de la Semaine du Clergé, l'abbé Lenoir, sous la signature de Leblanc, donne pour la première fois le nom de phonographe au paléophone de Charles Cros.
Les biographes s'accordent à dire que le manque de fonds et d'appui moral ne permirent pas à Charles Cros de construire son paléophone. Nous pouvons affirmer qu'il est parvenu à le réaliser avec des moyens de fortune (il serait plus juste de dire « d'infortune ») : boîte à cigares, boîte de conserve et autres matériaux hétéroclites formèrent un assemblage invraisemblable, qui parvint cependant, lors du premier essai fait en présence d'amis intimes, bohèmes comme lui, à reproduire le premier mot, énergique et bref, qui fut confié au phonographe... Il lui porta bonheur !
Nous tenons ce point d'histoire d'un ami de Charles Cros, l'artiste Falconnier, de la Comédie-Française, qui nous le conta chez son collègue, Caristie Martel, en 1892.
***
Le but et le cadre de cet ouvrage ne nous permettent pas de nous étendre plus longuement sur la vie de Charles Cros. Il est souhaitable, pour l'édification des générations futures, que cette vie, toute de labeur, d'études et de connaissances universelles, soit un jour publiée. Pour un auteur, quel livre passionnant à écrire ! Pour un cinéaste, quel film sensationnel à tourner !
Pour terminer ce chapitre sur Charles Cros — que nous quittons à regret — voici d'abord une petite anecdote qui montrera la spontanéité et l'humaine bonté de ses sentiments. Elle nous fut communiquée par M. Gilbert, secrétaire de la Chambre syndicale des machines parlantes et directeur de la revue Disques. Elle est extraite d'une lettre écrite par un de ses amis de Châteaudun, M. Laussedat le 1er avril 1927 : « En 1880, nous étions en joyeuse compagnie, à la terrasse du Médicis, il arrive une pauvre femme infirme avec un enfant sur les bras, pour demander quelque secours ; le gérant de l'établissement s'y oppose et rabroue la femme. Charles Cros la retient, se lève et récite à toute l'assistance un de ses sonnets, prend son chapeau, fait la quête ; les gros sous pleuvent ! Le chapeau s'emplit ; il remet tout à la pauvre femme qui ne sait comment le remercier et s'en va les larmes plein les yeux ! »
Signalons enfin la nouvelle Le Journal de l'Avenir, tirée du Collier de griffes (œuvres posthumes publiées par son fils, Guy-Charles Cros, édition Scott) : l'auteur se trouve dans la salle de rédaction du journal Le Chat Noir, mais transporté dans le temps à cent ans plus tard : 1986 ! Son imagination entrevoit les progrès les plus invraisemblables, les plus inattendus, depuis le luxe asiatique inconcevable des bureaux du journal jusqu'aux « cerveaux d'acier » copiés sur ceux des plus grands intellectuels et dont se coiffent les rédacteurs chargés de « l'actualité » (simples manœuvres sans intelligence). Ils écrivent leurs « papiers » d'après les renseignements reçus dans l'écouteur téléphonique fixé à leur oreille gauche. Les « papiers » sont écrits avec la main droite sur des bandes continues passant au sous-sol par des rainures, automatiquement, jusqu'à l'imprimerie. Voici l'explication finale de son cicérone, Alphonse Allais : « Je ne vous parle pas du sous-sol pour l'imprimerie, où l'on n'imprime pas, car ce sont des personnes d'une voix exquise qui dictent la copie à des phonographes dont les traces reproduites à des millions d'exemplaires vont porter le Journal parlé aux abonnés. »
On ne peut qu'admirer la puissance de conception de ce génie que l'on a pu prendre pour un illuminé. Mais cinquante années ne s'étaient pas écoulées que le journal parlé radiophonique faisait son apparition utilisant bien souvent le phonographe comme moyen de transmission ! Et n'avons-nous pas déjà le « poumon d'acier » ? Le cerveau viendra bien un jour...
Quelle gloire pour celui qui a su fixer pour toujours, avec la possibilité de les reproduire à volonté, toutes les vibrations sonores avec leurs inflexions les plus subtiles et dans l'infini de leurs complexités ! N'était-ce pas soustraire le présent au passé pour le restituer dans l'avenir ? A-t-on le droit de laisser tomber dans l'oubli le réalisateur de la plus invraisemblable des utopies ?
Mais, n'en est-il pas de même de toutes inventions, créations et découvertes ? Dès que celles-ci, avec le temps, font partie intégrante de la vie courante, chacun bénéficie de l'apport ancestral, sans se préoccuper de qui il le tient et, moins encore, de lui consacrer une pensée reconnaissante. Néanmoins, nous avons le ferme espoir que l'indifférence des hommes ne plongera pas plus avant dans l'oubli le nom de ce grand Français. Son génie n'a-t-il pas donné naissance à deux puissantes industries mondiales ? La reproduction des couleurs par le procédé trichrome fait vivre des millions d'individus. Quant au phonographe, son champ d'action est illimité. Ses multiples applications le classent parmi les appareils de haute valeur scientifique, pédagogique, utilitaire et récréative. Le cinéma et la radiotéléphonie lui doivent une de leurs principales raisons d'être. Il leur est indispensable. Charles Cros est un bienfaiteur de l'humanité. Tout doit être fait pour rappeler, propager et implanter son nom et le souvenir de son œuvre dans tous les cerveaux, dans tous les cœurs !
CHAPITRE II
L'étude d'un art ou d'une science, pour être complète, doit comporter la connaissance de son développement antérieur depuis son apparition, autant que faire se peut. En toutes choses la perfection ne peut être approchée ou atteinte qu'à l'aide des progrès successifs acquis précédemment. Il est donc bon de savoir ce qui constitue le passé de l'art ou de la science envisagés, ne serait-ce que pour le comparer avec les résultats auxquels on est parvenu.
C'est le but de notre chapitre sur la Rétrospective.
Pour tous ceux de notre génération plus que cinquantenaire, ce terme « rétrospective » évoque toute une période de progrès prodigieux dont nous avons vécu toutes les phases et su apprécier les bienfaits procurés par leur application. Ce n'est pas sans une certaine mélancolie que, par un retour vers un passé, si proche cependant, l'on se remémore les débuts de ces innovations qui ont changé la face du monde ! Débuts qui paraissent parfois enfantins lorsqu'on les compare aux réalisations actuelles. C'est ainsi que le phonographe profitant d'un ensemble d'autres découvertes avec lesquelles n'existait, à priori, aucun lien apparent, a déjà atteint une perfection qui permet, dès maintenant, de le considérer comme un instrument de réelle valeur artistique et pédagogique. Les premiers pas du phonographe se transformèrent en pas de géant et nous sommes loin de la première « machine parlante » au rouleau recouvert de papier d'étain, solidaire d'un axe fileté que l'on tournait à la main ! Il se déplaçait sous une membrane de parchemin tendue à la base d'un petit pavillon ; elle supportait en son centre un style enregistreur-reproducteur. Et c'était tout... Les vagissements qu'il émettait auraient paru risibles s'ils n'avaient été le résultat d'une victoire scientifique que personne n'avait pu remporter au cours des millénaires précédents. Et cependant si l'on en croit le capitaine Vosterloch, navigateur du XVIIe siècle, les chefs de certaines tribus indiennes se transmettaient leurs messages oralement en le parlant sur une éponge ! Le destinataire en la pressant libérait les paroles qui y étaient encloses (publié dans Le Courrier Véritable d'avril 1632 à Amsterdam, Bibliothèque nationale de Paris).
Rabelais, que nous avons déjà cité (ainsi que Cyrano de Bergerac) fait mention au 56e chapitre du « Quart Livre des Faicts et Dicts héroïques du noble Pantagruel » (1548) de l'audition, aux confins de la mer Glaciale, des paroles et bruits « gelés », au cours d'une bataille, au début de l'hiver et qui « dégelaient » en cet instant ! De même, Alexandre Dumas père parle dans ses Mémoires de M. de Crac dont les paroles « gèlent » en hiver, pour se « dégeler » au printemps. Cyrano de Bergerac, à la page 105 de l'Histoire comique des Estats et Empires de la Lune, imagine le « livre » des Sélénites sous la forme d'une boîte richement décorée. Celle-ci est remplie de pièces d'horlogerie, de ressorts, d'une quantité de petites mécaniques et d'un cadran dont l'aiguille se place sur le chapitre que l'on veut entendre, car ce livre se lit, non pas avec les yeux, mais avec les oreilles ! Cyrano de Bergerac avait d'autant plus de mérite à prévoir le Livre parlé des aveugles, et pour ainsi dire le changeur automatique de disques que les progrès scientifiques considérables qui ont inspiré Jules Verne n'existaient pas.
Il y aurait trop à dire s'il nous fallait parler de tous les récits, de toutes les descriptions imaginaires concernant la reproduction de la parole et des sons, depuis les têtes ou statues de l'antiquité jusqu'à celles du mécanicien français Mical qui présenta à l'Académie des Sciences en 1783 ses têtes à glotte artificielle. Citons cependant le baron Wolfgang de Kemplen, l'inventeur du célèbre automate le Joueur d'échecs qui construisit un « Turc parlant » que cite Hoffmann dans ses Contes fantastiques.
Terminons cette énumération, volontairement incomplète, par une très vieille légende chinoise, probablement la plus ancienne connue. Il y a plus de 3.000 ans, un Chinois aurait, dit-on, fait parvenir à son empereur un message verbal dans un coffret. Ces relations indiquent bien que la captation de la voix et des sons était un problème qui hantait depuis longtemps le cerveau humain.
Qu'il nous soit permis de continuer, maintenant, par l'évocation de quelques souvenirs personnels. Ils s'ajouteront à ceux déjà connus, participant ainsi, pour leur part, à l'édification du monument rétrospectif du PHONOGRAPHE.
CHAPITRE III
Notre premier contact avec le phonographe date de sa présentation à l'Exposition universelle de Paris en 1889. Nos yeux et nos oreilles d'enfant ont conservé le souvenir vivace du stand Edison, « clou » sensationnel de cette manifestation. Nous revoyons encore l'interminable queue qui s'écoulait lentement devant le merveilleux appareil auquel le monde entier s'intéressait. L'audition se faisait par tubes acoustiques que chacun s'enfonçait consciencieusement dans les oreilles sans se soucier des règles de l'hygiène, du reste peu pratiquées à cette époque. Une écoute de quelques secondes suffisait aux visiteurs pour leur faire oublier les nombreuses minutes, parfois l'heure d'attente et chacun s'éloignait de l'extraordinaire, de la mystérieuse machine sous l'empire d'une profonde impression. Franchissant enfin les portes du laboratoire après onze années de mise au point, c'était la première démonstration publique en Europe et le lancement commercial de la « machine parlante ». Ces appareils, véritables instruments scientifiques, étaient mus électriquement par piles ou accus, les secteurs électriques n'étant pas encore très répandus. La mécanique d'un fini irréprochable était de haute précision. Elle paraissait fort compliquée. Son prix élevé ne lui permit pas une grande et rapide diffusion. C'est à cette époque que l'appareil d'Edison fut présenté à l'Académie des Sciences de Paris, pour la deuxième fois ! La première, qui avait eu lieu en mars 1878, ne put convaincre les savants dont l'un d'eux s'éleva contre ce qu'il affirmait être « la grossière supercherie d'un ventriloque » !
L'appareil Edison, ainsi que ceux qui suivirent, n'utilisait que le cylindre et l'enregistrement en profondeur dit à saphir. C'est la découverte, par l'inventeur du Graphophone, le docteur Sumner Tainter, d'une cire végétale (1) possédant toutes les qualités requises mais néanmoins d'un très bas prix de revient qui rendit possible la vulgarisation du phonographe abandonné pendant quelques années par Edison. C'est en 1883 que Graham Bell, l'un des inventeurs du téléphone, a repris l'étude du phonographe et utilisa le rouleau de cire qui déclencha sa vogue.
(1) Cire recueillie sur les feuilles d'un palmier brésilien : le carnauba. Les cylindres de phonographe étaient formés par un mélange de cette cire végétale et de cire d'abeilles.
Pli cacheté déposé par Charles Cros sur le bureau de l’Académie des Sciences, le 16 avril 1877
(document communiqué par Guy-Charles Cros)
Couverture de l’ouvrage que publia Charles Cros en 1869, sur la photographie en couleurs
Les premiers phonographes américains furent introduits en France vers 1895. Les appareils qui furent, à ce moment, lancés par différentes firmes sur le marché mondial, n'étaient plus actionnés électriquement. Tous possédaient le moteur mécanique à manivelle. Lorsqu'une dizaine d'années plus tard le disque supplanta complètement le cylindre, des raisons techniques s'opposèrent à l'emploi de l'entraînement électrique. Le moteur électrique pour phonographe à disque était traité de « mouton à cinq pattes » par les Américains spécialistes de cette époque. C'est en 1918 que nous avons eu la satisfaction de pouvoir le réaliser pour notre Charmophone, premier phonographe à rendement artistique. Une Société éphémère en exploita les brevets de 1921 à 1923. Depuis lors, le moteur électrique remplace totalement celui à manivelle dans tous les reproducteurs à pick-up. Il en sera certainement de même pour les phonographes à diaphragme ; ne vivons-nous pas dans le siècle du moindre effort ?
Avant de revenir au phonographe populaire de 1895, nous ne pouvons résister au désir de décrire l'appareil que nous avons vu présenter dans une fête foraine en 1890. Sur un tréteau rudimentaire se trouvait un petit plateau supportant un disque de 10 cm. environ. (Nous disons bien un disque). Il était entraîné « à la main » à l'aide d'une petite poulie placée sur le côté et reliée au plateau par une courroie. Le son se transmettait par une longue tige de bois à l'extrémité de laquelle était fixé le style reproducteur. L'autre extrémité aboutissait à une boîte formant diaphragme qui reposait sur un pivot fixé sur la table. Quelques tubes acoustiques en caoutchouc, terminés par des embouts en ébonite, étaient branchés sur la boîte-diaphragme formant nourrice sonore. 0 fr. 10 l'audition ! Il y avait foule devant l'éventaire, élevé d'emblée au rang de grande attraction ! Avec quel émerveillement nous y avons entendu les voix nasillardes et combien vacillantes d'un « Chœur russe ». En 1894, le même appareil, dans une fête de province, nous faisait entendre le discours prononcé (paraît-il) par Sadi Carnot, à Lyon, avant son assassinat ! Les as du reportage sonore actuel et de ses « truquages savants » pourront constater, une fois de plus, qu'il n'y a toujours rien de nouveau sous le soleil ! Ce dispositif était celui imaginé en 1888 par un ingénieur allemand résidant en Amérique : Berliner, créateur du Gramophone reprenant le disque et l'enregistrement latéral se reproduisant par l'aiguille. Nous insistons sur ce fait que l'appareil forain employait le disque alors qu'à cette période du phonographe le cylindre était seul connu du public. Cependant l'appareil décrit par Charles Cros, dans son pli cacheté, comportait le disque et le tracé latéral des vibrations sonores en vue d'une reproduction à aiguille. Mais il y est dit textuellement : « En tout cas, le tracé en hélice, sur un cylindre, est très préférable et je m'occupe actuellement d'en trouver la réalisation pratique. » Le cylindre lui paraissait préférable à cause de la vitesse constante du tracé et de l'emploi total de la surface cylindrique, alors qu'avec le disque la vitesse d'enregistrement était constamment croissante ou décroissante selon que le début partait de la périphérie ou du centre. De plus une grande surface se trouvait inutilisée au milieu du disque. L'avantage de ce dernier était, selon Charles Cros, de tenir moins de place pour son classement. C'est dire qu'il avait tout prévu, même la discothèque... La forme cylindrique adoptée par Edison prévalut pendant de longues années et le disque ne reparut qu'en 1904. Mais nous venons de constater sa timide apparition vers 1890. Il nous semble intéressant de faire connaître les circonstances de sa présentation à son humble début, qui se termina, comme dans un conte de fée, par une apothéose : la naissance de l'une des plus grandes industries françaises, celle du phonographe.
En 1880, à l'angle des rues Fontaine et Mansard, se trouvait la petite boutique d'un charbonnier-débitant de boissons et vendeur de journaux. Les progrès de la mode transformèrent dans la suite le « Bougnat du coin » en « Bar Moderne », lorsque les fils de l'actif commerçant lui succédèrent dans le petit estaminet montmartrois (devenu depuis la Grande Brasserie rutilante de néon : « Chez Boudon, c'est bon »). C'est l'un de nos premiers souvenirs d'enfance. Par une curieuse coïncidence nous habitâmes l'appartement situé juste au-dessus et nous nous souvenons de notre joie de bambin (hélas ! suivie de corrections...) lorsque, déjouant toute surveillance, nous jetions par la fenêtre, chaussures et objets divers sur le store de nos « barmens » ! L'un d'eux, parti en Amérique, envoya à son frère une petite « machine parlante » qui venait de paraître et faisait sensation. Il pensait, à juste titre, que cette « petite merveille » attirerait de nombreux clients dans le bar de la rue Mansard. Ce fut, en effet, le succès. Un habitué voulut en posséder un. D'autres suivirent. Ce qui donna l'idée aux deux frères de faire construire quelques appareils par un petit mécanicien de Belleville, et de les présenter dans les fêtes foraines. C'était une excellente publicité qui, loin d'être onéreuse, rapportait par les auditions payantes. L'affaire prospérant, ils cherchèrent à augmenter la production. En 1894, un entrepreneur leur fit confiance et leur édifia un petit atelier sur l'emplacement d'un champ de blé à Chatou. En 1896, sur l'instigation de notre excellent ami Grivolas, grand lanceur d'affaires importantes, la Société Pathé Frères — car c'étaient eux — prenait son essor. Une puissante industrie française venait de naître. Soyons reconnaissants à ces hommes qui, par leur travail, leur ténacité et leurs géniales réalisations, sont parvenus au faîte de la renommée mondiale. Certes, les circonstances étaient favorables, mais combien passent à côté de la réussite et de la fortune, sans même s'en rendre compte, sans rien faire pour s'en saisir !
Tous les phonographes à cylindre de cire — plus généralement désignés sous le vocable de rouleaux — servaient indifféremment à la reproduction et à l'enregistrement. Il suffisait d'utiliser soit le diaphragme reproducteur, soit le diaphragme enregistreur. Un système raboteur s'adaptant aux lieu et place des diaphragmes permettait d'effacer le sillon précédant en vue d'un autre enregistrement. Un cylindre pouvait servir un très grand nombre de fois (60 environ). Tout possesseur d'un phonographe pouvait donc conserver le souvenir des réunions familiales et « des voix qui lui étaient chères » ainsi que l'annonçaient les formules publicitaires d'alors. Ce fut l'une des principales causes de la vogue et du succès considérable que remporta le phonographe dès son apparition en Europe. Son bas prix le rendit rapidement populaire.
Le rayon de photographie des Grands Magasins du Louvre fit une large propagande au premier phonographe à cylindre dès son importation en France. Il est curieux de savoir que, parmi la clientèle d'amateurs photographes de ce rayon, figuraient de nombreux artistes de l'Opéra, de l'Opéra-Comique, de la Comédie-Française, etc. C'est le fameux ténor Affre, qui, assistant fortuitement au premier essai du nouvel appareil, eut l'idée, après s'en être rendu acquéreur, d'enregistrer chez lui les « cylindres artistiques » qui firent la réputation de ce nouveau rayon. Toute une pléiade de chanteurs et de comédiens réputés imitant leur collègue se joignirent à lui et participèrent à cette nouvelle diffusion artistique. Chacun d'eux enregistrait jusqu'à 15 cylindres par jour ! Ces promoteurs de l'art phonographique fondèrent l'Association phonographique des grands artistes (APGA) que le système des « exclusivités » a fait disparaître. Le doyen du Caf’ Conc’ Charlus enregistrait jusqu'à quarante fois par jour. Chaque cylindre lui était payé 0 fr. 50 par la maison Pathé...
Rappelons que le duplicatage et l'enregistrement multiple n'étaient pas encore trouvés et que, de ce fait, une exécution ne procurait qu'un seul cylindre ! D'où le prix élevé de chaque « rouleau » qui variait suivant le renom et la quantité des exécutants. Le prix moyen était de 40 francs, mais nous possédons encore un exemplaire du Chœur des soldats du Faust de Gounod qui était tarifé 90 francs. Si l'on songe au nombre d'exécutants que comporte un ensemble choeur et orchestre (et de l'Opéra, s'il vous plaît !) on restera surpris de l'infime cachet revenant à chacun des artistes, par enregistrement.
Mais bientôt l'un des vendeurs les plus passionnés du rayon, Emile Spône, eut l'idée de réunir le diaphragme de l'appareil reproducteur au diaphragme enregistreur placé sur un second phonographe, par un tube de caoutchouc. Le duplicatage sonore était trouvé mais ne profita pas à son auteur. Le procédé fut exploité par les établissements Laurent-Salomon, rue Bachaumont, qui entreprirent le duplicatage en grande série. Il permit, tout à la fois, de diminuer le prix du cylindre artistique et d'augmenter le cachet des artistes. Ceux-ci, il est vrai, n'enregistraient plus qu'une fois pour un assez grand nombre de « rouleaux » mais touchaient une royaltie par cylindre reproduit.
Nous aimons à évoquer les séances d'enregistrement auxquelles nous avons participé comme hautbois (encore élève au Conservatoire de Musique) pour le compte d'une maison d'auditions phonographiques et de vente d'appareils et de cylindres, qui venait de se créer sur le boulevard Poissonnière, en face du journal Le Matin. C'était La Fauvette, dont le fondateur, M. Vives, imagina et mit en vigueur le Timbre d'édition phonographique, toujours de rigueur. Sur l'un des murs de la salle d'audition et de vente, figurait, en bonne place, la strophe de Charles Cros que nous avons reproduite en tête de ce chapitre. La salle d'enregistrement était située rue de la Lune. Chaque audition s'enregistrait directement en dix exemplaires au moyen de dix phonographes disposés sur un bâti métallique, sorte d'échafaudage à étagères. Tous les pavillons convergeaient vers le ou les exécutants.
Puis, un inventeur français, sorti premier de l'Ecole horlogère de Besançon, Henri Lioret (bien oublié, lui aussi) parvint à obtenir des reproductions impeccables par « moulage ». Profitant du « retrait » de la matière au cours de son refroidissement, il utilisait, pour l'original, un cylindre légèrement conique. Le moule s'obtenait par la galvanoplastie et destruction de l'original, véritable « cire perdue ». Après refroidissement de la matière coulée à chaud dans ce moule, on obtenait un cylindre de diamètre légèrement plus petit, et la forme tronconique aidant, le cylindre se démoulait sans dommage pour la gravure du sillon, reproduction fidèle de l'original. De plus, Lioret utilisait pour les moulages le celluloïd au lieu de la cire, créant ainsi le rouleau incassable. Pour présenter son invention au public, il utilisa une boutique vide avenue de l'Opéra. Nous revoyons encore cette installation sommaire faite de planches et de bâches. Quelques banquettes étaient disposées devant l'appareil construit par l'inventeur. Il était supporté par une haute sellette permettant l'emploi d'un moteur à contrepoids. Dans cet endroit sombre, le cylindre blanc placé sur l'appareil attirait tous les regards. Il nous souvient d'y avoir entendu une excellente reproduction de voix de femme. C'est, du moins, l'impression qui nous en est restée. Qu'en dirions-nous si nous la réentendions maintenant ?
Toujours est-il que c'est ce procédé de moulage qui, adopté aussitôt par les grandes firmes d'éditions phonographiques, donna un essor considérable à la machine parlante (2). Le prix du cylindre enregistré, grâce à ce procédé, était descendu à 2 fr. 25... ! Le celluloïd trop cher fut abandonné, mais la constitution de la cire fut modifiée pour la rendre plus résistante à l'usure et moins cassante. L'ancienne matière subsista pour les rouleaux vierges destinés aux enregistrements particuliers. Infatigable chercheur et inventeur des plus féconds, Lioret était aussi un merveilleux mécanicien. S'étant spécialisé dans la construction des machines enregistreuses professionnelles de haute précision, il fournit la plupart des grandes firmes mondiales d'enregistrement phonographique. En passant boulevard Raspail, à l'angle de la rue Schœlcher, près du Lion de Belfort, devant les vitrines d'un magasin de jouets spécialisé dans le Meccano, nul n'aurait pu se douter que son arrière-boutique n'était autre que l'austère atelier-laboratoire de Lioret ! L'affable inventeur vous y accueillait au milieu d'un fouillis de machines, d'outils, d'instruments scientifiques et d'une multitude de réalisations de toute nature, dont l'ancienneté pouvait se juger à la couche de poussière qui les recouvrait. C'est dans cet antre de la science que Lioret nous fit la démonstration d'une invention dont il venait de terminer la mise au point. Destiné à l'Institut des sourds-muets, cet appareil permettait à l'élève de voir les défauts de sa prononciation et de la rectifier en cherchant à imiter exactement la courbe stable et lumineuse produite au fond d'une chambre noire par la voix du professeur. Lioret venait de créer un oscillographe mécanique, digne précurseur de l'oscillographe électrique à tube cathodique actuellement employé. Combiné avec le phonographe, le nouvel appareil devait aussi servir aux études de phonétique (3).
(2) Malheureusement, le texte de son brevet ne faisait mention que du celluloïd, de sorte qu'il perdit le bénéfice de l'application de son procédé aux cylindres en cire.
Si les frères Pathé ont été les précurseurs du lancement du phonographe en France, c'est à Henri Lioret que nous devons la création de la première usine de machines parlantes, avant la grande importation américaine. C'est en 1893 que le Lioretgraphe, objet des brevets Lioret, fut construit en série dans son usine de la rue Thibaud (XIVe) à Paris. On en retrouve encore dans les vieilles familles de notre génération. C'est dans cette usine que Charles Pathé fit un stage avant l'édification de l'atelier de Chatou, embryon de l'importante usine actuelle.
(3) C'est vers 1875 que Graham Bell avait eu, le premier, l'idée de rendre visible la parole pour l'éducation des sourds-muets. Nous relevons à ce sujet dans la Physique populaire d'Emile Desbeaux, page 167 (Bibliothèque Camille Flammarion) l'intéressante note que voici :
« Par une étrange coïncidence et par un destin singulier, le téléphone, qui transmet au loin la parole, qui, pour elle, supprime la distance, et le phonographe, qui la rend indélébile et la fixe à jamais, ont été imaginés dans des milieux où la parole n'existe pas : dans des asiles de sourds-muets...
