JEAN CHANTAVOINE

 

 

Camille SAINT-SAËNS

 

 

COLLECTION TRIPTYQUE — MUSIQUE : 3

 

RICHARD-MASSE, éditeurs
51, rue de Paradis
PARIS Xe

1947

Copyright by Richard-Masse, Editeurs, s.a.r.1., 1946.

 

 

 



 

 

TABLE DES MATIERES

 

La Vie et l’Œuvre

L’Homme et l’Esprit

Conclusion

Œuvres principales

Bibliographie

Discographie

 


 

L'on sait quelle signification historique et esthétique possède, outre son étendue et sa valeur intrinsèque, l'œuvre musicale de Saint-Saëns. Elle s'échelonne sur plus de soixante-cinq années où la musique française a traversé une période de croissance prodigieuse, avec quelques-unes des crises qui, dans les arts comme chez les individus, accompagnent cette sorte de phénomène. L'art de Saint-Saëns a, autant que tout autre, contribué à cette croissance, mais il est resté indemne des maux qui sévissaient autour de lui.

L'étude de Jean Chantavoine, dont l'érudition et les qualités de critique s'allient au charme et à l'esprit d'un homme de goût, apporte une clarté nouvelle à la compréhension du maître, — de l'homme autant que de l'artiste, — et arrive à la conclusion que, si la musique française, écho de l'esprit français, a eu peut-être des penseurs plus profonds et plus originaux que Saint-Saëns, elle n'a jamais eu de plus pur écrivain.

 

 

 

portrait gravé du compositeur (Revue illustrée, 1880)

 

 

I.
LA VIE ET L'ŒUVRE

 

Si l'on voulait rechercher au-delà de lui-même les origines de Saint-Saëns, on trouverait que ses racines familiales le partagent entre la Champagne, — non pas celle de La Fontaine, celle de Diderot, — contrée sèche, et la Normandie, terre d'abondance. Mais c'est entre ces deux provinces, à Paris, qu'il naîtra, le 9 octobre 1835, rue du Jardinet, impasse coudée donnant dans cette « cour de Rouen » (et non de Rohan) où, en marge du boulevard Saint-Germain, artère moderne, subsistent un puits, un arbre et une grille rouillée, faits pour illustrer un roman de Balzac. L'an de grâce 1835 est pour la musique française l'année de la Juive (Halévy sera, dans quinze ans, le maître de Saint-Saëns) et la veille des Huguenots ; pour la petite bourgeoisie où le jeune Camille voit le jour, c'est, après l'affaire de la Rue Transnonain, l'attentat de Fieschi et l'apogée du « juste milieu ». Deux mois après sa naissance, son père meurt à l'âge de trente-sept ans, de cette phtisie pulmonaire qui le menacera lui-même d'une mort prématurée jusqu'à près de quatre-vingt-dix. Pour l'en protéger, on le mettra en nourrice, à la campagne, selon la mode du temps, pendant les deux premières années de son existence.

Au retour, il grandira entre deux femmes, entre deux mères : la sienne, née Françoise-Clémence Collin et la mère adoptive de celle-ci, la tante Masson, née Gayard, doux foyer d'une intimité tiède et précautionneuse, mais entourage un peu étriqué peut-être pour donner l'essor à l'imagination d'un futur artiste. Madame Saint-Saëns avait du goût pour les arts et montrait même quelque talent d'aquarelliste. Dans ses rêves d'avenir, elle se voyait un fils aîné musicien, un second peintre, un troisième sculpteur : Camille devait être son seul fils. Plus vive d'esprit malgré son âge, la « grand'maman » Masson, avec les ruches de son bonnet vieillot, perpétuait à la maison le siècle de Voltaire, de Greuze et des premiers piano-forte. Bonne pianiste, lorsque le petit Camille, à peine sorti de nourrice, devait se prendre de passion pour le piano, elle sut lui montrer comment il faut tenir ses mains pour jouer proprement (*).

 

(*) Quelques essais ou œuvres de Saint-Saëns, datant de sa quinzième année environ et qui appartiennent à la Bibliothèque du Conservatoire, sont copiés par la « grand' mère » Masson : le graphisme musical n'est pas d'un professionnel, mais n'en montre que mieux, par son aisance et sa sûreté, une personne fort exercée dans la Musique.

 

C'est ainsi qu'il les tint toujours et lorsque, âgé de quatre-vingts ans passés, il s'imposait encore deux heures d'exercice quotidien pour continuer de jouer proprement, l'ombre de la grand'maman Masson, éventée peut-être comme le parfum d'un vieux flacon, planait au-dessus de son clavier (*).

 

(*) Un jour du mois de juin 1914, que j'avais l'honneur de lui rendre visite, sur la fin de l'après-midi, Saint-Saëns, invité à dîner ce soir-là chez le Président de la République, était déjà en tenue de soirée, — plastron, cravate blanche, escarpins, — sauf un veston d'intérieur ; je le trouvai au piano, qui dévidait avec une volubilité on ne peut plus nette et attentive un des exercices élémentaires de Czerny : do-mi-ré-fa-mi-sol-ré-fa-mi-do-fa-ré-sol-mi-fa-ré-do.  C'était, me dit-il, pour le cas où chez le Chef de l'Etat, on lui demanderait « d'y aller de son petit morceau ».

 

Sa précocité musicale dépasse celle de Mozart. On ne doit pas craindre d'en rapporter quelques traits, parce qu'on l'y trouve, après coup, presque tout entier : « En revenant de nourrice, raconte-t-il lui-même, je me mis à écouter tous les bruits, tous les sons, faisant crier les portes, me plantant devant les pendules pour les entendre sonner (*). Mon grand plaisir était la symphonie de la bouilloire, une bouilloire énorme qu'on installait chaque matin devant le feu du salon. M'asseyant près d'elle sur un tabouret, j'attendais avec une curiosité passionnée ses premiers murmures, son crescendo lent et plein de surprises et l'apparition d'un hautbois microscopique dont le chant s'élevait peu à peu, jusqu'à ce que l'ébullition le fît taire. Ce hautbois, Berlioz a dû l'entendre, car je l'ai retrouvé dans la Course à l'Abîme de la Damnation de Faust (**). »

 

(*) Est-ce une de ces pendules qui, plus tard, sonnera l'heure de minuit dans la Danse Macabre ?

(**) Ecole Buissonnière, p. 3. — Plus tard, le sifflement d'une bûche, dans une chambre d'hôtel de Rennes, lui dictera le premier thème de sa Havanaise, qu'il dédiera au Violoniste Diaz Albertini, compagnon de ce voyage.

 

A trente mois, il apprenait à lire et on le mettait devant un piano, dont il faisait chanter les touches l'une après l'autre, soigneusement. Il apprit en même temps le nom des notes et, quand venait l'accordeur, il les nommait sans se tromper, de la pièce voisine, à mesure qu'elles résonnaient. Quant à désigner la note donnée par une cloche, il se récusait, parce qu'il y en avait « plusieurs » : ainsi se pose pour lui, dès sa plus petite enfance, le problème des « harmoniques ». « Criant comme un perdu » quand on laissait le piano fermé, il quittait à chaque instant ses jouets pour essayer sur le clavier ce qui lui passait par la tête. En un mois, il avait absorbé la fameuse méthode de Le Carpentier : rebuté par ces morceaux enfantins où « la basse ne chante pas », il fallut chercher dans Haydn et Mozart des morceaux à la mesure de ses doigts. Il commençait à écrire lui-même des valses et galops. Le premier de ces essais, en grosses notes barbouillées au crayon, porte la date du 22 mars 1839 : il avait quarante et un mois ; de mai 1841, moins de six ans, date sa première « romance ». Incapable d'exécuter avec
ses petites mains ces humbles pages, il en trouvait l'interprète obligeante dans la personne d'une Madame Raynaud, chez laquelle il fit amitié avec son contemporain et émule Alexis de Castillon.

Saint-Saëns a qualifié lui-même d'insignifiantes (elles le sont en effet) ces premières compositions, tout en signalant qu'on n'y relèverait pas une faute d'écriture, bien qu'il ne possédât pas encore la moindre notion d'harmonie. Derrière les premiers essais de Mozart, il est probable que se dissimule un coup de main de son père : rien de pareil dans le premier papier réglé noirci par le petit Camille. On peut lui en faire gloire et le regretter tout ensemble. Pédant et cupide, soit, Léopold Mozart a été pour son fils un maître solide et savant. Les deux femmes qui veillèrent avec tendresse et émotion sur les premières années de Saint-Saëns n'étaient pas des guides aussi sûrs. La mère avait des mots que son fils a plus tard qualifiés de « cornéliens » : quelqu'un lui reprochant de laisser trop tôt Camille jouer les Sonates de Beethoven et demandant quelle musique il jouerait à vingt ans : « La sienne », répondait cette Romaine, admiratrice de Ponsard. Tandis que la grand'tante, la vieille dame à papillotes, bornait ses ambitions : « Quand il aura quinze ans, s'il peut faire danser, je serai contente. »

Arrêtons-nous un instant sur les traits de cette enfance prodigieuse. Nous y voyons l'innéité de la musique à un point qui reste inégalé, l'instinct de trouver de la musique en tout et de tout convertir en musique, peut-être avec un excès de complaisance, quand celle-ci va jusqu'au tintement des bobèches (qui se vengeront quelquefois). C'est aussi la familiarité quasi congénitale avec ces deux modèles de rectitude, le papier réglé et le découpage strict du clavier qui rend une réponse fixe, automatique, infaillible à la pression du doigt.

A cette double discipline se joint le goût du timbre, mais dans une sonorité sans maigreur ni excès. Saint-Saëns raconte que, dans ses plus jeunes années, le son d'un violon isolé ne lui paraissait pas agréable. Lorsqu'on le mena pour la première fois au concert, l'ensemble du quatuor, au contraire, l'enchanta. « Quand tout à coup éclatèrent les cuivres, trompettes, trombones et cymbales, je poussai des cris perçants : « Faites-les taire, disais-je, ils empêchent d'entendre la musique ! » Il fallut m'emporter (*). »

 

(*) Ecole Buissonnière, p. 5 et 6.

 

Il n'avait pas sept ans que, la grand'tante ne trouvant plus rien à lui apprendre, on le confia aux soins de Stamaty pour le piano. Stamaty n'est plus guère connu que par le dessin d'Ingres qui nous le montre debout, entre son petit piano carré et sa nombreuse famille. Il jouissait alors d'un renom répandu, mais d'une autorité discutée : n'étant pas entré de plain-pied dans la musique, après des débuts dans l'administration, il était, en matière de pédagogie musicale, un dissident de Kalkbrenner, le maître du toucher digital et du jeu perlé, également opposé à la caresse fluide de Chopin et à l'éclat de Liszt ou de Thalberg. Saint-Saëns a parlé de lui sans attachement et sans gratitude, ayant refusé dès sa douzième année de se laisser désigner sur une affiche comme « élève de Stamaty ». Il ne lui sut gré que de l'avoir remis, pour l'enseignement de la théorie et de la composition, aux soins d'un autre hétérodoxe, Maleden. De ses premières études sous l'égide de deux réfractaires, Saint-Saëns conservera toujours quelque chose qui est, avec son infaillibilité dans la solution pratique des problèmes musicaux, une indépendance de doctrine qu'il étendra à toutes les matières de goût et d'opinion.

Il a rendu à Maleden l'hommage le plus pittoresque : « Né à Limoges, dont il avait conservé l'accent, maigre avec de longs cheveux, doux et timide, Maleden était un professeur incomparable. Il était allé dans sa jeunesse s'instruire en Allemagne chez un certain Gottfried Weber (*), inventeur d'un système que Maleden avait rapporté et perfectionné. Il en avait fait un outil merveilleux pour pénétrer dans les profondeurs de la musique, une lumière pour en éclairer les coins les plus secrets. Dans ce système, les accords ne sont pas seulement considérés en eux-mêmes — accords de quinte, de sixte, de septième — mais d'après le degré de la gamme sur laquelle ils sont placés ; on apprend que, suivant la place qu'ils occupent, ils acquièrent des propriétés différentes et on explique ainsi des cas jugés inexplicables. Cette méthode est enseignée à l'Ecole Niedermeyer (**) ; je ne sache pas qu'elle le soit ailleurs (***). »

 

(*) Plus connu que ne tendrait à laisser croire ce « certain ». Pour en revenir à Maleden, la musique et la pédagogie musicale françaises, de 1800 à 1860, abondent en maîtres ou chercheurs ingénieux, signalés par Fétis suivant l'ordre alphabétique et dont plus d'un mériterait de revivre sous la plume d'un Sainte-Beuve musicien.

(**) Où Saint-Saëns lui-même enseignera le piano de 1861 à 1867. Il y eut pour élèves entre autres Eugène Gigout, Gabriel Fauré et André Messager.

(***) Ecole Buissonnière, p. 9.

 

Cet éloge de Maleden est significatif. La théorie dont Saint-Saëns lui fait gloire substitue à la conception statique des accords une conception mobile et fait de l'harmonie une fonction de la mélodie. Cette ductilité de l'harmonie sera plus tard, chez Saint-Saëns, un trait essentiel de son style et l'union de ces deux termes Harmonie et Mélodie deviendra instinctivement le titre donné par lui — en 1889 — à un recueil d'études sur l'art musical. Pour commencer, l'enfant, conquis par son maître, ne se sent plus qu'un élève : il renonce aux Walses, galops et romances, pour s'astreindre pendant des années à de stricts travaux d'écriture, depuis le chétif catéchisme de solfège, par demandes et réponses, jusqu'aux exercices de fugue. La Bibliothèque du Conservatoire garde des liasses de ces papiers dont on ne tirera ici qu'une seule remarque. Pour illustrer les règles ou les exemples les plus élémentaires, Maleden recourt à des citations empruntées aux Maîtres tels que Mozart, Rossini, etc. Aussi, pour Saint-Saëns, plus tard, n'y aura-t-il pas de fossé entre la grammaire et la langue, la syntaxe et le style, la théorie et la pratique, la doctrine et l'art. Mais la personne et la pédagogie de Maleden, étrangères l'une et l'autre à l'enseignement officiel, font germer chez lui cette pointe de contradiction qu'opposeront toujours aux idées reçues par l'ignorance, la routine ou la mode, l'indépendance de son jugement et celle de son caractère.

Tandis qu'il s'oblige, pendant des années, à n'être qu'un écolier d'harmonie et de fugue, son talent de pianiste lui permet, à peine âgé de dix ans et après deux matinées d'essai, de donner le 6 mai 1846 son premier concert de virtuose, avec orchestre (*). On ose à peine dire aux Parisiens d'aujourd'hui que ce concert eut lieu à la Salle Pleyel, car la Salle Pleyel n'était pas alors un sabot gigantesque, mais un salon de bonne société, bas de plafond, aux dorures coquettes, où la musique se dégustait comme un sorbet ou une tasse de thé, entre gens du monde. L'enfant y joua, seul ou accompagné par l'orchestre du Théâtre Italien, le Concerto en si bémol (K. 450) de Mozart, Air varié et Fugue de Haendel, Toccata de Kalkbrenner, Sonate de Hummel, Prélude et Fugue de Bach, enfin un Concerto de Beethoven, le tout de mémoire, contrairement à l'usage de l'époque et pour le plus grand étonnement de l'auditoire. Le public et la presse firent à l' « émule de Mozart » un succès retentissant.

Cinquante ans plus tard, le 2 juin 1896, Saint-Saëns reparaissait comme pianiste dans la salle de ses débuts, y jouant le même Concerto de Mozart, mais y ajoutant, avec d'autres œuvres, la première audition de son Cinquième Concerto pour piano.

 

(*) Dès l'âge de quatre ans et sept mois, il s'était fait entendre dans un salon privé, mais le Moniteur Universel du 1er août 1840 avait consacré une quarantaine de lignes à ce début.

 

Vingt-cinq ans encore et quelques mois avant sa mort, le 6 août 1921, à la fin d'un concert donné au casino de Dieppe, il répondait aux acclamations par ces mots très simples, mais uniques dans l'histoire des musiciens : « Il y a soixante-quinze ans, je jouais pour la première fois en public : j'ai joué aujourd'hui pour la dernière fois. »

Le petit Camille ne se laissa pas griser par son triomphe de la Salle Pleyel : « Ne cherchez jamais l'applaudissement, lui disait sa mère, vous ne feriez rien de bon. » Il continua donc de travailler la musique sous toutes ses formes, en poursuivant de solides études littéraires, qui nourrirent son jugement en toutes choses : telle était la vertu, depuis lors bien oubliée, de l'humanisme. En 1849, il entra au Conservatoire, dans la classe d'orgue de Benoist, artiste médiocre, professeur excellent (cette disparate n'est rare dans aucune branche de la pédagogie). En 1851, il y remportait le premier prix et, la même année, devenait l'élève de Halévy, pour la composition.

Collaborateur de Chérubini pour le traité de fugue publié sous le nom de celui-ci, l'auteur de la Juive ne s'imposait point par une personnalité de nature à exercer une influence quelconque sur ses disciples et, moins que sur tout autre, sur celui dont l'aisance immédiate dépassait si vite le domaine de tout enseignement. Par bonheur, Halévy oubliait ou négligeait volontiers sa classe et, ces jours-là, Saint-Saëns grimpait à la Bibliothèque du Conservatoire : « Ce que j'y ai dévoré de musique ancienne et moderne, racontera-t-il plus tard, est inimaginable (*). » Sa mémoire fabuleuse n'en a pas oublié une note (**). Mais il y a plus : la lecture seule rend à la musique sa pureté parfaite, sans les compromissions du « tempérament » ; la lecture enseigne aussi le respect scrupuleux des textes — que Saint-Saëns opposera si vigoureusement plus tard à Gevaërt et à Vincent d'Indy — ; la libre lecture enfin affranchit de tout esprit scolastique un élève en rupture de classe. Ainsi s'affirment chez le jeune Saint-Saëns les deux traits essentiels de son caractère musical : le scrupule et l'indépendance. Dès 1852, Saint-Saëns montait en loge pour le concours de Rome. Il n'avait que seize ans, l'âge où Paladilhe, en 1860, devait être couronné... Mais lui ne fut même pas nommé, derrière un oublié, Léon Cohen, à qui échut la première récompense et le gentil Poise. Est-ce par rancune d'amour-propre que, moins persévérant que Berlioz, il resta sur cette déconvenue et attendit douze ans pour risquer en 1864 — après l'Oratorio de Noël et le Trio en fa — une seconde et dernière tentative qui ne fut pas plus heureuse (***) ? Peu importe, mais ce double échec, peut-être regrettable pour son développement artistique, fut assurément fatal à sa carrière : le voyage, le dépaysement, la lumière de l'Italie auraient, dans des années décisives, réchauffé une adolescence et une jeunesse tant soit peu étiolées par une trop rapide maturité, dans un milieu familial légèrement timoré et vieillot.

 

(*) Ecole Buissonnière, p. 43.

(**) Sur la mémoire de Saint-Saëns, Pierre Lalo a conté cette anecdote significative (le Ménestrel, 85e année, N° 4, 26 janvier 1923) : « Saint-Saëns dînait un soir à la maison : « Qu'est devenue cette symphonie que vous aviez faite autrefois ? » demanda-t-il à mon père. « Moi ? je n'ai jamais fait de symphonie » répond celui-ci. « Je vais vous la jouer », répond Saint-Saëns et il se met au piano. En effet, mon père reconnut une œuvre qu'il avait écrite autrefois et qu'il avait détruite et oubliée. » Wagner écrit aussi : « A sa vélocité extraordinaire et à sa stupéfiante facilité à déchiffrer les partitions d'orchestre les plus compliquées, Saint-Saëns joignait une mémoire non moins admirable. Il exécutait par cœur toutes mes partitions, y compris celle de Tristan, sans oublier aucun détail et avec une telle exactitude qu'on eût juré qu'il avait le texte sous les yeux. » (Ma Vie, p. 265).

(***) En raison, m'écrivait-il en 1921, d'une cabale dont Berlioz, le lendemain, lui révéla les dessous.

 

Mais surtout pour le public et sous l'autorité de l'Institut, il devint ce qu'il resta si longtemps grâce au despotisme des idées toute faites, le pianiste dont la composition n'est pas l'affaire. Ce serait bien autre chose, dès les années suivantes, lorsqu'à la renommée du pianiste s'ajouterait celle de l'organiste pour évincer le compositeur.

