VALENTIN-LE-DÉSOSSÉ

 

 

 

Edme Étienne Jules RENAUDIN dit VALENTIN-LE-DÉSOSSÉ

 

danseur français

(Paris 1er, 28 février 1843 Sceaux, Seine [auj. Hauts-de-Seine], 04 mars 1907*), enterré au cimetière de Sceaux.

 

 

Fils d’avocat originaire de Sceaux, ce « curieux personnage » tenait à ses débuts, le jour, un débit de vins, rue Coquillière, à deux pas des Halles. Après l’expropriation de sa boutique, il fit du recouvrement pour son frère notaire, puis vécut de la location d’appartements situés dans l’avenue de La Motte-Picquet. Danseur passionné, Valentin-l’homme-serpent se produisait pour son plaisir au Tivoli-Vauxhall, puis devint maître de ballet au Valentino, au bal Mabille, à l’Elysée-Montmartre, et devint le partenaire de la Goulue au Moulin-Rouge, où il remporta d’immenses succès. C’était également un cavalier enthousiaste que Toulouse-Lautrec rencontrait souvent, de bon matin, au Bois de Boulogne ; le peintre a immortalisé sa silhouette maigre dans de célèbres affiches. Yvette Guilbert disait qu’il semblait s’habiller au « décrochez-moi-ça » des faubourgs : il était vêtu d’une éternelle redingote noire et d’un pantalon jaune, coiffé d’un haut-de-forme cabossé et luisant. L’agilité et la précision des mouvements de ses jambes et de ses bras, élastiques comme du caoutchouc, faisaient merveille. En 1895, il quitte le Moulin-Rouge et l’on perd sa trace.

 

 

 

Valentin-le-désossé

 

Comédie en quatre actes et cinq tableaux de Claude-André Puget, représentée pour la première fois au théâtre Michel, le 21 octobre 1932.

 

La petite histoire de Paris comprend des célébrités sur lesquelles nous avons peu de détails biographiques. Elles appartiennent à l'histoire des mœurs et reposent sur des personnages épisodiques auxquels les nuits parisiennes ont apporté parfois leur rayon. La réputation de « Valentin-le-désossé », qui fit partie, avec « la Goulue » et « Grille d'égout », du fameux quadrille du Moulin-Rouge, est de celles-là. De vieux Parisiens se rappellent encore l'avoir connu et en parlent dans leurs souvenirs ; Toulouse-Lautrec a peint et dessiné sa haute silhouette dégingandée sous les lumières de la salle de bal. Or, que sait-on de lui ? Peu de chose. Qu'il n'était pas un danseur professionnel, qu'il fit vaillamment la guerre de 1870, qu'il était saute-ruisseau chez un notaire de Sceaux. Ce personnage à double état-civil, en conséquence assez mystérieux, consacrant ses journées à la basoche et ses nuits à la danse — et à quelle danse ! — forme un type savoureux et devait tenter un conteur ou un auteur dramatique. La marge de l'inconnu offrait une marge à la poésie, le cadre de l'aventure promettait un décor pittoresque. On comprend que Claude-André Puget, qui avait montré pour ses débuts, dans la Ligne de cœur, une imagination de la meilleure qualité, se soit laissé tenter par ce sujet.

A vrai dire, le théâtre comporte des servitudes dont il faut toujours tenir compte. Le personnage choisi, cette fois-ci, exigeait un appareil théâtral assez important et de la part de l'interprète une connaissance de la danse qui n'est pas toujours familière à nos jeunes premiers. Claude-André Puget a bien senti ces difficultés et il a limité l'aventure de sa pièce à la peinture d'un milieu bourgeois à la fin de l'Empire et au commencement de la seconde République, en écartant presque complètement l'élément pittoresque : c'est-à-dire le Moulin-Rouge où Valentin-le-désossé a trouvé sa réputation.

Que voyons-nous, en effet, lorsque le rideau se lève ? Le bureau d'une étude provinciale, en 1869. Le notaire, Renaudot, est un brave homme rubicond, ventru, et qui se console de la monotonie de son ouvrage, des bavardages de sa femme et de la sécheresse de sa fille, en courant les routes sur un énorme bicycle, en s'accordant quelques fredaines et en se remettant des soins de son étude à son principal clerc, Valentin, son neveu et employé très ponctuel. L'atmosphère est assez bien rendue, avec le portrait de l'empereur au mur, les cartonniers d'acajou, les lampes à pétrole, les robes de soie, les façons prolixes et tumultueuses de Mme Renaudot, les cheveux tirés et les mines pudiques de Mlle Lucie, sa fille. Le brave maître Renaudot souhaiterait bien que Valentin épousât Lucie et lui succédât. Les deux cousins, parfois, se rencontrent et l'on sent à les voir ensemble que la nature quelque peu rêveuse de Valentin s'accommode mal des propos distants et secs de Lucie. C'est qu'à vrai dire quelque chose d'autre occupe sa vie : sa vie, c'est-à-dire ses nuits. Le soir venu, il va danser au bal de la « Reine Blanche » où il retrouve la jeune Mirabelle ; petite enfant bohème, pleine de grâce et qui, dans ce milieu dégradé, a su conserver une vive fraîcheur d'âme. Valentin aime Mirabelle ; Mirabelle aime Valentin : ils se le prouvent en dansant ensemble et mieux encore sans doute. La vie pourrait se poursuivre ainsi, Valentin allant au bal comme il va à son bureau, mais une lettre anonyme prévient la famille Renaudot et voilà le père, la mère et la fille débarquant un beau soir à la « Reine Blanche » et y surprenant le premier clerc dans ses exercices de danseur. Scandale...