« Graham Bell, en effet, était instituteur dans une pension de sourds-muets à Boston quand il découvrit le téléphone en cherchant à perfectionner l'éducation vocale de ses pensionnaires. Il espérait, disait-il, a trouver le moyen de rendre visible la parole (par une représentation graphique), et avoir ainsi la possibilité d'enseigner aux sourds-muets, la manière de parler ».
Charles Cros était répétiteur à l'Institut de sourds-muets à Paris, lorsqu'il imagina le phonographe qu'il appelait paléophone. Il espérait, disait-il, sous une forme fantaisiste, que « ses élèves muets porteraient l'instrument en bandoulière avec une provision de phrases pour la journée ».
Dessins dédiés à Lioret (extraits du catalogue Lioret, 1900)
Grande fut son activité dans le domaine de l'acoustique et nous ne pouvons citer ici la longue liste de ses inventions. Notons cependant, l'appareil de repérage des sous-marins qu'il réalisa avec son ami Loth pendant la guerre de 1914-1918. Puis, son appareil à transformer en courbes les tracés phonographiques destinés aux études de phonétique de l'Institut des sourds-muets et du Collège de France, en 1909. En 1911, Henri Lioret présente à l'Académie des Sciences, avec F. Ducretet et E. Roger, un dispositif d'enregistrement à distance d'une transmission téléphonique sur cylindres ou disques phonographiques. Mais ses recherches ne s'en tenaient pas seulement à la phonétique ; rappelons en passant une trottinette à pédales utilisant les mêmes mouvements que ceux de la marche normale, etc.
Pour se reposer d'une vie de labeur intense, Lioret confia son commerce à son fidèle préparateur, M. Diehl, et consacra ses dernières années... à la peinture ! Son œuvre picturale se chiffre par plusieurs centaines de toiles, dont quelques-unes fort bien venues, étaient l'orgueil de l'infatigable vieillard. Il mourut à l'âge de 90 ans en 1938. Très fier de l'estime qu'il nous témoignait, nous sommes heureux de lui rendre l'hommage que nous lui devons et de rappeler son nom à la reconnaissance de tous ceux qui aiment le phonographe. Et ne sont-ils pas légions... ?
CHAPITRE IV
LE PHONO ENREGISTREUR
ET LA PÉDAGOGIE
Dès 1896 nous avons reconnu la haute valeur pédagogique du phonographe enregistreur-reproducteur. Nous l'avons utilisé dans ce but pour nous-mêmes et pour nos élèves jusqu'à l'apparition du disque. Celui-ci, en effet, entraîna l'abandon du cylindre et par suite de l'enregistrement individuel car de grandes difficultés techniques s'opposèrent à l'application pratique de l'enregistrement en spirale. Elles ne furent surmontées que vers 1930.
Ayant la certitude de l'efficacité de ce nouveau moyen d'étude, tous nos efforts ont tendu à son application malgré les sourires d'incrédulité qui accueillirent nos projets, même dans les milieux phonographiques de cette époque !... Mais déjà, quelques auteurs avaient prédit l'application de la « machine parlante » à l'étude des arts sonores. Nous pensons avoir été les pionniers de sa réalisation en 1896. En présence des résultats acquis, nous espérons intéresser nos lecteurs et leur être utile en leur exposant la genèse et les applications, parfois inattendues, de cette nouvelle technique d'enseignement.
Obligé, par raison de santé, d'abandonner nos études scientifiques, nous avions décidé de consacrer nos loisirs forcés à l'étude de la musique et du hautbois en particulier. Au bout de quelque mois, une discussion assez vive se produisit entre le professeur et l'élève au sujet d'une phrase musicale difficile pour un débutant. Malgré les observations du maître, nous étions resté persuadé du bien fondé de notre interprétation. Il nous vint alors l'idée d'enregistrer le passage incriminé devant notre Graphophone Columbia, l'un des premiers vendus en France. Une seule reproduction suffit pour nous convaincre que le maître avait raison... Ce fut pour nous un trait de lumière et le phonographe devint, c'est bien le cas de le dire, notre répétiteur de tous les instants ! Nous avions compris que s'entendre, c'est se rendre compte de ses défauts et de ses qualités. C'est, en somme, se « critiquer soi-même » comme on critique un tiers. La révélation brutale de défauts personnels — que l'on est toujours enclin à prendre pour des qualités — provoque un choc salutaire en blessant profondément l'orgueil inhérent à chaque individu. La correction est immédiate et radicale. Donc : « s'entendre c'est se critiquer. Se critiquer c'est se corriger ». Aussi, grâce à ce merveilleux instrument de travail, nos progrès ont été tels que deux ans après nous entrions premier sur douze concurrents, à la classe de hautbois du Conservatoire national de musique de Paris. Il était temps, car nous allions atteindre notre limite d'âge (dix-huit ans) et il est certain que, sans ce puissant moyen d'éducation, nous n'aurions jamais songé à nous présenter dans cette Ecole réservée à l'élite de la jeunesse musicienne. Loin d'abandonner un procédé qui nous avait si bien réussi, il nous servit à former les élèves débutants que nous confia alors notre excellent maître Georges Gillet. Trois d'entre eux obtinrent leur premier prix dans le minimum de temps, preuve irréfutable de l'efficacité de notre méthode. Bien plus ! En 1899, deux de nos élèves furent envoyés par leurs pères, gros industriels, en Allemagne pour y apprendre la langue. Les études de hautbois allaient être interrompues et faisaient perdre aux jeunes gens l'espoir d'être engagés dans une musique régimentaire. C'est encore le phonographe qui assura la continuation de leurs études, instituant ainsi (pensons-nous) les premiers cours par « correspondance sonore » ! Chaque élève emporta son phono et les trois dimensions de cylindres existant alors furent utilisées comme suit : sur le petit furent enregistrées les gammes et exercices ; sur l'inter furent gravées les études ; les soli ou morceaux de genre furent confiés au stentor. Ils nous parvenaient par poste, placés les uns dans les autres, dans une boîte capitonnée conçue à cet effet.
Certes, le résultat sonore n'était pas ce qu'il est aujourd'hui, mais l'oreille est un organe des plus accommodants ! N'accepte-t-il pas maintenant les dissonances les plus discordantes qu'il n'aurait pu supporter il n'y a pas si longtemps ? C'est pourquoi, grâce à notre pratique, nous pouvions juger la valeur d'une exécution malgré l'imperfection de la reproduction. Et cela, au point de pouvoir nous rendre compte de la position de l'instrument par rapport au corps (qui doit être de 45°). Les positions défectueuses se remarquaient fort bien, simplement par les légères différences de sonorité qu'elles entraînaient dans l'émission des sons !
Il nous était donc possible d'envoyer par écrit à l'élève nos observations et nos conseils. De plus — et c'est là l'un des plus grands avantages de cette technique — les cylindres étaient retournés après réenregistrement par nous-mêmes, sorte d'illustration sonore de la leçon écrite. De la sorte, l'élève pouvait entendre aussi souvent qu'il le fallait l'exemple donné pour parvenir à une exécution aussi parfaite que possible. L'élève avait tout le temps nécessaire pour se rendre maître des difficultés signalées et atteindre la perfection. Ce n'est pas dans le court instant d'une leçon directe que ce résultat peut être obtenu. C'est pourquoi nos deux élèves firent, durant un an d'absence, des progrès très supérieurs à la normale et purent, à leur retour en France être incorporés dans la musique du régiment de leur choix.
Encouragé par ces résultats positifs, nous nous sommes fait un devoir, à notre sortie du Conservatoire, de les exposer à notre directeur Théodore Dubois. Développant avec chaleur nos idées sur ce sujet, nous lui avons soumis nos projets sur la création dans les Conservatoires d'un laboratoire phonique où chaque élève serait tenu d'enregistrer à intervalles réguliers. L'écoute comparative avec les enregistrements précédents serait commentée par le professeur. Constatant ses fautes, l'élève les corrigerait rapidement. Quant aux progrès, ils lui donneraient le courage de surmonter les difficultés, les moments de lassitude et lui rendraient la confiance et l'assurance en soi. C'était trop beau pour l'époque ! Le maître, élevant lentement ses mains vers ses oreilles, nous dit d'un air de profond mépris : « Ah ! le phonographe ! »
C'est alors que nous avons compris que nous l'aurions aucune chance de faire admettre nos idées tant que le phonographe n'atteindrait pas à l'exacte reproduction des sons, ne donnerait pas à l'auditeur l'illusion de la réalité. C'est vers ce résultat que nous avons dirigé nos travaux.
Ne quittons pas la question de l'éducation par phonographe sans signaler l'appareil présenté par la société Pathé pour l'étude des langues, le Pathégraphe. C'était pendant la période du disque à saphir ; l'appareil comportait un dispositif synchroniseur déroulant horizontalement une bande de papier sur laquelle était imprimé sur toute sa longueur et sur une seule ligne, le texte récité par le phonographe. La parole prononcée par le disque correspondait exactement au mot imprimé sur la bande passant devant un index fixe. Ce dispositif ingénieux n'eut pas le succès qu'il méritait en raison de l'imperfection de la reproduction sonore, entraînant l'imprécision et la déformation des paroles. Ce procédé, lui aussi, arrivait trop tôt ! Le succès actuel des cours de langues Linguaphone, Assimil, etc. le prouve. C'est surtout l'amélioration considérable du rendement sonore, de la vérité, des timbres, de la netteté d'élocution qui ont permis aux cours oraux de donner enfin pleine satisfaction et de s'implanter dans nos mœurs. Ces améliorations sont dues, principalement :
1° A l'adoption de l'enregistrement latéral dit à aiguille ;
2° Au procédé d'enregistrement électrique par microphone ;
3° Au perfectionnement des procédés de moulage ;
4° Au perfectionnement de la matière plastique constituant le disque ;
5° A la reproduction électrique par amplification et pick-up.
A notre avis ces méthodes ne pourront être complètes et ne parviendront à leur point optimum d'efficacité qu'associées à l'enregistrement sonore individuel. En effet, s'il est possible à chacun d'essayer de reproduire verbalement ce que fait entendre un document sonore de tout premier ordre, comment l’élève s'apercevra-t-il de ses inévitables défauts et de ses fautes de prononciation ? Seule, la possibilité de s'enregistrer et de s'entendre sera pour lui un sûr moyen de self-contrôle. Ce que nous disions plus haut pour la musique s'applique également à l'étude des langues. Quelques professeurs notoires l'ont parfaitement compris et font enregistrer chaque mois, par nos soins, la plupart de leurs élèves, dont le stage scolaire se trouve notablement écourté pour un meilleur résultat. Mme Boué, dont les cours de français sont très réputés parmi les plus grandes familles étrangères, fut la première à utiliser cette technique pédagogique. Pour Mme Boué, le disque est non seulement un puissant moyen d'éducation, c'est aussi pour les parents éloignés un moyen de contrôle très effectif des progrès accomplis par leurs enfants. Tout professeur consciencieux comprendra que, loin de nuire à ses intérêts, cette technique lui conférera un renom de maîtrise qui augmentera considérablement le nombre de ses élèves.
Après cet exposé de nos idées sur l'emploi du phonographe dans l'étude des arts sonores en général et de la linguistique en particulier, nous signalerons la fondation d'une société, vers 1910, dont le but était l'enseignement des langues par la « machine parlante ». Cette société fournissait, avec la collection de disques à saphir, un appareil pour les écouter. Ce dernier était également enregistreur et utilisait d'épaisses galettes de cire pouvant se raboter près de 200 fois avec un outil ad hoc faisant partie de l'appareil. C'est à notre connaissance le premier et probablement le seul grand appareil à disques sur lequel l'enregistrement individuel ou « direct » pouvait se faire (il y avait aussi le Pathépost créé pour la correspondance sur disque à support de carton de petit diamètre). C'était donner à l'élève le moyen de contrôle que nous préconisions. Malheureusement l'enregistrement en profondeur dit à saphir — le seul qui à cette époque permettait l'enregistrement individuel sur disques — était loin de donner des résultats satisfaisants et pour les mêmes raisons, ce « cours sonore » eut le même sort que l'appareil synchronisé de Pathé. Repris avec les procédés modernes, nul doute que la technique très complète donnée avec les nouveaux « enregistreurs-reproducteurs » ne soit un grand succès pédagogique.
***
Les perfectionnements importants apportés au phonographe depuis quelques années ont fini par le faire admettre par les institutions officielles comme moyen d'éducation. Des concours furent organisés par le Ministère de l'instruction publique, entre les producteurs de phonographes, d'électrophones et de récepteurs radiophoniques. Les meilleurs furent « proposés à l'attention » des directeurs et des instituteurs et une participation aux frais d'achat fut accordée par l'Etat aux écoles qui en feraient l'acquisition. Nous avons eu la satisfaction de voir notre Radio-phono-enregistreur faire partie en bonne place de la liste proposée par le ministre. Mais déjà les Conservatoires de musique de Paris, Lyon, Grenoble, Saint-Étienne et Rennes l'utilisaient ainsi que les universités d'Alger et de Clermont-Ferrand, le Collège de France, le Conservatoire des arts et métiers, etc. C'était le premier pas vers l'application officielle du phonographe à l'enseignement. Espérons qu'il ne restera pas à ce début... insuffisant ! Il mérite mieux qu'un geste de recommandation. Ce n'est en somme, qu'une autorisation aux professeurs de s'en servir dans l'intérêt de leurs élèves, s'ils le jugent à propos et comme bon leur semblera... Nos renseignements nous ont confirmé dans notre opinion que, loin d'en laisser l'emploi à l'initiative individuelle, il faut en organiser l'usage méthodique après en avoir approfondi les merveilleuses possibilités. Selon nous, la mise au point, puis la direction de cette nouvelle technique pédagogique doit être confiée à un « comité officiel d'étude et d'application du phonographe à l'enseignement ». Il ne faudrait pas qu'un faux départ entrave l'essor de cette belle conquête et aboutisse à son abandon sous le prétexte d'insuffisance éducative ! C'est ce qu'il faut éviter à tout prix, car ce serait priver l'intelligence humaine des progrès rapides et considérables qu'elle doit accomplir par l'emploi bien compris du phonographe éducateur. L'organisme que nous préconisons aurait à établir les bases et le statut de l'usage obligatoire du phonographe dans l'enseignement de la musique, du chant, du solfège, de la diction, de la littérature, des langues, etc. Le choix de l'appareil type est très important. Il devra être fourni par l'Etat. L'éducation nationale n'exige-t-elle pas la perfection dans son institution, dans son corps enseignant, et dans ses moyens pédagogiques ? Il faudra donc dans le cas qui nous occupe doter les classes d'appareils électrophoniques idéalement parfaits ; de discothèques particulières à chaque sorte d'étude, dont les disques seront sélectionnés avec soin parmi ceux existant dans le commerce. Des enregistrements spéciaux pour chaque cas seront mis à l'étude et exécutés avec la plus grande perfection. Le comité en dressera les listes qui devront présenter la plus haute valeur éducative et artistique. Il en établira la meilleure application et la présentation la plus effective. Le comité étudiera et imposera au corps enseignant les premières bases d'une technique pédagogique du phonographe. Celle-ci se perfectionnant par la pratique devra faire l'objet de l'attention soutenue du comité. Nous avons dit et répété qu'il faut « apprendre » à se servir d'un appareil phonographique pour « savoir en jouer ». Il serait donc inutile de confier aux professeurs un instrument de premier ordre s'ils ne peuvent en tirer le rendement optimum. L'éducation des élèves s'en trouverait amoindrie et faussée. En conséquence, des cours de phonographe devront être institués pour les professeurs qui auront à utiliser l'un de ces appareils dans leurs classes. Ils y apprendront non seulement le maniement de l'appareil en vue d'un résultat parfait, mais encore suffisamment de technique pour en assurer eux-mêmes le réglage et les dépannages les plus courants. L'inspection régulière des cours comportant l'usage du phonographe ainsi que l'examen des appareils par des spécialistes devront être organisés pour que les « phonos » ne soient pas délaissés et que la valeur sonore des appareils reste irréprochable.
Mais, nous dira-t-on, le budget pourra-t-il supporter ces nouveaux frais ? A quoi nous répondrons : Une nation a-t-elle le droit de lésiner lorsqu'il s'agit de sa propre éducation ? L'élévation constante de son niveau intellectuel ne l'exige-t-elle pas ? L'industrie nationale n'y trouvera-t-elle pas son compte ? Les nouvelles situations envisagées ne feront-elles pas vivre de nombreux instituteurs et techniciens ?
Voilà succinctement exposées nos idées sur l'utilisation du phonographe éducateur adapté à l'instruction nationale. Chacun comprendra certainement toute l'importance de la plus utile application de l'invention de Charles Cros et en désirera la prompte réalisation.
***
Si nous nous sommes étendu assez longuement sur le rôle éducateur du phonographe, c'est qu'à la vérité il est sa plus noble raison d'être. Nous avons dit que le phonogramme (cylindre, disque, film ou tout autre procédé) est un document sonore de tout premier ordre. En effet, la simple audition d'une œuvre quelle qu'elle soit, faite pour le plaisir, est un enseignement qui porte toujours ses fruits, malgré l'inconscience de son, assimilation, et peut-être même à cause de cela. L'édition sonore ne livre rien d'imparfait. La moindre erreur, le moindre faute d'interprétation ou de justesse, entraînent la destruction de l'original et la reprise de l'exécution jusqu'à complète satisfaction. A ce sujet on cite le disque des Bateliers de la Volga par Chaliapine qui n'en a autorisé le tirage qu'à la mille et unième reprise !... Il est de toute évidence que ce document apporte à la masse des auditeurs une réalisation absolument impeccable et sera pour chacun d'eux un exemple idéal de beauté et de perfection artistiques. Il est incontestable que depuis quelques années le niveau populaire musical s'est notablement relevé. On ne chante plus faux (ou presque !), les œuvres classiques sont connues et appréciées d'un nombre considérable d'auditeurs. Ce n'est pas sans étonnement et satisfaction que nous avons entendu dans les premières années de ce siècle (déjà) le Chœur des Filles du Rhin de Wagner chanté en pleine campagne par un groupe de faucheurs ! Renseignements pris, c'était le phonographe qui nous valait cette saisissante et réconfortante impression. Les grands artistes, les virtuoses, les prodiges sont maintenant connus, appréciés et aimés de la terre entière, jusque dans le plus petit hameau, dans le bled le plus éloigné. Cette interpénétration des arts sonores et de la parole, n'est-elle point le prélude à un rapprochement des peuples, à une entente générale des races pour parvenir finalement aux Etats-Unis mondiaux ?
...L'alliance du phonographe et de la radiophonie, ces puissants propagateurs de la Pensée, contribuera dans une large part à ce grandiose aboutissement de la civilisation : la paix universelle.
Et pourquoi non, puisque la musique — même mécanique — adoucit les mœurs !
CHAPITRE V
LES PERFECTIONNEMENTS DU PHONOGRAPHE
Nous nous sommes laissé entraîner vers un avenir dont nous souhaitons la réalisation aussi prochaine que possible. Par un brusque retour en arrière, revenons au début du XXe siècle. Des perfectionnements et modifications avaient été constamment apportés. Concernant le diaphragme reproducteur, jusqu'alors à petite membrane de cristal extrêmement mince, différents modèles firent leur apparition. Le principal fut le diaphragme Bettini de grand diamètre et à membrane de mica (aluminium) tendue par pression circulaire. Le saphir était supporté par un faisceau conique formé de neuf tiges de différentes longueurs dont les extrémités inférieures étaient collées sur la membrane aux points nodaux de vibrations. Ce dispositif figurait l'aspect de l'araignée dite faucheux. Le diaphragme, reposant horizontalement sur le cylindre, était relié par un pivot à un solide bâti se fixant par serrage à la place ordinaire, des diaphragmes. Une masse plombée pouvait se déplacer sur une tige filetée pour compenser le poids élevé du diaphragme et en régler la pression sur la cire. Le pavillon s'adaptait directement sur le bâti. Le résultat sonore offrait un réel progrès sur ceux donnés jusqu'alors. Le prix en était élevé.
C'est à l'Exposition universelle de Paris, en 1900, que fut présenté un procédé entièrement différent de celui en vigueur depuis vingt ans. C'était le phonographe magnétique de Poulsen. L'enregistrement s'effectuait par l'aimantation d'un fil d'acier passant rapidement devant un électro-aimant recevant les vibrations électriques produites par un microphone. La reproduction s'obtenait en repassant le fil à la même vitesse devant l'électro-aimant qui, de ce fait, devenait transmetteur microphonique. Pour l'écoute, un casque téléphonique remplaçait le microphone enregistreur. Mais, la faible étendue de l'échelle musicale transmise par les premiers microphones ne donnait pas la possibilité d'enregistrer la musique et les timbres avec exactitude. Seule la parole y était parfaitement reproduite et nous avons eu le plaisir d'en apprécier l'excellent rendement au stand de cette exposition. Mais la « machine parlante » n'était plus une nouveauté et cette merveilleuse réalisation passa presque inaperçue des visiteurs ! Il est vrai que l'écoute au casque, obligatoire à ce moment, avec ce procédé, ne pouvait plus satisfaire des auditeurs habitués aux... tonitruances des pavillons parfois immenses ! Encore une invention parue avant l'heure ! Elle fut reprise en 1925 en l'associant aux amplificateurs à valves électroniques nées de la T.S.F. ; elle fait encore l'objet de recherches assidues. Mais, à l'encontre de progrès séduisants — comme celui de la longue durée d'audition permettant l'écoute ininterrompue d'une œuvre importante — ce procédé présente, entre autres, un inconvénient qui le rend peu pratique et parfois prohibitif : le poids élevé et le volume de la bobine de fil ou de ruban d'acier par rapport à la durée d'audition. Il n'a pas encore dit son dernier mot ! Grâce à la facilité avec laquelle peut s'effacer un enregistrement pour le remplacer par un autre, cet appareil devrait être parfait pour la dictée du courrier (application prévue et réalisée depuis le début du phonographe par Edison, créateur du Dictaphone). De même son application aux enregistrements de conversations téléphoniques a reçu un commencement de réalisation.
1904. Lancement commercial du phonographe à disque se reproduisant avec le diaphragme à aiguille, par la Société Gramophone qui s'installe modestement derrière la Grande Poste, dans un petit magasin de la rue Jean-Jacques-Rousseau, à Paris. Elle y présenta ses nouveaux appareils. Ses disques durs, en gomme laque, ont permis l'enregistrement latéral qui ne peut s'accommoder d'une substance molle comme la cire. Ce nouvel appareil apportait un grand progrès dans la reproduction des sons, mais, hélas ! l'enregistrement « direct » n'était plus possible et selon nous l'intérêt pédagogique du phonographe s'en trouvait considérablement diminué et c'était grand dommage !
La société Pathé sortit aussi un appareil à disque, mais en conservant l'enregistrement « en profondeur » et le reproducteur « à saphir ». Ses tout premiers disques, moulés sur une seule face, étaient extrêmement lourds. Ils étaient constitués par une épaisse galette en... ciment ! Une faible couche de gomme laque la recouvrait. Le résultat très imparfait de ces disques les fit aussitôt abandonner. Heureusement pour la société, l'important contrat qui le liait au fournisseur de ces disques put être résilié.
Télégraphone de Poulsen
(extrait du cours de physique de Bouasse [Cl. de 3e])
La supériorité du disque à aiguille sur le disque à saphir s'affirmait de plus en plus. Il faut dire aussi que la maison française eut le tort de persister à garder le cylindre comme point de départ soit pour les reproductions des anciennes éditions sur cylindre, soit pour les originaux des nouvelles éditions. Ces disques n'étaient donc que les moulages d'une reproduction par duplicatage mécano-acoustique, cause de déformations, tandis que la société Gramophone, puis Columbia et Odéon, constituaient leurs « matrices » sur l'original lui-même. Cette dualité commerciale donna naissance à une lutte publicitaire intense entre les deux procédés. Pour l'un, elle était basée sur ce fait que le « saphir inusable ne se change jamais ! » mettant ainsi l'usager en garde contre l'inconvénient de changer d'aiguille après chaque audition. Pour l'autre, elle affirmait que « le saphir inusable use le disque ! » L'un faisait appel à la paresse de l'acquéreur, l'autre à son esprit d'économie.
On rencontre encore, bien rarement il est vrai, d'anciens disques dont l'audition commence par le centre, surtout dans les disques à saphir. Nous venons de signaler la lutte publicitaire entre le procédé à saphir et celui à aiguille. Elle eut également lieu pour le sens de la progression du diaphragme sur la surface du disque, c'est-à-dire se déplaçant du centre vers la périphérie ou inversement. La qualité sonore d'un disque est meilleure au bord qu'au centre. Elle décroît lentement et progressivement. Nous dirons pourquoi page 95. D'aucuns prétendirent qu'il était préférable d'écouter une audition en constante amélioration et qu'en conséquence il valait mieux commencer par le centre. D'autres, au contraire, affirmèrent que, la première impression étant la bonne et qu'ensuite la modification sonore passant inaperçue à cause de sa lente progression, on doit commencer l'audition par la périphérie. En réalité, les deux thèses pouvaient se soutenir, mais les lois de la mécanique, prépondérantes en l'occurrence, firent abandonner le départ par le centre. Ce procédé exigeait des moteurs mécaniques — les seuls existant à cette époque — beaucoup plus puissants et par conséquent plus coûteux. Handicap sérieux dans une concurrence commerciale. En effet, débuter par le centre, c'était offrir au moteur le minimum de freinage alors qu'il fournissait sa puissance maximum, et qu'en conséquence plus le diaphragme se rapprochait du bord, plus le couple de freinage augmentait alors que la tension du ressort diminuait... Solution illogique, on en conviendra ! Au contraire, en commençant l'audition par le bord du disque, le freinage diminue en même temps que la force d'entraînement du moteur dont l'importance peut être moindre puisqu'il n'a plus qu'à vaincre une résistance de plus en plus décroissante.
Avec le moteur électrique, les deux procédés peuvent être indifféremment employés. Notamment, le départ par le centre est utilisé dans les appareils de synchronisation de cinéma sonore employant le disque. Le départ devant se faire lorsque le pick-up est posé sur le point de repère du sillon immobile sera instantané s'il s'effectue au centre alors qu'il ne démarrerait que très lentement (ou même pas du tout) si le pick-up reposait sur le bord du disque. Surtout que celui-ci, dans le cas qui nous occupe, est toujours de très grand diamètre — au moins 35 à 50 cm.
