Une invention française : le Pick-up
On reproche couramment aux Français, doués d'un merveilleux esprit d'invention, non seulement de ne savoir pas exploiter ce qu'ils découvrent, mais encore bien souvent, par la faute d'une trop grande modestie ou d'une trop grande négligence, de perdre même la paternité d'une invention qui leur appartient, au bénéfice d'une nation qui a su en tirer profit.
Il en est ainsi pour le pick-up. Certains croient qu'il a été inventé peu à peu ; d'autres qu'il nous vient d'Amérique.
C'est en 1896 que F. Dussaud a présenté le pick-up pour la première fois à une réunion de savants à la Sorbonne.
Le pick-up, universellement utilisé aujourd'hui, est un petit dispositif électromagnétique qui remplace le diaphragme du phonographe et qui transforme les vibrations mécaniques de l'aiguille en courants électriques que l'on amplifie ensuite.
Il se compose en principe d'un petit électro-aimant du genre des bobinages des écouteurs téléphoniques devant les tôles duquel se trouve une petite armature en fer à laquelle est fixée l'aiguille.
Lorsqu'on envoie un courant modulé dans l'électro-aimant, il agit sur le fer doux qui vibre en s'éloignant et se rapprochant des pôles de l'électro et communique ces vibrations à l'aiguille. L'aiguille enregistre alors une trace du courant dans une matière plastique.
Lorsque l'on fait repasser l'aiguille dans la trace ainsi obtenue, elle épouse les vibrations gravées dans la cire et reproduit les mêmes mouvements qu'elle possédait lors de l'enregistrement : elle les communique au fer doux qui, en vibrant, engendre par induction un courant dans l'électro. Ce courant reproduit le courant qui avait été envoyé dans l'électro.
Coupe d'un pick-up enregistreur "mélographe" Thorens.
D'une façon générale, le pick-up enregistre et reproduit les phénomènes électriques ; l'inventeur du pick-up avait dit, en le présentant à la Sorbonne : on pourra conserver les phénomènes électriques.
Il est bien évident que si l'on transforme en phénomènes électriques d'autres phénomènes vibratoires, le pick-up pourra indirectement conserver ces phénomènes vibratoires. D'où deux applications du pick-up, l'une déjà ancienne puisqu'elle est née en même temps que lui (phonographe électrique), l'autre tout à fait récente puisqu'elle n'a pas encore reçu son application : c'est la photographie et la cinématographie électriques.
Enregistrement et reproduction électrique des phénomènes sonores. — Le pick-up permet d'enregistrer et de reproduire des phénomènes sonores. C'est la première application. F. Dussaud, dès 1896, fit entendre à la Sorbonne le premier phonographe électrique avec ses quatre organes maintenant si répandus :
1° Le microphone d'enregistrement ;
2° Le pick-up enregistreur ;
3° Le pick-up reproducteur ;
4° Le haut-parleur.
Mais, dès 1894, le jeune physicien François Dussaud, âgé de vingt-trois ans, avait inventé cet appareil.
Phonographe électrique enregistreur. — Le microphone d'enregistrement était un microphone du type à grenaille de charbon. Il recueillait fidèlement les sons, les transcrivait et les interprétait en courants électriques qui venaient impressionner le pick-up, du type électromagnétique universellement employé aujourd'hui ; il l'appelait alors électro-aimant graveur. L'appareil était appelé microphonographe.
Grâce à cet appareil, l'inventeur put enregistrer les bruits de l'auscultation, les battements du cœur, la marche des insectes. Le courant qui passe dans le microphone et le pick-up était amplifié en augmentant le nombre des éléments de pile. On se servit aussi du courant du secteur, réduit convenablement, et on amplifiait en utilisant un rhéostat.
Aujourd'hui l'amplification est facilement réalisée au moyen d'amplificateur de T. S. F.
De même que le nom de paléophone donné par Cros au premier phonographe mécanique n'avait pas subsisté, de même le nom de microphonographe donné par Dussaud à son premier appareil ne fut pas conservé.
Phonographe électrique reproducteur. — Le pick-up reproducteur était du type à grenaille de charbon ; il comprenait une aiguille actionnant un microphone à grenaille, de même que le pick-up à grenaille encore employé aujourd'hui sous le nom de microbox, et qui donne un résultat parfait.
