P. HEMARDINQUER, Ingénieur Electricien
René DUMESNIL, Critique musical
LE LIVRE DU DISQUE
Comment choisir, classer, entretenir et jouer les disques de phonographes
suivi d’une Histoire de la musique par les disques
Etienne Chiron, éditeur
40, rue de Seine, Paris
1931
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE I — Les Disques actuels de phonographe.
Les perfectionnements du phonographe
Les différentes sortes de machines parlantes
Quelques notions sur l'enregistrement et la reproduction des disques
L'aspect et la composition des disques
Disques à aiguille et disques à saphir
Quelques notions sur la fabrication des disques
La nature des disques et le bruit d'aiguille
Comment choisir les disques de phonographe
CHAPITRE II. — La pratique de la reproduction des disques.
Généralités
La reproduction des disques peut être effectuée sans l'aide d'aucune connaissance spéciale
La vitesse de rotation du disque et son influence
Le réglage de la vitesse de rotation du disque
Les diaphragmes et les aiguilles
Les types d'aiguilles normales
Les aiguilles semi-permanentes
Les aiguilles spéciales
Quel est le meilleur modèle d'aiguille
L'usure du disque et ses causes
L'entretien des disques
Comment effectuer la reproduction d'un disque
Entretien des différents organes du phonographe
CHAPITRE III. — Le phonographe artistique, récréatif et instructif.
Généralités
L'emplacement du phonographe dans l'appartement
Les dispositifs répétiteurs
Le diaphragme improvisé
Quelques expériences d'acoustique amusantes
Le phonographe, professeur de physique et de physiologie
Photographe et cinématographe sonore
CHAPITRE IV. — Le Classement des disques.
Généralités sur le classement des disques
Ce qu'il ne faut pas faire en classant ses
disques
Classement des disques dans des meubles quelconques
Meubles spéciaux pour le classement des disques
CHAPITRE V. — Quelques remarques sur des catégories spéciales de disques.
Généralités
Les disques d'enseignement
Le phonographe et la T. S. F.
Les disques de cinématographie sonore et les disques de scène
Disques de parole et disques d'histoire
L'art phonographique
Un beau disque : celui qu'on enregistre soi-même
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE I. — Les disques : leur valeur artistique, éducatrice et sociale.
Le disque et la formation du goût
Rôle social du disque
CHAPITRE II. — Instruments en solo et musique de chambre
I. Instruments en solo.
L'orgue
Le clavecin
Le piano
Le violon
Le violoncelle
Les instruments à vent
II. Musique de chambre
Le XVIIIe siècle
Beethoven
Le Romantisme
L'Ecole française contemporaine
CHAPITRE III. — La Symphonie
Mozart
Beethoven
Les Romantiques
L'Ecole russe
Les Allemands contemporains
La Musique française
L'Ecole italienne contemporaine
L'Ecole espagnole
CHAPITRE IV. — La Musique vocale.
Le Plain-chant
La Musique profane de la Renaissance
L'Age classique
Mozart
Les Romantiques
Le « bel canto »
Berlioz
Wagner
Gounod et Verdi
La renaissance de l'Opéra français
Les Russes
Le Vérisme
L'Espagne
L'Ecole française moderne
CHAPITRE V. — L'opérette, le music-hall. Quelques vedettes. La diction.
La chanson, la parodie
La diction
CHAPITRE VI. — Régionalisme et exotisme.
Lyon et Marseille
Provinces
Chansons de bord
Trompes de chasse
Musiques militaires
L'Exotisme
L'Europe centrale
Les Russes
L'Italie
L'Espagne
Les Fados portugais
Voyages aux terres lointaines
Voix des Antilles
Disques pour les enfants
CHAPITRE VII. — Musique de danse. Jazz et chant anglais.
Orchestres de bals musettes ; accordéons
Le jazz
Le chant anglais
Orchestres sud-américains
En vente à la même librairie :
L'Amplification musicale et ses Applications. — Reproduction phonographique. — Pick-up. — Amplification microphonique. — Un volume illustré de nombreux dessins et photographies : 20 fr.
Les Haut-parleurs. — Principes généraux. — Choix. —Emplois divers. — Adaptation à un radio-récepteur ou à un phonographe électrique. — Construction. — Un volume illustré de schémas et photographies : 15 fr.
Du même auteur :
Le Phonographe et ses merveilleux progrès. — Préface de M. Louis Lumière. — Un volume de 278 pages avec 161 figures (Masson, éditeur) : 24 fr.
Ce livre est le premier consacré exclusivement à l'étude des progrès du phonographe et aux principes actuels de sa construction. L'auteur considère presque uniquement le phonographe à disques, mais il donne aussi de fort intéressantes précisions sur les autres procédés phonographiques et sur leurs applications.
L'enregistrement d'un disque de phonographe est une opération complexe et délicate qui exige la collaboration d'un ingénieur spécialiste, d'un directeur artistique de l'édition phonographique, et enfin, évidemment, des artistes exécutant l'œuvre enregistrée.
La qualité et l'intérêt des disques-épreuves vendus par l'éditeur ne dépendent pas seulement de la qualité de l'enregistrement initial, mais encore de la perfection des procédés employés pour reproduire ces épreuves à partir du premier disque de cire original.
Enfin, si l'amateur de disques veut obtenir une bonne audition, après avoir choisi un bon disque, il lui faut utiliser un excellent phonographe mécanique ou électrique ; il lui faut savoir aussi d'où résultera l'avantage, accessoire, mais non négligeable, d'obtenir avec le même disque un nombre plus grand d'auditions meilleures. L'amateur de disques a donc le plus grand intérêt, tant au point de vue artistique qu'au point de vue économique, à savoir choisir ses disques, à déterminer le modèle de l'appareil qu'il emploiera, et enfin à apprendre comment utiliser le tout pour en obtenir le meilleur rendement.
Un ouvrage comme celui que nous présentons aujourd'hui au lecteur doit donc être à la fois technique et artistique, puisque le disque moderne offre ce double caractère ; d'où la collaboration d'un ingénieur et d'un musicographe, celui-là a écrit la première partie d'ordre pratique et de vulgarisation technique, celui-ci la seconde, d'ordre critique et musical.
Dans la première partie, nous n'avons pas cherché à retracer l'histoire des machines parlantes, ni même à étudier les différents modèles actuellement en usage, puisque ces questions ont été traitées dans un livre précédent d'un des auteurs. Nous nous sommes simplement efforcés de montrer à l'amateur de quelle façon il pouvait utiliser, pour un meilleur rendement, les différents genres de disques, augmenter leur durée et la qualité de leur audition.
Dans la deuxième partie, nous avons envisagé le rôle éducateur du disque, el spécialement pour la formation du goût musical et l'enseignement de l'histoire de la musique. On trouvera plus loin, dans le premier chapitre de la deuxième partie, le développement de cette idée que le phonographe doit être, pour ainsi dire, l'ambassadeur de la musique dans les milieux où, jusqu'ici, elle n'avait point encore pénétré et dans ceux où on ne la connaissait que sous un aspect trompeur. Sans vouloir aucunement constituer un catalogue (qui ferait double emploi avec ceux des éditeurs ou avec d'autres ouvrages), nous avons examiné les enregistrements publiés jusqu'à ce jour et cherché à guider les amateurs à travers cette liste de noms et de titres. Nous n'avons eu en vue que le souci de leur permettre de constituer, selon leurs préférences, une collection — une discothèque, comme on dit aujourd'hui — mais nous n'avons suivi nous-mêmes qu'un seul guide : la valeur des disques, c'est-à-dire la valeur de l'œuvre enregistrée et la perfection de cet enregistrement. Il en résulte qu'à bien des points de vue la seconde partie de cet ouvrage est un peu une histoire de la musique par le disque, de par le commentaire dont nous avons fait suivre chacun des enregistrements examinés.
Enfin, pour la musique légère et la musique de danse, instrumentale ou chantée, où l'interprète, souvent, passe avant l'œuvre, nous avons tracé le portrait des principales vedettes internationales dont le disque a rendu l'art populaire tout en laissant, pour le plus grand nombre, leur figure mystérieuse. Ainsi, feuilletant ces pages, trouvera-t-on non seulement la nomenclature que l'on peut attendre, et qui permettra de fixer le choix sur leurs meilleures productions, mais encore fout ce qui peut renseigner sur leurs personnes.
Nous avons, en outre, exploré tous les domaines où le disque nous invitait à pénétrer. On sait comme aujourd'hui le phonographe, volontiers, nous renseigne sur les pays lointains aussi bien que sur les traditions populaires des provinces prochaines, comme il nous apporte, fixés sur la gomme laque, des aspects jusqu'alors insaisissables de la vie. Nous avons fait une place aux disques de bruits, aux disques pour films sonores — catégorie dont l'importance croîtra sans doute rapidement.
Nous espérons ainsi simplement avoir rendu service à de nombreux auditeurs de disques et aidé à la diffusion de la musique enregistrée.
R. D. et P. H.
LE LIVRE DU DISQUE
PREMIÈRE PARTIE
LES DISQUES ACTUELS DE PHONOGRAPHE
Les perfectionnements du phonographe. — Malgré l'étonnement et même l'admiration qu'ils suscitèrent à l'époque de leur invention et de leur première réalisation pratique, les phonographes primitifs étaient, avouons-le, des appareils encore bien imparfaits ; les sons nasillards émis par leurs pavillons métalliques aux vibrations désagréables ne ressemblaient guère aux chants mélodieux, aux poésies émouvantes ou aux morceaux d'orchestre harmonieux enregistrés sur leurs rouleaux de « cire » jaunes ou bruns.
Les perfectionnements de ces appareils primitifs ont été assez lents, on le sait. C'est en 1878 que le phonographe fit son apparition en France, mais c'est à partir de 1922 et même de 1925 seulement, qu'on a pu constater les remarquables résultats musicaux obtenus par les éditeurs de disques et par les fabricants de « machines parlantes ».
Les disques, d'un usage plus pratique, et qui furent employés presque en même temps que les cylindres primitifs, ont sans doute supprimé assez rapidement ces derniers ; les progrès de l'enregistrement phonographique par le procédé à aiguille à sillons sinueux de profondeur constante ont été, de même, à peu près continuels. Mais il s'agissait surtout de perfectionnements de détails, relativement peu importants, et, malgré les modifications successives des diaphragmes reproducteurs et des diffuseurs de sons, les meilleurs appareils avaient encore, jusqu'à ces dernières années, de très graves défauts acoustiques.
Les notes basses étaient à peu près éliminées tant à l'enregistrement qu'à la reproduction, et même l'étendue des notes élevées était singulièrement restreinte. Par contre, des résonances très inopportunes, provenant des différentes parties des systèmes reproducteurs, et spécialement du diaphragme et du pavillon acoustique, déformaient complètement les œuvres musicales qu'on désirait diffuser par ce procédé mécanique très imparfait.
Pour arriver à un résultat vraiment satisfaisant, il fallait donc augmenter l'étendue des sonorités phonographiques et perfectionner à la fois les procédés d'enregistrement des disques et les systèmes reproducteurs, afin de créer un véritable instrument de musique, capable de reproduire fidèlement une œuvre artistique.
Cette évolution heureuse du phonographe fut donc surtout réalisée pendant ces dernières années ; elle a été rendue possible par l'emploi de dispositifs radiotechniques, comme nos lecteurs le savent sans doute déjà.
L'enregistrement des disques par des procédés radioélectriques, réalisé à partir de 1925 environ, a été un des plus importants perfectionnements du phonographe, mais n'en a pas été le seul.
Les différentes parties des appareils reproducteurs : diaphragme avec bras acoustique, système diffuseur de sons, sans compter le moteur phonographique avec son régulateur de vitesse et le plateau porte-disque, ont été modifiées très heureusement, suivant des règles scientifiquement établies, et ont bénéficié également très souvent des travaux de recherches exécutés en vue de la réalisation des haut-parleurs radiophoniques.
Nous avons déjà écrit un ouvrage consacré à l'histoire du phonographe, à son évolution, et aux caractéristiques techniques et pratiques des machines parlantes ; le livre actuel est consacré uniquement à l'étude des disques, aussi ne pouvons-nous y décrire en détail les perfectionnements des phonographes mécaniques ou électriques, dont les progrès merveilleux peuvent être démontrés par des méthodes scientifiques, mais il a suffi ou il suffira à tous nos lecteurs d'entendre en fonctionnement un phonographe moderne de bonne marque pour être convaincus des progrès des machines parlantes !
Les différentes sortes de machines parlantes. — Le mot « phonographe » désigne actuellement toute machine parlante, quel que soit son principe de fonctionnement. Les modèles de phonographes employés presque uniquement sont évidemment les appareils à disques ou à rouleaux, mais on sait qu'on peut distinguer les phonographes de ce genre à reproduction purement acoustique, munis d'un diaphragme à saphir ou à aiguille, et les phonographes à reproduction électrique, avec traducteur électromagnétique, amplificateur à lampes de T. S. F. et haut-parleur.
Il existe, d'autre part, des phonographes à films, à enregistrement optique, et des appareils à bandes enregistrées par un procédé électromécanique ou à fil aimanté, mais ces dispositifs ne sont encore utilisés pratiquement que pour des usages spéciaux, par exemple pour la cinématographie sonore.
La seule machine parlante vraiment artistique, d'un modèle courant, est donc le phonographe à reproduction mécanique ou électrique, et quel que soit le système reproducteur adopté, le type de disque à employer est le même.
Les phonographes radioélectriques sont évidemment, lorsqu'ils sont réalisés avec soin, des instruments musicaux encore plus perfectionnés que les phonographes mécaniques, parce que leur système de reproduction ne comporte plus les mêmes organes vibrants, d'inertie relativement élevée, et des diffuseurs de sons directs uniquement acoustiques. Ce sont donc, sans doute, des appareils musicaux d'une fidélité et d'une puissance dont on ne pouvait même pas imaginer la qualité il y a quelques années.
Il faut cependant préciser que si l'on veut obtenir une reproduction très intense et une sonorité satisfaisante, il est absolument nécessaire d'utiliser des appareils parfaitement étudiés, dont tous les organes sont adaptés à leur destination particulière ; de tels appareils sont donc malheureusement d'un prix élevé et le resteront encore longtemps.
Nombre de mélomanes, qui ne désirent obtenir qu'une audition peu intense, pourront donc utiliser uniquement un phonographe moderne à reproduction mécanique, et il n'y a aucune raison pour qu'il existe une concurrence regrettable entre le phonographe purement acoustique et le phonographe à reproduction électrique.
Ces appareils sont employés par des usagers différents, et dans des buts différents ; il faut donc espérer, au contraire, que les perfectionnements de plus en plus grands des phonographes mécaniques pourront permettre d'améliorer encore le fonctionnement du phonographe radioélectrique, grâce à l'emploi de disques de plus en plus parfaits ; et, qu'inversement, des études acoustiques, entreprises pour l'amélioration des haut-parleurs dans les appareils à reproduction électrique, seront utilisées pour les perfectionnements des phonographes mécaniques.
On comprendrait mal que tous les amateurs de T. S. F., possédant déjà ou désirant installer un appareil récepteur radiophonique, ne choisissent pas, de préférence, un système phonographique radioélectrique, puisqu'ils peuvent le réaliser, le plus souvent, en utilisant ce poste récepteur.
De plus, tous les discophiles (c'est le nom moderne que l'on peut donner aux mélomanes amateurs de disques), s'ils ont une fortune suffisante pour acheter un phonographe électrique, pourront vraiment obtenir une audition à la fois puissante et pure, d'une intensité presque réglable à volonté.
Quelques notions sur l'enregistrement et la reproduction des disques. — Les premiers appareils phonographiques comportaient soit des rouleaux « en cire », sur lesquels les ondes sonores s'inscrivaient sous forme de sillons en hélice à peu près rectilignes, et présentant seulement des renflements, mais de profondeur variable, soit des disques sur lesquels ces ondes sonores étaient gravées en sillons spiraloïdes, et les opérations d'enregistrement et de reproduction étaient uniquement mécaniques, comme nous l'avons noté plus haut.
Le musicien, le chanteur, ou le conférencier se plaçait devant le pavillon enregistreur de l'appareil, et les ondes sonores venaient frapper la membrane vibrante d'un diaphragme enregistreur portant un burin graveur qui se déplaçait à vitesse constante sur le rouleau ou le disque tournant également à vitesse constante.
Pour la reproduction, la pointe reproductrice, généralement en saphir et montée sur la membrane vibrante d'une capsule acoustique, suivait les sillons du rouleau ou du disque, et les sons reproduits étaient amplifiés par un pavillon diffuseur des sons, le plus souvent métallique.
Nous avons noté plus haut, et nous avons d'ailleurs étudié en détail dans notre ouvrage sur le phonographe, les inconvénients de ces procédés d'enregistrement et même de reproduction primitifs, qui produisaient un affaiblissement notable des sons enregistrés ; une gravure trop peu profonde du disque ou du rouleau ne permettait qu'une reproduction finale faible et imparfaite.
Les artistes qui enregistraient les disques ou les rouleaux devaient alors être placés très près du pavillon enregistreur. Ces artistes étaient toujours en petit nombre, d'ailleurs, et dans un ordre artificiel spécial, différent complètement de celui adopté dans les salles de concert ou sur la scène des théâtres.
Ces difficultés complexes réduisaient notablement la divers site des sujets qui pouvaient être enregistrés phonographiquement, et il faut arriver à ces récentes années pour trouver des disques de phonographe constituant vraiment de la musique photographiée, suivant l'heureuse expression d'un musicographe.
En 1920, en fait, la gamme des fréquences enregistrées ne s'étendait guère qu'entre 300 et 4.000 périodes seconde, alors qu'aujourd'hui elle descend au-dessous de 150 et s'élève jusque vers 5.000 périodes (fig. 1).
FIG. 1.
Représentation schématique de l'accroissement de la gamme des fréquences phonographiques enregistrées, de 1920 à 1930.
Grâce aux procédés électromécaniques, on peut arriver à obtenir un enregistrement d'une intensité réglable à volonté, même si les sons qui viennent frapper le microphone sont relativement faibles.
On peut donc réaliser des enregistrements excellents en plaçant les artistes dans des conditions plus naturelles, à grande distance relativement de ce microphone, ce qui permet l'enregistrement de morceaux d'orchestre exécutés par de nombreux musiciens, de chœurs chantés par des milliers d'exécutants, et de tenter ainsi cette opération dans les salles de théâtre, dans les églises, les salles de concert, ou même en plein air. Il suffit de placer le microphone à l'endroit où se trouvent les artistes, et de le relier par un câble téléphonique aux appareils enregistreurs (fig. 2).
FIG. 2.
Disposition schématique d'une installation d'enregistrement électrique des disques de phonographe et studio d'enregistrement. — En haut : La salle où se trouvent les appareils enregistreurs peut être séparée de l'auditorium dans lequel sont placés les artistes en face du microphone. — En bas : Dans le studio d'enregistrement Columbia, le compositeur Igor Stravinsky dirige l'orchestre pour l'enregistrement de Petrouchka.
Cette opération d'enregistrement, qui permet d'obtenir des résultats si parfaits, ne peut être exécutée, d'ailleurs, que par des spécialistes très habiles et disposant de moyens techniques très complets, que nous avons étudiés dans notre livre sur les phonographes.
Notons seulement que l'échelle des fréquences acoustiques transmises au microphone phonographique est beaucoup plus étendue que celle des fréquences radiophoniques, car, jusqu'à présent, on a été obligé d'amortir beaucoup plus, dans les « studios » radiophoniques, les tonalités riches et claires qui donnent à l'audition son véritable caractère naturel et artistique, et son « relief sonore ».
L'aspect et la composition des disques.— Les disques phonographiques actuels ont un aspect noir mat, et un diamètre variant entre 18 centimètres et 30 centimètres environ ; ils portent une ouverture centrale circulaire de 8 millimètres. On remarque en leur centre, sur chaque face, une étiquette en papier colorié portant la marque de l'éditeur, le titre du morceau enregistré, le nom de l'auteur et de l'artiste exécutant, etc. (fig. 3).
FIG. 3.
Aspect habituel d'une disque actuel du commerce.
Si l'on regarde avec plus d'attention, on aperçoit, creusés dans la surface du
disque, et sur chaque face, les sillons acoustiques en forme de spirale, avec,
au centre, le plus souvent, un sillon final également en spirale mais non
enregistré et aboutissant à un sillon circulaire qui a pour rôle de retenir la
pointe reproductrice, si l'on n'a pas arrêté le disque dès la fin de l'audition.
L'épaisseur du disque est très faible et de l'ordre de deux millimètres, en
général.
Nous espérons que nos lecteurs ne s'imaginent plus que les disques actuels sont encore composés d'une cire spéciale, et, d'ailleurs, leur rigidité et la résistance de leur surface interdisent cette supposition. Seul le disque initial servant à l'enregistrement et qu'on appelle pour cette raison « la cire », est réellement formé de cire, ou plutôt d'un mélange à base de cire. Actuellement, tous les disques sont composés de matières complexes à base de gomme laque, et, d'ailleurs, il y a des disques hétérogènes comportant un corps en matière plastique très ordinaire formé de sulfate de baryte, d'ardoise tamisée, de gomme, de mica, de noir animal, etc. (fig. 4).
FIG. 4.
Coupe d'un disque du type Columbia, Odéon, etc., à composition centrale
différente de celle de la surface.
Ce corps est recouvert en dessus et en dessous par un disque en papier spécial, servant de soutien à une couche de gomme laque fine et d'excellente qualité, dans laquelle seront gravés les sillons sonores.
Il existe encore également des disques d'une composition homogène de matière plastique très fine, à base de mica, de gommes, de noir animal, etc.
Enfin, on commence à voir apparaître des disques formés d'une matière cellulosique plus ou moins complexe, par exemple à base de cellophane.
Ces disques sont légers et ont l'avantage d'être incassables, quelques types sont même souples, mais il ne semble pas qu'ils aient encore permis d'obtenir de véritables enregistrements artistiques, bien que les recherches entreprises amènent peu à peu des progrès certains dans ce sens.
Disques à aiguille et disques à saphir. — Il existe deux catégories de disques phonographiques : les disques à saphir et les disques à aiguille.
Dans les premiers, le sillon est tracé d'une manière à peu près rectiligne et présente seulement des renflements plus ou moins accentués ; les ondes sonores sont traduites sous forme de variations verticales en profondeur.
Comme l'indique leur nom, on reproduit les disques à saphir au moyen d'un diaphragme portant une pointe mousse en saphir (fig. 5).
Fig. 5.
Le disque à saphir. — En a, coupe agrandie du sillon sonore ; en b, aspect microphotographique des sillons vus par-dessus.
Les disques actuels de phonographe à enregistrement électrique sont presque uniquement des disques à aiguille, et, dans ces disques, le sillon sonore est tracé sous forme de courbes d'égale profondeur, mais d'amplitude transversale variable ; les courbes de ces sillons sonores constituent un oscillogramme des sons enregistrés (fig. 6).
FIG. 6.
Le disque à aiguille. — En a, aspect schématique, très grossi, des sillons d'un disque à aiguille ; en b, type de sillons vus au microscope.
Les notes graves sont traduites ainsi par des courbes peu serrées de plus ou moins grande amplitude, et les notes aiguës par des courbes resserrées (fig. 6, a).
Le diamètre et la profondeur des sillons varient suivant le système d'enregistrement ; en général, la largeur d'un sillon atteint 12/100 de millimètre et la profondeur 15/100 (fig. 7).
FIG. 7.
Coupe des sillons d'un disque à aiguille en centièmes de millimètre, et
microphotographie d'un disque.
Il y a sans doute des notions très intéressantes à connaître sur les caractéristiques actuelles des différents disques et sur les difficultés qu'on a dû surmonter pour obtenir les merveilleux résultats musicaux que nous avons signalés.
Nous avons, d'ailleurs, déjà examiné ces problèmes dans notre livre spécialement consacré à la technique du phonographe, et c'est pourquoi nous ne pouvons encore reproduire ici les détails que nous avons donnés à ce sujet, d'autant plus que nous nous écarterions ainsi du but essentiel de ce livre : l'élude du choix et de l'usage des disques, et non pas de leur réalisation.
Quelques notions sur la fabrication des disques. — Pour les raisons indiquées, nous ne décrirons pas non plus en détails les opérations si complexes et si intéressantes de la fabrication des disques, et nous rappellerons seulement que les éditeurs possèdent maintenant des usines à grand rendement qui permettent d'obtenir une production mondiale journalière de plusieurs millions de disques.
La reproduction d'exemplaires en nombre presque illimité, d'après un premier disque de « cire » enregistré électriquement, s'effectue uniquement par des procédés électrolytiques et, pour terminer, à l'aide d'une presse, comme s'il s'agissait de livres ou de publications quelconques.
Indiquons seulement qu'on obtient finalement, d'après le disque original, une matrice de nickel reproduisant en relief les dessins des sillons (fig. 8, 9 et 10).
FIG. 8.
La salle des bains électrolytiques dans une usine d'édition phonographique (Odéon). Les disques de cire enregistrés, enduits de graphite et continuellement en mouvement, baignent une quinzaine d'heures dans des cuves de plomb remplies d'une solution de sulfate de cuivre. On obtient de la même façon le positif en cuivre à partir du négatif, et enfin une troisième électrolyse fournit la matrice dans un bain de sulfate double de nickel.
FIG. 9.
Les matrices, feuilles de nickel impressionnées ou « shells », de 0,5 millimètre d'épaisseur, sont serties sur des plateaux de cuivre.
FIG. 10.
La salle des presses à l'usine d'édition. La matière plastique qui constituera le corps du disque est placée avec les deux feuilles de papier imprégnées de gomme laque dans une presse garnie de deux matrices. La pâte est d'abord ramollie par un courant de vapeur à 160°. En fermant le moule, la circulation de vapeur est coupée automatiquement et remplacée par un courant d'eau froide, pendant qu'une pression de vingt tonnes est appliquée pendant trente secondes sur les deux faces du disque. La production en dix heures peut ainsi atteindre plus de 700 disques.
On place dans une presse, chauffée à une température suffisante pour amener le ramollissement de la pâte plastique, deux de ces matrices (une pour chaque face du disque), au centre la matière plastique nécessaire avec les disques en papier préparés, et même les étiquettes portant le titre du morceau enregistré et les indications nécessaires.
On referme la presse sur laquelle est appliquée une pression de 20 tonnes pendant quelque 30 secondes, et on fait alors passer dans la presse un liquide réfrigérant qui solidifie instantanément la masse du disque ainsi pressée ; il suffit ensuite de polir le disque, et d'effectuer un dernier finissage pour qu'il soit prêt à être livré au commerce.
La nature des disques et le bruit d'aiguille. — On appelle bruit d'aiguille un bruissement continu plus ou moins violent qu'on entend dans le phonographe à disque, quel que soit le système de reproduction employé, et qui est dû à des vibrations sonores parasites de l'aiguille engendrées par le frottement de cette dernière le long des sillons.
Dans les appareils les plus perfectionnés, ce bruit est notablement atténué et a presque complètement disparu, mais il faut se rendre compte qu'il peut être dû tout autant à la nature du disque qu'au système reproducteur.
Il suffit, en effet, d'un manque d'homogénéité, de toute rugosité des parois des sillons sonores pour produire des vibrations parasites, qui se traduiront par des bruits continuels et désagréables.
C'est pour remédier surtout à cet inconvénient que les disques Columbia, Odéon et similaires, par exemple, sont réalisés de la manière que nous avons indiquée, avec un corps en matière assez ordinaire, recouvert sur chaque face par une feuille de papier portant une couche de gomme laque très fine. De cette façon, on peut obtenir une surface à grain extrêmement fin, et, de plus, les feuilles de papier amortissent les vibrations.
D'un autre côté, il peut y avoir aussi des irrégularités des parois des sillons provenant, non pas de la matière dont la surface du disque est formée, mais des défauts de la matrice de pressage qui a servi à l'impression définitive.
Dans les disques de grandes marques, une retouche soigneuse a permis, en général, de supprimer ces défauts de la matrice.
Quelquefois des bruits parasites peuvent être produits par des défauts de montage du porte-aiguille du diaphragme, ce qui engendre un « jeu » vertical de l'aiguille, d'où des vibrations parasites d'un autre genre.
Enfin, le choix de l'aiguille a évidemment une grande importance, non seulement pour la qualité de l'audition, mais encore pour la suppression ou l'atténuation des bruits parasites, quels qu'ils soient.
Il est évident qu'une aiguille, qui ne serait pas rigide ou qui vibrerait d'une façon anormale, parce qu'elle serait usée ou d'un modèle mal adapté à la dimension des sillons, produirait des bruits parasites et un grattement continuel pouvant troubler gravement l'audition.
Nous reviendrons, d'ailleurs, au chapitre suivant sur cette question essentielle du choix des aiguilles, et l'amateur de disques, s'il a vraiment le désir d'obtenir une audition parfaite, doit avant tout déterminer le modèle d'aiguille convenant particulièrement, non seulement au type de disque utilisé, mais encore à la nature du morceau enregistré.
Comment choisir les disques de phonographe ? — Le lecteur trouvera dans la deuxième partie de ce livre une étude musicale et critique très complète, qui constituera pour lui, nous l'espérons, un guide très sûr pour l'établissement d'une discothèque bien composée, et, par choix des disques, nous voulons donc seulement désigner maintenant le choix du type technique de disques à adopter.
Nous venons d'indiquer plus haut que seuls les disques ordinaires, en composition à base de gomme laque, pouvaient, à l'heure actuelle du moins, permettre d'obtenir une reproduction vraiment artistique, et on ne doit avoir, dans le cas général, aucune hésitation au sujet de leur adoption.
D'autre part, nous avons également indiqué plus haut qu'il existait à l'heure actuelle deux catégories de disques : les disques à saphir et les disques à aiguille.
Le seul avantage des disques à saphir est peut-être de s'user un peu moins rapidement que les disques à aiguille, et encore la différence est-elle minime. Nous montrerons, d'ailleurs, au chapitre II, que l'usure d'un disque à aiguille est beaucoup moins rapide qu'on ne le croit généralement.
Cependant, il est difficile d'enregistrer correctement les disques à saphir par le procédé électromécanique, aussi la plupart des disques récents édités par les grandes marques et enregistrés suivant les nouveaux procédés sont-ils des disques à aiguille.
Presque tous les disques ainsi étudiés dans la partie artistique de ce livre sont des disques à aiguille, et il ne peut donc de même exister aucune hésitation à l'heure actuelle ; l'amateur de disques adoptera à peu près uniquement des disques à aiguille.
Le disque à saphir doit être réservé pour des cas très particuliers, par exemple, lorsqu'on désire obtenir une audition récréative, mais de qualité artistique plus ou moins accentuée, et dans les conditions les plus économiques, dans une salle de bal, dans un café, etc.
Nous avons indiqué également, déjà, qu'il existait des disques de composition homogène et des disques dont le corps était formé d'une autre matière que la surface. Grâce à la perfection de leurs méthodes de fabrication, les éditeurs sont parvenus à obtenir des résultats à peu près identiques en employant l'un ou l'autre procédé, et, d'ailleurs, l'amateur ne peut évidemment déterminer la composition d'un disque en considérant uniquement son aspect extérieur.
Si le discophile doit donc choisir uniquement des disques à aiguille, à l'heure actuelle, il n'a pas à considérer leur composition et doit simplement se guider, pour effectuer son choix, par le caractère et la nature du morceau enregistré, la valeur de l'artiste qui l'a exécuté et la qualité technique de cet enregistrement ; la suite de ce livre lui donnera des notions utiles sur l'importance de ces divers facteurs.
LA PRATIQUE DE LA REPRODUCTION DES DISQUES
Généralités. — Nous avons donné quelques notions, dans le chapitre précédent, sur la nature et les caractéristiques des disques actuels de phonographe, et nous avons montré pourquoi l'amateur devait choisir uniquement des disques à aiguille enregistrés électriquement.
La suite de ce livre donnera au lecteur les notions artistiques indispensables pour le choix des meilleurs disques actuels, devant constituer, peut-on écrire, les disques de fond de la collection d'un amateur de goût.
Cependant, pour obtenir une excellente audition, pure et musicale, il faut sans doute d'abord avoir un bon phonographe à reproduction acoustique ou électrique, et le choix de cet appareil est facile parmi les nombreux modèles existant actuellement sur le marché français.