La société Pathé Frères rechercha surtout la puissance sonore. C'est ce qui fit adopter ses appareils par la plupart des établissements publics depuis le plus petit « débitant » jusqu'aux grandes salles de bal. (On ne disait pas encore « dancing »). Nous nous souvenons, entre autres, d'un modèle pouvant jouer des disques de 0 m. 50 de diamètre et comportant deux diaphragmes à saphir branchés chacun sur un immense pavillon d'un mètre de long ! Les deux saphirs reposaient dans le même sillon, à quelques millimètres d'intervalle. Cette disposition, outre l'augmentation de puissance, provoquait un phénomène de résonance fort agréable. Le maximum de sonorité fut atteint avec le diaphragme à air comprimé des Etablissements Louis Gramont, imaginé par leur collaborateur Georges Lodet. L'intensité du son produit par ce diaphragme était très supérieur à celle donnée par les électrophones actuels. Elle était comparable aux puissantes installations de plein air. Sa portée atteignait plus d'un kilomètre ! Un ingénieur de la Tour Eiffel nous a certifié avoir entendu du 1er étage de la Tour les essais au diaphragme Lodet effectués sur le toit des Établissements Gaumont situés aux Buttes-Chaumont !
En rappelant l'existence de cet ancêtre du haut-parleur, notre mémoire vient d'évoquer le souvenir d'un fait que nous croyons intéressant à signaler. Il s'agit, en effet, de l'une des premières prises de vue sonores en plein air, au début de la synchronisation du phonographe et du cinématographe. Disons d'abord que l'idée première de cette union remonte à 1895. Edison tenta, à cette époque, de combiner deux appareils de sa conception : son phonographe à cylindre et son kinétoscope produisant des vues animées encore imparfaites. Puis Dussaud utilisa, au début du cinématographe Lumière, son microphonographe dans le même but. D'autres tentatives furent faites par Ruhner, Eugène Laute, Eugène Boyer. En 1902, Louis Gaumont utilisa le microphonographe de Dussaud pour ses premières recherches de synchronisation à deux moteurs séparés. Seulement tous ces essais, toutes ces démonstrations faites en privé, ne pouvaient convenir à des auditions publiques importantes à cause de l'insuffisance de l'amplification sonore. Mais en 1906, Louis Gaumont reprit ses recherches en utilisant cette fois le diaphragme à air comprimé de Georges Lodet, qui permit enfin la présentation du cinéma parlant en salle de spectacle (et pour son début, la plus vaste ! Celle du Gaumont-Palacede la rue Caulaincourt). Louis Gaumont y présenta ses Phono-scènes qui firent sensation à Paris, puis à l'étranger et à New York en 1913. C'est à la prise de vue de l'une des phono-scènes du début qu'il nous fut donné d'assister dans l'auberge de l'Ecu de France à la Varenne-Saint-Hilaire. Voici dans quelles conditions : dès l'apparition des plaques photographiques Autochrome de Lumière et Omnicolor de Jougla, nous avions eu l'idée de constituer par documents photographiques en couleur une Histoire du Costume, depuis... Adam et Eve ! Les rives verdoyantes de la Marne et le cadre moyenâgeux de l'auberge renommée avaient été choisis pour la composition de tableaux Louis XIII. De jolis modèles et de nombreux figurants parés de riches costumes aux chatoyantes couleurs formaient un ensemble inattendu et pittoresque. Tout ce déploiement vestimentaire, ces perruques, ces accessoires amenés à pied d’œuvre dans de nombreuses caisses et porte-manteaux, nous paraissait à ce moment-là si nouveau que nous pensions être unique dans ce genre d'entreprise. Aussi, quel fut notre étonnement, lorsque, au moment de prendre congé de l'aubergiste, nous vîmes pénétrer dans la cour de l'établissement plusieurs « voitures automobiles » — comme l'on disait alors — bondées d'artistes et de figurants costumés en paysans normands d'opérette, de metteurs en scène, d'ingénieurs et de tout un matériel de prise de vue cinématographique ainsi que d'appareils totalement inconnus ! Mais, dominant ce groupe (digne pendant du nôtre) un immense pavillon de phonographe accaparait toute notre attention !... L'intuition de ce qui allait se passer nous fit différer notre départ et bien nous en prit. C'était le premier essai de réalisation en plein air d'une phono-scène par les Etablissements Gaumont. L'autorisation d'y assister nous fut aimablement accordée et nous avons conservé, dans tous ses détails, le souvenir de cette « première » sensationnelle.
Le sujet du film sonorisé, à la naissance duquel nous assistions était la chanson en vogue : le Père La Victoire. Les interprètes, artistes et choristes furent placés par le metteur en scène devant une tonnelle rustique ; la table se garnit de verres et de flacons de cidre pendant que les ingénieurs procédaient à l'installation des appareils, et la répétition commença. Elle consistait, pour les chanteurs, à suivre le texte dit par le phonographe en le mimant par le geste et surtout à chanter les paroles avec la précision la plus absolue en même temps que celles reproduites par le disque. Ce n'était pas chose facile à obtenir d'un groupe nombreux de choristes ! On voit donc qu'au début du cinématographe, la prise de vue sonore se faisait en deux temps : d'abord le son enregistré sur disque, puis la vue animée dont les acteurs ne faisaient que suivre l'émission phonographique par les geste et la parole. Lors de la reproduction, le film et le disque entraînés mécaniquement avec un synchronisme identique à celui de la prise de vue, il était impossible de se rendre compte du subterfuge et l'illusion était complète. Ce procédé présentait un avantage : celui de créer un artiste hors pair en associant la voix d'un merveilleux chanteur à la plastique et au jeu d'un extraordinaire comédien ! L'enregistrement mécanique, qui seul existait à cette époque, ne permettait pas l'enregistrement à distance. L'appareil de prise de son se serait fatalement trouvé dans le champ de la caméra ! Voilà pourquoi nos joyeux Normands s'évertuaient, verre en main, à « doubler » très exactement la voix de Stentor du phonographe à air comprimé. Avec quelle ardeur fut « tourné » le film définitif. On constatait chez tous les acteurs et artisans de cette réalisation un entrain et une application inusités. Chacun comprenait qu'il participait à l'éclosion d'un art nouveau, prélude de l'une des plus puissantes industries mondiales. Et ce n'est pas sans une pointe de fierté et d'émotion que, à quelque temps de là, nous entendîmes ce sensationnel dernier-né clamer dans l'immense salle du Gaumont : « Amis, je viens d'avoir cent ans… »
Encore un rêve qui se matérialisait ! L'être humain n'est jamais satisfait... Ce n'était pas assez d'avoir su capter et reproduire les sons, d'avoir pu saisir et remontrer les aspects de toutes formes, visibles et même invisibles (rayons X), d'avoir réussi à fixer les couleurs et à recréer le mouvement. Il fallait que toutes ces grandes découvertes fussent réunies pour fixer l'inexorable marche du temps et en reproduire les fugitifs instants par, une action simultanée de toutes ces inventions. Il fallait que le cinéma sonore et parlant fut créé pour la satisfaction de l'Homme... Il l'était ! La lumière et le son ainsi asservis apportaient au phonographe un nouveau champ d'action d'extrême importance. De nombreux procédés d'enregistrement sonore nés de son alliance avec le cinéma, puis avec la radiophonie, vinrent enrichir le phonographe. Lee de Forest apporta à la radio l'invention capitale qui en décupla les possibilités miraculeuses : la valve électronique ou lampe de T.S.F. Grâce à elle, l'enregistrement et la reproduction des sons bénéficièrent de progrès extraordinaires qui rapprochèrent les résultats auditifs de la réalité. La valve montée en amplificateur basse fréquence augmenta considérablement la sensibilité microphonique. Les importants perfectionnements qui leur furent apportés permirent enfin l'enregistrement à distance et par conséquent le synchronisme direct et simultané du son et de l'image.
Pour la reproduction, l'ampli B-F, le pick-up (« Lecteur électrique » remplaçant le diaphragme mécanique) et le haut-parleur électro-dynamique constituent actuellement l'appareil reproducteur le plus parfait.
D'autre part, les valves et la cellule photoélectrique dotèrent le Cinéma sonore de procédés photographiques qui assurent l'enregistrement et la reproduction par la formation d'un « chemin » de densité variable dans le film lui-même, en marge des images.
Le phonographe en 1632 !
Le stand Edison à l’Exposition de 1889
Coupe du premier phonographe
(clichés Physique populaire de M. Desbeaux, Flammarion édit.)
On pourrait supposer qu'avec l'enregistrement électrique à distance et les films en couleurs naturelles, le cinéma parlant avait atteint son stade définitif. Ce serait mal connaître l'insatiable désir de satisfaction des humains, même si cette satisfaction n'est que le produit d'illusions ! Celle du relief manque encore aux vues animées. Quelques tentatives ont bien été faites pour combler cette lacune. Elles n'ont pas donné de résultats positifs suffisants. Le premier brevet de relief cinématographique dont nous ayons connaissance a été déposé en 1904 au nom de Dupuy. La prise de vue était effectuée avec une camera stéréoscopique. Sur le film positif, les deux images étaient impressionnées l'une au-dessous de l'autre et chaque vue se succédait ainsi dans le même ordre. Les spectateurs devaient porter des lunettes spéciales dont les oculaires étaient obturés alternativement et en synchronisme avec les images projetées. Chaque œil ne percevait que celle qui lui était destinée. Par suite de la persistance rétinienne, le résultat était identique à celui donné par le « stéréoscope ». Nous ne pensons pas que ce procédé ait été présenté au public. Puis dix ans se sont écoulés avant le dépôt d'un second brevet concernant le relief des vues animées. Depuis il y en eut plus de cent. Seul le procédé Louis Lumière, basé sur les anaglyphes, pouvait donner satisfaction, mais le port de lunettes spéciales par chaque spectateur ne lui procura qu'un succès de curiosité passager. Nous fondons de grandes espérances sur l'invention d'un jeune réalisateur, ardent et tenace : Maurice Bonnet dont les Reliephographies sont impressionnantes et admirables de vérité et cela sans appareils interposés. L'adaptation au cinéma est chose faite. Son exploitation nécessite une période moins troublée que celle que nous traversons en ce moment... Mais ensuite, ne restera-t-il pas d'autres sens à satisfaire ? L'odorat pour le cinéma ; l'odorat, le goût et le toucher pour la radio ! Nous entrons là dans le domaine de l'utopie. Mais n'a-t-on pas constaté, par tout ce qui précède, que la plupart des conceptions à la Jules Verne se sont réalisées ? Pourquoi n'en serait-il pas de même pour celle que nous venons d'émettre et qui nous hante depuis longtemps ? Elle date, en effet, du début de la télégraphie sans fil (le Colonel Brenot, ami et continuateur du tant regretté Général Ferrié, nous a fait l'honneur de la signaler dans l'un de ses premiers livres sur la Radiotélégraphie au chapitre sur L'Avenir de la T.S.F.). A cette époque on ne connaissait que la radiotélégraphie. Certes, des recherches opiniâtres furent entreprises pour la transmission de la parole et des images intéressant deux de nos sens : celui de l'ouïe et celui de la vue. Il fallut plus de vingt ans pour obtenir les premiers résultats en radiophonie, trente-cinq pour la télévision ! Combien faudra-t-il encore attendre pour la conquête de la radiodactyle, de la radioolfactive et de la radiogustation dont on n'a jamais parlé... ? Puisque l'ouïe et la vue ont pu être transformés en vibrations électriques transmissibles, on peut supposer qu'il en sera de même pour les autres sens et que leur enregistrement et leur reproduction seront également chose possible. Nous prévoyions alors que tous les sens seraient transmis par ondes hertziennes dans les siècles à venir. Nouveaux et importants progrès qui devaient encore transformer nos habitudes et nos mœurs. Ces découvertes ne nous apporteraient-elles pas la possibilité de choisir, de notre fauteuil, nos étoffes à Elbeuf, nos vins à Bordeaux, nos parfums à Grasse, puis de passer et régler nos commandes par « dépêches et... chèques belinographiques » !... Notre conception du relief cinématographique va jusqu'à remplacer l'écran par l'espace. L'image plane ferait place à l'image en volume (ronde-bosse) telle qu'elle se présente dans la nature, peut-être par l'interférence de rayons lumineux reconstituant toutes les formes, les masses et les couleurs de l'original... Le toucher et l'odorat parachèveront ainsi l'œuvre de reconstitution d'un passé qui devient éternel.
Le problème est posé. Est-il insoluble ?
Chi lo sa ?
Comme bien l'on pense, les progrès réalisés dans tous les domaines, leurs combinaisons, les trouvailles et les inventions incessantes ont incité les chercheurs à sortir des sentiers battus en créant des appareils utilisant les nouvelles découvertes : procédé magnétique amplifié ; gravure sur bandes ; enregistrement photo-lumineux sur film cellulosique ou sur papier. Tous ces procédés dont le principal avantage était la longue durée de l'audition, ne sont pas parvenus à détrôner le disque ! Celui-ci est, en effet, d'un usage trop universel et d'une perfection telle qu'il ne peut être abandonné de si tôt. La puissante industrie du disque ne pourra être battue que par un procédé de rendement très supérieur (ce qui n'est pas encore le cas), dont l'exploitation devra posséder d'énormes moyens financiers, dont les appareils seront de prix abordable et dont le catalogue atteindra à la richesse de celui du disque, qui, on le voit, peut encore compter sur une longue et florissante existence.
La création des changeurs de disques avec ou sans changeurs d'aiguilles et les combinaisons à deux plateaux apportent à l'audition par disques la solution à la seule objection qu'on pouvait lui faire. Ces appareils assurent dès maintenant aux disques des auditions illimitées. Ils n'ont pas dit leur dernier mot !
Depuis 1922 d'incessants progrès ont porté les phonographes à disques à un tel degré de perfection que les plus réfractaires parmi les grands musiciens et les maîtres de la critique ont fini par l'admettre et par l'adopter. Encore faut-il que ces appareils, même les plus récents, soient maniés comme il convient pour en obtenir le résultat optimum, véritablement artistique. C'est l'étude des moyens propres à le réaliser que nous allons maintenant entreprendre.
***
Au moment de mettre sous presse, nous recevons de M. J.-M. Gilbert, le très rare document que voici : C'est le 22 Avril 1878 qu'eut lieu, en France, la première présentation publique du premier phonographe d'Edison, dans la Salle des Conférences, boulevard des Capucines, à Paris. Elle fut donnée en présence du Préfet de Police et des membres de toute la Presse. Le 23 et jours suivants des séances payantes virent affluer la foule enthousiaste et émerveillée du grand public parisien. Nous remercions M. J.-M. Gilbert de sa communication qui précise un fait important de l'Histoire du Phonographe.
CHAPITRE VI
Nous ne pouvons mieux terminer cet exposé historique qu'en montrant l'importance de la place prise par le phonographe dans la vie actuelle.
Pour cela il nous suffira de citer la longue liste de ses applications. Disons cependant quelques mots auparavant de la position officielle acquise par le phonographe :
Sur les instances de M. Roger Devigne la fondation des Archives de la parole eut lieu en 1911. Un premier don de mille phonogrammes fut offert par M. Emile Pathé, constituant ainsi le début de la phonothèque installée dans la salle V de la Sorbonne, sous la direction de M. Ferdinand Brunot. En 1927 le Conseil municipal de Paris mit à la disposition du « Musée de la parole » l'immeuble situé au 19 de la rue des Bernardins. Le directeur actuel est M. Pierre Fouché, avec M. Roger Devigne comme sous-directeur. Le 8 avril 1938, un décret ministériel instituait la Phonothèque nationale à laquelle fut confiée la régie du « Dépôt légal de l'édition sonore ». Le Conseil de l'Université accepte de recevoir la nouvelle institution au sein du Musée de la parole. M. Roger Devigne, grand animateur de toutes ces créations, est nommé directeur de la Phonothèque nationale. N'oublions pas de citer M. Leproux, attaché aux deux établissements qui n'ont qu'à se louer de son zèle et de son désintéressement. Les mêmes éloges s'adressent également à M. Montjanel, préparateur au Laboratoire d'enregistrement, au classement des phonothèques, à l'entretien du Musée rétrospectif, etc. Et que dire des nombreux chefs de missions qui ont parcouru le monde entier pour y récolter une merveilleuse moisson folklorique, désormais acquise à la postérité ?
Citons maintenant, parmi les institutions utilisant l'enregistrement sonore et possédant d'importantes phonothèques : le Musée de l'homme, au Palais de Chaillot ; le Musée des arts et traditions populaires ; le musée Guimet ; le Collège de France ; le théâtre national de l'Opéra, etc.
Le programme de ces institutions comporte l'enregistrement et la conservation des voix célèbres, dialectes, folklore national, folklore de tous les pays, musicologie, phonétique (enseignement orthophonique, pathologie sonore).
En 1938 un laboratoire de recherches sur la télé-phonovision fut créé au Conservatoire national des arts et métiers par son actif promoteur, le professeur Huguenard, auquel le phonographe doit de nombreux perfectionnements et d'importantes découvertes.
Et voici, en une énumération longue mais éloquente, la liste des diverses applications du phonographe :
Applications pédagogiques.
Etude des langues (procédés Linguaphone, etc.). Disques scolaires de diction, chant, musique, lectures littéraires, etc.
Musée de la Parole et Théâtre National de l'Opéra : Conservation des voix d'orateurs, artistes, savants, hommes politiques, personnages en renom.
Concerts et auditions artistiques phonographiques.
Archives folkloristes.
Appareils enregistreurs-reproducteurs pour self-contrôle dans les conservatoires ainsi que dans les écoles de musique et de déclamation, répétitions d'orchestres, chœurs, théâtres. Professeurs et élèves particuliers.
Cours de langues étrangères.
Illustration sonore de livres scientifiques, éducatifs ou littéraires par petits disques incassables inclus dans leurs couvertures ou pochettes attenantes.
Appareil de projection fixe commenté par phonographe synchronisé (but éducateur et publicitaire).
Enregistrement d'improvisations musicales ou oratoires.
Disques d'accompagnement de piano, orchestre, quatuor ou autres pour chanteurs ou solistes.
Disques de solistes pour leçons d'accompagnement.
Disques de « lecture au son » pour élèves radio (Pelletier).
Applications scientifiques.
Laboratoire de phonétique : étude et analyse de la parole.
Cinématographe sonore et parlant.
Transmission ultra-rapide de dépêches par textes enregistrés à vitesse normale, transmises et reçues à très grande vitesse par réenregistrement, entendus et sténographiés à vitesse normale ou lente. Résultat : texte considérable transmis dans le même temps.
Film phonographique : film supportant un grand nombre de « chemins » obtenus par gravure phonographique, permettant des auditions de longue durée (procédés Lioret ; Faucon- Johns ; Huguenard).
Horloge parlante de l'Observatoire.
Applications pratiques.
Machine à dicter : Dictaphone Edison.
Phonographe invisible en meuble ou table de style : Charmophone (brevet H. Hurm).
Carte postale sonore. Edition sonore à sillons serrés pour auditions relativement longues.
Correspondance phonographique par petits disques incassables s'enregistrant sur l'appareil spécial (genre Pathépost).
Changeur de disques et d'aiguilles. Nombreux modèles de 10 à 25 disques avec ou sans retournement.
Phonographe automatique, fonctionnant par pièce de monnaie.
Phonographe-valise pour le transport facile.
Phonographe-pliant de poche (!).
Phonographe fonctionnant en tous sens : verticalement ou renversé (paquebots).
Radio-Phono-Enregistreur enregistrant et reproduisant ce que reçoit le poste par radio ou microphone.
Phonographe publicitaire fonctionnant par l'ouverture d'une porte.
Auditions phonographiques dans les wagons par casque individuel.
Phono-speaker pour musées, expositions, panoramas, grands magasins, halls de gare, stades, réunions publiques.
Phono-avertisseur pour voitures automobiles, donnant les intentions du « chauffeur » en phrases lapidaires criées en très grande puissance (brevet H. Hurm).
Disques de publicité. Impression de textes et de dessins sur carton recouvert de cellophane recevant l'empreinte de la matrice (sillon sonore).
Phono-Studio-Morse : appareil pour apprendre à « lire au son » (brevet H. Hurm).
Ampli « Phono-Campanile » pour remplacer cloches et carillons dans les clochers.
Disques de propagande nationale, politique, commerciale.
Voiture haut-parleur : publicité, annonces, avertissements.
Enregistrement automatique ou non de conversations téléphoniques.
Disques pour cours de danse chorégraphie (Giration de G. Pierné, premier ballet phonographique).
Livre parlé pour lecture aux aveugles (réalisé par Lioret et plus récemment par M. Thomas).
Concerts, représentations théâtrales, conférences, interviews et reportages radiophoniques différés utilisant l'enregistrement préalable du programme à transmettre par radiophonie.
Disques de bruits de fond pour pièces théâtrales et disques de musique de scène.
Concerts radiophoniques transmis directement par disques.
Le théâtre phonographique : disques de Bach et Laverne, René-Paul Groffe, etc.
Phonographe forain remplaçant les orgues ou orchestrions (hélas !).
Avertissements et renseignements aux usagers du téléphone.
Applications originales et amusantes.
Phono-réveil dont la sonnerie est remplacée par un disque de musique gaie et entraînante cependant que s'allume un réchaud sous le petit déjeuner !
Phono-chien qui aboie en cas d'effraction...
Lampe-phono : l'appareil est dissimulé dans l'abat-jour d'une grande lampe à pied.
L'affiche parlante. Le phono dissimulé derrière l'affiche se met en marche lorsqu'on s'en approche (cellule photo-électrique).
Disques pour théâtre de marionnettes et de Guignol.
Poupée parlante de Lioret. Parle et chante au moyen de petits cylindres interchangeables. Ruban parlant par frottement de l'ongle sur sa surface.
Disques comestibles ! Biscuits recouverts de caramel matrice...
A quand le disque « témoin légal » ? Non admis par la Xe Chambre civile de la Seine (H. Hurm 1938).
Cette énumération certainement incomplète montre jusqu'à quel point le phonographe s'est implanté dans nos mœurs.
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Il est, cependant, une application du phonographe que nous avons passée sous silence dans la présente liste. En raison de son importance nous l'avons réservée pour un exposé plus complet dans les lignes qui suivent.
Nous savons que nous allons ici à l'encontre des ordonnances pontificales et que nous allons soulever de graves questions liturgiques. Il s'agit, en effet, de l'emploi du phonographe pendant les offices religieux.
Nous comprenons fort bien qu'un interdit ait été prononcé par le Pape contre le phonographe du début. Ce n'était que juste. Mais les temps ont changé, le progrès a fait son œuvre et nous pouvons affirmer, après essais des plus probants, que le reproducteur électrique de haute fidélité peut parfaitement remplacer les grandes orgues, le chantre, les chœurs, l'orchestre et les solistes dans toutes les manifestations religieuses. Et cela avec une vérité telle, que tout fidèle non prévenu n'en pourrait supposer la présence !
On nous objectera que l'emploi du phonographe dans une église est impossible parce que non liturgique. C'est exact, mais n'y a-t-il pas de nombreux précédents ? C'est ainsi que la flamme du cierge a été remplacée par une ampoule électrique ; les cloches et carillons sont fréquemment mus électriquement et même, parfois, remplacés par un disque amplifié par un haut-parleur placé dans le clocher ! Les orgues sont jouées à distance par transmission électrique. L'antique soufflerie à levier a fait place à la turbine électrique ; la parole du prédicateur est retransmise dans les endroits les moins favorisés de l'église par des microphones et des haut-parleurs ; les offices religieux et jusqu'à la bénédiction papale sont diffusés par la radio. Le corbillard lui-même est remplacé par le fourgon automobile ! Au surplus des considérations importantes plaident en faveur de la musique phonographique dans les églises. Bien entendu son usage devra faire l'objet d'études approfondies, semblables à celles que nous avons signalées pour l'éducation nationale. Il ne faudrait pas, par exemple, généraliser son application dans les diocèses ayant à leur disposition tout le personnel de maîtrise digne de ce nom. Il ne peut être question de supprimer ces emplois qui font vivre une partie de la population des villes ou des bourgades. Dans ce cas, le phonographe ne servirait qu'à combler une lacune ou à augmenter l'ampleur d'une solennité. Mais où le phonographe devient indispensable, là où son rôle atteint au spiritualisme, c'est dans les églises de petits villages, dans les petites chapelles perdues dans les hautes montagnes que les fidèles ont peu à peu délaissées parce que trop éloignées et où la foi s'est estompée et souvent a disparu... Le phonographe permettrait à ces paroisses déshéritées la célébration d'offices religieux de la plus grande beauté (comme n'en ont certes pas beaucoup d'églises de nos grandes cités). Quelle portée religieuse et morale ne peut-on espérer obtenir de cette innovation ? Combien de ces pauvres paroisses abandonnées verraient revenir à elles de fidèles indifférents, de brebis égarées ? Attirés par la curiosité, ils assisteraient à la première messe ainsi célébrée, et y reviendraient fatalement ! C'est que cette grandiose et solennelle musique est bien autre chose que la voix fausse d'un vieux chantre accompagné (pas souvent !) avec un doigt sur l'harmonium poussif ! Chanter faux n'est plus supportable depuis que la radio chante juste à longueur de journée jusque dans les endroits les plus perdus de la terre. Et les fidèles reviendront tous à leur petite chapelle pour entendre la « belle musique » dont ils sont si privés... ainsi que les bonnes, les saintes paroles de leur brave curé... Ils quitteront l'office aux sons d'une « sortie » majestueuse, déferlant d'un disque de grandes orgues, en se promettant de revenir à la cérémonie prochaine. Ils n'y manqueront pas... ! Quelle victoire pour le phonographe !
