FURSY
Fursy [photo H. Manuel]
Henri DREYFUS dit FURSY
chansonnier français
(Paris 3e, 26 février 1866* – Paris 17e, 14 avril 1929*)
Son père était chef de service au Journal officiel. Ayant perdu sa mère de bonne heure, il fut mis d'abord à l'école de la rue de l'Abbaye, puis pendant trois ans à l'école Colbert. Tour à tour apprenti dans le commerce, employé à la Banque nationale, comptable dans la maison Chevet, puis chez un facteur aux Halles, le jeune Dreyfus cherche sa voie. Un jour enfin il entre comme comptable au journal la France où il devient secrétaire particulier du directeur Lalou, un curieux type de journaliste ne connaissant pas l'orthographe, et se faisant élire député. Il voit de près les hommes politiques, et entre comme rédacteur parlementaire à 150 francs par mois au National, journal du soir. Il collabore aussi à la Bataille, journal du matin où l'on paye rarement. La vie est dure pour le jeune homme, enchanté cependant d'appartenir au journalisme ! Il prend part à la campagne anti-boulangiste, et lance sa première chanson montmartroise « la Locomotive du général », le jour où le général Boulanger partait sur une locomotive pour Clermont-Ferrand. Déjà il a le sens de l'actualité. Il quitte la Bataille pour le Rappel où il écrit de petits « Tableaux parisiens », devient reporter à la Liberté et pousse jusqu'à l'interview dans l'Eclair où il cumule avec les fonctions de courriériste théâtral. A cette époque Maurice Lefèvre avait inauguré une série de conférences au petit théâtre que l'on appelait La Bodinière, rue Saint-Lazare, avec auditions. On propose à Dreyfus de faire aussi quelques causeries avec le concours de Tarride et de Mme Mily-Meyer qui s'y feront entendre dans des chansons nouvelles. Il accepte, et le voilà chansonnier d'actualité. Mily-Meyer, avec sa voix perchée et ses gestes cassés de marionnette chante :
Ces d'moisell's là, c'est des pianistes, Ell's jouent des airs gais, des airs tristes, Sol, ré, ré, ré, ré, do, do (en majeur) Sol, ré, ré, mi, ré, do, do (en mineur).
Paulus, qui avait lancé le Père la Victoire, trônait alors à Ba-ta-clan, bizarre, fantasque, autoritaire. On y appelle Dreyfus qui écrit des chansons pour Mmes Duparc, Marguerite Duclerc, pour Reschal, Fragson, etc. Mais il n'avait pas encore trouvé le bon filon. Sous le nom de Fursy il rêve de devenir le chansonnier d'actualité, au jour le jour. Il se rend au Carillon, cabaret artistique situé au coin de la rue de La Tour-d'Auvergne et de la cité Milton ; en bas, un comptoir, un café, mais au premier étage une petite estrade sur laquelle on chante. L'ouverture du Carillon, due à Tiercy, correspondait avec la décadence du Chat-Noir voisin. Là, on paye quarante sous pour s'asseoir et entendre chanter chaque soir Edmond Teulet, Mévisto aîné, Howey, Violette Dechaume, Paul Delmet, etc. C'est l'époque où l'on ne parle que du Panama. Aussitôt Fursy lance sa chanson sur l'air de Ah ! mes enfants ! :
On en parl' tant et tant qu' les enfants en naissant Disent Papa-nama, au lieu d' Papa-maman ! Ah ! mes enfants !
Tout cela à raison de cinq francs par jour ! C'est le prix du « cachet », au Carillon. Fursy y invente « la Chanson rosse », et chacun réclame à grands cris chaque soir : « la chanson rrrosse ». On le demande en soirée où il touche des cachets de 150 à 200 francs, et tandis que ses aînés s'obstinent à chanter des mois et des mois la même chanson, il en pond chaque jour une nouvelle. Il a une entrevue avec Rodolphe Salis le tout-puissant seigneur du Chat-Noir auquel il demande dix francs par soir : « Vous êtes fou ! lui répond celui-ci. Je vous offre sept francs. » — Fursy lui tourna le dos, et voilà comment Fursy ne chanta pas au Chat-Noir. Fin février 1895, il devient directeur artistique du Carillon dont il ouvre les portes à Georges Courteline qui y fait représenter Un client sérieux. La concurrence est âpre. Il s'ouvre des cabarets de toutes parts : l'Ane rouge, les Quat’-z’arts, le Tambourin, etc. Le 12 octobre 1895, il inaugure pour son compte le Tréteau de Tabarin, dans l'ancien hôtel de l'amiral Duperré. La salle a été coquettement décorée par Jambon. Il y a jusqu'à une loge présidentielle où l'on verra les grands ducs. Où sont-ils ceux qui inaugurèrent le Tréteau ? Théodore Botrel et Georges Docquois, disparus ; Blanche Quérette à Pont-aux-Dames ; Lucette Bert, Jane Hady retirées, mariées en province ; Georges Charton fit des tournées en Amérique ; Fernand Depas donne des leçons de diction ; Seigneur est devenu Rigadin au cinéma et Prince au théâtre. Le Tréteau de Tabarin refuse du monde. L'escalier qui desservait l'étage supérieur voit s'asseoir