Saint-Saëns allait pourtant gagner en appel, à deux reprises, le procès perdu devant l'Académie des Beaux-Arts. Dès le 15 octobre 1852, il remportait avec une Ode à sainte Cécile le prix institué par la Société de ce nom et son œuvre était exécutée publiquement le 26 décembre suivant. Un an plus tard, le 18 décembre 1853, la même Société donnait une Symphonie qu'il lui avait soumise sous le voile de l'anonyme. Deux maîtres aussi différents que Berlioz et Gounod se trouvèrent d'accord pour admirer la maîtrise de l'œuvre. Le mystère dévoilé, Gounod écrivait à son jeune ami : « Souvenez-vous que vous avez contracté dimanche 18 décembre 1853 l'obligation de devenir un grand maître. »

 

 

 

le compositeur à l'âge de 52 ans

 

 

L'équilibre du plan, la sûreté élégante du développement, une instrumentation solide et limpide et l'aisance thématique d'un intermezzo comme on en trouve dans certains allegrettos de Schubert, telles étaient les promesses déjà tenues que Gounod pouvait entendre en effet dans cette symphonie juvénile (*). Trois ans plus tard, Bizet, de trois ans aussi le cadet de Saint-Saëns, devait écrire de même une symphonie (**). Ces essais des deux jeunes contemporains s'éclairent l'un par l'autre. La symphonie de Bizet peut paraître plus spontanée, plus alerte : l'aube de son andante présage la lumière orientale des Pêcheurs de Perles et de Djamileh. Mais le développement reste à la surface des voix supérieures, manquant, en profondeur, de consistance et de densité véritablement symphonique. Plus que de la symphonie, elle tient parfois de l'ouverture ou du commentaire orchestral destiné à soutenir le dialogue ou le mouvement scénique : aussi quelques-uns de ses éléments passeront-ils dans l'opéra-bouffe de Don Procopio. La Symphonie de Saint-Saëns, avec moins de verve, déploie une trame musicale beaucoup plus serrée. Le finale, où l'on sent l'organiste couronné hier dans la classe de Benoist et appelé demain à la tribune de Saint-Merri, tient un peu de la « sortie de Messe ». A un degré d'art plus élevé, ç'a été le cas de Schumann, hanté dans sa Symphonie Rhénane par la pensée de la cathédrale de Cologne et d'une cérémonie épiscopale. Ce finale, — comme déjà le premier morceau de la Symphonie, — anticipe sur les marches, mi-religieuses, mi-officielles ou politiques, écrites par Saint-Saëns pour diverses solennités, pour le synode d'Henry VIII ou le couronnement du Roi Edouard VII.

 

(*) Cette symphonie, en mi bémol, publiée sous le numéro d'œuvre 2, n'était pas le premier essai du jeune Saint-Saëns : une symphonie inachevée, écrite à l'âge de treize ans, révèle déjà une rare entente de la contexture symphonique ; une autre, en la, date de la quinzième année. On peut citer encore, parmi les travaux de cette époque, une autre symphonie et sérénade inachevée, le début d'un Kyrie, des pièces d'orgue, tout un opéra-comique en un acte où se distingue un terzetto canonique sur le thème de « Sonnez les matines », une petite composition chorale, la Cloche, dont le sujet annonce moins sa belle mélodie de ce nom, que le futur Chant de la Cloche de Vincent d'Indy. En interdisant à sa mort toute publication de ces essais, Saint-Saëns n'a pas permis non plus qu'on s'y arrête autrement que pour y relever les prémices d'une facilité impeccable, d'où toute véritable pensée musicale est encore absente.

(**) En ut majeur, retrouvée et signalée par l'auteur de ces lignes, puis publiée par l'Universal-Edition de Vienne.

 

Trois ans après la symphonie en mi bémol, Saint-Saëns en écrivait une autre, en fa, qui porte le sous-titre assez énigmatique d'Urbs Roma (*). Malgré le prix remporté par cette symphonie à la société Sainte-Cécile de Bordeaux, en dépit d'exécutions à Bordeaux et au concert Pasdeloup, elle est restée inédite, parmi les manuscrits de la Bibliothèque du Conservatoire. Si l'on y cherche en vain le trait ou le détail auxquels peut s'appliquer l'étiquette d'Urbs Roma, cette seule désignation, tout obscure et arbitraire qu'elle reste à nos yeux, montre chez le futur auteur de la Danse Macabre une première velléité dans le sens de la musique à programme et du poème symphonique.

 

(*) Titre que Bizet devait reprendre pour sa Suite d'orchestre, conçue d'abord comme une symphonie, mais qui, chez lui, évoque des souvenirs pittoresques dont on ne trouve pas trace dans la Symphonie en fa de Saint-Saëns.

 

Les années qui entourent la composition de ces deux symphonies marquent aussi le début de Saint-Saëns dans la mélodie et dans la musique de chambre. Ses premières mélodies atteignent d'emblée un niveau qu'il ne dépassera jamais et auxquelles, seules, s'égaleront les Mélodies Persanes. Il suffit d'en citer quatre, d'une réussite parfaite et d'une singulière diversité. Rêverie, la plus ancienne de toutes, date de 1851 (Saint-Saëns est alors dans sa seizième année) : c'est le modèle d'un chant pur, d'une émotion à laquelle la concision strophique dicte cette sobriété d'accent qui est pour lui une règle esthétique et morale de l'art. La Feuille de Peuplier (1852), par son thème plus fiévreux et la palpitation de son accompagnement, évoque par hasard de tout près l'Effraie, — que Saint-Saëns ne connaissait pas alors, — de Schubert. Le Pas d'Armes du Roi Jean, par le bonheur de son rythme pesant, où sonne le poids martelé des jambières et des hallebardes, offre le type achevé de la ballade pittoresque, avec une virtuosité d'effets que recherchait, sans y atteindre, avec des mots et des rimes, la versification de Hugo (*). Au-dessus de toutes, la Cloche est un chef-d'œuvre de la grande mélodie à la fois descriptive et lyrique qui, de la Toute-Puissance ou A la Lyre de Schubert, passe dans notre musique française du XIXe siècle avec le Soir de Gounod, la Procession de César Franck, la Vague et la Cloche d'Henri Duparc. Toutes ces pages, la Cloche de Saint-Saëns les domine par l'ampleur magnifique de la ligne, depuis la phrase déclamée du début jusqu'à l'éloquence de la péroraison et par la chaleur progressive de l'expression.

 

(*) Aux lecteurs qu'amuserait cette sorte de rapprochement, peut-on rappeler que la seconde moitié du thème initial (sous les mots : « mon fidèle alezan ») se retrouve exactement chez Brahms, dans le thème du rondo final du quintette op. 34, composé en 1861.

 

Quant au quintette en la mineur (1855) qui ouvre pour Saint-Saëns le catalogue de sa musique de chambre, il fixe des traits qui y resteront toujours les siens : la netteté lumineuse des thèmes, l'élégance de l'harmonie et de l'écriture, la logique, la clarté, l'équilibre du développement, mais aussi, dans la partie de piano, un ruissellement de formules brillantes un peu trop dociles aux schèmes élémentaires de la gamme et de l'arpège. Le finale émane d'un de ces motifs sveltes et fluides tels qu'on en retrouvera, développés à peu près de la même façon, dans Henry VIII ou dans Ascanio, pour accompagner les propos d'un ténor de demi-caractère, Gomez ou Ascanio.

Désigné peut-être moins par son prix dans la classe de Benoist, au Conservatoire, que par ses premiers succès de compositeur, Saint-Saëns, après un stage de quelques mois à l'église Saint-Séverin (*), était nommé, en 1853, organiste à l'église Saint-Merri, qu'il devait abandonner en 1857 pour le grand orgue de la Madeleine, dont il resta titulaire jusqu'en 1877, où il se vit libéré de cette charge par le legs d'un ami.

 

(*) Saint-Saëns resta toujours fidèle à cette charmante église de Saint-Séverin, d'une lumière si chaude et si douce, avant les « dégagements » qui l'inondent aujourd'hui d'un jour plus cru : jusque dans un âge avancé, il allait de temps à autre y reprendre sa place d'improvisateur à l'orgue dont le titulaire était son ami Périlhou, d'ailleurs digne et aimable musicien.

 

Saint-Saëns entre alors dans une double carrière de virtuose, sur le piano et sur l'orgue. Comme pianiste, il appartiendra, pour le maniement technique du clavier, à l'école de la netteté, de la correction, où le bras n'intervient qu'en dernier ressort, quand les ressources des doigts sont véritablement épuisées. A cette tradition, il ajoute ses vues personnelles, toujours inspirées par la leçon et le respect des textes, sur l'abus du legato. Son jeu était une merveille de précision et d'égalité, avec une aisance infinie de la main gauche. Comme interprète, par un excès de scrupule qui touchait à la froideur, il semblait proscrire toute ingérence du sentiment individuel dans la restitution exacte des notes, fidélité un peu sèche, peut-être, où survivait quelque chose de l'exemple donné à son enfance par des artistes âgés, nés à l'époque des derniers clavecins et des premiers forte-piano.

Mais, fasciné dès sa dix-huitième année par Liszt, qu'il avait rencontré chez Seghers, admirant en lui, dès le premier jour, le créateur alors inconnu ou méconnu, non moins que le héros du piano, il s'en montre le disciple. Les programmes de ses concerts cherchent à instruire, à élever le public, plus qu'à le séduire : de ce principe sortira, en 1870, la création de la Société Nationale. Dans d'audacieuses et riches transcriptions pour le piano, il suit la voie orchestrale frayée par Liszt, dont il lui arrive (je pense entre autres à sa transcription du finale du Neuvième Quatuor de Beethoven) de dépasser la hardiesse, avec un usage moins large des « empâtements ». En dehors de ces transcriptions, paraphrases ou variations — parmi lesquelles son chef-d'œuvre sera les étincelantes Variations pour deux pianos sur un thème de Beethoven — de ses concertos et de ses études, Saint-Saëns n'a écrit pour le piano seul que des œuvres tout à fait secondaires où, par exemple, on chercherait en vain une sonate.

Peut-on constater un fait aussi paradoxal sans éprouver la tentation, si stérile soit-elle, de l'expliquer ? Une première raison, en ce cas, se trouverait dans ce double métier d'organiste et de pianiste-virtuose qui ne lui laissait pas les loisirs de la concentration nécessaire pour concevoir et réaliser une œuvre aussi fouillée que, devait l'être une sonate, depuis Beethoven. Liszt, d'ailleurs, venait d'apporter à ce genre, avec sa sonate de 1853, aujourd'hui célèbre, alors connue à Paris du seul Saint-Saëns, un renouvellement qui excluait pour un temps toute autre recherche d'innovation : c'est bien plus tard seulement, en 1886, que Saint-Saëns réalisera — mais cette fois dans le domaine de l'orchestre — avec la Symphonie en ut mineur et d'une façon éclatante, une innovation de cet ordre.

A l'orgue de Saint-Merri et à celui de la Madeleine, Saint-Saëns se borne presque à l'improvisation, qui fut « une des joies de son existence ». Comparable à l'éloquence du prédicateur, l'improvisation, par sa spontanéité, convient seule au rôle de l'organiste religieux et évite à l'église l'intrusion plus ou moins affichée du concert, quand ce n'est pas du théâtre. Cette idée de convenance et d'appropriation le guide ici comme partout. Il reste fort loin du rigorisme et du mysticisme. Artiste, il voit surtout dans la religion « une source admirable d'art et de littérature ». Je ne pense pas qu'il se soit jamais beaucoup interrogé sur la foi positive et deux lignes de son testament sont à cet égard révélatrices : « Si mes obsèques sont religieuses (simple hypothèse de sa part), je dé­sire que l'office soit court et j'interdis qu'on y exécute le Pie Jesu connu sous le nom d'air de Stradella. » La vérité avant tout et l'air de Stradella est un faux. La foi n'est d'ailleurs pas nécessaire à l'artiste, même dans le genre religieux : témoin le Pérugin et Berlioz (*). L'art pur qui parle au clavier de l'orgue sous les doigts d'un musicien savant, scrupuleux, inspiré s'il se peut, apporte au culte un appoint de sentiment analogue à la poésie que répand dans le sanctuaire le chaud arc-en-ciel des vitraux. Des improvisations de Saint-Saëns subsiste seul le témoignage de ses auditeurs (**). On sait qu'elles étaient admirables de richesse et de sûreté, avec un élan de premier jet qu'on ne retrouve pas toujours dans ses œuvres écrites. S'il est vrai qu'une de ces improvisations ait passé dans sa Sonate pour piano et violoncelle en ut mineur, le témoignage est recevable... Mais l'orgue, dont il jouait avec éclat, l'orgue dont il a parlé avec ferveur, l'orgue, instrument suggestif par excellence pour éveiller ou féconder l'imagination du musicien qui en possède toutes les ressources, a inspiré ou dicté plus d'une de ses œuvres. L'improvisateur d'église, comme il le fut, reste à mi-chemin entre le profane et le sacré, plus près de la méditation que de la liturgie. La plupart des morceaux écrits par Saint-Saëns sur des textes religieux ont plus de noblesse et de pureté que d'accent. Son grand Psaume XVIII (Coeli enarrant) offre de l'ampleur et de l'éclat, mais c'est après avoir abandonné ses fonctions d'organiste qu'il écrira son œuvre religieuse la plus frappante, la Messe de Requiem à la mémoire de son ami Albert Libon (1878), où des échos de Samson et du Dies irae apportent une chaleur émue.

 

(*) Les idées de M. Vincent d'Indy, p. 6.

(**) Liszt saluait en lui le premier organiste du monde.

 

Toutefois, l'orgue étant pour Saint-Saëns une sorte de tremplin de l'imagination musicale, dès sa seconde année de tribune à la Madeleine il l'associe aux cordes, à la harpe et au chant, dans le bel Oratorio de Noël, que traverse le souffle pastoral de Bach (Oratorio de Noël), de Liszt (Christus) (*) et de Berlioz (l'Enfance du Christ), tandis que la véhémente figure instrumentale qui y donne son accent au Quare fremuerunt rappelle le début du Onzième Quatuor de Beethoven. Dans tout cela, rien qui sente le pastiche, le plagiat ou même la réminiscence, mais seulement l'harmonieuse assimilation des éléments qu'offre à la pensée et à la plume du compositeur moderne la connaissance et la possession de toute musique. Le prélude agreste de l'Oratorio de Noël, qui reparaîtra avant le quintette, d'une allégresse si candide, Consurge, filia Sion, le récit angélique du ténor, le souple trio Tecum principium sont les pages les plus frappantes de ce petit oratorio, qui prélude de loin au Déluge et à la Lyre et la Harpe.

 

(*) Le Christus de Liszt est, par la date de son achèvement et de sa publication, postérieur à l'Oratorio de Noël de Saint-Saëns : entre certains accents de l'une et l'autre des deux œuvres, il n'y a donc tout au plus qu'une rencontre.

 

Depuis son entrée en fonctions à l'orgue d'une grande église jusqu'après la guerre de 1870, Saint-Saëns appartient surtout au métier musical. Dans les loisirs que lui laisse la tribune de la Madeleine, il se fait entendre comme virtuose du piano, à Paris, en province et à l'étranger, soit avec orchestre, soit dans des séances de musique de chambre. Il y bataille à la fois pour l'art classique et pour des modernes encore inconnus, tels que Liszt et Schumann. Le public plus restreint qu'il trouve dans des salons amis ou que lui-même accueille chez lui le lundi soir, lui suggère l'idée de cette Société Nationale qu'il fondera en 1871. En 1864, son second échec au Concours de Rome lui vaut, en manière de compensation, sur l'initiative d'Auber, la commande d'un opéra-comique, le Timbre d'Argent, qui, après plus dix ans de pérégrinations et de détours, ne devait être représenté, sur un théâtre lyrique éphémère, qu'en 1877. En 1867, Saint-Saëns prenait sur l'Institut la même revanche qu'en 1852 et remportait le prix de l'Exposition Universelle, pour une Cantate de circonstance, les Noces de Prométhée, succès d'un jour et succès dangereux qui classe un compositeur dans la catégorie décriée des artistes « officiels » : tunique de Nessus qu'il ne craindra pas de revêtir quelquefois de bonne grâce et dont l'opinion publique l'affublera toujours sans qu'il en puisse arracher tous les lambeaux.

Les deux œuvres les plus remarquables que Saint-Saëns ait écrites durant cette période sont la Symphonie en la mineur (composée en 1858, publiée seulement en 1878 sous le numéro d'œuvre 55) et le Trio en fa majeur, pour piano, violon et violoncelle (1863). La symphonie est un chef-d'œuvre d'élégance et de netteté, avec son introduction solennelle (*), d'où le thème principal du premier morceau — simple arpège de neuvième descendant — dégagera si logiquement sa mélodie et son rythme ; avec son adagio, dont le calme reste plus souriant que méditatif ; avec son scherzo heurté et ce preste final dont le « saltarello » s'apparente à la Symphonie italienne de Mendelssohn. Partout, l'orchestre brille par cette limpidité lumineuse et cet équilibre diaphane qui toujours caractériseront Saint-Saëns.

 

(*) Cette formule de l'introduction reviendra presque

 

 

textuellement dans la finale de la symphonie avec orgue.

 

 

Il y a dans le Trio en fa un grain d'humour et, malgré la différence du langage musical, un écho du XVIIIe siècle français. Le premier morceau débute par l'énigme momentanée d'un rythme vif, mais équivoque, où l'auditeur hésite à entendre un « deux temps » ou un « trois temps » (*) (Schumann aimait ces taquineries passagères). Un autre genre de caprice règne dans l'andante, dont le rythme mélange la saccade et le calme et où le thème, dépouillé comme une mélopée orientale, semble anticiper sur les hivernages africains de Saint-Saëns. Nouvelle forme de caprice dans les difficultés d'aplomb où le scherzo taquinera les trois instruments, comme fait par exemple Beethoven, entre le piano et le violoncelle, dans le Scherzo de sa Sonate en la majeur op. 69. Au contraire, le finale résout ces divers problèmes de rythme par le cours aisé d'une fluide toccata. Une légèreté spirituelle et transparente plane sur les quatre parties de l'œuvre qui ne vise à rien de plus qu'à cet agrément, mais le réalise à miracle.

 

(*) Comment dépeindre l'impassibilité aérienne avec laquelle Saint-Saëns lui-même jouait ces quelques mesures de rébus rythmique !

 

Pour être entendu à la fois en qualité de virtuose et de compositeur, comme l'avaient été naguère Bach, Mozart, Beethoven et Mendelssohn, comme l'était de son temps Brahms, — qu'il appréciait peu, — Saint-Saëns, dès cette période de sa carrière, se mit à écrire des concertos pour piano. Dans le Premier concerto en majeur, une introduction aussi heureuse que celle du Concerto en si bémol de Brahms ne tient pas toutes ses promesses et l'œuvre dégénère vite en effets de clavier un peu superficiels. Le Deuxième Concerto, en sol mineur, est d'une toute autre valeur. Le bel improvisato de piano, qui en fait le péristyle, suit la tradition de Bach dans la Fantaisie chromatique et fugue pour clavecin et le Prélude à la Fugue pour orgue en la mineur. C'est ici l'organiste qui semble d'abord s'asseoir au piano et le bel andante qui fait suite entretient, dans son dialogue avec l'orchestre, cette impression de spontanéité. Un scherzo net et léger, puis une sorte de tarentelle fougueuse complètent l'œuvre, dont on peut se demander seulement si la suite de deux morceaux rapides, après l'andante initial, observe bien cet équilibre de symétrie dont Saint-Saëns est ordinairement si jaloux.

Virtuose du clavier, un esprit de solidarité artistique dictait dès ce moment à Saint-Saëns des concertos de violon, dont les deux premiers (la majeur et ut majeur), ainsi que l'Introduction et rondo capriccioso datent de cette époque. Ces concertos veulent enrichir l'école française de pages plus vivantes que les concertos de Rode, de Bériot et Vieuxtemps. Ce sont des œuvres mordantes, brillantes, écrites à merveille pour l'instrument, dont elles mettent en lumière toutes les ressources comme les facettes scintillantes d'un diamant : pour l'instrument et pour l'instrumentiste, car le concerto en la et le Rondo capriccioso — de même que plus tard le Troisième Concerto — sont dédiés à l'incomparable Sarasate, dont l'audace éthérée y semait étoiles et fusées.

La dernière œuvre significative écrite par Saint-Saëns avant la guerre de 1870 (*) est la série des dix Mélodies Persanes, les unes pittoresques et presque descriptives, comme la languide Brise, l'ardent Solitaire, le belliqueux Sabre en main et le vertige du Tournoiement, les autres contemplatives comme la majestueuse Splendeur vide et la mélancolique rêverie du Cimetière. Ces deux dernières, pour la couleur et l'expression, sortent de la même veine orientale où Bizet avait puisé les deux belles cantilènes des Pêcheurs de Perles. A cet Orient, elles n'appartiennent encore que par l'imagination, en attendant que les années suivantes familiarisent pour de bon Saint-Saëns avec l'Orient lui-même.

 

(*) Mais publiée seulement en 1872 et complétée vingt ans plus tard par les deux mélodies de la Nuit Persane.

 

Plus importante peut-être que les œuvres mêmes écrites ou publiées durant ces treize ans, est la pratique professionnelle où Saint-Saëns mûrit et enrichit sa pensée. Il est familier de Berlioz, qu'il émerveille par sa facilité technique et dont les éclairs de génie le réchauffent lui-même. Ebloui dès ses dix-huit ans par Liszt, il approfondit son œuvre, toute d'audace et de nouveauté, dont il reprendra bientôt non pas les formules, mais le principe, dans ses quatre propres Poèmes Symphoniques. Grâce à son merveilleux talent de lecteur et à sa mémoire, il devient le pianiste attitré de Wagner, durant le séjour de celui-ci à Paris en 1860 : il sait par cœur Tristan, dans le plus petit détail, avant que l'œuvre soit publiée. Peut-être assiste-t-il, dans des entretiens familiers, à la genèse de l'Anneau. En tout cas, cette collaboration lui donne dès ce moment sur Wagner et le Wagnérisme les lumières exactes et profondes qui seront les siennes pour admirer, juger et assimiler tout ce qui, dans Wagner, est admirable et assimilable.