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Depuis quelques années le phonographe prend une place de plus en plus importante dans les théâtres et music-halls. Musique de scène, bruits de coulisses lui sont confiés et certains effets, parfois impressionnants, ne peuvent être obtenus que par lui. C'est ce dernier point qui nous incite à nous étendre quelque peu sur l'application au théâtre du phonographe et surtout du phonographe enregistreur-reproducteur. Cet appareil est, en effet, d'une utilité incontestable pour la mise au point d'une scène délicate. Il est difficile à un auteur, à un directeur ou à un metteur en scène de faire certaines observations à des acteurs réputés. Dans ce cas, le passage jugé défectueux sera enregistré sur disque. Son audition suffira aux artistes pour leur montrer les endroits faibles. La rectification se fera d'elle-même et sans froissement possible. De plus, l'enregistreur-reproducteur permettra l'enregistrement à pied d'œuvre de disques particuliers à chaque spectacle, concernant les bruits de coulisse, les bruits de fond, etc. C'est ainsi que, dans plusieurs revues de l'A.B.C., Margaritis (l'un des Chesterfield's) l'a utilisé pour corser des effets de foule. Comme, par exemple, une fête foraine dont on ne voyait et n'entendait sur scène qu'une trentaine de figurants se pressant devant la parade en musique de deux baraques. Dans la coulisse, le disque enregistré spécialement ajoutait aux bruits de la scène celui des orgues de manèges, orchestres de cirques, appels de cloches, roulements de montagnes russes, cris, interpellations, bref, tous les bruits, proches et lointains qui forment l'ambiance d'une fête foraine. De la salle, c'était l'impression absolue de la réalité. Il en fut de même pour un hall de gare au moment du départ houleux d'une veille de vacances, ainsi que pour la salle tapageuse d'un grand restaurant à l'heure du coup de feu. Le plus étonnant, c'est que ces effets sensationnels étaient obtenus par des disques réalisés dans une petite pièce seulement par deux ou trois personnes munies d'accessoires appropriés. Le disque, lui aussi, possède ses coulisses et dispose des truquages les plus inattendus. C'est ainsi que nous avons réalisé pour la Comédie-Française un enregistrement qu'il nous serait pénible de passer sous silence après ce que nous avons déjà dit. Il nous fut demandé au dernier moment, douze heures avant la répétition du lendemain matin, la « générale » ayant lieu le soir suivant ! Il s'agissait d'obtenir les beuglements d'un grand troupeau de bœufs sauvages, présage d'un malheur imminent, dans la pièce Bolivar. On nous avait proposé de nous transporter avec notre appareil aux abattoirs de la Villette ! Nous réalisâmes ce disque par nos propres moyens, seul et sans aide, au cours de la nuit, au moyen d'enregistrements et de réenregistrements successifs combinés avec le microphone par mélangeur. Nous avons mis là à profit un ancien talent d'imitation, succès de notre jeunesse, dont nous nous étions souvenu fort à propos ! Il ne fallut pas moins de douze disques pour arriver au résultat final. L'effet dans la salle était saisissant et intrigua la majorité des spectateurs, le disque étant insoupçonnable. Nous regrettons toujours le refus de l'Administration de mentionner, à la rubrique le Troupeau de bœufs, notre nom sur le programme ! La série d'enregistrements faits pour Madame Capet au Théâtre Montparnasse était très importante. Au dernier acte, la marche au supplice par les tambours fut fort impressionnante. On voit tout l'intérêt que représente pour le théâtre le phonographe et surtout l'enregistreur-reproducteur. Là également, l'appareil doit être de haute classe et confié à des mains expertes (4).
(4) Pour terminer ce chapitre sur l'utilisation du phonographe, il est plaisant de citer ce qu'en dit le professeur Bouasse de l'académie de Toulouse, dans le tome III, page 484, de son Cours de physique :
« L'utilité pratique du phonographe est rigoureusement nulle. Je me demande toujours si c'est du mirliton, de la flûte à l'oignon ou de la pratique de polichinelle qu'il faut rapprocher le timbre de cet instrument délicieux. Conserver les phonogrammes des acteurs illustres, en faire un musée, est de la plus aimable sottise. Peu nous importe comment parlait Talma ou Cicéron ? Qu'en conclure, sinon que les goûts changent et que ce qui charmait nos pères nous semble affreusement ridicule ? Toujours vivre dans le passé, avec les morts et la poussière, voilà l'idéal de nos savantasses transformés en historiens ou de nos historiens mués en savantasses !
« Le phonographe est le piano du pauvre. Ayons de l'indulgence pour ses défauts et son exaspérante manie de répéter les « morceaux » les plus saugrenus de ce que les musiciens ont enfanté. »
Après une description de l'enregistreur de Poulsen, M. Bouasse termine :
« Devant de telles inventions, on ne sait ce qu'il faut admirer le plus : leur extrême ingéniosité ou leur parfaite inutilité »…
Le phonographe à la séance de l’Académie des Beaux-Arts (27 avril 1889)
A gauche : le Duc d’Aumale ; au milieu : des Cloiseaux ; à droite : Janssen, debout ;
au premier plan : Gounod enregistrant : « Il pleut, bergère… »
La récolte au Brésil de la cire du Carnauba servant à la composition du cylindre du Phonographe
(clichés Physique populaire de M. Desbeaux, Flammarion édit.)
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DU PHONOGRAPHE
Nous avons dit : « Peu de personnes savent jouer du Phonographe. » C'est un fait. Si le terme « jouer un disque » est, néanmoins, universellement employé, il l'est strictement dans ce sens : « tirer des sons d'un instrument de musique », c'est-à-dire que l'on « joue un disque » — et par extension du phonographe — exactement comme l'on « joue » de l'orgue de Barbarie, de l'orchestrion ou de la boîte à musique. Dans ce cas, le phonographe moud des sons, mécaniquement, sans qu'aucune modification raisonnée n'en améliore le résultat.
La première audition d'un enregistrement quelconque passé sur son phonographe personnel peut être comparée à une lecture à vue. Il est rare qu'elle donne complète satisfaction à une oreille tant soit peu musicienne soit comme sonorité générale, soit comme exactitude des timbres, éclat des aigus, plénitude des graves, etc. De même que l'artiste, après la première lecture d'une œuvre, en recherche, au cours de reprises successives, la plus parfaite interprétation, le possesseur du disque devra, lui aussi, rechercher la meilleure utilisation des possibilités de son appareil — mieux, de son « instrument » — pour parvenir à la reproduction la plus satisfaisante.
On n'achète pas un disque pour ne l'entendre qu'une seule fois ! On le possède pour son propre plaisir et pour celui de son entourage. Plaisir toujours renouvelable et d'autant plus fréquemment qu'il donnera de satisfactions auditives. Il est donc normal de chercher à en obtenir le maximum d'impressions artistiques. Les moyens pour y atteindre existent mais sont restés méconnus de la grande majorité des usagers et même de beaucoup de critiques du disque dont les comptes rendus — bien que sincères — étaient faussés par l'absence d'une mise au point possible, mais insoupçonnée. Et ces moyens, une fois connus, doivent être appliqués méthodiquement. Or, voici réalisée pour quiconque aime le beau et désire se perfectionner, la Première Méthode de Phonographe que nous commençons sans plus attendre.
CHAPITRE I
QUELQUES MOTS SUR L'ENREGISTREMENT
Depuis de longues années le disque à aiguille est seul employé. Il est bon, néanmoins, de connaître les particularités des deux procédés d'enregistrement : celui pour disque à saphir et celui pour disque à aiguille. On appréciera mieux la valeur de celui qui a triomphé dans cette course vers la perfection.
Dans le cylindre ou le disque à saphir la gravure se fait en profondeur, c'est-à-dire que le sillon est rectiligne et que les vibrations se gravent en creux plus ou moins profonds par rapport à la surface de la cire. La boule minuscule de saphir du diaphragme reproducteur doit suivre les ondulations du sillon à reproduire exactement comme le fait le wagonnet des montagnes russes sur des pentes accidentées. La membrane placée horizontalement, (soit parallèlement à la surface du disque), entre donc en vibration en se déplaçant alternativement de chaque côté de son point mort. Le boîtier du diaphragme doit être suffisamment lourd pour opposer une force d'inertie aux sollicitations des déplacements de la membrane. Il reste donc parfaitement immobile et la membrane peut répondre à l'amplitude totale des vibrations, sans amortissement. On comprendra aisément qu'au cours de la reproduction de vibrations rapides (allant jusqu'à 8.000 et plus par seconde) le saphir, qui n'adhère à la surface du sillon que par le poids du diaphragme, ne peut en suivre intégralement toutes les sinuosités, le plus souvent très complexes. Il ne pourra que « frôler » la partie supérieure des dos d'âne du sillon, sautant de l'un à l'autre, n'ayant pas le temps d'en descendre et d'en remonter les pentes qui les séparent. Dans ces conditions, le son reproduit sera incomplet, hachuré, manquant de précision et de pureté.
Coupe par l’axe du sillon d’un disque à saphir (grossi)
Figure extraite de « Phonographes et musique mécanique », par Eug. Weiss (Hachette, éd.)
Le disque à aiguille a été reconnu comme donnant les meilleurs résultats. En effet, le burin graveur trace dans la cire un sillon angulaire de profondeur constante. Les vibrations du burin provoquées par les sons émis, déforment le sillon latéralement, de chaque côté du point mort. Le sillon se présente donc sous l'aspect d'un trait ondulé parallèlement à la surface du disque. A la reproduction la pointe de l'aiguille reposera sur le fond angulaire du sillon et sera maintenue sans le moindre jeu, entre ses deux parois. En se déplaçant le sillon oblige la pointe de l'aiguille à suivre tous ses méandres dans leurs plus subtiles complexités. L'aiguille vibre exactement comme l'avait fait le burin graveur sans déformation ni déperdition. D'où exactitude et vérité.
Il suffit de regarder avec une forte loupe le sillon d'un disque pour constater l'infinie diversité de sa forme ! Mais, chose étrange, ce sillon ne présente qu'un seul trait ondulé. Ce n'est en conséquence que le tracé d'une vibration unique... Et cependant, c'est bien lui qui nous fait entendre ces grandioses, symphonies, ces jazz trépidants aux multiples sonorités ! Quel est donc ce troublant mystère qui vient de vous être révélé et dont la presque totalité des usagers du phonographe n'ont pas conscience ? Bien peu se sont aperçus de ce fait, paraissant étrange à première vue, qui est à la base du phonographe. Il a provoqué, même inconsciemment, le scepticisme d'abord, puis l'étonnement et l'admiration des savants.
Pour ceux qui désirent approfondir les choses dont ils s'occupent, nous allons essayer de donner une explication, aussi simple et aussi intelligible qu'il se pourra, de ce phénomène. Pour plus de facilité, nous choisissons l'enregistrement mécanique par diaphragme.
Rappelons tout d'abord, qu'une membrane immobilisée sur la totalité de son pourtour répond à toutes les vibrations de l'échelle musicale. Il en est ainsi pour la membrane des récepteurs téléphoniques, des microphones, des diaphragmes de phonographe, celle du tympan de l'oreille, etc.
Le style enregistreur fixé au centre d'une telle membrane peut se comparer au flotteur d'une ligne de pêche reposant à la surface d'une eau dormante. Un corps quelconque, tombant dans le liquide, y provoque, concentriquement à son point de chute, une onde dont la propagation s'effectuera de proche en proche par vibration moléculaire verticale, sans déplacement de la masse liquide. Au passage de cette onde, le flotteur restera à sa place, mais sera animé d'un mouvement vertical de va-et-vient, fidèle image de l'onde passant à cet endroit. Si plusieurs corps, de forme, de volume et de poids différents, tombent en divers points de la surface de l'eau, chacun d'eux deviendra le centre d'ondes différentes comme amplitude et fréquence. Ces ondes se croiseront sans altération, mais au point de leur rencontre, la surface de l'eau sollicitée par des déplacements moléculaires dont les forces se combinent en plus ou en moins, subira des déformations au cours de son mouvement de va-et-vient. Le flotteur les reproduira intégralement et s'il avait été disposé pour inscrire ses déplacements sur une bande se déroulant devant lui, le résultat serait le tracé d'une ligne unique aux ondulations de formes variées. Chaque point de cette ligne représentera les forces combinées de toutes les ondes qui se sont rencontrées sous le flotteur à un instant donné.
Il en sera de même pour les vibrations sonores produites en divers points de l'espace. Ces vibrations se propageront sphériquement, de proche en proche, par couches d'air successives et se croiseront sans altération, mais combineront leurs forces à chaque point de leur rencontre. Il est à présumer que la membrane du diaphragme entre en action sous la poussée de cette vibration combinée, mais unique, véritable synthèse de toutes celles qui l'ont formée. (Il doit en être de même pour le tympan). Comme pour le flotteur, le style enregistreur fixé au centre de la membrane en suivra toutes les fluctuations et inscrira dans la cire un sillon unique dont la forme, des plus complexes, sera la résultante de toutes les vibrations qui ont participé à sa formation.
Reste à expliquer ce qui se passe à la reproduction : agissant en sens inverse, le sillon, dans son déplacement, entraînera le style reproducteur qui obligera la membrane à vibrer d'une manière identique à celle qui a produit l'enregistrement. C'est donc la vibration combinée unique qui sera reproduite par la membrane et propagée par l'air ambiant jusqu'à l'oreille de l'auditeur. Le tympan vibrera alors sous son action, exactement comme il l'aurait fait sous l'action combinée des vibrations initiales. C'est à ce moment que l'organe de l'ouïe en fera l'analyse, à l'aide des milliers de fibres de la membrane basilaire flottant à l'intérieur du limaçon. Dès que les fibres seront touchées par la vibration résultante, elles en opéreront la discrimination et transmettront chaque vibration, individuellement et fidèlement reconstituée, jusqu'au cerveau, par l'intermédiaire du nerf auditif, partie terminale de la membrane basilaire. C'est dans le cerveau que chaque vibration, ainsi séparée l'une de l'autre, se transforme en sensation sonore ; le cerveau les percevra toutes, quel qu'en soit le nombre.
Lorsqu'on connaît et comprend les phénomènes qui viennent d'être exposés et qu'on écoute une reproduction phonographique vraiment artistique, on ne peut qu'admirer la simplicité des moyens mis en œuvre pour parvenir à une telle perfection dans les résultats. En effet, si l'on cherche à reconstituer par la pensée la marche des multiples vibrations provenant de tous les instruments et de toutes les voix participant à l'exécution de la IXe Symphonie de Beethoven, par exemple, on reste littéralement confondu devant l'extrême complication que doit présenter l'enchevêtrement de toutes ces vibrations. Non seulement elles sont émises en des points différents de l'espace, mais elles sont inégales de puissance, de longueur d'ondes et de timbre. De plus, elles se propagent sphériquement (ne l'oublions pas). Quel fouillis indescriptible doivent former dans la masse des molécules de l'air, tous ces ventres et ces nœuds de vibrations, ainsi que les harmoniques, les ondes réfléchies par les parois de la salle d'exécution, etc. Et cependant, tout cela a été inscrit sur le disque et s'y trouve fixé pour toujours dans ce mince trait aux ondulations quasi invisibles ! Pour nous, l'audition d'un disque provoque toujours un sentiment d'admiration jamais atténué. Tant de complexité intégralement soumise et rendue avec tant de vérité et de... facilité ! Cela tient du prodige et en cela le phonographe est et restera un appareil miraculeux.
CHAPITRE II
C'est en 1926 que le disque du Messie de Haendel, enregistré par 3.500 exécutants fit connaître aux amateurs enthousiasmés l'enregistrement électrique. Toutes les sociétés d'éditions sonores s'équipèrent aussitôt avec le nouveau procédé qui supplanta totalement l'enregistrement mécanique. Les progrès furent constants et ce fut la montée rapide vers la perfection. Quant au reproducteur mécanique à diaphragme, c'est encore le plus répandu. Son prix abordable le met plus facilement que le reproducteur électrique à la portée de tous. Malheureusement, la course à la baisse, entreprise par la concurrence, est des plus néfastes à la qualité qui reste généralement mauvaise. D'autre part la technique des reproducteurs électriques n'est parvenue que par une lente progression au degré de perfection actuelle. C'est dire que jusqu'alors les résultats n'étaient pas entièrement satisfaisants. Il faut dire aussi qu'une légion de « Radio-électriciens improvisés » (!) construisirent des appareils « combinés radio-phono » ou des reproducteurs genre Electrophone à des prix ne permettant pas d'utiliser un matériel sérieux ; leur technique — improvisée, elle aussi — est aussi défectueuse que les résultats de leurs productions.
C'est probablement à l'insuffisante qualité des reproducteurs — que l'on supposait parfaits — que l'on doit la haute valeur technique des enregistrements ! En effet, les ingénieurs ont été conduits à la recherche et à la réalisation d'un enregistrement donnant satisfaction malgré cette insuffisance des reproducteurs. Il se trouve qu'un disque jugé simplement bon, il y a quelques années, se révèle excellent lorsqu'on le joue sur un appareil de conception récente et l'on est surpris d'y découvrir quantité de détails et de finesses jusqu'alors insoupçonnés. C'est ce qui faisait dire à un éminent critique que ce nouveau type d'appareil « magnifiait » le disque. Chacun peut obtenir ce même résultat, mais il ne suffit pas de posséder un excellent « instrument », il faut, nous le répétons « savoir en jouer ».
CHAPITRE III
CONSTITUTION ET CARACTERISTIQUE DES DISQUES
L'enregistrement se présente sur le disque, comme chacun le sait, sous la forme d'une spirale à spires très rapprochées. On en compte normalement 3 3/4 par millimètre, ce qui donne une durée d'audition de trois minutes maximum pour les disques de 25 cm. de diamètre, et de quatre minutes pour ceux de 30 cm. Ce que l'on sait moins, c'est que certains disques sont gravés en spires plus serrées afin d'y faire tenir des œuvres de durée plus longue (dépassant 5 minutes pour un disque de 30 cm.). On peut ainsi faire tenir sur une face de 25 cm. le contenu habituel d'une face de 30 cm. On est même parvenu à placer sept spires par millimètre, ce qui a permis l'édition de cartes postales donnant des auditions de plus de deux minutes et demi, et des petits disques publicitaires de 5 cm. donnés comme prime dans des paquets de cigarettes ! Mais ce que l'on ne sait peut-être pas, c'est que plus les spires sont rapprochées, plus le sillon est fin et peu profond. En conséquence la puissance d'enregistrement doit être réduite sous peine de faire chevaucher les vibrations des spires voisines. Il faut surtout sacrifier les sons graves dont l'amplitude est la plus grande en les compressant au moyen de montages électriques agissant sur la transmission électro-acoustique. Le résultat auditif est donc incomplet. De plus la finesse du sillon le rend très fragile et réduit beaucoup le nombre d'auditions pures.
D'autres procédés pour avoir des auditions de longue durée ont été mis en pratique. Aucun n'est encore arrivé à s'imposer. Parmi les principaux figurent l'enregistrement à vitesse linéaire constante et l'enregistrement 33 tours 1/3. Ces deux procédés présentent l'avantage de donner des auditions ininterrompues d'oeuvres importantes telles que symphonies, sonates, cantates, théâtres, etc. Leur grand défaut réside dans l'obligation d'utiliser une vitesse aussi lente que possible. Il en résulte une sonorité amputée et manquant de puissance. Ces procédés nécessitent des appareils reproducteurs spéciaux.
Puisque nous en sommes à la question de vitesse pour l'enregistrement du sillon, il est à remarquer que la sonorité et la force données par un disque normal varient de façon constante du début à la fin de l'audition. Le son s'assombrit et la puissance diminue. La lenteur régulière de cette transformation fait que l'oreille ne la remarque pour ainsi dire pas. Ce phénomène provient de la diminution progressive de vitesse du sillon par rapport à l'aiguille, perte due à la différence de diamètre qui existe à chaque spire, de la première à la dernière. En effet la vitesse du moteur restant la même, celle du sillon à la première spire couvre 88 cm. environ, en un peu moins d'une seconde. A la dernière spire la distance à parcourir n'est plus que de 29 cm. dans le même temps, soit, à peu de chose près, trois fois moins.
Dans ces conditions, la gravure d'une vibration donnée est trois fois plus dense en fin d'enregistrement qu'à son début. En conséquence, les courbes du sillon beaucoup moins allongées se gravent plus difficilement. Le burin trouvant plus de résistance dans la matière plastique subit un amortissement mécanique qui en modifie l'amplitude. Le même effet se produit au cours de la reproduction et s'ajoute à celui de l'enregistrement. C'est l'une des raisons pour laquelle Charles Cros proposait de préférence l'enregistrement sur cylindre.
C'est pourquoi l'on a été amené à rechercher la vitesse idéale donnant satisfaction à l'ouïe tout en conservant une durée d'audition raisonnable. Les premiers disques tournaient à des vitesses variant de 90 à 80 tours par minutes. Elle est maintenant standardisée à 78 tours. Le nombre de tours auxquels un disque doit être joué est indiqué sur l'étiquette. Cette vitesse doit être obligatoirement respectée pour obtenir une reproduction exactement semblable à l'enregistrement. Une différence de deux tours en plus ou en moins provoque une modification d'un demi-ton plus haut ou plus bas que la tonalité originale. De plus les timbres sont transformés au point de changer un baryton en soprano ou inversement. Nous reviendrons du reste sur cette importante question.
Signalons également un phénomène d'écho assez étrange puisqu'il se produit avant l'audition principale ! Il est dû à la trop grande amplitude de l'enregistrement qui ne laisse entre deux spires qu'une paroi tellement mince que la cire s'est légèrement déformée à cet endroit sous la pression latérale du burin. Cette déformation affecte l'une des faces du sillon constituant la spire précédente. C'est elle qui engendre les sons très atténués, comme ceux d'un écho, avant d'entendre normalement les sons principaux de la spire suivante. Le cas est très rare mais il valait une explication.
Que nous réserve l'avenir ?
ou les surprises du progrès
Nous avons dit pourquoi, au début de cette seconde partie (pages 83 et 84), l'enregistrement latéral à aiguille subsiste seul, pour le disque, depuis plus de trente-cinq ans. Mais que nous réserve l'avenir ? Ne faut-il pas compter sur l'instabilité des choses d'ici-bas ? Justement, nous venons d'apprendre que l'enregistrement en profondeur, dit à saphir, était sur le point de prendre une éclatante revanche ! Les résultats sont, parait-il, inouïs, au sens propre de ce mot. A la réflexion, il parait fort possible que les perfectionnements apportés à l'enregistrement et à la reproduction électrique doivent améliorer considérablement l'ancien procédé, qui n'était que mécanique. Entre autres, la grande souplesse des palettes mobiles de certains pick-up, comparée à la rigidité des membranes de diaphragmes doit permettre au style reproducteur de suivre intégralement les sinuosités de la gravure. Comme celle-ci est faite en profondeur, rien ne s'oppose à l'inscription totale de l'amplitude des vibrations graves. Elles n'auront plus besoin d'être compressées, comme on est obligé de le faire dans la gravure latérale, afin d'éviter le chevauchement des sillons contigus. Les notes graves ayant toute leur valeur, les auditions auront une plus grande homogénéité, seront plus réelles. De plus les spires pourront être très proches l'une de l'autre et la durée des reproductions s'en trouvera notablement augmentée. Le style reproducteur serait non plus une boule, mais une pointe de saphir. Nous pensons qu'il sera possible d'utiliser les aiguilles non métalliques, comme par le passé, et que leur emploi, bien compris (voir pages 166 et 167) donnera, sans nul doute, d'incomparables auditions d'art.
On parle également d'appareils utilisant de nouveaux procédés d'enregistrement sur films. Ces reproducteurs donnant des auditions de très longues durées seraient destinés aux salles de spectacles, aux dancings, aux lieux publics, etc.
On le voit, la guerre n'a pas arrêté l'activité des chercheurs. Dès la paix signée, nous pouvons nous attendre à de nombreuses surprises.
Nous pensons, malgré tout, que le disque à aiguille n'est pas près de disparaître. Il restera encore longtemps en service, même si aucun perfectionnement ne lui est apporté. Il y en a beaucoup trop, et d'excellents, dans d'innombrables discothèques, pour songer à son abandon d'ici peu. Reprenant la forme d'une dépêche célèbre, nous pouvons affirmer que : « Disque à aiguille... pas mort ! »
Les progrès continuels apportés à l'enregistrement amènent des variations fréquentes dans la sonorité générale des reproductions. Elle est, selon les cas, grave ou aiguë, sombre ou brillante et l'oreille n'est pas toujours pleinement satisfaite du résultat. C'est à l'usager d'y remédier en mettant à profit les moyens que nous lui indiquons dans les chapitres qui suivent.
CHAPITRE IV
Le classement des appareils reproducteurs peut se répartir comme suit :
Phonographes mécaniques
1° Phonographes-jouets : Ces petits appareils de très bas prix sont, le plus souvent, construits en fer blanc estampé et agrafé. Jouant de tous petits disques de quelques centimètres, ils ne produisent que d'horribles sons, criards et nasillards, aux vitesses inconstantes et vacillantes. S'adressant à la prime jeunesse, ces appareils sont, selon nous, des plus néfastes à la formation musicale et artistique de l'enfance. Il devrait y avoir des lois interdisant tout ce qui peut être une cause d'obstacle à la formation artistique. Nous ne saurions trop recommander aux parents de ne pas laisser entre les mains de leurs enfants ces jouets indésirables. Ils s'éviteront à eux-mêmes l'exaspérante torture infligée à leurs oreilles... et à celles de leurs voisins !
2° Phonographes portatifs : Ils se présentent sous la forme de valises plus ou moins volumineuses. Ce genre d'appareil a fait de grands progrès comme présentation et rendement sonore. On comprendra que la sonorité et meilleure dans les grands modèles à cause du grand volume du pavillon ou « conque » intérieur. C'est actuellement le type de phonographe le plus répandu. Son prix est très abordable et sa sonorité est parfois fort bonne dans les fabrications de qualité. Presque tous sont équipés avec des moteurs mécaniques à barillet ne jouant qu'une face et demie ou deux par remontage. Le moteur électrique est quelquefois utilisé et remplacera certainement dans un proche avenir le moteur mécanique. Certains tourne-disques sont entraînés par des moteurs à double usage, mécanique ou électrique à volonté. Le choix d'un moteur est une question de prix.
3° Phonos-coffrets : Appareils d'excellente qualité. Leurs pavillons intérieurs de bonne dimension, l'épaisseur et la qualité des bois employés à la fabrication du coffret, concourent à la beauté des auditions. Le moteur mécanique est plus important, la question de poids n'étant plus à envisager dans un appareil non transportable. Ils peuvent jouer trois faces, et même plus, par remontage. Le moteur électrique y est de plus en plus utilisé. Des portes ou volets mobiles placés à l'ouverture du pavillon peuvent régler la puissance sonore.
4° Phonos-meubles : De classe supérieure, ces appareils possèdent de grands pavillons exponentiels donnant le maximum de qualité et de puissance. La grandeur du meuble offre une importante surface de réflexion, avantageuse à la propagation sonore. Les phonos-meubles n'utilisent que des moteurs mécaniques puissants à plusieurs barillets, ou des moteurs électriques. Avant la création de ces derniers certains moteurs mécaniques pouvaient se remonter par l'intermédiaire d'un moteur électrique adapté à cet effet. Les phonos-meubles de bonne fabrication et ceux des grandes marques possèdent les derniers perfectionnements acoustiques et mécaniques. Les diaphragmes de haute qualité doivent seuls être adoptés pour ces modèles parfaits. Le bas du meuble est agencé pour recevoir une assez grande quantité de disques et albums.
CHAPITRE V
De même que les lampes de T.S.F. ont apporté des modifications totales dans l'enregistrement, la reproduction a subi une évolution, plus lente il est vrai, mais tout aussi profonde.