De plus, il est indispensable de posséder quelques notions, peu complexes évidemment, mais cependant nécessaires sur la manière dont on doit utiliser les disques pour obtenir une bonne reproduction, et aussi pour augmenter au maximum leur durée efficace de service.
Sans doute, un disque ordinaire de phonographe ne conte guère plus cher qu'un beau livre, mais, si l'on a rarement la tentation de relire un livre aussi souvent que l'on désire entendre un même disque intéressant, il faut bien avouer qu'un ouvrage littéraire conserve toujours une valeur intrinsèque certaine, alors qu'un disque usé ne peut servir qu'à fournir un peu de matière première pour la fabrication des disques neufs.
Il y a donc un intérêt évident à prendre quelques précautions pour diminuer l'usure des disques et augmenter le nombre de bonnes auditions qu'il peut fournir.
Il y a des auditeurs plus ou moins musiciens et dont l'ouïe est aussi plus ou moins délicate ; il semble pourtant que seule la reproduction d'un disque en excellent état, réalisée d'une façon convenable, et en observant quelques règles mécaniques ou acoustiques simples, puisse procurer une satisfaction artistique vraiment complète.
La reproduction des disques peut être effectuée sans l'aide d'aucune connaissance spéciale. — Le phonographe est un appareil extrêmement simple, pouvant être manœuvré par n'importe quel usager dépourvu de toute connaissance spéciale, et, suivant l'expression vulgaire, peut être mis dans toutes les mains, fussent-elles celles d'un enfant.
Les précautions à prendre pour obtenir une bonne reproduction des disques et diminuer leur usure sont donc peu nombreuses et peu complexes ; il faut tout d'abord régler convenablement la vitesse de rotation du plateau porte-disque, choisir avec discernement le type d'aiguille à employer, apprendre à placer le diaphragme au moment et dans la position convenables, et connaître, enfin, la manière d'entretenir les disques et le mouvement phonographique lui-même.
La vitesse de rotation du disque et son influence. — On ne saurait trop insister sur l'influence très marquée que peut avoir le réglage de la vitesse de rotation du plateau porte-disque sur la qualité de l'audition.
Lorsque le disque primitif ou « cire » a été enregistré, le plateau de la machine d'enregistrement tournait à une certaine vitesse, et, pour obtenir une reproduction de bonne qualité, il est indispensable que la vitesse de reproduction soit égale à la vitesse d'enregistrement.
Il est facile de se rendre compte, en plaçant un disque sur le plateau d'un phonographe et en faisant varier pendant l'audition la vitesse de rotation de ce plateau, qu'on modifie ainsi complètement la tonalité générale de l'audition.
Si l'on augmente la vitesse, la tonalité devient plus aiguë, et le ralentissement la rend, au contraire, plus grave, mais on constate, non seulement ce changement de tonalité, mais encore une véritable transformation du caractère musical ; les sons simples changent seulement de fréquence sans doute, mais les sons complexes constituant la généralité des sons musicaux sont complètement déformés.
Si deux notes à une octave de différence restent toujours à une octave de différence, deux autres notes n'étant pas entre elles dans un intervalle harmonique subissent l'une par rapport à l'autre un décalage.
Pour obtenir une bonne audition, il est donc indispensable de déterminer avec une grande précision cette vitesse de rotation du plateau, et il convient de vérifier avec soin ce facteur avant d'attribuer la mauvaise qualité de l'audition, soit à un organe de l'appareil reproducteur, soit au disque reproduit.
Un de nos amis avait fait récemment l'acquisition d'un superbe phonographe d'un grand prix, muni de tous les perfectionnements de la technique moderne, et il n'avait, d'ailleurs, fait cette acquisition qu'après de longs essais concluants effectués chez le fabricant.
Malheureusement, lorsqu'il voulut utiliser son appareil après livraison, les résultats qu'il obtint ne furent nullement conformes à ses espérances légitimes ; l'audition était franchement désagréable, d'une tonalité aiguë insupportable, et les morceaux d'orchestre les plus harmonieux, comme les chants les plus suaves des grandes cantatrices, étaient complètement déformés.
Le malheureux discophile vérifia soigneusement tous les organes de son appareil : traducteur électromagnétique, amplificateur avec ses transformateurs et ses lampes de T. S. F., appareils d'alimentation, haut-parleur, tout fut contrôlé, mais en vain ; tout était normal, et pourtant l'audition était toujours aussi défectueuse.
Désespéré, il eut alors recours à un spécialiste qui découvrit, au bout de quelques instants, la cause insignifiante, et pourtant essentielle, de ce mystérieux phénomène.
Durant le transport, ou par suite d'une fausse manœuvre, la tige métallique commandant la manœuvre du régulateur de vitesse du plateau porte-disque avait été légèrement faussée, et ce plateau tournait simplement trop vite ; il n'en fallait pas plus pour produire des effets si curieux !
Le réglage de la vitesse de rotation du disque. — La vitesse de rotation des disques du commerce est, en général, de 78 à 80 tours à la minute ; elle est, d'ailleurs, réduite dans quelques cas spéciaux, et, par exemple, elle est seulement de 33 1/2 tours à la minute pour les disques employés dans les appareils de cinématographie sonore.
Quelques éditeurs ont l'habitude de placer sur l'étiquette du disque, à côté de l'indication du morceau enregistré et du nom de l'auteur et de l'artiste, une notation spéciale indiquant exactement quelle doit être la vitesse de rotation à maintenir durant la reproduction.
Quel que soit le système moteur utilisé dans le phonographe, et que l'entraînement du plateau soit obtenu à l'aide d'un moteur à ressort ou électrique, la stabilité de la vitesse de rotation du plateau est toujours maintenue à l'aide d'un régulateur à boules à force centrifuge, et le réglage de la vitesse s'obtient généralement en déplaçant une petite manette mobile en face d'un secteur gradué (fig. 11).
FIG. 11.
Disposition schématique du régulateur de vitesse dans un phonographe.
Cette manette agit par l'intermédiaire d'un
levier sur un patin venant s'appuyer sur le plateau du régulateur. En déplaçant
la manette dans le sens de rotation des aiguilles d'une montre, on appuie plus
fortement le patin contre le plateau du régulateur et on diminue la vitesse ; en
tournant, au contraire, cette manette dans le sens inverse de celui de la
rotation des aiguilles d'une montre, on augmente la vitesse.
Tous les phonographes possèdent une manette de réglage avec secteur gradué ou
une vis avec bouton molleté pour le même usage, et, bien que ce secteur porte
souvent l'indication directe de la vitesse, il ne faut accorder à cette
graduation qu'une valeur toute relative, car elle dépend d'un grand nombre de
facteurs complexes, ne pouvant être prévus par le fabricant, et, d'ailleurs,
variables (fig. 12).
FIG. 12.
Disposition normale du régulateur de vitesse dans un phonographe de type courant.
Ainsi, le patin du frein frottant sur le disque du régulateur à boules s'use peu à peu, et le levier de commande lui-même peut souvent être déformé après un certain temps d'usage. Il semble donc indispensable d'effectuer de temps en temps un réglage précis de la vitesse, sans tenir compte des indications gravées sur le secteur de l'appareil.
Sans doute, un musicien ou un discophile ayant « l'oreille juste » peut-il effectuer ce réglage sans instrument spécial, et en se fiant aux seules indications de son ouïe, mais il est préférable d'avoir recours, en général, à un procédé visuel et non auditif.
Le dispositif le plus simple consiste à placer sur le plateau porte-disque une bande de papier blanc disposée suivant un rayon, et qui servira de repère. On comptera le nombre de tours effectués par le plateau pendant une minute. Le premier passage devant un point fixe (commencement de la mesure) sera compté zéro, le second un, etc...
On attendra évidemment, pour commencer l'opération, que la vitesse de rotation soit bien uniforme, et, suivant le résultat obtenu, on augmentera ou l'on diminuera la vitesse au moyen de la manette du régulateur.
Il est plus curieux encore, plus rapide, et beaucoup plus précis d'employer un autre procédé basé sur une méthode stroboscopique ; cette méthode paraît peut-être plus complexe à première vue que la méthode précédente, mais elle est, en réalité, très simple, et donne des résultats immédiats, d'une précision absolue.
Traçons sur du papier fort ou du carton bristol blanc un disque de 100 millimètres de diamètre, percé d'une ouverture centrale de 8 millimètres, et portant sur sa périphérie 75 barres radiales également espacées (fig. 13).
FIG. 13.
Ce disque peut être exécuté ou même simplement collé, sur papier fort ou bristol blanc, et a un diamètre de 100 millimètres. Au centre, on ménage une ouverture circulaire de 8 millimètres de diamètre par où passera l'axe du plateau phonographique. Sur la bande périphérique de quelque 12 millimètres de largeur sont tracées 75 barres radiales noires régulièrement espacées. Un tel disque servira à vérifier immédiatement la vitesse de rotation du plateau porte-disque. (On peut, d'ailleurs, depuis peu, en trouver dans le commerce.)
Plaçons ce disque sur le plateau d'un phonographe, de telle sorte que l'axe de ce plateau s'engage dans son ouverture circulaire ; faisons l'obscurité dans la pièce où se trouve le phonographe, et éclairons uniquement le plateau par en dessus au moyen d'une ampoule à incandescence demi-watt, ou mieux d'une petite ampoule au néon alimentée par le courant du secteur alternatif 110 volts 50 périodes, comme le montre la figure 14.
FIG. 14.
En plaçant le disque précédent sur le plateau du phonographe, et en l'éclairant uniquement par-dessus à l'aide d'une ampoule au néon, ou, à la rigueur, d'une lampe à incandescence alimentée par le secteur alternatif 50 périodes, on peut régler avec la plus grande précision la vitesse de rotation à 80 tours par minute.
Nous constatons alors un phénomène très curieux : les barres noires et les espaces blancs du disque ne semblent plus tourner avec le plateau. Ils sont animés d'un mouvement de rotation très lent dans le même sens que celui du plateau, ou même de sens contraire, suivant que l'on augmente ou que l'on diminue la vitesse de rotation ; pour une certaine vitesse bien déterminée, le disque paraît parfaitement immobile.
Ce phénomène très curieux en apparence pour des non initiés est, pourtant, très facile à expliquer. L'éclat de la lampe à incandescence, et surtout celui de l'ampoule au néon, ne sont pas constants ; en réalité, ils varient suivant une fréquence double de celle du courant d'alimentation, puisque l'effet produit par une alternance négative est le même dans ce cas que celui produit par une alternance positive.
Donc, si le courant alternatif a une fréquence de 50 périodes, la lumière produite par l'ampoule est supprimée, ou tout au moins atténuée, tous les centièmes de seconde. Pendant le moment où la lumière est éteinte, si le disque a tourné de telle sorte qu'un espace blanc ou une barre noire est venu prendre la place d'un espace ou d'une barre identique précédente, le disque nous semble parfaitement immobile.
Il nous paraît, au contraire, avancer légèrement lorsque sa vitesse de rotation est un peu plus grande, et il nous paraît reculer légèrement lorsqu'il tourne plus lentement.
Dans le cas considéré, c'est-à-dire lorsque le
disque porte 75 barres noires identiques séparées par 75 espaces blancs
identiques également, la vitesse de rotation limite pour laquelle il semble
immobile est de 80 tours à la minute pour un éclairage réalisé avec un courant
de 50 périodes seconde.
En effet, si le disque tourne de 80 tours par minute, il tourne par seconde de
80/60 tours, et la durée d'une révolution est de 60/80 de seconde ; le passage
d'une barre à la suivante se fait ainsi, puisqu'il y a 75 barres par tour, dans
60/80x75=1/100 de seconde, et, à chaque interruption ou atténuation
d'éclairement, une barre est remplacée par la barre suivante identique.
De même, en éclairant toujours avec ce courant alternatif de fréquence 50, on pourrait vérifier des vitesses-limite de 78 et 79 tours en utilisant un disque portant sur sa périphérie 76 et 77 barres marginales et radiales identiques.
Il est très facile de réaliser un disque analogue, également de 100 millimètres de diamètre environ, et portant trois bandes concentriques et périphériques sur lesquelles sont tracées respectivement 75, 76 et 77 barres marginales et radiales identiques (fig. 15).
FIG. 15.
Un disque du même genre, mais portant trois bandes concentriques périphériques sur lesquelles sont tracées respectivement 75, 76 et 77 barres radiales, permet de vérifier si la vitesse de rotation du plateau est de 78, 79 ou 80 tours à la minute. (D'après le Wireless World.)
A l'aide de ce simple disque, on pourra vérifier immédiatement si la vitesse de rotation du plateau atteint bien 78, 79 ou 80 tours par minute. Il suffira de placer le disque sur le plateau de la manière indiquée, de l'éclairer au moyen de l'ampoule alimentée par le courant alternatif du secteur, et enfin de déplacer la manette du régulateur de vitesse jusqu'à ce que les graduations du disque paraissent parfaitement immobiles.
Il est bien évident que l'on devra modifier le nombre de barres portées par le disque si la fréquence du courant du secteur électrique n'est pas de 50 périodes, et le petit tableau de la figure 16 indique, tout de suite, le nombre de barres correspondantes à différentes fréquences de courants du secteur pour la vérification d'une vitesse de 78 ou 80 tours par minute.
FIG. 16.
Tableau indiquant ]e nombre de barres périphériques que doit porter le disque indicateur de vitesse, suivant les diverses fréquences du courant d'alimentation.
Il est, d'ailleurs, facile d'établir une petite formule très simple indiquant le nombre de barres radiales que doit porter le disque, en fonction de la fréquence du courant alternatif alimentant l'ampoule d'éclairage, et de la vitesse de rotation à vérifier.
Si l'on appelle x le nombre de barres, N la fréquence du courant, V la vitesse de rotation du disque, on trouve immédiatement la formule : x=120 N/V, formule qui permet de trouver dans tous les cas la solution du problème.
Ce procédé stroboscopique est, à la fois, extrêmement simple, précis, et évidemment fort économique ; il semble donc le meilleur.
On peut pourtant noter encore qu'on trouve actuellement, dans le commerce, des indicateurs de vitesse d'un prix relativement modique, et qui sont présentés sous la forme de petite boîtes rectangulaires (fig. 17).
FIG. 17.
Indicateur de vitesse mécanique à force centrifuge. On met le contrôleur de vitesse sur le plateau en engageant l'axe do ce dernier dans le trou de sa base. La couleur apparaissant dans le « voyant » indique la vitesse : verte, vitesse normale ; rouge, trop rapide ; blanche, trop lente.
Sur la face supérieure de la boîte se trouve une petite ouverture circulaire dans laquelle apparait un « voyant » de couleur, ou une plaquette dorée qui se déplace verticalement. On place cet accessoire sur le plateau porte-disque dont on veut vérifier la vitesse, et, si celle-ci est correcte, un voyant de couleur déterminée apparaît dans la fenêtre, ou bien l'index s'abaisse exactement au niveau de la boîte (fig. 18).
FIG. 18.
Indicateur de vitesse automatique à force centrifuge (vue d'ensemble et coupe partielle). Le contrôleur de vitesse est placé sur le disque en engageant l'axe du plateau dans le trou de sa base. A la vitesse normale (78 tours), la plaquette dorée portée à l'extrémité d'un levier descend au niveau de la surface supérieure du contrôleur de vitesse. A une vitesse insuffisante, elle s'élève au-dessus de cette surface.
Le principe de fonctionnement de ces accessoires est d'ailleurs très simple, et il est basé sur l'effet de la force centrifuge produite par la rotation du plateau.
Aiguilles en fibre et taille-aiguilles. |
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Aiguilles ordinaires en acier de forces différentes. |
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Brosse à disques, huile de graissage pour moteurs et indicateur de vitesse. |
FIG. 18 bis. — Quelques accessoires phonographiques. (Photos « L'Atelier Marcel Arthaud »)
Les diaphragmes et les aiguilles. — Quel que soit le système de reproduction employé, acoustique ou électrique, le diaphragme ou le pick-up électro-magnétique porte toujours une aiguille reproductrice qui suit les sillons phonographiques et transmet les vibrations, soit à la membrane du diaphragme, en mica ou en métal mince, soit à l'armature du traducteur électrique (fig. 19).
FIG. 19.
L'aiguille du diaphragme ou du reproducteur électromagnétique glisse au fond du sillon phonographique ; elle appuie verticalement sur le fond de ce sillon sous l'action du poids du diaphragme ou du pick-up, et elle est animée de vibrations transversales qui sont transmises à l'armature vibrante.
Dans les deux cas, la pointe acérée de l'aiguille effilée repose sur le fond du sillon acoustique et attaque la cire, non pas en profondeur comme le « saphir », mais pour ainsi dire latéralement, et en « égratignant » seulement les bords internes du sillon.
Les matières dures qui composent la surface du disque et l'aiguille frottent l'une contre l'autre et doivent donc s'user ; les frottements s'effectuent, d'ailleurs, de deux manières différentes.
Tout d'abord, le poids du diaphragme ou du reproducteur électrique fait appuyer verticalement la pointe de l'aiguille sur le fond du sillon ; d'autre part, les vibrations sonores sont produites par des impulsions transversales provoquées par des frottements de l'aiguille le long des parois internes du sillon (fig. 20).
FIG. 20.
Le poids du diaphragme ou du pick-up produit une force P qui applique l'aiguille sur le fond du sillon, tandis que le frottement de l'aiguille le long des parois internes provoque des impulsions transversales P'.
L'intensité des vibrations de l'aiguille variera donc suivant l'importance des impulsions qu'elle reçoit, et celles-ci seront d'autant plus grandes que la pointe de l'aiguille remplira plus complètement le sillon, c'est-à-dire que le diamètre de l'aiguille sera plus grand.
D'autre part, quel que soit également le système de reproduction adopté, l'aiguille et le porte-aiguille monté sur son axe avec son aiguille jouent le rôle d'un levier pour la transmission du mouvement de la pointe de l'aiguille à la membrane acoustique ou à l'armature vibrante du reproducteur électrique (fig. 21).
FIG. 21.
Un diaphragme classique. — A, bras inférieur du porte-aiguille ; B, bras supérieur ; P, P', pivots ; M, membrane vibrante ; G, G', joints amortisseurs.
Le point d'appui de ce levier est l'axe du porte-aiguille, le point d'application de la résistance est le point de contact avec le centre de la membrane du diaphragme ou l'extrémité de l'armature du pick-up.
Enfin, la pointe de l'aiguille en contact avec le sillon du disque forme le point d'application de la force du levier.
Si l'on suppose que l'aiguille et le porte-aiguille sont parfaitement rigides, on peut déduire immédiatement de ces indications que le rapport de transformation du levier sera d'autant plus grand, et par conséquent l'intensité des vibrations sonores transmises à la membrane ou à l'armature également d'autant plus grandes, que la longueur de l'aiguille sera plus courte. Pour obtenir une bonne reproduction, il faut donc noter qu'on ne peut employer un même type d'aiguille « omnibus », quelles que soient la nature du disque, l'intensité de l'audition désirée et le système de reproduction adopté.
Pour choisir le type d'aiguille convenable, il faut, non seulement considérer la matière dont elles sont composées et leurs formes, mais encore leur longueur et le diamètre de leur pointe.
Ce choix des aiguilles peut paraître peu important à première vue, mais, en réalité, il est absolument essentiel pour obtenir une bonne audition et une usure minimum des disques.
Les types d'aiguilles normales. — La fabrication des aiguilles s'effectue généralement en acier trempé très sec, et leur forme la plus courante est la forme cylindro-conique (fig. 22). Il existe chez la plupart des fabricants quatre catégories de ces aiguilles : sourdine (soft), médium, forte (loud), extra-forte (extra-loud).
FIG. 22.
Deux aiguilles du type courant cylindro-conique. En a, aiguille « forte » ; en b, aiguille sourdine. Non seulement le diamètre de cette dernière est plus faible, mais surtout sa pointe est plus longue et plus effilée, donc plus flexible.
L'intensité de la reproduction produite par l'aiguille ne varie pas seulement suivant sa longueur et son diamètre, mais surtout suivant la forme de son extrémité.
Nous avons indiqué plus haut que le levier porte-aiguille du diaphragme agissait comme un véritable transformateur d'énergie, le rapport du bras de levier étant évidemment compatible avec l'élasticité maxima ou optima de la membrane vibrante.
Si l'on supposait le bras complètement rigide, sans inertie et sans frottement, l'intensité de reproduction ne dépendrait que de la longueur de l'aiguille.
En réalité, il faut tenir compte des effets d'inertie, de résonance, et de frottement des pièces en mouvement et aussi de la flexion de l'aiguille.
Ce dernier phénomène est souvent utilisé par les constructeurs pour la réalisation d'aiguilles plus ou moins « fortes ». Si nous considérons deux aiguilles cylindro-coniques de même diamètre dans la partie cylindrique et de même longueur, mais dont les parties coniques ne sont pas effilées de la même façon, nous pouvons constater que l'aiguille la plus effilée, c'est-à-dire la plus flexible, donnera une reproduction moins intense, parce que la transmission des vibrations ne sera plus effectuée avec conservation intégrale de l'énergie.
L'intensité d'audition dépend donc, on le voit, d'un nombre de facteurs assez considérable, et l'on conçoit qu'il puisse exister un très grand nombre de modèles différents d'aiguilles.
L'acier trempé formant la matière des aiguilles courantes cylindro-coniques, semble, sans doute, plus résistant que la composition à base de gomme laque de la surface des disques, et pourtant l'aiguille est bientôt tellement émoussée qu'il est presque toujours indispensable de la changer après chaque audition. Il faut concevoir, en effet, que la longueur du sillon sonore est, en réalité, de plusieurs centaines de mètres pour une seule face du disque, et que la pression exercée par la pointe de l'aiguille sur le fond du sillon est de l'ordre de plusieurs tonnes par centimètre carré. Le disque agit donc à la façon d'une meule très efficace.
Si l'on regarde à l'œil nu une aiguille qui a servi à plusieurs reproductions, on aperçoit sur sa pointe deux petits reflets brillants correspondant chacun à l'usure produite par une paroi interne du sillon sonore. La pointe de l'aiguille, tout d'abord parfaitement polie, épouse peu à peu la forme de son guide par suite d'un meulage aussi énergique ; elle prend ainsi la forme d'une sorte de croissant à bords tranchants (fig. 23).
FIG. 23.
Formes de la pointe, très grossie, d'une aiguille de phonographe neuve, et après plusieurs reproductions. (Document Gramophone.)
Cette pointe n'est donc plus conique, et en supposant qu'elle soit déplacée légèrement par rapport à sa position primitive, les bords limés et aigus agissent comme un couteau et entament les parois du sillon ; d'ailleurs, si l'on continue à utiliser l'aiguille, elle s'émousse de plus en plus, s'enfonce à l'intérieur du sillon en faisant disparaître toutes les finesses des courbes phonographiques. Il est ainsi absolument indispensable de suivre exactement les prescriptions des constructeurs, et de changer l'aiguille après chaque audition, quel que puisse être le désagrément relatif de cette opération, d'ailleurs rapide et facile avec les diaphragmes et bras acoustiques modernes.
Un autre modèle très courant d'aiguille à l'heure actuelle est l'aiguille d'acier dite en « fer de lance ». Cette aiguille comporte un corps cylindrique de diamètre plus ou moins grand, prolongé par une partie plate en forme de fer de lance (fig. 24).
FIG. 24.
L'aiguille en « fer de lance » (profil et face). a, forme courante de l'aiguille fer de lance ; b, position de reproduction maxima, le plat de la lance est perpendiculaire au sillon ; c, position de reproduction minima, le plat de la lance est parallèle au sillon. (La largeur du sillon est très amplifiée sur la figure.)
L'intensité de la reproduction fournie par ces aiguilles varie, non seulement suivant leur longueur et leurs dimensions, mais encore suivant la position du plat de la lance par rapport au sillon phonographique.
L'intensité de la reproduction est maxima lorsque le plat de la lance est placé perpendiculairement à la tangente au sillon, parce qu'alors l'aiguille est très rigide. Au contraire, l'intensité est minima lorsque le plat de la lance est tangent au sillon, la pointe du système devenant alors relativement flexible.
Avec un seul genre d'aiguilles, on peut ainsi obtenir des effets de réglage assez variés de l'audition.
D'autre part, l'usure de ces aiguilles semble plus régulière que celle des aiguilles courantes cylindro-coniques, le non remplacement d'une aiguille usée entraînerait donc des dommages moins grands pour le disque, bien qu'il demeure recommandé et nécessaire de changer aussi une aiguille de ce type après chaque audition.
Les aiguilles semi-permanentes. — Les aiguilles cylindro-coniques ordinaires ou en « fer de lance » doivent être changées après chaque audition, comme nous venons de l'indiquer ; aussi a-t-on tenté depuis longtemps d'établir des aiguilles pouvant servir à un grand nombre de reproductions et produisant cependant une usure minimum des sillons.
On a essayé de réaliser, d'abord, des aiguilles à pointe de pierres fines, en saphir ou même en diamant, mais, si la pointe mousse en « saphir » convenait parfaitement pour les anciens disques à enregistrement vertical, les pointes aiguës en pierres précieuses ne semblent pas avoir donné des résultats satisfaisants.
Il existe, d'autre part, des aiguilles cylindro-coniques en acier très dur, doré, cuivré ou laitonné, qui peuvent permettre d'obtenir une dizaine de reproductions environ au minimum. La pointe de ces aiguilles se déforme, en effet, moins vite que celle des aiguilles ordinaires, mais l'usure du disque semble néanmoins être plus rapide qu'en employant ces dernières et en les changeant après chaque audition.
Enfin, il y a depuis quelque temps en France des aiguilles en laiton dont l'extrémité en contact avec le sillon est formée par une tige cylindrique très fine et très courte en alliage de tungstène (fig. 25). L'usure de ce fil de tungstène étant régulière et relativement lente, le constructeur assure que ce modèle d'aiguille permettrait, sans changement, d'obtenir deux cents ou deux cent cinquante auditions ! En réalité, sa durée est évidemment fonction de la longueur réelle du sillon sonore ; aussi faut-il, pour éviter tout risque, se borner à obtenir de cinquante à quatre-vingts auditions, ce qui est déjà beaucoup, d'ailleurs.
FIG. 25.
Deux formes d'aiguilles semi-permanentes à pointes de tungstène, dites "Tungstyle". a, aiguille forte ; b, aiguille douce ou médium.
Il convient pourtant de choisir convenablement le type d'aiguille de ce genre à adopter, en fonction de la largeur du sillon, c'est-à-dire de la marque des disques employés. D'un autre côté, il faut prendre la précaution de ne jamais changer la position de cette aiguille sur le diaphragme ou le pick-up, ce qui risquerait d'entraîner une usure irrégulière de la pointe reproductrice, et, par conséquent, du sillon sonore.
Il existe également des aiguilles très fines formées d'une longue tige effilée plaquée or, qu'on introduit dans un mandrin à serrage par vis placé dans le porte-aiguille du diaphragme. On peut bloquer cette tige dans une position réglable, et augmenter ou diminuer ainsi sa longueur acoustique utile, donc diminuer ou augmenter l'intensité de l'audition. Une telle aiguille permettrait d'obtenir une vingtaine d'auditions au minimum, mais son usage ne semble pas encore fort répandu.
Les aiguilles spéciales. — A côté des aiguilles ordinaires en acier, de formes classiques, et des aiguilles semi-permanentes que nous venons de décrire, il existe encore de très nombreux types d'aiguilles moins connus, plus ou moins originaux et intéressants.
Nous citerons, par exemple, les aiguilles ondulées en laiton, très flexibles, donnant une reproduction douce et fine (fig. 26, a), les aiguilles en acier de gros diamètre et très courtes, à collerette, qui peuvent être considérées, au contraire, comme les plus puissantes à l'heure actuelle (fig. 26, b).
FIG. 26.
a, aiguille ondulée en laiton, flexible, très douce ; b, aiguille en acier, à collerette, très puissante.
On pourrait également noter des aiguilles cylindro-coniques en acier, à tige de section constante, des aiguilles puissantes à renflement central, etc., mais le modèle spécial le plus intéressant semble encore être l'aiguille végétale en fibre de bambou ou d'autres roseaux, c'est-à-dire de plantes dont les tiges ont des fibres parallèles.
La forme de ces aiguilles est celle d'un prisme à base triangulaire, l'extrémité qui vient appuyer sur le sillon sonore est biseautée, de sorte que la pointe en forme de fer de lance est composée de la partie la plus dure, l'écorce de la tige. D'ailleurs, ces aiguilles peuvent être retaillées une dizaine de fois à l'aide de sécateurs ou de petites machines spéciales (fig. 27). Très souvent, d'autre part, les tiges ont été imprégnées de paraffine durant leur fabrication.
FIG. 27.
L'aiguille en "bois". - a, forme de l'aiguille en fibre ; b, coupeur d'aiguilles perfectionné.
La reproduction fournie par ce modèle est évidemment douce et relativement faible. Il n'existe d'ailleurs, en général, qu'un seul diamètre d'aiguille, et l'on règle uniquement l'audition en augmentant ou en diminuant sa longueur en dehors du mandrin porte-aiguille du diaphragme ou du pick-up.
Quel est le meilleur modèle d'aiguille ? — Une aiguille doit être choisie, non seulement en fonction de la marque du disque à reproduire, de la nature de l'enregistrement, du système de reproduction, mais encore du modèle de diaphragme ou de pick-up adopté. Il est évidemment utile, en fixant son choix, de considérer non seulement la qualité de la reproduction, mais encore le degré minimum d'usure du disque.
Malgré leurs avantages apparents, il ne paraît pas intéressant d'adopter, en général, des aiguilles semi-permanentes, sauf dans les cas spéciaux que nous avons indiqués. L'usure du disque est alors plus grande, ou la qualité de l'audition moins accentuée.
D'autre part, l'aiguille de fibre, nous l'avons noté, use peu le disque, mais produit un bruit de grattement continuel un peu plus accentué qu'une aiguille ordinaire en acier, et l'audition obtenue est assez affaiblie et voilée. L'usage de ce modèle d'aiguille ne doit nullement être proscrit, mais il faut le réserver surtout à la reproduction des grands orchestres, des soli de violon et de piano.
On n'emploiera, de même, des aiguilles douces en laiton que dans des cas analogues, et les aiguilles en acier à collerette, très puissantes, seront réservées à la reproduction des disques de danses modernes ou de musique de jazz.
Les seuls modèles d'usage général seront donc les aiguilles cylindro-coniques ou en fer de lance. Certains techniciens reprochent à ces dernières d'introduire des bruits parasites lorsque leur partie plate est perpendiculaire à la tangente au sillon. Cet inconvénient n'est guère sensible, à notre avis, aussi sommes-nous partisan de leur adoption ; elles méritent, semble-t-il, d'être classées tout au moins ex æquo avec les aiguilles cylindro-coniques.
Quel que soit le cas considéré, il y a toujours intérêt à utiliser des aiguilles les moins fortes possible. Une aiguille forte transmet, en effet, à la lame vibrante du diaphragme ou du pick-up une quantité assez grande d'énergie et, d'une façon correspondante, détériore rapidement le sillon.
Les aiguilles « sourdine » ne présentent pourtant guère d'intérêt et seront réservées à certains phonographes électriques puissants ; on choisira, de préférence, en général, des aiguilles « médium » ou « soft tone », qui fournissent une bonne audition sans user trop rapidement le disque, et les aiguilles « fortes » ou « extra-fortes » seront ainsi réservées, le plus souvent, à des phonographes portatifs peu puissants pour la reproduction des disques de danse.
Il faut, en outre, comprendre qu'un diaphragme à membrane métallique, plus sensible et plus délicat, en général, qu'un diaphragme à membrane de mica, ne pourra fonctionner, sans risque de déformation, avec une aiguille puissante infligeant à la membrane des vibrations de trop grande amplitude.
En résumé, les indications à suivre pour le choix des aiguilles sont peu complexes : dans les cas généraux, adopter une aiguille médium cylindro-conique ou en « fer de lance » ; pour des disques d'orchestre où des solos d'instruments à cordes, une aiguille en fibre ou en laiton ; pour certains disques de danses, et surtout avec des appareils portatifs, une aiguille forte ou très forte en acier ; pour certains phonographes électriques, des aiguilles sourdine, et, enfin, pour des appareils automatiques, des aiguilles semi permanentes.