Mais, devant les plus grands maîtres étrangers, ceux de la veille ou ceux du jour, Rossini, Liszt, Wagner, il voit s'affirmer en musique le caractère et le goût de l'esprit français. Il veut s'en faire le champion. Ainsi naît chez lui l'idée de la Société Nationale, dont il envisage et entreprend la création avec le professeur de chant Romain Bussine, pour propager les œuvres inédites de compositeurs français vivants. Le groupe de départ comprenait avec lui Alexis de Castillon, César Franck, Ernest Guiraud, Massenet, Garcin, Gabriel Fauré, Théodore Dubois, Taffanel, Henri Duparc et Lenepveu. Les débuts de la Société Nationale furent retardés par la guerre 1870-1871, à laquelle Saint-Saëns prit part comme garde national, malgré ses mauvais poumons, avant de se réfugier, pendant la Commune, en Angleterre où il fut aussitôt et jusqu'à la fin de ses jours en grand crédit. La paix une fois rétablie, le premier concert de la Société devait avoir lieu en novembre 1871 et l'entreprise connut un succès auquel ne contribua pas peu le désir d'affirmer la vitalité française, au sortir d'une si tragique épreuve (*).

 

(*) On sait que l'autorité et la situation même de Saint-Saëns furent bientôt battues en brèche, au sein de la Société Nationale, par quelques élèves de Franck, sinon par Franck lui-même ; Saint-Saëns démissionna en 1886, avec Bussine.

 

 

 

L'esprit de la Société Nationale souffle pour Saint-Saëns, au cours des années suivantes, qui vont être les plus fécondes de sa carrière. Il se relâche d'ailleurs peu à peu de son assiduité à l'orgue de la Madeleine, jusqu'à l'heure, — en 1877, — où un héritage lui permettra d'abandonner entièrement cette charge. Musique de chambre, symphonie, oratorio, théâtre, il donne alors ses œuvres les plus fortes et les plus mûres que, pour essayer d'en marquer le caractère, on doit grouper sans suivre avec rigueur le fil de la chronologie.

Ses œuvres de musique de chambre affirment la manière qu'annonçaient, dès ses débuts, le Quintette en la majeur et le trio en fa. Saint-Saëns renonce aux luttes, — sourds conflits du sentiment ou corps-à-corps plus dramatique, — que le romantisme mettait volontiers dans ce genre, depuis la Sonate à Kreutzer. Il en revient à un dialogue animé, brillant, volontiers rapide, où l'énergie ne fait pas défaut et qui conclut, soit par l'entraînement d'une sorte de toccata, soit par l'affirmation plus péremptoire d'un fugato. Le piano y tient le rôle d'interlocuteur principal, non seulement pour y prendre le tour de parole qui lui revient dans l'exposition ou le développement des thèmes, mais pour y ajouter l'éclat d'une virtuosité qui se déploie en formules moins brisées, par exemple, que chez Schumann et Brahms (*). De toutes ces œuvres, la plus vigoureuse est assurément la première sonate pour violoncelle et piano. Elle passe, rappelons-le, pour transcrire ou élaborer une improvisation d'orgue, mais cela ne semble vrai que de l'adagio, — dont le début, au reste, reproduit surtout le finale du premier acte de l'Africaine :

 

D'impie et de rebelle
En vain je suis traité.

 

(*) Ce sera aussi la manière de son disciple Fauré, dans toute la musique de piano et la seconde série d'œuvres de musique de chambre laissées par celui-ci.

 

Le ton d'ut mineur, — qui sera celui du quatrième concerto de piano et de la Symphonie avec orgue, — la gravité de l'instrument principal, l'accent pathétique des thèmes dans le premier mouvement, le roulement des traits pianistiques, le contraste avec la sérénité de l'adagio, enfin la rafale du finale donnent à l'ensemble une vie et une puissance exceptionnelles (*).

 

(*) Un fragment du premier morceau

 

 

évoque cette phrase de Samson et Dalila dont Saint-Saëns

 

 

poursuivait alors la composition.

 

La tessiture plus aiguë de l'instrument voue la première sonate pour violon, si elle obéit aux mêmes principes, à plus de légèreté. L'esprit de Mendelssohn, le Mendelssohn du Songe et du trio en mineur, semble y revivre. Longtemps après, dans la Seconde Sonate pour piano et violon (1896) (*) et la Seconde Sonate pour violoncelle (1906) le développement thématique sera beaucoup plus morcelé et les deux œuvres ne gagnent pas en profondeur ce qu'elles y perdent en allure.

 

(*) Saint-Saëns la préférait à la première : j'en ai le témoignage dans une des lettres qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire, mais c'est une opinion qu'il me paraît difficile d'expliquer et surtout de partager.

 

Dans le quatuor avec piano, où le premier morceau constitue le portique un peu solennel de l'édifice, la page la plus remarquable est l'andante, beau choral orné dont le thème, s'il appartient à la tradition et à l'esprit de Bach, prend pourtant une inflexion toute française.

Peut-être faudrait-il anticiper outre mesure pour joindre à ce groupe d'œuvres le Second Trio en mi mineur (1892) plus ample, plus chaleureux que le premier, plus divers également. Saint-Saëns a mis dans le premier morceau un lyrisme dont il se souciait peu d'ordinaire, — si même il ne s'en défendait pas... Le scherzo modéré qui y fait suite est un des « cinq temps » les plus coulants de la littérature musicale (*) et l'adagio alla Schumann donne à regretter qu'il n'ait pas recherché plus souvent cette note recueillie.

 

(*) On sait combien il est difficile d'écrire un « cinq temps » qui ne soit pas boiteux. Les exemples les plus remarquables sont peut-être le bon petit air de la Dame Blanche : « Déjà, la nuit » et l'intermède si fluide de la Symphonie pathétique de Tchaïkovski. Saint-Saëns lui-même en a donné un autre, infiniment expressif, dans l'air de Catherine d'Aragon, d'Henry VIII : « Je ne te reverrai jamais » — et un, plus étonnant encore de dextérité paradoxale, dans le ballet de Javotte.

 

Le Septuor pour trompette, piano et cordes, écrit en manière d'amusement pour la Société de musiciens amateurs de la Trompette, n'est qu'une gageure de sonorité, mais gagnée avec un brio éclatant. Saint-Saëns, — comme Beethoven lui-même pour son Septuor op. 20, — ne voyait pas sans un peu d'humeur la popularité de cette œuvre en éclipser d'autres dont il faisait plus de cas.

Aux trois premiers Concertos pour piano et orchestre, écrits avant 1870, il en ajoute en 1875 un quatrième, qui les dépasse à tout point de vue : qualité des motifs, intérêt et variété du développement, richesse et éclat de l'ornementation instrumentale. En outre et sans qu'on relève entre les deux œuvres la moindre analogie thématique, le Quatrième Concerto porte plus d'un trait qu'on retrouvera, dix ans après, dans la Troisième Symphonie. C'est d'abord la même tonalité d'ut mineur, aboutissant au même éclaircissement terminal en ut majeur ; c'est aussi la même division en deux parties, dont chacune comprend deux mouvements. La seconde de ces deux parties débute, comme fera celle de la Symphonie, par un thème abrupt qui, sans en constituer proprement une variation, emprunte ses éléments à un motif de la première partie. Autre analogie : le thème en ut majeur du finale est une variation rapide de l'andante. On ne doit pas pour si peu regarder le Quatrième Concerto comme une ébauche de la Troisième Symphonie : il en reste trop éloigné et constitue d'ailleurs en lui-même une œuvre beaucoup trop achevée. Il montre du moins Saint-Saëns à la recherche, — qu'il n'a point tentée dans le genre de la sonate, — d'un renouvellement des formes classiques et déjà maître d'une solution à ce problème, vainement retourné avant lui par tant de successeurs de Beethoven (*).

 

(*) Cette nouveauté et cette solidité du plan ne se retrouveront pas, en 1886, dans son Cinquième (et dernier) Concerto pour piano, où des souvenirs de voyage, — un chant nègre et un motif d'Extrême-Orient, — ne s'incorporent pas très bien à l'ensemble et font disparate.

 

Postérieure de quelques années, la Rhapsodie d'Auvergne (1886) sera, elle aussi, une sorte de concerto pour piano et orchestre, tour à tour d'une poésie et d'une vivacité également charmantes.

En écrivant pour piano et orchestre Saint-Saëns continue de penser à ses collègues violonistes et violoncellistes. Au répertoire des violonistes, il ajoute le Troisième Concerto, en si mineur, œuvre nerveuse et brillante entre toutes et l'une de celles où triomphait le mieux l'archet bondissant de Sarasate, à qui l'œuvre est encore dédiée (1880). Quelques années plus tard (1887) la flexible et caressante Havanaise n'aura que le tort de venir douze ans après la Symphonie espagnole de Lalo.

Le Premier Concerto pour violoncelle et orchestre, écrit la même année que la Première Sonate pour le même instrument (1872), est vite devenu l'un des morceaux préférés des virtuoses et mérite cette faveur par son éloquence chaleureuse. Dans son souci primordial d'adaptation, il arrive que Saint-Saëns songe à l'instrumentiste non moins qu'à l'instrument. Ce sera le cas, trente ans plus tard, en 1902, dans le Second Concerto de violoncelle, qui n'est pas destiné sans raison à Joseph Hollman : pour qui se rappelle la crinière explosive, les épaules orageuses, l'archet furieux et les « doubles cordes » athlétiques de Hollman, l'œuvre est presque descriptive : l'hommage, sans mauvaise intention, y confine à la satire et le concerto frôle le Carnaval des Animaux, où Saint-Saëns a souri seulement des pianistes, ne vouant au violoncelle que le lent sillage du noble cygne blanc.

De ces années, pour lui si fécondes, qui suivent la guerre de 1870, datent surtout quatre des œuvres qui ont le plus marqué dans la carrière de Saint-Saëns, ses quatre Poèmes Symphoniques dont la composition s'échelonne de 1871, avec le Rouet d'Omphale, à Phaéton (1874), à la Danse Macabre (1874) et à la Jeunesse d'Hercule (1877). On s'étonne presque, d'abord, de voir un artiste si épris de musique pure cultiver un genre qui, dans la musique, introduit des éléments étrangers, images, idées ou symboles. Mais rappelons-nous que son enfance trouvait de la musique partout, fût-ce dans le murmure d'une bouilloire ou dans le tintement d'une bobèche et qu'en 1867 il mettait comme épigraphe et devise sur le manuscrit anonyme d'une Cantate d'Exposition, ce vers de Victor Hugo :

 

La Musique est dans tout : un hymne sort du monde.

 

Enfin, avide de tout ce qui, au cours des âges, peut élargir le domaine ou enrichir le patrimoine de la musique, Berlioz et Liszt légitiment pour lui une acquisition qui, après eux, appartient à tous, le ktêma es aei. La musique, pour lui, n'agit pas seulement sur la sensibilité. Si, au-delà, elle sollicite, intéresse ou éclaire l'esprit, elle n'y perd pas : elle n'y peut que gagner. Le tout, ici, est comme en toute chose de ménager les proportions et d'obtenir l'équilibre. Les poèmes symphoniques de Liszt, qui lui étaient depuis longtemps familiers et qu'il avait eu l'audace de révéler au public parisien, servent de modèle à Saint-Saëns ou plutôt lui ouvrent la voie qu'il va suivre en toute indépendance. Il en admire la nouveauté, la richesse, la puissance : mais il en reconnaît la prolixité et parfois l'obscurité ou l'excès d'abstraction. Afin de tourner ces écueils où d'autres se briseront après lui, il ne se bornera pas à limiter le développement de ses poèmes : il en réduira d'abord les éléments et leur donnera surtout le caractère pittoresque, pour y mettre la clarté. Sur les traces de Liszt, peut-être se rapproche-t-il moins des Poèmes Symphoniques et de la Faust-Symphonie ou de la Dante-Symphonie que des deux légendes pour piano, Saint François de Paule marchant sur les Flots et Saint François d'Assise prêchant aux Oiseaux.

Si, chez un maître aussi sûr que Saint-Saëns de sa pensée et de sa plume, — lorsqu'il met en effet sa plume, quelquefois un peu automatique, au service d'une pensée, — on pouvait parler d' « essai », le Rouet d'Omphale (1871) en serait un. Le mouvement du rouet, avec le rythme de la pression initiale et son accélération progressive, est d'un dessin net et charmant et son murmure fait une sorte de « pédale » d'une légèreté diaphane, non moins précieuse. Le thème qui chante la passion d'Hercule aux pieds de la royale fileuse est plein à la fois de chaleur et d'amertume

 

 

et la moquerie d'Omphale se traduit avec beaucoup de bonheur par une de ces variations railleuses :

 

 

que nous retrouverons au troisième acte de Samson et Dalila :

 

 

mais, dans l'ensemble et surtout vers la fin, l'interprétation thématique du scénario paraît tenir du ballet (*), peut-être, plus que de la symphonie.

 

(*) Coppélia, admirée de Saint-Saëns — et si justement — est alors dans sa nouveauté.

 

Il y a plus d'ampleur dans Phaéton (1873), soit pour peindre un tableau, soit pour dégager un symbole. Le galop des coursiers aériens n'y est pas seulement évoqué par la pulsation de leur galop, mais la courbe du thème dessine à souhait celle même de l'arc-en-ciel. Après la chute du Titan, frappé par la colère de Zeus, le thème de son ambition, naguère orgueilleux, maintenant gisant et brisé, prend ce caractère de « moralité » que Liszt donne à la péroraison, dans chacune de ses deux Légendes.

La Danse Macabre (1874) mérite d'être devenue et de rester le plus célèbre des quatre poèmes (*). Ce fut d'abord (1873) une simple mélodie, mais dont le motif convenait moins à la voix qu'à l'orchestre, où il a pris tout son relief et son développement. Depuis le tintement des douze coups de minuit jusqu'au cri du coq matinal, lancé par un perçant hautbois, tout, rythme, thèmes, harmonie, timbres, y est mordant et fantasque. S'agissant d'un rêve funèbre où l’homme n'est plus que cendres et ossements, Saint-Saëns ne craint pas de dépouiller çà et là le son musical, soit par le bois de l'archet, soit par l'addition d'un xylophone qui semble être aux autres instruments de l'orchestre ce que le squelette est au corps, comme dans le finale de la Symphonie Fantastique grimace une caricature du Dies irae (**). Jamais Satan n'a conduit le bal avec une sûreté aussi impérieuse et incisive, le réglage insolite de la chanterelle sur mi bémol donnant d'ailleurs dès le début aux accords de son violon un accent de nerveuse étrangeté. Au cri du coq, la dispersion des ombres dansantes paraît se faire sur les nuages du Songe d'une Nuit d'Eté ou sur le char de la Reine Mab, cédant la place — comme dans Phaéton — à quelques phrases d'âpre méditation, suivie d'un dernier écho fuyant de la fantasmagorie. L'œuvre est, de l'ensemble au moindre détail, d'une composition si lumineuse, d'un accent si original, d'un dessin si net et d'une couleur si vive qu'elle ne montre pas la moindre trace d'usure, après soixante-dix ans de succès, partagé depuis lors, mais non accaparé, par d'autres œuvres qui en émanent directement, comme l'Apprenti Sorcier de Paul Dukas.

 

(*) Il y a des traits communs entre la Valse de Méphisto de Liszt et la Danse Macabre : rythme de valse, accord furieux du violon diabolique et solo chantant de ce violon ; mais les deux œuvres étant exactement contemporaines l'une et l'autre, leur rencontre s'explique par l'analogie du sujet, sans l'hypothèse d'aucune influence réciproque.

(**) Effet de raillerie analogue à celui que l'on relevait déjà dans le Rouet d'Omphale et qu'on retrouvera dans Samson. Voir les trois exemples musicaux précédents.

 

Le dernier des quatre Poèmes symphoniques, la Jeunesse d'Hercule (1877) opposant l'austérité de la vertu virile et le tourbillon du vice, est celui où s'affirme le mieux le principe de cette opposition, que Liszt avait emprunté aux dernières sonates de Beethoven. Le thème qui chante ou célèbre la « vertu » est d'une dignité tout olympienne, mais la bacchanale où se déchaîne le « vice » agite des oripeaux un peu clinquants et n'échappe pas à quelque convention de vulgarité. Les bacchantes qui agitent leurs tambourins et leurs charmes pour débaucher Hercule viennent en droite ligne du ballet qui triomphait alors avec la Sylvia de Delibes. Pourtant, Saint-Saëns ayant écrit la Jeunesse d'Hercule au moment où il venait d'achever Samson et Dalila, on peut regarder le poème comme une projection du drame où l'on voit aussi un héros disputé entre la valeur civique ou guerrière et les embûches de la volupté (*).

 

(*) On sait que dans Déjanire, qui met en scène Hercule, Saint-Saëns reprendra, pour introduire ou accompagner son héros, le thème principal de la Jeunesse d'Hercule. On le voit aussi — mutatis mutandis — dans son étincelant Carnaval des Animaux, citer sa Danse Macabre au nombre des rengaines du répertoire.

Une ballade pour piano à quatre mains, écrite en 1880 d'après la légende de Heine, König Harald Harfagar, où chante la nostalgie guerrière d'un roi des Vikings entraîné au fond des eaux par son amour pour une nixe, aurait pu passer à l'orchestre et y devenir un cinquième poème symphonique.

 

On arrive ici, dans la carrière de Saint-Saëns, à une nouvelle période où la chronologie ne peut être suivie sans risque de confusion dans l'examen de son œuvre, en raison notamment du long stage que firent des ouvrages tels que le Timbre d'Argent et surtout Samson et Dalila, avant de paraître devant le public français. Peu importe d'ailleurs, les événements de cette vie ayant peu marqué sur cette œuvre. En 1877, Saint-Saëns abandonne d'une façon définitive ses fonctions d'organiste ; en 1881, après la mort successive de deux enfants en bas âge — le premier avait péri accidentellement — il rompt par une séparation brusque et sans appel, tout amiable d'ailleurs dans sa soudaineté, le mariage qu'il avait contracté en 1875 avec la jeune sœur d'un de ses élèves. En 1881, l'Institut qui, trois ans plus tôt, lui avait préféré Massenet, lui donne la succession de Reber. En 1888, la mort de sa mère détache un lien jusqu'alors fidèlement conservé. Il quitte alors son appartement, donne à la ville de Dieppe qui en constitue un petit musée, quelques souvenirs de famille, dépose chez Erard sa bibliothèque musicale et cherche dans la vie d'hôtel un refuge à sa sauvagerie, s'éclipsant chaque année, pendant de longs mois, pour de lointains hivernages (*), qui défrayaient fort la chronique la plus malveillante. Telle est la trame, unie et neutre, sur laquelle son œuvre continuera de se dessiner. L'indépendance est plus que jamais son mot d'ordre : indépendance personnelle et, nous venons de le voir, conjugale, indépendance sociale, indépendance artistique qui se traduira, non moins que dans sa musique, dans son attitude devant les favoris successifs de la mode et dans l'expression de ses opinions sur la mesure historique de leur importance.

 

(*) Le théâtre de Dieppe lui éleva, en 1907, une statue, due au sculpteur Marqueste. Saint-Saëns eut la faiblesse de se prêter à cet hommage, non certes immérité, mais prématuré et d'assister à l'inauguration, dont la presse fit des gorges chaudes, — pour une fois non sans quelque raison.

 

Au même courant, abondant et fort, qui a donné les quatre poèmes symphoniques et proches l'une de l'autre malgré les cinq années qui les séparent (1874-1879), appartiennent deux des œuvres capitales de Saint-Saëns, le « poème biblique » du Déluge, sur un livret de Louis Gallet et l'ode de la Lyre et la Harpe, sur l'ode de Victor Hugo. Ce sont deux oratorios : le plus voisin de l'esprit religieux est peut-être celui des deux qui médite sur un texte profane. A propos de Déluge, on a parlé de Haendel, alors que Saint-Saëns y touche de plus près à Haydn, dont il a mieux que personne célébré la Création et surtout les délicieuses et admirables Saisons. Le lent prélude, avec son fugato erratique, renoue en effet la tradition des préludes ou interludes symphoniques de la Création et des Saisons, avant que le célèbre solo de violon qui y fait suite chante avec une ample pureté l'innocence heureuse du monde sortant des mains du Créateur. La corruption de l'homme et l'alliance avec Noé sont encore des récits ou chants d'une candeur noble, soutenus par un orchestre réduit de cordes et de harpes. A la fin de cette première partie, la colère du Seigneur se déchaîne au contraire en un thème véhément qui fera désormais l'arête de l'œuvre et lui donnera son sens profond (*).

