L'ENREGISTREMENT, LA FABRICATION ET LA DIFFUSION DES DISQUES
Le service artistique qui existe dans chaque firme d'édition phonographique est l'âme du disque. C'est à lui que revient la lourde tâche de choisir et de diriger les enregistrements. Parallèlement au souci d'éditer des succès, ce service a le devoir de guider les goûts de sa clientèle. Pour atteindre ce but, il dispose de plusieurs moyens : faire interpréter par des artistes appréciés des discophiles les œuvres inconnues du grand public, et, inversement, confier à des artistes encore ignorés les ouvrages d'auteurs célèbres.
Quand il est possible de réunir titre, compositeur et artiste « vedette », la réussite est certaine ; en revanche, unir un interprète inconnu à une œuvre ignorée du public, c'est l'échec plus que probable, quelle que soit la valeur artistique de l'ensemble. On comprendra donc aisément l'importance du rôle du directeur artistique, qui doit savoir démêler, parmi d'innombrables suggestions de création et d'interprétation, celles qui sont susceptibles de servir la cause de la grande musique. Il lui faut également savoir guider les artistes vers les œuvres convenant le mieux à leur talent, tâche souvent peu aisée à réaliser, et tenir compte du goût du public.
La valeur artistique et l'excellence de la fabrication sont, sans contredit, des moyens certains de diffusion, mais combien plus efficaces sont les émissions radiophoniques, les publications spécialisées : cahiers du disque, suppléments mensuels qui tiennent périodiquement le public au courant des nouveautés. On doit également accorder une valeur spéciale de propagande aux grands prix du disque.
Le studio. — Le studio doit avoir un cubage minimum proportionnel au nombre d'exécutants : 4m3 par musicien est une moyenne satisfaisante. Il ne doit pas être trop sonore : pour cela, on tend sur les murs de grandes bandes de caoutchouc mousse et de papier, ou bien on les enduit d'un revêtement granuleux et insonore. La grande difficulté est d'étouffer la sonorité des cuivres en laissant toute l'aération possible autour des instruments à cordes. C'est vers un compromis entre ces deux solutions que l'on dirige les recherches. La température ambiante joue également un rôle dans la qualité acoumétrique d'un studio. Tout ce qui est métallique (lustres, chaises, pupitres, etc.) doit être banni d'un studio en raison des possibilités de vibration.
La prise de son. — C'est dans l'équilibre entre les masses sonores que réside la principale difficulté de la prise de son. L'ingénieur chargé de ce travail a généralement plusieurs microphones à sa disposition, qu'il s'agit de placer convenablement.
Le son provenant des instruments est capté par le microphone le plus proche (plus la source sonore est près de ce microphone, plus son timbre a de précision et de sécheresse). Chaque microphone est branché sur un amplificateur de puissance réglable, ce qui permet de doser et d'équilibrer les divers groupes d'instruments. Les inconvénients les plus difficiles à combattre sont les interférences entre les différents microphones. En effet, dans l'enregistrement d'un orchestre symphonique, la puissance de son des cuivres (cors, trompettes, trombones) est telle que souvent tous les autres microphones la captent au détriment des groupes d'instruments à cordes et des bois (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons), qui disparaissent. Ce phénomène se produit d'ailleurs également au concert. En revanche, la courbe de puissance minimum et maximum de la reproduction est assez loin encore de celle d'un orchestre, ce qui peut entraîner une légère modification des nuances.
C'est le chef d'orchestre qui règle celles-ci, car (et c'est ce qui se fait malheureusement parfois dans les enregistrements radiophoniques) si l'on diminue la puissance générale depuis la cabine d'enregistrement, l'équilibre sonore entre les différents microphones se trouve détruit et le relief disparaît.
L'enregistrement des chanteurs avec accompagnement d'orchestre s'effectue de la même façon, l'équilibre entre le chant et l'orchestre étant réalisé depuis la cabine. La distance entre l'artiste et le microphone a une importance capitale ; il faut la proportionner à sa puissance vocale.
Pour la musique de chambre, on utilise un seul microphone s'il s'agit d'un ensemble formé par un groupe d'instruments du même timbre (quatuor à cordes, quintette à vent), mais si l'on adjoint un piano à ce groupe, il faut un deuxième microphone. Il en est de même pour les instruments solistes ou pour les chanteurs accompagnés au piano. Dans ce cas, une distance d'au moins 5 mètres est laissée entre les deux microphones, afin de les isoler l'un de l'autre (ce qui ne facilite pas le travail déjà délicat de l'accompagnateur). L'angle de prise de son a aussi une grande importance.
Dans les enregistrements sur disque, on procède à un réglage très minutieux pendant la répétition. Si ce réglage est parfait, rien ne doit être modifié pendant la gravure. La cadence de travail est d'environ une face par heure, une fois l'équilibre sonore mis au point.