On tente constamment de perfectionner, d'ailleurs, la fabrication des aiguilles, et la forme de la pointe de l'aiguille a sans doute une importance encore plus grande que sa matière ; une aiguille idéale serait un modèle à pointe régulièrement arrondie épousant parfaitement le contour du fond du sillon, et s'usant d'une manière constante, de telle sorte que son remplacement serait peu fréquent sans qu'il eu résultât aucun danger de détérioration des sillons.
Nous avons montré plus haut que ces conditions n'étaient pas encore atteintes ; espérons qu'elles le seront prochainement et que ce problème important sera enfin résolu !
L'usure du disque et ses causes. — Comme nous l'avons noté plus haut, deux facteurs essentiels déterminent le degré d'usure du disque par l'aiguille reproductrice ; ce sont le poids du diaphragme et du bras acoustique qui agissent verticalement, et l'inertie de la membrane vibrante ou de l'armature qui agit transversalement (fig. 28, a).
FIG. 28.
Usure du sillon sonore par l'aiguille reproductrice. — a, l'aiguille use normalement le fond du sillon et l'inertie de la membrane vibrante la fait frotter le long des parois internes de ce sillon ; b, dans les sinuosités du sillon l'aiguille appuie transversalement sur les parois et l'usure est d'autant plus grande que les courbes sont plus accentuées et plus resserrées, les courbes s'atténuent ainsi peu à peu ; c, lorsque le diaphragme est trop léger ou son armature vibrante trop amortie, l'aiguille reproductrice saute d'un sillon à l'autre en détruisant peu à peu les finesses de l'enregistrement.
L'expérience a montré que le poids d'un bon diaphragme ou d'un pick-up doit être voisin de 150 grammes et, d'ailleurs, il serait possible d'utiliser un bras acoustique à contrepoids permettant de compenser une partie de ce poids pour diminuer la pression de l'aiguille sur le sillon.
Il ne faut pas pourtant, semble-t-il, abaisser le poids réel appliqué à l'aiguille au-dessous de 120 grammes environ, car, dans ce dernier cas, l'aiguille sauterait par-dessus les sommets des courbes trop resserrées et les détruirait peu à peu, ce qui déformerait ainsi complètement l'audition en détruisant toutes les finesses de l'enregistrement (fig. 28, c).
L'usure interne des parois du sillon provient donc de l'inertie de l'armature vibrante, et, à ce point de vue, il semble que les diaphragmes à membrane métallique très souple doivent user moins le disque que les diaphragmes à membrane de mica épaisse.
Certains modèles de reproducteurs électriques usent plus vite le disque que les diaphragmes mécaniques, parce que leurs dispositifs d'amortissement sont exagérés et que leur entraînement exige une pression plus forte de l'aiguille sur les parois du sillon que pour les diaphragmes mécaniques (fig. 28, b).
Dans ces reproducteurs, le dispositif d'amortissement doit servir uniquement à éviter les vibrations parasites, et non à freiner constamment les mouvements de l'armature.
La forme de l'aiguille et sa position dans le plan vertical et dans le plan horizontal par rapport au sillon sonore sont également des facteurs importants et trop souvent négligés de l'usure du disque.
Nous venons d'indiquer précédemment que les aiguilles en acier du modèle ordinaire cylindro-conique ou en fer de lance, devaient être changées régulièrement après chaque audition pour éviter une usure anormale des sillons, parce que la forme de tranchant courbe prise par leur extrémité après la reproduction, produisait, eu quelque sorte, un rabotage des parois internes de ce sillon sonore (fig. 29).
FIG. 29.
Comment une aiguille cylindro-conique, à pointe déjà usée, peut détériorer les bords du sillon. (Document Gramophone).
Nous avons indiqué également que l'emploi d'une aiguille trop forte amenait une usure beaucoup trop rapide du disque, et nous avons conseillé, à ce propos, d'adopter des aiguilles médium, sauf dans certains cas spéciaux très rares.
L'inclinaison de l'aiguille et sa position dans le plan horizontal, par rapport au sillon sonore, ont aussi une très grande importance pour la vie du disque ; mais, comme ces facteurs sont déterminés à l'avance par le constructeur des phonographes électriques ou mécaniques, l'usager n'a pas à s'en préoccuper.
Il semble résulter des expériences effectuées jusqu'à présent sur la question de l'usure des disques, qu'avec un phonographe bien construit, un diaphragme et des aiguilles convenablement choisis, il est possible d'effectuer une cinquantaine de reproductions avec le même disque sans dommage appréciable. On peut donc évaluer la vie du disque au double de ce chiffre, et les amateurs exigeants doivent donc se contenter, en général, d'obtenir une centaine de reproductions.
Il va sans dire que la durée du disque dépend essentiellement de la composition de sa surface, et, à ce point de vue, on peut remarquer que ce ne sont pas les disques dont la surface est faite de la matière la plus pure, et donnant le moins de bruits de grattement d'aiguille, qui sont souvent les plus durables. Il est, pourtant, préférable d'avoir une audition plus agréable, même si l'usage du disque doit être un peu moins long.
On pourrait se demander s'il ne serait pas possible d'accroître la durée du disque en lubrifiant sa surface ; il est, en effet, aisé de l'encaustiquer légèrement de temps en temps, soit par des procédés ordinaires, soit à l'aide de produits spéciaux vendus chez des marchands d'accessoires phonographiques. On diminue, ainsi, également le bruit de grattement d'aiguille.
Certains discophiles enduisent leurs disques d'une légère couche d'huile de paraffine, et un inventeur avait même pris un brevet pour la réalisation d'une aiguille reproductrice creuse déposant constamment de l'huile au fond du sillon ! Ces procédés sont théoriquement très intéressants, mais ils ont l'inconvénient de rendre la manipulation des disques très désagréable, et, par là même, ils ne sauraient être conseillés.
On peut aussi simplement effectuer quelques reproductions d'un disque neuf à l'aide d'une aiguille en fibre fortement paraffinée, qui dépose mie couche de paraffine très légère au fond des sillons.
Il faut, d'ailleurs, qu'un disque soit très usé pour qu'il prenne un aspect général caractéristique, et il faudrait, le plus souvent, utiliser un fort grossissement pour apercevoir les dégâts causés aux sillons (fig. 30).
FIG. 30.
L'usure du disque. - a, microphotographie d'un disque neuf ; b, le même disque après une cinquantaine de reproductions.
L'oreille, malgré son imperfection, décèle vite pourtant les bruits parasites et les déformations de la reproduction, bien qu'il y ait, sans doute, nombre de discophiles beaucoup moins difficiles les uns que les autres. On s'aperçoit beaucoup plus vite des bruits parasites produits par une aiguille usée et non changée, et dont la pointe ne s'appuie plus convenablement le long des parois du sillon.
L'entretien des disques. — L'entretien du disque se borne, en général, à maintenir sa surface extrêmement propre et, au besoin, à l'encaustiquer de temps en temps, comme nous l'avons indiqué.
Le nettoyage de la surface a pour but d'enlever, non seulement les poussières provenant de l'extérieur, mais encore les particules de gomme laque ou même de métal arrachées au disque ou à l'aiguille, et s'effectue à l'aide d'un tampon recouvert de velours ou d'une brosse en poils de chèvre (fig. 31).
FIG. 31.
Brosses-tampons à disques, types Gramophone et Odéon.
La façon dont les disques sont placés dans la discothèque est également essentielle pour leur bonne conservation, et nous montrerons plus loin comment ce classement doit être opéré.
Comment effectuer la reproduction d'un disque ? — Il est évidemment très facile d'utiliser un phonographe électrique ou mécanique, et sa manœuvre peut être effectuée même par une femme ou un enfant. Il faut, cependant, si l'on veut éviter à la fois l'usure du disque et la détérioration des organes du phonographe, prendre certaines précautions très simples et peu nombreuses, mais absolument nécessaires.
Il est tout d'abord indispensable de ne jamais mettre en marche le plateau porte-disque l'aiguille reposant sur le disque, et de ne pas l'arrêter avant la fin de la reproduction, si le diaphragme n'a pas été relevé.
Nous avons noté précédemment que, sur la plupart des disques actuels, il existait des spires centrales non enregistrées servant à arrêter la course de l'aiguille à la fin de l'audition, sans aucun danger de détérioration pour le disque.
Si le disque comporte cette disposition, comme c'est le cas général, il est donc inutile de relever le diaphragme dès que l'audition est terminée, mais il est toujours indispensable, par contre, que le plateau ait atteint sa vitesse de rotation normale avant le placement de l'aiguille sur le disque.
Remarquons aussi qu'un grand nombre de modèles de phonographes comportent un dispositif d'arrêt automatique du moteur à la fin de la reproduction du disque.
Là pointe de l'aiguille fabriquée en très grande série à la machine est, d'autre part, plus ou moins régulière, et un polissage de sa surface est effectué par les premiers sillons qui s'usent ainsi plus vite que les autres.
Il est donc recommandé de placer d'abord le diaphragme sur la bande périphérique non enregistrée du disque pendant un ou deux tours, ce qui produit un premier rodage très utile de la pointe. Une poussée très légère sur le diaphragme engrène alors l'aiguille dans le sillon initial (fig. 32).
FIG. 32.
Lorsque le plateau porte-disque a atteint sa vitesse normale de rotation, on place l'aiguille du diaphragme sur le bord extérieur du disque non enregistré ; après un ou deux tours, on pousse légèrement le diaphragme vers le centre et l'aiguille s'engrène avec le sillon initial.
Un grand nombre de modèles de phonographes comporte, d'autre part, un arrêt automatique du mouvement à la fin de l'audition. Ce dispositif est intéressant, mais il n'est plus indispensable avec les disques actuels à spires centrales non enregistrées.
La vérification du serrage de l'aiguille dans son mandrin est, enfin, indispensable ; souvent, des vibrations parasites proviennent de cette cause très simple.
Entretien des différents organes du phonographe. — Le moteur d'entraînement à ressort ou électrique doit être graissé de temps en temps, si l'on veut obtenir toujours un fonctionnement durable et silencieux. Pour opérer ce graissage, il faut opérer un démontage très simple, mais qui doit cependant être effectué avec précaution.
Les pièces à rotation rapide : plateau du régulateur centrifuge, coussinets, engrenages, etc., seront alors lubrifiées avec une huile légère de vaseline, tandis que les grands engrenages et les barillets des ressorts seront graissés avec de l'huile lourde ou de la graisse consistante (fig. 33).
FIG. 33.
Le graissage d'un moteur phonographique à ressort.
(Type à double barillet.)
De petits tubes en étain avec bec injecteur, vendus chez les marchands d'accessoires phonographiques, faciliteront beaucoup cette opération.
On vérifiera alors si toutes les pièces du moteur tournent sans grincement, et le régulateur devra être parfaitement silencieux.
Si le bras acoustique est monté sur billes, son entretien se réduit à une vérification peu fréquente de la liberté de son mouvement de rotation, mais si son axe est simplement monté sur pivot, il sera bon de le graisser de temps en temps avec de l'huile fluide.
Enfin, le diaphragme est un accessoire très délicat et absolument essentiel, et, en particulier, la tension de sa membrane vibrante doit rester absolument constante. Mais il est évident que le réglage de cette tension ne peut être effectué par l'usager lui-même, et devra au contraire être confié à un spécialiste.
Les diaphragmes modernes à membrane métallique sont, d'ailleurs, plus délicats que les modèles anciens à membrane de mica ; il sera donc indispensable de les manipuler avec précaution et de ne pas infliger de chocs violents au levier porte-aiguille, ce qui risquerait de produire une déformation constante de la membrane.
Notons, de même, qu'il est rare que les disques soient centrés d'une manière parfaite, ce qui rend la rotation de l'aiguille glissant au fond du sillon plus ou moins régulière et entraîne des variations de pression de cette aiguille reproductrice le long du sillon.
Des discophiles très exigeants devraient donc effectuer un centrage rigoureux avant chaque reproduction, mais il est heureusement fort rare que ce défaut soit très accentué.
Enfin, il est bon de veiller à l'entretien de l'ébénisterie, et tout spécialement d'éviter de placer le phonographe dans un endroit trop chaud ou humide.
LE PHONOGRAPHE ARTISTIQUE, RÉCRÉATIF ET INSTRUCTIF
Généralités. — Nous avons indiqué précédemment comment on devait utiliser les disques phonographiques, à la fois pour obtenir une audition aussi bonne que possible, et diminuer au minimum leur usure.
Cependant, on peut améliorer encore l'audition et la rendre plus artistique en observant des précautions, non plus seulement purement mécaniques, mais également acoustiques, et le phonographe peut être considéré aussi dans certains cas, non seulement comme un appareil de reproduction de disques enregistrés, mais comme un instrument de récréation scientifique.
Il nous a donc semblé intéressant de consacrer un court chapitre de ce petit ouvrage à l'étude de quelques notions peu connues se rapportant à ces diverses questions.
L'emplacement du phonographe dans l'appartement. — L'emplacement de l'appareil de reproduction phonographique dans la pièce où a lieu l'audition a une influence beaucoup plus grande qu'on ne le croit généralement sur la qualité de cette audition, et cette influence est d'autant plus grande que l'intensité de la reproduction est plus marquée.
Nous ne donnerons pas, dans ce livre, une étude technique du problème, étude que nous avons publiée, d'ailleurs, dans d'autres ouvrages.
Il nous suffira de rappeler qu'il convient de communiquer l'ébranlement sonore à une masse d'air aussi grande que possible, afin d'obtenir un effet « d'ampleur » suffisant, et, d'autre part, d'éviter la formation de réflexions sonores gênantes.
Il est évidemment plus facile de disposer, dans ce but, un appareil meuble qu'un appareil coffret ou portatif, puisque, dans le premier cas, la hauteur du diffuseur de sons est déterminée à l'avance, et son action plus efficace sur la masse d'air environnante.
Il suffira donc de placer un phonographe meuble aux deux tiers environ d'une pièce de forme rectangulaire ou aux deux tiers de la diagonale d'une pièce de forme carrée pour obtenir les meilleurs résultats (fig. 34).
FIG. 34.
La position optima du phonographe est aux deux tiers de la longueur d'une pièce rectangulaire ou aux deux tiers de la diagonale d'une pièce de forme carrée.
Pour un appareil coffret, ou un appareil portatif, la hauteur optima du diffuseur de sons au-dessus du sol semble être de un mètre environ.
On placera donc l'appareil sur une table ou un
support quelconque ayant à peu près cette hauteur, et on le disposera dans la
pièce comme s'il s'agissait d'un phonographe meuble.
Pour éviter les réflexions sonores nuisibles, on ne placera jamais le
phonographe en avant d'un miroir ou d'un mur à surface très lisse. On obtiendra,
au contraire, très souvent de bons résultats en le plaçant en avant d'une porte
ouverte ou d'une baie de séparation de deux pièces, de telle sorte qu'il se
trouve une masse d'air suffisante derrière lui.
Enfin, dans quelques cas, on pourra obtenir des effets curieux en disposant le phonographe dans l'angle d'une pièce, mais la qualité de ces résultats dépendra évidemment de la forme de la pièce et de la composition des parois ; c'est donc, dans ce cas, le discophile lui-même qui devra être juge des résultats obtenus et modifier les modalités de l'expérience en conséquence.
Les dispositifs répétiteurs. — Nous avons noté qu'il existe de petits dispositifs interrupteurs très simples arrêtant automatiquement le fonctionnement du moteur à ressort ou électrique d'entraînement lorsque la reproduction est terminée. Ces dispositifs, de prix modique, se montent simplement sur le bras acoustique du diaphragme ou le bras support du pick-up.
Rien de plus facile aussi, lorsqu'on désire entendre plusieurs fois de suite le même disque, pour des essais, pour faire danser, ou bien parce que le sujet du disque est particulièrement intéressant, d'adopter ou de construire un petit dispositif simple en celluloïd, ou même en carton, replaçant automatiquement et continuellement la pointe reproductrice dans la position initiale.
Cet appareil se compose d'un plateau circulaire portant une gouttière spiraloïde servant de glissière pour l'aiguille et d'une lamelle latérale servant à régler la durée d'audition suivant le disque utilisé. Ce plateau porte une molette centrale en bois solidaire du plateau d'entraînement, et qui se fixe immédiatement par friction sur l'axe du phonographe (fig. 35).
FIG. 35.
Appareil en carton ou en celluloïd permettant de recommencer automatiquement l'audition du disque terminé. La glissière porte une lamelle faisant saillie. Celle-ci empêche l'appareil de tourner, car elle bute contre l'aiguille. Lorsque l'aiguille arrive à l'extrémité de la lamelle, l'appareil n'est plus retenu, se met à tourner et passe sous l'aiguille, qui, guidée par la glissière, est ramenée vers la périphérie. Après un demi-tour, l'appareil est de nouveau arrêté par la lamelle et l'audition recommence.
Pendant l'audition des disques, l'aiguille glisse le long de la lamelle et
s'oppose à la rotation de l'appareil. Dès qu'elle arrive à l'extrémité de cette
lamelle, l'appareil se met à tourner entraînant l'aiguille dans la rainure.
Après un demi-tour, l'aiguille revient à l'extrémité du disque buter contre la
lamelle, et l'audition recommence.
Le diaphragme improvisé. — Voulez-vous parier avec un ami que vous réussirez à obtenir la reproduction d'un disque sans l'aide d'un diaphragme ou d'un traducteur électrique ?
Prenez simplement une carte de visite ou un morceau de carton mince quelconque, et, en le tenant délicatement entre deux doigts, faites reposer le coin dans le sillon d'un disque tournant à vitesse normale, en inclinant l'ensemble à 50° environ (fig. 36).
FIG. 36.
Reproduction d'un disque à l'aide d'une simple carte de visite.
On entendra alors, faiblement mais distinctement, le morceau enregistré, le coin de la carte recueillant les vibrations sonores et les transmettant à la feuille de carton.
Quelques expériences d'acoustique amusantes. — Sans avoir besoin d'aucune notion de physique ni de mathématiques, on peut réaliser une expérience d'acoustique amusante en laissant complètement se détendre le ressort d'un phonographe à moteur mécanique, ou en interrompant le courant d'alimentation d'un phonographe à moteur électrique, et en poussant le plateau porte-disque en sens inverse du sens normal avec un doigt, l'aiguille reposant sur le disque de la manière habituelle (fig. 37).
FIG. 37.
On obtient des effets amusants et curieux en faisant tourner à l'envers le plateau porte-disque d'un phonographe.
Il vaudrait certes mieux, pour ne pas abîmer le disque, renverser la position du diaphragme ou du pick-up par rapport au sillon, mais, si l'expérience est de courte durée, il n'en résulte pas de dommages appréciables.
On obtient ainsi des effets très curieux, plus ou moins harmonieux, d'ailleurs, évidemment, mais souvent fort amusants, surtout si l'on choisit un disque comportant des paroles, par exemple, un disque de diction.
Une expérience également récréative consiste à monter sur le même plateau porte-disque un deuxième bras acoustique ou porte-pick-up avec diaphragme et diffuseur, ou pick-up relié à un deuxième système amplificateur (fig. 38).
FIG. 38.
En combinant de différentes façons deux systèmes de reproduction avec diaphragmes ou deux pick-up autour d'un même plateau, on peut obtenir des effets d'écho, de perspective sonore, etc.
Suivant la position du deuxième diaphragme ou du deuxième pick-up, on obtient des effets d'échos ou de « perspective sonore » fort curieux.
D'un autre côté, un phonographe peut permettre de vérifier les lois de propagation des ondes sonores ; il est ainsi possible d'obtenir des effets de réflexion avec des réflecteurs de fortune formés par des paravents, de larges plaques métalliques de forme plus ou moins parabolique, etc. (fig. 39).
FIG. 39.
Des effets de réflexion des ondes sonores peuvent être mis en évidence à l'aide de moyens très simples, comme le montre cet amusant dessin d'un magazine américain.
Le phonographe, professeur de physique et de physiologie. — Le phénomène de propagation des ondes sonores et ses modalités peuvent être mis en évidence au moyen d'une expérience amusante et facile à réussir... si l'on est un fumeur habile.
En projetant, en effet, devant le diffuseur de sons d'un phonographe des « anneaux de fumée », on pourra constater immédiatement que leur plan est dévié par le passage des ondes sonores (fig. 40).
FIG. 40.
L'interposition du corps humain devant le diffuseur de sons d'un phonographe n'empêche pas le passage des ondes sonores. On le démontre — si l'on est un fumeur habile — en projetant des anneaux de fumée comme le montre la figure. Le plan de ces anneaux est dévié par le passage des ondes sonores.
Enfin, bien que cela semble paradoxal, un phonographe peut servir à vérifier un phénomène physiologique assez curieux : la très grande difficulté d'effectuer des mouvements de rotation en sens inverses avec un bras et une jambe du même côté du corps.
Si, avec la main droite, on fait tourner le plateau porte-disque dans le sens des aiguilles d'une montre en prenant la position indiquée par la figure 41, il est impossible, sans un long entraînement, d'arriver à faire tourner le pied droit dans le sens inverse.
FIG. 41.
Dans la position ci-dessus, on actionne de la main droite le plateau du phonographe et on fait tourner le pied droit. On constate qu'il est impossible d'effectuer cette rotation en sens inverse de celle de la main.
Phonographe et cinématographe sonore. — Un cinématographe sonore est, en réalité, un projecteur cinématographique accouplé en synchronisme avec un phonographe.
Beaucoup de discophiles possédant un appareil de projection cinématographique peuvent, avec succès, accompagner les projections par des reproductions phonographiques de disques convenablement choisis.
Le phonographe sera alors disposé en dessous, en arrière ou à côté de l'écran de projection (fig. 42).
FIG. 42.
Disposition possible du phonographe pour des essais de cinématographie sonore.
Cette question de la cinématographie sonore d'amateur est fort intéressante, mais nous ne pouvons l'étudier évidemment dans cet ouvrage ; nous l'avons, d'ailleurs, développée dans un autre livre plus technique.
CHAPITRE IV
LE CLASSEMENT DES DISQUES
Généralités sur le classement des disques. — La deuxième partie de ce livre est consacrée à l'étude des différentes catégories de disques et à l'indication des notions artistiques qui doivent permettre d'effectuer leur choix dans les meilleures conditions possibles, de manière à constituer une discothèque pouvant satisfaire les goûts divers de la grande masse des discophiles.
Il est nécessaire, cependant, non seulement de choisir avec discernement les disques qui doivent constituer la discothèque, mais encore de classer ces disques d'une manière rationnelle pour que la recherche d'un disque quelconque soit très rapide, et aussi que leur conservation soit effectuée d'une manière parfaite, sans risque de détérioration ni même de déformation complète de leur surface.
Bien que ce problème du classement des disques paraisse très facile à résoudre, il n'en est pas moins utile de donner à ce sujet quelques indications précises.
Ce qu'il ne faut pas faire en classant ses disques. — Il y a sans doute beaucoup de discophiles qui n'hésitent pas à consacrer des sommes relativement importantes à l'achat d'un phonographe et de nombreux disques, et qui, par contre, ne prennent aucun soin pour l'entretien et le classement de leurs disques.
C'est à peine s'ils prennent la précaution de remettre les disques dans leurs enveloppes après chaque audition et ils les entassent les uns sur les autres sans aucun ordre sur un support quelconque ou même sur le plancher à côté du phonographe.
Si les disques sont empilés ainsi horizontalement, ils ne risquent pas de se déformer, mais, par contre, ils peuvent très facilement être rayés ; ils sont couverts de poussière et même quelquefois tombent à terre et se brisent (fig. 43, a).
FIG. 43.
Il ne faut pas se contenter d'empiler les disques horizontalement, mais il est encore plus dangereux de les disposer obliquement « en vrac » sans précautions.
Si, au lieu de les empiler horizontalement, on les dispose obliquement sans prendre aucune précaution, le danger est encore plus grand (fig. 43, b). En effet, non seulement ils peuvent être rayés ou être brisés, mais encore ils risquent d'être déformés sous l'action de leur propre poids, surtout s'ils sont placés dans une pièce chauffée, comme c'est le cas général.
Il va sans dire que ces deux méthodes défectueuses de classement ne permettent pas une recherche rapide des unités désirées.
Classement des disques dans des meubles quelconques. — Une manière très simple, très sûre, et relativement économique de classer des disques consiste à les placer dans des albums porte-disques que l'on peut se procurer chez tous les éditeurs de disques.
Dans ces albums, chaque disque est placé dans une enveloppe spéciale et l'ensemble des disques est maintenu d'une façon parfaite sur toute la surface lorsque la couverture est repliée.
Chaque album peut contenir une catégorie de disques déterminée, et une table de repère est placée sur la couverture, ce qui permet une recherche rapide du disque désiré (fig. 44).
FIG. 44.
Albums pour disques, types Odéon et Columbia, et manière de placer les disques dans l'album.
Ces albums de disques peuvent être placés dans une bibliothèque quelconque, comme des livres ordinaires de grand format, et l'on constitue ainsi facilement une discothèque.
Cependant, si l'on dispose d'une bibliothèque à rayons ou d'un classeur à tiroirs genre « Roneo » pour le classement des disques, il n'est même plus nécessaire d'utiliser des albums spéciaux, il suffit de placer verticalement les disques serrés les uns contre les autres, soit sur les rayons de la bibliothèque, soit dans les tiroirs du classeur.
On groupe chaque catégorie de disques et on sépare les groupes de disques au moyen de feuilles de carton fort, portant, de préférence, de petites étiquettes de repère. On peut ainsi effectuer une recherche rapide, et, en même temps, les feuilles de carton assurent toujours un serrage parfait des disques les uns contre les autres, et empêchent leur déformation (fig. 45).
FIG. 45.
Petite bibliothèque et classeur genre Roneo à tiroirs transformés en discothèques.
Meubles spéciaux pour le classement des disques. — La plupart des phonographes portatifs ou des phonographes meubles comportent des casiers spéciaux, dans lesquels on peut placer quelques disques.
Dans les phonographes portatifs, ce casier est placé dans le couvercle, et destiné surtout à recevoir des disques de danse pour le voyage. Le nombre dé ces disques est évidemment peu élevé, et, d'ailleurs, leur transport s'effectue avec une sécurité toute relative (fig. 46).
FIG. 46.
Les phonographes portatifs contiennent généralement dans leur couvercle un petit casier permettant de transporter quelques disques.
Les phonographes meubles comportent presque toujours des tablettes horizontales ou des casiers verticaux (fig. 47 et fig. 48, a, b). Le nombre des disques qu'ils peuvent renfermer est parfois assez grand, mais ils ne peuvent servir à constituer ainsi une véritable discothèque, pour laquelle il est toujours nécessaire d'avoir recours à un meuble spécial.
FIG. 47.
Genre de casiers à disques dans un phonographe meuble.
FIG. 48.
Deux autres genres différents de casiers à disques dans des phonographes meubles.
Les plus simples de ces meubles sont réalisés sous la forme d'une petite bibliothèque à tablettes horizontales ou verticales et destinés à recevoir les disques entassés horizontalement, ou des albums disposés verticalement. Sur la paroi intérieure des portes, on peut placer une feuille de carton sur laquelle on inscrit les titres des disques rangés dans la discothèque (fig. 49).
FIG. 49.
Deux meubles simples pour le classement des disques. — a, type Gramophone pour albums ; b, type Odéon pour le classement horizontal.
Un modèle de classeur, également très simple et peu coûteux, est constitué par un plateau de bois sur lequel se trouve fixée perpendiculairement une série de triangles en fil d'acier recouverts de feutre (fig. 50).
FIG. 50.
Un modèle de classeur simple et efficace à triangles en fil d'acier recouverts d'une gaine souple.
Entre deux triangles successifs se trouve l'espace strictement nécessaire au logement d'un disque, de sorte que la surface de ce dernier est parfaitement maintenue ; de plus, des numéros placés en face de chacune de ces sortes de cases étroites, permettent le repérage immédiat des diverses unités de la discothèque.
Une fois les disques classés, on peut mettre le plateau à l'abri de la poussière en le plaçant à l'intérieur d'un meuble ; et l'encombrement est très faible par rapport au nombre de disques rangés.
D'autre part, ou peut placer dans le classeur des disques de toutes dimensions de 15 à 30 centimètres de diamètre.
Une grande maison d'édition phonographique a fait établir une série de classeurs très pratiques en ébénisterie, de dimensions diverses, à l'intérieur desquels les disques sont disposés verticalement et séparés les uns des autres au moyen de plaques recouvertes de feutre, de forme évidée afin de permettre le choix facile d'un disque, et numérotées de façon à faciliter le repérage (fig. 51).
FIG. 51.
Quelques accessoires pour le classement des disques (type Columbia) : Trois meubles divers de classement. — Album et mallette pour disques. (Photos « L'Atelier Marcel Arthaud »)
Il existe, de même, des meubles très perfectionnés dans lesquels les disques, disposés verticalement, sont soutenus dans des châssis spéciaux par un axe traversant l'ouverture circulaire. Ils sont ainsi maintenus séparément dans des compartiments feutrés, et l'on peut atteindre immédiatement le disque choisi grâce au répertoire fixé sur la paroi intérieure des portes (fig. 52).
FIG. 52.
Dans cette discothèque originale, les disques sont soutenus par leur centre, et leur recherche est facilitée par des numéros inscrits sur des bandes-repères et correspondant aux numéros des répertoires collés sur les portes.
Enfin, pour le voyage, on utilise simplement des petites mallettes très pratiques, dans lesquelles les disques sont parfaitement protégés, et qui sont munies d'une poignée facilitant le transport (fig. 53).
FIG. 53.
Mallettes pour disques, types Odéon et Gramophone.
QUELQUES REMARQUES SUR DES CATÉGORIES SPÉCIALES DE DISQUES
Généralités. — Le lecteur trouvera, comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises, une étude détaillée des différentes catégories de disques dans la deuxième partie de ce livre.
Il nous semble cependant intéressant de donner quelques indications sur des séries très spéciales d'enregistrements, sans doute moins connues, mais dont l'importance s'accroîtra peut-être de plus en plus.
A mesure que les procédés phonographiques sont perfectionnés, la diversité de leurs applications devient de plus en plus grande, et l'on peut maintenant utiliser des machines parlantes pour des usages très différents de ceux primitivement envisagés.
Nous avons montré que le phonographe n'est plus seulement un moyen de récréation artistique, c'est un merveilleux instrument, qui peut être utilisé pour l'enseignement de la musique, des langues étrangères, de la phonétique, etc.
L'avènement pratique du cinématographe sonore, qui est, en réalité, une alliance entre la projection cinématographique et la phonographie, a amené la naissance de séries spéciales d'enregistrements, de même que l'influence de la radiophonie sur la production phonographique a été souvent assez marquée.
Le disque peut devenir un admirable et émouvant moyen de documentation historique, en même temps qu'un terrible et irréfutable instrument de témoignage ; il pourra peut-être constituer la « lettre parlée » de l'avenir, et, enfin, il est probable que nous verrons se former peu à peu un art spécial phonographique, de même qu'il existe déjà un art cinématographique distinct.
Les disques d'enseignement. — Pour la grande masse du public, le phonographe constitue un admirable professeur de musique, et ce sera le disque qui servira, sans doute, à répandre dans le public le goût de l'art musical.
On a quelquefois reproché au phonographe de nuire au développement de la musique, en empêchant les exécutants de jouer directement devant le public, nombre de discophiles pouvant entendre des concerts chez eux sans quitter leur appartement.
C'est là, sans doute, une erreur absolue, et jamais les concerts et les théâtres n'ont été si fréquentés que depuis les progrès du phonographe. On constate même que beaucoup d'artistes ont réussi à se faire connaître, d'abord, en enregistrant des disques, et que le public les ayant, pour commencer, uniquement appréciés « de auditu », veut aussi les admirer bientôt « de visu », et se presse en foule aux concerts et aux spectacles organisés par eux.
Bien plus, le disque peut servir à la formation des artistes eux-mêmes ; c'est ainsi que les élèves du Conservatoire peuvent faire enregistrer leur voix sur les disques ; en s'entendant eux-mêmes de cette façon, ils déterminent mieux leurs qualités, localisent leurs faiblesses et leurs défaillances.