 

 

(*) Ce motif n'est pas sans quelque parenté d'accent avec l'invective du grand prêtre, au second acte de Samson et Dalila : « Je veux, pour assouvir ma haine... »

 

La deuxième partie emploie pour peindre le cataclysme lui-même une puissance décuplée par son contraste avec les sonorités restreintes de la première. L'invasion des eaux, le souffle de l'ouragan, la nuit désastreuse sur l'univers submergé, les clameurs des hommes, s'unissent dans un terrible concert. Mais, d'une part, ce déchaînement obéit aux éléments musicaux les plus simples : une lente ascension chromatique dessine l'invisible montée des eaux, ce niveau qui s'élève implacablement pour noyer le monde. D'autre part, le thème qui, à la fin de la première partie, chantait la colère de Dieu, reparaît aux cuivres les plus éclatants, pour nous montrer dans le courroux divin la lame de fond qui soulève cet océan où va périr le monde. La peinture est ici un symbole parce que le déluge lui-même est un châtiment. L'apaisement revient pour nous montrer l'arche flottant sur l'immensité des eaux et ce nouveau contraste n'a pas moins d'éloquence que le premier.

Le prélude de la troisième partie, avec une simplicité et une pureté incomparables, ramène la sérénité dans le monde pardonné. Après le retour de la colombe et l'apparition de l'arc-en-ciel, le thème de la colère divine ne gardera que ses notes et ne changera que son rythme, pour devenir un chant de clémence et de bonté :

 

 

dans un quatuor vocal lumineux et touchant. L'art musical offre peu d'exemples d'une « variation » aussi simple, aussi éloquente, aussi géniale. Elle rattache le Déluge aux œuvres symphoniques et dramatiques, telles que Samson et Dalila, où Saint-Saëns appliquera le même principe, avec le même bonheur. La conclusion fuguée est sans doute un procédé traditionnel dans l'oratorio, mais sa prolifération thématique atteint ici à un effet d'une vérité singulière, pour symboliser et réaliser l'ordre donné par Dieu aux hommes, de croître et de multiplier.

Le contraste entre la deuxième partie du Déluge, ce puissant tableau du cataclysme universel et les deux parties qui l'encadrent, avec le rappel si simple, si logique, mais si éloquent de quelques thèmes, c'est l'esprit, sinon le procédé, du poème symphonique, appliqué à l'oratorio, pour y mettre plus de concision et donner à ses développements pittoresques ou narratifs ce caractère de symbole que comporte toute légende religieuse (*).

 

(*) Sur la fin de sa carrière, en 1913, Saint-Saëns qui, depuis 1870 jouissait d'une grande autorité outre-Manche, devait écrire pour l'éditeur Novello, de Londres, et sur des paroles anglaises, un nouvel oratorio, The promised Land. Le souvenir de Haendel et de Mendelssohn, adoptés par l'Angleterre comme compositeurs sacrés, n'est peut-être pas étranger à la conception de cet ouvrage, de caractère narratif et descriptif, où les pages nobles et pittoresques ne manquent pas, sans atteindre à celles du Déluge.

 

Le même esprit inspirera en 1879 la Lyre et la Harpe où la musique oppose l'une à l'autre, mieux que ne pouvaient faire les vers de Hugo et par le seul accent de leurs chants respectifs, l'inspiration païenne et la sérénité chrétienne. Mais l'opposition, à vrai dire, n'est ici qu'alternance et équilibre. Plus de souvenirs ou de traditions bibliques : le spiritualisme dépouille toute trace de dogme, pour ne conserver que les hautes leçons de l'idéalisme, où l'orgue apporte cependant son écho religieux.

En eux-mêmes, des motifs tristes ou graves comme ceux de la Harpe : « Eveille-toi, jeune homme », ou « Homme, une femme fut ta mère » et « Soutiens ton frère qui chancelle » sont d'une émouvante beauté ; ailleurs (« La Colombe descend » et « L'Amour divin »), ils respirent la quiétude, l'assurance candide de la foi, tandis que les thèmes de la Lyre offrent plus de complaisance et d'insouciance — une insouciance qui va parfois jusqu'à l'épicurisme (« Jouis, c'est au fleuve des ombres »). Saint-Saëns n'attache pas ici au paganisme la moindre nuance de réprobation : on ne voit pas dans la Lyre et la Harpe les bacchantes de la Jeunesse d'Hercule, ni la coquette Omphale ; il ne condamne ni Apollon, ni Aphrodite, ni même Eros. Il remet presque au croyant le soin de faire son choix. Avant la conciliation chantée par le chœur final entre « l'écho du Pinde » et « l'hymne du Carmel », dans le noble dialogue de la Lyre et de la Harpe, se retrouve atténué, épuré, transfiguré, le conflit où, dans la Jeunesse d'Hercule, se heurtaient le vice et la vertu (*). C'est aussi, en remontant plus haut, une opposition pareille à celle de « la Nature et de l'Humanité » que, d'après Hugo déjà, Liszt développait dans Ce qu'on entend sur la montagne, le premier de ses poèmes symphoniques, un de ceux auxquels allait la prédilection de Saint-Saëns. Voilà dans quel esprit lucide — et avec quelle souveraine mesure — Saint-Saëns applique à l'oratorio ou à l'ode, comme il fait dans le drame lyrique avec Samson, Henry VIII ou Ascanio, la pratique et l'art du symphoniste.

 

(*) Faut-il rappeler que le peintre-sculpteur allemand Max Klinger avait tenté un essai de ce genre dans son grand tableau le Christ au Mont Olympe, où l'intention offre plus d'intérêt, à vrai dire, que la réalisation.

 

Les années consécutives à la guerre de 1870 voient Saint-Saëns aborder ouvertement le théâtre, mais sa carrière de compositeur dramatique est difficile à suivre avec méthode, certaines dates externes n'en coïncidant pas avec celles où se place la genèse des œuvres. Il y a là des cheminements souterrains dont le grand jour ne respecte pas les étapes ou les sinuosités. Il semble ainsi que l'idée initiale du Timbre d'Argent remonte à 1864, mais la composition s'en échelonne sur plusieurs années et la création de l'ouvrage n'aura lieu qu'en 1877. Etienne Marcel (1879) a fait aussi un stage, encore que moins long. Samson et Dalila, ébauché dès 1859, écrit de 1868 à 1877, est alors créé à Weimar, mais, après de longs détours, n'arrivera à l'Opéra de Paris qu'en 1892, après Henry VIII (1882) et Ascanio (1890) qui lui sont postérieurs dans l'ordre de la composition. De là, quand on soumet ces ouvrages au moindre examen, des chevauchements, arbitraires sans doute, mais inévitables.

L'heure où Saint-Saëns s'attaquait à la composition dramatique était on ne peut plus défavorable. Une de ces opinions toute-faites qui, presque d'année en année, exercent en France une si aveugle tyrannie, interdisait aux compositeurs le cumul de la musique dramatique et de la musique symphonique. On négligeait des exemples comme ceux de Mozart, pour rappeler que les maîtres du jour — ou déjà de la veille — Meyerbeer et Rossini n'avaient écrit que pour la scène, oubliant que le Gounod de Faust avait débuté par des symphonies et Ambroise Thomas lui-même, avant le Caïd, Mignon et Hamlet par des œuvres de musique de chambre dont Schumann parle, non sans estime. De plus, l'opéra de Meyerbeer et l'opéra-comique d'Auber trahissant déjà leur usure, ne se défendaient que par l'intransigeance de leurs tenants, qui frappaient d'interdit, sous prétexte d'hérésie wagnérienne et de musique de l'avenir, toute tentative de renouvellement. Les habitudes des directeurs étaient les moins faites du monde pour tirer de ce dilemme les jeunes compositeurs. Ils leur demandaient de mettre en musique des livrets qui dormaient au fond de leurs tiroirs, en attendant le prince charmant dont les doubles-croches arracheraient au sommeil ces drames conventionnels et ces comédies mort-nées. Les premiers ouvrages dramatiques de Saint-Saëns sont les victimes de cette crise, qu'ils n'ont pas, il faut en convenir, la force de conjurer ou de surmonter.

La Princesse Jaune (1872), opéra-comique en un acte, représentée avec le Passant de Paladilhe et Djamileh de Bizet, tomba : une ouverture piquante dont les rythmes et les timbres évoquent un Japon assez conventionnel, un air d'une nonchalance orientale pleine de grâce ne suffisaient pas à un succès, compromis d'avance par la prévention. Le Timbre d'Argent, créé en 1877 sur la scène d'un théâtre lyrique éphémère, après des vicissitudes dont la chronique s'emparait pour user et décrier l'ouvrage avant son apparition, atteignit à peine le chiffre de dix-huit représentations : ni Bruxelles en 1879, ni Monte-Carlo en 1907 n'ont pu le galvaniser. Certains critiques accusèrent Saint-Saëns d'imiter Wagner ; d'autres, de le trahir ou de le renier. En réalité le Timbre d'Argent ne devait rien qu'à Saint-Saëns lui-même, mais à son habileté de plume assurément plus qu'à des pensées frappantes. Seule a émergé de la partition la charmante romance d'Hélène, avec violon obligé : « Le bonheur est chose légère ».

On rencontre déjà beaucoup plus d'accent et de mouvement dans les quatre actes d’Étienne Marcel, qui remportèrent un meilleur succès à Lyon en 1879. Saint-Saëns y prélude à Henry VIII dans le genre de l'opéra historique dont il a défendu la cause (*). L'air si noble et mélancolique de Béatrix : « O beaux rêves évanouis » en subsiste pour faire pendant à l'air analogue du Cinq-Mars de Gounod : « Nuit resplendissante » et le ballet dont la charmante Pavane est la page la plus heureuse, montre ce souci de couleur historique ou locale sans pastiche, dont Saint-Saëns donnera deux autres modèles dans les ballets d'Henry VIII et d'Ascanio.

 

(*) Ecole Buissonnière, pp. 109, ssq.

 

 

 

partition d'époque de la Suite algérienne (1881)

 

 

C'est hors de France, à Weimar, que, sur l'initiative de Liszt, avait eu lieu en 1877 la création de Samson et Dalila qui n'est pas seulement avec la Symphonie en ut mineur, le chef-d'œuvre de Saint-Saëns, mais un chef-d'œuvre en effet et avec Carmen — auquel il ne ressemble guère — le sommet du théâtre musical français. Samson et Dalila est, pour Saint-Saëns, l'œuvre de toute sa vie, de toute sa vie et de tout son art. Dès sa treizième année, il rêvait d'un oratorio intitulé les Israélites sur le Mont Horeb ; dans ses papiers, on trouve des esquisses musicales de Samson, remontant à 1859 ; lorsque le sujet se précisa dans sa pensée, il envisagea d'abord de le traiter en oratorio ; plus tard, il en imagina lui-même le scénario, qu'il dicta à Fernand Lemaire et dont la structure n'est pas sans rapport avec celle d'une symphonie : l'apaisement suspensif sur lequel s'achève le premier acte de Samson se rencontre dans le Concerto en ut mineur et dans la Symphonie avec orgue. Dès 1868, il en faisait entendre chez lui des fragments ; le deuxième acte était donné en 1874 chez la cantatrice Pauline Viardot ; le premier acte aux concerts Colonne en 1875. Souvent exposé ou condamné à une manière un peu cursive par sa facilité même, par les exigences de sa carrière et par son habitude professionnelle de l'improvisation, Saint-Saëns au contraire — ce sera le cas, plus tard, pour sa symphonie avec orgue — a donc longtemps médité et porté Samson. Bien que rien n'y sente la froide réflexion, les éléments mélodiques (qui restent l'essentiel de toute œuvre musicale) présentent, grâce au loisir de ce choix, une valeur expressive ou dramatique d'une justesse dont Saint-Saëns n'a pas toujours retrouvé ailleurs le relief et l'accent. Quant à l'élaboration de ces éléments, sans aucune trace non plus de calcul ou de dogmatisme appliqué, elle témoigne d'un art parfait. L'analyse peut y déceler après coup des apports nombreux et divers, mais si judicieusement mesurés, si sûrement assortis que leur emploi ne trahit ni l'imitation, ni la réminiscence et témoigne de cette assimilation qui, dans l'art comme dans la science, est la loi du progrès véritable et durable.

Va-t-on reprocher à Saint-Saëns d'avoir abordé un sujet biblique avec la même révérence que Racine dans Esther ou Athalie, que l'insouciant Rossini lui-même dans Moïse ? Peut-être le réalisme de Salomé et, en passant de la Palestine à la Grèce, celui d'Elektra ont-ils gagné sa cause dans ce procès de tendance.

Samson n'abdique pas tout à fait certaines formes et coupes de l'opéra traditionnel, des airs, des duos, un bref trio, des chœurs. Quelque place qu'on y doive faire, depuis Wagner, au commentaire symphonique, la musique théâtrale reste avant tout, pour Saint-Saëns, une musique vocale et la voix, — dont les instruments, fût-ce l'orgue avec sa « voix céleste », ne sont que des succédanés, — veut des phrases pour attacher et émouvoir. Dès le prélude de Samson, derrière le mys­tère du rideau fermé, les premiers accords du chœur invisible affirment cette prééminence de la voix, mais aussi son union avec l'orchestre, qui est l'essence même du drame lyrique. Auprès de cette sourde plainte, où l'élément humain se confond de la sorte avec l'instrumental, le prologue choral de Gounod dans Roméo et Juliette (peut-être inspiré par l'exemple, sinon par la lettre du Roméo de Berlioz) est un froid pastiche et l'intervention du chœur, derrière le rideau, dans l'ouverture du Pardon de Ploërmel, n'est qu'un effet pittoresque, loin de la vertu organique atteinte ici par Saint-Saëns.

Le lever du rideau donne toute son ampleur à ce développement homogène du chœur et de l'orchestre. Le passage des lamentations aux reproches blasphématoires où s'annonce la prochaine révolte est d'une sûreté et d'une sobriété admirables. On a parlé de Haendel et l'on n'a pas eu tort. Le nom, le génie et la manière de Haendel sont liés d'une façon impérative à toute musique biblique. Mais Saint-Saëns concentre les procédés de Haendel dans un raccourci dramatique dont Judas Macchabée ou Israël en Egypte ne se souciaient pas. Et le fugato, si descriptif dans le Déluge pour évoquer la multiplication de la race humaine ordonnée par l'Eternel, devient ici l'interprète saisissant de la première voix révoltée, gagnant de proche en proche une foule qui est un peuple.

L'entrée de Samson affirme avec une force extraordinaire l'autorité du héros — récitant, tribun et guerrier — soit pour imposer silence à la plainte sacrilège des Israélites, soit pour tourner ensuite contre l'ennemi d'Israël la colère d'abord élevée contre leur Dieu. L'énergie du récitatif et l'enthousiasme de l'invocation, reprise aussitôt par le peuple tout entier, sont une des pages les plus fortes et les plus entraînantes du théâtre musical. Les harpes, dira-t-on, sont celles du Prophète ou de Tannhäuser ? Non pas, mais celles dont Meyerbeer et Wagner, avant Saint-Saëns, trouvaient les vibrations dans la légende du roi David.

Il y a de la roideur et du sarcasme dans l'algarade du satrape Abimelech : tout à l'heure, par contraste, la colère du Grand Prêtre, après le massacre d'Abimelech, gardera quelque pompe sacerdotale (*).

 

(*) Un écho s'en retrouve dans la Messe de Requiem écrite en 1878 par Saint-Saëns à la mémoire de son ami Albert Libon.

 

Lorsque Samson se dresse contre Abimelech, les violons ébauchent le thème de révolte qui, après s'être propagé à tout l'orchestre dans une fièvre croissante, aboutira bientôt à la fameuse invective de Samson : « Israël, romps ta chaîne », reprise aussitôt par le chœur, un de ces thèmes, équivalents à la Marseillaise et qui, sans vulgarité, avec une prodigieuse éloquence d'action et de foi, entraînent une foule. Que cette phrase germe dans l'orchestre, avant de s'épanouir aux voix et c'est tout le drame lyrique substitué à l'opéra.

A ces scènes de violence succèdent, accompagnant le lever du soleil, pour un jour de délivrance, quelques lignes d'une quiétude aurorale, une suite de simples accords consonants, longuement tenus, s'étalant tout ensemble vers le grave et l'aigu, comme pour verser sur la scène la lumière et la bénédiction de la sérénité. L'hymne de reconnaissance des vieillards hébreux, avec l'unisson de sa mélopée à découvert, à peine scandée — mais non accompagnée — de quelques accords, n'affecte pas la fidélité documentaire, ni cette pédanterie d'archaïsme textuel que Saint-Saëns a toujours condamnée. Il ne transcrit pas le Kol Nidrei. Seul, un effet de pureté antique lui suffit — comme elle lui suffira plus tard dans Antigone.

La danse des Prêtresses de Dagon, qui vient opposer à cette austère action de grâces sa séduction lascive, ne s'astreint pas davantage au calque. La nonchalance du rythme et la gamme dorienne du motif principal suffisent à un effet d'orientalisme analogue à celui des Mélodies persanes.

Après la captivante cantilène de Dalila, le premier acte s'achève sur une impression d'apaisement, mais d'apaisement précaire et cette nuance d'inquiétude dans le repos est donnée avec une sûreté et une sensibilité incomparables.

Ce premier acte, composé de scènes collectives, faisait de Samson, de Dalila et du Grand Prêtre les champions de leur peuple ou de leur secte. Le second acte les ramène à eux-mêmes, pour un épisode individuel du drame national et religieux. Le souvenir de celui-ci subsiste néanmoins dans l'orchestre, ainsi — toutes différences observées — qu'au troisième acte des Maîtres Chanteurs, la scène intime et délicieuse de David chez Hans Sachs garde quelques échos de la mêlée qui terminait le second acte. Dès le prélude aussi, la lourdeur des nuits orientales, verseuses d'ivresse, se fera à l'orchestre la complice de Dalila pour triompher de Samson et associer la perte du héros à un orage, dont Saint-Saëns disait avoir conçu l'idée d'après l'Otello de Rossini.

Au début du second acte, le monologue de Dalila, exprimant sa haine pour Samson, conserve le rythme de la cantilène où elle chantait tout à l'heure un feint amour, mais cette seule analogie ne met que mieux en lumière l'or position du sentiment. Le duo suivant, entre Dalila et le Grand Prêtre est une de ces scènes de conjuration, vouées à la forme dialoguée, dont le second acte de Lohengrin, avec Ortrude et Frédéric et celui de la Walkyrie, avec Wotan et Fricka ont fixé le type. Là aussi, quelques rappels de motifs renoueront le drame, après la trêve de l'entr'acte. L'ensemble des deux personnages, qui termine cette scène, est la seule page tant soit peu conventionnelle de l'ouvrage ; le rythme en rappelle la malédiction divine du Déluge (dont elle est contemporaine) et, de plus loin, la Strette du duo entre Valentine et Marcel, au troisième acte des Huguenots.

Le duo de Samson et de Dalila, qui vient ensuite, offre un modèle achevé de justesse et de progrès dans l'expression : la phrase célèbre qui en forme le centre (« Mon cœur s'ouvre à ta voix ») souffre à tort de cette célébrité (car elle est noble et belle), comme pour permettre aux gens qui reprochent à Saint-Saëns de n'avoir pas de mélodie, de lui faire ici grief d'être trop mélodieux. Si les deux « couplets » de ce cantabile sentent l'opéra, le drame lyrique, avec toute sa vie symphonique, renaît dans la fin de la scène, dont ce motif forme la trame orchestrale de plus en plus serrée, avec une expression de plus en plus pressante, avant que la page d'orchestre qui accompagne et souligne l'arrivée des conjurés et la capture de Samson, ne rappelle avec la force la plus dramatique les invectives et menaces du Grand-Prêtre, au premier acte. Rien n'a égalé jusqu'ici, dans le théâtre musical français, l'énergie et la justesse de toutes ces pages.

Deux scènes se partagent le troisième acte : la scène si pathétique de la meule et celle du temple de Dagon. La première réfute, par sa poignante éloquence, ceux qui taxent Saint-Saëns de froideur et d'insensibilité. Quelques mesures de lent et incurable accablement, où repasse, affaiblie et lointaine, la déploration des Israélites, entendue au premier acte, préludent à la plainte de Samson, reliant ici les deux extrémités du drame : l'unité, ainsi, ne cesse de circuler, comme le sang, dans tout le corps de l'ouvrage.

Cette unité s'affirme de même, après le changement de décor, dans le temple de Dagon, par le retour du chœur des Philistines. La Bacchanale contraste, de la façon la plus vivante, avec la danse des Prêtresses, du premier acte (*) : celle-ci ne voulait être que caressante, pour troubler les compagnons de Samson ; celle-là illustre au contraire une orgie qui est un rite. De là, un caractère plus marqué du rythme et de la mélodie, avec une ivresse croissante allant jusqu'au tourbillon, comme chez les Derviches tourneurs du Caire ou les Ruines d'Athènes de Beethoven.

 

(*) Pour l'Opéra de Paris, Saint-Saëns a ajouté, avant cette Bacchanale, une page lente, accompagnant et décrivant le réveil des Prêtresses courtisanes, du caractère scénique le plus vrai : le dessin des motifs, avec le timbre du violoncelle, fait voir, littéralement, de souples corps s'étirant au réveil.