Un silence rigoureux doit être observé pendant la gravure ; le moindre bruit étranger oblige à recommencer.
Presse hydraulique à disques. 1. Matrices ; 2. Matière plastique ; 3. Piles d'étiquettes. [photo Pathé-Marconi]
L'enregistrement. — La technique de l'enregistrement est une chose extrêmement complexe. Beaucoup de facteurs entrent en jeu. Le système technique comprend : un appareil enregistreur actionné par un moteur à contrepoids muni d'un régulateur de vitesse très précis. En effet, la moindre variation de vitesse se traduirait par des oscillations de son du plus désastreux effet.
L'enregistrement s'effectue sur une cire spéciale dont la planéité doit être absolue. La température de cette cire doit être rigoureusement égale sur toute sa surface et atteindre exactement 28 degrés centigrades ; plus froide, elle risque de faire brouter le graveur au fond du sillon, ce qui provoque à l'audition un sifflement prononcé ; plus chaude, elle provoque un coulage des bords du sillon, d'où arrachement de ces bords lors du développement. Ce phénomène amène parfois la distorsion de certains timbres. Les vibrations recueillies par les microphones et amplifiées sont transmises à un graveur dont la pointe est constituée par un saphir qui, judicieusement taillé et équilibré, doit tracer les sillons sur la cire vierge, ceux-ci étant plus ou moins profonds et larges selon l'amplitude de la modulation. Le système mécanique supportant le graveur se déplace lentement du bord vers le centre de la cire au moyen d'un arbre fileté. Le plateau portant la cire tournant à une vitesse constante, c'est le temps que met le graveur à couvrir la cire qui est réglé selon la durée de l'œuvre à enregistrer. Il est évident que plus les sillons sont rapprochés, plus ils risquent de se chevaucher dans les passages forte, et plus l'usure du futur disque sera rapide.
Les cires étant gravées, il est impossible de les écouter sans risque de les détruire. Si l'on désire effectuer un contrôle rigoureux de ce qui a été enregistré, on grave simultanément avec la cire un disque témoin composé d'une plaque en tôle mince d'aluminium sur laquelle a été coulée une laque spéciale. La gravure s'effectue avec le même procédé, le saphir étant seulement remplacé par un burin en acier et l'ensemble de l'appareil conçu avec une moins grande précision. Les résultats obtenus sur la cire et sur le disque témoin provenant de la même modulation sont donc absolument identiques. La qualité du son est toutefois plus fine sur la cire que sur le témoin ; celui-ci peut être écouté immédiatement, mais sa qualité est précaire et, après quelques auditions, il est hors d'usage.
Les principaux types de disques. — Les disques édités depuis plusieurs années tournent à la vitesse de 78 tours à la minute. Ils sont fabriqués en deux dimensions : 25 centimètres de diamètre pour les œuvres ou fractions d'œuvre d'une durée comprise entre 2 et 3 minutes ; 30 centimètres pour celles d'une durée de 3 à 4 minutes 20.
Un autre procédé, le « microsillon », commence à se vulgariser à l'étranger. Les disques édités avec ce système tournent à la vitesse de 33 tours 33 à la minute, et leurs sillons sont environ trois fois plus serrés que ceux des disques tournant à 78 tours. La durée d'audition avec ces disques, qui sont de la même dimension que les autres, se trouve, en conséquence, portée au-delà de 20 minutes.
Cette solution a de nombreux adeptes en ce qui concerne la musique classique, du fait que, à qualité égale, une symphonie peut être complète sur les deux faces d'un disque ; pour les variétés, le microsillon semble moins intéressant en raison du nombre d'œuvres que l'on est alors obligé de mettre sur chaque disque. Ajoutons, sans parler de l'achat ou d'une éventuelle transformation des appareils actuels, que le remplacement des disques « 78 tours » par ceux de « 33 tours 33 » est une œuvre de longue haleine. Les constructeurs d'appareils orientent leurs recherches vers des tourne-disques à deux vitesses (78 /33,33) presque tous les disques existant en 33 tours 33 sont des reproductions d'enregistrements faits sur des 78 tours.
La fabrication. — La cire enregistrée subit d'abord un premier « développement » qui consiste en un microscopique dépôt d'or fin sur toute sa surface. Quelques décigrammes suffisent à couvrir une cire de 30 cm. Ce dépôt est effectué sous cloche à vide par un procédé de bombardement cathodique. On renforce la légère couche d'or par une couche épaisse de cuivre déposée par galvanoplastie et on décolle la cire, qui est désormais inutilisable. C'est alors que risque de se produire l'arrachement des sillons, si la cire était trop chaude au moment où l'on a effectué la gravure.