Il y a bien longtemps qu'on a tenté de faire du disque un professeur de langues vivantes, et on a obtenu de très bons résultats dans cet ordre d'idées. Mais il y a, sans doute, maintenant, mieux et plus à faire, et il s'est même constitué une société qui a pour but de faire du phonographe un instrument d'éducation scolaire. Le disque pourra devenir ainsi non seulement un professeur de solfège et de chant, en illustrant d'exemples variés les leçons faites aux élèves, mais encore un professeur d'histoire en faisant entendre à un jeune auditoire la reconstitution de scènes historiques, ou un professeur de géographie en montrant aux enfants comment les coutumes des nations et des provinces ont inspiré leur folklore.
Il est évident, d'autre part, que le disque peut être aussi bien un professeur de morale, qu'un professeur de littérature dont le recueil de morceaux choisis sera étudié avec plus de plaisir que de peine.
Le disque d'enseignement pourra même servir à donner aux enfants des leçons de choses scientifiques, mais il est évident que, pour arriver à un résultat vraiment efficace, il ne faut pas, en général, utiliser les enregistrements courants du commerce, mais des disques spécialement composés dans ce but.
Le phonographe sera un merveilleux professeur de phonétique et de diction, et il pourra faire entendre dans les provinces les plus reculées les voix autorisées de nos grands artistes.
Le phonographe et la T. S. F. — On aurait pu croire que le développement de la radiophonie empêcherait les progrès de la phonographie. Il n'en a rien été, bien au contraire, puisque les perfectionnements du phonographe sont dus, on le sait, en grande partie, à l'emploi de procédés radiotechniques. Les problèmes acoustiques qui se posent en phonographie sont parfois analogues à ceux qui se posent en radiophonie, et les recherches effectuées dans ces deux catégories d'applications scientifiques sont parfois communes.
Plusieurs grandes sociétés de construction phonographique ont des intérêts importants dans des compagnies industrielles radioélectriques, et l'on emploie quotidiennement les disques pour effectuer des radio-concerts.
Cette diffusion est réalisée avec des disques ordinaires du commerce et elle est utile, en réalité, à l'édition phonographique, puisqu'elle en fait connaître les nouveautés à l'immense public des sans-filistes.
Enfin, on commence à établir des disques spéciaux, analogues aux disques de cinématographie sonore que nous allons indiquer, et qui sont destinés spécialement à la radiodiffusion.
Ces disques permettent une audition beaucoup plus longue que les modèles ordinaires, et leur enregistrement est choisi de façon à donner les meilleurs résultats dans l'auditorium radiophonique.
Les disques de cinématographie sonore, et les disques de scène. — Les progrès de l'enregistrement phonographique et de la reproduction électrique ont permis d'obtenir les merveilleux résultats actuels en cinématographie sonore, et l'on sait, sans doute, que la reproduction sonore est alors réalisée soit à l'aide de disques, soit au moyen de films sur lesquels les sons sont enregistrés par des procédés optiques.
Les disques spéciaux pour cinématographie sonore ont un diamètre plus grand que les disques ordinaires, ils tournent moins vite, et leur reproduction commence par le centre au lieu de commencer par le bord.
On enregistre sur ces disques de la musique, des chants ou des paroles synchronisées avec les images, et aussi des bruits accompagnant l'action : bruits du vent, de la pluie, de la tempête, de la mer, de l'orage, d'un moteur, d'un train, de la foule, d'une bataille, etc.
Des « disques de bruits » de ce genre peuvent également être employés avec succès dans les théâtres, et on utilisait, par exemple, récemment à l'Opéra-Comique des disques sur lesquels étaient enregistrés des chants de rossignols pour accompagner un tendre duo dans la campagne normande !
La plupart des éditeurs phonographiques reproduisent, d'ailleurs, sur des disques ordinaires du commerce les enregistrements de bruits, de musique et de chants exécutés pour les films sonores, de sorte que le discophile peut ainsi tenter chez lui des essais de cinématographie sonore, ou entendre à loisir les leitmotive déjà appréciés dans les salles cinématographiques.
D'autre part, sans même considérer leurs usages en cinématographie sonore, les « disques de bruits » peuvent avoir un intérêt artistique ou une originalité suffisante justifiant leur présence dans les discothèques.
Disques de paroles et disques d'histoire. — Le nombre des disques parlés est relativement réduit, bien que maintenant l'enregistrement de la parole puisse être effectué avec une perfection inconnue jusqu'ici.
Le lecteur trouvera dans la suite de cet ouvrage une étude des meilleurs disques de diction et de poésie parus jusqu'ici, mais il y a, sans doute, des disques de paroles qui ont plutôt un intérêt historique et documentaire, encore plus qu'une valeur artistique intrinsèque.
Des collections d'intérêt historique et même un « Musée de la Parole » avaient été constitués en France vers 1912 et en Autriche une dizaine d'années auparavant. Sans doute les rouleaux ou les disques sur lesquels étaient fixées les voix harmonieuses ou émouvantes des grands artistes de ce temps étaient bien imparfaits, mais leur audition aurait pourtant aujourd'hui un intérêt profond ; aussi faut-il féliciter les maisons d'éditions phonographiques qui ont eu l'idée ingénieuse de mettre à la disposition du public actuel les premiers rouleaux ou les premiers disques d'intérêt historique, en reportant sur des disques à aiguille modernes des enregistrements primitifs ; ainsi nous entendrons avec émotion « les grandes voix qui se sont tues » (Pathé).
Remarquons, d'autre part, qu'un grand éditeur phonographique nous présente une série d'enregistrements de poésies effectuées par les auteurs eux-mêmes. Après les poètes, il n'y a aucune raison pour qu'on ne nous conserve pas les voix des grands orateurs, hommes politiques, avocats ou prédicateurs !
Un musicographe a même pu émettre l'idée de la réalisation d'éditions phonographiques rares de luxe, de même qu'il existe des livres rares.
L'art phonographique. — Aucune œuvre n'a jamais été écrite pour le phonographe. Il est pourtant permis de se demander si, de même qu'on a déjà réalisé des essais fort intéressants de cinématographie « d'avant-garde », il ne sera pas possible de constituer peu à peu un art phonographique spécial, en composant des œuvres uniquement phonographiques, et qui ne pourront être enregistrées que sur disques.
Nous avons noté plus haut que l'on avait composé des « disques de bruits » pour cinématographie sonore ; ne serait-il pas possible, de même, d'enregistrer des disques spécialement composés par des artistes et sur lesquels serait gravé une suite harmonieuse ou émouvante des bruits de la Nature, de la rue ou de la route ?
En cinématographie on a obtenu des effets très curieux en modifiant volontairement et rationnellement les prises de vues, de même on pourrait effectuer des « truquages » volontaires des enregistrements phonographiques.
On pourrait, ainsi, faire deux enregistrements superposés ou juxtaposés, passer d'un thème sonore à un autre, déplacer le microphone pendant la prise de son, ralentir ou augmenter la vitesse de l'enregistrement, etc.
Tout un vaste champ d'études originales et fructueuses s'offre aux jeunes compositeurs modernes et il faut espérer que nous pourrons bientôt entendre les premiers enregistrements qui constitueront les balbutiements de ce nouvel art phonographique.
Un beau disque : celui qu'on enregistre soi-même. — Les premiers appareils phonographiques permettaient, aux amateurs d'enregistrer eux-mêmes des rouleaux de cire avec une grande facilité, mais les modèles actuels si perfectionnés ne permettent que la reproduction.
Il existe pourtant des dispositifs relativement simples, s'adaptant sur un appareil quelconque et permettant d'enregistrer soi-même de petits disques de cire (fig. 54).
FIG. 54.
Appareil simple se fixant sur un phonographe ordinaire, et permettant l'enregistrement et la reproduction de petits disques par l'amateur lui-même.
Ces dispositifs comportent un double diaphragme, enregistreur et reproducteur, évidemment à saphir, un bras acoustique avec cornet métallique, et un organe se plaçant sur l'axe du plateau et donnant au bras acoustique un mouvement de translation régulier.
On a pu voir apparaître, d'autre part, récemment, des disques souples et incassables en matière cellulosique, genre cellophane, sur lesquels l’amateur peut enregistrer sa propre voix.
Ces disques, très légers, s'envoient facilement par la poste et constituent une lettre parlée très originale.
Enfin, des appareils perfectionnés permettent d'enregistrer les communications téléphoniques ou microphoniques; et peuvent servir à établir des documents commerciaux, administratifs ou judiciaires irréfutables.
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
LES DISQUES
LEUR VALEUR ARTISTIQUE, ÉDUCATRICE ET SOCIALE
Du temps que les pédagogues considéraient la musique avec quelque dédain et la regardaient comme un « art d'agrément », c'était une idée reçue de déduire de sa condition temporelle son infériorité sur les arts plastiques. La cantilène s'envole et meurt sur les lèvres des hommes, tandis que le buste, la statue, le palais ou le tableau, survivent à l'artiste et durent à travers les siècles. Sans le secours d'un interprète, le sculpteur, l'architecte et le peintre peuvent prétendre que leur pensée émouvra directement le public ; ils n'ont besoin d'aucun intermédiaire entre eux et autrui. De même le poète, du jour que l'écriture fut inventée, put défier le temps. Sa parole, jusqu'alors exposée aux déformations, aux trahisons de la tradition orale (tradition, trahison, ces deux mots étymologiquement rapprochés s'éclairent vraiment l'un l'autre ici), s'affranchit de ce servage ; l'imprimerie, plus tard, le préserva des infidélités des copistes, et réduisit les fautes de lecture. Mais le musicien, depuis l'origine, demeure asservi à tous les caprices des exécutants. Et son art est plus que tout autre sujet aux déformations, que l'usage introduit et qui dénaturent complètement la pensée du créateur.
Même, à mesure que la musique se perfectionnait, à mesure qu'elle exigeait, pour prendre vie, la coordination de plus nombreux efforts, le musicien courait plus de risques de voir son œuvre mourir avec lui, ou, ce qui est bien la même chose, de la voir ensevelie toute vive dans ces nécropoles que sont les bibliothèques et d'où les érudits exhument pour leur seul plaisir les chefs-d’œuvre périmés. Combien de grands noms sont détachés, pour ainsi dire, de la substance des œuvres auxquelles ils doivent pourtant de survivre ? A ces œuvres, les relie encore le fil ténu d'un souvenir, une liste de titres, mais rien de plus. Nous rougirions d'ignorer cette nomenclature, mais quel moyen pour nous de pénétrer plus avant ? Une lecture, plaisir solitaire des yeux, délectation du musicologue, combien la peuvent faire ? De temps en temps, au concert, nous avons la révélation d'un glorieux moment du passé. Les voix de la Symphonie s'animent et naissent de ces signes, noirs sur blanc, figés sur le papier réglé. -Secouant la poussière des partitions, un chef nous fait retrouver la vie où, dans le texte des manuels, nous sommes habitués à ne voir que la mort. Et puis le temps passe, la poussière retombe, les générations se suivent et l'oubli reprend sa proie...
C'était bien une infériorité que cette dépendance de la musique assujettie à la bonne volonté des hommes. Ceux qui l'aiment, ceux qui la servent, en gémissent. Comment forcer tant d'obstacles matériels et moraux dressés entre l'œuvre et son exécution ? Matériels : frais de copie, études, répétitions, cachets des solistes et des virtuoses, tarifs syndicaux des instrumentistes et des choristes. Moraux : découragement et lassitude devant l'insuccès, car l'éducation des masses est tout entière à faire, et les plus belles œuvres, du moment qu'elles sont inconnues ou méconnues, ne donnent, à qui les exécute, que du déficit... Et puis les maîtres disparus ne peuvent envahir les programmes au détriment des vivants : ceux-ci ont le droit indiscutable de se faire connaître et protestent justement contre les exigences des vieilles gloires défuntes. Y eût-il dix fois, cent fois plus d'orchestres, la question ne serait pas résolue : chaque année, de jeunes oreilles sont avides de s'initier aux classiques. Faut-il sous ce prétexte jouer sempiternellement la Pastorale et l'Héroïque ? Et comment satisfaire tous les goûts, tous les besoins, comment constituer, sans risquer la faillite, cette sorte de musée du répertoire où seraient présentés les chefs-d’œuvre que tous les gens cultivés doivent connaître ? On peut vivre centenaire à Paris sans avoir eu la possibilité d'entendre telle page symphonique cependant fameuse. Il semblait donc impossible de placer la musique dans les mêmes conditions que la littérature, de la rendre accessible au nombre, de permettre à qui veut s'instruire de la bien connaître.
Cela était vrai jusqu'à hier. Et cela n'est plus vrai, déjà, aujourd'hui.
Le phonographe — depuis l'enregistrement électrique — a bouleversé les conditions que nous imaginions devoir toujours régir l'art sonore. Il les a bouleversées sans rien lui faire perdre de cette noblesse que la musique doit à son caractère en quelque sorte immatériel. Car il lui a donné exactement ce que l'imprimerie apporta, voici cinq siècles, à la littérature : un moyen de se répandre dans l'espace et de se perpétuer dans le temps.
Beaucoup ont conservé jusqu'à ces derniers jours — et j'avoue que j'étais de ceux-là — une prévention contre le phonographe. Dans le monde des amateurs de « vraie musique », les machines parlantes ne jouissaient point d'une excellente réputation. Quand ceux de ma génération furent mis, au temps de leur jeunesse, en présence de l'étonnante découverte, leur curiosité en émoi trouva à la fois cm aliment et une déception dans la boîte merveilleuse qui, d'un cylindre de cire, tirait l'écho d'une voix. Mais aux espoirs succédèrent bien vite les désenchantements, car ce n'est pas en un jour, surtout en pareille matière, que, le principe appliqué une première fois, on arrive à la forme parfaite et les perfectionnements ne viennent qu'au bout d'un très long temps, Et puis, l'art asservi à la mécanique prenait trop souvent sa revanche : il la rendait dérisoire, si bien que ce qui restait supportable dans le comique, demeurait intolérable dès que l'on prétendait lui confier l'interprétation des œuvres élevées.
Tout cela est changé : les progrès de l'enregistrement ont ouvert un champ nouveau aux techniciens du phonographe. Il a fallu bien peu de temps pour que les applications de ces découvertes produisissent des conséquences inespérées : le phonographe qui avait, en vain, tenté de se hausser jusqu'aux chefs-d’œuvre de la musique, a réussi en même temps qu'il les atteignait, et par ce moyen, à pénétrer chez les gens de goût, qui jusqu'alors le tenaient en suspicion. Et s'il conserve encore des ennemis, ce n'est certes plus parmi les musiciens.
***
Le disque et la formation du goût. — Conséquences inespérées, c'est bien, en effet, ce que l'on peut, dès aujourd'hui, constater. Le temps du dédain facile est passé, et il faut reconnaître que c'est tout un bouleversement qui s'opère sous nos yeux et dont l'étendue ne peut être mesurée. Qui eût prévu, à la fin du XVe siècle, quarante ans après la découverte de Gutenberg, toutes les conséquences de l'imprimerie ? Qui peut prévoir aujourd'hui les conséquences de l'enregistrement des sons ? Déjà ces découvertes sont en train de réagir sur l'enseignement de la musique, sur l'éducation du goût musical ; elles ont et elles auront une action non moins importante sur les mœurs : comme certains livres, il est des disques qui rencontrent, d'emblée, un succès prodigieux. Personne ne sera surpris d'apprendre que tel chanteur populaire comme Maurice Chevalier connaisse les gros tirages. Mais sait-on que les enregistrements de la Société des Concerts du Conservatoire ont une diffusion aussi étendue ? Or, c'est le disque qui a, petit à petit, ouvert le chemin à la bonne musique et l'a fait pénétrer jusqu'en des milieux où on n'imaginait point qu'il y eût une différence de valeur entre le refrain saugrenu d'une opérette à la mode et un air de Mozart.
Cette énorme production du disque, cette pénétration jusque dans les plus lointains villages montre non seulement l'importance économique du phonographe, mais encore et davantage le rôle éducateur qu'il doit remplir.
C'est même une condition essentielle de son existence, et, comme on dit, une question de vie ou de mort : il lui faut, pour progresser, élargir sans cesse cette clientèle déjà énorme ; il lui faut la créer, et partant, l'éduquer.
Tel qui achète un phonographe pour faire danser ses amis le dimanche voit sur les catalogues des séries de disques qui le tentent. Comment se reconnaîtra-t-il au milieu de ces sollicitations ? Si, d'emblée, on lui met dans les mains une pièce trop difficile, il n'y comprendra rien et ne voudra plus renouveler l'expérience. Si, au contraire, on l'amène petit à petit à prendre goût à la musique symphonique, il en découvrira l'agrément et la profondeur, et affinera sa sensibilité : la Pastorale est à la portée de tout le monde et même de ceux qui ont pour idéal — comme l'a dit un critique — l'orgue du cinéma imitant un orage. Mais Beethoven, quand il se mêle d'imiter la nature, n'oublie pas d'ajouter à ces descriptions quelque chose qui est encore du génie.
Et c'est là, peut-être, la conquête la plus importante du phonographe : depuis des lustres, on se plaint, en France, de ce que l'enseignement de la musique est à peu près inexistant. Certes, la musique figure bien dans les programmes officiels, primaires et secondaires, mais c'est à peu près comme si elle ne s'y trouvait point : combien d'élèves quittent l'école sachant leurs notes ? Combien quittent le lycée sachant que Couperin, Janequin, Costeley, Josquin des Prés ont composé des œuvres dont la valeur les égale aux poètes, leurs contemporains, dont aucun collégien n'ignore le nom et dont chacun sait par cœur des pièces entières ?
Nous touchons ici l'un des problèmes les plus délicats : celui de la formation du goût musical, déjà entrevu tout à l'heure. Aucun enseignement ne peut donner de fruits, s'il n'a pour corollaire l'éducation du goût. Le temps n'est pas loin où les manuels d'histoire, disions-nous, qui citaient au moins les noms des poètes, des peintres et des sculpteurs illustres, ignoraient systématiquement les musiciens. L'enfant, si la famille n'y pourvoyait, n'était aucunement instruit des choses de l'art sonore. Mais comment la famille l'eût-elle fait, puisque dans la plupart des milieux bourgeois, on s'en tenait à cette conception de la musique « art d'agrément », conception pire peut-être que l'absence complète de toute connaissance musicale. Jouer maladroitement la Prière d'une Vierge, à quoi cela sert-il si ce n'est à fausser pour jamais le goût d'un enfant ? Au cours d'une enquête récente, publiée dans l'Intransigeant, M. Albert Roussel me faisait précisément remarquer combien sous ce rapport de la formation du goût musical les Français se trouvaient, de par les mœurs, en état d'infériorité : « Vous avez remarqué, me disait-il, combien les Anglo-Saxons, combien les peuples germaniques, aiment la musique chorale et savent chanter avec ensemble. Les chorals de Bach, les oratorios de Haendel font en quelque sorte partie de l'éducation nationale en Angleterre et en Allemagne ; au temple, on chante à plusieurs voix, tandis que chez nous, d'une part, on n'enseigne guère la musique à l'école, et, d'autre part, à l'église le chant grégorien est monodique. Et puis les Latins, et singulièrement les Français, sont trop indépendants pour cultiver la musique chorale avec la passion qu'y mettent les Anglo-Saxons. Voyez les Italiens et les Français du Midi : leur conception de la musique est essentiellement mélodique et individuelle, le « bel canto » est l'idéal ; tandis que pour l'Allemand, l'idéal c'est de tenir sa partie dans une exécution des chefs-d’œuvre comme la Neuvième Symphonie de Beethoven ou la Messe en si de Bach.
Or, les concerts ne suffisent pas à combler le vide de l'enseignement officiel : ils sont trop peu nombreux, d'abord, ils n'ont lieu que dans les grandes villes et seulement pendant six mois de l'année, à des intervalles trop éloignés. Le phonographe, au contraire, est un moyen d'éducation familiale — comme la radiotéléphonie peut l'être si l'on compose judicieusement ses programmes. « Le phonographe, concluait M. Albert Roussel, dans l'interview citée plus haut, tend à remédier à cette infériorité de l'éducation musicale en France. Il doit, à la longue, faire pénétrer dans les milieux où elle n'avait point accès, la bonne musique. Quel service il rendrait alors ! En tous cas le moyen, existe, et il est merveilleux. Il faudrait seulement savoir en tirer parti... (1) »
Unanimement, tous les compositeurs interrogés au cours de cette enquête (et qui représentent les écoles les plus diverses : MM. Vincent d'Indy, Gabriel Pierné, Florent Schmitt, Albert Roussel, Gustave Samazeuilh, D.-E. Inghelbrecht, Louis Aubert, Georges Migot, Carol-Bérard, etc.) ont reconnu l'importance extrême du disque à ce point de vue éducateur. Et le disque conservera toujours sur la radiophonie l'avantage de pouvoir être entendu au moment choisi, repris autant de fois qu'il est nécessaire pour la complète compréhension.
En veut-on une preuve ? Naguère encore, on considérait avec un certain étonnement mêlé de respect les « pèlerins » qui, pour assister aux représentations des chefs-d’œuvre wagnériens, se rendaient à Bayreuth. Wagner y gagnait peut-être en prestige : la Mecque est loin, et c'est une condition de succès pour tous les pèlerinages que le sanctuaire ne soit pas trop facilement accessible. Mais aujourd'hui, si nous le voulons, un peu de Bayreuth, et peut-être l'essentiel, est dans notre armoire. Nous y conservons les « moments » où l'émotion secoue le plus fortement les fidèles. Nous avons en une quarantaine de disques et l'orchestre et les voix qui nous restituent le drame wagnérien. Dans notre fauteuil — comme l'autre allait au spectacle — nous pouvons écouter presque tout Tristan et Ysolde, la scène du Graal ou des Filles-Fleurs au jardin de Klingsor, l’ « enchantement » du Vendredi-Saint, ou Siegfried traversant le feu, ou Brunnhild rejoignant ses
(1) l’Intransigeant, 18 mars 1929.
sœurs dans une chevauchée éperdue. Et tout cela est la vérité même, et non point une interprétation de fantaisie, un diminutif, une réduction. C'est Bayreuth avec sa magie, avec l'atmosphère même du Festspiel. Pareillement nous pouvons entendre l'orchestre et les chœurs de l'Opéra de Berlin interpréter la Messe en Ré de Beethoven ou la Neuvième Symphonie, l'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, l'orchestre de Philadelphie, l'orchestre de Madrid, ou de la Philharmonic de Londres, ou de Bruxelles. Tous les chefs fameux du monde entier sont là, les Mengelberg, les Weingartner, les Pierné, les Gaubert, les Karl Muck, les Bruno Walter, les Klemperer, les Oscar Fried, les Inghelbrecht, les Stokowsky, qui vont à l'appel de notre désir, nous traduire les grandes œuvres jusque dans les moindres finesses. Hier encore il eût été bien présomptueux de confier aux disques une telle mission. Aujourd'hui, grâce à l'enregistrement électrique, grâce d'autre part au perfectionnement du phonographe lui-même, l'édition musicale est devenue, selon la juste expression de M. Emile Vuillermoz, « vivante ». Elle ne livre plus seulement « aux initiés le plan de l'édifice », l'épure où le profane ne voit que l'algèbre mystérieux des signes indéchiffrables, mais elle diffuse, à travers le monde entier, « la tradition à livre ouvert des hiéroglyphes de la notation imprimée. Le disque apporte aux plus ignorants le problème résolu ». La musique enregistrée présente l'édifice tout construit, la cathédrale sonore aussi bien que le frêle temple de l'Amour, les Passions de Bach aussi bien que le Prélude à l'après-midi d'un Faune, ou que l'un de ces exquis madrigaux à quatre voix du XVIe siècle.
Voici donc la contribution du phonographe à l'éducation musicale d'un public jusqu'ici indifférent à l'art sonore. Mais ce n'est pas le seul service que la machine parlante va rendre à la musique : les musiciens vont lui demander de concourir à leur éducation professionnelle. Paganini est mort et il a emporté dans la tombe le prestige de son coup d'archet. Que nous reste-t-il de lui ? les quelques pièces qu'il composa, qui sont intéressantes mais qui ne nous apprennent rien sur son jeu ensorcelant, qui ne nous apprennent point les raisons de l'enthousiasme frénétique éprouvé par les foules entassées à ses concerts. Et pareillement Liszt, Chopin, que ne donnerions-nous pour n'être pas réduits à imaginer comment eux-mêmes, au piano, donnaient la vie aux géniales harmonies qui naissaient sous leurs doigts ? Quel enseignement les pianistes ne tireraient-ils pas de cette interprétation de leurs chefs-d’œuvre par les maîtres eux-mêmes ? (Encore que tous les maîtres n'aient pas été des virtuoses, que quelques-uns, même, si nous en jugeons par les exemples d'aujourd'hui, se trahissent chaque fois qu'ils sont leurs propres interprètes, il n'en reste pas moins que beaucoup savent très bien mettre en valeur leurs idées.)
Or, ouvrons notre journal. Parmi les faits divers, cette petite nouvelle : « A Mont-de-Marsan, le maître Francis Planté a joué, pour des opérateurs de phonographe venus enregistrer, quelques pièces de Schumann. » Francis Planté, parlant de cet enregistrement à Emile Vuillermoz, a dit : « J'ai confiance dans mon interprétation de cette œuvre parce que je me souviens de l'émotion qu'éprouvait Mme Schumann lorsque j'avais l'occasion de l'exécuter devant elle. » Tiendra-t-on pour négligeable, dans l'enseignement du piano, un tel disque qui nous conservera pour toujours non plus des louanges et des hyperboles sur le grand pianiste, mais le jeu de l'artiste lui-même, héritier d'une tradition recueillie directement des maîtres dont il est l'interprète idéal ?
Nous parlions tout à l'heure des enregistrements des grandes associations symphoniques. On imagine de quel intérêt peut être pour un chef d'orchestre cette « musique en conserve » qui, au moment choisi, lui apporte successivement toutes les interprétations des chefs les plus réputés. Et pour les chœurs, c'est, comme me le disait M. Gabriel Pierné, « un modèle que l'on peut faire entendre ». On gagnera ainsi du temps, on se fera mieux comprendre, on évitera des répétitions onéreuses et fatigantes.
Enfin, les compositeurs eux-mêmes en doivent tirer d'utiles enseignements. M. Louis Aubert, l'auteur de la Forêt Bleue, qui eut tant de succès à l'Opéra-Comique, de cette Habanera qui reste l'une des plus remarquables pièces symphoniques dues à la génération aujourd'hui en pleine maturité, me disait : « Je crois que l'enregistrement est une excellente école pour les compositeurs. Il y a beaucoup de détails qui échappent à l'audition ordinaire et qui deviennent perceptibles à l'enregistrement. Nous n'avons qu'à gagner à les étudier. Le disque, c'est une épreuve et un contrôle auxquels ne résistent pas les œuvres mal venues. Pour qu'un enregistrement soit parfait, il faut — cela ressemble à une vérité de La Palice, — que la musique soit bonne, entendez par là que la matière musicale, que l'orchestration soient de qualité. Car le disque supporte mal la musique où il n'y a rien, la musique amenuisée à l'excès. Evidemment, il y a encore bien des progrès à rechercher. C'en serait un, et considérable, de rendre indépendantes la vitesse de rotation du plateau et la hauteur du son, et d'autant plus que les indications du nombre de tours portés sur les étiquettes sont souvent incorrectes... Mais enfin, malgré ces petits inconvénients, n'est-ce point une chose merveilleuse que de pouvoir conserver ces enregistrements des œuvres aimées ? » (1)
Un des jeunes maîtres de la musique contemporaine, M. Georges Migot, me signalait aussi, qu'entre autres conséquences heureuses, l'enregistrement va « obliger les musiciens à s'occuper enfin de la matière sonore. Les sons, la matière sonore, pour qu'ils affirment la probité et le savoir du musicien, doivent être « beaux » et « propres ». La propreté de la matière sonore donne à l'œuvre musicale son pouvoir phonogénique. Dans le cas contraire, malgré le rythme, malgré la
(1) l’Intransigeant, 15 avril 1929.
mélodie, malgré l'harmonie, l'œuvre ne crée pas le son, elle n'est pas phonogénique. L'œuvre belle est une intégration complète de la matière et de la pensée. En dehors des notes écrites par le compositeur pour exprimer les rythmes, les lignes mélodiques, les harmonies, la matière sonore fait entendre, par résonances harmoniques, des notes qui ne sont pas écrites, et qui pourtant donnent à l'œuvre des qualités ou des défauts sonores. L'enregistrement mécanique montre même, comme la photographie révèle certains défauts invisibles à l'œil nu, que ces harmoniques jouent un rôle bien plus étendu qu'on ne le pense généralement dans la qualité des œuvres. C'est que certains, sciemment ou instinctivement, emploient une « matière sonore » que l'on pourrait appeler propre, tandis que d'autres usent d'une matière sale, pleine de bavures ; ils harmonisent, ils orchestrent en doublant certaines notes à l'octave par des instruments de timbres différents et ne se doutent pas qu'ils produisent ainsi des harmoniques qui, échappant à l'oreille humaine, seront pourtant enregistrées par le phonographe et, reproduites quand le disque tournera, deviendront perceptibles. De là viennent certaines faussetés intolérables au phonographe et dont on chercherait vainement la cause ailleurs. Il nous reste beaucoup à apprendre dans ce domaine. Le musicien crée lui-même la matière sonore dont il se sert, matière immatérielle, si l'on peut dire en joignant ces deux mots en apparence contradictoires, mais matière, cependant, qu'il importe de n'employer qu'à bon escient, après en avoir étudié les propriétés. Le phonographe nous y aidera : il est un impitoyable témoin. La synthèse de l'enregistrement est le total d'une infinité d'analyses... » (1)
Pour l'enseignement du chant, le phonographe est appelé à jouer un rôle non moins important, d'abord parce qu'il conservera l'exemple des maîtres, et puis parce que dès main‑
(1) l’Intransigeant, 22 avril 1929.
tenant dans les cours de chant il permet aux élèves de corriger leurs défauts en leur faisant entendre leur propre voix. Car c'est un fait d'expérience qu'un chanteur ne s'entend guère lui-même, et c'est là que gît une des plus grosses difficultés de l'enseignement : faire comprendre à l'élève la nature exacte de la faute commise, lui montrer en quoi ce qu'il fait diffère de ce qu'il faut faire. Le son une fois émis, rien n'en reste. Quand on pourra l'enregistrer sans trop de frais et d'une manière rapide et pratique, les élèves des Conservatoires et des écoles de chant seront dotés d'un moyen de contrôle qui leur permettra des progrès plus sûrs et plus rapides.
Enfin le disque est déjà l'auxiliaire du professeur de langues vivantes. Le phonographe répète, « serine » à l'élève les mots et les phrases qu'il vient de lire, et, sans erreur et sans lassitude, lui indique la prononciation exacte, l'accentuation correcte.
Et ce n'est pas là qu'il faut borner son domaine.
***
Rôle social du disque. — Peut-être cette large diffusion du disque est-elle en train d'opérer un changement de nos mœurs dont nous mesurons mal toute l'amplitude.
Il est évident que si, un jour prochain, il est possible d'entendre de son fauteuil, soit par la radiotéléphonie, soit en tirant un disque de l'armoire, telle pièce que l'on aime, les exécutants ne travailleront plus dans les mêmes conditions que naguère. Les concerts ne grouperont plus le même public empressé de remplir les immenses salles. On préférera de rester au coin de son feu, plutôt que de traverser tout Paris en plein hiver et d'aller s'exposer aux courants d'air des péristyles et des couloirs. C'est double économie de temps et d'argent que l'on réalise en obéissant à cette loi du moindre effort. Quelle cantatrice, quel virtuose pourra lutter contre la célèbre X, le glorieux Z, dont précisément vous possédez chez vous les exécutions « en conserve » ?
Mais si cela est indiscutable, peut-être a-t-on, pour les besoin de la cause, exagéré le péril que la musique mécanique fait courir aux exécutants. Voyez d'abord ce qui s'est passé pour des artistes comme Layton et Johnstone : inconnus du public, le public a voulu les voir, les entendre « de vive voix » au lieu de ne les entendre que par l'intermédiaire du disque. Voilà pour les vedettes, les virtuoses ; le disque est pour eux et sera de plus en plus un moyen merveilleux de publicité, — à condition, cela va sans dire, qu'ils possèdent vraiment des qualités dignes de leur réputation. Car le disque « dégonfle » merveilleusement aussi les réputations usurpées, les gloires surfaites.