La reproduction par pick-up (lecteur magnétique) et amplificateur à valves électroniques est maintenant parvenu à un haut degré de perfection. C'est le procédé qui donna la plus grande vérité sonore, au point qu'il est possible, avec de bons appareils, de confondre la reproduction avec la réalité ! On comprendra donc que les auditions artistiques les plus parfaites, les plus intégrales ne peuvent être obtenues que par ce genre de reproducteur.
Comme pour le phonographe mécanique, le reproducteur électrique pour disque se présente sous forme de valise, coffret et meuble. Le modèle n'entre pas en ligne de compte pour la qualité de reproduction si c'est le même pick-up et le même ampli qui les équipent tous. Seul l'écran du haut-parleur électro-dynamique a une influence sur la sonorité. Il est préférable, dans tous les cas, de placer le haut-parleur, sur un écran à part, d'un mètre minimum que l'on peut dissimuler de façons différentes, comme nous le dirons en son temps. Cette disposition, ou le grand meuble dont les portes ouvertes augmentent la surface réfléchissante, donne le résultat optimum. Maintenant tous les postes récepteurs de radiotéléphonie possèdent une prise pour y adapter un pick-up. L'audition du disque est amplifiée par l'étage B.F. du poste et donnée par son haut-parleur. En ce cas, la qualité de l'audition dépendra de celle de l'appareil récepteur.
Le choix d'un reproducteur étant subordonné aux possibilités budgétaires, l'acquéreur trouvera dans les pages qui vont suivre tous les enseignements qui lui permettront de tirer le meilleur parti de l'appareil de son choix.
CHAPITRE VI
UN PHONOGRAPHE MÉCANIQUE
Quel que soit le type de phonographe dont on désire faire l'acquisition, il faudra en faire un essai sérieux, tout comme l'artiste examine et essaye l'instrument de musique dont il doit se servir. Il faut pour cela connaître les qualités que doit réunir un bon appareil reproducteur.
Voici, pour ceux qui n'ont jamais eu un phonographe entre les mains, les points sur lesquels ils doivent porter leur attention. Ces indications valent pour tous les types de reproducteurs mécaniques.
1° Tout d'abord, faire un essai de sonorité et de régularité du moteur en écoutant un disque de l'instrument le plus ingrat à reproduire : le piano. Prier le vendeur de vous faire entendre sur disque de 30 cm. un andante ou un maestoso de tessiture très étendue (du plus grave au plus aigu), comme par exemple la première partie de la Rhapsodie Hongroise ou Funérailles de F. Liszt.
2° Le son doit être d'une régularité parfaite, l'attaque des notes précise et pure. Le prolongement des notes tenues devra s'effectuer sans fluctuation donnant au son l'impression de « pleurer ». Un défaut assez fréquent provoqué par un régulateur mal réglé donne aux notes tenues une vibration rapide et hachurée, une sorte de « vrroutage » qui ferait plutôt songer à un son de mandoline qu'à une note de piano !
3° La vitesse du plateau ne doit pas ralentir immédiatement après l'attaque d'accords graves et puissants, ce qui provoque une baisse de ton passagère mais très désagréable pour l'oreille d'un musicien. Ce ralentissement est dû à un moteur trop faible n'ayant pas la force d'entraîner normalement le sillon dont la vitesse est freinée par l'aiguille, au moment du passage de la pointe dans les larges ondulations vibratoires de la gravure.
4° Les aigus doivent rester purs et cristallins, sans déformations ni vibrations parasites, provenant le plus souvent du diaphragme ou de parties métalliques mal assujetties.
5° Les sons graves seront aussi pleins et étendus que possible. Le défaut du phonographe mécanique est d'atténuer considérablement le rendement des sonorités graves. Plus la conque ou pavillon aura un grand volume, mieux les graves seront rendus, sans cependant jamais atteindre ceux donnés par les reproducteurs électriques.
6° Ecouter le morceau entièrement afin de constater si le ressort du moteur est suffisant pour entraîner une face de 30 cm. (bien remplie) sans déperdition de vitesse. Il s'ensuivrait une baisse graduelle de ton. La tonalité ne doit pas varier du début à la fin de l'audition. Une oreille musicale peut seule s'en rendre compte, mais on peut s'aider d'un diapason ou d'un instrument de musique à son fixe, s'il s'en trouve à portée.
7° Le plateau doit tourner parfaitement rond dans le sens horizontal, c'est-à-dire sans déplacement de sa surface dans le sens vertical. Le prendre, si possible, de 30 cm. de diamètre (cela dépendra de la grandeur de la boite). Les grands disques y seront mieux soutenus que sur le petit plateau de 25 cm. Il ne doit pas y avoir de jeu dans l'axe du moteur, pas plus que dans l'assemblage conique du plateau sur cet axe. On le constatera en pratiquant de légères pesées alternatives sur les bords opposés du plateau.
8° Presque tous les phonographes sont maintenant munis d'un arrêt automatique. S'assurer que son fonctionnement est bien silencieux. Certains de ces accessoires font entendre à chaque tour, à partir des deux tiers du disque, un claquement fort désagréable surtout dans les pianissimo de l'exécution. Il est produit par le refoulement du petit galet commandant l'arrêt par l'index qui accompagne, sous le plateau, le mouvement d'avancée du bras acoustique. L'extrême petitesse du déplacement de la molette ne peut faire déclencher le frein d'arrêt. Cela n'aura lieu qu'au moment du grand déplacement de l'aiguille entre la dernière spire et le sillon de repos.
9° S'assurer de la parfaite liberté de mouvement des articulations du bras acoustique.
10° Les diaphragmes sont, en général, à membrane métallique. Nous préférons la sonorité des membranes en mica de grand diamètre (type Gramophone). Le diaphragme doit être parfaitement étanche. On peut s'en assurer en aspirant légèrement l'air intérieur par son unique orifice.
11° Le moteur en marche ne doit produire qu'un bruit à peine perceptible. Dans le type valise, il doit pouvoir entraîner presque deux faces de disque 25 cm.
12° S'assurer, en premier lieu, que le plateau tourne exactement à 78 tours par minute. Ne pas se fier à l'indication du cadran de vitesse qui est presque toujours mal réglé. Se fier à la trotteuse d'une montre en comptant pour plus de rapidité 39 tours pour une demi-minute ou 26 tours pour vingt secondes. On peut également utiliser un petit disque stroboscopique imprimé sur carton (ne fonctionne pas si l'éclairage de la pièce se fait sur courant continu.)
Le phonographe répondant à toutes ces conditions donnera de réelles satisfactions à celui qui saura s'en servir.
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PRÉCISIONS SUR LES « LECTEURS DE SONS »
(Diaphragmes et pick-up)
Nous avons dit page 83 que le boîtier d'un diaphragme doit être lourd pour opposer une force d'inertie aux vibrations de la membrane. Sa rigidité exige, en effet, une masse importante de son boîtier-support pour pouvoir donner son plein rendement. Le poids très élevé du diaphragme est la cause principale de l'usure rapide des disques et des aiguilles. Il y a donc intérêt à soulager la pression de l'aiguille sur le disque par un ressort ou contre-poids compensateur (réglable ou non) ramenant cette pression à 40 ou 50 gr. environ. N'importe quel mécanicien pourra entreprendre ce travail (voir aussi le dispositif à élastique décrit à la page 162).
Pour le pick-up, le poids sera fonction de la plus ou moins grande liberté de la « palette mobile » commandée par l'aiguille. C'est ainsi que le poids du pick-up piezzo-cristal, dont le mouvement latéral de l'aiguille est extrêmement souple, peut être considérablement réduit. Beaucoup de pick-up piezzo-cristal et certains pick-up dynamiques ne pèsent plus que 35 gr. et même moins. C'est un grand avantage pour l'usage des aiguilles non métalliques.
Le phonographe Edison perfectionné
Inscription phonographique des sons musicaux sur le phonographe perfectionné Edison
Le phonautographe de Léon Scott de Martinville construit en 1857
Le premier phonographe d’Edison
Le graphophone de Sumner Tainter
Le gramophone de Berliner
(clichés Physique populaire de M. Desbeaux, Flammarion édit.)
CHAPITRE VII
COMMENT CHOISIR UN PHONOGRAPHE
REPRODUCTEUR A PICK-UP
ET AMPLIFICATEUR ÉLECTRIQUE
Nous avons vu au chapitre précédent que la présentation de l'appareil électrophonique n'influe pas sur sa qualité. Celle-ci dépendra de la technique et du sain apportés à la réalisation de l'ensemble électro-sonore. Néanmoins, si l'on veut obtenir le meilleur résultat il faudra porter son choix sur des modèles utilisant des haut-parleurs électrodynamiques de 24 à 27 cm. de diamètre, dont le panneau, formant écran sonore, soit de grande dimension. C'est pourquoi les meubles d'un mètre et plus de hauteur avec portes presque aussi grandes et s'ouvrant de chaque côté du meuble afin d'en augmenter la surface réfléchissante, sont vivement conseillés.
Haut-parleur : Pour les valises et coffrets, nous insistons particulièrement sur l'emploi d'un haut-parleur séparé, monté sur écran d'un mètre de côté, ou plus si possible. On comprendra mieux la nécessité d'un écran de grande dimension lorsqu'on saura que les sons émis par un diffuseur dit dynamique se propagent de façon différente suivant qu'ils sont graves ou aigus. Les aigus partent directement dans l'axe du cône vibrant. Mais, plus les vibrations sont graves, plus elles dévient de cet axe pour revenir vers l'arrière en décrivant une courbe de plus en plus allongée. Lorsqu'on écoute un dynamique non monté, isolé dans l'air libre, on en perçoit seulement les notes aiguës, les graves se perdent dans l'espace. L'audition est alors plus défectueuse que celle d'un mauvais phonographe mécanique. Aussitôt que ce même « dynamique » est placé derrière un écran de la grandeur voulue, les vibrations qui se perdaient vers l'arrière sont réfléchies, comme la lumière par un miroir, et se joindront aux sons aigus pour la plus grande satisfaction de l'oreille. C'est seulement avec une telle surface réfléchissante que l'audition pourra prétendre aux qualités requises pour provoquer l'illusion de la réalité.
On trouvera toujours moyen de dissimuler cet accessoire encombrant mais primordial quant au résultat. On pourra le placer derrière une tenture légère, sous un châle, derrière un tableau suspendu au mur, sous un piano à queue, devant une cheminée inutilisée d'où retombera une draperie en dentelle qui le dissimulera. Ou bien, comme nous l'avons réalisé pour nous-mêmes, caché derrière une « montre » de faux tuyaux d'orgue posée sur un harmonium ou un piano, ou simplement fixé au mur. Un excellent moyen, lorsque cela peut se faire, est d'utiliser la surface d'un mur ou d'une cloison. Le dynamique y sera placé dans une ouverture ad hoc qui y aura été pratiquée. Un papier perforé ou tenture semblable à celle de la pièce le cacheront parfaitement. On pourra également fixer le dynamique sur un panneau triangulaire aussi petit que possible qui sera placé incliné dans l'angle supérieur d'un côté de la pièce. L'un des côtés du triangle sera posé contre le plafond. Les deux autres côtés longeront les murs et la pointe du triangle coïncidera avec l'angle formé par leur rencontre. Peinture ou étoffe le dissimuleront aux regards. Murs et plafond forment une sorte d'immense pavillon dans lequel se trouvent les auditeurs.
Meuble : Tous les meubles contenant le dynamique doivent être soigneusement construits en bois épais afin de ne pas vibrer sous l'action du dynamique et engendrer des résonances nuisibles à la qualité de la reproduction. Les panneaux devront être parfaitement joints et collés. Les accessoires métalliques d'ornement ou d'utilité, bien vissés. Tout meuble renfermant le haut-parleur, soit seul, soit avec le poste de T.S.F. ou l'amplificateur phonographique, ne doit pas, obligatoirement, être entièrement clos. Le son doit pouvoir s'échapper librement à l'arrière du meuble dont le dos sera fermé par un panneau mobile ajouré ou un cadre tendu d'étoffe. La puissance maximum devra être atteinte sans formation d'effet de Larsen (amorçage d'un sifflement intense). Ce phénomène est dû aux vibrations transmises par le haut-parleur et le meuble aux organes intérieurs d'une ou plusieurs lampes et parfois aux lames du condensateur variable.
Moteur : Le « tourne-disque » est toujours mû électriquement. Il est essentiel d'indiquer au vendeur la nature du courant qui doit actionner l'appareil : alternatif ou continu. Comme pour le moteur mécanique, s'assurer de sa marche silencieuse et régulière, du bon réglage de son régulateur par l'audition d'un disque de piano, de sa puissance d'entraînement sur les accords graves et puissants qui ne doivent pas ralentir sa vitesse, de l'absence de jeu dans les coussinets de cet axe ainsi que dans le raccord conique du plateau sur l'extrémité de l'axe (voir chapitre III).
Pick-up : Il existe plusieurs sortes de pick-up :
1° Le pick-up magnétique, qui est le plus généralement employé. Le choisir de préférence à impédance variable (l'impédance est la résistance qu'offre un bobinage aux courants alternatifs). Nous dirons pourquoi ou Chapitre VI. L'ensemble du pick-up et du bras mobile doit être lourd mais doit posséder un ressort compensateur ou contrepoids ramenant à 40 gr. environ la pression de l'aiguille sur le disque. Le mouvement latéral de l'aiguille sollicitée à la main doit être aussi libre que possible pour produire les meilleurs sons et la plus grande puissance ; l'usure de l'aiguille et du sillon sera moindre qu'avec une palette mobile (porte-aiguille) trop amortie, c'est-à-dire trop serrée entre les masses de caoutchouc qui la maintiennent entre les pôles de l'aimant.
2° Le pick-up piezzo-cristal dont l’idée première revient à René Brocard ainsi que l'atteste une lettre du professeur Langevin en date du 8 novembre 1928. Une première réalisation en fut faite par un préparateur du professeur Verain de la faculté des sciences d'Alger avec les lames de quartz procurées par le professeur Langevin. Le pick-up piezzo-cristal avantage les aigus et par suite fait ressortir le frottement de l'aiguille sur le disque. Sa légèreté est très appréciable pour la conservation des disques. Il nécessite une grande douceur de maniement à cause de sa fragilité relative.
3° Le pick-up électro-dynamique est celui qui monte le plus haut dans la reproduction des sons de l'échelle musicale. Il atteint et dépasse les 10.000 périodes. Appareil délicat et de prix élevé.
Il est difficile, sinon impossible, de juger de la valeur propre d'un pick-up, la qualité d'une audition dépendant de l'ensemble aiguille - pick-up - ampli - haut-parleur. Il n'y a qu'en essayant plusieurs pick-up sur un même ensemble que l'on pourra se rendre compte exactement de la valeur de chacun d'eux. Généralement cet essai comparatif a été fait par le constructeur lors de la mise au point de ses modèles. Seulement, il est juste de dire qu'un ingénieur n'est pas forcément un musicien et que ce qu'il juge parfait théoriquement et scientifiquement peut être imparfait pratiquement pour l'oreille d'un mélomane.
Amplificateur : L'évolution rapide des progrès apportés aux lampes et aux amplis basse fréquence ne nous permet pas d'entreprendre la description et l'étude technique de ce que nous considérons, en ce moment, comme les montages les plus recommandables. Leur nombre est, du reste, important, et ce serait sortir du cadre de ce volume, uniquement consacré à la pratique. Pour cet enseignement, nous renvoyons aux études publiées dans les revues et ouvrages spéciaux.
Qu'il nous suffise de signaler qu'à côté des appareils professionnels très étudiés et fort coûteux, il existe d'excellents amplis B. F. utilisant les montages en push-pull, à contre-réaction B. F., et jusqu'aux chemins multiples dont les registres graves, moyens et aigus, possèdent chacun un réglage indépendant. Ces amplis conviennent parfaitement aux auditions de salons et petites salles. Ils donneront pleine satisfaction aux mélomanes les plus avertis. Ces amplis, bien adaptés aux pick-up et haut-parleurs, sont capables de donner, dès à présent, cette impression de réalité et de présence des exécutants, but de toute audition parfaite. Nous pensons qu'il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'aux chemins multiples, délicats de réglage, pour avoir des auditions de tout premier ordre.
Comme nous l'avons dit, l'audition par pick-up branché sur récepteur de T.S.F. est subordonnée à la qualité du poste. Sur un bon appareil radiophonique dont l'étage B. F. est monté en push-pull la beauté des résultats est identique au meilleur ampli électrophonique de même type (surtout si le meuble du poste présente une grande surface, ou si le haut-parleur est sur un écran séparé de dimension voulue). Dans un meuble, le son doit être clair, naturel et surtout non caverneux.
Puissance : Le volume sonore doit être en rapport avec le lieu où doivent se faire les auditions. Il est préférable d'avoir une amplification plus grande que celle nécessaire. Il est bon, en effet, de prévoir les causes d'amortissement de sonorité, comme, par exemple : 1° les tentures et les tapis « étouffant » plus ou moins les différentes pièces rencontrées dans les déplacements possibles ; 2° le nombre plus ou moins grand d'auditeurs, qui est un facteur très important dans l'atténuation des vibrations sonores ; 3° l'utilisation de disques faibles ; 4° l'emploi d'aiguilles donnant des reproductions plus douces que l'aiguille d'acier normale (fibre, Duralythe, porc-épic, acier pianissimo, etc.). De la combinaison de ces différentes causes peut résulter une diminution considérable de puissance qu'il faut pouvoir récupérer, par le potentiomètre, sur la réserve d'amplification.
Les récepteurs de T.S.F., ainsi que les petits amplis électrophoniques, donnent environ 3 watts modulés, suffisant pour des pièces d'appartement. 7 watts est une bonne moyenne pour tous les cas, jusqu'aux petites salles de patronage ou grands studios. Le 13 ou 15 watts donnera d'excellents résultats dans les petites salles de concerts, les brasseries, les grandes nefs sonores, les petits dancings, etc. Les grandes salles de bal, les petits cinémas, les grands restaurants s'accommoderont parfaitement d'un ampli de 30 à 60 watts. Pour les réunions sportives, réunions publiques, expositions en plein air, il faudra recourir aux appareils de 100 à 600 watts et plus, selon la surface à couvrir.
CHAPITRE VIII
L’aiguille est au phonographe ce que l'anche est aux instruments à vent.
C'est la vibration du roseau qui produit le son du hautbois, du basson, de la clarinette, du saxophone, etc. ; ou encore la languette de l'anche métallique qui forme les sons de l'harmonium, de l'accordéon, de l'harmonica et autres instruments du même genre. C'est également la vibration de l'aiguille, commandée par le sillon, qui crée les sons émis par le phonographe.
La forme, la surface, l'épaisseur de l'anche influent sur la qualité et le rendement sonore de l'instrument. De même la qualité et le rendement sonore d'un phonographe sont tributaires de la longueur, de la grosseur et de la matière de l'aiguille.
L'aiguille d'acier de grosseur normale fut la première dont on se soit servi pour la reproduction de l'enregistrement intégral. Les pointes de saphir et de diamant, trop fragiles et coûteuses, furent abandonnées. L'inconvénient de ce nouveau procédé de reproduction résidait dans l'obligation de changer l'aiguille après chaque face de disque. Et cependant... que le disque s'use, soit ; mais l'acier, ce métal si dur ! Du reste, à l'examen, la pointe de l'aiguille ne présente qu'une usure à peine perceptible. C'est exact, mais cette usure est relativement considérable par rapport à l'extrême finesse du sillon et il est certain que ce commencement d'altération de la pointe métallique ne pourrait supporter une deuxième épreuve sans dommage pour le disque. Voici pourquoi : tout frottement provoque une usure. Ce n'est pas forcément la moins résistante des matières en contact qui s'use le plus vite. Dans le cas de l'aiguille d'acier et du disque en matière moulée infiniment moins dure, c'est l'acier qui s'usera le plus vite. On le comprendra facilement en examinant les conditions de ce frottement : l'extrême pointe de l'aiguille reste fixe par rapport à la matière en mouvement sur laquelle elle repose. Le frottement se fait donc constamment sur les mêmes points du métal présentant, à cet endroit, une surface presque nulle. Au contraire, la matière du disque en mouvement présente toujours un point différent de sa surface sur lequel la pointe ne passe rapidement qu'une fois par audition. Et maintenant, si l'on songe que la longueur moyenne d'un sillon, pour un disque de 30 cm., atteint plus de 200 m. (!) on comprendra que la pointe d'acier peut présenter une usure importante, des plus dangereuses, malgré sa quasi-invisibilité, pour le sillon de la face suivante. En effet, plus la pointe s'use, plus la masse métallique de l'aiguille descend dans le sillon dont elle épousera entièrement le profil, au grand détriment de sa conservation (théoriquement l'extrême pointe de l'aiguille doit seule reposer dans l'arête angulaire formant le fond du sillon sans toucher à ses parois pour obtenir une reproduction pure avec le minimum de bruit de surface). De plus, le méplat créé à l'extrémité de l'aiguille transforme celle-ci en un véritable burin. Se resservir d'une aiguille après son retrait du porte-aiguilles, c'est la mort du disque ! Un très léger déplacement du méplat suffira pour entamer la matière irrémédiablement.
On ne le répètera jamais assez : à chaque face, une nouvelle aiguille ! Combien d'amateurs, passant outre à cet avis essentiel, ont vu leur discothèque rapidement hors d'usage...
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Dans le phonographe mécanique pour disque à aiguille, celle en acier a été la première et la seule utilisée pendant de nombreuses années. A part quelques meubles à obturation variable par volets mobiles ou simples portes, la modification de puissance ne peut s'obtenir que par l'emploi d'aiguilles de types différents (la variation de poids du diaphragme ne change pas la force de l'audition). En principe, cette puissance est proportionnelle à la grosseur et à la longueur de l'aiguille. Très fine, audition très douce. Très grosse, sons puissants. Sa longueur modifie doublement le résultat sonore. Longue : reproduction douce et timbre clair. Courte : sonorité forte et timbre ample et plein.
Chaque fabricant en a créé une ou plusieurs séries de types différents pour répondre à tous les besoins. Voici la liste des principaux modèles.
1° Aiguille cylindrique normale, 15/10 de diamètre ;
2° Aiguille cylindrique longue, 15/10 de diamètre ;
3° Aiguille cylindrique courte, 15/10 de diamètre ;
4° Aiguille cylindrique très fine dite Pianissimo ;
5° Aiguille cylindrique fine dite Piano ;
6° Aiguille décolletée à base normale de 15/10 ;
7° Aiguille renforcée à renflement, boule ou ailettes ;
8° Aiguille mixte à lancette ou méplat dont la position par rapport à la surface du disque donne des auditions fortes ou douces.
9° Aiguille courbe ou à bout arrondi pour disque souple.
On conçoit que cette gamme très complète de modèles d'aiguille offre à l'usager de grandes possibilités pour l'exécution aussi bonne que possible des œuvres qu'il possède.
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Au point de vue pratique, plus l'aiguille est forte, plus l'usure du disque est rapide.
Les aiguilles fortes provoquent, surtout dans les aigus puissants, des stridences métalliques qui se « vrillent » désagréablement dans le tympan des oreilles délicates.
Pour obvier aux inconvénients de l'aiguille d'acier : bruit de fond, stridences métalliques, usure rapide du disque, changement à chaque face, des recherches ont été faites sur un nombre considérable de matières de toute nature. Mais avant de quitter l'aiguille en métal, citons celles en acier au cobalt, au tungstène, etc., pour permettre l'audition de 10 à 25 faces, suivant l'acier adopté, sans usure appréciable de la pointe. Puis le tungstène fut utilisé en fil cylindrique très fin et très court, enchâssé à l'extrémité d'une tige métallique formant le corps de l'aiguille. Elle pouvait donner de 25 à 200 auditions, suivant la matière du disque et la nature du sillon. Si ce genre d'aiguilles nommées semi-permanentes ne s'use que lentement, le sillon, lui, est rapidement inutilisable. Pratiquement la rapidité de l'usure d'un disque est inversement proportionnelle à celle de l'aiguille métallique. Que dire alors des permanentes (celles concernant les ondulations du sillon phonographique !) ces dernières étant conçues pour une durée de mille reproductions et au delà !
Pour supprimer l'usure du disque due au frottement de l'aiguille d'acier, plusieurs produits lubrifiants ont été proposés pour protéger le sillon : la poudre Aladinette et le liquide Ebonitine. Ces produits, à base de graphite, parvenaient-ils à « réduire » l'usure ? Nous sommes persuadé du contraire : les mécaniciens connaissent la rapidité déconcertante de l'usure des outils en acier rapide travaillant le graphite... En tout cas ils ne la supprimaient pas, d'autant plus que les usagers, confiants dans l'efficacité du produit, en prenaient prétexte pour changer les aiguilles... encore moins souvent ! Pauvres disques !
Avec les reproducteurs électrophoniques, la question de forme de l'aiguille d'acier a moins d'importance. Ces appareils utilisent en général un modèle plus long que la normale, à pointe allongée, dite pick-up. Dans ces appareils, la puissance et le son se règlent, en effet, par les boutons des potentiomètres. Nous verrons plus loin qu'il n'en est pas de même avec les aiguilles à base de matière ligneuse combinées avec les réglages électriques, apportent une étonnante diversité d'application en vue d'un résultat véritablement artistique.
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Et voici l'aiguille de bois ! Son apparition en 1913 fut une véritable révolution. Sa sonorité douce et enveloppée, la diminution considérable du bruit de surface, la possibilité de jouer quelques faces sans la changer, l'usure presque nulle des disques, autant de qualités qui firent adopter d'enthousiasme le bambou, dit fibre, par les « passionnés du phono ». Malheureusement des fabricants employèrent des bambous de qualité insuffisante pour l'effort mécanique imposé par le sillon à la pointe de bois. Aussi cassaient-elles souvent avant la fin de la première face. Pour cette raison, elles furent peu à peu délaissées et ne seraient plus connues, si un groupe important de partisans invétérés ne les avait sauvées de l'oubli. Les Japonais en fournirent des millions.