sur ses marches, certains soirs, trois rois et des Altesses ! Et le jour où le directeur de cette scène prend quelque ombrage du succès de Fursy et veut se passer de lui, le public suit son idole à la Boîte de Fursy, rue Victor-Massé jusqu'à son retour rue Pigalle où son succès se confirme pendant douze ans. Qu'a donc Fursy pour attirer la foule ? Car, après tout, ses « chansons rosses » ne sont pas si cruelles qu'on pourrait le croire. Son arme, c'est l'ironie, c'est une intention malicieuse se cachant sous une bonhomie souriante, c'est, au fond, une philosophie toujours généreuse. Son talent échappe à l'analyse. Et puis il cultive avec succès la « chanson improvisée », genre dans lequel il est passé absolument maître. Pourtant Fursy n'était pas seulement chansonnier. Il était aussi revuiste, et l'on ne compte plus les offres de collaboration qu'il reçoit ; Marguerite Deval, Le Gallo débutant, Polaire, Claudius, Paulette Darty, Mistinguett firent partie de ses meilleurs interprètes à la Cigale. Francisque Sarcey découvre Fursy et lui consacre deux de ses feuilletons si appréciés. Fursy chante chez le baron de Rothschild à Trouville et chez Mme Dollfus à Deauville, chez le professeur Raymond, chez le baron Sapière, chez le prince Murat, etc. Il est demandé partout. Il organise des tournées. Mme Odette Dulac a remplacé momentanément Marguerite Deval. Une affiche artistique de Grün représentant Fursy au piano, vu de dos, donnant un concert à toutes les célébrités politiques du monde entier, eut un succès prodigieux. Assez philosophe, se contentant de ce qu'il a, Fursy, au moment de l'Exposition universelle de 1900, avait su éviter l'écueil qui attendait ceux de ses collègues qui allèrent récolter des tracas dans l'enceinte de la grande foire mondiale. Il resta dans son coin, toujours achalandé ; et, le 17 juin 1901, rouvrit le Tréteau sous le nom invariable de la Boîte à Fursy, où l'on chantait en chœur :
Attendons qu' ces messieurs et dam's soient assis ! Chantons tous à la ronde, Jusqu'à c' qu'on soit assis !
Un jour, cependant, le chansonnier reçut une réprimande de la police. Edmond Rostand avait écrit à Compiègne son fameux impromptu en l'honneur de l'impératrice de Russie :
« Oh ! oh ! C'est une impératrice ! »
Fursy se permit de plaisanter sans avoir soumis son manuscrit à la censure. D'où quinze jours de fermeture imposée, réduits à neuf. En 1902, l'établissement de la rue Pigalle s'agrandit encore. Le Gil-Blas lui demande une chanson par semaine, et, plus tard, le Sourire une chronique parlementaire. En 1903, il donne avec P.-L. Flers une revue au Moulin-Rouge : T'en as un œil ! C'est le temps où les cachets ayant augmenté on paye Louise Balthy 500 francs par soirée. Chez Baret, l'impresario, il rencontre Defreyn à ses débuts. En 1904, il entreprend avec Baret une tournée à Amsterdam, Strasbourg, Vienne, Bucarest, Constantinople, où il a conté ses amusants démêlés avec la censure turque, Mily-Meyer réduite à chanter, au lieu de :
Quand je contemple les étoiles, Les étoiles de tes yeux . . . . . . . Quand je contemple les deux toiles, Les deux toiles de tes yeux.
On revient par Smyrne, l'Egypte et Marseille. En France, Fursy a participé fréquemment aux fêtes officielles, définissant ses chansons satiriques « les soupapes de sûreté du gouvernement ». Quelques gaffes furent bien commises, mais si peu ! En 1906, il devient directeur du Palais-Royal avec Gavault. Mais on le retrouve bientôt à la Boîte. A la Scala, ce fut un désastre. Il se releva au Moulin de la Chanson, avec Mauricet qu'il appelait « l'associé de ses rêves » ; puis on alla chez « Fursy et Mauricet ». Fursy publia plusieurs volumes : Chansons rosses de Paris ; les Chansons de la Boîte ; Essais rosses d'histoire contemporaine ; Pendant la guerre, impressions de Gavroche ; Mon petit bonhomme de chemin (1928). C'est dans ce dernier livre que l'on trouve ces lignes qui le résument tout entier : « Mon existence, somme toute, ne fut pas trop malheureuse ; elle fut, en tout cas, très variée, et souvent intéressante... J'ai vu de près les misères humaines, et, chaque fois que je l'ai pu, je leur ai tendu la main, et c'est encore ce que j'ai trouvé de meilleur ! J'ai goûté à la gloire, j'ai gagné de l'argent, juste pour voir ce que c'est ; je n'en ai pas abusé. Et je me considère comme un homme heureux ! » Fursy mourut sur la brèche, à la suite d'une crise cardiaque, en venant de donner une matinée à Levallois-Perret. L'Association des chansonniers perdait en lui un mutualiste admirable.
(Henry Lyonnet, Larousse Mensuel Illustré, septembre 1929)
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