 

La scène du sacrifice à Dagon, jusqu'à l'écroulement du temple secoué par Samson, unit les éléments dramatiques et les éléments purement scéniques. Pour les uns, c'est le triomphe du Grand-Prêtre, signifié par le retour, en majeur, de ses imprécations du premier acte, où elles étaient en mineur ; c'est l'ironie de Dalila raillant Samson, avec le travestissement sarcastique des thèmes où elle feignait naguère de lui charter son amour. Pour les autres, c'est le ton incisif et éclatant de si majeur, l'obstination des rythmes à la manière orientale, les petites flûtes évoquant, elles aussi — sans les imiter de façon servile — les fifres de l'Orient, avant que, dans la péripétie finale, quelques-uns des thèmes qui, à la voix de Samson, avaient déchaîné la révolte du premier acte, soutiennent maintenant la prière où il demande à Jehovah de lui rendre sa force ancienne pour abattre les colonnes du temple.

Dans cette admirable partition, construite et menée avec une maîtrise sans seconde, tout porte coup, tout s'impose, avec une justesse, une clarté, une force irrésistibles. Outre cette valeur et cette beauté qui lui sont propres, Samson et Dalila plante dans l'histoire de la musique française le jalon le plus solide. A une époque où Wagner était l'objet d'un engouement exclusif de la part de ceux qui ne connaissaient que lui et de malédiction pour ceux qui ne le connaissaient pas, Saint-Saëns, entre les feux croisés des deux partis, n'a pas bronché, ni hésité. Il n'a pas, dans Samson, dosé le wagnérisme avec je ne sais quelle circonspection opportuniste ou éclectique. Ayant salué en Wagner le grand libérateur de la musique dramatique plutôt que l'inventeur d'une formule nouvelle — qui ne l'était pas tant que cela — et définitive, Saint-Saëns bénéficie de cette libération, sans se plier à cette formule. Suivant les exigences de la situation et les sentiments des personnages, suivant surtout les idées de Saint-Saëns lui-même sur le théâtre musical, il y a donc dans Samson des « airs » ou des cantabile, comme Wagner n'en a plus écrit depuis Lohengrin (sauf dans le concours des Maîtres-Chanteurs). Son récitatif garde un caractère plus soutenu, plus ample que chez le Wagner de la Tétralogie, de Tristan ou de Parsifal. Le commentaire musical y est plus respectueux de la voix, de son volume et de sa puissance. Quant aux motifs conducteurs — Saint-Saëns exécrait le terme de Leit-Motiv — qui étaient, lorsque Samson dut se créer un chemin si malaisé, la « tarte à la crème » du wagnérisme et de l'antiwagnérisme, il y en a dans Samson, plus que dans Faust ou dans Carmen, mais en moins grand nombre que chez le dernier Wagner. Si, d'ailleurs, il arrive chez Wagner que ces motifs s'appliquent à des objets matériels eu à des détails de régie, ils ne s'attachent jamais, dans Samson, qu'à des sentiments et, dans leur usage, Saint-Saëns évite cet esprit de système qui, chez Wagner, affleure quelquefois sous certaines pages de Tristan ou de la Tétralogie. On ne prétend pas par là que Samson dépasse l'une ou l'autre de ces œuvres, mais qu'il conserve exactement ce qui, dans Wagner, peut subsister dans la musique ultérieure. La vérité là-dessus a été dite par le disciple le plus proche de Wagner lui-même, Hans von Bülow qui, lors de la représentation de Samson à Hambourg, en 1882, y célébrant le drame musical le plus remarquable des vingt dernières années, louait dans Saint-Saëns « le seul musicien contemporain qui ait tiré un enseignement salutaire des théories wagnériennes (*), sans se laisser égarer par elles ». Si bien que Saint-Saëns, quand on bataillait de toute part autour de lui et contre lui, à ce sujet, ne posait pas lui-même la question wagnérienne pour cette bonne raison — la meilleure de toutes — qu'il la résolvait.

 

(*) Saint-Saëns répugnait si fort à toute « théorie » que le terme d' « exemple » serait ici plus exact.

 

Il paraît aujourd'hui inconcevable que Samson et Dalila ait mis quinze ans, pour arriver de Weimar (1877) à l'Opéra de Paris, après les plus singuliers détours, entre lesquels une exécution à Bruxelles, dès 1878, mais sous la forme d'oratorio et la représentation, en 1890, à ce théâtre de Rouen qui, pendant quelques années, mérita si bien le nom de « Théâtre des Arts ». A Paris même, un Théâtre Lyrique dont l'existence fut de courte durée, devança de deux ans l'Opéra, où Samson devait enfin triompher le 23 novembre 1892. Durant ce stage, Saint-Saëns donna au théâtre des œuvres fort importantes, sans doute, mais inégales pourtant à Samson, dont le succès préalable les eût peut-être mieux accréditées. Au lieu de cela, Henry VIII, « grand opéra » en quatre actes, créé le 5 mars 1883 à l'Opéra de Paris, a souffert du décri où les Huguenots, en passant de mode après l'hégémonie de leur longue faveur, entraînaient avec eux, pour un temps, l'opéra historique. Dans cette sorte de querelle, tout devrait se ramener à des questions d'espèce. Le seul inconvénient du genre, traité surtout par un maître aussi conformiste à certains égards que Saint-Saëns, est, en imposant à un personnage tel qu'Henry VIII le carcan de la majesté royale, d'enlever quelque humanité à l'expression de ses sentiments, la grandeur du souverain connivant ici à la solennité que l'usage des scènes musicales assigne à l'emploi de premier baryton...

Sous ces réserves qui touchent les ariosos un peu avantageux du roi, — et qu'on pourrait faire aussi sur la prédominance de la mesure à quatre temps, — Henry VIII est un magnifique opéra, où les situations et les caractères se dessinent, s'affirment et se développent avec une largeur, une sûreté, une justesse également exemplaires. Faut-il rappeler entre autres le finale du premier acte, où les angoisses de la reine Catherine se greffent d'une façon si émouvante sur la marche funèbre de Buckingham et, au troisième acte, la scène splendide du Synode, si bien graduée depuis le plaidoyer de la Reine jusqu'à la proclamation de cette réforme religieuse, à laquelle le prélude de l'ouvrage fait une allusion peut-être un peu exclusive ? D'un acte ou d'une scène à l'autre, le rôle de la reine Catherine est un chef-d'œuvre d'émotion et de dignité, depuis sa requête au roi en faveur de Buckingham, jusqu'à sa remontrance aux intrigues d'Anne de Boleyn, à sa pathétique défense devant le Synode, — d'une progression si humaine, si nuancée, si fière aussi, — jusqu'à la cantilène de ses derniers instants au château de Pembroke. Henry VIII, — celui de Saint-Saëns, — appartient à une époque qui exigeait encore un ballet dans tout opéra et Saint-Saëns a tiré parti de cette servitude pour marquer par des traits pittoresques et clairs, sans affectation d'archaïsme textuel, mais par quelques tours adroits de sarabandes et menuets de l'époque, le lieu et le siècle du drame.

Représentée à l'Opéra-comique de Paris en 1887, quelques semaines avant l'incendie qui, après avoir fait tant de victimes, devait bouleverser pour un temps le répertoire de ce théâtre, Proserpine marque le trait d'union entre Henry VIII et Ascanio et ce caractère un peu indécis en a compromis le succès. Il y a pourtant bien de la vivacité et de l'éclat au premier acte, pour la fête dans les jardins de la vindicative courtisane et la couleur locale y est, quand il faut, si juste que la phrase d'un brindisi entraînant : « Dépensons largement la vie », sera, trois ans plus tard, l'une de celles qui assureront la fortune de Cavalleria Rusticana. Au troisième acte, la scène de jalousie menaçante, entre la furieuse Proserpine et la douce Angiola, ne manque pas de vigueur et le quatrième acte oppose avec beaucoup de relief la passion désespérée de Proserpine pour Sabatino aux chastes amours de celui-ci et d'Angiola. Mais, dans cette partition inégale et véhémente, la cime est le second acte, l'épisode ravissant du couvent, chef-d'œuvre de candeur, de grâce, d'émotion ingénue qui, à la première représentation, fut bissé de bout en bout, depuis le prélude, limpide comme le ciel toscan, le dialogue enjoué d'Angiola et des nonnes, le tendre sonnet de Sabatino et le trio souriant qui y fait suite, jusqu'au finale, où, sur le thème balancé de l'orchestre s'élèvent, dans une harmonie incomparable, le chœur des mendiants, la voix des religieuses et, dominant celui de Sabatino et de Renzo, le chant exquis d'Angiola.

Trois ans après Proserpine paraissait Ascanio. Bien que conçu comme Henry VIII pour le « Grand Opéra » de Paris, où il fut en effet créé le 21 mars 1890, Ascanio, malgré le dénouement tragique d'une intrigue d'ailleurs médiocre où les amours et les jalousies s'entrelacent avec un peu d'artifice, est une œuvre de demi-caractère, que cette nuance distingue d'Henry VIII. François Ier et même Charles-Quint y figurent, mais à l'arrière-plan, à
titre épisodique et non point, comme le roi d'Angleterre, en protagonistes pour imposer à l'ouvrage entier cette étiquette qui, ça et là, refroidissait un peu Henry VIII. Il y règne un mouvement scénique plus dégagé, soit dans l'atelier de Cellini, soit sur la place des Augustins, pour narguer d'Estourville et gagner à Benvenuto l'hôtel du Grand Nesle. L'orchestre, pour suivre ou souligner ce mouvement, prend plus d'animation et d'allure que dans Henry VIII et, pour cette action qui se déroule non plus à Londres, mais à Paris et à Fontainebleau, sous François Ier, la musique a aussi, dans l'ensemble, un tout autre accent ; musique souple et courtoise, assortie à la Renaissance française et à la fine pureté de Jean Goujon, en face des portraits d'Holbein.

Les amours d'Ascanio et de Colombe d'Estourville ne sont pas sans rappeler celles de Sabatino et d'Angiola dans Proserpine (*). Tout le rôle de Colombe, sœur jumelle ou cadette d'Angiola, est de la douceur la plus aimable, soit dans ses dialogues avec Ascanio, soit dans la jolie scène du mendiant, soit enfin dans sa cantilène sans accompagnement : « Mon cœur est sous la pierre. » Vingt ans plus tard, Mélisande, à son tour, soupirera une cantilène sans accompagnement pour célébrer la longueur de sa chevelure : que l'on compare, sans prévention, les deux pages et l'on verra où se trouvent la véritable grâce, l'ingénuité sincère et le style.

 

(*) Ascanio, ténor de « demi-caractère », chante assez souvent dans le style de Don Gomez, « second ténor » dans Henry VIII.

 

Terminée en 1886, c'est-à-dire entre Henry VIII et Proserpine, la Symphonie en ut mineur avec orgue n'occupe pas, dans l'œuvre de Saint-Saëns et dès maintenant dans l'histoire de la musique, une place moins éminente que Samson et Dalila. Ici encore, nous rencontrons un ouvrage conçu de longue date, lentement médité et réalisé avec une magnifique profondeur de perfection. La dédicace que Saint-Saëns y a inscrite « à la mémoire de Franz Liszt », — lequel venait de mourir, — n'est pas seulement de sa part un hommage à un maître et à un ami admirés entre tous. Elle est aussi la profession de foi d'un disciple, Saint-Saëns appliquant à la symphonie le principe généralisé de la variation que Liszt adoptait dans ses Poèmes symphoniques et dans sa Sonate.

Il conserve ici les quatre morceaux traditionnels de la Symphonie classique, mais il les groupe en deux parties, comprenant chacune deux de ces morceaux, liés l'un à l'autre sans interruption : allegro et andante ; scherzo et finale. Il reprend donc, pour l'amplifier, le plan du Concerto en ut mineur, mais, derrière cette première expérience, se profile peut-être l'ombre de la Dante-Symphonie. A cette nouveauté de structure générale s'ajoutent des innovations dans le matériel sonore, où interviennent l'orgue et le piano. L'usage de l'orgue lui a-t-il été suggéré par la Bataille des Huns de Liszt ? Cela paraît douteux. Il est plus probable que Saint-Saëns obéit ici à une sorte de lyrisme du métier et, comme un probe artisan de jadis, fait apport et hommage à la Symphonie de son double talent d'organiste et de pianiste. Heureuse trouvaille, du reste : le piano éclaire l'orchestre de sonorités plus brillantes que la harpe et dont le scintillement contribue à l'éclat du finale. En revanche l'orgue, avec son caractère mystique, donne un accent presque religieux à la méditation de l'adagio, comme tout à l'heure à l'allégresse du finale, ses trente-deux pieds bâtissant d'ailleurs pour l'orchestre des assises plus profondes et plus larges que celles des contrebasses. Il semble enfin que, dès le milieu de la première partie, l'orgue, avant qu'il n'intervienne pour l'auditeur, mais déjà présent à la pensée de Saint-Saëns, réveille chez lui des souvenirs de la Madeleine, en donnant à l'une des variations du thème initial une ressemblance étroite avec le Dies irae. De même, dans l'éclatante péroraison du finale, le tutti de l'orchestre entonne une sorte de carillon, comme si Saint-Saëns s'était rappelé instinctivement les volées de cloches qu'il pouvait naguère entendre, de sa tribune, à la fin de l'office.

Le développement de la Symphonie est, comme dans la Sonate de Liszt (*), plus proche de la variation que de la traditionnelle « forme sonate ». Depuis l'exposition du premier morceau jusqu'à la coda du second et dernier, le motif principal paraît sous plus de dix aspects essentiels (en négligeant quelques formations dérivées). Mais ses métamorphoses, si nombreuses et si diverses soient-elles, gardent dès la première audition cette clarté souveraine et (dans le sens cartésien du terme) cette distinction qu'on ne trouve ni chez Bach, dans les Variations Goldberg, voire dans l'Art de la Fugue, ni chez Beethoven dans les Variations sur une Valse de Diabelli. Elles sont coupées de place en place par des thèmes secondaires, variés à leur tour et qui jouent à peu près le rôle du second thème dans la sonate classique.

 

(*) La Sonate de Liszt a probablement déterminé l'évolution du style que l'on observe chez Wagner, entre Lohengrin et Tristan. C'est à elle aussi peut-être que Tchaïkovski empruntera l'idée d'une péroraison lente, au terme de sa Symphonie pathétique.

 

Tout cela ne serait qu'un ingénieux agencement, propre à exercer le scalpel des analystes, si la qualité des thèmes et le progrès de leurs variations ne conféraient à l'ensemble la vie et l'éloquence, avec une chaleur de sentiment dont, cette fois, Saint-Saëns se défendrait en vain contre lui-même. Après les quelques mesures interrogatives de l'introduction, où naît un des premiers motifs de la symphonie, mais où s'affirme aussi la tonalité d'ut mineur, le thème initial de l'allegro offre un double caractère. La mélodie en est fort simple, très claire, très accessible à la mémoire et d'une nature harmonique très marquée, puisqu'elle n'est guère que la surface d'une formule de cadence parfaite : mais elle présente aussi, avec les doubles croches répétées de ses sextolets une sorte de frémissement inquiet, fiévreux, incertain (*). Réduit au schéma le plus sommaire, le plan psychique plus encore que musical de la symphonie consistera à dégager cette mélodie de son hésitation primordiale, à affirmer sa ligne, à consolider son rythme, à la fixer et à l'éclairer enfin d'une lumière décisive en la faisant passer d'ut mineur à ut majeur (comme Beethoven dans sa propre symphonie en ut mineur), à lui donner par un développement fugué l'accent apodictique, avant d'en couronner d'un accord parfait la longue tenue finale. La limpidité des timbres, depuis l'extrême délicatesse jusqu'à la plus grande puissance, ajoute à l'expression des motifs et assure la clarté de leur moindre détail. De la première note à la dernière, la Symphonie en ut mineur est un modèle de vivante et chaude perfection.

 

(*) Celui de Schubert, au début de cette Symphonie Inachevée, que Saint-Saëns aimait si peu...

 

Après la mort de Beethoven, ses successeurs, comme les fils de Charlemagne, s'étaient partagé son empire symphonique. Sous prétexte que la Neuvième Symphonie se termine avec le concours des voix, Mendelssohn, avec son correct et élégant Lobgesang, était tombé dans la Cantate. Berlioz et Liszt, accentuant l'élément idéologique de l'Héroïque ou de la Pastorale, avaient dévié vers le Poème symphonique, alors que dans leurs plus belles symphonies Schubert, Schumann et Brahms, au point de vue de la forme pure, se montraient plutôt en régression sur Beethoven, dont la symphonie de Saint-Saëns est l'héritière la plus authentique (*).

 

(*) On hésite, devant la disproportion des deux œuvres, à rappeler que la même année où il achevait la symphonie avec orgue, Saint-Saëns s'amusait à écrire le Carnaval des Animaux, la seule de ses œuvres restées inédites dont il ait autorisé par testament la publication (preuve qu'il ne le tenait pas pour négligeable). Quelques-uns des croquis de cet album portent la griffe des grands maîtres. Ce sont, — avec le noble Cygne, — les bonds du Kangourou, prodige de musique visuelle, le flottement transparent de l'aquarium, le braiement des « personnages aux longues oreilles », le pépiement ailé de la Volière, enfin l'admirable réhabilitation du Coucou, — égal ici à celui de Wordsworth, — peuplant de son écho le silence des bois, avec ce raffinement auditif de la tierce majeure, changée à la fin en quarte diminuée. La page consacrée aux Pianistes devance le Dr. Gradus ad Parnassum de Debussy, mais surtout les petits portraits que l'on vient de citer ont, lors de leur publication, épousseté d'une pichenette les Histoires naturelles de Ravel, — publiées tandis que le Carnaval des Animaux était encore inédit — et les Bestiaires qui ont, depuis lors, peuplé la zoologie musicale. Peut-être n'en est-il pas ainsi, dans l'œuvre de Saint-Saëns, du seul Carnaval

 

Après tant de traverses et un si long purgatoire, l'installation triomphale de Samson et Dalila au répertoire de Paris et du monde entier couronne la carrière de Saint-Saëns, met le sceau à sa gloire et lui assure, avec la fortune, l'indépendance de fait qui avait toujours été celle de son humeur. N'ayant plus rien à conquérir, tout se passe désormais — jusqu'à la guerre de 1914 — comme s'il multipliait en musique, au hasard et selon les loisirs de ses voyages, des essais dont aucun n'atteindra le niveau de Samson ou de la Symphonie avec orgue.

On a signalé, par anticipation, sa Seconde Sonate pour le violon (1896) et son Cinquième Concerto de piano (1896) ainsi que son Second Concerto de violoncelle (1902) et sa Seconde Sonate pour le violoncelle (1905). En 1899, il donne son premier quatuor à cordes, dont la pureté ne va pas sans un peu de maigreur ou de sécheresse (*), mais il s'intéresse surtout au théâtre, où le succès de Samson l'a maintenant accrédité.

 

(*) Un second quatuor à cordes, écrit en 1918 — Saint-Saëns a quatre-vingt-trois ans — et où s'exprimerait censément le regret de la jeunesse envolée, n'est plus qu'un jeu de jonchets.

 

Phryné, représentée en 1893, est un opéra-comique d'un enjouement sans fard, dont quelques-unes des pages les mieux venues, telles que les couplets de Dicéphile, sont de la plus franche et de la meilleure opérette. Mais que la courtisane cesse de bafouer un barbon pour raconter l'apparition d'Aphrodite sur les rivages, la poésie d'Hel­las reparaît avec elle.

La musique de scène pour l'Antigone de Vacquerie, d'après Sophocle, représentée à la fin de 1893 à la Comédie-Française définit le sentiment de Saint-Saëns en matière de musique antique et d'archaïsme. Le pastiche textuel n'apporterait ici qu'une solution illusoire, stérile et d'ailleurs conjecturale. Pour toucher le public sans le heurter, il faut s'en tenir comme dans le drame lui-même à l'équivalent d'une adaptation. C'est le principe du « tempérament », étendu de l'acoustique à tous les domaines et à tous les stades de l'art musical. Selon la doctrine admise sur le théâtre grec, Saint-Saëns s'est borné à souligner par le chant ou par un accompagnement orchestral unilinéaire quelques fragments de la tragédie. Dans le chant, il s'est contenté de soutenir les vers par des chœurs à l'unisson. Même unisson dans les ritournelles orchestrales, exposées par un petit nombre d'instruments, choisis parmi ceux des nôtres qui doivent ressembler à ceux de l'Hellade. Les gammes sont des modes grecs, quelques-uns des motifs eux-mêmes inspirés des fragments qui nous restent de l'antiquité. Leur caractère défectif, mis en relief par nos habitudes modernes, prend un accent d'indécision et d'inquiétude qui les approprie de la façon la plus saisissante à l'expression de l'angoisse. Cette musique d'Antigone si sobre, si juste, si émouvante parfois dans sa nudité, ne vaut pas que pour elle-même. Au point de vue historique, elle forge un chaînon entre l'Athalie de Mendelssohn, l'Ulysse de Gounod et les tentatives d'Erik Satie, de Maurice Emmanuel et de M. Darius Milhaud. Elle seule atteint à la réussite par l'équilibre : en quoi Saint-Saëns s'y montre tout entier.