On avait essayé comme reproducteur le pick-up enregistreur, mais il agissait faiblement sur l'organe dénommé haut-parleur. C'est pourquoi l'inventeur avait imaginé un autre genre de pick-up, type à grenaille de charbon et construit spécialement pour recevoir un courant que l'on augmente à volonté : ce qui donnait une très grande puissance au haut-parleur.
Ce haut-parleur était constitué par un récepteur de téléphone spécial, construit pour supporter des courants intenses.
On amplifiait le courant qui passe successivement dans le pick-up reproducteur et le haut-parleur en augmentant le nombre des éléments de pile ou bien en se servant du courant du secteur, réduit au moyen du réducteur, amplifié au moyen d'un rhéostat.
Aujourd'hui, grâce aux amplificateurs de T. S. F., le même pick-up du type électromagnétique peut être utilisé comme enregistreur et reproducteur.
Il est toutefois curieux de constater que le pick-up à grenaille de charbon est encore employé quand on veut se dispenser entièrement de l'intermédiaire de l'amplificateur. On obtient une reproduction incomparablement plus pure.
Cinématographe électrique enregistreur.
Première application industrielle du phonographe électrique. — C'est dans les laboratoires de la Sorbonne, en 1897, que furent posées les premières bases scientifiques de la combinaison du phonographe électrique avec le cinéma, afin de faire de celui-ci le cinéma parlant ; il était réalisé au cours de cette même année 1897, dans un petit théâtre de Paris, où l'on pouvait assister, écrit Yung, « au curieux spectacle de voir et d'entendre un orateur parlant du haut d'une tribune, un orateur en effigie, dont l'image et les mouvements ont été saisis par le cinématographe et dont les paroles ont été inscrites sur un rouleau de phonographe ». C'est Paris qui eut le privilège de posséder le premier cinéma parlant, à l'Olympia, boulevard des Capucines, en 1899. A l'exposition de 1900 la nouvelle invention fait merveille : fait curieux à signaler, dans la liste des médailles d'or de la classe 15, les deux noms de Dussaud et d'Edison se suivent par le hasard de l'ordre alphabétique et évoquent l'un le phonographe électrique et l'autre le phonographe mécanique, qui devait être remplacé par le précédent.
Puis l'invention fait son chemin. En 1910, le phonographe électrique est exploité avec le cinématographe sous le nom de phonoscènes. En juin 1913, des représentations sont données à New York.
Si la guerre arrête momentanément l'élan du phonographe électrique, son essor reprend dès 1920. Le phonographe électrique enregistreur fait disparaître le phonographe mécanique enregistreur. Le phonographe électrique reproducteur prend chaque jour une place plus grande au détriment du phonographe mécanique reproducteur.
Enregistrement et reproduction électriques des phénomènes lumineux. — C'est tout récemment que F. Dussaud vient d'utiliser le pick-up pour l'enregistrement et la reproduction électriques des phénomènes lumineux ; il a réalisé ainsi la photographie et la cinématographie électriques, dont les principes sont analogues à celui de la phonographie électrique : traduire les modulations lumineuses en modulations électriques et les enregistrer ; reproduire ces modulations électriques et les retraduire en modulations lumineuses.
Pour photographier et pour cinématographier sans manipulation et avec vision immédiate des sujets fixes ou animés, Dussaud place les sujets devant un transmetteur de télévision et enregistre le courant créé par ce dernier au moyen d'un enregistreur électrique.
On sait, en effet, que l'image du sujet fixe ou animé est projetée, au moyen d'un système optique sur un disque explorateur. Ses différents points viennent successivement impressionner une cellule photoélectrique qui transforme cette énergie lumineuse en énergie électrique. C'est ce courant qu'enregistre le pick-up. On reproduit le courant ainsi enregistré au moyen d'un reproducteur électrique et on envoie le courant créé par ce dernier dans un récepteur de télévision.
C'est en général une lampe au néon, dont l'intensité lumineuse varie instantanément et proportionnellement au courant électrique reçu (c'est-à-dire de l'éclairement de la cellule photoélectrique exploratrice) ; cette lampe transforme donc l'énergie électrique reçue en énergie lumineuse et qui éclaire un disque récepteur tournant en synchronisme parfait avec le disque émetteur.