Il se substituera aux petits orchestres, cela encore est certain. Il ôtera, de ce fait, leur gagne-pain à quantité d'instrumentistes. Comment éviter le péril ? Mais, d'autre part, sera-ce vraiment un mal pour l'art que cette élimination ? Si cruelle que soit la réponse, il faut bien pourtant avouer que l'art y gagnera plus qu'il n'y perdra... Cela n'est pas seulement l'amour du paradoxe qui poussait il y a peu la personne la mieux qualifiée à me dire : « Le temps viendra peut-être où l'Opéra ne jouera plus qu'une fois l'an. Mais cette unique représentation coûtera quelques millions de francs. On dépensera pour elle comme savent le faire les « cinéastes » ; on leur empruntera d'ailleurs leurs méthodes et on n'épargnera rien pour obtenir l'effet souhaité : les meilleurs artistes, doués des meilleures voix, le meilleur orchestre, les plus beaux décors. A cette représentation n'assisteront que de rares invités. Mais ces efforts, ces millions dépensés, seront pourtant loin d'être stériles. La pellicule et le disque (ou tout autre procédé) enregistreront pour toujours ce spectacle d'une soirée. Et l'on ne verra plus, on n'entendra plus dans les bourgades déshéritées une misérable troupe accompagnée d'un pauvre orchestre « massacrer » une partition que les coupures et les raccords dénaturent au petit bonheur. »
Quant aux grands concerts, le disque ne leur fait point courir de réel danger : Toujours les raffinés rechercheront cette atmosphère vivante, cette joie supérieure de la vue de l'orchestre, docile à la volonté du chef, et cette sorte d'électricité mystérieuse qui, de spectateur à spectateur, par sympathie, crée vraiment une âme collective, unanime, et fait que des gens assemblés communient dans le même culte de la beauté. Il y a là, selon le mot d'Albert Roussel, un phénomène quasi religieux, et qui joue un rôle dans l'appréciation des œuvres nouvelles. Et c'est la raison pour laquelle il est difficile de juger au phonographe une œuvre que l'on n'a point entendue au préalable à l'orchestre.
Un instrument de diffusion et d'éducation, tel, en définitive, apparaît le disque. Et son rôle est merveilleux.
Il a ouvert un champ illimité à la musique : Voyez-vous, dans le chef-lieu de canton le plus reculé, les jeunes personnes se réunir pour déchiffrer tant bien que mal à quatre mains Petrouchka ou le Sacre du Printemps ? Le disque leur apporte ces œuvres avec toute leur richesse polyphonique. Il est un merveilleux « succédané », comme disent les médecins, du concert. Qu'il n'en ait point toutes les qualités, soit, mais à ceux qui ne peuvent entendre les œuvres au concert, le disque les révèle. Chez ceux qui les ont entendues, il réveille les souvenirs.
Et puis, c'est toute l'histoire de la musique qui va se trouver vivifiée par l'enregistrement des œuvres injustement oubliées. Le phonographe va permettre d'illustrer, pour ainsi dire, d'exemples vivants les arides nomenclatures des manuels et des dictionnaires biographiques. La pédagogie est dotée d'un instrument merveilleux, et qui va rendre à la musique sa dignité en la mettant, elle, la « parente pauvre », au niveau des autres arts, en lui permettant de vivre de sa vie propre. M. Landormy a récemment proposé que le disque soit employé dans les écoles et les lycées pour donner aux élèves une culture artistique qui leur manque jusqu'ici. Le distingué critique musical — qui est aussi professeur de l'Université, — voudrait que l'on créât une discothèque roulante, comme il existe des collections de clichés pour les projections, et que l'on envoie de lycée en lycée. L'idée est excellente.
Et peut-être aussi, le goût des chœurs — jadis si répandu en France — renaîtra-t-il grâce au disque. Comme le remarque M. Gustave Samazeuilh, les voix « viennent » mieux au phonographe que les instruments et les enregistrements a cappella sont les meilleurs. La musique chorale en bénéficiera, quand seront largement répandus les chefs-d’œuvre si peu connus de nos maîtres de la Renaissance — et des modernes qui, comme Debussy, avec ses Trois Chansons de Charles d'Orléans, ont remis en honneur ce genre si français (1).
***
La répercussion morale, si l'on peut dire, des inventions nouvelles n'est pas moins considérable : on a vite fait de sourire, mais il n'est pas indifférent que les villageois puissent trouver, au moment que l'on s'efforce de lutter contre la désertion des campagnes, quelques-uns des agréments qui ont été jusqu'ici le privilège des citadins. Le phonographe, pour une somme minime, les leur apporte et leur permet de renouveler ces joies.
Quant aux amateurs de musique, ils savent déjà tout le parti qu'ils peuvent tirer du phonographe. Mais beaucoup se trouvent noyés par le flot de la production des disques. Comment choisir ? C'est pour les aider que l'on a écrit ce livre.
(1) l’Intransigeant, 10 juin 1929.
[Les Chapitres II, III et IV racontent l'histoire de la musique instrumentale et vocale en citant des œuvres publiées sur disque].
CHAPITRE V
L'OPÉRETTE. LE MUSIC-HALL
QUELQUES VEDETTES
LA DICTION
Nous entrons dans un nouveau domaine : ici, l'œuvre s'efface devant l'interprète. Et ce n'est point que le « cabotinisme », comme on dit d'un mot déplaisant, impose cet effacement, c'est au contraire, très souvent, que l'œuvre a été composée avant tout pour fournir à tel artiste en vogue un prétexte à faire valoir ses dons, à mettre en valeur l'originalité de son talent. Comme ces marchands de tableaux exigeant de tel peintre qu'il recommence cent fois la même toile médaillée, bruyères sous bois ou casseroles de cuivre bien brillantes, les directeurs n'ont souci que de tirer cent moutures du même sac, cent vaudevilles ou cent opérettes du même imbroglio, avec les mêmes effets pour les mêmes vedettes. Les titres changent, mais le reste demeure. Aux interprètes d'y introduire, s'ils le peuvent, quelque diversité... Il y a des exceptions, bien entendu, d'heureuses surprises. Mais ce sont des surprises... Nous n'allons donc plus classer les disques par auteurs et par œuvres, mais par interprètes.
Pourtant, il nous faut auparavant faire une exception pour les œuvres d'OFFENBACH et de quelques-uns de ses émules et de ses disciples, restaurateurs et continuateurs de la tradition bouffe. Mais, déjà n'apparaissent-elles point avec un aspect historique (qui ne leur ôte point leur drôlerie) ces Belle Hélène et ces Œil crevé, ces Fille de Madame Angot, et même ces Fiancée du scaphandrier ? Si près de nous qu'elles soient, ces œuvres-là ont une fantaisie et une légèreté, d'abord, puis une unité que l'on ne trouve plus dans les « comédies musicales » d'aujourd'hui, fruit d'une collaboration si nombreuse qu'il faut dix lignes du programme pour énumérer les noms de ceux qui, auprès des auteurs du scénario, ont écrit les « lyrics », ont esquissé les « sketches » ou fourni les robes, les chaussures et les bas...
Tous les catalogues de disques portent le nom d'Offenbach. Pourtant, chose singulière, ce ne sont point les œuvres les plus gaies, les mieux marquées de l'esprit d'Offenbach qui ont donné les plus nombreux disques, mais les Contes d'Hoffmann, œuvre posthume, terminée par Guiraud et Léo Delibes (1888), mélancolique et grise, et si loin de l'exubérance gouailleuse d'Orphée aux enfers (1858), de la Belle Hélène (1864), de la Vie parisienne (1866), de la Grande Duchesse (1867), de la Périchole (1868), des Brigands(1870). On en trouvera les airs caractéristiques enregistrés au hasard des reprises ou de la volonté des acteurs. Mais il est un disque qui donne une sorte de comprimé d'Offenbach, c'est le fameux Quadrille d'Orphée. Gramophone en a confié l'exécution à l'orchestre de bals champêtres G. Diot. Quel entrain, quelle folie dans les cinq « figures » de cette contredanse ! Quelle fougue dans le galop final endiablé ! Certes, l'orchestre de Gramophone est discret auprès des vingt-quatre cornets à pistons et des douze trombones qui constituaient le principal de la « masse chantante » dans l'orchestre des bals de l'ancien Opéra. Mais les proportions demeurent, et cette musique nous livre, par le pouvoir de ses rythmes déhanchés et cocasses, le secret d'une bouffonnerie que les générations nouvelles risquaient de ne point connaître sans cet enregistrement. On appréciera également les pots pourris de la Fille du tambour-major et de la Belle Hélène (Polydor) et plus encore les deux grands airs de cette dernière opérette, chantés par Mme Mireille Berthon (Gramophone).
A côté d'Offenbach, CHARLES LECOCQ prend place parmi les maîtres du genre léger, avec deux ou trois opérettes dont le succès dure encore : la Fille de Madame Angot (1872), Giroflé-Girofla (1874), la Petite mariée (1875), le Petit Duc (1878). Rien qu'à Paris, la Fille de Madame Angot fut jouée plus de 2.200 fois. Le disque, bien entendu, donne les airs essentiels de l'opérette, par Mmes Edmée Favart (Pathé), Mireille Berthon (Gramophone), L. Dhamarys (Columbia), MM. Pujol (Odéon), Baugé et E. Rousseau (Gramophone).
Le Grand Mogol (1877), la Mascotte (1880), Miss Helyett (1890), d'EDMOND AUDRAN ; les Cloches de Corneville (1877) et Rip (1884), de ROBERT PLANQUETTE, n'ont guère eu moins de succès que les œuvres de Ch. Lecocq. On en trouvera des extraits : la Mascotte (MM. Pujol, A. Roque, Odéon, et E. Rousseau, Gramophone) ; les Cloches de Corneville, pot-pourri, par l'orchestre Polydor, Chœurs du marché (disque Pathé) ; Miss Helyett (Fantaisie, MM. A. Roque, Odéon, et E. Rousseau, Gramophone) ; le Grand Mogol (Mlle Sim-Viva, Odéon).
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La chanson. — A côté de ces disques des bonnes vieilles opérettes, enregistrés par les procédés nouveaux, les catalogues nous offrent ce que M. Charles Wolff nomme fort justement, en son utile répertoire, « les Archives du Music-hall et de la Chanson » (1). A vrai dire, si nous pouvons aujourd'hui encore entendre quantité de voix éteintes qui jadis attirèrent les foules au café-concert (qui ne s'appelait pas encore music-hall, et qui n'avait d'autre raison d'exister que le « tour de chant »), c'est à M. Ch. Wolff précisément que nous le devons, puisque c'est son intervention qui fit maintenir aux catalogues ces vieux disques que les firmes jugeaient d'un intérêt périmé.
(1) Disques. Répertoire critique du phonographe, par Charles Wolff (éd. Bernard Grasset, 1929).
Cela n'est point sans intérêt, bien au contraire, de pouvoir se faire une opinion de auditu sur tel ou tel artiste d'il y a quarante ans : cela montre d'abord que le phonographe possède déjà de beaux états de service. Et puis, on a dit un peu tôt — car ce n'était qu'une fausse nouvelle — que la chanson était morte, que ce genre « éminemment français » était tué par les revues à grand spectacle et par les « music-halls » consacrés aux « variétés » anglo-américaines. Il faut croire que la chansonnette portait en elle une force que sa légèreté ne faisait pas prévoir ; moribonde, en effet, lorsque le « tour de chant » disparut du café-concert, adapté aux mœurs cosmopolites qui imposent aux hommes, d'un bout à l'autre du monde, mêmes plaisirs et mêmes distractions, la chansonnette a démenti les augures. Elle est ressuscitée, traînant un peu sa convalescence, elle s'est transformée tout en demeurant elle-même, et, finalement, s'est incorporée à ces revues qui devaient la tuer, et où, petit à petit, elle a repris la place qu'elle occupait naguère au café-concert. Or, n'est-il point intéressant de comparer hier avec aujourd'hui ?
Si la chanson a reconquis cette place, elle le doit aux efforts de quelques artistes. Le genre exige de tous les mêmes qualités, mises au service de tempéraments, bien entendu, très divers : aucun de ceux-là ne force jamais un effet, aucun d'eux n'exagère rien, jamais, mais au contraire, il semble qu'à passer par leur jeu, les farces un peu trop grosses et les plaisanteries un peu trop épaisses s'affinent et prennent les qualités qui leur manquent. Relisez, de sang-froid, le texte de ces chansons que vous venez d'entendre, par eux interprétées, il est rare que vous y retrouviez ce qui, tout à l'heure, en les écoutant, vous avait séduit. Si le charme persiste encore, c'est qu'il vous reste, comme si vous l'évoquiez entre les lignes, le souvenir de l'interprétation : c'est ici une inflexion de la voix, un geste, une expression du visage ; c'est, plus loin, un accent, une manière de précipiter ou de ralentir le débit, et toujours, ce sont des riens, des impondérables — mais si importants — qu'ils font toute la différence d'une mazette avec un véritable artiste.
Evidemment, ces jeux de visage, ces attitudes, le disque ne vous les redonne point. Et encore, est-ce sûr ? L'illusion est telle, la « présence » de la voix est si réelle que l'imagination voit l'artiste. L'oreille de l'auditeur momentanément aveugle devant la machine parlante, supplée le sens de la vue défaillant, comme chez l'aveugle véritable. Mais pour que le miracle soit, il faut que l'artiste ait mis tout son art dans le disque enregistré...
Parmi les voix éteintes, voici celle d'ARISTIDE BRUANT, qui fut faubourienne, tragique, au temps des « apaches » premiers du nom et de leurs « gigolettes ». Ecoutez-la sortir de ce disque Odéon qui nous rend Chez ces dames, l'Attaque nocturne, Meeting de protestation, Cinq minutes chez Bruant.
Et voici celle de POLIN, « comique troupier », Polin, le joyeux ahuri avec son mouchoir à carreaux sortant de la poche du « garance », son képi de travers et son inénarrable accent qui résumait toutes les provinces où les « bleus » ont laissé chacun sa payse pour attendre — fidèlement — la classe. Et Potin nous chante la Commission mal faite et le Régiment qui furent ses plus grands succès.
THÉODORE BOTREL, lui aussi, revient pour dire sa Paimpolaise légendaire, Lilas blanc, la Fileuse, Par le petit doigt, toutes ces chansons qui firent son succès (Gramophone).
Et puis, voici ceux qui se sont retirés de la scène, comme MAYOL, ou qui ont changé de genre, l'âge venu, comme YVETTE GUILBERT. Ne revoyez-vous point le toupet blond du premier, la branche de muguet qu'il portait au revers de son habit, lorsque vous tournez Mam'zelle, accept’rez vous ?, Tout doucement, à pas de loup..., Pauletta, les Grands yeux bleus de Mimi Pinson... (Pathé). Dans cette façon de prononcer le mot « Mam'zelle », il y a tout Mayol, et il y a toute une époque, si loin de nous, et si proche à la fois... Et vous apercevez dans votre souvenir, se précisant à mesure que tournent les Quat'z'étudiants, J' suis pocharde, Pierreuse, Soularde (Gramophone), une longue, longue silhouette noire et mince, les bras haut gantés : c'est Yvette Guilbert qui vient vous rendre quelques chansons de Xanrof et de J. Jouy, poètes du Chat-Noir, au temps de Rodolphe Salis, gentilhomme cabaretier, au temps où les garçons de la maison portaient le costume des académiciens et où personne ne se doutait que l'un des poètes du lieu revêtirait, quelque trente ans plus tard, l'habit vert afin d'aller siéger sous la coupole. Comparez donc ces vieux disques de la divette avec les chansons de la vieille France qu'elle chante aujourd'hui : Pourquoi me bat mon mari et Dites-moi si je suis belle... (Gramophone). C'est le même art de précision un peu sèche, d'articulation nette, qui détache les mots. Mais — est-ce que les souvenirs de jeunesse sont à ce point perfides ? — j'avoue mes préférences pour cette « complainte des Quatr'-z-étudiants, faite pour donner la crainte des p'tit's femm's aux jeun's gens... »
Du joyeux DRANEM, le Dranem des Petits pois, quelques disques vont nous redire les succès qui jalonnent sa carrière. Voici, en effet, les P'tits pois, les vrais p'tits pois, servis avec l'accompagnement de piano, et au revers les hilarants Trucs de Boitaclou. Et voici Mon jour de veine, le Trou de mon quai, les Devinettes comiques, la Causerie sur les couleurs (Pathé). C'est le Dranem d'avant guerre. Mais y a-t-il donc deux Dranem ? Non point, ou plutôt il y en a cent, il y en a autant que de chansons interprétées, depuis les très anciennes jusqu'aux enregistrements de ce Louis XIV, un de ses derniers rôles dans une opérette créée à la Scala, et dont les disques sont édités par Odéon et par Pathé.
FORTUGÉ, disparu tout jeune, a mis le meilleur de ses chansons en deux disques Gramophone : Antoine et Je cherche papa, les Jardins de Trianon et Sa petite mansarde.
Il est peu d'airs qui aient obtenu un succès aussi complet que Valencia. Quelques semaines après que MISTINGUETT le chanta, dans une revue du Moulin-Rouge, cet air était redit partout. Vous le retrouverez, toujours plein d'entrain, sur un disque Odéon, dont l'autre face vous donnera Depuis qu' j'ai fait couper mes ch'veux. Et d'autres encore, de la même marque, vous feront réentendre Il m'a vue nue, Ça c'est Paris, la Java, Julie, etc., toutes ces chansons fameuses, dont l'interprétation a fait de « Miss » la grande vedette du music-hall. Chez Pathé, vous trouverez Moineau de Paris et Mon homme est parti, qui, en un seul disque, vous donnera comme une synthèse des multiples apparences de Mistinguett — chanteuse réaliste, sous la robe noire et le foulard rouge de la fille, ou bien grande vedette des revues, somptueusement nue sous une parure de plumes d'autruche, de perles et de diamants.
C'est Odéon qui publie les disques de DAMIA (Chanson de fou, la Veuve, le Portrait, Hantise, la Chaîne, la Rue de la Joie). Elle incarne la fatalité qui pèse si lourdement sur les humbles et prête un accent tragique à ces textes, qui, le plus souvent, doivent tout à leur interprète. On en peut dire autant d'YVONNE GEORGE, pour la plupart de ses chansons. Elle aussi fut tragique et même souvent farouche ; mais je ne sais si, malgré la perfection des enregistrements Columbia, elle est bien tout entière dans les disques qui nous donnent les Cloches de Nantes, Pars, Chanson de marins, Si je ne t'avais pas connu.
EMMA LIÉBEL fut une artiste très douée, et qui anima d'une manière originale des chansons très diverses. On évoquera son souvenir dans ses enregistrements Quand je danse une java, Ça n'est pas fini, Ce que dit le monde (Gramophone) et Mon Paris, Pourquoi ? (Odéon).
SAINT-GRANIER, animateur — pour employer le mot à la mode — de revues à grand spectacle, dit finement et chante avec goût. On en jugera par les quelques disques Columbia qui perpétuent ses créations : Ramona, Mary-Ann, C'est pas ça qu'il leur faut montrer...
Les noms d'URBAN, d'ALICE BONHEUR restent associés au souvenir de Phi-Phi, de CHRISTINÉ. Les airs Bien chapeautée et Ah ! tais-toi, tu m'affoles, chantés par la divette, ont été enregistrés par Gramophone ; quant à Urban, on l'entendra dans ses principaux rôles, enregistrés par Columbia et par Pathé (Louis XIV, etc.).
Pareillement, LOULOU HEGOBURU et ADRIEN LAMY personnifient les protagonistes de No, no, Nanette ! Quelques disques Gramophone nous donnent Pour être heureux et Tea for two, en français ou en anglais, comme il convient ; quelques disques Columbia nous font entendre les deux mêmes fantaisistes dans Tip Toes (C'est un sentiment, On demande un petit boy).
Avant de partir pour l'Amérique, MAURICE CHEVALIER (et YVONNE VALLÉE avec lui) fut grande vedette de revues et idole du public. On retrouvera sur les disques Columbia les chansons qui firent son succès. Mais, d'Amérique où Chevalier tourne des films parlants, nous sont revenues quelques-unes de ses chansons, Valentine, par exemple, précédées d'un petit speech explicatif, en anglais, naturellement. Seulement ce speech n'atténue point notre surprise lorsque nous constatons que la censure des managersde Chevalier obligea Valentine à cacher aux yeux pudiques des Américains ce que Tartufe, lui non plus, ne savait voir... Ainsi dans les couvents, jadis, affirme-t-on, les pensionnaires jouant la comédie, lorsque le mot « amour » était à la rime, disaient-elles « tambour ». La rime et la raison ne sont pas toujours d'accord, même dans la chaste Amérique... Ces disques Gramophone de Chevalier nous font connaître le comique français dans ses chansons anglaises : It’s a habit of mine, On the top of the world. Cela est tiré — ainsi que Louise — d'un film qui porte le titre anglais de Innocents of Paris, traduit en français par la Chanson de Paris. Il n'y aurait rien à en dire si ces titres ne prêtaient à confusion très regrettable. Louise, certes, est un nom fort répandu ; mais on aurait pu croire que M. Gustave Charpentier possédait des droits sur un titre qui lui doit quelque célébrité. On voudrait être sûr qu'en le prenant, les auteurs de cette musique n'ont point du tout spéculé sur la renommée d'une autre Louise... On aurait aimé, aussi, qu'ils trouvassent pour traduire les mots anglais Innocents of Paris d'autres mots français que la Chanson de Paris, et précisément parce que ceux-ci appartiennent, légitimement, à M. Francis Casadesus. Ils sont, en effet, le titre d'une pièce en trois actes, créée à la Gaîté en 1924, reprise au Trianon et jouée assez souvent un peu partout pour qu'on ne puisse l'ignorer. Mais si la pudeur oblige Valentine à se voiler, en Amérique, elle n'oblige nullement les traducteurs de films américains au respect des droits d'autrui.
GEORGIUS, OUVRARD, TRAMEL, trois noms familiers aux habitués du café-concert, trois noms qui sont synonymes de gaieté, de belle humeur, de fine observation des travers contemporains, enveloppée « à la bonne franquette ». Georgius a enregistré chez Pathé quelques-uns de ses plus francs succès. Tramel, dit « le Bouif », chez Odéon ; et Ouvrard, chez Pathé.
FRED GOUIN est un chanteur « sentimental » qui nuance comme il sied la romance populaire. Le phonographe a certainement fait plus pour lui donner la « vedette » que les planches. Ses disques Odéon sont extrêmement répandus. Il en est de très fins, comme le Cœur de ma mie (de Jaques-Dalcroze) ; il en est qui ont presque une valeur historique, comme le Temps des cerises ou la Chanson de Marinette. Merveille du phonographe : nos arrière-neveux pourront, les soirs qu'ils le voudront, évoquer jusqu'en ces tendres refrains, l'atmosphère sentimentale que respirèrent leurs aïeules...
Tout autre est M. BACH ; il fut étudiant en droit, mais il avait plus de goût pour la chansonnette que pour le Code Civil (peut-être, s'il eût persévéré, eût-il réussi à faire jaillir du comique de la « prescription » ou des « hypothèques »). Toujours est-il que le café-concert l'attira et, qu'après avoir débuté en province, il vint à Paris. A l'Eldorado, le 23 avril 1914 — soyons précis, puisqu'il s'agit d'une date historique — Bach, qui chantait les « tourlourous », créa, en matinée, la triomphante Madelon. Triomphante, certes, mais non pas d'emblée : la Madelon, oubliée, tandis que son créateur, aux armées, avait d'autres besognes que d'amuser les foules, ne reparut que plus tard... Le phonographe a élargi le public de Bach : ses disques traduisent fidèlement ses qualités de diction, la finesse de ses intonations ; ceux qui le connaissent le revoient et ceux qui l'ignorent l'imaginent à mesure que tourne le plateau mobile. Odéon a publié Il est malin et C' te pauv' Joséphine ; Gramophone : la Caissière du café et Il a des galons ; Pathé : la Belle boulangère, On r'vient et Ça fait plaisir, J' suis content, content... Je ne sais quel est le meilleur : tous sont excellents.
CONSTANTIN « le Rieur » mérite son surnom. Prenez ses disques (Odéon), la Rigolomanie ou le Champion des rieurs. Le rire est contagieux ; mais c'est une contagion dont nul ne redoute les effets, bien au contraire. On les subit, on s'y abandonne sans y chercher malice. L'effet est certain et quasi mécanique.
JACQUELINE FRANCELL et GUSTAVE NELSON ont enregistré pour Gramophone les couplets de Jean V, l'opérette de MAURICE YVAIN. La jeune divette détaille Quand on a vingt ans et Montparno avec une conviction charmante ; son partenaire chante le Gardien de la paix et J'aime la France avec entrain. Il y a dans cette musique un tour parodique qui en fait le plus grand attrait ; dans les couplets du Gardien de la paix, on entend de lointaines allusions, mais fort claires, à toute la « littérature » inspirée par les fonctionnaires de la police municipale et par l'armée. Tout le vieux « caf' conç » revit en un instant, et tout cela est d'une qualité supérieure à ce que le genre produit d'ordinaire...
MILTON et sa partenaire DAVIA ont donné à Columbia de nombreux enregistrements (Ma femme, le Comte Obligado, Lulu, Et avec ça, madame...). A la même maison, on trouvera : E. ROZE, KOVAL, JEAN DEVAL, MARIE DUBAS, PIZELLA, dans la Petite dame du train bleu, Une nuit au Louvre, éphémères succès dont le disque prolonge la vie. Mais, parmi ces noms, retenons celui de Marie Dubas. Au milieu des étoiles exotiques qui brillent au firmament des vedettes, elle a conquis une réputation internationale par ses qualités très françaises. Un enregistrement Pathé nous donne deux de ses meilleures chansons : Pedro et Mais qu'est-ce que j'ai ? Marie Dubas a fait le succès de plusieurs revues chez Mayol et au Casino de Paris. C'est qu'elle brûle les planches, comme on dit, et sait communiquer à toute une troupe — à toute une salle — son entrain de gavroche déchaîné. Elle possède l'art de tout dire, j'allais écrire « avec grâce », mais c'est mieux que cela : la grâce d'une vedette de revue n'est point la même que l'on attend d'une héroïne de Mozart. Evidemment, il y faut de l' « abatage » et de la franchise qu'on ne trouverait point chez une petite fille dont on coupe encore le pain en tartines. Mais ce ton déluré, qui ne répugne pas à l'extrême liberté et s'aventure parfois jusqu'à la gauloiserie, devient insupportable lorsque, précisément, lui manque cette grâce dont Marie Dubas possède le secret. Elle pourrait dire des choses qui choqueraient si une autre les disait. Mais rassurez-vous : elle n'abuse point de ce don. Cette grâce qui l'anime est faite de tact et de mesure autant que d'enjouement, et toujours la retient au moment périlleux.
Qui citer encore ? C'est être injuste, évidemment, que de limiter à ces quelques noms les artistes de music-hall dont les disques doivent être retenus. Et puis, chaque mois en apporte de nouveaux, et qui sont dignes d'attention. Avant de passer à d'autres enregistrements, mentionnons encore les Histoires marseillaises, de DOUMEL (Columbia), les disques de MARTHE TIXIER, de GEORGETTE KERLOR, de BERTHE DELNY, de JACK (du Lapin Agile, Polydor), de JEAN SORBIER (Columbia), de MAD RAINVIL (Gramophone), d'ALIBERT, d'ANDRIANY, spécialiste de la tyrolienne (Polydor).
La parodie et l'imitation méritent que nous nous arrêtions un moment aux maîtres du genre. BETOVE (pseudonyme qui est aussi bien un hommage et une profession de foi qu'un trait de satire) s'est fait une place à part dans le vaste domaine de la musique. On devrait même dire deux places, car il y a, tout près de Betove, son double, le compositeur Michel-Maurice Levy, auteur du Cloître, représenté à l'Opéra-Comique en 1926, musicien si sérieux qu'il choisit pour livret un drame de Verhaeren, austère à ce point qu'il n'y a pas de rôles féminins dans ces trois actes débordants de passion wagnérienne. Mais c'est l'humoriste Betove que nous révèlent les disques Odéon : A la manière de... Massenet, Debussy, Reynaldo Hahn, Wagner et Rossini, Folies musicales, Imitations de cinéma, les Symphonies de Betove, les Amours de Jean-Pierre... Betove excelle à prendre un thème et à le traiter comme l'eût fait tel maître ou tel autre. On retrouve dans ses imitations, non seulement la manière, mais les manies de ceux qu'il parodie. Et c'est en cela qu'il se révèle excellent musicien, anatomiste et même histologiste de la musique, pourrait-on dire. Il est armé d'un microscope, et l'infiniment petit n'échappe point à son examen de la morphologie et de la physiologie musicales.
On peut en dire autant de son émule allemand, FELIX LEDERER, qui, au piano, exécute des variations sur un thème populaire : A la manière de... Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Mendelssohn, Grieg, Brahms, Humperdinck, Wagner, Rossini, Strauss, Hindemith (Polydor). C'est très réussi. Mais pourquoi pas un seul nom français en cette liste ? Pour laisser à Betove le champ libre ?...
L'art de l'imitateur tient à l'art de la caricature : ce qui frappe, chez un artiste, c'est tout ce qu'il y a en lui d'original, ce sont les qualités, dont un rien, s'il les outrait, ferait d'insupportables défauts. De même, dans un visage les traits bien marqués donnent à la figure humaine sa noblesse, son intelligence et sa bonté ; mais accentuez-les, augmentez les volumes, creusez les rides, allongez les saillies, et, tout en conservant la ressemblance, vous déformez jusqu'au comique ou jusqu'au tragique extrême la figure que vous représentez. Ainsi fait Betove dans ses A la manière de..., ainsi font WIENER et DOUCET dans leur Isoldina, leur Wagneria, leur Hungaria (sur des motifs de Liszt), leur Chopinata (Columbia). Mais nous les retrouverons au jazz, un peu plus loin.
HENRY LAVERNE, lui, imite les acteurs célèbres (Chez nos vedettes, un disque Columbia), et c'est merveille comme il y réussit. Privé des ressemblances extérieures que peuvent fournir le costume et le maquillage, son modèle est pourtant reconnaissable aussitôt qu'il parle : c'est Gémier, c'est Max Dearly que vous entendez et non plus Henry Laverne. C'est, l'instant d'après, Albert Brasseur — un prodigieux Brasseur à la voix grasseyante, usée par le succès — et puis Dranem, et Maurice Chevalier. Et ce ne sont point des rôles, des œuvres interprétés par ces acteurs que leur imitateur nous donne ; non, c'est un discours à la fin d'un banquet. Il joue la difficulté. Il a raison, puisqu'il réussit.
Parodie encore, mais d'un genre tout entier, et satire d'une époque, que cette valse chantée par GABY MONTBREUSE (Polydor). C'est très amusant : cela commence par une ritournelle de l'orchestre, avec une syncope qui laisse en suspens le rythme de la valse, une syncope excessive, comme en font les tziganes, mais encore plus marquée. La musique cesse, et une voix dit : « Je vais vous chanter une valse ! » Une valse chantée... Quoi de plus usé, de plus banal, de plus ridicule ? En effet : cent voix protestent, indignées, dans l'auditoire. Mais, imperturbable, la chanteuse annonce le titre : Tu m'as possédée par surprise. Nous sommes fixés. Il s'agit bien d'une parodie, et c'est même un peu plus : c'est une espèce de synthèse de tous les procédés parodiques exploités depuis que le genre existe, c'est tout cela qui est connu, archi-connu, et c'est pourtant très drôle. Le rythme est brisé, étiré, par l'excès des rallentandi, des syncopes pareilles au halètement d'un coureur qui franchit un obstacle, par ces points suspensifs au milieu de mots dont la terminaison retardée prête à l'équivoque grivoise. Tout y est, et c'est moins une valse qu'une somme de toutes les valses chantées jadis et naguère au caf' conç', de toutes les chansonnettes dont le public reprenait en chœur le refrain bien scandé. L'interprète fait de cette chose un moment de plaisir. N'en discutons point la qualité : nous rions, nous rions franchement des intonations de Gaby Montbreuse, et le disque Polydor prolonge le succès qu'elle a trouvé à l'Empire, car il traduit fidèlement toutes les intentions de l'artiste.