Deux ans plus tard et, comme par contraste, il tâte du ballet, auquel il ne s'était encore risqué que dans les épisodes chorégraphiques de ses opéras, du Timbre d'Argent à Ascanio. Le scénario de ce ballet, Javotte (créé à Lyon en 1896), est une innocente paysannerie où l'on voit une petite villageoise remporter à l'improviste, dans une compétition rustique, un prix de bourrée qui lui fera une dot pour épouser son amoureux. Javotte se partage entre la pantomime et la danse : Saint-Saëns y a pris pour exemple, sinon pour modèle, la Coppélia de Léo Delibes, qu'il lui est arrivé de qualifier de « merveilleuse », non sans raison, car Coppélia reste le chef-d'œuvre incontestable de la pantomime-ballet. Sa partition est d'une fraîcheur et d'un esprit dont la musique française (qui depuis lors a essayé d'y revenir) faisait alors trop peu de cas (*). Parmi les épisodes les plus aimables est la page où Javotte tricotant sur sa chaise, le mouvement de ses aiguilles gagne peu à peu ses jambes et fait de Cendrillon une Taglioni. Quelques mesures d'un grand maître suffisent, quand il a fallu à Marivaux deux volumes très denses pour nous conter l'Histoire de Marianne.

 

(*) On y rencontre un « cinq temps » qui est une gageure, dans une musique de ballet, mais gagnée ici avec une adresse magique.

 

Dans la pensée de Saint-Saëns, Javotte devait être le post-scriptum de sa carrière théâtrale. L'occasion en décida autrement, une occasion qui le passionna pour la résurrection, non pas de la musique populaire, — terme ambigu et équivoque — mais de la musique nationale et de la musique à ciel ouvert. Antigone l'avait penché sur le problème pratique de la musique grecque et de ses rapports avers la tragédie. Toutefois, destinée au vase clos de la Comédie-Française, — dont la salle, avant l'incendie de 1901, gardait une intimité si calfeutrée — Antigone emprisonnait Melpomène et Euterpe. Comment les libérer et leur rendre, sous le firmament français, l'espace et l'azur helléniques ? Saint-Saëns est ici échauffé par son amour de l'air méridional et du soleil. Nous sommes d'ailleurs dans les années où l'on essaye de rappeler à la vie le théâtre antique d'Orange, avec la toile de fond de son mur cyclopéen et dès 1894, Saint-Saëns a entonné le péan pour cette résurrection, avec un Hymne à Pallas-Athéné, qui n'est plus une cantilène, comme l'Hymne à Éros dans Antigone, mais un chant de fête clamé pour des multitudes, dans une immensité ensoleillée. L'acoustique d'Orange est malheureusement fort capricieuse. Or, à ce moment, les arènes de Béziers, édifiées pour des courses de taureaux, donnent au contraire le modèle d'une acoustique de plein air excellente. Le cadre est trouvé pour des solennités musicales qui, à l'exemple d'Oberammergau plus que de Bayreuth, permettaient d'instituer des Panathénées françaises. Un riche amateur du cru, M. Castelbon de Beauxhostes, qui y consacre sa fortune et ses soins, fait appel à Saint-Saëns. De cette rencontre sortira toute une série d'œuvres d'un caractère ample et élevé. Déjanire est d'abord, en 1898, un drame pour lequel Saint-Saëns écrira une ouverture, des chœurs, des intermèdes, un ballet. Musique large, un peu sommaire, qu'il faut écouter comme on regarde la toile largement brossée d'un décor ; musique faite pour des milliers d'auditeurs assez frustes et des centaines d'exécutants, la Garde municipale de Barcelone, la Lyre bitteroise, cent dix instruments à cordes, dix-huit harpes, vingt-cinq trompettes, plus de deux cents choristes (*).

 

(*) Qu'est auprès de cela le « nuage d'or des six harpes » dans les Huguenots, que la mauvaise architecture du nouvel Opéra de Paris inflige à Saint-Saëns le regret de n'y plus l'y entendre ?

 

Avec tous les sacrifices de recherche ou de détail que veut ce genre, Déjanire, sous sa première forme, était une vaste fresque sonore, destinée à montrer que, dans nos pays modernes comme dans la Grèce d'autrefois, la musique peut être l'art du peuple. Le transfert de Déjanire des arènes de Béziers au Théâtre de l'Odéon, en la dépaysant, en l'étouffant, la privait de son effet qu'elle ne retrouva pas non plus tout entier, lorsque Saint-Saëns, en 1911, la convertit en opéra, pour Monte-Carlo et Paris (*).

 

(*) L'expérience de Déjanire intéressa vivement Saint-Saëns aux représentations en plein air organisées au Théâtre de Jorat, près Lausanne, par le regretté Gustave Doret.

 

Mais la Déjanire de 1898 avait donné une double impulsion à Saint-Saëns d'abord, à Béziers ensuite et de surcroît à toute la musique française. Dans les années suivantes et presque jusqu'au terme de ses jours, Saint-Saëns renouvellera cette expérience de la musique de scène, à Béziers en 1902, pour le drame assyrien de Mme Dieulafoy, Parysatis, la même année avec Andromaque, pour les représentations données par Sarah Bernhardt ; un peu plus tard, avec le drame égyptien d'Eugène Brieux, la Foi ; en 1915, avec un film, l'Assassinat du Duc de Guise et, en 1916, avec On ne badine pas avec l'Amour. Rien de tout cela n'occupe un rang très élevé dans son œuvre : un thème égyptien charmant — et le plus occidental du monde — dans la Foi et, dans On ne badine pas avec l'Amour, pour accompagner une sortie de dame Pluche, une grimace musicale fort drôle, digne du Carnaval des Animaux, ne sont que des détails.

La consécration de Béziers comme scène musicale de plein air, avec Déjanire, avait provoqué les aménagements nécessaires pour corriger et améliorer l'acoustique d'Orange. Sur les promesses de cette perspective, Saint-Saëns entreprit la composition, non plus d'un « mélodrame » comme Déjanire, mais d'un drame lyrique proprement dit, sur un sujet gallo-romain, les Barbares (*). Les réparations prévues à Orange s'étant trouvées ajournées ou abandonnées, l'ouvrage fut créé à l'Opéra de Paris, en 1901, avec un vif succès, qui ne se maintint pas. Précédé d'une ouverture qui en annonce le caractère, par l'opposition du monde chrétien et du monde païen, l'œuvre est pourtant pleine de noblesse et parfois d'émotion.

 

(*) Quelques années auparavant, Saint-Saëns avait terminé la partition de Frédégonde de son ami Guiraud, mort subitement avant l'achèvement de son œuvre.

 

Cependant, à Béziers même, l'exemple et le succès populaire de Déjanire suscitaient des œuvres de valeur : le Prométhée de Gabriel Fauré, le Premier Glaive de M. Henri Rabaud, les Hérétiques de M. Charles Levadé, Bacchus Mystifié de M. Max d'Ollone, Héliogabale de Déodat de Séverac. Loin de Béziers, sur l'acropole fort peu attique de Montmartre et en dépit des apparences, le Couronnement de la Muse de M. Gustave Charpentier n'était pas sans rapport avec l'objet et les moyens de Déjanire. On ne peut ici parler d'influence, puisque la Vie du Poète de M. Gustave Charpentier lui-même, d'où émane le Couronnement de la Muse, est antérieure. On peut du moins constater que Saint-Saëns, dans ses grandes œuvres de plein air, fixait une idée en suspens.

Déjanire, jouée à Monte-Carlo sous sa seconde forme, devait faire de Saint-Saëns le compositeur officiel ou au moins attitré de la principauté qui, sous la Troisième République, commençait de reprendre le rôle joué, sous le second Empire, par Bade et son fermier des jeux, Bénazet. Parmi les ouvrages écrits par Saint-Saëns pour le théâtre princier, il convient de laisser dans l'oubli Hélène (1903-1904) sorte de cantate scénique en un acte dont il avait eu le tort de versifier lui-même le livret et qui semble avoir été pour lui un dernier échec au « Prix de Rome ». Les trois actes de l'Ancêtre (1905-1906), sur un drame corse assez fâcheux d'Augé de Lassus (librettiste de Phryné) renferment des pages pittoresques, telles que le murmure des abeilles dans le jardin d'un moine agriculteur, ou fortes, telles que le beau vocero d'une grand'mère aveugle, après une tragique vendetta.

Tous ces ouvrages s'échelonnent pour Saint-Saëns sur des années de plus en plus vagabondes,
où il se disperse entre Paris, le Midi, l'Algérie, l'Egypte, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Asie, l'Amérique, bien qu'il ait repris à Paris même, en 1904, un appartement. Est-ce l'âge qui, se démentant lui-même, cause cette sorte de trépidation, peu favorable au recueillement que voudrait la composition d'un second Samson ou d'une nouvelle symphonie avec orgue ? Ce recueillement se traduit dans les souvenirs qu'il donne à l'Echo de Paris, sous forme d'articles que réunira en volume le titre d'École Buissonnière. Causeries familières, mais élevés et dont l'allure parfois dégingandée ne doit pas masquer la haute sérénité.

Il reste avec cela plus fidèle que jamais au piano de sa jeunesse et continue de s'y faire entendre. Ceux qui eurent la faveur d'y assister ne sauraient oublier l'étonnante soirée du 6 novembre 1913, où il brilla encore d'un éclat sans tache et sans défaillance, malgré ses soixante-dix-huit ans, comme pianiste dans son Quintette, dans le Concerto en si bémol (K. 450) de Mozart, dans l'accompagnement de son Rondo Capriccioso et, à un orgue de second ordre, dans la Fantaisie de Liszt sur le choral du Prophète, de façon à rappeler que Liszt saluait naguère en lui « le premier organiste du monde ».

 

 

 

Au lendemain de cet exploit, les dernières années de ce grand vieillard sont un objet d'étonnement et d'admiration. Il a quatre-vingts ans. La guerre éclate et se prolonge, tarissant ses revenus. Il doit reprendre, non pas tout à fait le bâton du pèlerin, mais le clavier du virtuose, avec l'astreinte d'exercer ses doigts deux heures par jour, par respect du « métier » et pour ne pas donner le spectacle du déclin. Du même coup, l'ancien garde national, dont les nuits de l'hiver 1870-1871 déchiraient les poumons, assume dans cette nouvelle guerre un service volontaire de champion, au service de l'art français. Il parcourt en zigzags infatigables la France, la Suisse, l'Italie, l'Angleterre, les Etats-Unis, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay : « On ne manquera pas de dire, écrit-il en 1916, que je ne peux pas tenir en place. J'aimerais pourtant à rester chez moi et à travailler tranquillement : le destin ne le veut pas. » Peut-être entre-t-il en effet dans son zèle un peu de prurigo senilis, dont son âge serait l'excuse. Sans doute aussi, en faisant applaudir dans le monde entier un grand artiste français, n'est-il pas fâché d'être cet artiste. Comment lui tenir rigueur d'un sentiment si humain ?

On a signalé la musique de scène pour On ne badine pas avec l'Amour et le Second Quatuor. D'autres œuvres, dictées plus qu'inspirées par les circonstances, une Marche interalliée, Hail Carlifornia, Cyprès et lauriers, etc. n'y survivent pas.

Mais, dans le calme de la paix une fois revenue, le soir de ce grand maître jette quelques dernières lueurs, vives et pures. Dans une mélodie telle que les Sapins, la voix commente une sorte de poème instrumental, qui dresse avec une saisissante majesté le fût des grands arbres sévères. Dans les Cinq Odelettes de Ronsard, il semble que Saint-Saëns ait voulu opposer la tradition aux effets d'archaïsme décadent recherchés par Debussy et Ravel, quand ils écrivent d'après Charles d'Orléans ou Villon et, quel que soit le raffinement un peu laborieux de ces soi-disant pastiches, c'est Saint-Saëns qui a raison contre eux avec Buffon, pour qui la durée était le temps qui se transmet d'une génération ou d'un âge et d'un siècle à l'autre.

Même réussite dans les trois sonates pour hautbois, clarinette et basson, qui furent pour Saint-Saëns le chant du Cygne. L'ambition en était modeste et désintéressée : le vieux héros du métier musical ne voulait que rendre service à des musiciens, ses frères d'armes : « En ce moment, me faisait-il l'honneur de m'écrire le 15 avril 1921, je consacre mes dernières forces à procurer aux instruments peu favorisés sous ce rapport les moyens de se faire entendre... Je viens d'écrire une sonate en trois parties pour le hautbois, encore inédite. Restent la clarinette, le cor anglais, le basson ; leur tour viendra bientôt (*). » Ces trois sonates, dans leur simplicité, sont des chefs-d'œuvre d'adaptation. Saint-Saëns y sertit chaque instrument comme un diamant sonore, dont il fait briller toutes les facettes. Tonalités, registres, traits, tout y conspire au relief du soliste, pour rehausser son dialogue avec le piano. A lire et à entendre ces trois sonates, on voit revivre le sens professionnel, si modeste, mais si précieux et si beau, que les corporations de la vieille France donnaient au terme de « chef-d'œuvre ». Mais le testament musical de Saint-Saëns n'est pas seulement ici celui du probe et merveilleux artisan en musique qu'il a voulu rester toujours, nous livrant — sans, hélas ! le transmettre — le secret de cet orchestre admirable qu'il a écrit tout au long de son œuvre et où chaque instrument concourt avec tant d'indépendance et de sûreté à l'équilibre et à la richesse de l'ensemble : le magnifique adagio, en mi bémol mineur, de la Sonate pour clarinette est avec cela, le plus profond, le plus ému, peut-être, qu'il ait jamais écrit.

 

(*) Il n'est jamais venu pour le cor anglais.

 

Nunc dimitte... : quelques mois plus tard, le 16 décembre 1921, après une journée de travail et de distraction, des airs de Verdi fredonnés en manière de passe-temps et une partie de dominos avec le fidèle famulus de ses dernières années, le vieux maître se coucha, pour le repos quotidien. Mais, sa respiration s'embarrassant soudain, en moins d'une demi-heure son cœur cessa de battre.

 

 

 

portrait inédit du maître (Collection Bonnerot)

 

 

 

II.

L'HOMME ET L'ESPRIT

 

« Comme nature, je me rapprocherais plutôt de Clemenceau que de Massenet. »

(Lettre de Saint-Saëns, du 14 avril 1918, à M. Pierre Agnétan.)

 

Nul n'ayant plus que Saint-Saëns tenu le moi pour haïssable en matière d'art, a-t-on le droit, dans son œuvre, de chercher et d'interroger l'homme ? De cette œuvre même, il paraît d'abord et veut être absent : « On n'y peut deviner, a écrit Busoni, s'il était bon et capable d'aimer ou de souffrir. En tout cas, son tempérament était apparemment armé contre l'assaut des émotions : il n'était pas le moins du monde sentimental et je me souviens du soir où, à Bruxelles, nous (son éditeur Durand, Ysaye et moi) l'accompagnions de son hôtel au théâtre où l'on annonçait une représentation de gala de son Samson et Dalila, pour la cinquantième. Nous étions tous dans des dispositions un peu solennelles ; Saint-Saëns lui-même semblait pensif, lorsqu'à mi-chemin il s'arrêta, nous priant de vouloir bien l'excuser un moment. Lors de son dernier voyage à Bruxelles, il y avait laissé à réparer un chapeau qu'il voulait reprendre avant que le chapelier ne fermât boutique (*). »

 

(*) F. Busoni : Von der Einheit der Musik, p. 339.

 

Dans sa personne même, n'était rien moins que communicatif. Son nez crochu — qui l'a fait prendre parfois pour un Juif — la verrue qui vissait la patte d'oie à l'angle de son œil gauche, sa voix métallique et nasale, un zézaiement tant soit peu grinçant, hérissaient son abord, comme le zig-zag coléreux de son paraphe, au bout de sa signature, semblait donner plutôt que prendre congé.

Mais cette défense instinctive n'était impénétrable ni à l'amitié, ni à la simple bienveillance, voire à la bonhomie. Il a pleuré comme deux frères Henri Regnault et Georges Bizet ; il a bataillé en affrontant les sifflets du public, pour son ami d'enfance Alexis de Castillon ; pour qu'Ernest Guiraud sur­vécût grâce à lui, il a achevé Frédégonde ; il a salué avec chaleur les débuts de son élève Gabriel Fauré, dont il n'a cessé ensuite de favoriser la carrière. Avec les artistes qui participaient à ses tournées de maître glorieux, au soir extrême de sa vie, il restait, sur un pied parfait d'égalité, le plus simple des collègues ou des camarades. Impitoyable aux prétentieux et aux politiciens de la musique (de là sa rupture avec la Société Nationale) il ne dédaignait pas les amateurs assidus et sincères de ces sociétés ou salons musiciens qui, hélas ! ont aujourd'hui disparu de la vie parisienne, la Trompette, la Société Guillot de Sainbris, l’inoubliable Jules Griset : j'ai pu être, dans ma jeunesse, le modeste témoin de sa bonne grâce au sein de ces réunions si aimables, si ferventes, où il oubliait son rang (*).

 

(*) Qu'il me soit permis d'évoquer aussi le Salon Lambert (une mélodie de Saint-Saëns est dédiée à Georges Lambert) où, il y a tout juste un demi-siècle, humble baryton du chœur, j'ai vu pour la première fois Saint-Saëns au piano, accompagnant le délicieux second acte de Proserpine : qui n'a pas entendu sous ses doigts le prélude de ce second acte n'imagine pas à quelle hauteur de poésie peut s'élever la perfection...

 

Il faut convenir avec cela que son goût d'indépendance se traduisait souvent avec une singularité et une brusquerie faites pour aiguillonner la curiosité, l'indiscrétion, partant la malveillance de la chronique parisienne. S'étant marié à l'improviste, vers la quarantaine, avec une toute jeune fille, nous l'avons vu, après la mort de deux enfants en bas âge, abandonner sa femme au milieu d'une saison d'eaux et ne jamais plus la rencontrer. Quelques années plus tard, après la mort de sa mère, nous l'avons vu aussi pendant quatorze ans vagabonder entre quelques malles et valises, dans des chambres d'hôtel ou des appartements meublés.

Dès que sa situation le lui permit, il passa régulièrement les hivers dans les pays chauds : Algérie, Egypte, Iles Canaries. Il partait du jour au lendemain, parfois sans laisser d'adresse, voyageant à l'occasion sous un faux nom. Les gens parlaient de « fugue » (il est vrai que sa femme en avait su quelque chose...) et, s'agissant d'un musicien, ce terme prêtait à l'esprit. On allait jusqu'à la calomnie pour expliquer le choix de tel ou tel hivernage de renom équivoque. Au fond, la vérité, comme il arrive presque toujours, était beaucoup plus simple. Les poumons fragiles qu'il tenait d'un père phtisique lui rendaient pénible et dangereuse la mauvaise saison de nos climats et dès qu'il pouvait partir, il n'attendait pas d'être, le lendemain, retenu par quelque affaire. Convenons que c'était son droit et qu'il ne devait pas compte de ses déplacements à la presse boulevardière.

Comme il ne cessait de porter la musique en lui, ces voyages, dont la malveillance interprétait de cent façons la soudaineté et le mystère, ne sont pas restés sans action sur son œuvre, on n'ose pas dire sur son esthétique, en parlant d'un maître si hostile à toute théorie. Il en retirait d'abord un bien physique pour sa poitrine sensible aux brumes de l'hiver parisien et un bien moral, en raison du refuge que son humeur parfois un peu misanthropique trouvait dans une lointaine solitude, contre les agitations et les importuns. Mais son art s'imprégnait de la lumière et des climats.

Année par année, il s'est familiarisé avec tous les bords du bassin méditerranéen, qu'il dépassa par quelques pointes jusqu'aux îles espagnoles de l'Atlantique (*). Au cours de ces voyages, Saint-Saëns s'éprit en premier lieu de la mer elle-même, véhicule de sa libération périodique. On ne connaissait pas alors les transports aériens : pour un musicien, c'est-à-dire pour un adepte de l'art le plus immatériel qu'ait conçu l'âme humaine, la mer représentait l'élément le moins concret, le plus souple, qui pût le transporter au pays de ses rêves. Cette mer, qu'il a célébrée en des vers fort plats, il ne s'est jamais hasardé à la peindre par les sons. A cela deux raisons, dont l'une tient à celle des mers qu'il sillonnait le plus volontiers, la Méditerranée, l'autre à lui-même. La Méditerranée ne connait pas l'ample rythme des marées, avec ces crescendo et ces diminuendo que dicte naturellement au musicien l'alternance du flot qui avance, puis recule. Sans ignorer tout à fait les tempêtes, elle ne va pas à l'excès des fureurs océanes. On n'entendra donc pas dans les pages qu'elle inspire à Saint-Saëns (la Suite Algérienne, le début du trio de Phryné) le terrible ululement qui hurle, par exemple, dans l'ouverture du Vaisseau Fantôme, ni l'éclaboussement des phosphorescences irisées que Debussy traduit en notes diaprées dans son fameux triptyque. Ce que Saint-Saëns, valétudinaire et atrabilaire, aime dans la Méditerranée — après l'avant-goût des bouillabaisses provençales — ce sont le calme, la lumière, le bercement de l'immensité ourlée par des rivages ensoleillés où la vague n'expire qu'en un murmure.

