PHYSIQUE
Nous donnons ci-joint le portrait du colonel Gouraud, que nos lecteurs connaissent déjà : c’est lui qui a présenté le phonographe d'Edison à l'Académie des sciences dans sa séance du 29 avril 1889 (Voir tome IV, p. 17). Aujourd'hui que le nom du grand électricien américain est dans toutes les bouches, il n’est pas sans intérêt de connaître la physionomie de celui qui l'a révélé à l'Amérique et au monde entier.
LE COLONEL GOURAUD
A l'époque de la première entrevue du colonel avec Edison, celui-ci était simple employé au ministre des Télégraphes. Grâce à l'appui de son influent ami, la situation d'Edison, jusqu'alors fort modeste, ne tarda pas à changer, et peu après tous les grands projets qui étaient en germe dans ce merveilleux cerveau ne tardèrent pas à prendre corps et à se réaliser. C’est ainsi qu'apparurent successivement le phonographe, le téléphone, le mégaphone et la lampe incandescente, cette superbe trouvaille d'un industriel de génie, qui a accompli une véritable révolution dans le mode d’éclairage précédemment adopté.
Nous allons encore une fois revenir sur le phonographe pour indiquer une de ses nouvelles applications.
L'examen fonctionnel de l’ouïe est dune grande importance pour le diagnostic et le pronostic des maladies de l'oreille.
Les sources sonores employées jusqu'à nos jours, pour mesurer l'acuité auditive, ne remplissent pas les conditions d'un bon acoumètre.
La voix humaine, qui nous donnerait la meilleure idée de l'acuité auditive, est une source sonore qui n’est pas constante chez le même médecin, et encore moins chez les différents médecins. Son emploi exige aussi des appartements très vastes.
Le nouveau phonographe d'Edison remplit toutes les conditions d'un bon acoumètre, ainsi que l'a montré M. Lichtwitz.
1° Il émet tous les sons et bruits perceptibles pour une oreille normale, et surtout la parole avec toutes ses inflexions. On peut donc, à l'aide du phonographe, composer des phonogrammes, susceptibles de servir d'échelles acoumétriques, à l'instar des échelles optométriques. Sur ces phonogrammes sont inscrits les voyelles, les consonnes, syllabes, mots et phrases, d'après leur intensité et d'après leur valeur acoustique, telle qu'elle a été établie par O. Wolf, et qui contiendront de plus toutes les gammes des sons musicaux.
2° Le phonographe est une source sonore à peu près constante, puisqu'il est capable de reproduire, un nombre presque illimité de fois, la parole inscrite. Il permet donc de comparer l’acuité auditive des différents malades, et chez le même malade à différentes époques de sa maladie.
3° Les phonographes, étant des appareils d'une construction identique, reproduiront, avec la même intensité et le même timbre, les phonogrammes informes ; il suffira d'approcher d'un phonographe, reproduisant un phonogramme-étalon, et à une distance fixe, un second phonographe qui reproduira un nombre considérable de phonogrammes identiques.
Grâce à l'uniformité des phonographes et des phonogrammes, les auristes de tous les pays pourront comparer entre eux les résultats de leurs examens de l’ouïe.
4° L'emploi du phonographe est facile, et n'exige ni trop de temps ni de trop vastes espaces. On fait entendre à l'oreille malade, munie du tube acoustique du phonographe, l'un après l'autre les différents phonogrammes. On descend dans l'échelle acoumétrique jusqu'à ce qu’on soit arrivé au phonogramme que le malade n’entend plus et qui indique la limite de l'acuité auditive.
Cette méthode diffère de celles employées jusqu’à présent, en ce que la source sonore reste toujours à la même distance de l'oreille, et que c'est l'intensité du son seule qui varie. L'examen est limité à une oreille et n'est pas troublé par les ambiants.
Enfin, signalons un dernier perfectionnement.
Une personne parle devant le phonographe. Elle fait, en parlant, des gestes et des mouvements de physionomie. M. Guéroult croit qu'il serait possible d'emmagasiner ces gestes et ces mouvements, de façon à pouvoir les reproduire plus tard, en correspondance exacte avec les paroles prononcées, et même à pouvoir les transmettre à distance.
M. Guéroult suppose qu'au moment où le cylindre du phonographe commence à tourner, on prenne, de la personne qui parle, des photographies instantanées, à intervalles égaux, d'un dixième de seconde chacun. Si la révolution du cylindre s'opère en trente secondes, par exemple, on aura trois cents photographies. Une fois développées, on les dispose sur un phénakistiscope, faisant lui-même sa révolution en trente secondes ; les photographies passant successivement devant l’œil de l'observateur, avec une vitesse d'un dixième de seconde, l’appareil reproduira tous les mouvements de la personne, en vertu du principe de la persistance des impressions de la rétine, et comme il n'y a pas de syllabe qui, pour être prononcée, demande moins d'un dixième de seconde, les gestes et les jeux de la physionomie suivront exactement le mouvement de la parole reproduite par le phonographe. Il sera donc possible, pour un auteur ou un orateur, par exemple, de reproduire au bout d'un temps quelconque, tout à la fois, le texte et l’action d'un discours.
(la Science illustrée, n°111, 11 janvier 1890)