On pourrait rapprocher de ces parodistes les clowns musicaux, comme les FRATELLINI : leurs « sketches comiques avec motif musical », leurs inventions baroques de timbres, leur acrobatique virtuosité, les rapprochent aillant du jazz. En vérité, ils appartiennent bien à la piste, et c'est un art tout à fait original que le leur. On l'a célébré justement ; mais le disque ne nous donne qu'une partie de leur drôlerie. N'importe, contentons-nous de ce qu'il apporte et retrouvons-les dans Aïda, dans Ça, c'est Paris, dans Michel Strogoff et dans le Rêve passe. Ce qui reste d'eux dans ces disques Odéon suffirait à faire le succès de beaucoup d'autres.
La diction. — Lorsque les premières machines parlantes, encore imparfaites, mais déjà merveilleuses, furent vendues en France, les prospectus de la maison Pathé annoncèrent au public que le « Sublime », pour « gros et petits cylindres », serait mis en vente avec dix gros et vingt petits enregistrements des meilleurs artistes contemporains : DELMAS, VAGUET, RENAUD, SARAH BERNHARDT, POLIN, SYLVAIN, YVETTE GUILBERT... Cette liste (reproduite par M Charles Wolff, dans son livre déjà cité), montre l'éclectisme du phonographe à ses débuts. Il s'est maintenu, mais depuis longtemps les artistes du chant ont pris le pas sur les comédiens et les tragédiens. Et la déclamation est devenue un peu la parente pauvre — du moins par le nombre des disques qui lui sont concédés.
Combien il serait piquant de faire tourner ces vieux cylindres qui comptent plus de quarante ans, avant ou après les disques enregistrés hier par les survivants de cette liste ; d'opposer, par exemple, SYLVAIN à lui-même en une confrontation que les progrès réalisés rendraient bien instructive ! Chose incroyable : ces progrès pourraient faire croire que, bien loin d'avoir subi l'atteinte des ans, le doyen de la Comédie-Française but l'eau de Jouvence. Les vieux cylindres se montraient, en effet, rebelles à certaines consonnes : les S ne passaient point le diaphragme ou le passaient si mal qu'elles en demeuraient méconnaissables et ressemblaient à un éternuement... Je faisais ces réflexions, précisément en écoutant les disques de Sylvain (Columbia et Pathé), et de M. GEORGES BERR (Odéon). Il est miraculeux que la voix humaine, pour ainsi dire nue, sans le support de la mélodie, la simple voix parlée, riche de ses seules harmoniques, de son timbre tout pur, soit ainsi conservée sans altération d'aucune sorte. Entendez Sylvain dans le Chêne et le roseau, par exemple ; entendez Georges Berr dans cette charmante fable du vieux Clément Marot : le Lyon et le rat (ou plus exactement Epistre à son ami Lyon). D'ailleurs on a bien fait de substituer le mot « fable » au mot « épître », mais je regrette qu'on ait coupé les douze vers du début, et pareillement l'exquise fin de la pièce. Cependant ne chicanons point, car mieux vaut savourer notre plaisir.
Rien de plus délicieux que ces fables, rien de mieux dit non plus ; le texte, vous le savez : chacun de nous, quittant l'école, l'emporte en sa mémoire. Et pourtant nous ne le connaissons point, ou nous le connaissons mal, puisqu'à l'entendre ainsi, c'est comme une révélation toute fraîche. Si Peau d'âne m'était conté... Laissons-nous donc conter ces histoires ironiques et profondes, savourons-en le suc, admirons l'habile agencement des mots qui fait image sans recherche et tout naturellement, comme s'il était si simple de bien écrire. Habituellement, ces fables, nous les lisons, ou lorsque, d'aventure, il nous advient de les entendre, c'est qu'un enfant les ânonne. Tout autre chose est de laisser la parole au disque, et il faut louer Sylvain et Georges Berr de ce qu'ils ont fait pour l'agrément de la jeunesse et pour le plaisir de l'âge mûr, où volontiers on reprend ses classiques. Ni l'un ni l'autre n'ont chargé d' « intentions » des textes qui demandent à être dits tout simplement, mais tous deux ont apporté tout leur soin à le bien dire... A Sylvain, on doit : La fille, Le chat, la belette et le petit lapin (Columbia) ; La laitière et le pot au lait, Les loups et les brebis, Le héron, Le chêne et le roseau (Pathé). A M. Georges Berr : La cigale et la fourmi, Le lion amoureux, Le lyon et le rat (Marot), Le chêne et le roseau (Odéon). Auprès d'eux, il faut signaler Mlle A. Pons : Le lion et le rat, La colombe et la fourmi, Le corbeau et le renard, L'hirondelle et les petits oiseaux (Gramophone) ; Mlle Lévy : Le loup et le chien, Le cochet, le chat et le souriceau(Gramophone).
Mais ce ne sont point seulement des fables que les acteurs ont enregistrées. Le phonographe nous permet d'entendre quelques-uns des plus célèbres comédiens dans leurs meilleurs rôles. Et d'abord un disque Gramophone nous conserve la voix de Sarah Bernhardt, dans Phèdre et dans la Samaritaine. M. Sylvain a enregistré deux pièces de Ch. Frémine : les Pommiers et le Village ; une fantaisie d'Emile Goudeau : les Deux voitures.
M. LÉON BERNARD nous fait entendre du Molière et sa diction si naturelle, si vivante, est admirable. Tartufe, le Dépit amoureux, l'Ecole des femmes, les Femmes savantes, ces disques Pathé nous font saisir par leur perfection ce qu'il y a de profondément humain dans ces chefs-d'œuvre que l'art du comédien rapproche de nous. On lui doit aussi la scène des portraits d'Hernani.
Mlle JEANNE SULLY, de la Comédie-Française, a dit des vers de Musset, A Ninon ; de Hugo, Bons conseils aux amants ; de Rostand, l'Aiglon ; de Paul Fort, la Ronde autour du monde, l'Ecureuil, le Bonheur, Philomène (Columbia). Sa voix est tendre et pathétique, où l'on croit reconnaître, comme l'a très bien dit Paul Fort, la très humaine émotion du plus grand tragédien des temps modernes, Mounet-Sully, qui fut le père de Mlle Jeanne Sully.
Mme LUDMILLA PITOEFF qui, en 1925, créa avec un succès retentissant la Sainte Jeanne, de Bernard Shaw, a voulu confier à la cire non point les répliques du drame, mais les paroles mêmes de la Pucelle, que R. Arnaud et G. Pitoëff ont transcrites des archives de Rouen. M. HENRY VERMEIL tient — et fort bien — le rôle du juge, rôle secondaire, mais qui a son importance, la moindre note discordante fausserait irrémédiablement l'accord et nous ramènerait brutalement au théâtre, alors que nous sommes si loin de toute convention, emportés hors du temps et de l'espace dans le domaine du rêve : Jeanne est là qui conte sa vie. Et dans ce récit tout simple, Mme Ludmilla Pitoëff a mis tant de ferveur et tant d'énergie, tant de sensibilité et tant de justesse que ces deux disques Odéon resteront comme une sorte d'ex-voto consacré par l'artiste à la mémoire de la Sainte.
En deux disques Columbia, Mme BERTHE BOVY donne une adaptation phonographique de la Voix humaine, le drame de Jean Cocteau qu'elle créa au Théâtre-Français. Elle y est fort émouvante, et, miraculeusement, le disque conserve tout le pathétique de cette scène. Certes, nous perdons à ne plus voir la belle artiste. Mais sa voix, dans le mystère de l'ombre, pénètre peut-être plus profondément notre âme. Immatérielle, l'évocation de la souffrance devient plus douloureuse : et cette femme qui, désespérément, espère au lendemain de la rupture l'impossible prolongement d'un bonheur évanoui déjà, cette amante en larmes, que déchirent les regrets et qui revit en un moment tant d'heures joyeuses, s'accroche à l'appareil téléphonique comme une noyée à la corde qui peut la secourir. Ici tout décor visuel est vain. La voix suffit à créer le drame. Celle de Mme Berthe Bovy est fort belle et son art est grand.
Gramophone a publié une série de disques de M. SACHA GUITRY et de Mme YVONNE PRINTEMPS. Comment résisterait-on à tant de séduction, à tant de charme ? Il faudrait beaucoup de réflexion et presque de la mauvaise grâce pour analyser son plaisir et reconnaître qu'il n'est pas toujours de la qualité attendue. Les disques Gramophone nous donnent des fragments de Mozart, de Deburau, de l'Amour masqué, de Mariette. Mozart, en dépit de son succès, n'est pas une des meilleures pièces de Sacha Guitry. Le genre biographique, au théâtre plus encore qu'en librairie, est un genre faux. Condenser en trois actes et découper en quelques scènes la vie d'un homme est une entreprise bien arbitraire. Quand il s'agit de Deburau, passe encore, mais Mozart ou Pasteur, nous avons beau savoir qu'ils furent des hommes, qu'ils souffrirent nos souffrances et qu'ils goûtèrent nos plaisirs, il y a dans le génie une sorte de mystère qu'il est bien imprudent de porter au théâtre, car c'est rapetisser ces grands hommes à la taille des acteurs qui les représentent (ceux-ci eussent-ils tout le talent du monde). Reste la musique. Celle de Reynaldo Hahn est un délicat hommage au maître de Salzbourg : on en jugera par le délicieux petit menuet, par la « Lettre », par les « Adieux », que Mme Yvonne Printemps chante d'une voix fraîche comme son nom (la musique d'Offenbach lui réussit moins : l'air de la Grande-duchesse est médiocrement interprété par elle. Et l'autre face du disque conserve (hélas !) une ariette de Lulli, ornée de ports de voix et de points d'orgue d'un déplorable effet). On préférera juger l'art de M. Sacha Guitry par la scène de l'interview de Deburau ; dite avec une justesse de ton et une souplesse qui laissent au vers son rythme et lui donnent cependant le naturel de la prose. Et puis, là encore, il y a la musique. Cette fois elle est d'André Messager. Elle sert de fond à ce tableau attendri comme un Greuze.
Pour Gramophone, aussi, M. DENIS D'INÈS, sociétaire de la Comédie-Française, a enregistré deux tirades fameuses de Cyrano, « les Nez » et les « Non, merci ! » Avec un art très sûr, sans forcer les effets, il donne une interprétation excellente de ces scènes si connues et il en renouvelle l'intérêt.
M. ANDRÉ BRUNOT fait songer à Coquelin aîné — non point qu'il l'imite, mais parce qu'il possède les mêmes dons et parce que sa voix sonne aussi claire et aussi chaude : ses disques nous donnent la Tirade des Nez, de Cyrano de Bergerac, la Fleur merveilleuse, de Zamacoïs (Columbia).
M. ROGER MONTEAUX a enregistré pour Odéon le Monologue d'Hernani et deux scènes de Ruy Blas, le Sonnet (d'Arvers), la Légende de la Brise, des Bouffons (de Zamacoïs). Son ardeur le sert à merveille dans les rôles romantiques. On lui doit également un enregistrement du Cygne, poème de Sully Prudhomme, avec la musique de Saint-Saëns, violoncelle et piano ; mais ce mariage de la diction et de la musique n'est pas — à mon sens — une union heureuse (Odéon).
Il est certain que les disques de diction vont se multiplier : ce qui avait empêché leur essor, c'est la difficulté de conserver la parole sans altération des sifflantes. Le chant dissimulait ces défauts : les perfectionnements de l'enregistrement les suppriment presque complètement. Aussi a-t-on jugé le moment venu d'éditer un album : Les grandes voix françaises (Pathé). C'est une anthologie des poètes contemporains, dits par eux-mêmes, et enregistrés électriquement, sous la direction de M. André Rivoire. Mmes Lucie Delarue-Mardrus, Rosemonde Gérard, MM. Maurice Donnay, René Fauchois, Paul Fort, Franc-Nohain, Paul Géraldy, Pierre de Nolhac, François Porché, André Rivoire, Maurice Rostand et Miguel Zamacoïs ont été priés de confier leurs voix au disque. Ainsi donc, désormais, ce n'est plus l'œuvre seule que la postérité connaîtra, mais quelque chose de l'homme périssable lui-même. C'était un progrès à prévoir, et c'était, depuis trente ans, un progrès prévu. Mais est-ce bien un progrès ? Oui, sans doute, le phonéticien saura la prononciation des âges passés. Cette chose essentiellement mobile, le langage, nous la fixerons dans la cire, comme le photographe garde pour l'histoire les costumes et les modes. Mais le disque est impitoyablement fidèle — comme l'objectif. Nous saurons que tel poète élégiaque possédait une voix de rogomme, que tel autre, dont les vers sont remplis d'amoureuse tendresse, parlait du nez, qu'un troisième, échauffé d'héroïsme, zézayait comme un bébé... N'importe, c'est très amusant, et l'on voudrait que l'album contenant ces douze poètes fût suivi de plusieurs autres, car ces douze-là ne sont pas toute la poésie...
Mais le disque a encore étendu sa conquête : ce sont les moments historiques dont il fixe maintenant le souvenir, complétant ainsi la pellicule cinématographique ; des maîtres de l'éloquence sacrée ou profane, il nous garde la voix ; et puis il nous apporte l'écho des luttes sportives, dont il permet de revivre les phases. Ainsi, Gramophone a publié l'enregistrement du Discours prononcé par S. M. GEORGE V à l'ouverture de la Conférence navale de Londres le 21 janvier 1930. La parole est d'une netteté merveilleuse. Et quelle leçon d'anglais que celle-ci, qui est donnée par un roi ! Mais qu'on n'imagine point le souverain se rendant au studio pour redire son discours. C'est le film parlant qui s'est prêté de bonne grâce à l'opération et qui, docilement, a répété, tant qu'il a fallu, les paroles du roi.
Un Sermon de la Passion du R. P. LHANDE a été enregistré par Columbia. La voix est d'un beau métal. Elle porte loin et sans effort apparent. Elle est extrêmement phonogénique. L'exemple du R. P. Lhande sera certainement suivi, et l'apostolat s'en trouvera doté d'un nouveau et très efficace moyen de propagande.
Enfin, il faut noter que la maison Pathé a fixé sur le disque le bruit des Grandes minutes sportives — bruit des foules applaudissant les athlètes ou marquant les fautes de ses lazzi, — et puis aussi, commentaires du « parleur inconnu », M. DEHORTER, dont les amateurs de radiotéléphonie connaissent l'aptitude à traduire au fur et à mesure qu'elles se déroulent, les phases des luttes dont il est le témoin.
CHAPITRE VI
On l'a dit et redit : la musique devra beaucoup aux machines parlantes. Et, en vérité, ce qu'elle leur doit déjà, c'est de n'être plus, ou presque plus, la « parente pauvre » des autres arts, qui, doués d'un moyen d'expression direct, n'ont pas besoin d'interprètes pour atteindre le public. La preuve est aujourd'hui faite, et si bien qu'il n'est pas de domaines où l'enregistrement des sons ne soit de quelque secours.
Ainsi le « régionalisme » a trouvé dans le phonographe un excellent moyen de propagande. Avant, l'invention merveilleuse, bien peu de gens soupçonnaient que les sensations auditives autant que les sensations visuelles, autant que les descriptions lues, pussent évoquer les pays lointains. Il fallait être musicien soi-même pour comprendre ce qu'un Mendelssohn voulait dire en écrivant, au milieu du travail de préparation de ses Hébrides : « Je ne les trouve pas suffisamment achevées ; le passage en ré majeur est très bête : toute la modulation sent plus le contrepoint que le poisson ! » Car la musique a une couleur, un parfum ; elle est matière plastique, bien qu'immatérielle, et Baudelaire avait raison, qui, dans un sonnet célèbre, apercevait « la ténébreuse et profonde unité » de nos sensations. Le phonographe nous a donné cent preuves de ces « correspondances », de ces synesthésies, comme disent les physiologistes : ce n'est point à cause de leur titre, mais bien grâce à la mélodie, au rythme des deux thèmes, aux harmonies qui les baignent, que l'Esquisse des Steppes de l'Asie Centrale nous transporte instantanément dans l'immense plaine sillonnée de rares caravanes. La musique de Borodine suggère, décrit, peint, avec un relief et une couleur saisissants. Et on trouverait cent autres exemples.
Aussi n'est-il point étonnant que les champions de la cause régionaliste aient songé à tirer parti du disque. L'âme immatérielle d'une province, d'une grande ville, comment la révéler aux étrangers, comment la transporter au loin sans que s'évaporent ses qualités, si ce n'est en fixant sur le disque ses multiples aspects ? Chansons légères et tendres, rondes populaires, cris de la rue, toute la vie fugitive, variant aux heures du jour et selon les saisons, le disque la saisit et la conserve. Le parler savoureux de la province, si doux aux oreilles de l'exilé, va être fixé sur la gomme laque. Aux heures de nostalgie et de tristesse, le colonial retrouvera sous sa tente, au fond de la brousse, les chères voix de son village natal, s'exprimant dans le dialecte familier, et qui berceront doucement, tendrement sa peine, qui le guériront du mal du pays. Et pour y aider, des disques de gaieté, des trésors de comique suivront ces disques trop capiteux pour qu'on en prolonge longtemps l'audition. Des histoires bien connues, mais toujours appréciées, dites avec l'accent qui sent l'ail, achèveront de rendre la joie à qui l'avait perdue, parce qu'il se trouvait si loin, si complètement déraciné...
Lyon et Marseille. — Et puis, quel autre procédé, mieux que le disque, ferait connaître la vie intime d'une région et concourrait aussi puissamment à la faire comprendre, à la faire aimer ? Déjà le cinéma avait montré la voie en essayant de donner une image synthétique des grandes villes du monde. Le disque peut davantage, puisqu'il pénètre jusqu'au foyer, puisqu'il est l'instrument familier que l'on prend aux heures de repos et de solitude. L'enregistrement par la maison Columbia des Chansons, scènes et propos lyonnais, présentés par Henri BÉRAUD en un « disque-préface », est un exemple de ce que l'on doit faire pour chaque grande ville et chaque province. Et Gramophone a publié un « premier » supplément régional, consacré à Marseille. Premier... cela indique la volonté de faire suivre celui-ci de quelques autres. Attendons et espérons.
J'avouerai tout de suite, cependant, la petite déception éprouvée devant ce premier supplément marseillais : il n'est pas l'image synthétique que nous souhaitions : il n'est qu'une image fragmentaire et trop incomplète.
Au contraire, les disques lyonnais de Columbia nous offrent les multiples aspects de la grande cité rhodanienne : son atmosphère, ses brumes, ses plaisirs et ses peines, sont évoqués par Béraud, avec une familiarité charmante et qui se hausse sans effort au lyrisme. Et nous trouvons une œuvre belle, vaste et noble, le Poème de la Maison, due au directeur du Conservatoire de Lyon, M. WITKOWSKY, exécutée par les solistes, les chœurs et l'orchestre de la Société des grands Concerts de cette ville, sous la direction de l'auteur. Mais à côté de ces graves plaisirs, voici des joies plus faciles, la fameuse « parodie de la Favorite », la scène du « Déménagement », les irrésistibles calembredaines de Guignol et de Gnafron. Voici des chœurs religieux, par les enfants de la maîtrise, dirigés par l'abbé Lacassagne. Quoi de plus varié, de plus divers ? Mais ce n'est pas tout : l'organiste de la Primatiale, M. Ed. Commette, fait chanter les grandes orgues, — l'un des plus beaux instruments du monde sous les mains de l'un des plus habiles virtuoses, — et voici encore de bonnes et succulentes histoires lyonnaises de M. Benoist-Mary, les Matefaims, le Bain de Claude Chinel, le Père et la Mère Mattevet... Avais-je tort de parler de synthèse ? Après quel voyage et quel long séjour en sauriez-vous davantage sur l'âme d'une ville ?
Les enregistrements régionaux de Gramophone, jusqu'ici, ne nous offrent guère autre chose qu'un reflet badin du visage marseillais. Certes, nous savons qu'on aime rire, à Marseille ; les histoires de la Cannebière ont fait le tour du monde, passant de bouche en bouche, perdant l'accent dans l'aventure sans trop perdre de leur saveur. Mais ces histoires croustilleuses, ce n'est point en elles que réside l'âme de la cité phocéenne. Elles sont délicieuses pour qui ne méprise point le piment, c'est entendu, mais ni le piment, ni le safran, ni même l'ail, ne font à eux seuls tout un repas — ni même tout un plat. Souhaitons donc que ces disques soient suivis de quelques autres nous montrant Marseille active et sérieuse, gardienne d'une tradition héritée des hellènes, inventeurs des arts... Et en attendant, amusons-nous franchement en écoutant Mme CHABERT, la « cigale provençale », accompagnée par l'orchestre du Capitole de Marseille ; M. Henri POUPON, chansonnier marseillais, qui nous contera des « galéjades », comme Léon de Gonfaron (Gonfaron, nous dit le dictionnaire des communes, appartient à l'arrondissement de Brignoles, et possède une station du chemin de fer de Toulon aux Arcs. Mais il y a des noms prédestinés, et celui-ci, tout gonflé de sonorités fanfaronnes, ne semblait-il point fait exprès pour désigner la patrie des inventeurs de galéjades et des diseurs de joyeux propos ). Quelques-uns de ces disques portent le sous-titre de « monologue grivois », « causerie grivoise ». Je parlais tout à l'heure d'épices et de piment : ce n'est pas de piment doux qu'il s'agit ici. Si vous n'êtes point bégueule et si les enfants sont couchés, prenez ces disques, à moins que vous ne préfériez évoquer l'atmosphère des ruelles débouchant sur le Vieux Port, près de l'Hôtel de Ville. Alors aussi écoutez les disques où l'accordéon accompagne le banjo, que MM. Viola et Apennini ont enregistrés et vous croirez voir tournoyer les couples, matelots et filles, au son de la Java de Doudoune, de Fior d'Espagne ou de Rosa. Et si, après cela, vous avez besoin d'entendre un air martial, la musique des équipages de la flotte, conduite par M. Paul Goguillot, vous « versera l'héroïsme » de tous ses cuivres et ses bois dans la Marche indienne de Sellenick, les Fiancés de Rosporden, de M. Goguillot lui-même, les Amourettes de J. Gung'l, la Housarde, valse militaire de Louis Ganne, ou encore l'ouverture de la Sémiramide de Rossini.
Provinces. — Mais il ne faut point quitter la Provence sans citer un très beau disque Pathé, où Lucien MURATORE a enregistré la chanson de Magali en provençal : O Magali ma tant' amado... L'adorable mélodie, simple, profonde et naïve, toute pareille à ces belles filles saines et franches du pays du soleil, est d'une poésie incomparable. Gounod l'a enrichie d'enjolivements impardonnables et qui surprennent d'un homme de goût : comparez le disque de Muratore à la « chanson de Magali », de Mireille, et vous verrez combien la cantilène populaire est supérieure au grand air de l'opéra. Mais prenez garde que le disque Pathé doit être tourné à la vitesse de 80 tours : trop lent et trop bas, à 78 même, il est dénaturé.
M. MICHELETTI, qui est un des ténors les plus réputés de l'Opéra-Comique, a eu l'excellente idée de confier à un disque Odéon un vocero de son pays. La Corse a trop longtemps souffert de son « insularité » : on allait difficilement voir ses beautés, mais on tenait pour certaines toutes les légendes dont les habitants de l'île sont les héros. Parmi les coutumes les plus curieuses du pays, celle d'honorer les morts par une ballata, par une complainte improvisée, est aussi une des plus anciennes. Ainsi, au chant vingt-quatrième de l'Iliade, Hélène et Hécube chantent devant le cadavre d'Hector, que Priam vient de rapporter de la tente d'Achille. Et Colomba, dans le roman de Mérimée, chante pareillement devant le lit funèbre de Charles-Baptiste Pietri. Le vocero que nous donne M. Micheletti a été recueilli par un compositeur corse, JACQUES TESSARECH, qui l'a noté avec la plus grande fidélité. Elle est d'une sauvage et frémissante beauté, cette musique populaire jaillie spontanément de l'âme même d'un poète anonyme. Jacques Tessarech a brodé sur ce thème un accompagnement de guitares, et son harmonisation, loin d'écraser le vocero, lui prête un élégant soutien, le prolonge comme une ombre discrète délicatement juxtaposée au trait dans un dessin. L'interprète nuance ce vocero sans rechercher l'effet et se contente de laisser parler la musique. Elle est suprêmement éloquente et noble.
L'air Montanias regaladas, cher aux Roussillonnais, la Linda Flor, chantés en catalan par Alban DERROJA, sont enregistrés chez Pathé. Des disques Parlophone, des disques Columbia et Gramophone vous donneront les sonorités étonnantes de la « Cobla la principal de la Bisbal ». Rien de plus savoureux que ces musiques populaires.
Des disques Gramophone nous apportent des airs basques, chantés par Guy CAZENAVE : Iruten ari nuzu, Juana, — et n'oublions pas le Ramuntcho, de M. Gabriel PIERNÉ (Odéon). L'Auvergne est représentée par les Chœurs de la Bourrée, enregistrés par Pathé, dans le Chant des Auvergnats, du compositeur J. CANTELOUBE, auteur du Mas et chantre inspiré du Quercy. Mme MADELEINE GREY, en deux disques Columbia, a enregistré les Chants d'Auvergne, recueillis et harmonisés par J. Canteloube, avec une science et un tact dignes de tous les éloges. Ces disques sont d'une grâce et d'une puissance évocatrice admirables. La cabrette, instrument des Auvergnats, est jouée en virtuose par M. CAYLA, qui interprète pour Columbia une bourrée de J. Canteloube, Tente rete, Tiens-toi bien ! Fredo GARDONI, sur l'accordéon, joue la Caille et une autre Bourrée (Pathé). La vielle et la cornemuse berrichonnes sont enregistrées chez Gramophone (Marche des Gars du Berry, Bourrées berrichonnes).
Nous avons déjà rencontré la Bretagne à maintes reprises au cours de ces pages : elle a inspiré tant de musiciens ! Mais vous pourrez entendre dans la langue même du pays d'Armor le barde Léon E. Cueff-Kaner chanter les hymnes du barde Taldir ou les mélodies écossaises et galloises, — si voisines des cantilènes bretonnes, — harmonisées par Bourgault-Ducoudray (Gramophone). Deux disques de la même maison vous feront entendre les binious de Le Guennec et Le Bouc, dans les Gavottes de Guéméné et d'Audierne ou dans la Dérobée de Guingamp.
Au folklore on peut rattacher les Chansons de bord : Pêcheurs de Groix (chanson à ramer) ; le Grand Coureur (chanson à virer) ; le Pont de Morlaix (chanson à hisser) ; Valparaiso, la Margot, Adieu cher Camarade, recueillies par le capitaine Hayet. Elles sont admirables, ces chansons, mais n'eussent-elles point paru plus savoureuses si on les avait fait chanter, en leur naïveté primitive et grossière, par de vrais marins, au lieu d'en confier l'interprétation à M. Maguenat, baryton de l'Opéra-Comique (Columbia) ? Son art est parfait, mais ici, précisément, on eût aimé plus de rudesse et moins d'art...
Les trompes de chasse, les fanfares de cor, nous disent la poésie de la forêt. Chaque catalogue nous offre de bons enregistrements. Signalons le double Quatuor de Trompes Raymond Dray (Gramophone), le Rallye des Trompes de France (Odéon), le Cercle Royal de Saint-Hubert (de Bruxelles), Columbia, à qui l'on doit l'enregistrement de la Messe de Saint-Hubert. Tous ces disques sonnent magnifiquement.
Musiques militaires. — Il convient auprès d'eux de mentionner les enregistrements militaires. Ici le champ est vaste : harmonies, comme la célèbre musique de la Garde Républicaine, sous la conduite de ses chefs, musiciens de grande valeur, Pierre Dupont et son prédécesseur G. Balay, musiques étrangères, Grenadiers Guards (Columbia), Guides Belges (Gramophone), musiques militaires allemande (Polydor), suisse, américaine (Gramophone), clairons et tambours d'infanterie, fifres, trompettes de cavalerie, etc... Mais il faut faire une place à part aux disques qui nous rendent les vieux airs d'autrefois, les marches, les défilés des troupes royales, républicaines et impériales (disques Columbia admirablement enregistrés sous la direction de MM. G. Parès, ex-chef de la musique de la Garde Républicaine, et Gourdin, ex-tambour-major du même régiment). La « clique » est superbe, l'harmonie vibrante, et ces enregistrements ont un intérêt historique certain.
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L'Exotisme. — Des Esseintes, le héros d'A Rebours, dînait dans un restaurant anglais voisin de la gare Saint-Lazare pour savourer aussi bien qu'en un long voyage tous les charmes de la Grande-Bretagne. Pareillement, s'il vous plaît de voyager, le phonographe vous en donne aujourd'hui les moyens sans qu'il en coûte trop à votre bourse. N'eussiez-vous même point d'imagination, comment échapperiez-vous au sortilège de la musique évocatrice des paysages, des scènes populaires, des danses, et qui recrée en quelques instants l'atmosphère même des pays d'où elle vient ?
L'Europe centrale. — Ces chœurs enregistrés par Polydor vous transporteront en ALLEMAGNE au jour de Noël, lorsque vous entendrez Stille Nacht, ou O Tannenbaum, ou encore Die Weinachtglocken. Ils sont admirablement chantés par le Berliner Lehrergesangverein (Polydor). Un enregistrement Odéon vous fait assister à la veillée de Noël : le célèbre ténor Tauber chante les refrains populaires outre-Rhin que nous venons d'énumérer, et beaucoup d'autres encore. Et c'est d'une couleur très pittoresque.
Les FÊTES DES VIGNERONS VAUDOIS sont célèbres. Polydor nous donne un enregistrement des Chœurs Mixtes de Lutry, avec grand orchestre, sous la direction de M. Porchet, qui nous fait assister aux fêtes de 1927, en nous rapportant ces fameuses chansons. L'inspiration géorgique donne à ces chœurs une grandeur et une simplicité virgiliennes (la Chanson du Blé qui lève, la Chanson des Vieux et des Vieilles, la Chanson des Faucheurs, les Travaux de la Vigne, la Chanson des Jardiniers, Qu'avez- vous à soupirer ? la Noce, etc.).
Poursuivons notre voyage : rappelons seulement pour mémoire les disques propres à évoquer les capitales de la musique, pourrait-on dire, Salzbourg, Bayreuth, Munich, et ces œuvres de Liszt si foncièrement hongroises, ces danses de Dvorak, ces airs de Smetana. Mais ceci est autant un voyage dans le temps qu'une exploration dans l'espace, et les disques Odéon de Dajos BELA nous ramènent aux jours présents, à VIENNE, où l'on sait encore sourire malgré la dureté des temps et les profonds bouleversements subis. Choisissons le Beau Danube bleu, qui garde comme un souvenir mélancolique des bonheurs perdus, et puis joignons-y Ich kusse ihre hand, Madame, qui est un tango. Mais s'il conserve le rythme de la danse argentine, il se pare des grâces langoureuses chères aux compositeurs danubiens, et le violon chante comme seuls savent le faire chanter les tziganes aux yeux de velours. Ecoutons encore la Marche des Forgerons : nous voici au milieu d'une foule qui s'amuse librement, un chœur joyeux s'élève après une fanfare brillante. Les voix se mêlent à l'orchestre selon une formule que le jazz nous a. enseignée, et avec elles, les sifflets, le son cristallin des enclumes (nous sommes parmi des forgerons), mais c'est une tout autre chose qu'une imitation, c'est d'une originalité fort attrayante et l'enregistrement est parfait.
Les Russes. — Un orchestre de balalaïki, dirigé par SCRYABIN, va maintenant évoquer la Russie. Ils sont une quinzaine qu'on a pu voir longtemps dans un cabaret voisin de l'Etoile. Vêtus d'un manteau rouge, jeté en arrière à la housarde, d'une blouse noire et d'une culotte garance prise dans les hautes bottes fauves, un poignard long au flanc, ils ont un air militaire que leur visage énergique du type russe le plus pur, sous les, cheveux très courts, renforce encore. Les balalaïki sont des sortes de guitares triangulaires, à dos plat, à longs manches et à trois cordes. Il en est de plusieurs grandeurs, qui correspondent à la hauteur des sons du violon, de l'alto et du violoncelle. Un orchestre ainsi composé — et celui de Scryabin est renforcé d'un piano, d'un harmonium et des instruments de la batterie — donne des effets fort variés : son chef sait les utiliser en virtuose. Il a su imposer à sa troupe une merveilleuse discipline ; d'un simple mouvement de tête, il dose les sonorités, commande forte ou piano à ses exécutants. Mais ceux-ci ne sont point seulement instrumentistes : leur virtuosité vocale dépasse encore l'adresse de leurs mains à pincer les cordes de la guitare russe. Comme toujours, dans les chœurs de leur pays, les basses sont admirables. Les tenues sont moelleuses, étoffées, et, par moments, ces voix profondes résonnent comme le métal des cloches sonnant à la volée. Et chacun d'entre eux devient soliste à son tour : celui-là vient devant ses camarades, près du chef, puis, sa chanson terminée, rentre dans le rang à sa place. Tout à l'heure un autre le remplacera près de l'estrade, avec la même simplicité.