L'aiguille en bambou est restée longtemps sans concurrence, mais vers 1919 parut l'aiguille porc-épic, puis l'aiguille américaine électro-thermique, ainsi que quelques autres marques secondaires. Les matières utilisées : épine de cactus, fibre comprimée, etc., étaient moins résistantes que le bambou, dont le choix avait été arrêté après l'essai de plus de 2.000 matières ! Aussi subissaient-elles l'imprégnation de vernis, de silicate, de bakélite, etc., pour les rendre plus dures, hélas ! au détriment de la conservation des disques (beaucoup moins toutefois que l'aiguille d'acier). D'un autre côté, la retaille de la pointe présentait un inconvénient qui contribua à son abandon. Des coupeurs spéciaux servaient à refaire la pointe usagée, mais le tranchant de l'outil s'émoussait assez rapidement et la coupe manquant de netteté, la pointe ne résistait pas pendant une face entière. La meilleure coupe est obtenue avec un petit sécateur à fleurs de bonne fabrication. Là encore, beaucoup d'usagers sont rebutés par la légère difficulté que présente cette coupe, au début. Et cependant, les résultats valent bien un petit effort... !
DES AIGUILLES NON MÉTALLIQUES
Et voici qu'en pleine période de guerre, en 1941, coïncidant avec la disparition progressive de l'aiguille d'acier, parut l'aiguille dite Super-Voxia en Duralythe, matière ligneuse traitée chimiquement. Sa résistance à l'usure par frottement est telle, qu'une pointe peut donner une moyenne de dix auditions sans réaffûtage. Une aiguille peut jouer, en la réaffûtant une vingtaine de fois, près de deux cents faces de disques, sans abîmer le sillon qu'elle améliore, au contraire, en le polissant. Sa forme est celle des aiguilles métalliques normales. Elle peut donc être utilisée sur tous les modèles de diaphragme et de pick-up.
Le réaffûtage peut se faire, soit à la main, sur la bande abrasive de la pochette renfermant les aiguilles, soit plus facilement avec un roule-aiguilles. Un repointage parfait s'effectue avec un appareil spécial dont l'extrême simplicité est un sûr garant de la perfection des résultats. Il assure un travail facile et rapide, ainsi qu'une peine légère, puisqu'elle ne se renouvelle que toutes les dix auditions environ. Et, encore une fois, les résultats en valent la peine ! Au cours d'une séance, on peut simplement changer les aiguilles lorsque cela est nécessaire et ne les réaffûter que plus tard, en temps perdu.
En 1942, un important perfectionnement fut encore réalisé : la gaine et la masselotte amovibles. Cette invention répondait aux deux reproches faits aux styles non métalliques : la principale était le manque de puissance. Mais était-ce bien un défaut ? Dans la plupart des cas, c'est plutôt une qualité ! N'a-t-on pas créé l'aiguille métallique dite piano et même la pianissimo, pour répondre aux désirs des vrais amateurs ? D'autre part, l'ampli électro-phonique bien construit ne possède-t-il pas une puissance de réserve permettant de relever la force donnée par les pointes non métalliques au niveau de celle fournie par l'aiguille d'acier ? La différence de puissance qui existe entre les deux matières est donc parfaitement acceptable, sinon elle peut se combler électriquement.
Restait la question d'amortissement des aigus. Les courbes de réponse obtenues dans les essais techniques n'accusent pour la Duralythe, comparée à l'acier, qu'une chute plus rapide de 500 vibrations.
La gaine et la masselotte amovibles pallient ces deux défauts en renforçant le corps de l'aiguille sur lequel se vissent ces nouveaux accessoires. Bien mieux, la masselotte, ou petite gaine, apporte la possibilité de « doser » les aigus en la tenant plus ou moins éloignée de la pointe. Proche de celle-ci, les sons aigus sont rendus au maximum. Plus elle est vissée à fond, plus les aigus sont atténués et les graves renforcés. Nous avons constaté que certains pick-up comme le piezzo-cristal et surtout le dynamique, avantageant déjà les notes élevées rendent les aigus exagérément. Ils les transforment parfois en une sorte de sifflement métallique et strident. Dans ce cas l'aiguille nue donne un excellent rendement.
Pour les partisans du moindre effort, il a été créé une Super-Voxia blindée. L'aiguille en duralythe est recouverte à force d'un petit tube métallique qui s'affûte en même temps que la matière. La Duralythe dépassera toujours le tube en métal, par suite de sa taille en pointe, et de ce fait reposera seule dans le sillon. Le pied de l'aiguille dépasse le tube ou « blindage » de quelques millimètres. En cassant cette partie de l'aiguille, le blindage pourra prendre place dans les porte-aiguilles des diaphragmes mécaniques. Cela augmentera beaucoup la puissance des auditions.
On voit donc tout le parti que l'on pourra tirer de la nouvelle venue et de ses perfectionnements pour la réalisation d'auditions véritablement artistiques. C'est pourquoi nous avons été amenés à parler assez longuement de ces intéressantes créations. Nous en reparlerons dans la suite pour en exposer toutes les possibilités pratiques.
Henri Lioret devant son appareil à transformer le sillon du disque en graphique analysable
Premier phonographe Lioret
Phonographe Lioret 1898
Le diaphragme de Bettini
Diaphragme à air comprimé Gaumont (Lodet)
(Musée des Arts et Métiers)
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CHAPITRE I
ENTRE MILLE SOIRÉES ARTISTIQUES DE
« MUSIQUE MÉCANIQUE »
données en notre Studio :
UN RÉCITAL DE LUCIENNE DELFORGE
au Town-Hall de New York
à trois mois et 5.000 kilomètres de distance !
Et le 22 décembre 1940 :
UN RÉCITAL DE LOUIS BORY
mort au Champ d'honneur à Péronne
le 18 mai 1940
La scène se passe dans l'une des pièces d'un vieil appartement situé au quatrième étage de l'ancien hôtel des ducs de Guise et de Bourgogne. Cette petite pièce, transformée en studio d'audition, se présente aux visiteurs comme l'antre de la musique et de la magie scientifique. On éprouve en y entrant une vague sensation de mystère. Tableaux, objets d'art, collection murale de rutilants papillons exotiques y voisinent avec des panoplies d'anciens instruments de musique, d'un piano et d'un petit orgue de salon aux multiples tuyaux d'étain. Au fond, un récepteur de T.S.F. des plus perfectionnés puisqu'il comporte non seulement un reproducteur électrophonique, mais encore un dispositif d'enregistrement sonore. Ce dernier permet l'enregistrement électrique parfait de ce que peut recevoir le poste récepteur, ou tout ce qui peut être transmis par un microphone.
C'est dans ce décor que se réunissaient, au début de novembre 1940, quelques personnalités musicales et littéraires. La soirée était consacrée à l'audition d'une série de disques uniques enregistrés quelques mois auparavant par la N.B.C. de New York. C'était l'enregistrement intégral du premier récital donné en Amérique par l'incomparable pianiste Lucienne Delforge dans sa tournée de propagande française, tournée qui se poursuivit jusqu'en 1942.
Pour débuter, et pour répondre aux sollicitations de nos visiteurs qui désiraient entendre le petit orgue — que nous avions dit être amplifié électriquement — nous avons pris place devant son clavier et nous attaquons en puissance la Toccata dorique de Bach. L'effet est saisissant ! Les sons, amples et purs, sont bien ceux des grandes orgues. Les visiteurs écoutent et suivent, très surpris, le jeu de l'exécutant.
Tout en jouant, nous percevons les bribes d'une discrète conversation : « Tu ne m'avais pas dit que notre hôte était un tel artiste sur l'orgue ! » Nous quittons aussitôt l'instrument pour nous diriger vers les interlocuteurs : « Que dites-vous, cher Monsieur ? »
A ce moment, les visiteurs tournent vers l'orgue des regards remplis d'un indicible étonnement... L'orgue, livré à lui-même, continue de faire entendre la suite de la Toccata dorique :
...Long instant d'interrogation muette. Visiblement les visiteurs ne réalisent pas ce qui se passe ! Ils cherchent en vain la cause de cette effarante surprise, jusqu'à ce que, revenant vers l'orgue ensorcelé, nous retirions le panneau central supportant les tuyaux d'étain et découvrions à tous les yeux... le diffuseur d'un haut-parleur électrodynamique ! Oui, mais ce n'est pas encore suffisant pour éclaircir entièrement le mystère. Il faut que nous conduisions nos auditeurs vers un petit réduit attenant au studio, dans lequel se trouve un appareil électrophonique en train de transmettre au dynamique de l'orgue le disque de la Toccata dorique exécutée par Alfred Sittard !
L'un des visiteurs, n'en croyant ni ses yeux, ni ses oreilles, ne peut s'empêcher de s'écrier : « Mais enfin ! au début c'est bien vous qui avez joué ? »
— Nullement ! Nous ne le pouvions pas, voyez... le clavier est muet ! Quant aux tuyaux — muets, eux aussi — ils n'ont aucune influence sur la sonorité. Leur présence, ainsi que le jeu manuel, provoque une sensation visuelle qui complète heureusement l'impression auditive. C'est pourquoi l'illusion de la réalité est absolue.
Le subterfuge est dévoilé en même temps que s'impose la preuve irréfutable de la merveilleuse qualité de la reproduction.
Nous tenons à préciser que cette présentation n'a pas été imaginée dans un but de mystification. Nous aurions prévenu nos auditeurs que nous allions leur faire entendre une reproduction sonore en tous points identique à l'audition réelle, qu'ils y auraient trouvé, malgré tout, quelque chose de « mécanique » et non la parfaite imitation qui les a si bien trompés. Persuadés maintenant de la véracité de nos reproductions, c'est avec une véritable jouissance artistique, que vous, musiciens, allez écouter l'instrument reproducteur que vous méprisiez jusqu'ici. L'écoute d'un disque, exempte de toute prévention, vous donnera, dès lors, la sensation de « présence de l'artiste » indispensable pour obtenir une complète illusion, tout comme vous l'avez eue en me voyant jouer sur un clavier... muet !
Faisant suite à cette entrée en matière, très effective, le récital donné à New York par Lucienne Delforge fut entièrement reproduit dans une ambiance des plus favorables. A cette ambiance s'en ajoutait une autre, plus effective encore, provenant de l'enregistrement dans la salle de concerts bondée d'auditeurs enthousiastes. Tous les bruits inhérents à un spectacle : bruits de foule, murmures et cris approbatifs, applaudissements, ovations frénétiques et jusqu'aux silences vibrants d'attention soutenue, contribuaient à faire revivre réellement le émouvants instants vécus dans un autre continent, dans un lointain passé...
Dans la pénombre d'une relative obscurité, les auditeurs attentifs écoutaient religieusement, les uns accoudés au cosy-corner, d'autres étendus à terre parmi des coussins, d'autres encore, assis sur des poufs, le front penché sur les mains ouvertes, coudes aux genoux. C'était l'exacte reproduction du tableau de Balestrieri, la Sonate à Kreutzer, dont une copie surmontait la cheminée. Frappante similitude qui nous apparut soudain et qui nous enchanta. Nous venions de constater que la « musique mécanique » était parvenue à provoquer les mêmes sentiments émotifs que le jeu d'une interprétation profondément humaine ! D'un signe nous désignâmes alternativement à Henry Mercadier le tableau, puis l'auditoire, en lui murmurant simplement : 1840-1940... Cent ans de découvertes et de progrès. L'âme et la mécanique atteignaient au même niveau ! Incontestable victoire scientifique ! Conquête sur le Rêve et l'Utopie ! La science, par ses résultats, n'a-t-elle pas sa poésie ? Elle surpasse en cette occurrence, le plus merveilleux conte des Mille et une Nuits.
A la fin de cette émouvante soirée il fut décidé de la renouveler devant un auditoire d'élite.
Le dimanche 10 novembre 1941 le récital fut redonné, mais cette fois en présence des habitués des « grandes premières ». L'un des programmes, transformé en feuille de présence réunit les quarante-cinq plus grands noms parmi les musicologues et les maîtres de la critique parisienne.
La présentation de cette séance mémorable a été faite par l'appareil électrophonique lui-même. Il reproduisit l'à-propos enregistré par Henry Mercadier sur notre appareil enregistreur. Comme cette présentation faisait partie de la création de l'ambiance, nous la reproduisons in extenso, à titre d'exemple.
Nous ne retiendrons, comme preuve de la complète réussite de cette séance de musique mécanique — que d'aucuns ont qualifié d'historique (!) — que cette simple constatation : tous les auditeurs ont écouté ce récital dans le plus grand recueillement pendant deux heures et demie ! Tous les journaux de cette époque en publièrent d'élogieux comptes rendus.
***
Il nous est à présent bien difficile de passer sous silence le gala phonographique que nous avons donné quelques semaines plus tard — le 22 décembre 1940 — dans les mêmes conditions, à la mémoire de Louis Bory, tombé au champ d'honneur le 18 mai 1940.
C'était un pieux devoir, pour nous qui l'avions découvert en l'enregistrant et guidé vers un succès rapide et grandement mérité, d'organiser — à sa mémoire — pour tous ceux qui l'ont aimé, l'audition posthume de ses disques. Elle réunit, dans la même ferveur émotive, ses parents éplorés et ses plus fidèles et inconsolables amis. Tout le Lapin à Gilles dont il était devenu la vedette dès ses débuts dans sa carrière d'artiste, était présent. La critique également.
Comme pour Lucienne Delforge, son portrait, placé sur le pupitre de l'orgue, était seul visible dans le sombre halo lumineux qui éclairait le studio. De même la présentation fut faite « phonographiquement » par sa grande camarade du Lapin, Lil Boël, dont la voix impressionnante sonnait comme un glas dans la demi-obscurité et dans l'absolu recueillement d'un auditoire étreint par le souvenir de l'absent. L'impression fut saisissante ! Chacun subissait l'emprise de la douloureuse communion des âmes et des cœurs. Le culte du souvenir était poussé à son extrême limite. Que dire alors de l'impression extra-terrestre qui s'empara de chacun de nous aux premiers accents, bouleversant de réalité, de la voix du cher disparu ? Il n'est pas de phrase, pas de mot, qui puissent rendre cette impression. Et pendant plus d'une heure et demie, elle persista, mettant notre sensibilité à une dure, mais bienfaisante épreuve : la résurrection d'un passé... qui n'est plus à jamais perdu !
En présence de l'impossibilité descriptive des sentiments ressentis à l'audition de cette voix d'un charme si naturel, si prenant et que la mort n'a pu réduire à néant, nous nous risquons à soumettre une expérience d'un grand intérêt psychologique, à nos lecteurs (mieux : à nos disciples). Que ceux qui accepteraient de la tenter s'empreignent bien de la description qui précède. Qu'ils se placent ensuite dans des conditions d'écoute analogues et après avoir lu, en fin de volume, l'émotionnante et magistrale présentation de LilBoël, qu'ils écoutent un disque de Louis Bory. De préférence Le Cimetière de campagne, Infidélité, L'Arbre blessé, La Légende du Rouet. Si alors, l'impression indescriptible de cette cérémonie se reproduit, même partiellement, on pourra affirmer que la « puissance évocatrice » de cette mécanique géniale qu'est le phonographe, surpasse, dans ce cas, celle du Verbe !
Les « tours de chant » radiophoniques sont formés de trois œuvres consécutives, au minimum, par artiste. C'est trop ! Selon nous, cela est monotone et lassant. Passe encore si l'émission était télévisionnée. Eh bien ! notre récital Louis Bory comportait quinzeœuvres, de genre à peu près semblable. Nul ne s'en plaignit, au contraire, puisque plusieurs autres nous furent unanimement demandées. Quelle meilleure preuve pourrait être donnée des qualités respectives de l'artiste, de l'enregistrement et de la reproduction ?
C'est à ce résultat auquel chacun peut prétendre. Il suffira de suivre et d'appliquer à la lettre les enseignements de cette méthode.
La connaissance de tout ce qui a été dit précédemment est indispensable pour bien comprendre ce qui va maintenant être exposé.
CHAPITRE II
SUR L'IMPRESSION AUDITIVE
Nous venons de constater par la présentation du disque d'orgue que l'illusion peut être totale. Pour y parvenir un ensemble de sensations conjuguées est nécessaire. Les deux sens principaux, l'ouïe et la vue, doivent concourir simultanément à l'impression finale. Il faut donc placer l'auditoire dans les conditions les plus aptes à fixer sa pensée sur l'exécution de l'œuvre qu'on lui fait entendre. Il faut chercher à créer l'ambiance propre à obtenir ce résultat.
Il est de toute évidence que l'audition d'un quatuor de Debussy, d'un concerto de Bach, serait déplacée (sinon impossible) dans une vente de charité ou kermesse de patronage. Elle serait ridicule dans une fête foraine !
La parfaite illusion de l'orgue est un cas particulier, d'application exceptionnelle, mais pouvant servir d'exemple à d'autres présentations du même genre. Son plein effet ne se produira que sur des auditeurs non prévenus.
L'audition « artistique » d'un disque ne peut exister qu'avec un auditoire absolument silencieux. Toute conversation isolée, même faite à voix basse, rompt le charme dont chaque auditeur doit être pénétré.
Le meilleur moyen pour provoquer infailliblement l'indispensable silence est de plonger le lieu de l'audition dans une quasi-obscurité. L'ambiance sera celle d'une salle de spectacle, toute d'attention et de recueillement. Il sera bon, pour cet éclairage restreint, de ne laisser qu'une ou plusieurs lampes à bas voltage (5 ou 10 bougies) que l'on pourra encore voiler avec des abat-jour ou des écrans colorés en harmonie avec l'œuvre exécutée. Les filaments ne devront pas être visibles. Ces lampes pourront également servir à la mise en valeur, par un éclairage approprié, de tableaux, d'œuvres d'art, d'un meuble de style, d'un coin de pièce artistiquement drapé ou fleuri, etc., dispositions ayant une influence visuelle qui contribue à renforcer l'impression d'art provoqué par une parfaite audition.
On comprendra sans peine qu'au cours d'une audition, le moindre bruit rappelant, même inconsciemment, le mouvement d'un disque « qui tourne », détruira l'illusion que l'on aurait pu créer par ailleurs.
C'est pourquoi la vue ne sera pas suffisante pour provoquer une complète illusion si l'ouïe est troublée, si peu que ce soit, par les bruits mécaniques provenant du moteur et du disque lui-même. Il faudra donc les supprimer, sinon totalement, du moins dans la plus large 'mesure possible.
Les bruits du moteur et les vibrations mécaniques extérieures du diaphragme ou du pick-up s'atténueront en fermant le couvercle de l'appareil reproducteur. Le mieux est de placer celui-ci dans une pièce adjacente.
Les bruits provenant du disque sont de plusieurs nature : bruit de surface ou frottement de l'aiguille dans le sillon, usure du sillon par l'aiguille d'acier, rayure de la surface, sillon défectueux au moulage : trous, grains divers, etc., voilage du disque, trou central mal centré. Les remèdes à ces inconvénients se trouvent indiqués dans les différentes études relatives à ces sujets (pages 157 à 173).
La présentation verbale du disque qui va être joué est un excellent moyen d'attirer l'attention de l'auditoire, d'orienter son jugement et de le préparer à goûter plus objectivement l'œuvre qu'il va entendre. On lui parlera, non seulement de cette œuvre en elle-même, si celle-ci est peu connue, mais encore des particularités de son exécution, des passages à remarquer spécialement, des difficultés surmontées par le virtuose ou vaincues dans la technique de l'enregistrement. On citera les anecdotes que l'on pourra connaître ayant trait au compositeur, à son interprète ou à la « naissance » du disque (parfois bien intéressante et amusante). Ce sera pour beaucoup la révélation d'un monde nouveau, d'une éducation nouvelle, qui intéressera vivement l'auditoire en le préparant à une compréhension plus complète et à une appréciation plus exacte de l'œuvre qui suivra ce commentaire.
Au cours de ces présentations il faut être persuasif. Plus on mettra dans ses explications de conviction et de fougue, plus l'auditoire montrera de satisfaction communicative. Il n'y a rien de plus réfrigérant qu'un public gardant ses impressions après l'audition terminée ! Quoi qu'il arrive, soyons toujours pleins d'enthousiasme pour les merveilleuses réalisations scientifiques de l'art phonographique. N'oublions pas de parler des hommes de génie auxquels nous le devons. Ce sera faire œuvre de propagande éducative en même temps qu'un appel au culte du souvenir !
Nous pensons que ces quelques conseils seront suffisants pour que chacun puisse réaliser dans sa sphère l'ambiance ou les effets scéniques aptes à conférer à leurs soirées phonographiques un caractère éminemment artistique.
CHAPITRE III
OÙ ET COMMENT INSTALLER LE REPRODUCTEUR
Occupons-nous d'abord du phonographe mécanique. Le type valise et le coffret seront placés sur une table solide ou guéridon stable ne pouvant pas être ébranlés par le remontage du moteur mécanique à manivelle. Valise, coffret et meuble seront installés de préférence contre un mur, ou mieux encore dans l'angle le plus propice de la pièce. Les deux murs formeront un excellent réflecteur de sons. Les rideaux, les tentures, les tapis, selon leurs dispositions et leur nombre, influent considérablement sur la qualité de l'audition. Ce n'est que par la pratique qu'on pourra se rendre compte du meilleur emplacement. Le phonographe sera essayé dans tous les endroits susceptibles de le recevoir. Ces essais se feront en présence d'un nombre de personnes représentant l'auditoire le plus important que l'on puisse admettre dans le local afin de mettre celui-ci dans les conditions acoustiques voulues. Les auditeurs seront éloignés autant qu'il se pourra de l'appareil. Placé dans une pièce contiguë, le phonographe donne bien souvent des résultats parfaits, exempts de bruits parasites, d'un effet très naturel. Il ne faut pas manquer d'en faire l'essai lorsque cela est possible, surtout quand on possède un appareil dont le couvercle ne peut pas se fermer pendant la marche du disque. On évite ainsi d'entendre les vibrations si désagréables qui proviennent de l'aiguille et de son équipage mobile au cours des sons puissants et aigus.
L'emplacement une fois déterminé, l'appareil y sera établi d'une façon stable.
Le plateau du tourne-disque devra être parfaitement horizontal (tous les reproducteurs devraient être munis d'un petit niveau à bulle d'air, comme ceux des appareils photographiques). Cela est essentiel pour la bonne conservation des disques, surtout lorsqu'ils sont joués avec aiguilles d'acier. En effet, l'aiguille, par le poids du diaphragme ou du pick-up exerce une pression plus forte sur l'une des parois du sillon et par conséquent l'usure sera plus grande de ce côté. En plus de cet inconvénient, la fidélité de reproduction subira une altération qui sera en rapport avec l'importance de la déclivité ; la membrane n'étant plus en état d'équilibre parfait ne reproduira pas les deux moitiés de la vibration (les deux demi-phases, pour parler scientifiquement) d'une façon identique ; l'une sera amortie et l'autre libre. Pour ainsi dire inappréciable au début, ce phénomène s'accentue avec l'usure. De même les à-coups sonores qui se produisent à chaque tour d'un disque décentré sont encore amplifiés, sensation bien désagréable dans les mouvements lents et les notes tenues.
Il est bon de dissimuler l'appareil à la vue des auditeurs soit derrière un paravent ou écran en étoffe légère, soit avec une plante verte, etc.
Tous ces conseils s'appliquent également à tous les reproducteurs électrophoniques. Mais si le haut-parleur peut s'installer à part (voir 2e partie, chapitre II), il est préférable de placer l'appareil proprement dit dans une autre pièce, d'où aucun bruit étranger à l'audition (vibrations extérieures du porte-aiguille, bruits mécaniques ou ronflement du moteur, claquement de l'arrêt automatique, etc.) ne parviendra à l'oreille des auditeurs. La manœuvre de l'appareil et des disques ne viendra pas, après chaque morceau, rompre le charme de l'audition et l'illusion de la réalité qu'on sera parvenu à provoquer.
CHAPITRE IV
ÉTUDE SUR LA REPRODUCTION DES DISQUES
Correction des défauts qui leur sont propres
Comme nous l'avons vu au chapitre Ier de la « Deuxième Partie », chaque disque possède des particularités qui lui sont propres, en raison de la diversité .des maisons d'éditions sonores, ayant chacune leur technique personnelle d'enregistrement, et celle-ci est en évolution constante vers la perfection. Il faut dire aussi que les « ingénieurs du son » n'ont pas tous la même formation musicale ni une parfaite identité du sens auditif, grand juge en la matière. C'est pourquoi la sonorité générale n'est pas la même pour tous les disques. De plus, la qualité de l'appareil reproducteur ainsi que l'acoustique du lieu d'audition, sont des facteurs importants pour le rendement sonore. Un disque, passable sur tel appareil, sera excellent sur un autre, et inversement.
Il est possible de modifier dans une large mesure la sonorité particulière à chaque face de disque sur l'appareil en service dans le lieu qui lui a été assigné. C'est l'étude des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, que nous allons entreprendre.
Dans le cas du phonographe mécanique, la modification ne peut se faire que par l'emploi d'aiguilles appropriées. Pour le reproducteur électrophonique, s'ajoutera la manœuvre des boutons de puissance, du tone-contrôle et de l'impédance variable du pick-up. Ce dernier réglage n'est malheureusement pas généralisé, et cependant son emploi est des plus intéressants dans le cas qui nous occupe. Il existe aussi un procédé destiné à l'amélioration de la sonorité. Il consiste à accoupler deux (ou plusieurs) haut-parleurs pour la même émission. Si l'on envisage deux haut-parleurs dont l'un, de grand diamètre, donne de beaux sons graves et l'autre, plus petit, rend les aigus de façon parfaite, il semble juste de penser que si les deux diffuseurs reproduisent ensemble la même audition, la sonorité sera parfaite sur toute l'étendue de l'échelle musicale. A la réflexion on s'apercevra que, se superposant à cette bonne audition, il y en a une seconde, formée par les mauvais graves du petit dynamique et les mauvais aigus du grand ! La bonne audition doublée dans toute son étendue par la mauvaise, subira de ce fait une altération qui en diminue notablement la qualité. Pour que ce procédé puisse donner entière satisfaction, il faudrait rendre inaudible les aigus du grand haut-parleur ainsi que les graves du petit. De sorte qu'il n'y aurait plus qu'une audition : la bonne ! Ce problème a été résolu en le perfectionnant par l'amplificateur à deux ou trois chemins à réglage indépendant. Ces chemins ne transmettent au dynamique, l'un que les graves, l'autre que les aigus. Un troisième peut être réservé au médium. Le réglage indépendant permet d'avantager, suivant les cas, la sonorité des aigus, des médiums ou des graves. Ces résultats sont réalisés par un phénomène d'expansion des vibrations qui ont été comprimées à l'enregistrement pour des raisons techniques. Ce montage permet de n'employer qu'un seul haut-parleur, mais l'emploi d'un dynamique par chemin donne, en les disposant comme il convient (assez distant l'un de l'autre), un effet de relief sonore assez intéressant.