 

(*) Il a même poussé jusqu'à Ceylan et au Japon.

 

Cette Méditerranée est une coupe enchantée où se touchent, parfois jusqu'à des morsures qui ne sont pas celles de l'amour, les lèvres des peuples voisins et opposés : France, Italie, Espagne, Grèce, Asie-Mineure, Egypte, Afrique du Nord. Tous ces pays, en les visitant, Saint-Saëns les a écoutés. Son œuvre nous en apporte des images ou plutôt des échos nombreux, mais quelquefois difficiles à déceler, à dégager, à définir, à analyser.

Il semble n'avoir fait en Corse et assez tard, qu'un seul séjour pour préparer la composition de son drame lyrique l'Ancêtre, créé en 1906 à Monte-Carlo. Le livret en est conventionnel jusqu'à l'absurdité : on y voit une vieille aveugle s'emparer d'un fusil, pour exécuter une vendetta et tuer sa petite-fille, au défaut de l'homme visé par sa haine, sinon par ses yeux. Saint-Saëns a pu y évoquer pourtant tour à tour la Corse embaumée, puis la Corse farouche et guerrière. Le jardin d'un ermite agriculteur lui permet de chanter le bourdonnement éthéré des abeilles ; une scène (obligatoire...) de vocero lui fournit, en musique, un expressif tableau de mœurs. Enfin, le ténor de cet opéra étant un jeune soldat de Napoléon, le souvenir de ses campagnes dicte à l'orchestre un écho de la Marseillaise : l'île des myrtes et des stylets est aussi celle des gibernes et voilà dessinée, en trois traits de musique, comme l'a fait Mérimée dans Colomba en trois traits de plume, la figure de l'île odorante, vindicative et française.

Saint-Saëns doit peu de chose à l'Italie, où il avait fait en 1857 un premier voyage avec le Curé de l'église Saint-Merri, dont il était alors organiste. Ce bref passage l'avait pourtant familiarisé avec la musique religieuse de la Renaissance italienne et avec la pratique traditionnelle de cet art. Au moment à peu près où son ami Bizet, pensionnaire à la villa Médicis, abdique tout respect humain pour déclarer assommante la musique du XVIe siècle que l'on entend aux offices du Vatican, Saint-Saëns l'écoute avec un intérêt plus réfléchi, qui lui inspire un jugement plus objectif. Cette polyphonie de la Renaissance manque de mélodie ; c'est pourquoi elle est aujourd'hui une langue morte, qui a cessé de parler à notre cœur ou au moins à notre sensibilité immédiate et spontanée. Mais, malgré ce défaut de mélodie, son tissu harmonique lui donne une beauté qui se suffit à elle-même pour enlever l'admiration. Exemple dont nos compositeurs modernes peuvent tirer une double leçon : la mélodie est essentielle à l'action du langage musical, mais cette mélodie doit se pénétrer d'harmonie et émaner de l'harmonie. Près de vingt ans plus tard, en 1876, de ce Vatican wagnérien qu'est Bayreuth, Saint-Saëns jugera Wagner avec la même indépendance que Palestrina : trait essentiel de son intelligence, de son caractère et de son art, accentué par l'expérience de ses voyages.

En face de l'Italie, l'Espagne n'a guère été pour Saint-Saëns que l'antichambre de l'Islam. Il n'en a rapporté que des feuilles d'album, puisque la charmante Havanaise pour violon est native de Rennes (*).

 

(*) De même, la Suite algérienne a été achevée à Boulogne-sur-Mer ; peu importe : Corot disait que les plus beaux paysages sont peints à l'atelier.

 

Le monde arabe l'a beaucoup plus attiré, retenu, charmé, enrichi et instruit avec son climat, sa
lumière, sa couleur, ses mœurs et surtout sa civilisation qui semble défier le temps, notamment en musique, puisque la psalmodie de ses chanteurs et la ritournelle de ses instrumentistes y demeurent aujourd'hui ce qu'elles étaient il y a dix ou vingt siècles. Si Saint-Saëns allait demander souvent à l'Algérie ou l'Egypte la santé avec le recueillement ombrageux de la solitude, il y a trouvé bien autre chose et des éléments qu'il a fait passer dans son œuvre ou qui ont corroboré sa conception de l'art — sa conception et non sa théorie, nul artiste, on ne saurait trop le redire, n'ayant jamais répugné plus fort à toute théorie.

C'est à Saint-Eugène, dans la banlieue d'Alger, qu'en 1873 Saint-Saëns esquissa le troisième acte de Samson et Dalila. Rien de plus frappant que la comparaison entre ce troisième acte et le premier, antérieur de plusieurs années. Au premier acte, la danse des Prêtresses de Dagon n'évoque l'Orient que par une lascivité modeste, celle du Bain Turc d'Ingres, mais la bacchanale du troisième acte emprunte à la musique musulmane son second thème et le rythme obstiné de sa basse. La scène du sacrifice à Dagon, avec la progression de son vertige, rappelle aussi, quoique fort librement, l'ivresse factice qu'excite chez eux le tourbillonnement, lui aussi progressif, des fameux « derviches tourneurs ». C'est également aux portes d'Alger, sur la petite plage du Jardin d'Essai que Saint-Saëns écoutera le murmure de l'écume pour le reproduire ou l'interpréter dans le trio de Phryné. Mais plus encore que la mer, il aime en Algérie « un ciel d'un bleu clair et transparent, d'un bleu que nous ne connaissons pas » et qui « surprend et ravit le regard ». Clarté et transparence ne sont-elles pas la double définition de son style lui-même ? Qu'est-ce à dire, sinon que Saint-Saëns aime l'Algérie, non pas en vagabond capricieux, mais en artiste méditatif, moins pour ce qu'il y recherche que pour ce qu'il y retrouve de lui-même, cet idéal de limpidité que ne réalise pas le ciel parisien.

L'Afrique pourtant, ne se contente pas de procurer à Saint-Saëns cet état d'aise et de rêve favorable à la création artistique — détachés de tout élément local. On le voit en fixer quelques images ou quelques échos dans la Suite Algérienne.

L'Egypte, après l'Algérie, sera pour lui à proprement parler un éblouissement. Curieux d'optique et d'astronomie, en abordant pour la première fois au pays des Sphinx, il a passé une semaine à se promener dans l'isthme de Suez pour observer des phénomènes de mirage et en chercher l'explication. Dans un de ses articles de l'Ecole buissonnière, il s'étend avec beaucoup d'insistance sur les effets lumineux que lui a révélés le ciel égyptien et l'équivalence de leur scintillement se retrouve dans l'accompagnement d'une mélodie intitulée Lever de soleil sur le Nil. Quant aux thèmes musicaux notés par lui en Egypte et transportés dans ses œuvres, ils offrent cette particularité, malgré leur origine authentique — nous pouvons nous en remettre à Saint‑Saëns pour le respect des textes et l'exactitude des transcriptions — de s'adapter à nos modes occidentaux, d'accepter le support de l'harmonie occidentale, de se prêter aux développements de la rhétorique musicale de l'Occident. Cela est vrai du Souvenir d'Ismaïlia, d'Africa, du Caprice arabe, du « chant nubien », en sol majeur (*) introduit dans le cinquième concerto, vrai enfin d'un charmant motif, également en sol majeur, de la Foi.

 

(*) Dont le développement frôle un épisode de la Rhapsodie d'Auvergne.

 

Ces détails en eux-mêmes seraient peu de chose, un divertissement de la plume, où la pensée ne s'attarde pas. La musique orientale sollicite Saint-Saëns par des problèmes et lui inspire des réflexions d'un intérêt plus général, qui touchent à sa conception même de l'art. Il observe entre elle et la nôtre une différence d'abord si profonde que le même mot de « musique » ne devrait pas s'appliquer à toutes deux, l'art musical « antique ou oriental » étant fondé sur une combinaison de la mélodie et du rythme, à laquelle manque l'harmonie. Cette observation est symétrique ou complémentaire de celle qu'inspirait naguère à Saint-Saëns la musique italienne, harmonie sans mélodie. L'art moderne et occidental doit relier en un faisceau ces deux branches divergentes.

Notons surtout que pour Saint-Saëns la géographie, enseignée par l'expérience des voyages, est grande maîtresse d'histoire. La distance dans l'espace (Racine a dit quelque chose de cela dans la préface de Bajazet) équivaut parfois à l'éloignement dans le temps. L'art musical, exclusivement linéaire, de l'Orient actuel, c'est celui même des anciens — des anciens et du Moyen Age, son héritier.

A Louqsor, en 1909, Saint-Saëns se plaisait à entendre chaque nuit, peu avant l'aube, un muezzin qui chantait « d'une voix merveilleuse à la tessiture extraordinairement élevée... Cette voix était fraîche comme les sources, inaltérable et infatigable ». Il ajoute : « Ce qu'elle chantait échappe à toute analyse et ne saurait s'écrire. Et je me demande si ces neumes du plain-chant, auxquels nous ne comprenons plus rien, dont nos éditions actuelles ne sont qu'une réduction fort abrégée que nous faisons chanter pesamment par des voix de basse, ces neumes auxquels saint Isidore disait qu'une voix haute, douce et claire pouvait seule convenir, ne ressemblaient pas, dans leur exécution primitive, à ces vocalises presque irréelles où l'on surprend, à l'état naissant, les premiers balbutiements de l'art musical (*). »

 

(*) Ecole Buissonnière, p. 335.

 

Dans les éléments de la musique orientale, recueillis par sa curiosité de voyageur, Saint-Saëns ne trouve donc pas seulement quelques motifs pittoresques pour en orner telle ou telle de ses œuvres. Il y trouve la clef d'un passé jusqu'alors indéchiffrable. Mais ce passé, survivant ainsi pour lui par l'exemple de la musique arabe, Saint-Saëns l'interroge sur l'avenir. L'harmonie et sa forme la plus pleine ou la plus mobile, la polyphonie distinguent la musique européenne moderne de la musique orientale ou antique (c'est tout un). Mais il est possible que demain ou après-demain le monde, après une floraison trop luxuriante de cette polyphonie, connaisse une « réaction dans le sens de la simplicité » (*). Son instinct de mesure ne réalise-t-il pas dès maintenant quelque chose de cette prophétie ? Mais il va plus loin dans la conjecture, sinon dans la divination. Notre système de demi-tons et de notes synonymes ne représente pas la vérité musicale absolue : les notes synonymes, c'est l'artifice de l'enharmonie, dont il a toujours contesté le principe, parce que son oreille possède une précision de laboratoire, mais sans aller jusqu'à s'en interdire l'usage. Il n'y a là qu'un à-peu-près et le temps viendra peut-être où notre oreille, plus raffinée, ne s'en contentera plus : mais comme Saint-Saëns ne juge pas qu'une telle exigence s'impose avant le quarantième siècle, il ne perd pas son temps à attendre cette révolution, ni sa peine à la devancer. Entre le passé et l'avenir, seul le présent entre en ligne de compte.

 

(*) Dans des vers assez mauvais, il s'est demandé si les Arabes ne feraient pas une seconde fois la conquête de l'Espagne.

 

Sa familiarité avec l'Orient africain permet donc à Saint-Saëns d'exercer cette faculté d'assimilation musicale, si puissante chez lui dès son enfance. Assimilation facile, pour un styliste aussi délié ; bien plus, assimilation préalable puisque, par divers exemples, nous le voyons retenir de préférence des thèmes qui s'apparentent à nos modes, — j'entends au majeur et au mineur de l'Europe moderne. A ce titre, son orientalisme très sage, si l'on en voulait chercher l'équivalent dans la peinture, le mettrait en compagnie d'un Marilhat ou d'un Fromentin. Mais ce voyageur lunatique, dont Paris affectait de rire, nous apparaît moins comme un explorateur hasardeux que comme un grand colonisateur et fort méthodique.

D'autre part, l'Orient, avec cette persistance d'un passé révolu chez nous depuis des siècles, le confirme dans ce relativisme qu'il professe et pratique en toute chose, philosophie, histoire et surtout, parce qu'il est musicien, musique.

 

 

 

Autant que de ses voyages, on s'est gaussé des soi-disant prétentions de Saint-Saëns à l'astronomie et voilà encore une légende à corriger. L'antiquité, avec Pythagore ou Platon, conseillait au musicien cette curiosité et l'encourageait à chercher dans ses harmonies — qui d'ailleurs n'en étaient pas — celle même du kosmos. L'ambition de Saint-Saëns ne visait pas si haut : il n'entendait pas rivaliser avec Herschel qui, on le sait, avant de découvrir en 1784 la planète Uranus, avait débuté non sans distinction dans la musique ; il ne reprenait ni les ailes d'Icare, ni les rênes de ce Phaëton, dont il a chanté l'orgueil et la chute. Enfant, la poétesse Mme Amable Tastu l'avait un jour amené à l'Observatoire, pour y observer les montagnes de la lune. C'était l'époque — les hommes de mon âge en ont vu la fin — où, sur la Place Vendôme ou au Pont-Neuf, des « astronomes », frères des marchands de marrons ou de pommes frites et auxquels manquait seul le bonnet pointu (mais quelques-uns ne le portaient-ils pas encore ?) vous laissaient pour deux sous coller l'œil au gros bout d'une lunette obliquement braquée vers le ciel. Saint-Saëns, parisien de Paris, a connu ces derniers descendants de Tycho-Brahé. Plus tard, il dévorait l'Astronomie populaire d'Arago, à mi-chemin entre l'Observatoire et les montreurs d'étoiles de la voie publique et, dès sa jeunesse, ayant vendu à l'éditeur Girod six petits duos pour harmonium et piano, il en consacra le produit à l'achat d'une excellente lunette de Secrétan. Ce goût pour l'inspection du firmament ne le quitta jamais : il n'est pas plus anormal que celui des échecs ou des timbres-poste. Avec une parfaite modestie, il convenait de sa « nullité scientifique » et s'il fit partie, en amateur, de sociétés astronomiques où il ne manquait pas de considération, faut-il rappeler qu'alors florissait Flammarion qui fut dans le grand public, pour l'astronomie, ce qu'Henri Fabre devait être plus tard pour l'entomologie. En cette matière, Saint-Saëns restait beaucoup plus proche de Fontenelle que de Le Verrier (*).

 

(*) Les montagnes de la lune lui inspirent sur la ruine de la terre, du monde et de la civilisation des rêveries qui anticipent sur « l'ère atomique » et rappellent les conjectures sur l'avenir de la musique que lui suggèrent les tonalités indécises de l'Orient.

 

Mais ce goût pour la lunette astronomique, cet attrait pour l'examen des sphères célestes répondait à ce besoin de son esprit, qu'on retrouve à chaque pas de sa vie, de voir aussi clair que possible dans les choses obscures et d'aussi près que possible les choses éloignées. La lunette s'y prête au moyen de sa vis et de sa « mise au point ». Dans le tour de cette vis, dans cette recherche de la mise au point, il y a un degré imperceptible de la spirale où il faut s'arrêter, sous peine de brouiller la vision. Ce degré, Saint-Saëns l'a toujours, ou presque toujours, trouvé, sans longs tâtonnements, dans toutes les questions qui relèvent de l'art ou du goût musical. Sa lunette astronomique n'est donc pas un bibelot de maniaque, mais un symbole de son esprit et de son talent.

 

 

 

On en arrive aux écrits de Saint-Saëns qui, plus encore que ses voyages et sa lunette astronomique, ont lancé contre lui, de son temps, avec une incroyable fureur, toutes les meutes partisanes de la musique et du journalisme.

En les étudiant, il convient d'éviter le travers, contre lequel il s'est élevé, de demander compte à l'artiste de ses opinions plus que de ses œuvres. Mais ces opinions rendent une sorte de timbre intellectuel qui vibre à l'unisson du timbre musical et l'accentue en le doublant, comme un instrument en double un autre.

Dans ces écrits, il faut d'abord faire un choix d'où l'on peut écarter ses vers. Le titre de Rimes familières, qu'il leur a donné, montre que lui-même n'y attachait pas trop d'importance. Mais peut-être est-ce trop déjà de les avoir publiés ainsi qu'un ou deux essais de comédie : Botriocéphale, la Crampe des écrivains et le Roi Apépi. Rien ne mérite d'en être retenu et sa musique n'en serait pas affectée, s'il n'avait mis la main au texte de Déjanire, pour la porter des arènes de Béziers à l'Opéra de Paris et s'il ne s'était fait son propre librettiste, sur le tard, dans cette cantate théâtrale d'Hélène, qui peut être négligée dans l'examen de son œuvre. Péché de vieillesse chez lui, dans lequel sont tombés, beaucoup plus jeunes, Vincent d'Indy avec Fervaal et l'Etranger et Albéric Magnard avec Guercœur.

Au lecteur des articles ou souvenirs réunis par Saint-Saëns en quelques volumes, une première remarque s'impose. On n'y rencontre pas un mot de technique. Il n'y a pas là de complaisance pour le public profane, mais une sorte de supériorité naturelle chez un maître à ce point savant, que la science est pour lui sous-entendue, échafaudage dont plus un copeau ne doit traîner au pied de la façade, une fois édifiée.

Il ne faut pas davantage chercher dans ces pages, souvent écrites à bâtons rompus, rien qui ressemble à un dogme, à une théorie, à un précepte, dont sa musique offrirait la démonstration. Jamais artiste ne fut plus éloigné de la scolastique, de l'esthétique, de la doctrine et du système. Mais ses opinions et ses jugements, quoique semés au hasard de l'occasion, reposent sur des faits si bien établis et obéissent aux principes d'une si simple raison, qu'ils prennent d'eux-mêmes une cohérence organique, plus solide justement que celle de toute doctrine ou de tout système (*).

 

(*) On peut, — on doit même, je crois, — faire des réserves sur quelques-uns des articles écrits par Saint-Saëns durant la guerre 1914-1918 et réunis en un petit volume, sous le titre de Germanophilie. Pendant la tourmente qu'une autre, pire encore, ne saurait faire oublier, Saint-Saëns, l'ancien garde-mobile de 1870, n'était pas homme à se hisser « au-dessus de la mêlée ». L'âge s'est ici manifesté chez lui par l'irritation plus que par la sérénité et sa plume a craché : lui en fasse grief qui voudra...

 

L'intérêt en est multiple. Il y en a un d'abord à connaître quelle idée de l'art musical s'est fait un maître qui en a si bien possédé tous les ressorts. En second lieu, ils ne donnent pas seulement à qui ne serait pas musicien une idée abstraite ou un écho intellectuel de son œuvre, mais ils le rangent dans, cette lignée des esprits français, où un compositeur a le même droit de cité qu'un poète, un philosophe, un orateur ou un peintre. En même temps, la souveraine indépendance que Saint-Saëns y montre envers tous et, mérite plus rare, envers lui-même, invite chacun de nous à exercer un contrôle pareil, pour faire son examen de conscience devant les préjugés, les idées reçues, les routines et les modes.

Et d'abord, chez cet homme si souvent taxé d'outrecuidance ou d'égoïsme, on remarque la conception de l'art la plus sereine et la plus impersonnelle. Il ne s'interroge pas sur la nature même de cet art, qui se ramène presque, pour lui, à l'exercice du métier, du métier possédé à fond et pratiqué avec une entière sûreté. Il en va ici des individus comme des peuples et Saint-Saëns a écrit là-dessus quelques lignes profondes où l'on peut entendre une profession de foi : « Nos peuples modernes ne sont pas artistes : le peuple grec l'était ; le peuple japonais l'était avant l'invasion européenne. On connaît un peuple artiste à ce qu'il ignore ce que c'est qu'un « objet d'art », l'art étant partout dans un pareil milieu. Un peuple artiste ne songe pas plus à faire de l'art qu'un grand seigneur à se donner l'air distingué : la distinction est dans ses moindres gestes sans qu'il en ait conscience. De même, chez les peuples artistes, les objets les plus usuels, les plus humbles ont du style. Et ce style, c'est l'équilibre parfait, l'appropriation exacte de l'objet à sa destination, la justesse des proportions, la pureté des lignes, l'élégance des courbes, la perfection dans l'exécution, dans l'intention surtout... Les armes des peuples primitifs sont belles, les haches préhistoriques de l'âge de la pierre polie sont d'un galbe parfait. Il ne s'agit donc pas de créer le sentiment de l'art dans le peuple, mais plutôt de le réveiller (*). » Et c'est, ajoute Saint-Saëns, par la musique que l'on pourrait commencer.

 

(*) Ecole Buissonnière, pp. 152-153.

 

La mission de l'artiste et, en particulier, du musicien, est donc d'élever et de généraliser pro virili parte le degré et le sentiment de la perfection, dans le pays et dans le siècle où le sort l'a fait naître, dans le genre d'art auquel l'ont voué ses dons.