L'empreinte faite par le dépôt galvanoplastique donne un négatif dont les sillons sont en relief et qui est appelé « original » ou « père ». De cet original, on tire, toujours par galvanoplastie, un positif appelé « mère » semblable à la cire, mais qui ne se détériorera pas lors des nouveaux tirages. Les tirages galvanoplastiques effectués d'après cette « mère » constituent les « matrices de pressage », auxquelles on fait aussi subir un certain nombre d'opérations.
D'abord, on nickelle et on chrome la matrice pour lui donner le maximum de résistance au pressage. Il faut ensuite la polir, percer le trou central qui servira à centrer le disque sur les tourne-disques ; enfin, étamer la face lisse de la matrice et la souder à un support en cuivre nommé « flan » qui doublera son épaisseur et accentuera sa rigidité. L'épaisseur des matrices soudées à leurs flans n'excède pas 4 mm, ce qui fait comprendre les précautions que l'on doit prendre à tous les stades de la fabrication.
Il y a deux façons de procéder pour faire des disques. La première consiste à couler une pâte de matière plastique de bonne qualité que l'on ramollit à la chaleur au moment du pressage. La deuxième (employée par les I. M. E. Pathé-Marconi) consiste en un support en matière volontairement assez grossière, mais très résistante, et d'un disque de papier mince sur lequel est pulvérisée une micro-poudre d'ardoise d'excellente qualité.
Vue d'ensemble d'un appareil enregistreur de disques : 1. Moteur à contrepoids ; 2. Microscope pour l'examen des sillons ; 3. Cire tournant sur son plateau ; Graveur sur son support. [photo Deval, avec l'autorisation des I. M. E. Pathé-Marconi]
Le cliché (ci-dessus) nous montre une presse hydraulique d'une force de 100 tonnes ouverte ; on remarque en 1 les deux matrices placées dans chaque moule ; en 2, les rectangles de matière plastique sur une table chauffante ; en 3, les piles d'étiquettes. L'ouvrier place sur le moule horizontal : 1° une étiquette face en dessous ; 2° un papier imprégné de micro-poudre face en dessous ; 3° le rectangle de la matière qui formera le support ; 4° une autre feuille de papier-poudre face en dessus ; 5° une étiquette face en dessus. Il ferme la presse, la fait coulisser jusqu'à sa place et attend. Les deux moules chauffent. La matière, déjà ramollie, coule sur tout le plateau. La presse entre en action. Le disque est imprimé. Une circulation d'eau froide envahit les deux moules. Le disque durcit en se refroidissant. L'ouvrier tire alors sur le moule, l'ouvre, sort son disque et recommence, chaque cycle durant environ deux minutes. Après ébarbage de l'excédent de matière, le disque est nettoyé, poli et adouci sur son épaisseur. Un contrôle rigoureux est effectué tout au long de la fabrication.
Le premier pressage consiste en quelques exemplaires qui sont expédiés au service artistique, qui décide, après audition, d'accepter ou de refuser la sortie du disque. Si celle-ci est refusée, tous les travaux sont à recommencer et ce qui a été fait est détruit.
Dans le cas où le disque est reconnu bon, on effectue un pressage de plusieurs centaines ou milliers de disques semblables qui, après leur inscription à un supplément, iront par petits groupes chez les revendeurs.
Le problème financier. — Les difficultés artistiques et techniques ne sont pas les seules avec lesquelles une firme d'édition de disques doit compter. Il y a aussi un problème financier.
Prenons l'exemple d'un enregistrement de musique symphonique moderne. Les frais artistiques étant considérables, la vente d'au moins trois mille disques est nécessaire à leur amortissement. Celle-ci n'est pas toujours atteinte, même après plusieurs années, les discophiles, comme le public des grands concerts, étant plutôt réticents aux nouveautés musicales.
Les enregistrements de musique symphonique classique sont dégagés du paiement des droits d'auteur (8 p. 100 du prix de vente des disques), leur vente, sans être considérable, est très régulière et peut durer de nombreuses années. C'est l'amélioration de la qualité technique qui incite les directions artistiques à renouveler périodiquement les œuvres de cette catégorie. Il faut donc, pour équilibrer le budget, avoir un nombre d'œuvres classiques suffisant pour permettre la production de musique contemporaine indispensable au rayonnement de notre grande école française. Les disques de variétés font leur carrière en un temps beaucoup plus réduit : six mois à un an. Exploités avec des moyens publicitaires considérables, certains d'entre eux atteignent et dépassent les cent mille exemplaires en ce laps de temps. Le bénéfice ainsi réalisé sert, en grande partie, à combler le déficit des autres disques, car, la production étant énorme, le déchet est assez important.
(René Challan, Larousse Mensuel Illustré, mars 1950)