Ces appareils de technique très poussée, de réglage délicat... et de prix élevé, sont très peu répandus. C'est pour cette raison que nous n'entreprendrons pas l'étude plus poussée de leurs possibilités. Elle serait inutile à la grande majorité des usagers. Les possesseurs de ces hautes réalisations scientifiques savent tout le parti qu'ils peuvent en tirer. Ils pourront donc compléter par eux-mêmes l'étude que nous consacrons maintenant aux reproducteurs électrophoniques les plus complets parmi ceux en usage. Chacun pourra faire son profit des indications et conseils qui le concerneront selon le type d'appareils qu'il possède.
La grande diversité des aiguilles, en tant que grosseur, longueur, matière et forme, offre à l'usager le moyen de pallier les défauts inhérents à chaque enregistrement. En principe, il faut savoir que :
1° Plus l'aiguille est grosse, plus le son est fort ;
2° Pour une même grosseur, plus l'aiguille est courte, plus la force augmente et plus la sonorité devient grave et pleine ;
3° Plus l'aiguille est fine, plus le son est doux ;
4° Pour une même grosseur, plus l'aiguille est longue, plus la force diminue tandis que les aigus deviennent grêles ;
5° L'aiguille trop longue ou trop fine produit sur certains enregistrements des vibrations parasites dans le diaphragme des appareils mécaniques ;
6° L'aiguille d'acier provoque toujours un bruit de surface provenant du frottement de la pointe dans le sillon. Ce bruit est en rapport direct avec l'homogénéité de la matière. L'utilisation d'aiguille en matière non métallique, comme la Duralhyte, atténue considérablement ce bruit indésirable, jusqu'à le supprimer totalement avec les disques d'avant 1940.
L'aiguille en Duralhyte présente un réel intérêt par la diversité de ses applications. Par suite du réaffûtage, l'amateur aura à sa disposition toute une gamme de longueurs différentes. Il pourra choisir parmi elles la longueur la plus appropriée à l'effet recherché. Ainsi, pour un disque de sonorité générale trop grave, on prendra une aiguille neuve (longueur maximum). Si les aigus ne sont pas encore suffisamment bien rendus, on vissera une masselotte ou une gaine amovibles sur le corps de l'aiguille. La gaine donnera le maximum de puissance et d'aigus. Si la force est trop grande, remplacer la gaine par une masselotte laquelle fera ressortir d'autant plus les notes élevées qu'elle sera placée vers la pointe de l'aiguille. La possibilité de doser la valeur des sons aigus est d'un très grand intérêt.
Au contraire, si la sonorité générale du disque est trop aiguë, il faudra prendre une aiguille d'autant plus courte qu'il y aura de graves à récupérer. La puissance est, en outre, très augmentée. Une masselotte utilisée comme gaine sur une aiguille courte amplifie encore cette puissance. Elle ajoute, en même temps, plus de mordant à l'exécution par un meilleur rendement des aigus, sans nuire aux sonorités graves, bien au contraire.
Il sera bon de prendre en note les réglages trouvés les meilleurs pour chaque face du disque : longueur des aiguilles, emplacement de la masselotte ou emploi de la gaine, degré de réglage des boutons des potentiomètres de « puissance » et de « tone-contrôle », impédance adoptée pour le pick-up à chaque exécution. C'est de ces trois derniers réglages que nous allons parler maintenant.
Modification de la sonorité générale par le tone-contrôle
Le tone-contrôle est constitué par un potentiomètre destiné à rendre la sonorité générale plus grave, plus sombre. Les aigus et les harmoniques élevés sont par son action progressivement atténués et même annulés. C'est par son réglage que se rectifie la sonorité d'un enregistrement trop aigu, de résonance métallique ou produisant des stridences désagréables. Les « disques de guerre », pressés en ancienne matière refondue, produisent un épouvantable bruit de cataracte dans lequel l'audition des passages pianoest impossible. Le bruit de surface étant d'une tessiture très élevée, on parvient par le réglage du tone-contrôle, sinon à le supprimer totalement, du moins suffisamment pour rendre l'audition acceptable.
Pour que le tone-contrôle soit efficace, il ne faut pas que le montage de l'amplificateur donne déjà normalement une sonorité grave, renfermée, avec exagération des basses, lorsque le potentiomètre du tone-contrôle n'est pas en service. Il est au contraire préférable que le reproducteur ait une tendance accusée vers la reproduction des aigus. Ce n'est qu'à cette condition que l'on pourra rectifier un enregistrement trop sombre et le rendre plus clair.
Le réglage du tone-contrôle doit être progressif et non à plot comme cela se rencontre parfois.
La puissance est tributaire de la salle où se donnent les auditions, de son acoustique, de l'effet à obtenir, de l'œuvre reproduite, de l'atténuation du bruit de surface et du nombre d'auditeurs ! Autant de causes qui influent sur le résultat à obtenir. Ces causes sont d'ordre différent : physiques, mécaniques, matérielles et même psychologiques. Ce n'est qu'à l'instant de l'audition, plongé dans l'ambiance du moment, que le sens auditif pourra juger de la puissance nécessaire. Si le sens de l'ouïe est défectueux chez le présentateur, il devra se rapporter au jugement d'un tiers mieux qualifié.
En principe, l'audition phonographique pourra atteindre, sans jamais la dépasser, la puissance que donnerait l'audition réelle dans un lieu donné. Nous précisons : la force d'une reproduction, pour donner l'impression de la réalité, doit être semblable à celle qui parvient d'une exécution véritable, jusqu'à la place occupée par l'auditeur. La puissance maximum sera celle donnée par un soliste — instrumentiste ou chanteur — jouant ou chantant dans le lieu même de l'audition, à la place du haut-parleur. Il en sera de même pour la musique de chambre. Mais pour un orchestre ou des chœurs, il sera nécessaire de diminuer la puissance à celle reçue par un spectateur assis au milieu d'une grande salle de concert ou de théâtre. Nous avons bien dit : diminuer (par rapport au soliste situé à l'emplacement du haut-parleur). Nous nous souvenons d'un grand récital donné par Menuhin et sa sœur à la Salle Pleyel. Dès le retour, nous eûmes l'idée de comparer l'audition réelle qui résonnait encore à nos oreilles, avec celle de l'enregistrement des mêmes œuvres. Quelle ne fut pas notre stupéfaction de constater qu'il nous fallait réduire des deux tiers la puissance habituelle de nos auditions pour nous mettre dans les mêmes conditions d'écoute qu'à Pleyel ! La salle était bondée et nous occupions une place située aux trois quarts environ du parterre.
Une audition trop faible ne donne plus avec les disques des grands concerts, l'impression de la masse orchestrale dans les forte, impression indispensable à la fidélité de la reproduction.
Etude sur les possibilités de l'impédance variable
Le réglage de l'impédance, c'est-à-dire de la résistance au courant alternatif de la bobine du pick-up, a été créé uniquement dans le but d'adapter le lecteur magnétique à la lampe d'entrée de l'amplificateur, une fois pour toutes.
Mais son emploi est très effectif dans la rectification de la sonorité propre de chaque disque. Il agit à l'inverse du tone-contrôle. Celui-ci avantage les graves au détriment des aigus, tandis que le réglage de l'impédance produit exactement le contraire, rendant ainsi l'audition plus claire et moins empâtée.
Malheureusement les constructeurs n'ayant pas prévu cette utilisation n'ont réalisé que le changement et non le réglage de l'impédance. Celui-ci doit même pouvoir s'effectuer pendant la marche du disque. Le changement de l'impédance s'opère le plus souvent à l'aide d'une petite vis ou cheville que l'on déplace dans trois ou quatre trous différents. Cela est bien pour un réglage définitif mais pas pour une modification fréquente de l'impédance. Quand son changement s'obtient à l'aide d'un tournevis placé dans la fente d'un axe, on pourra remplacer le tournevis par une petite rondelle ou plaquette métallique quelconque que l'on soudera dans la fente de l'axe. On aura ainsi une clef à demeure pour le réglage facile de l'impédance, même en cours d'audition. Il est à souhaiter que tous les constructeurs munissent leurs pick-up de ce perfectionnement.
En plus de la récupération des aigus dans un disque enregistré trop grave, le réglage de l'impédance permet de redonner de la clarté à une audition assombrie par une diminution de puissance.
Nous avons parlé de l'empâtement sonore qui se produit progressivement pendant la marche du disque jusqu'à la fin du sillon. On peut le constater en jouant alternativement quelques mesures dit début du disque, puis de la fin et ainsi plusieurs fois de suite. Il est possible, avec l'impédance variable, d'obvier à cet inconvénient. Il suffira, vers les deux tiers ou trois quarts du disque, de changer entre deux phrases musicales l'impédance en service contre celle qui lui est immédiatement inférieure. Nous pensons que l'on pourrait produire automatiquement et progressivement le changement d'impédance voulu pendant toute l'audition en utilisant le déplacement du bras du pick-up, et cela indépendamment du réglage initial afférent à chaque disque.
On comprendra, maintenant, tout le parti que l'on pourra tirer de la combinaison raisonnée des aiguilles et des réglages que l'on a à sa disposition.
RÉSUMÉ DES MOYENS PROPRES A ASSURER
« L'AUDITION ARTISTIQUE »
DE LA MUSIQUE MÉCANIQUE
« L'audition artistique » de la musique mécanique ne peut se réaliser que lorsque toutes les conditions suivantes se trouvent réunies :
A. — Appareil parfait
Moteur.
Marche régulière.
Fonctionnement silencieux.
Régulateur bien équilibré.
Puissance suffisante.
Arrêt automatique.
Silencieux en fin de course du bras (ou mieux sa suppression).
Plateau.
Tournant parfaitement rond sans déplacement vertical de sa surface.
Le plus lourd possible (régulateur par volant).
Diaphragme.
Etanchéité parfaite.
Membrane de grand diamètre.
Mica de préférence.
Mouvement très libre et sans jeu.
Absence de toutes vibrations parasites.
Pick-up.
Mouvement latéral du porte-aiguille très souple.
Pression sur le disque : 40 gr. environ (ressort ou poids compensateur).
Liberté absolue des mouvements du bras.
Impédance réglable (en cours d'audition si possible).
Amplificateur.
Puissance en réserve en sus de celle appropriée au lieu d'audition.
Montage cathodique push-pull.
Contre-réaction basse fréquence.
Montage expanseur.
Tone-contrôle à réglage progressif.
Haut-parleur.
Electro-dynamique de 24 à 28 cm.
Sur écran séparé, épais de 1 m. minimum de côté.
Ou à défaut grand meuble à portes hautes.
Meuble.
Bois épais.
Sans vibrations propres ni parasitaires.
Hauteur 1 m. minimum.
Dos ouvert.
Disques.
Matière homogène.
Sillon impeccable non rayé ni accidenté ou usé par aiguille d'acier.
Planéité parfaite.
Centrage exact du sillon.
B. — Aiguilles de bonne qualité
Aiguilles acier.
Jeu complet.
Eviter les « longues durées ».
Non métalliques.
Bambou, fibre ou Duralhyte.
Gaine et masselotte amovibles Voxia.
Duralhyte blindée.
C. — Ambiance favorable
Conseils divers.
Dissimulation ou camouflage des phonos.
Impressions visuelles.
Agencement lumineux, effets artistiques.
Silence absolu exigé.
Présentation documentée des disques.
Manœuvre dissimulée et silencieuse.
Suppression de l'arrêt automatique bruyant.
Arrêt et reprise des auditions par le potentiomètre.
Changement de l'aiguille potentiomètre fermé.
Réglage d'après notes préalables pendant l'arrêt.
Après l'audition laisser quelque temps l'auditoire sous le charme.
D. — Exemple de correction sonore des disques
Sonorité générale trop grave.
Aiguille longue.
Avec gaine ou masselotte.
Tone-contrôle à l'aigu.
Faible impédance du pick-up.
Sonorité générale trop aiguë.
Aiguille courte.
Sans gaine ni masselotte.
Tone-contrôle au grave.
Forte impédance du pick-up.
Sonorité générale grave avec bruit de fond.
Aiguille longue.
Sans gaine ni masselotte.
Tone-contrôle jusqu'à l'atténuation du bruit de surface.
Forte impédance du pick-up.
Sonorité générale aiguë avec bruit de fond.
Aiguille moyenne longueur.
Sans gaine ni masselotte.
Tone-contrôle au grave.
Forte impédance du pick-up.
***
CHAPITRE I
LES DÉFAUTS, CAUSES ET
REMÈDES
CONSEILS DIVERS
Moteur mécanique
L'acier dont est formé le ressort des moteurs mécaniques est trempé très sec et par suite se casse facilement.
Ne pas remonter le ressort en tournant la manivelle trop rapidement surtout vers la fin et cesser autant que possible quelques tours avant de terminer complètement le remontage.
Ne jamais forcer dès que la manivelle éprouve une résistance.
Après chaque séance, laisser le ressort se détendre complètement.
Huiler les rouages et le feutre de freinage du régulateur dès que le moteur commence à faire du bruit.
Ne pas laisser l'appareil dans un courant d'air, ni au froid. Eviter les changements brusques de température.
Moteur électrique
Ne jamais brancher un moteur électrique sur un courant sans s'être assuré de sa nature et de sa force et s'il convient au moteur de l'appareil. Il existe, en effet, différentes sortes de moteurs : 10 pour courant alternatif (le plus répandu) : 20 pour courant continu ; 30 pour tous courants (dit universel). Tous ces moteurs sont prévus pour fonctionner sur tous les voltages généralement usités : 110, 120, 130, 200, 220, 250 V. Le dispositif du changement de voltage se trouve sur la platine supérieure du moteur, sous le plateau, de même que la nature du courant à utiliser.
Se souvenir que mettre un moteur pour courant continu sur de l'alternatif n'aura pas d'autre inconvénient que de ne plus être assez fort pour entraîner le disque, mais brancher un moteur pour alternatif sur le courant continu, c'est le mettre irrémédiablement hors de service en brûlant le fil du bobinage. Il en sera de même si on utilise le 200-250 volts sur un moteur réglé pour 110 volts. La nature et la force du courant sont indiqués sur le compteur et le carnet des relevés. Le voltage peut également se lire sur le culot des lampes d'éclairage.
Comme pour le moteur mécanique, huiler les engrenages et le feutre du frein du régulateur quand ces pièces commencent à faire du bruit ou à vibrer d'une façon anormale.
Plateau
Nous ne saurions trop répéter que le plateau doit tourner parfaitement rond sans le moindre déplacement vertical.
Plus le plateau sera lourd, plus le disque tournera régulièrement et reproduira les sons continus de façon parfaite. En général tous les plateaux d'appareils reproducteurs sont trop légers. On aura avantage à l'alourdir par une couronne de plomb fixée en dessous. Un mécanicien pourra se charger de ce travail.
Pour retirer le plateau, il faut d'abord retirer la rondelle-ressort assurant le verrouillage du plateau sur l'axe (5). Puis, après avoir mis le moteur en marche, soulever brusquement le plateau par ses bords. S'il résiste par trop, frapper un coup sec assez fort sur l'extrémité de l'axe avec un marteau ou objet en faisant l'office. Le plateau se retirera sans effort et sans dommage pour le moteur. Comme un plateau de 3 à 4 kg. peut présenter un inconvénient dans le cas d'un transport lointain, on pourra concevoir une couronne facilement démontable ou avoir un plateau normal en réserve, pour ce cas particulier.
(5) Dispositif surtout adopté pour les phonos portatifs.
Réglage de la vitesse
Il est rare qu'un phonographe soit livré avec une vitesse exactement réglée sur les indications du cadran destiné à cette opération.
Les divisions de ce cadran sont toujours fausses par rapport aux variations de vitesse données par le moteur. Seul le trait marqué 78 devra coïncider très exactement avec la flèche de la manette de réglage, lorsque le plateau en ordre de marche, c'est-à-dire entraînant un disque et supportant le diaphragme, tournera à 78 tours par minute. En cas de non-coïncidence, on réglera d'abord la vitesse du plateau comme nous le dirons ci-après. Puis, le plateau retiré, on fera en sorte d'amener la flèche de la manette en face du trait 78, sans faire bouger le dispositif de réglage de la vitesse. Il existe un grand nombre de dispositifs différents. Un simple examen de celui en cause indiquera la façon de pratiquer ce réglage. Replacer le plateau sans déranger le dispositif.
La vitesse se règle soit avec la trotteuse d'une montre, soit au son, soit visuellement par stroboscope.
Avec la montre, on se placera de telle sorte que les yeux verront en même temps le disque et le cadran de la montre. On choisira de préférence un disque avec étiquette présentant des contrastes de couleurs afin de bien distinguer la rotation du plateau. A défaut, on pourra introduire un bout de papier blanc entre le disque et le plateau. Les tours se compteront ainsi très facilement. Le décompte se fera toujours au même endroit à chaque passage du point de repère. Commencer à compter lorsque l'aiguille de la trotteuse passe sur une grande division. A cet instant précis, dire « zéro » et continuer pendant une demi-minute. Le nombre de tours devra être de 39. S'il y en a plus, c'est que le disque tourne trop vite et, bien entendu, s'il y en a moins, il tourne trop lentement. Agir en conséquence jusqu'à l'obtention de la plus grande exactitude. Pour terminer, compter le nombre de tours pendant une minute entière. La précision sera plus grande.
Pour le réglage au son, il faut avoir un instrument bien accordé à sa disposition. Jouer sur le phonographe un disque dont on connaisse la tonalité et vérifier son exactitude en jouant la même phrase sur l'instrument. Si la tonalité du disque est plus haute, c'est que le moteur va trop vite. Réduire sa vitesse jusqu'à complète satisfaction auditive. Si la vitesse est trop lente, le ton sera trop bas. Activer le mouvement du moteur. Dans les débuts du phonographe, les vitesses d'enregistrement étaient très irrégulières d'un phonogramme à l'autre. Pour que l'usager retrouve facilement cette vitesse initiale, quelques spires, à la fin du sillon, reproduisaient le « la » donné par un diapason ou un instrument. Chacun pouvait alors régler la vitesse sur cette note « test ».
Phono Pathé 1900
Pathépost
Appareil enregistreur pour enregistrement direct
Radio phono enregistreur en usage dans les conservatoires
Synchronisateur sonore pour films d’amateurs
Arrêt automatique
Nous avons dit au cours de cette étude ce que nous pensions de cet accessoire. Nous n'y reviendrons donc pas mais nous souhaitons que nos critiques conduisent les chercheurs à la création d'un dispositif entièrement silencieux.
Diaphragme
Les vibrations parasites produites par les diaphragmes proviennent :
1° D'une aiguille mal serrée dans le logement du porte-aiguille ;
2° D'une aiguille trop longue ou trop fine, pour l'ampleur ou la fréquence des vibrations enregistrées ;
3° Du jeu du porte-aiguille entre les vis pointeaux qui lui servent de pivot ;
4° Du grand levier du porte-aiguille mal fixe au centre de la membrane vibrante (dévissée ou décollée) ;
5° D'une membrane insuffisamment serrée ou vibrant entre des joints de caoutchouc durci par le temps ;
6° Montage trop libre du diaphragme sur le bras ;
7° Le manque de puissance est le résultat d'une mauvaise étanchéité ;
8° La déformation d'une membrane métallique causée par une chute ou choc quelconque provoque presque toujours une altération du son.
Il aura suffi d'indiquer la cause des perturbations pour en déduire ce qu'il faut faire pour y remédier.
D'autres vibrations ne provenant pas du diaphragme peuvent être produites par des pièces métalliques ou non, mal assemblées ou disjointes. Une cause très fréquente de vibrations parasites de résonance métallique, est la présence d'aiguilles d'acier tombées dans le pavillon des phonographes (du type « valise »).
Les vibrations parasites sont difficilement localisables. L'énumération qui précède permettra de les situer rapidement.
Le diaphragme est toujours lourd (150 gr. environ) et n'est jamais allégé par l'emploi d'un ressort ou contre-poids comme il serait souhaitable de le faire, pour diminuer l'usure réciproque du disque et de l'aiguille. Il sera donc bon d'y adapter un dispositif compensateur pour ramener la pression de l'aiguille sur le disque à 40 ou 50 gr. environ. Il devra en être de même pour un pick-up trop lourd. Un moyen très simple d'y parvenir consiste à fixer l'extrémité d'un élastique (comme celui des chapeaux de paille) au raccord du diaphragme avec le coude du bras acoustique. L'autre extrémité sera fixée à l'aide d'une punaise au quart et à droite de la largeur du couvercle ouvert, c'est-à-dire juste au-dessus du diaphragme, lorsque celui-ci est au milieu de sa course sur le disque. Si l'on ne possède pas de pèse-lettre ou de peson pour y faire reposer l'aiguille du diaphragme, au milieu de son plateau, afin de régler la tension de l'élastique, on fera reposer l'aiguille tout à, côté du tourne-disque sur la planche supportant te moteur. Puis on tendra l'élastique (6) jusqu'à ce que le diaphragme (ou pick-up) soit sur le point de se soulever. Fixer l'élastique avec la punaise à ce moment précis. L'élastique peut être remplacé par un ressort à boudin de 4 mm. de diamètre, en fil fin. Ce dispositif très simple permettra de jouer les « disques souples » des enregistrements particuliers — surtout ceux de 30 cm. — sans freinage et avec le minimum d'usure. Il diminuera également l'usure des disques durs commerciaux et de l'aiguille. Un inconvénient : le couvercle ne peut se fermer pendant l'audition.
(6) La pesée doit se faire en plaçant le plateau du pèse lettre à côté du plateau de l'appareil et au même niveau.
Pick-up
Bien souvent, la palette mobile du pick-up (prolongement du porte-aiguille se déplaçant dans le champ magnétique) produit une vibration métallique assez intense pour se superposer aux vibrations sonores du haut-parleur. De nombreux usagers accusent l'appareil de déformer les sons, alors qu'il n'en est rien. Cette vibration mécanique de la palette mobile n'a aucune influence sur la production de la vibration électrique. C'est faute de fermer le couvercle que cet inconvénient s'est révélé : le remède est facile...
La grande légèreté du pick-up piezzo-cristal a l'avantage de diminuer l'usure du disque et celle des aiguilles non métalliques. Comme nous l'avons déjà dit, ce genre de pick-up favorise beaucoup les aigus. Il est donc indispensable de pouvoir compenser sa tonalité générale trop élevée par un tone-contrôle. Dans ce même but on devra utiliser des aiguilles courtes.
Lorsqu'une sorte de grésillement se produira dans l'émission sonore, on pourra en déduire la présence de poussière métallique entre la palette mobile et les masses polaires (7). En agitant latéralement et à fond l'aiguille, on arrivera à supprimer cet inconvénient du moins pour quelque temps. S'il persiste, donner le pick-up à réparer, si l'on ne peut le faire soi-même.
(7) Lorsqu'il s'agit d'un pick-up magnétique.
Pour fixer une aiguille dans un porte-aiguille à vis, la maintenir entre le pouce et l'index dans son logement et serrer la vis fortement. Autrement on risque de dérégler le pick-up ou de briser le cristal d'un piezzo.
Aiguilles d'acier
Comme pour les produits toxiques les boîtes d'aiguilles d'acier devraient porter, bien en évidence... une tête de mort et deux tibias en croix ! Car c'est véritablement la mort du disque qui est en jeu. On ne jettera jamais assez ce cri d'alarme : « Changer l'aiguille d'acier après chaque face jouée ». A ce propos, nous citerons un fait qui prouve la difficulté qu'il y a à formuler une explication avec précision et combien un manque d'attention peut être néfaste. Il y a quelques années d'innombrables amateurs de phonographe se plaignirent à leurs fournisseurs de l'usure étrange de leurs disques. Pour toutes les œuvres en plusieurs faces, la deuxième de chaque disque s'usait avec une rapidité déconcertante alors que la première restait normale (?). Chacun affirmait avoir suivi ponctuellement les instructions du mode d'emploi sur le changement d'aiguille... et c'était vrai ! Mais il y était textuellement écrit : « Une aiguille neuve pour chaque disque ». Et les clients très docilement ne la changeait qu'après la deuxième face de chaque disque... Un mot pour un autre (disque au lieu de face !) et la perte fut considérable. Cette anecdote prouve le bien fondé de nos précédentes explications (Deuxième partie, chapitre V).
Nous pensons avoir suffisamment insisté auprès des usagers de l'aiguille en métal sur l'obligation du changement à chaque face du disque. Ils seront libres de ne pas suivre nos conseils mais ceci au grand dam de leurs collections. De cela nous ne serons pas responsable !
Encore une fois, nous ne conseillons pas les aiguilles semi-permanentes et moins encore les permanentes.
Aiguilles non métalliques
Les aiguilles triangulaires en bambou ou fibre, les porcs-épics, les électro-thermiques, etc. sont trop connues pour en parler à nouveau. Mais nous reviendrons sur les nouvelles aiguilles en Duralhyte dites Super-Voxia dont un grand nombre d'amateurs passionnés nous ont communiqué ce que la pratique raisonnée de cette aiguille a pu leur apprendre.
Entre autres observations, il résulte de ces essais que la pointe offre une plus grande résistance à l'usure après l'audition de deux ou trois faces qu'à la première ! On le conçoit aisément lorsqu'on étudie de près ce phénomène. Il se produit, en somme, une sorte de brunissage de la matière par son frottement sur le disque. D'où une plus forte cohésion moléculaire. La pointe se désagrège beaucoup moins et met plus de temps à s'user. A partir de la troisième ou quatrième face, elle donnera un grand nombre de reproductions pures sans même déplacer l'aiguille dans son support. Les auditions resteront bonnes jusqu'à ce que le cône de la pointe en descendant, par suite de l'usure, dans le sillon, vienne remplir puis dépasser toute sa largeur.
Si donc une petite altération du son se produit au cours des premières faces, ne pas s'en inquiéter. Il faut persévérer et ne pas rejeter l'aiguille en service ni la réaffûter. On continuera de jouer d'autres disques après avoir déplacé l'aiguille d'un tiers de tour.
Il est à remarquer qu'une pointe qui semble fléchir à la fin d'une face redonne à nouveau des sons purs dès le début de la face suivante sans avoir à la déplacer ; preuve évidente du moins bon rendement sonore en fin de sillon.
Bien que la Duralhyte soit peu hygrométrique, il y aura avantage à conserver les aiguilles dans un endroit sec et même de les chauffer légèrement avant leur emploi. Il suffira de les placer sur l'abat-jour d'une lampe électrique allumée ou à même le verre de l'ampoule. En hiver, on les déposera sur un radiateur, un poêle, etc.
Quelques amateurs nous signalent avoir pu jouer entièrement des œuvres importantes sans changement d'aiguille : tout le troisième acte des Maîtres Chanteurs (36 faces 30 cm.), Werther (30 faces), Pelléas et Mélisande (40 faces), ce qui représente pour cette dernière œuvre un parcours de 8 kilomètres (huit mille mètres). Sans commentaire !