Ainsi, en remplaçant dans le phonographe électrique le microphone par un transmetteur de télévision et le haut-parleur par un récepteur de télévision, on obtient un cinématographe électrique. Au lieu d'avoir ainsi un cinématographe électrique à la fois enregistreur et reproducteur, on peut avoir :
1° Un cinématographe électrique enregistreur comprenant un transmetteur de télévision et un enregistreur électrique ;
2° Un cinématographe électrique reproducteur comprenant un reproducteur électrique et un récepteur de télévision.
Le problème du synchronisme primordial en télévision est réalisé de la façon suivante. Les deux appareils auront chacun :
a) Le même rapport de vitesse entre leurs organes rotatifs de télévision et leur plateau porte-disques ;
b) Des repères assurant toujours la même position des disques sur le plateau et le même point de départ des pick-up enregistreurs et reproducteurs. On va tenter à ce propos de réaliser une entente entre tous les pays pour que les disques enregistrés dans l'un d'eux puissent être entendus dans tous les autres.
Avantages de la photographie électrique et de la cinématographie électrique. — 1° On peut reproduire instantanément des sujets fixes ou animés au fur et à mesure de leur enregistrement en plaçant exactement derrière l'enregistreur un reproducteur lié à un récepteur de télévision ;
2° On peut retoucher d'une manière continue l'enregistrement des sujets fixes ou animés au fur et à mesure qu'il se réalise, par un réglage continu du courant (cette retouche, appliquée à l'enregistrement des sons, a été pour une très grande part dans l'amélioration des disques actuels) ;
3° On peut enregistrer simultanément sur un même disque de phonographe des auditions de T. S. F. et des vues de télévision avec reproduction simultanée et immédiate sans manipulation.
Cinématographe électrique reproducteur.
Les postes de T. S. F. et de télévision ainsi combinés avec le phonographe électrique constituent un télé-cinéma parlant électrique ;
4° On pourra utiliser des disques enregistrés comme il vient d'être dit, soit pour servir à émettre des scènes animées et parlantes avec un poste de T. S. F., soit comme relais de transmission, soit pour effectuer une démonstration de télévision avec seulement un récepteur de télévision ;
5° D'une manière générale, en recevant à travers un disque rotatif perforé, au moyen d'un système optique, sur une cellule photoélectrique les rayons lumineux issus d'une photographie, d'un film ou d'une gravure éclairés par transparence, soit de l'image réelle, visible ou non, formée sur l'écran de chambre noire, de projection, de radiographie, ou sur le disque lui-même, dont les trous peuvent être recouverts d'un écran, on pourra enregistrer et reproduire le courant électrique créé par la cellule. La téléphotographie, la radiographie, la photographie astronomique, la photomicrographie, la spectrophotométrie deviennent ainsi électriques ;
6° On pourra produire des figures lumineuses dans un récepteur de télévision avec des sons enregistrés seuls, simultanés ou combinés.
En résumé, cette méthode s'applique à tout transmetteur et récepteur de télévision (en noir, en couleurs, à circuits de transmission multiples, etc.) et à tout enregistreur et reproducteur électriques. Les organes rotatifs sont synchronisés.
Les enregistreurs et reproducteurs, en nombre égal à celui des courants créés par le transmetteur, ont leur point de départ repéré sur le ou les supports d'enregistrement. Ces supports sont des disques, des rubans, des cylindres juxtaposés ou superposés.
Ainsi, grâce au pick-up, « qui conserve les courants électriques », on pourra, d'une façon générale, reproduire tout phénomène vibratoire que l'on sait traduire en phénomène électrique.
Cette découverte extraordinaire a été la conséquence d'observations de Dussaud de l'ouïe et de la vue (il est l'inventeur de nombreux appareils pour aveugles et pour sourds : phonographe pour sourds, cinématographe pour aveugles, etc.).
Ce ne sont pas les modulations sonores ou lumineuses qui s'enregistrent dans notre mémoire. Ces modulations sont traduites en modulations nerveuses, analogues aux modulations électriques. Ces modulations nerveuses s'enregistrent dans les centres nerveux pour se retraduire à notre volonté en modulations auditives ou visuelles.
Ainsi il se passe quelque chose d'analogue avec les modulations électriques. Il y a intérêt, semble-t-il, à traduire tous les phénomènes vibratoires en phénomènes électriques, l'électricité ayant une puissance et une perfectibilité illimitées.
(Jean Hesse, Larousse Mensuel Illustré, novembre 1932)