Le répertoire est fort varié. Les disques édités par la maison Pathé en donnent de nombreux échantillons, parmi lesquels dominent heureusement les chants populaires. Nous retrouvons les Bateliers de la Volga, bien enregistrés et bien interprétés ; sur l'autre face du disque, un autre chœur également nostalgique, également puissant, Sur la Volga. Les voix y sonnent d'une manière extraordinaire ; mais les plus étonnants sont peut-être les chœurs militaires, comme les Aigles, les Hussards noirs. Il y a dans ces refrains un dynamisme formidable. Les chansons populaires et les danses sont non moins bien interprétées : parmi les premières, je signalerai les Yeux noirs (chantés par S. Danilevsky, dont la voix chaude fait merveille en ce drame de passion), Raspochel (romance tzigane où M. Kochlakoff montre les mêmes qualités et fait valoir une superbe voix de basse) ; parmi les secondes, Krakoviak et Gopar, d'un rythme irrésistible.
Les Chœurs des Cosaques du Don passent pour les premiers du monde. Leur chef, Serge JAROFF, est un musicien accompli et possède une autorité très grande sur une troupe nombreuse et parfaitement disciplinée. On en pourra juger par les enregistrements Columbia qui rendent fidèlement l'interprétation des Bateliers de la Volga, de la Petite Cloche monotone, de Signal Marche de Cavalerie, des Douze Voleurs, du Chant de Platoff ou des Cosaques prisonniers. Polydor a enregistré les chœurs des Cosaques de l'Oural, qui peuvent disputer aux Cosaques du Don la suprématie : on en jugera par le Pot-pourri russe, par les Cloches du Soir, par le Chant populaire ukrainien, Stenka Razine, Signal March, Panichida, les Douze Voleurs.
Signalons encore parmi les disques qui nous apportent le meilleur du folklore russe, les enregistrements Columbia des scènes que le théâtre de la Chauve-Souris, sous la direction de M. Nikita BALÏEFF, a montées à Paris : Tristesse, Berceuse, les Hussards noirs, Pastorale, Barcarolle, la Voiture de Foin, etc. ; le quatuor Kedroff, Sérénade, Contredanse, Sérénade mélancolique, Chansons populaires, les Cloches de Novgorod, Chant circassien, la Vie pour le Tsar, etc.
L'Italie. — La romance napolitaine, puissamment évocatrice de l'Italie, du moins de cette Italie un peu conventionnelle où, comme chante Mignon, le ciel est toujours bleu, de cette terre où l'on voudrait « vivre, aimer et mourir », poésie facile, sentimentalité, accompagnement de mandolines, pizzicati de violons en sourdine, tout cela se retrouve dans ces chansons un peu vulgaires et pourtant si « prenantes » qu'on n'échappe pas à leur séduction. Il en est de certaines musiques comme de certains tableaux : la lumière les transforme. Les chansons napolitaines gardent en elles leur propre lumière : elles en sont transformées. Si vous y regardez de trop près, vous apercevez leurs défauts ; mais laissez tourner le disque, laissez-vous emporter dès la ritournelle du violon qui prélude à Cara Piccina ou à Torna a Surriente. N'essayez pas de raisonner, de résister au charme ; vous ne feriez que retarder votre plaisir, car, que vous le vouliez ou non, vous allez être pris : la voix de M. di MAZZEI vous persuade. Câline, elle murmure : Torna a Surriente, reviens à Sorrente, où trouverais-tu pays plus beau, femmes plus jolies, voisins plus aimables, où irais-tu chercher des horizons plus vastes, une mer plus bleue, des amours plus tendres ? La courbe mélodique de la cantilène s'infléchit avec la grâce un peu molle de la côte tyrrhénienne. La voix est chaude et persuasive, veloutée comme ces vins d'Italie dont il faut redouter la chaleur capiteuse qui se dissimule sous la saveur faussement innocente.
La voici plus enjôleuse encore pour persuader à la cara piccina, à la chère petite, que sans son amour il n'y a point de bonheur. Don Juan disait cela déjà, Mozart lui prêtait d'autres accents, certes, et dédaignait ces moyens trop faciles, ces portamenti, ces effets vocaux et instrumentaux un peu attendus. Mais malgré tout, avouons-le, la chanson nous a emportés bien loin, au soleil de Naples, et nous en restons trop éblouis pour apercevoir ces choses qui amoindriraient notre plaisir. D'ailleurs, l'enregistrement Pathé de ces deux chansons est parfait. La voix est aussi nuancée que si le chanteur était là, vraiment. Deux autres disques, édités par Odéon, Lucinga et Pecché ? ont les mêmes qualités, à peu près. Naguère encore, le succès de ces chansons napolitaines ne dépassait pas l'Italie. Tous les ans, un concours — survivance rajeunie des tournois des trouvères, — dote le pays d'une romance nouvelle. Grâce au phonographe, c'est maintenant bien au delà des Alpes et de la mer que rayonne l'œuvrette du musicien proclamé vainqueur à Piedigrotta. Reconnaissons le plaisir pris à l'entendre.
Santa Lucia, Sole mio, Mamma mia che vo' sape, Addio a Napoli... Tous ces titres célèbres, tous ces airs si connus, vous les trouverez interprétés par Enrico Caruso, Emilio de Gorgoza, Tito Schipa (Gramophone), car ces grands chanteurs n'ont point dédaigné d'enregistrer les chansons populaires de leur pays. Ils y ont mis toute leur passion et toute leur âme, pour les mieux colorer et les mieux faire valoir.
L'Espagne. — Plus vite que les inventions des génies, dans les Mille et une Nuits, le phonographe nous transporte d'un pays à l'autre ; prenez le disque Gramophone de la Argentinita (la España Cañi, solo de castagnettes avec orchestre, au revers duquel est la Cordoba d'Albeniz, déjà citée), prenez les disques d'Andrès Segovia, le guitariste (Gramophone), ou ceux de la Niña de los Peines (Columbia), et vous serez conduit en Espagne. On a tout dit sur la Argentina, on a loué ses danses, merveilles d'inventions rythmiques et de grâce ; mais on n'imaginait point qu'il suffirait d'entendre cette admirable danseuse pour retrouver tout — ou presque tout — le charme du spectacle qu'elle nous donne lorsqu'elle interprète les pages de Falla ou d'Albeniz. Et pourtant c'est vrai : avec ses castagnettes, par le claquement de ses pieds sur le sol, elle anime d'une poésie singulière le texte musical qu'elle commente, elle ajoute quelque chose d'indéfinissable, d'impondérable, à la sonorité, et qui est comme l'essence subtile du rythme. C'est d'un art étonnant et ce disque est l'un des plus beaux que le phonographe nous ait donnés.
Virtuose de la guitare, Andrès SEGOVIA a en quelque sorte rendu sa noblesse à l'instrument un peu discrédité : il n'est pas de difficultés dont ce remarquable maître ne se joue : à l'entendre, on dirait par instants qu'il tient à lui seul deux instruments, tant il semble bien impossible qu'un seul homme, sur six cordes pincées, réalise pareilles prouesses sonores : les accords de trois ou quatre notes sont un jeu pour lui. Le disque conserve fort bien toute la délicatesse de ce jeu prestigieux et nous donne un Segovia égal à lui-même.
Le disque de la NIÑA DE LOS PEINES a pour titre Seguidillas et Peteneras. La Niña est accompagnée du Niño Ricardo. Elle est célèbre dans la péninsule tout entière, cette Niña, dont le surnom pourrait se traduire : « la fille aux peignes ». Vous la voyez : pas jolie, mais mieux que cela, piquante, provocante, avec des yeux qui flambent et qui font tout le charme d'un visage au teint bistre ; quand les paupières s'abaissent, il semble que la vie se retire de ce visage, mais pas pour longtemps, car l'éclipse passagère n'est que manège de coquette. La chevelure noire est relevée en casque, et, derrière la tête, un immense peigne la retient. Ce peigne est ouvragé, gravé, ajouré, comme le diadème d'une souveraine. Souveraine, la Niña de los Peines l'est bien en effet : elle règne sur toute une cour d'adorateurs qui viennent chaque soir l'applaudir. Elle traîne cent cœurs après elle et n'ignore pas sa séduction : sa démarche le prouve par ce meneo, ce rythme frémissant dont Balzac, déjà, faisait tant de gloire aux « niñas » de son temps, car déjà la Niña promenait son châle sur les tréteaux ; mais, comme les souveraines, les Niñas qui meurent, d'autres leur succèdent, reprenant le pouvoir sur les foules et incarnant l'âme populaire du pays dans leurs mimes et leurs chants.
Ecoutez-les, ces chants, puisque le disque vous en apporte deux et si bien choisis : sur le pincement des cordes, une voix s'élève. Vous ne comprenez point les paroles, mais peu importe, puisque la mélodie est si bien éloquente qu'elle parle directement à vos sens. C'est l'amour qui s'exprime en ce chant de désir sauvage, presque animal, tandis que les accords de guitare scandent le mouvement, tandis que l'accompagnateur, par de brèves interjections, excite la femme, l'encourage, exige davantage. La musique est étrange, traînante et saccadée, avec de brusques jaillissements, une mélopée orientale qui se souvient des Maures, comme l'architecture andalouse garde mémoire des Califes. La voix est tour à tour plaintive et brutale : elle a des alternatives d'ombres et de lumière, comme là-bas, à l'ardeur des journées torrides succède le silence rafraîchissant des nuits, où l'on entend murmurer les fontaines dans les vasques des patios. Les paroles de la Niña se fondent dans ces bruissements. Mais qu'importe ? Des vers de V. Garcia Calderon me reviennent en mémoire, car c'est le drame éternel que nous dit la Niña avec ses peignes, son châle et ses chansons : « A la cape — le torero mène la bête ; — et la femme conduit l'homme — à l'éventail ». C'est toute l'Espagne des poètes qui anime cette séguidille et qui revit dans ce disque, l'Espagne de Th. Gautier et de Victor Hugo, celle de Bizet et de Chabrier, de Pierre Louÿs et de Debussy, de Falla et d'Albeniz, de Granados et d'Arbos... Et nous suprenons là dans un chant populaire l'origine de tant d'œuvres superbes dont nous avons, plus haut, célébré la couleur.
Il n'y a pas d'épithètes assez louangeuses pour dire le mérite des disques consacrés par Gramophone aux Sardanes catalanes : ces danses, jouées par la « COBLA LA PRINCIPAL DE LA BISBAL » (du nom d'un petit village de la côte catalane), « réveilleraient les morts » tant leur rythme est puissant et irrésistible.
Vous savez quelle rapide ascension porta aux nues le nom de Raquel MELLER quand elle débuta à Paris peu après la guerre : elle venait d'Espagne et elle apportait avec elle le parfum de son pays ; ses chansons étaient de petits drames, et, pour chacune d'elles, un costume différent contribuait à créer une atmosphère nouvelle. Nulle artiste mieux qu'elle, en vérité, ne « vivait » ses créations, et soit qu'elle fût la petite bouquetière madrilène, soit qu'elle fût la fille du geôlier, elle imposait à toute une salle la puissance fascinatrice de l'illusion. Au phonographe, on retrouve bien les chaudes inflexions de sa voix et son timbre si personnel, qu'elle chante El Relicario, la Violetera, El Flor del Mal, la Mujer del Torero ou quelque chant mexicain comme Prietita mia ou Canastilla de Floras (tous ces disques sont édités par Odéon). Mais on regrette un peu de ne plus voir la gracieuse interprète — et il semble que ses chansons en perdent une partie de leur agrément.
Les Fados portugais. — Avant que les disques les eussent révélés, qui donc, hormis quelques spécialistes du folklore musical, connaissait les Fados portugais ? Les voyageurs qui, par fortune, avaient pénétré les mœurs de cette partie de la péninsule ibérique trop négligée des touristes français, disaient bien le charme de la musique populaire portugaise ; mais la musique est comme un parfum subtil : transportée, son charme s'évapore et l'on ne retrouve au bout du parcours qu'une méconnaissable déformation des rythmes et des timbres qui avaient séduit lorsque le décor les entourait de poésie. Il y faut l'accent des voix locales, la manière de prononcer les paroles, et cet accompagnement dont semblent garder le secret les guitaristes de là-bas. Certes, cet art est assez voisin de l'art populaire espagnol, mais il n'offre avec lui que des rapports de voisinage et la parenté reste imprécise. Il n'a pas la sombre énergie des rythmes andalous, par exemple, il est plus langoureux, plus mièvre même, mais sa grâce nous touche par des qualités de séduction qui évoqueraient plutôt la chanson populaire italienne. La maison Columbia a enregistré tout un choix de fados portugais, fados chantés et airs de guitare, exécutés en duos par des artistes de là-bas sur les instruments du type particulier en usage dans leur pays et qui a des sons plus moelleux que la guitare espagnole ; les guitaristes portugais ont d'ailleurs un tout autre jeu que les espagnols : ils glissent volontiers sur la corde et obtiennent des sonorités analogues à celles de la guitare hawaïenne. Ils usent volontiers d'un vibrato dont ils tirent de surprenants et très pathétiques effets. Pareillement, ils ne dédaignent pas de griffer la corde comme les joueurs de mandoline, mais ils savent le faire avec mesure. Les sons cristallins de ce bel instrument, quand c'est un Salvator FREIRE ou un Georgius de SOUZA qui le jouent, sont d'une indéniable poésie. Ces artistes sont de vrais virtuoses, et les Variações en mi menor, d'Armandhino et S. Freire, exécutés par eux, font apparaître non seulement le talent des duettistes, qui est très grand, mais aussi tout le coloris si riche de ces timbres et la poésie de ces thèmes tirés du folklore. C'est peut-être le plus complet de ces morceaux enregistrés ; mais l'autre face du disque, qui nous donne, joués par les mêmes guitaristes, le Fado Armandhino(populaire) n'est pas moins curieuse : elle a des passages de force étonnants, à côté de passages de douceur qui font songer à ces chansons italiennes dont nous parlions tout à l'heure. A signaler encore : le Fado Corrido, le Fado en la mineur, le Fado en ré mineur, le Fado Barbeiro, eux aussi exécutés sans partie vocale.
Les fados chantés nous révèlent de fort jolies voix, mais qui, elles aussi, sont conduites selon les traditions populaires, avec des portamenti et des effets qui seraient à réprouver dans un tout autre genre. Ici, rien de cela ne choque, car tout, au contraire, est employé avec discernement et concourt à accentuer le caractère de la mélodie. Le ténor Dr Lucas JUNOT interprète ainsi, avec une généreuse ardeur, le Fado de Passarinhos et le Fado Sepulveda ; sa voix qui, dans l'aigu, possède un timbre presque féminin, s'étend avec une facilité généreuse. L'accompagnement est remarquable. Le même chante aussi le Fado Rezende, le Fado Corride de Coïmbra, d'une tournure joliment populaire. D'autres (Fado Bacalahau, Fado Vianinha) sont chantés par le ténor Alberto COSTA, par le baryton Estreva AMARANTE (Canção da Marietta), par les soprani Corina FREIRE, Adelina FERNANDEZ, Fernanda ABRANCHES, par la mezzo-soprano Luiza BAHAREIM (Fados de Cordel, de Mouraria, Mandego, Hespanhol, Anita, de Beja, etc.). Ce qu'ils nous révèlent de l'âme portugaise est infiniment curieux.
Voyages aux terres lointaines. — Nous verrons tout à l'heure, à propos du jazz et de la danse (dont il est inséparable), le chant anglo-américain. Aussi bien, il faudrait tout un long volume pour suivre le disque autour de la terre et je ne puis avoir d'autre prétention que d'indiquer un choix. Il y aurait beaucoup à dire sur les enregistrements de musique chinoise (fort difficiles à se procurer en Europe, on ne sait pourquoi) réalisés par Columbia. Ils sont vendus en Extrême-Orient sous la forme de disques très minces, d'une seule face, fort légers et beaucoup moins rigides que nos disques habituels. Ils réservent d'agréables surprises à ceux qui pourront les entendre. Déconcertants à première audition, ils laissent petit à petit pénétrer le charme étrange de cette musique si différente de la nôtre ; les voix, d'abord indistinctement criardes, livrent le secret de leurs timbres et les instruments le mystère d'une harmonie insoupçonnée de nos oreilles occidentales.
J'espérais découvertes de même ordre, lorsque Columbia fit annoncer ses enregistrements de Chants et orchestres hawaïens d'origine. Le prospectus promettait une « illustration on ne peut plus émouvante de la poésie populaire des Iles Sandwich ». Hélas, tout le plaisir que je me promettais a été gâté dès le premier disque : j'attendais une musique polynésienne, j'ai entendu des guitares hawaïennes, des chanteurs hawaïens, dont je ne puis suspecter l'authentique couleur, puisqu'on m'affirme qu'ils sont d' « origine », mais je sais bien, par exemple, que la musique qu'ils jouent est accommodée au goût américain. En un mot, c'est encore du jazz... Le jazz, comme la muscade, est une épice dont il ne faudrait cependant point abuser. Les Américains en mettent partout, libre à eux ; mais pourquoi, alors, nous donner comme chants hawaïens d' « origine » des airs arrangés par leurs chefs d'orchestre sur des mouvements de fox-trot pour faire danser les filles et les garçons des Etats ? Voici des chanteurs canaques et des guitares hawaïennes ; les chanteurs sont habiles et les instrumentistes sont les meilleurs des îles : les uns et les autres, sans doute, savent les chants populaires qui ont bercé leur enfance, rythmé les danses de leur jeunesse, pleuré les morts de leurs villages. Et au lieu de ces airs que nous attendons, on nous donne des « arrangements » en forme de valse, de fox-trot, de « blues » et même (pour comble d'horreur !) chantés parfois avec des paroles anglaises ! Est-ce pour nous prouver qu'Honolulu est un faubourg de New York, à deux pas de Central Park ?
On retrouve dans ces chants — et c'est presque une consolation — des « effets » très semblables à ceux que nous connaissons déjà et qui ne sont en rien nègres ou américains (ce qui est musicalement synonyme). C'est encore l'Italie qu'évoquent ces voix chaudes, aux timbres caressants, c'est Naples et ses chansons. D'autres fois, les guitares sonnent d'une manière qui rappelle à s'y méprendre les balalaïki. Pourtant, on se demande si, dans cette musique, les titres ne sont pas les choses les plus nettement polynésiennes : Wahine u'i, Ma moku eha, Uluwehi o kaala, Na Lei o Hawaï...
Mais, sur une face de disque, je trouve Good Bye Hawai ; et sur une autre Havai, isle of happiness, waltz... Et je me demande, après tout, si Leilehua Ahula ce n'est point du slang, si ces mots n'appartiennent pas au jargon dérivé de l'anglais que l'on parle à Wall Street...
Voix des Antilles. — Odéon a publié quelques disques de « biguines » martiniquaises, exécutées par l'orchestre antillais, sous la direction de Stellio. Ce sont des chansons, ou plus exactement des saynètes populaires, Moussieu Satan fâché, Moussieu Dollar. Ces drames rapides montrent la ruse du débiteur évinçant le créancier, ou font apparaître l'humour indolent mais malicieux des noirs de la Martinique. La musique acidulée, où la percussion tient une bonne place, crée l'ambiance. Du jazz, cette musique possède la sûreté rythmique et le caractère acrobatique ; mais, pourtant, c'est bien autre chose. Elle est plus puérile — plus « bon enfant », devrais-je plutôt dire. Elle est exempte d'emphase et de suffisance. Elle ne vise qu'à nous amuser tout simplement, et c'est pour cela, sans doute, qu'elle y réussit sans peine.
Disques pour les enfants. — Il eût été parfaitement injuste que le phonographe restât un jouet à l'usage exclusif des grandes personnes. Malgré la fragilité des disques (il n'est pas mauvais d'apprendre aux petits à manier précautionneusement les objets dont ils attendent du plaisir), on a donc édité toute une série d'enregistrements à l'usage des enfants. Columbia a fait paraître les Chansons de Bob et Bobette et le Théâtre du Petit Monde. On sait quel effort PIERRE HUMBLE a fait pour son Théâtre du Petit Monde — efforts récompensés, car il réussit au delà des espérances les plus téméraires et jamais bravos plus éclatants n'ont encouragé une troupe que ceux dont retentit la salle Femina à chaque représentation du Petit Monde. C'est l'essentiel du répertoire que nous garde Columbia, avec des monologues (la mouche, Un défaut, etc.), des chœurs et des rondes (les Petits nains de la montagne, de Jaques-Dalcroze ; le Mariage du pinson, de G. Delabre, etc.), des chansons populaires (Mon père m'a donné un mari, le Roi Dagobert, etc.), interprétés par MM. Fernand Depas, G. Gabaroche, M. Coquillon, Mme Pierre Humble, Mlle W. Coudray, Mme M. Depas, MM. Abondance et Hilbert, le petit Kurt Berli, toute la troupe du Théâtre du Petit Monde.
Sur des paroles de René-Paul Groffe, sur une musique de Zimmermann, Bob et Bobette chantent ; Bob et Bobette, c'est-à-dire M. et Mme JEAN SORBIER, ou Mlle S. FEYROU et M. Sorbier. Leur répertoire est varié et toujours divertissant : Il était un beau navire, le Petit caneton, le Cœur du roi, la Bonne soupe aux choux, Pourquoi, Monsieur Guignol ? les Roses de mon rosier, Bonjour, Monsieur Printemps ! le Petit chemin de fer, le Jour et la nuit, Berceuse à Nounourse, Soldats de bois, soldats de plomb. La musique est charmante et fort bien exécutée par un orchestre que dirige M. ARMAND BERNARD. A ces disques publiés en recueils de trois et de six, on a joint un album contenant le texte et la musique des chansons — ce qui est un attrait de plus.
CHAPITRE VII
MUSIQUE DE DANSE
JAZZ ET CHANT ANGLAIS
En dépit de la tyrannie de la mode qui, encore, impose fox-trots et tangos, charleston et black-bottom, les violons s'accordent derrière le jazz et se préparent à reprendre les valses de jadis. Le phonographe déjà donne aux danseurs un choix de disques consacrés aux vieilles danses un moment démodées, mais depuis quelque temps remises en faveur. Il est donc sûr qu'un retour à ces aimables fredons n'est point une chimère, puisqu'une maison comme Gramophone l'affirme avec éclat en éditant une série de « danses de jadis et de naguère ». Eclat est même le mot qui convient exactement puisque c'est à un éclatant orchestre de bals champêtres que l'exécution de ces danses a été confiée.
Mais il y a orchestre de bal et orchestre de bal, comme il y a fagots et fagots, et celui de M. DIOT, pour champêtre qu'il soit, n'est pas le moins du monde rustique. Les instrumentistes qui le composent n'ont pas uniquement fréquenté les cours du soir à l'école du village. Ce sont des virtuoses et qui surmontent avec une remarquable aisance les difficultés qui se peuvent rencontrer dans leurs parties. Je parlais tout à l'heure des violons qui s'accordent : j'avais tort. Si la valse nous revient, escortée de la scottish, de la polka, du pas de quatre et de la mazurka, c'est moins les violons langoureux qui lui font cortège que les cuivres de Sax. Le cornet à pistons s'en donne à cœur-joie dans ses variations sur un rythme ternaire enfin retrouvé. Les coups de langue du virtuose lui vaudront des bis qui ne le fatigueront point, puisqu'il suffira de replacer l'aiguille au bord externe du disque pour obtenir un da capo. Et quels savants contretemps du saxhorn-baryton et du bugle ! Quelles magnifiques rentrées de la basse, quels accompagnements fondus, quels contre-chants nuancés ! Tout cet art périmé, et qu'on croyait si bien mort, ressuscite. Il fallait aller au cirque pour entendre ces choses au parfum désuet ; quand l'écuyère, tout de blanc vêtue, entrait en piste entre un double rang de palefreniers en livrée, quand M. Loyal, au milieu du cercle, la chambrière en mains, s'inclinait pour saluer le public après un tour particulièrement réussi, croyez-vous qu'un jazz aurait pu donner à ces gestes (d'Augustes) la solennité dont il les fallait entourer ? L'orchestre attaquait une de ces bonnes vieilles danses de naguère, et derrière leurs pupitres, cornets, bugles, barytons et basses enflaient les joues...
Est-ce une pure coïncidence qui fait retrouver ces danses au moment où le jazz décline ? Non, assurément. Faites tourner la Czarine, le Pas de Quatre, et vous comprendrez. La Czarine, de GANNE, que de souvenirs pour ceux qui ont le triste privilège d'avoir vu de leurs yeux les premières manifestations de l'alliance... Et le Pas de Quatre, qui, après les galops échevelés, après les tourbillonnements de la valse, semblait ramener je ne sais quelles grâces surannées du temps où l'on portait perruques poudrées... Pour le danser, les couples se suivaient, dessinant dans le salon une figure de ballet. Il y avait du charme dans tout cela, et c'est l'extrême opposition du caractère de ces musiques au caractère du jazz qui peut en assurer immédiatement le succès. La jeunesse n'aime-t-elle pas, avant toutes choses, la nouveauté ? Et quoi de plus nouveau pour elle que ces danses auxquelles s'ajoute encore cet attrait de la curiosité éveillée par ce qu'en ont pu dire les aînés ?
Gageons que plus d'une douairière, s'il est encore des dames qui consentent à n'être pas jeunes, sentira l'impérieux désir de se laisser entraîner dans le tourbillon de la valse retrouvée. Eglantine et Miralda, que Gramophone leur offre, sont bien capables de les y décider. Et Clématite, la polka où triomphe le piston, la Scottish des Clodoches, avec ses effets attendus de carillon, ses « temps piqués », ne sont pas moins amusantes. Quelle heureuse idée Gramophone a donc eue de faire revivre tout cela ! Mais en y réfléchissant je me demande avec un peu de mélancolie si tout ce que j'entends en écoutant ces choses se trouve bien dans la musique et si ce n'est point le cortège des souvenirs qui m'entoure et me cache la réalité. Tout de même, essayez...
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Il existe de nombreux enregistrements de danses exécutés par les orchestre de bals-musettes et d'accordéons. Bal-musette, quel joli mot, qui évoque les joueurs de cornemuse, juchés sur des tonneaux, et les couples tournant autour des musiciens ! Cela, c'est le passé, ou du moins, c'est une chose lointaine, et qui s'est réfugiée au fond des provinces, là où se conservent encore les usages du vieux temps et les traditions séculaires. Aujourd'hui, pour les citadins, le bal-musette c'est la salle embrumée par le tabac, où, sur le parquet poussiéreux, danse au son d'un petit orchestre ou d'un accordéon, quand ce n'est point au son d'un simple « phono », la jeunesse des faubourgs. Il y a ainsi dans les quartiers excentriques de Paris et de la banlieue des bals renommés : toute une rue de Grenelle en est remplie : chacun a bien sa clientèle propre, et qui ne fraie point avec la clientèle des bals rivaux. On se groupe entre « pays » : ici les Bretons s'assemblent et dansent au son du biniou ; plus loin, les Auvergnats, au son de la « cabrette », dansent à l’ « Ambassade d'Auvergne » ; plus loin encore, des Berrichons, des Normands... Et puis, aux « fortifs », ou près de ce qui fut autrefois l'enceinte fortifiée de Paris, des bals-musettes où l'on trouvait naguère des messieurs à casquette et des dames à foulard rouge, à jupes courtes et à chevelure en casque d'or ou d'ébène. En quelques disques, le phonographe permet de parcourir ces quartiers où l'on ne se risquait point volontiers : c'est commode et c'est puissamment suggestif. Par le son des instruments, l'atmosphère un peu canaille est aussitôt créée, et les airs sont dansants, leur rythme bien marqué semble irrésistible. Mais ce sont presque toujours des valses que vous trouverez, des « chaloupées », ondulantes comme la houle du large, à moins que ce ne soient des « javas » provocantes ou des danses régionales, bourrée d'Auvergne, bourrée berrichonne, farandoles provençales, — déjà signalées.
Certains accordéonistes, grâce au phonographe, sont devenus célèbres : Ainsi Henri MONBOISSE (Gramophone), Fredo GARDONI (Pathé), M. CAYLA et CARRARA (Gramophone), Emile VACHER (Odéon), FERRERO (Polydor), GELLIN et BORGSTRÖM, accordéonistes suédois (Polydor) ; beaucoup jouent en solistes, quelques-uns s'associent à un violoniste et à un banjo, d'autres se font accompagner par un petit orchestre, et c'est le cas de Ferrero, dont je veux particulièrement signaler quelques disques : la Java des Petits Cœurs (Vacher) et la Java au Beurre noir (Bozzi), accompagnés par l'orchestre Crayssac (enregistrement Polydor). Elles sont entraînantes au possible, et si bien évocatrices du bal de barrière que l'on croit positivement y être. Rien n'y manque, pas même, après le dernier accord, l'impérative invitation à solder les frais de la danse, proférée d'une voix grasseyante par le tenancier : « Et passons la monnaie ! »... On ne fait pas crédit de leur plaisir à ceux qui viennent de le prendre, mais il faut convenir que ni l'accordéon, ni l'orchestre n'ont ménagé leurs efforts pour le leur donner complet et prolongé. Ils n'ont point, comme les joueurs de jazz de casino, écourté la danse, attendant que le public batte des mains pour réclamer un supplément de quelques mesures, prolongeant le tournoiement des couples. Ils « en ont mis » tant qu'ils pouvaient, nuançant l'air canaille, le chargeant d' « intentions » que la mélodie, sans qu'il la faille trop solliciter, exprime à merveille. Ils semblaient infatigables, tout à l'heure, tandis qu'ils jouaient, et leur virtuosité, l'amplitude de leurs sons, remplissaient le disque comme s'ils avaient été nombreux, mais avec une légèreté, une transparence sonore qui font le charme des enregistrements parfaits.
Et c'est pourquoi, à côté du jazz et de l'orchestre de bal, l'accordéon doit garder la faveur des discophiles amateurs de danses. Il y a dans cette réduction de l'orgue une espèce de poésie mélancolique, une sorte de grâce très spéciale qui s'apparente à certaines pages des écrivains naturalistes. Huysmans eût aimé ces disques (et quelle place des Esseintes eût-il faite au phonographe s'il l'avait connu ?).
Le Jazz. — Vous traversez un village éloigné de toute agitation, un de ces délicieux petits villages où, vous semble-t-il, les rumeurs de la vie ne parviennent point qu'assourdies et tamisées, où les coutumes s'attardent à prolonger le passé, un de ces villages charmants où le paysage idyllique évoque les bergers et les bergères du bon vieux temps. Vous vous arrêtez séduit, et soudain, d'une maison aux volets clos, assoupie dans la chaleur méridienne, s'échappe un air de jazz. Vous croyez rêver. Mais non. Vous demeurez : au jazz succède un chant modulé de manière imprévue et accompagné de guitares hawaïennes. Vous êtes en France, cependant, et tout vous le rappelle : la couleur du ciel, les hêtres ou les pins, les tuiles moussues des toits, la forme des chaumières, et cette atmosphère qui, mieux encore que le cadre extérieur, vous indique que vous n'avez pas quitté le pays. Vous êtes en France, mais vous êtes aussi à mille lieues d'ici. Dans ce décor familier de Bretagne, de Guyenne ou de Lorraine, ont surgi cent images bariolées, comme si de cette porte close, au lieu de la paysanne endimanchée d'un bonnet plissé, une négresse nue était sortie...
C'est un problème déconcertant que cette vogue universelle du jazz et du chant anglais, de l'exotisme musical. Sans le phonographe, remarquons-le, elle eût été impossible. Autrefois, en effet, le refrain de la ville, la chanson à la mode, n'arrivaient que lentement, par étapes successives, au fond des campagnes. Une « scie », une rengaine, comme on disait, se propageaient évidemment, mais de bouche en bouche, d'oreille à oreille. Aujourd'hui, par la radiophonie et par le disque, c'est tout un peuple qui subit l'obsession au même instant. L'air à la mode pénètre chez nous par effraction. Nous le subissons de gré ou de force, et nous ne nous défendons pas. Comment nous défendrions-nous, d'ailleurs, devant de pareils moyens ?