Autres conseils : lorsque le son commence à perdre de la netteté, il est possible de la lui rendre, simplement en appuyant légèrement (pendant la marche) le doigt sur le diaphragme ou sur la tête du pick-up.
Bien souvent l'accumulation de poussières sous la pointe de l'aiguille provoque une altération de la pureté. Pour cette raison et pour celle dont nous parlerons dans le chapitre suivant, il est indispensable d'enlever ces poussières avant chaque audition En cours de marche la pression sur le « lecteur de son » sera suffisante pour tout remettre en bon état
Quand la pointe présente à son extrémité une petite touffe de filaments venant de l'usure, on peut refaire une pointe acceptable en la « grattant » avec l'ongle dans le sens longitudinal et vers la pointe.
Nous préférons la pointe très allongée. Elle permet un plus grand nombre de reproductions, mais son emploi est plus délicat en raison de sa fragilité.
Si une aiguille se casse dans le logement du porte-aiguille et que l'on ne puisse pas la retirer avec des pinces ou une épingle (cas très rare), on libérera le trou en le reperçant avec un foret de 15/10 de millimètre.
Un excellent affûtage est obtenu en remplaçant le papier abrasif par une pierre à affûter à grain medium ou à grain fin (genre India). La pierre est inusable.
Et maintenant, un reproche ! Toutes les aiguilles non métalliques : bambou, fibre, porc-épic, etc., jusqu'à la Duralhyte, ne peuvent supporter sans se briser l'audition de certains disques (cas heureusement peu fréquent). La pointe se casse irrémédiablement au même endroit sur chacune de ces faces rébarbatives ! La nature du sillon en est la cause : amplitude exagérée d'ondulations très rapprochées, très denses, par conséquent aigus trop puissants. Une matière rugueuse, comme celle de la « production de guerre », collabore à la destruction rapide de la pointe. Néanmoins on arrive, avec de la patience, à améliorer puis à supprimer ce fâcheux phénomène en rejouant l'endroit scabreux autant de fois qu'il le faudra pour en « forcer le passage ». Après vingt, trente fois, ou plus, toujours avec une pointe neuve, les arêtes des ondulations vibratoires se trouveront suffisamment polies pour ne plus détruire la matière de l'aiguille. Opération fastidieuse, certes, mais qui peut se faire en plusieurs fois et dont le résultat vaut réellement la peine de l'entreprendre.
Pour terminer sur une note plus encourageante, nous donnerons comme preuve de la nullité absolue de l'usure des disques par les aiguilles non métalliques, le cas de notre disque test ayant à son actif plus de six mille reproductions sans altération appréciable (Fantaisie impromptu de Chopin par Backhaus). Il est à présumer qu'avec l'aiguille d'acier on jouerait... la face opposée !
Le Disque et la Discothèque
Les disques durs moulés sont constitués par une matière à base de gomme laque. A la matière du début produisant un frottement très intense, succéda progressivement une pâte de plus en plus homogène. Ce perfectionnement et celui apporté aux « moulages galvanoplastiques » parvinrent à produire des disques exempts de tous bruits indésirables. Pour ne pas grever le prix de revient du disque, certaines firmes n'utilisent cette nouvelle pâte qu'en couche superficielle sur matière ordinaire avec interposition d'une feuille de papier. Ce disque est moins fragile, mais présente parfois le défaut de provoquer au bout d'un temps indéterminé de petites bulles qui s'écaillent au passage de l'aiguille. Ce phénomène est très rare, mais devait être indiqué. Dans ce cas, le mieux sera de reporter le disque au vendeur. Il signalera ce défaut de fabrication à l'usine qui avisera.
Une précaution indispensable à prendre, si l'on veut conserver sa collection de disques en bon état, est le nettoyage du sillon avant chaque audition, surtout si l'on fait usage de l'aiguille d'acier. Après le passage de l'aiguille, il reste dans le sillon des particules extrêmement ténues formées de la matière du disque et de celle de l'aiguille. Si ces poussières ne sont pas éliminées entièrement, elles constituent un abrasif désastreux pour les parois du sillon au moment du passage de l'aiguille suivante. Il est donc indispensable d'enlever ces poussières à l'aide d'une brosse, bichon ou pinceau spécialement affecté à cette opération. Le mieux est de pratiquer ce nettoyage avec une brosse de peintre dite queue de morue de 8 à 10 cm. de largeur, en soie de porc assez longue. Il existe aussi de petites brosses qui se fixent sur le bras du pick-up ou le coude du diaphragme et qui précèdent, de quelques spires, le déplacement de l'aiguille dans le sillon. Nous préférons l'action plus énergique et effective de la queue de morue, encore que les deux moyens peuvent avantageusement se combiner. Avant l'audition, emploi de la queue de morue, pendant la marche, usage de la petite brosse mais placée après le passage de la pointe. Ce mode opératoire nettoie une grande partie des poussières qui viennent de se former et qui ne sont pas encore très adhérentes à la matière du disque. Deux précautions valent mieux qu'une. Mais ce nettoyage automatique a l'inconvénient de freiner la marche du moteur et cela en rapport avec la dureté de ladite brosse et de la force du moteur.
Un défaut très fréquent est la quasi-inexistence du centrage de la gravure par rapport au trou central du disque. L'une des deux faces est presque toujours sacrifiée et c'est même souvent celle qui en souffre le plus. Nous voulons parler des fluctuations si désagréables qui s'entendent dans les sons tenus et dans les mouvements lents. Le défaut de centrage du trou central produit un mouvement latéral alternatif de la tête reproductrice à chaque tour du plateau. Le refoulement de l'aiguille par le sillon décentré provoque une poussée de la tête du pick-up ou du diaphragme dont l'inertie est rompue. En conséquence la force du son se trouve modifiée alternativement en plus ou en moins de la puissance normale. Certaines œuvres possédant ce défaut de fabrication sont pratiquement injouables. Un trou central trop grand ou un axe de diamètre trop petit peuvent aboutir au même effet par l'emplacement incertain et variable du disque sur le plateau. Une différence de quelque 1/10 entre le diamètre du trou et celui de l'axe suffit pour donner lieu à ce phénomène. C'est dire que dans ce cas il est possible de recentrer le disque sur le plateau, avant l'audition, en le déplaçant de la quantité nécessaire. Pour y parvenir, on mettra l'appareil en marche et l'on examinera les mouvements latéraux de la tête reproductrice. Lorsque ce déplacement sera le plus rapproché de l'axe, on donnera avec l'ongle du pouce un coup sec et rapide sur le bord du disque, du côté opposé au diaphragme (ou pick-up). Le bord du trou viendra buter contre l'axe et il est rare que cette petite opération ne soit pas suffisante. S'il en est ainsi on aura avantage à faire une marque sur l'étiquette du disque, ce qui permettra de toujours le mettre en bonne place, sans avoir recours au réglage préalable.
Si le décentrement existe avec une face dont le trou est juste de la grosseur de l'axe et ne peut par conséquent pas se déplacer, on agrandira très légèrement et progressivement le diamètre du trou avec l'extrémité pointue d'une paire de ciseaux. Tourner la branche avec précaution et essayer fréquemment les progrès du travail jusqu'à complète satisfaction.
Le voilage du disque est un défaut moins important s'il n'est pas exagéré. Le déplacement vertical qu'il fait subir à la tête reproductrice est pour ainsi dire sans effet marquant sur la qualité sonore. Malgré tout, il vaut mieux l'éviter. Ce défaut provient d'une mauvaise position du disque pendant un repos prolongé. Pour éviter le voilage, rien ne vaut l'empilage des disques. Ce procédé leur est hélas ! bien néfaste. Beaucoup se trouvent rayés, détériorés, mis hors de service par le maniement des piles lourdes et encombrantes. Le classement par album est plus pratique mais il arrive que ces collections placées verticalement ne maintiennent pas les disques suffisamment serrés les uns contre les autres et que le voilage fasse lentement son apparition. Le mieux est de donner aux disques mis les uns contre les autres une position légèrement inclinée, le premier disque reposant sur une planchette penchée de 30° environ. De cette manière les disques, par leur propre poids, se conservent parfaitement plans. Le maniement en est simple et rapide, sans crainte de détérioration. Dans les classeurs à chemises ou à séparations pivotantes ou non, il est nécessaire que les parois soient planes, sans aspérités et qu'elles recouvrent entièrement les disques à protéger.
Pour aplanir des disques voilés, les empiler très exactement sur un marbre de cheminée et les recouvrir d'autres disques ou de livres lourds, Bottin par exemple. Si la cheminée est chauffée, l'opération sera plus rapide.
Ne jamais manier un disque en le prenant horizontalement, seulement par le bord, surtout ceux de 30 cm. Il faut, en même temps, allonger les autres doigts, en dessous, le plus possible vers le centre.
Eviter de frotter les disques nus l'un contre l'autre, surtout le bord d'un disque contre les spires des disques voisins. S'habituer à les ranger aussitôt après leur emploi dans leurs pochettes, albums ou classeurs.
Ne poser un disque nu que sur une surface parfaitement plane et nette de toute poussière ou corps étranger.
***
Disques souples
L'enregistrement direct ou particulier a été rendu possible par la mise au point d'un moteur électrique dont la puissance est calculée pour que la vitesse de rotation du plateau ne puisse être influencée par le freinage du burin enregistreur gravant le sillon dans la matière assez dure du disque vierge. Ce freinage est d'autant plus grand que le diamètre de la spire est important. Malgré la diminution progressive de résistance mécanique du burin traceur se déplaçant vers le centre, la vitesse du plateau doit rester immuable. A la reproduction, un disque souple offre plus de résistance à l'aiguille qu'un disque moulé du commerce. Sur un appareil reproducteur à petit moteur mécanique, il est parfois impossible de jouer le début d'un disque souple de 30 cm. Pour y parvenir, il faudra alléger le poids du diaphragme ou de pick-up comme il est indiqué au chapitre I, page 162.
L'appellation de disques souples pour ceux utilisés dans l'enregistrement particulier vient de ce que les premiers disques vierges destinés à ce genre d'enregistrement étaient constitués par une feuille mince de gélatine pouvant se rouler. D'autre part, certaines maisons d'éditions sonores pressèrent des disques sur matière cellulosique. Par la suite, les disques vierges furent présentés sur supports en carton, puis sur zinc, aluminium et verre. Devenus rigides, ils conservèrent néanmoins leur dénomination de disques souples pour les différencier des disques durs commerciaux. La gélatine fut remplacée par des vernis cellulosiques dont la recherche fut délicate et fort longue avant de parvenir aux vernis actuels : matière très homogène sans bruit de surface se gravant facilement et offrant cependant une grande résistance à l'usure. Tous ces disques nécessitent l'emploi d'aiguilles spéciales (courbes où à pointe arrondie) ou l'usage d'aiguilles non métalliques.
L'usure des disques souples est environ deux fois plus rapide que celle des disques durs en matière moulée. Ne pas omettre de passer une brosse douce sur leur surface avant chaque audition.
DU RÉCITAL LUCIENNE DELFORGE
Enregistré au Town-Hall de New York par la N.B.C.
Texte de Henry Mercadier, enregistré par l'auteur
(Extrait).
MESDAMES,
MESDEMOISELLES,
MESSIEURS,
Nous allons entendre, grâce à nos hôtes auxquels rien d'artistique n'est étranger et qui depuis quarante ans ont dévoué leur vie d'inventeurs à la radio et aux disques sous tous leurs aspects, des disques qui constituent une merveilleuse innovation, la plus précieuse qu'on ait jamais réalisée dans le domaine de la technique au service de la musique pure.
Il y a six mois, Lucienne Delforge, que nous sommes déjà nombreux à considérer comme la plus grande artiste du piano que la France ait connue, Lucienne Delforge, que les plus sévères critiques étrangers ont égalée aux plus illustres, à Paderewski, à Liszt lui-même, l'ambassadrice de la musique française, quittait la France pour entreprendre une deuxième tournée de récitals à travers les Etats-Unis. Cette tournée débutait au Town-Hall à New York par un récital dont nous saurons tout à l'heure qu'il fut un triomphe, car nous allons l'entendre.
Il fut enregistré intégralement par les techniciens de la N.B.C. dans la salle même, le même soir, tandis que la musicienne interprétait pour ses deux mille auditeurs quelques-unes des plus belles pages des maîtres français, que depuis cinq ans, elle n'a pas cessé d'imposer, seule, sans autre aide que sa volonté, sans autre appui que sa dévotion, à l'admiration du monde.
Ce fut la première fois dans l'histoire de la musique que le récital tout entier d'un grand instrumentiste était ainsi directement et immortellement fixé dans la cire, sur des disques qui reproduisent, non seulement la prodigieuse beauté de l'interprétation, mais encore toutes les réactions de la foule qui s'était amassée ce soir-là pour applaudir Lucienne Delforge, et à travers elle : la France !... Une seule face a un peu souffert du voyage, mais trop peu pour nous décevoir. D'ailleurs l'excellent rendement de l'appareil reproducteur donnera la parfaite illusion, je l'espère, d'être mêlé à la foule du Town-Hall pour écouter Lucienne Delforge.
………………………
C'est une consolation de savoir qu'en des temps aussi douloureux, une grande Française peut faire encore acclamer à travers elle la plus grande France. C'est une consolation et une fierté que grâce à nos hôtes, Paris, dominé par le malheur, soit aujourd'hui cependant le témoin d'une réalisation aussi neuve, aussi hardie, aussi complète. Désormais, les voix chères ne se tairont plus. Ce qu'aucun disque fait en studio ne restituera jamais, ces disques nous le donnent. Il y a là toute l'atmosphère attentive, arrêtée, des grandes salles de concerts à leur plus haut point d'intensité et de fièvre tendue. Il y a là l'effort surhumain de l'artiste qui se dépasse pour dominer le public, pour lui communiquer son amour passionné de la grandeur et de la beauté des œuvres qu'il interprète.
Et maintenant, rêvons... (A ce moment le studio est plongé dans la demi-obscurité) : Nous sommes à 5.000 km. de Paris, à New York, dans l'énorme salle de Town-Hall, à deux pas de Broadway la frénétique. Nous sommes là, mêlés à ces deux mille Américains qui sont venus entendre la vraie voix, ardente et glorieuse de la France blessée. Sur l'immense scène, le piano attend celle qui, tout à l'heure, fera de lui le plus harmonieux des instruments humains. Sous les projecteurs, une jeune femme, une jeune fille, presque une enfant, s'avance lentement. Les cheveux blonds, dans sa robe bleu pastel, elle semble une fragile apparition, toute petite flamme bleue d'amour et de fidélité, couronnée du grand soleil de France. Elle s'avance, timide, simple, émue, grave et souriante. Dans son beau visage beethovénien que la prière, la méditation et l'étude ont modelé, les grands yeux verts ont toute la lumière profonde de nos forêts, l'espoir douloureux de notre terre, l'héroïsme quotidien de notre ciel. Ses doigts vertigineux, ses mains miraculeuses caressent déjà le clavier soumis à sa toute-puissance.
...Ecoutons. Ecoutons au lendemain même du cinquantenaire de la mort de César Franck, celle qui demeure, à travers son maître Vincent d’Indy, la fille spirituelle du « Père séraphique ». Ecoutons par elle, chanter d'une voix suprême le Génie musical de la France... Ecoutons Lucienne Delforge !
Signatures des personnalités ayant assisté au récital Lucienne Delforge
Exposition du centenaire de Charles Cros (1942)
par sa camarade du « Lapin à Gilles », Lil Boël,
DU RÉCITAL POSTHUME LOUIS BORY
Mort au champ d'honneur à Péronne le 18 mai 1940
M. Hurm, qui est la source même de la réussite de Louis Bory en enregistrement, a conçu une idée que les adjectifs habituels défloreraient, fussent-ils les plus beaux.
Dans son chagrin demi-paternel, M. Hurm a voulu nous réunir, nous qui avons connu Louis Bory, pour communier dans la joie douloureuse d'entendre sa voix, pour entourer les siens propres et leur offrir le réconfort de notre douleur et de notre respect.
Dès que notre hôte eut révélé son projet, tous ceux qui le pouvaient ont concouru à sa réalisation, Aujourd'hui, le projet s'exécute et là, commence notre devoir d'amitié.
Nous devons semer notre propre regret dans le cœur de ceux qui l'ont méconnu. C'est la seule façon de prouver notre souvenir, de consoler notre, peine en lui restant fidèle.
Et c'est rendre un juste hommage à la voix d'or disparue.
La raison se refuse à accepter l'irréparable destin qui valut aux vingt-cinq ans joyeux de Louis Bory la citation suivante :
Ordre n° 342-C. (extrait)
Le général d'armée Huntziger, commandant en chef des forces terrestres, ministre secrétaire d'Etat à la Guerre, cite :
A l'ordre de l'Armée
Laniboire Louis (alias Louis Bory) conducteur à la 248e compagnie du Train : « Accompagnant un officier en mission de reconnaissance a été atteint mortellement. A eu le courage et la présence d'esprit d'appuyer sur l'accélérateur de la voiture de liaison que venait d'abandonner le conducteur lui-même mortellement blessé, ce qui a permis à l'officier de prendre le volant et d'échapper à l'ennemi. »
Le 10 octobre 1940
Pour extrait conforme Signé : HUNTZIGER
Le lieutenant-colonel Copie certifiée conforme :
chef de la section du Le colonel PERRE
personnel de l'Etat- Commandant de la
Major de l'Armée. 2e Division cuirassée
La raison se refuse à le voir couché dans le dortoir éternel de Compiègne-Royalieu, mais la raison accepte avec fierté le souvenir du héros qu'il ne pouvait pas ne pas être...
Louis Bory avait, par-dessus tout, l'âme semblable à sa voix : sentimentale, tendre, émouvante.
Il aimait Paulo, il aimait le Lapin où nous formions une troupe intime et rieuse dont il était l'animateur espiègle. Pour nous, il était « Loulou » et il reste « Loulou ».
Si les sentiments mouraient avec ceux qui les inspirent, nous ne garderions pas leur souvenir.
Il faut que Louis Bory ait la place qu'il mérite, la renommée que doit glaner tout artiste de sa qualité. Louis Bory n'est pas mort puisque nos cœurs sont vivants. Il vit dans les nôtres et vivra par eux.
Il faut qu'à force de parler de lui, tous se disent : « Mais qui est-il donc ? » et veuillent le connaître et l'entendre. Tous, alors, lui seront reconnaissants autant que nous le sommes, de goûter la beauté au maximum par sa simplicité et sa vérité.
Louis Bory aimait presque exclusivement les mélodies tristes et il semblait à ceux qui le comprenaient que, en partageant la peine des poètes, il exprimait un confus besoin de larmes à côté de sa vie dont le besoin était de rire.
Il va venir parmi nous.
Il nous voit, là, recueillis devant son image, dans une lumière sombre semblable à celle du Lapin où sa voix nous emportait vers l'espoir, la douleur, le rêve...
Exact au rendez-vous, il va venir, ému, comme toujours.
Il va refaire son geste en arrière des bras le long du pilier comme pour élargir la place de son cœur… comme pour une envolée... Il va dresser sa tête... hausser ses regards loin vers quelque point au delà de nos têtes, au delà des murs... au delà de la vie...
Il va venir dans ce studio qu'il connaît, passer entre ces fauteuils que sa main a caressés, car c'est ici même qu'il a fait son premier enregistrement et reçu la révélation de sa propre voix.
Il revenait souvent s'entendre dans un souci de conscience jamais satisfaite, toujours accueilli avec la même bienveillance, la même affection par notre hôte qui l'encourageait pour le toujours plus grand triomphe de son art.
Bénissons Dieu qui a donné à Louis Bory le pouvoir de rester jeune jusqu'au bout de notre âge.
Bénissons Louis Bory qui nous fera garder nos souvenirs intacts par sa voix qui ne vieillira pas.
Il va être présent parmi nous, que rien ne trouble sa venue.
Soyons pieux.
Attendons-le dans le silence...
Notre tâche est terminée. Celle des futurs artistes ès phonographe (pourquoi non !) va commencer.
La lecture d'une méthode est toujours un peu ardue. Nous espérons cependant avoir suffisamment intéressé nos « élèves » non seulement par la nouveauté de celle-ci, mais également par des explications aussi simples et aussi claires que possible. Nous avons écarté à dessein les formules techniques, les exposés spécifiquement scientifiques dont l'aridité aurait encore augmenté la sécheresse d'explications déjà fastidieuses par elles-mêmes. Nous souhaitons y avoir réussi en révélant à beaucoup de nos lecteurs ce qui leur paraissait jusqu'ici un mythe ou une galéjade : l'art phonographique. A ceux-là, qui en seront les protagonistes fervents, nous dirons : Bon travail ! Beaux succès !
« Jouer du phono » n'est plus
une boutade, c'est une réalité.
CETTE ÉTUDE A ÉTÉ TERMINÉE
le 1er octobre 1942
Par une heureuse coïncidence, cet ouvrage a été terminé le jour du centenaire de la naissance de Charles Cros.
Nos lecteurs comprendront avec quel enthousiasme nous applaudissons aux efforts de la Société des conférences Ch. Cros qui a profité de cet anniversaire pour rappeler, en les fêtant dignement, le nom et l'œuvre de ce savant français trop longtemps méconnu. Admiré par ses contemporains, la mort a failli ne pas le rendre immortel ! Grâce à ses amis et à ses admirateurs son nom sera sauvé de l'oubli et nous sommes fiers d'apporter avec ce volume notre coopération à cet acte de reconnaissance en rappelant à ceux qui nous liront tout ce qu'ils doivent au génie de Charles Cros.
Nous remercions bien vivement les dirigeants de la société Pathé-Marconi d'avoir très obligeamment mis à notre disposition les documents de leur Exposition du centenaire de Ch. Cros. Ils nous ont permis de compléter d'heureuse façon l'illustration de cette étude.
HORACE HURM.
Œuvres classées par rang de dates
MONCEL (Comte Th. du). — Le Microphone, le phonographe. Bibliothèque des Merveilles, Hachette (1882).
DESBEAUX, Emile. — La Physique populaire. Camille Flammarion, éditeur (1891).
GAUTIER, Emile. — Le Phonographe. Son passé, son présent, son avenir. Flammarion, éditeur (1905).
CŒUROY et CLARENCE. — Le Phonographe. Kra (1929).
ESCOLIER, M. — Les Instruments musico-mécaniques et le Droit d'auteur. Recueil Sirey (1930).
WEISS, E.-H. — Phonographe et Musique mécanique. Hachette, éditeur (1930).
CŒUROY et JARDILLIER. — Histoire de la musique avec l'aide du disque. Delagrave, éditeur (1931).
HEMARDINQUER et DUMESNIL. — Le Livre du disque et du phonographe. Chiron, éditeur (1931).
DEVIGNE, Roger. — Le Musée de la parole et du geste. Musée de la parole, 19, rue des Bernardins, Paris (1935).
DEVIGNE, Roger. — De la Mission des Ardennes (1912) à la Mission Alpes-Provence (1939). Phonothèque nationale, 19, rue des Bernardins, Paris (1942).
BOUASSE. — Cours de physique. Tome III (Université de Toulouse).
Portraits des inventeurs du phonographe
(Physique populaire, Flammarion éd.) Couvert.
Charles Cros en 1875 16
Caricature de Charles Cros 17
Le radiomètre de Charles Cros 19
L'usine Lioret à Paris 21
Pli cacheté déposé par Charles Cros le16 avril 1877 32
Couverture d'un ouvrage de Charles Cros 33
Dessins dédiés à Lioret 41
Le télégraphone de Poulsen 58
Le phonographe en 1632 ! 64
Le stand Edison à l'Exposition de 1889 65
Coupe du premier phonographe 65
La vitesse du débit dans la parole normale 71
Le phonographe à l'Académie des Beaux-Arts 80
La récolte de la cire du carnauba 81
Coupe par l'axe du sillon d'un disque à saphir 84
Schéma pour la reproduction d'un son 86
Schéma pour l'enregistrement d'un son 87
Le phonographe Edison perfectionné 112
Inscription phonographique des sons musicaux 112
Le phonotaugraphe de Léon Scott de Martinville 113
Le premier phonographe d'Edison 113
Le graphophone de Sumner Tainter 113
Le gramophone de Berliner 113
Enregistreur de graphiques sonores 128
Premier phonographe Lioret 128
Phonographe Lioret 128
Le diaphragme de Bettini 129
Diaphragme à air comprimé Gaumont 129
Phono Pathé 1900 160
Pathépost 160
Appareil enregistreur pour enregistrement direct 161
Radio-phono enregistreur 161
Synchronisateur sonore pour films d'amateurs 161
Signatures des personnalités ayant assisté au
récital Lucienne Delforge 176
Exposition du centenaire de Charles Cros 176
***
La gravure de la couverture est extraite de La Physique populaire, par M. Desbeaux (Flammarion, éd.).
TABLE DES MATIÈRES
Page
Introduction 13
Historique et rétrospective 17
Le phonographe enregistreur et la pédagogie 43
Les perfectionnements du phonographe 55
Applications diverses du phonographe 69
Introduction à la pratique du phonographe 81
Quelques mots sur l'enregistrement sonore 83
L'enregistrement électrique 91
Constitution et caractéristique des disques 93
Les appareils reproducteurs mécaniques 99
Les appareils reproducteurs électriques 103
Comment choisir son phono mécanique 105
Comment choisir son appareil électrophonique 111
Les aiguilles non métalliques 125
Présentation d'une soirée artistique de musique
mécanique 129
Influence de l'ambiance sur l'impression auditive 137
Où et comment installer un reproducteur 141
Etude sur la reproduction des disques. Correction
des défauts qui leur sont propres 145
Modification de la sonorité générale par le
potentiomètre du tone-contrôle 147
Etude sur les possibilités de l'impédance variable 151
Résumé des moyens propres à assurer des
Les défauts. Causes et remèdes. Conseils divers 157
Moteur mécanique 157
Moteur électrique 158
Plateau 158
Réglage de la vitesse 159
Arrêt automatique 161
Diaphragme 161
Pick-up 163
Aiguilles métalliques 164
Aiguilles non métalliques 165
Le disque et la discothèque 168
Disques souples 172
Présentation du récital Lucienne Delforge 175
Présentation du récital Louis Bory 179
Conclusion 183
Bibliographie 187
ACHEVÉ D'IMPRIMER
POUR LES PUBLICATIONS TECHNIQUES
SUR LES PRESSES DE
LANG, BLANCHONG ET Cie
PARIS - 31-1040
LE 31 JANVIER 1944
AUTORISATION N° 20644/36