Le scandale a rompu momentanément les fiançailles. Valentin vit avec Mirabelle à la campagne, dans une petite maison, et leurs amours paraissent si charmantes que l'excellent Renaudot les bénit en quelque sorte et soumet à son neveu une proposition qui n'a pas grand'chose à voir avec la morale. Que n'épouse-t-il sa fille ? Il souhaiterait tant l'avoir pour gendre et successeur ! Certes, il y a Mirabelle. Mais qui l'empêchera de voir Mirabelle ? Lui-même, Renaudot, fut-il toujours un mari fidèle ? Et le voilà qui presse son neveu de revenir au bercail. Mirabelle, qui est bien fine et à laquelle l'amour a donné de l'intuition, comprend vite que son amant se détournera bientôt d'elle, et elle préfère prévenir cette rupture en lui rendant tout de suite sa liberté. Elle s'en ira donc après quelques touchants adieux. Claude-André Puget a écrit là une scène dans le ton des estampes du second Empire : une réplique un peu rose de la Dame aux camélias. Peut-être le pastiche n'est-il pas apparu assez nettement pour que nous y puissions prendre un plaisir de reconstitution...

Vingt ans ont passé et nous sommes en 1889. Le portrait du président Carnot remplace celui de l'empereur ; Mme Renaudot est devenue veuve, mais est demeurée toujours aussi pétulante ; sa fille Lucie a épousé Valentin et offre les apparences d'une compagne aigre et autoritaire. Le malheureux garçon semble mener une existence fermée, monotone, d'où sont définitivement bannies les rêveries de sa jeunesse. Or, un après-midi où il travaille dans son bureau se présente une petite personne aux mèches aguichantes, au débit astucieux et tout à fait sans façon. Elle vient consulter maître Valentin au sujet d'une mésaventure qu'elle a eue dans son métier, c'est-à-dire au bal du Moulin-Rouge. Comme il n'y a pas d'avocat à Sceaux, où elle habite, elle s'est adressée au notaire. Voici ce dont il retourne : un soir qu'elle dansait et qu'elle levait bien haut la jambe, son jupon s'est retroussé, son pantalon s'est fendu et elle a fait scandale. On lui a dressé procès-verbal. Elle voudrait bien « arranger » la chose. Valentin, qui a des relations à Paris, promet d'intercéder et voilà Marinette au comble de la reconnaissance, et prompte aux effusions. Valentin la regarde. Il semble que c'est sa jeunesse qui vient soudain d'apparaître pour lui rappeler les heures heureuses. Les vingt ans de Marinette ressemblent à s'y méprendre aux vingt ans de Mirabelle. Il parle de son passé, raconte ses frasques et ses succès de la « Reine Blanche », montre de vieux portraits et Marinette surprise, puis convaincue et devenue familière, tâche de persuader ce « collègue » qui a mal tourné de reprendre ses exploits. Elle met beaucoup de conviction et d'accent entraînant dans ce qu'elle dit ; elle peint le « Moulin-Rouge » nouvellement ouvert comme un lieu de délices, et ses camarades comme de charmants compagnons. Il n'en faut pas davantage pour arracher Valentin à ce bureau et à cette compagnie ennuyeux. Il met un grand chapeau, passe un casaquin, et on le verra en un dernier tableau muet prendre la pose au Moulin-Rouge dans le quadrille qu'il a rendu fameux.

La pièce de Claude-André Puget manque peut-être de l'atmosphère réaliste dont son principal personnage était entouré dans notre mémoire et dans l'histoire anecdotique de Paris. Il a interprété dans le sens d'une aventure sentimentale et bourgeoise l'existence inconnue de Valentin-le-désossé. Une légère déception s'ensuit ; mais on reconnaît en revanche à de nombreuses scènes les qualités de sensibilité et de romanesque que l'on avait applaudies dans la Ligne de cœur.

 

Interprètes à la création : MM. Pierre Fresnay (Valentin-le-désossé), Paul Lluis (M. Renaudot) ; Mmes Jeanne Cheirel (Mme Renaudot), Hélène Perdrière (Mirabelle et Marinette), Monthil (Lucie).

 

(Gérard Bauër, Larousse mensuel illustré, janvier 1933)

 

 

 

 

 

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