Il nous captive par la puissance du rythme. Et c'est par là que s'explique l'extraordinaire rayonnement de son action.
Certes, il n'en impose point par ses grandes manières, par sa noblesse. Il s'adresse à nos instincts primitifs, réveille en nous toute sorte de sentiments obscurs et que la civilisation avait engourdis. Mais n'est-ce point le propre de l'allégresse que ce retour à un état de naïveté primitive, que cette résurrection, chez l'homme fait, chez le civilisé, d'une puérilité de bon aloi ? Ne dit-on pas « s'amuser comme des enfants » ? Qu'une musique possède cette puissance de nous rajeunir pour un moment, et aux heures de fatigue et d'ennui, ne l'entendrons-nous pas avec complaisance, — même si le raisonneur qui est en nous proteste et nous fait reproche de nous attarder à des plaisirs qui ne sont plus de notre âge ? Le tout est une question d'équilibre, et de conserver, bien entendu, l'amour des œuvres sérieuses et la compréhension des sujets plus élevés.
La vogue du jazz et du chant « afro-américain » a coïncidé, remarquons-le aussi, avec cette période d'après-guerre où tous les peuples se trouvaient dans un état de fatigue et d'ennui qui ne pousse point à trop raffiner sur la qualité des plaisirs souhaités. Et puis, depuis quelques lustres, l'Amérique semble si proche de l'Europe, qu'une curiosité toute naturelle nous induit à entendre ce qui met si fort en joie les gens de l'autre côté de l'Océan. Et c'est ce qui a fait, sans doute, le succès des « negro-spirituals », c'est ce qui explique que Ted Lewis, Jack Hylton ou les Revellers soient aussi populaires à Paris qu'a New York.
Mais les chanteurs, ceux que l'on devrait comprendre, semble-t-il, pour apprécier leur mérite, un Layton et un Johnstone, une Sophie Tucker, comment pouvons-nous les adopter, privés que nous sommes par l'ignorance de leur langue, du sens même de leur art ? — nous que nos goûts et nos mœurs semblent si bien éloigner de cette musique ?
Remarquons d'abord que, très souvent, le plus souvent même, le « chant anglais » que nous apporte le disque est du chant américain, ou même du chaut nègre. Dire que les Anglais eux-mêmes, j'entends ceux de la vieille Angleterre, comprennent toujours complètement ces « plantation songs » serait excessif. Il y a un « petit-nègre » anglo-américain, et plus étrange encore en ses simplifications que le « petit-nègre » français et le « sabir » d'Afrique. Langue adoucie, et comme amollie et fondue sous l'effet de la chaleur tropicale, et qui n'exige plus d'efforts pour prononcer les consonnes et les diphtongues, mais par cela même langue musicale, surtout quand elle est parlée par ces êtres si doués musicalement que sont les nègres.
A côté de la langue, le style des chanteurs nègres est un élément de leur supériorité dans ce genre qui leur est propre. Dans leur étude très complète sur le jazz, MM. Cœuroy et Schaeffner ont remarqué combien les voix lisses, glissantes et langoureuses des nègres savaient se fondre dans ces ensembles où l'oreille ne peut même plus discerner ce qui revient à chacun des chanteurs, tant la masse chorale est une et unie. Si jamais le mot unisson a pris tout son sens, c'est en écoutant des nègres qu'on le comprend.
Un autre trait dominant de cette musique est la syncope, et c'est son emploi qui est un élément essentiel du style nègre. Elle souligne le rythme sans jamais cesser de le respecter ; elle semble se jouer en le compliquant, en le brisant. Mais tous ces efforts pour le détruire ne sont que feintes, et au bout du compte, il n'en est que mieux marqué. Et c'est pourquoi cette musique est si monotone et fatigante lorsqu'elle n'est point de qualité. En dépit des efforts assourdissants des artistes, elle exaspère. Le perpétuel emploi des mesures binaires lui impose un faux air de pas redoublé. Sans doute aussi cette accentuation et cette simplicité de construction ont-elles contribué au succès du jazz et à la propagation du chant nègre : ils sont « dansants » et conviennent aux pas aujourd'hui à la mode, au contraire de notre chant traditionnel français aux rythmes impairs, à trois et même à cinq et sept temps. On aime les contrastes, et rien n'est plus loin de la chanson de Magali ou d'En revenant des Noces qu'Old man river...
Loin de chez nous, certes, mais il y a des analogies entre ces effets vocaux si bien utilisés par les nègres et l'art essentiellement français d'un Jannequin dans la Bataille de Marignan ou dans les Cris de Paris. Nos vieux auteurs du XVIe siècle, qui furent de très grands musiciens et que M. Henri Expert a si heureusement remis en honneur, n'ignoraient aucune des ressources de leur art, et ils ont manié la syncope avec une habileté qui nous étonne. Ils ont pris toutes ces libertés, osé toutes ces audaces qui nous semblent si nouvelles chez les nègres. Et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles leurs œuvres furent dédaignées des classiques à perruque : on ne les comprit plus et on les oublia. Singulière revanche si, par analogie autant que par contraste, le siècle du jazz les élit à nouveau...
Quoi qu'il en soit, voici plus de dix ans que le jazz et le chant anglais ont acquis droit de cité en Europe. Les étapes ont été rapides : la dernière fut sans doute la Revue Nègre, en 1925, qui révéla Joséphine Baker. Aujourd'hui cet art spécial a déjà ses classiques.
Les FISK JUBILEE SINGERS sont certainement au premier rang de ceux-là. Ces six hommes possèdent les voix les plus souples qui Be puissent entendre, des voix chaudes, étendues, de timbres purs. Ils sont artistes autant qu'on peut l'être, et pourtant, ils nous donnent la saine et loyale saveur du chant populaire, sans la moindre déformation ni la moindre adultération, mais seulement « mis au point » avec une impeccable perfection. Ils sont en effet les parfaits interprètes de ces « negro spirituals » que les fils des anciens esclaves de la Louisiane, de la Floride, du Texas et de la Géorgie répètent depuis des générations. Leurs pères, arrachés à l'Afrique par les négriers, furent — par compensation charitable — évangélisés. Au contact des blancs, ils apprirent à chanter des cantiques célébrant un Dieu de clémence et de bonté. Les Chorals de la Réforme s'adaptèrent au génie propre des noirs, en même temps que l'Ecriture elle-même subissait une déformation puérile, sans doute, mais pas autant éloignée de l'Esprit vivifiant que l'on serait tenté de le penser tout d'abord : que little David soit devenu nègre et qu'il représente un malheureux esclave martyrisé par « Mr. Goliath », trafiquant de « bois d'ébène » ou colon américain, ce n'est pas pour nous surprendre. Toujours les faibles et les opprimés demanderont aux légendes et à l'Histoire des exemples pour vaincre ou des raisons pour espérer.
Et parallèlement, la musique de ces Chorals se déforma, s'adaptant au génie nègre comme les récits de la Bible, comme la langue anglaise. Elle se plia aux syncopes, s'assouplit au rythme cadencé ou brisé que lui infligèrent les chanteurs pigmentés. Et il arriva de même que ces noirs, quand ils prirent en mains nos instruments à vent, en tirèrent des sons inattendus ; ils se plurent aux effets bouchés, aux glissandi singuliers. Et ils créèrent la « musique américaine ».
Le disque Columbia nous révèle l'essentiel de cette musique des Fisk Jubilee Singers en nous donnant bien ce qu'elle contient de tendresse et de naïveté, de malice et de satire. Et ce mélange, c'est l'âme nègre tout entière.
Paul WHITEMAN est une des vedettes du jazz, et à vrai dire, même, le jazz lui doit beaucoup : n'a-t-il pas imaginé d'écrire des partitions de jazz de la même manière que d'autres écrivent pour orchestre symphonique ? Idée simple, évidemment, mais que personne, avant Paul Whiteman, n'avait réalisée. Cristalliser la fantaisie n'est point sans péril : il y faut de la délicatesse. Paul Whiteman en a montré : avant lui, le jazz, c'était l'improvisation, la virtuosité individuelle — qualités que les nègres possèdent au plus haut point et qui, chez eux, s'accommodent d'une sorte de tacite discipline, mais qualités beaucoup plus rares chez le blanc, habitué depuis des générations à ne plus compter sur lui-même et à demander à la lecture le secours réclamé par sa mémoire. Son jazz se compose d'une trentaine de musiciens dont quatre pianistes. On a dit qu'il était une sorte de trait d'union entre l'orchestre classique et la musique américaine. Evidemment, ce n'est point chose aisée que de concilier la netteté de l'un et l'improvisation acrobatique de l'autre. Il convient de ne rien laisser au hasard et pourtant de conserver l'aspect spontané et tout de prime-saut ; un certain décousu, même, reste de mise. C'est au jazz que s'applique le précepte fameux : un beau désordre est un effet de l'art. Mais jamais désordre n'a été plus patiemment ordonné, plus minutieusement étudié dans ses moindres effets. Paul Whiteman est un musicien de race : son père était un chef d'orchestre réputé. Lui-même, après de solides études, fit partie d'un orchestre en qualité de trompette. Sa conception du jazz n'est point impromptue. Pour lui, cette musique exprime une forme caractéristique de la pensée américaine : « Notre pays, dit Whiteman, n'est pas la nation puérile que d'aucuns pensent. Derrière la trépidante activité de notre race se trouve cachée une vague inquiétude, une sorte de nostalgie, et comme une aspiration à quelque joie indéfinissable et secrète. Voilà ce qu'exprime la tendre plainte du jazz, par delà ses clameurs, ses rythmes déchaînés, et son dynamisme fébrile. » Tout est dans tout... Mais, sans métaphysique, il n'est pas difficile de trouver dans les disques de Whiteman (Columbia) beaucoup de qualités musicales : l'adaptateur de ces airs de jazz possède au plus haut point la science des timbres, et non pas seulement pour tirer de leur emploi des effets baroques et imprévus, mais pour opérer des combinaisons qui sont une mystérieuse chimie acoustique, donnant naissance à des sonorités neuves, émouvantes ou gaies tour à tour. Pareillement, il est maître ès-rythmes et sait comme personne donner aux voix de ses boys le rôle plaintif ou follement gai, en vue de l'effet qu'il lui plaît de créer.
TED LEWIS est Américain : si l'on en doutait, il suffirait de le voir et de l'entendre : il mime, chante, parle, joue de la clarinette et incarne, en vérité, la musique d'Outre-Atlantique. Il est le jazz fait homme ou l'homme fait jazz, et tout en lui semble créé en vue d'un emploi scénique. Car chez lui, aussi, la mise en scène tient une très grande place dans l'exécution des morceaux. Il est en smoking, mais coiffé d'un chapeau haut de forme bosselé et qui semble avoir été soigneusement brossé à contre-poils. Ainsi vêtu, il préside aux ébats d'instrumentistes habillés, à la russe, de blouses serrées à la taille et de culottes noires ; il commande et brandit une canne comme un tambour-major ; il a des gestes d'acrobate. Qu'est-ce que tout cela peut faire à la musique ? Rien. Et le disque, évidemment, ne nous en livre pas grand'chose. Mais pourtant nous percevons dans ces enregistrements toute la fantaisie qui anime ce chef et ses quinze hommes. Chacun d'eux connaît à fond les ressources de son instrument. Les trompettes, en particulier, excellent dans les sons bouchés. C'est Ted Lewis en personne qui se charge de la clarinette dans les soli et il en obtient des effets inattendus : dans Bugle call bag, on jurerait qu'il l'ait défiler un régiment écossais, hornpipes en tête. Quand il dit, sa voix traduit ses attitudes, et le phonographe nous le montre, car ses inflexions sont autant de gestes ; et c'est cela qui est surprenant : en l'écoutant, nous le voyons. La diction domine l'orchestre sans peine ; les paroles tombent exactement en mesure, mais comme si cela était tout naturel dans une déclamation qui ne se soucierait point de l'accompagnement. L'effort est si bien dissimulé par le travail, et la mise au point si parfaite qu'on ne le soupçonne plus et que le résultat parait tout simple. Les disques de Ted Lewis sont publiés par Columbia.
Jack HYLTON est un autre maître du jazz instrumental. « Jack Hylton and his boys », disent les programmes. Il y a, en effet, une étroite solidarité entre le chef et sa troupe d'instrumentistes-chanteurs. On n'imagine point qu'ils puissent se séparer. Ils donnent l'image d'une mécanique compliquée dont on ne saurait ôter un rouage sans la fausser ou sans en arrêter le fonctionnement. Ils sont une trentaine ; leur présentation est fantaisiste et met en œuvre des moyens qui font comprendre et la solidarité et l'indépendance de ces artistes : changements d'instruments, brusques sorties. Mais cette clownerie, sans l'apport avec la musique, le chef en tire parti dans l'interprétation des morceaux qu'il exécute. Sous cette drôlerie reste beaucoup de science (je n'en veux pour preuve que l'extraordinaire Melodious Memories, édité par Gramophone, comme tous les disques de Jack Hylton). Il excelle dans la parodie musicale : il donne à un thème, tour à tour, une interprétation « à la française », « à l'italienne », « à l'allemande », etc., et c'est irrésistible. Il emploie le refrain vocal avec une habileté extrême, confiant à un soliste (souvent à lui-même) l'air à chanter, ou bien à quelques-uns de ses boys qui, abandonnant leurs instruments, viennent sur le devant de la scène. Car la mimique tient toujours sa place dans ces interprétations de Jack Hylton. Mais chacun de ses boys est un virtuose. Au premier rang, il faut signaler son xylophoniste prodigieusement habile, ainsi qu'un saxophone, qui est un maître.
Les noms de WIENER et DOUCET sont inséparables, au point qu'il faut un effort de volonté pour prononcer le premier sans le faire suivre du second, ou pour parler de Doucet sans avoir nommé Wiener. Les deux artistes se complètent si bien, qu'à l'audition des disques enregistrés par eux (Columbia), n'était la prodigieuse variété des effets qu'ils obtiennent, on dirait vraiment qu'un seul homme, sur un seul instrument, a joué ces morceaux que le phonographe nous restitue. Mais fût-il quadrumane et jouât-il sur deux claviers à la fois, un seul pianiste ne parviendrait pas à faire entendre ce que Wiener et Doucet nous donnent et peut-être aussi n'obtiendrait-il pas le synchronisme que ces deux êtres arrivent à réaliser. Quand on les écoute, on en est surpris ; quand on les voit, on est émerveillé. Car c'est un spectacle étonnant que de les regarder, un spectacle sans décors, sans apprêt, sans la moindre pose : tout se passe le plus simplement du monde, et la mise en scène aussi bien que les accessoires sont réduits au strict indispensable : deux pianos. Avec cela, nous allons entendre un jazz, un vrai jazz. Comment ? Grâce à l'art des nuances et au don du rythme. C'est tout le secret. Faites tourner leurs disques et vous comprendrez. Seulement il faut savoir que ces deux pianistes possèdent une culture classique non seulement étendue, mais encore raffinée. Au gala Columbia, ils ont préludé à leurs morceaux de jazz par du Bach et leurs auditeurs en garderont longtemps le souvenir, car ce fut la perfection : sonorité, mécanisme, sûreté des traits, limpidité du jeu, style, tout concourait à donner à leur interprétation le caractère vraiment classique qui convient à cette sorte de chefs-d’œuvre.
Le compositeur G. GERSHWIN (auteur de la Rhapsody in blue, enregistrée chez Pathé ; d'un Concerto en fa, édité chez Columbia ; d'opérettes, comme Oh Kay, Lady be good, Tip Toes, etc., et qui, avec YOUMANS, auteur de No, no, Nanette, de Hit the deck(Halleluya), est le grand maître de la musique « américaine »), est aussi un pianiste de jazz remarquable, ainsi que le prouvent ses enregistrements Columbia. Auprès de lui, il convient de citer encore JACQUES FRAY et MARIO BRAGGIOTTI (disques Odéon et Gramophone), BILLY MAYERL (Columbia), GROSS et KAUFFMANN (sur deux pianos Bechstein, Polydor). Il existe même un enregistrement Polydor d'un jazz à quatre pianos Steinway, qui donne de la Valse de Faust une interprétation bien amusante...
Le chant anglais. — Quatre chanteurs et un pianiste, mais qui est lui-même un chanteur, non point qu'il fasse sa partie dans le chœur, mais parce que, comme si la contagion le gagnait, il complète de temps en temps les sonorités de son instrument par des sons à bouche fermée : tels sont les REVELLERS. Titre oblige : en anglais, reveller signifie ami de Bacchus, joyeux convive. Rien de plus irrésistiblement joyeux que les chants de cette équipe : ils respirent la gaîté, une gaîté pareille à celle qui suit un bon repas, quand la vie et le monde semblent dénués de méchanceté. Mais dans cet état d'euphorie, l'homme est volontiers sentimental. Bien entendu, les Revellers ont donc à côté de leur répertoire de liesse un répertoire sentimental. Ils sont experts en syncopes et autres ornements du style « jazzé ». La division syllabique scande le rythme de leurs chants ; des murmures à bouche fermée donnent un velouté étonnant à leurs pianos ; la basse descend dans le grave d'une manière qui rappelle les chanteurs russes, le ténor escalade les lignes supplémentaires sans effort apparent, et dans les ensembles tout se fond et se combine si doucement qu'on a peine à reconnaître un quatuor dans un si parfait unisson. Cet art est très parent du chant nègre. Mais les Revellers sont blancs. On le devine à ce calme qui, malgré tout, se laisse apercevoir dans leurs enregistrements. En dépit des « breaks » et des acrobaties rythmiques et mélodiques, les pièces qu'ils chantent conservent un je ne sais quoi de spécifiquement européen et l'on retrouve en eux l'art des minstrels. Dinah fut leur grand succès. Avec tous leurs autres disques, il est édité par Gramophone.
Il y a plus qu'une étroite parenté entre les cinq Revellers et les cinq SINGING SOPHOMORES. Ecoutez Show me the way to go home..., récit des aventures d'un ivrogne qui voudrait retrouver le chemin de sa maison, et vous rirez (Columbia). Chloe vous fera entendre des notes de la basse d'un splendide métal.
LAYTON et JOHNSTONE sont tous deux venus de New York, et c'est le phonographe qui les a rendus populaires. Incontestablement nègres, mais non point vraiment noirs, ils sont moins pigmentés qu'une française élégante au retour des bains de mer ; des cheveux blancs auréolent le visage de Johnstone. Turner Layton est le pianiste ; il est un peu plus massif que l'élégant Johnstone, ce qui ne l'empêche nullement de jouer en virtuose, sans recherche de l'effet, mais avec un art plein de finesse. Tous deux chantent et leurs voix aussitôt s'unissent ou s'opposent avec une saveur inattendue. Tantôt séparées, tantôt mêlées, ces voix nostalgiques et tendres, puissantes et pleines, nous disent la poésie du Nouveau-Monde ; et leur art nous fait comprendre ce que cette poésie doit à ses interprètes... Le père de Turner Layton était professeur de musique ; son fils nous montre que les leçons qu'il en reçut devaient être bonnes. Johnstone est docteur en médecine. Le disque a consacré l'heureuse association de ces deux hommes qu'unit un même amour de la musique, et porté aux quatre coins du monde les morceaux de leur répertoire, enregistré par Columbia. Leur succès fut si grand qu'on les voulut connaître de ce côté-ci de l'Atlantique, les voir, enfin, car il y a quelque chose d'irritant dans cette invisible présence révélée par la machine parlante. Nous voulons les visages des artistes aimés, comme les enfants veulent — sans réfléchir que nous risquons la désillusion. Layton et Johnstone ont passé l'Océan, débarqué en Europe, et, partout, ont connu des triomphes.
VAUGHN DE LEATH est une autre vedette du disque. Elle possède en effet la voix la plus merveilleusement phonogénique qu'on ait jamais enregistrée — une voix qui semble avoir été créée pour que les spires de laque des disques ajoutent le sortilège mécanique aux vivantes suavités de son timbre. Dans le grave, elle semble presque masculine, mais elle est chaude et douce, et quand la mélodie s'élève, elle devient plus légère, elle a des inflexions caressantes. Le disque tourne : c'est Ukulele Lady ; et voici que s'élève, après une dernière reprise de la nostalgique complainte, une étrange modulation vocale soutenue par le violon, une sorte de « tyrolienne », mais vraiment d'un autre hémisphère ; la voix et l'instrument se poursuivent, s'atteignent, se dépassent, s'élèvent, retombent en cascades sonores d'une limpidité et d'une douceur sans égales. Rarement, jamais même, le disque n'a traduit aussi bien le charme de la voix humaine joint à la vibration de la corde frémissant sous l'archet. Que tout ceci demeure un peu superficiel, peut-être, mais il est impossible de résister aux trilles éblouissants de cette sirène tropicale, et qui font songer à l'oiseau lançant ses appels amoureux dans la nuit chaude du printemps. Peu de disques ont connu un succès aussi persistant, aussi général que cette Ukulele Lady, de Columbia. Beaucoup de gens crurent Vaughn de Leath noire, ou tout au moins de sang mêlé, tant sa voix leur semblait d'une autre race. Retournez le disque, en effet : Banana Oil, sur l'autre face, vous révèle un aspect tout différent de l'artiste. Cette fois, la voici qui s'abandonne à la toute puissance du rythme. Pourtant, au milieu des syncopes du jazz, son art reste aussi mesuré, aussi discret. Sa voix est sans doute plus rauque, plus grasseyante (comme il convient pour l'argot). C'est que nous avons changé de site, abandonné les îles du Pacifique pour les Etats-Unis. Où sommes-nous ? Les stridences du sifflet l'amènent à la réalité, après ce voyage au pays de la fantaisie et du rêve, où nous a entraînés Vaughn de Leath.
Comme le nom de Dranem à ses Petits pois, comme le nom de Vaughn de Leath à son Ukulele Lady, le nom de SOPHIE TUCKER — du moins en France — reste associé au disque joyeux He's tall, dark and handsome (enregistrement Columbia). Sophie Tucker est une « vaudevillian ». Elle a chanté dans toutes les grandes villes d'Amérique. On l'a applaudie à Londres au Pavilion, car elle a créé un genre, et, à la vérité, elle y est incomparable : ses chansons dérideraient l'homme le plus morose. Essayez ; placez sous l'aiguille de votre phonographe He's tall… et vous ne résisterez point, vous rirez, si graves que soient vos soucis. Cela explique l'extraordinaire renom d'une actrice de langue anglaise — pardon, américaine — de ce côté-ci de l'Océan. Ses inflexions, son rire, l'espèce de bonhomie de sa voix suffisent à commenter un texte, que sa diction — j'allais dire sa mimique, car vraiment on la voit dès qu'elle parle — animent et traduisent assez clairement pour qu'il devienne accessible à tous. He's tall... est une saynète plutôt qu'une chanson. Sophie Tucker, ici, a un partenaire anonyme qui l'interroge. Elle vient de rencontrer un jeune homme, elle a reçu le coup de foudre, elle en est toquée, et si bien qu'elle ne peut plus rien dire qui ne se rapporte à l'objet de ses rêves, à ce grand brun, si beau... He's tall, dark and handsome, répond-elle à toutes les questions. Quelles sont ses occupations ? De quelle famille sort-il ? Est-il sérieux ? Qu'importe : il est grand, il est brun, il est beau. Et un rire de bonheur s'épanouit au souvenir de la rencontre, un rire qui fuse avec des gloussements de plaisir... La scène est discrètement accompagnée au piano ; elle est émaillée de locutions américaines, dites avec l'accent de là-bas : Sophie est une pure yankee ; elle a du feu, du tempérament ; elle est vulgaire quand il faut l'être, mais sans jamais trop appuyer. L'autre face du disque porte Virginia, et ici la voix de Sophie Tucker, plus éclatante, domine le jazz de Ted Shapiro, tire les meilleurs effets des oppositions du texte et de la musique. On trouve ses disques chez Columbia et chez Odéon.
Au-dessus du nom de JACK SMITH, sur les affiches des théâtres londoniens, on lit ces mots : The whispering barytone, le baryton chuchotant. En Angleterre, autant qu'en Amérique, sa patrie, Jack Smith attire la foule dans les théâtres où il chante, mais le phonographe a porté sa réputation en tous lieux, et propagé cette voix qui, pourtant, ne hausse jamais le ton. C'est le secret de Jack Smith, c'est tout son art, ce murmure discret et si bien perceptible. Tant d'autres forcent en vain leurs voix ! Lui, réduit la sienne, et l'on dirait qu'elle y gagne en netteté. Il est tout nuances, et c'est merveille comme il sait en user. Il est impossible de pousser plus loin la finesse de la diction, d'articuler avec une netteté plus grande. Non seulement les syllabes « sortent » avec le relief qu'elles exigent, mais les lettres elles-mêmes sont senties dans les mots avec leur exacte valeur. Et pourtant rien ne semble plus naturel et plus simple que cette prononciation rigoureuse de phonéticien, aussi exempte d'emphase que de rudesse. Sa clarté est faite de l'exacte, de la scrupuleuse proportion donnée à toutes les valeurs, d'une attentive observation des moindres nuances. C'est un art surprenant que cet équilibre. La voix donne l'impression d'une corde à violon, quand la sourdine est placée sur le chevalet, mais si la sonorité est modifiée, on dirait qu'elle gagne en netteté et en finesse ce qu'elle a perdu en force. Ecouter Jack Smith, c'est prendre une leçon d'articulation, et, par surcroît aussi, de temps en temps, une leçon de slang, de cet argot mystérieux et changeant : Oh ! golly ain she cute... Comment traduire ? « Oh ! zut ! ce qu'elle est épatante !... » Peut-être. Dans Blue Skies (les Nuages bleus), un des succès phonographiques de Jack Smith, il semble que le whispering barytone soit, en effet, à votre oreille et vous éprouvez même en l'écoutant, outre la sensation auditive, la sensation tactile du chuchotement, à laquelle la plupart des sourds eux-mêmes restent sensibles. Et voilà peut-être le secret de Jack Smith, ce secret qui lui permet de dire, comme en confidence, le second couplet d'une chanson dont il n'a guère plus fort chanté le premier. Il a enregistré pour Gramophone, dont il est une des grandes vedettes, une quantité de disques. Il est souvent accompagné — et remarquablement — par le whispering orchestra. Et c'est fort bien : que deviendrait-il s'il chantait avec un accompagnement d'orchestre vériste à la Leoncavallo ?
Il me faudrait encore citer et même commenter bien des enregistrements de jazz et de chant anglais. Mais la place m'est mesurée et je dois me borner à mentionner RAY VENTURA (Odéon) : il a prouvé qu'un jeune musicien français pouvait rivaliser d'entrain et d'habileté avec les meilleurs chefs de jazz américains. Je citerai encore les disques remarquables de PAUL GODWIN et de BEN BERLIN, les fox-trots des BILLY BARTHOLOMEW'S DELPHINIANO, du René DUMONT'S JAZZ, du SYNCOP'S ORCHESTRA, d'ARTHUR BRIGGS (Polydor) ; de CLIFF EDWARDS, UKULELE IKE, des DEBROY SOMMERS (Columbia) ; de SAM WOODING, de LUD GLUSKIN, de SAM LANIN (Pathé) ; du JAZZ DU MOULIN-ROUGE, de GEORGE OLSEN (Gramophone).
***
Orchestres sud-américains. — Le jazz et le chant anglais, si grand qu'ait été leur succès, ont dû pactiser avec le chant sud-américain et les orchestres spécialistes de tangos. Parmi ceux-ci, mention toute spéciale doit être faite de Carlos Gardel, et de ses trois guitaristes. La voix de CARLOS GARDEL est très douce, avec des inflexions prenantes et chaudes ; et la musique est toute semblable à l'image que nous nous faisons, en Europe, de ce beau pays d'Argentine, de la vie dans les solitudes, parmi d'immenses troupeaux — vie pastorale, si séduisante de loin ! L'amour, la passion y tiennent une grande place, espérances et regrets, plutôt que joies satisfaites. L'origine espagnole de ces chants est manifeste ; mais, là-bas, la nature est plus exubérante, la vie plus libre, l'argent plus facile que dans notre vieille Europe. Ces chants nous apportent, par bouffées, la chaude atmosphère des cabarets de Buenos-Aires, l'accent encanaillé de la Bocca, le quartier du port de la capitale, — et puis, au-dessus de tout cela, le souffle large et purifiant des vastes plaines, pays des gauchos. Le film a popularisé le gaucho. Carlos Gardel est l'image poétisée du gaucho, l'incarnation pour gens du monde ; mais il y a néanmoins dans son art quelque chose de direct et de profond qui émeut — et cela n'est pas un artifice. A certains moments, toute mise en scène disparaît devant la sincérité de ce chant. La voix, même, change de timbre, le grave prend une sonorité pleine ; la respiration est presque haletante. Et de tout cela, Carlos Gardel tire des effets fort réussis, mais il a le bon goût de n'en pas abuser. Remarquez la manière dont il termine ses morceaux : presque toujours vous percevrez dans ses cadences une sorte de sanglot retenu, par pudeur, niais deviné quand même, et que l'accord des guitares voile aussitôt. Ecoutez ces tangos cancions, enregistrés par Odéon : la voix est extrêmement phonogénique et l'accompagnement de guitares est excellent. Et, pour des disques de danse, c'est encore une qualité qui n'est pas à négliger, ils sont bien rythmés et merveilleusement dansants.
L'orchestre de JOSÉ M. LUCCHESI est non moins fameux. Il a enregistré pour Gramophone et pour Columbia quelques-uns des meilleurs tangos que l'on puisse entendre au phonographe. Dans un paso doble, comme Amarantina, ou dans un tango, comme Solita, J. M. Lucchesi se révèle compositeur de talent, possédant la science des rythmes et sachant nuancer ses airs de danse d'une teinte mélancolique de bon aloi qui en double le charme. Il y réussit sans efforts, sans aucun de ces moyens un peu gros et trop connus dont la recette est facile. C'est un double agrément que l'on peut attendre de ses disques, puisque ceux qui ne dansent pas y prennent aussi plaisir.
Pas plus que je n'ai pu citer, tout à l'heure, tous les jazz, même les plus connus, je ne puis énumérer ici tous les orchestres « argentins » : il y faudrait autant de pages que j'en ai pu consacrer à la musique symphonique. La vogue du tango a précédé celle du fox-trot, et la musique nord-américaine ne l'a point détrônée. Je me bornerai, en déplorant l'injustice qu'il y a à passer sous silence tant d'autres bons enregistrements, à indiquer ceux de l'orchestre BIANCO-BACHICHA, pour Columbia et Odéon, et à signaler la belle voix pathétique de J. RAGGI, le soliste de cette troupe ; pour Columbia, l'orchestre TANO GENARO, avec le chanteur Urquiri, les orchestres JACINTO GUERREO, MANUEL PIZARRO et SALVADOR PIZARRO ont exécuté de très bons tangos ; pour Odéon, l'orchestre CANARO, aux très nombreux disques, les orchestres FIRPO, FRESEDO et MAGLIO ; pour Polydor, le VALENTINO COMERO tango orquesta, le MARIMBA ORIGINAL EXCELSIOR GUATEMALA...
Les vedettes du disque
1. René Benedetti, Georges Thill, A.-M. Gugliemetti, Germaine Féraldy, Lucien Fugère, Yvonne Gall, le Quatuor Capet, le Quatuor Kédroff
2. Gabriel Pierné, Philippe Gaubert, Albert Wolff, Walther Straram
3. François Rühlmann, Ninon Vallin, Edmée Favart, Lucien Muratore
4. Francis Poulenc, Igor Stravinsky, Edouard Commette, Joseph Szigeti, Willem Mengelberg, Pierre Dupont, Darius Milhaud, Francis Planté
5. Désiré-Emile Inghelbrecht, Enrico Di Mazzei, Bach, Jean Aquistapace
6. Lucienne Radisse, Bétove, Gustave Cloëz, Roger Monteaux, Emma Luart
7. Raquel Meller, Mistinguett, Sim-Viva, la Argentina
8. Théâtre de la Chauve-Souris, Paul Whiteman et son orchestre, Wiener et Doucet, Chœur des Cosaques du Don, Ukulele Ike, Ted Lewis et son jazz, Layton et Johnstone
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