Sans prétendre les résoudre par une négation formelle, Saint-Saëns ne s'interroge sur les problèmes généraux et essentiels de la métaphysique ou de la foi que pour les écarter ou au moins pour les déclarer inaccessibles à la spéculation et davantage encore à la pratique : « Il n'y a ni esprit, ni matière, écrit-il par exemple en tête de ses Divagations sérieuses : il y a autre chose que nous ne connaissons pas. » Et plus loin : « Laissons le temps accomplir son œuvre grandiose : peut-être les hommes qui vivront dans dix mille ans résoudront-ils les questions que nous n'osons même pas aborder. » Ces questions, ce sont parallèlement celles de l'infini et de la musique en quarts de tons. Impossible de savoir jamais si la philosophie de Saint-Saëns dicte ses théories musicales, ou si son instinct musical inspire sa philosophie : je penche décidément pour la seconde hypothèse. En art comme en ontologie il ne s'élève pour de bon que contre l'idée d'un « but » fixe (*), contre le finalisme, piège dangereux tendu à l'orgueil humain, chacun risquant de se prendre pour ce terme suprême auquel tendaient la marche et l'évolution des âges (**). Chaque forme d'art, parmi celles qui se sont succédé de siècle en siècle et, dans une mesure plus réduite, chaque artiste engagé dans l'évolution de cet art, ne sont qu'une spire d'une vis sans fin. A poursuivre l'absolu et l'infini, on perd son temps et sa peine. « Que sçais-je ? » avait déjà dit Montaigne, mais Montaigne n'était qu'un flâneur : l'artiste échappe à ce scepticisme par l'exercice de son art.

 

(*) « Le But ? Il n'y en a pas. Rien, dans la nature, ne tend à un but. » Elle n'offre le spectacle que « d'un perpétuel cercle vicieux ». (Problèmes et mystères, p. 84.)

(**) On en voit quelque chose dans le Cours de composition de Vincent d'Indy, où toute l'histoire de la musique, depuis ses plus lointaines origines, est braquée sur la fondation et l'esthétique de la Schola Cantorum.

 

Quels sont les éléments et les conditions de cet exercice ? Dès le seuil, Saint-Saëns les déblaie de toute abstraction (celle surtout de la quintessence) et de tout calcul. Jamais oreille plus fine et plus précise que la sienne ne rivalisa de plus près, dans la perception et dans l'analyse des sons musicaux, avec les appareils enregistreurs des laboratoires. A ce point de vue, son cas est, pourrait-on dire, un cas limite. Il n'en a que plus d'autorité pour mesurer le fossé infranchissable qui sépare ici l'absolu — qui serait le son acoustique — du relatif — qui est le son musical. Il en prend acte, s'en arrange et agit en conséquence. Helmholtz n'a rien à voir avec Bach ou Mozart. La gamme des musiciens et celle des physiciens ne concordent pas, peu importe ; la sophistique grecque s'est vainement épuisée à les réunir et, dans cet effort, a oublié la musique elle-même. Le musicien — compositeur, chanteur, exécutant — travaille sur des données mathématiquement fausses ou, au moins, d'une justesse approchée. Mais les mathématiciens eux-mêmes, si intransigeants devant la musique, font des démonstrations justes sur des figures fausses. En musique, le tempérament est le code de cette fausseté : l'oreille s'en arrange et ne la perçoit que si l'écart devient énorme ; elle y prend même plaisir dans le cas de la note sensible tendant vers sa résolution (*). Les arts plastiques vont bien plus loin, puisque le dessinateur traduit et interprète la réalité en lignes qui n'y existent pas, tandis que la photographie instantanée découpe en contorsions invraisemblables le mouvement le plus souple, le plus élégant et le plus naturel.

 

(*) « Aussi peut-on dire, ajoute Saint-Saëns, que ceux qui ne savent pas lire la musique ne la connaissent pas complètement. » (Ecole Buissonnière, pp. 339-340).

 

La notion, ou plutôt le sentiment et l'instinct de la relativité règnent donc au plus profond de la musique, dès la perception des sons qui la constituent. Ils s'y propagent, de degré en degré, à tous les domaines de l'art musical, harmonie, style, forme et surtout histoire, histoire avec cet équilibre que le présent doit réaliser entre le passé et l'avenir. Tout n'y est affaire que d'accommodation, d'adaptation et d'appropriation. Le musicien, qui transige spontanément avec la justesse approximative des sons, doit admettre aussi que la vérité de la forme et de l'expression n'est que convention. Dans tous les arts et singulièrement la musique, le plus immatériel de tous, la convention est en effet un postulat de l'illusion, partant du plaisir esthétique. A rompre en visière, de façon trop brusque, avec cette convention, vous amenez l'auditeur à s'interroger sur cette illusion, qui s'évanouit aussitôt, ne laissant à sa place que le vide et l'absurdité. Il en va ici comme du somnambule, dont la marche inconsciente évite les abîmes où un réveil brutal le précipiterait. Sans s'y asservir, l'artiste doit donc composer dans une large mesure avec les données de son temps, c'est-à-dire avec les habitudes de son public (*). Ce public, pour le ménager, il importe moins de le caresser, de le flatter, de le séduire — fût-ce pas le piment de la nouveauté à tout prix et l'appât de l'émotion forcée — que de l'élever, progressivement, suivant des degrés bien calculés. La netteté de l'idée, la pureté de la forme y sont à la fois nécessaires et suffisants. La recherche de l'expression et de l'émotion avant tout est une mode et un travers de notre époque. « Art d'émotion, art de décadence. » Fils ou héritier du XVIIIe siècle — la grand'tante Masson le perpétuait pour lui au foyer maternel — Saint-Saëns applique tout naturellement à l'invention les théories que Diderot, dans le Paradoxe sur le Comédien, énonçait à propos de l'interprétation.

 

(*) « Le goût du public, bon ou mauvais, est un guide précieux pour l'artiste et celui-ci, quand il a du génie — ou simplement du talent — trouve toujours moyen de bien faire en s'y conformant. » (Portraits et Souvenirs, 1re édition, p. 223.)

 

Dans cette invention, peut-être n'a-t-il pas apporté de nouveautés très frappantes : mais du premier coup, il faisait, dans toute nouveauté, la part de ce qui en subsisterait, de même qu'il savait dénoncer l'usure des nouveautés anciennes : « N'abusez pas de la septième diminuée, disait-il : elle ne fait plus peur à personne. » La pierre de touche du goût n'était d'ailleurs pas pour lui dans la doctrine, mais dans l'appréciation des maîtres et des œuvres. Aucun ni aucune ne lui étaient inconnus. Il les a jugés avec une sûreté et une élévation souveraines, qui ont déchaîné contre lui de furieuses colères. C'est qu'en France l'opinion musicale, qui tient lieu de savoir et de goût, procède par modes éphémères et par idées toutes faites. Quand y régnaient Meyerbeer et Rossini, il fallait que tout en eux fût admirable et rien, en revanche, de ce qui ne leur ressemblait pas. Survint ensuite l'hégémonie wagnérienne, le culte aveugle de Berlioz et plus tard encore l'empire de coteries, le Franckisme et le Debussysme, où les questions de personnes exaspéraient les disputes d'idées. Saint-Saëns ne s'est jamais abandonné à aucun de ces courants et n'y a perdu la commande de son gouvernail, quitte à subir les assauts de toutes les vagues qu'il fendait au lieu de s'en laisser porter. Indépendant au milieu des autres, il ne l'était pas moins devant lui-même et ne laissait pas son goût lui dicter son opinion : témoin son admiration pour des artistes aussi éloignés de lui que Berlioz, Liszt et Bizet, frère d'armes engagé dans un autre camp. L'essentiel, pour Saint-Saëns, était de discerner la valeur historique et le rang d'importance d'un artiste ou d'une œuvre. Et c'est en quoi il ne s'est presque jamais trompé.

Il jette par-dessus bord, nous l'avons vu, toute la musique ancienne et celle même du Moyen Age, trop frustes, trop pauvres, d'une lecture conjecturale, d'une exécution arbitraire, trop éloignées de nous d'ailleurs pour garder le moindre intérêt pratique. Envers les maîtres plus proches, sa révérence ne va jamais jusqu'à l'idolâtrie : il y voit le fort et le faible et, selon la mode qu'il s'agit de dénoncer ou de combattre, insiste sur l'un ou sur l'autre. Palestrina ? Pur harmoniste, mais sans ombre de mélodie, pour nous parler encore. Nous a-t-on assez rebattu les oreilles avec les septièmes sans préparation de Monteverde ? Saint-Saëns en relève déjà dans Palestrina : il faudra trouver au­tre chose pour faire de Monteverde un sujet de conversation. De Jean-Sébastien Bach, l'alpha et l'omega de l'art musical, il ne discutera rien, sauf l'appropriation des belles œuvres du « Cantor » protestant — en particulier de ses « merveilleux chorals » — aux cérémonies du culte catholique. De Haendel, il célèbre la splendeur, le sens de la vie biblique que ressuscitera le premier acte de Samson et Dalila ; mais il reconnaît la monotonie de ses airs, leurs « torrents de roulades horriblement démodées », leur longueur fastidieuse, la « formule ampoulée, emphatique de leur conclusions ». Ne crions pas trop vite au blasphème : Voltaire, — dont le nom s'impose souvent quand on parle de Saint-Saëns, — a commenté ainsi Corneille... Saint-Saëns a été témoin de la campagne absurde où, il y a près de quarante ans, on a essayé d'éclipser Gluck derrière Rameau : il ignore cette bataille et, dans le zèle d'une admiration égale, consacre les mêmes soins à l'édition savante de l'un et de l'autre.

Si l'on arrive aux grands classiques, il faudrait citer une page lucide et fervente où il rappelle aux ignorants ou aux oublieux la grandeur de Haydn, en insistant sur les délicieuses, sur les admirables Saisons « œuvre colossale, la plus variée, la plus pittoresque de toute la musique ancienne et nouvelle » (*), d'où en effet, sortent la Symphonie Pastorale et le Freyschütz, tandis qu'Obéron doit tant à la Création.

 

(*) Ecole Buissonnière, p. 192.

 

Son culte pour Mozart ne l'empêche pas d'y trouver des pages hâtives et de critiquer dans l'ouverture de Cosi fan tutte un des exemples de cette chimère, la musique sans mélodie, que la dextérité peut commettre l'erreur de poursuivre : resterait à savoir si Saint-Saëns lui-même n'est pas tombé assez souvent dans cette erreur...

Beethoven est pour lui le plus grand de tous, ce qui ne permet pas toutefois de fermer l'oreille aux « atrocités » dont une écriture vocale trop tendue — comme dans la Symphonie avec chœurs — dépare la Messe en ré. Dans les dernières œuvres de celui qu'il n'appellera pas pour si peu « le vieux sourd », il note une altération qu'il hésite à traiter de « décadence ». « Est-il juste de donner ce nom à l'instant où le fruit, légèrement trop mûr, la fleur un peu trop ouverte, donnent le maximum de leur saveur ou de leur parfum ? Pour l'Art, c'est l'instant où, s'exaltant, brisant ses entraves, il a des raisons que la raison ne connaît plus ; c'est en architecture le style flamboyant du quinzième siècle ; c'est en musique la troisième manière de Beethoven, le Tristan de Richard Wa­gner ; c'est en littérature Musset et Victor Hugo. La froide sagesse peut les critiquer, mais essayez de les supprimer par la pensée : je vous défie de regarder en face le vide qui en résulterait » (*). Dans les lignes qui suivent on sent que c'est pour lui qu'il demande la permission de préférer l'architecture du treizième siècle à celle du quinzième, la seconde manière de Beethoven à la troisième, Don Juan à Tristan, tout en admettant des préférences contraires. On voit avec quelle élévation de conscience il fait le départ entre le goût et le jugement. Leçon de probité intellectuelle, admirable et trop rarement suivie.

 

(*) Ecole Buissonnière, p. 84.

 

De même, si l'élégance impeccable de Mendelssohn, son beau style dans la musique d'orgue et l'Oratorio — Elie et Paulus sont deux modèles pour le compositeur du Déluge — lui inspirent une admiration sans réserves, il n'ira pas jusqu'à exprimer cette ombre de malaise que lui cause visiblement la morbidité de Chopin — Saint-Saëns est lui-même, ne l'oublions pas, menacé de phtisie — et de Schumann, guetté par la démence précoce.

L'atticisme de Saint-Saëns, s'il avait l'étroitesse qu'on lui a souvent prêtée, devrait l'armer contre Berlioz : or, nul n'a parlé avec plus de chaleur de Berlioz, de cet élan, de cette fougue, de cet éclat, qui démentent tous les préceptes pour s'élever à des cimes inexplorées. On ne peut analyser la longue étude qu'il lui a consacrée dans ses Portraits et Souvenirs : elle se résume à peu près dans ces quelques lignes de l'Ecole buissonnière : « Un génie, cela dit tout, Berlioz écrivait mal, il maltraitait les voix, il se permettait quelquefois d'étranges incartades. Il n'en est pas moins un des sommets de l'art musical. Ses grandes œuvres font songer à ces monts alpestres, où l'on trouve des forêts, des glaciers, le soleil aidant, des cascades et des abîmes. Il y a des gens qui ne les aiment pas : tant pis pour eux (*). »

 

(*) Ecole Buissonnière, p. 216.

 

Liszt, parfois grandiloquent, prolixe et obscur, aurait aussi de quoi le rebuter. Mais, ébloui dès sa dix-huitième année par le pianiste, qu'il avait connu chez Seghers, il ne s'enthousiasme pas moins pour le génie du compositeur, alors inconnu ou décrié de tous, pour la nouveauté des « poèmes symphoniques », de la Sonate, des oratorios dramatiques ou mystiques de Sainte Elisabeth et de Christus, pour la prodigieuse Fantaisie sur le Choral du Prophète. Il mesure du premier coup l'étendue des conquêtes que Liszt vient d'assurer à la musique, en lui assimilant, plus que personne n'avait fait jusqu'alors, l'idée et l'image et surtout en libérant de formes usées la symphonie et la sonate. La Danse Macabre et la Symphonie avec orgue ne seront de sa part ni usurpation, ni imitation, mais l'ajustement de ces nouveautés à la mesure et au goût de l'esprit français. Enfin, sans le dire en termes exprès, Saint-Saëns rencontre chez Liszt l'exemple le plus convaincant de cet éclectisme généreux et fécond, ouvert à toutes hardiesses, mais qui ne croit pas déroger en trouvant jusque dans des « réminiscences » de Norma ou de Lucrèce Borgia les éléments de véritables « poèmes symphoniques ».

On sait quelles attaques furieuses et contradictoires ont values à Saint-Saëns ses écrits sur Wagner et son attitude dans les différentes phases du « Cas Wagner ». Lorsque en 1860, il stupéfiait Wagner par sa virtuosité de pianiste et de lecteur, lui-même s'enthousiasmait pour Tannhäuser et Lohengrin, s'émerveillait de Tristan, alors inconnu et, sans doute, pour les premières ébauches de la Tétralogie. C'en était assez pour le frapper d'interdit et d'ostracisme, parmi les critiques et surtout dans le monde des théâtres, toujours inféodés à Rossini et à Meyerbeer. Ce fut bien pire, après les articles fameux où il donne ses impressions sur la création de l'Anneau de Nibelung, à Bayreuth, en 1876. On y relèverait dix passages comme ceux-ci, qui ne sont pas d'un admirateur tiède ou timide : « Il s'est trouvé un homme..., qui a remarqué que l'opéra moderne, malgré sa grandeur et sa beauté (*), était construit suivant un procédé contraire au but qu'on doit se proposer ; que ce procédé s'opposait à la fois au développement de la poésie, de la musique et du drame. Cet homme a pensé qu'une nouvelle forme de drame lyrique, où la musique ne violenterait pas les vers... où la symphonie, avec tous ses développements modernes, rendrait à la musique ce qu'elle aurait pu perdre en abdiquant au profit du drame une partie de ses prérogatives serait plus digne que la forme actuellement en usage d'un public intelligent et éclairé. C'est pour cela qu'on a haï cet homme ; c'est pour cela qu'on l'appelle, depuis vingt ans, dans son propre pays, maniaque, crétin, fou furieux, faiseur de charivaris ; qu'on lui prodigue enfin toutes les injures dont on gratifie d'ordinaire les musiciens qui ont le tort de prendre leur art au sérieux et de croire que la musique, au théâtre, doit s'accorder avec les paroles et la situation dramatique et ne saurait se borner à fournir à des chanteurs plus ou moins habiles l'occasion de montrer leur savoir-faire (**). » Le goût, l'admiration, chez Saint-Saëns, semblent ici, avant tout, affaire de discernement et l'on ne peut définir avec plus de largeur ni de concision le caractère historique de l'art wagnérien. S'agit-il maintenant de scènes isolées, où s'illustre la splendeur de cet art, Saint-Saëns n'est pas moins chaleureux. A propos de la scène entre Siegmund et Sieglinde, qui termine le premier acte de la Walkyrie, il écrit : « Ni l'opéra, ni le drame non lyrique ne verseront jamais dans l'âme une émotion pareille... Mille critiques, écrivant mille lignes chacun pendant dix ans, ébranleraient le chef-d'œuvre à peu près comme le souffle d'un enfant renverserait les pyramides d'Egypte (***). » Plus loin, qui n'a pas entendu la chevauchée des Walkyries « ne sait pas à quelle puissance la musique peut atteindre ». Et encore : « Du haut du dernier acte du Crépuscule des Dieux, l'œuvre entière apparaît dans son immensité presque surnaturelle, comme la chaîne des Alpes vue du sommet du Mont-Blanc (****). » Est-ce blasphème après cela que de reconnaître des longueurs ou des creux dans quelques scènes, d'admirer la « merveilleuse » partition de Siegfried en trouvant Siegfried lui-même « bête comme une oie » (*****), d'être ravi par les Maîtres-Chanteurs en observant quelque lourdeur dans le comique de Beckmesser, de constater des redites dans Tristan, des faiblesses, avec des contradictions et des obscurités, dans Parsifal et, passim, une armature de leit-motive quelquefois un peu apparente ? Que les excès de la « wagnéromanie » aient amené Saint-Saëns à insister sur ses réserves après que la « wagnérophobie » (******) ne lui dictait d'abord que le dithyrambe, rien de plus naturel, rien de plus droit, rien de plus raisonnable et de plus juste. Ce n'est pas lui qui avait changé, mais les circonstances.

 

(*) Cette grandeur et cette beauté, Saint-Saëns ne veut pas qu'on les dénie de façon absolue à Rossini et à Meyerbeer : la magnifique scène du Synode, dans Henry VIII renferme un hommage à la « Bénédiction des Poignards » des Huguenots, mais d'un autre style et avec un autre art dans la progression dramatique.

(**) Harmonie et Mélodie, pp. 47, 48.

(***) Harmonie et Mélodie, p. 83.

(****) Harmonie et Mélodie, p. 92.

(*****) Et Parsifal, donc, à qui Gurnemanz lui-même ne l'envoie pas dire !

(******) Entre les deux excès, le choix de cet homme soi-disant impassible est fait : « La wagnéromanie est un ridicule excusable ; la wagnérophobie est une maladie. » (Harmonie et Mélodie, p. 98).

 

Si d'ailleurs jamais personne ne s'est élevé plus haut que Saint-Saëns dans l'admiration pour Wagner, ses réserves ont été après lui dépassées. Bref, le jugement de Saint-Saëns sur Wagner, atteint d'emblée à cet équilibre auquel l'opinion générale s'est arrêtée aujourd'hui, après soixante ou quatre-vingts ans d'amples, longues et parfois violentes oscillations. Mais cet équilibre ne garde rien d'abstrait : Saint-Saëns ne le définit qu'après l'avoir, d'instinct, réalisé dans Samson et Dalila, dont la composition était achevée avant les articles de 1876. Voilà une marque de l'unisson parfait et d'abord spontané entre sa pensée et son œuvre qui n'obéissent pas l'une à l'autre, ne cherchent pas à s'étayer mutuellement, mais coïncident par l'effet d'une harmonie préétablie qui est sa nature même.

Lorsque, le despotisme wagnérien commençant de s'user, le snobisme se dispersa entre de nouvelles idoles, le jugement de Saint-Saëns conserva toujours la même sûreté de mesure, qui lui valut des colères et des rancunes encore beaucoup plus acrimonieuses. Il ne fit, là aussi, que devancer l'opinion à laquelle s'arrêtera le bon sens du premier avenir. On se rappelle comment Boris Godounov, par exemple, révélé au public français, les wagnériens de la veille y proclamèrent le nouvel évangile de la musique dramatique. Dans tout le feu de ce premier engouement Saint-Saëns ose, à travers les scènes « saisissantes » de Boris, dénoncer bien du décousu : il y fait le départ entre le diamant et les scories. Qui trouvera aujourd'hui qu'il ait tort (*) ?

 

(*) Il en parle un peu comme Voltaire — encore Voltaire, à propos de Saint-Saëns — fait de Richard III...

 

Après avoir poussé, défendu, soutenu César Franck, — dont le quintette lui est dédié — il en a critiqué le style parfois épais et a crié halte-là, quand on a voulu le mettre sur le rang d'un Bach ou d'un Beethoven, indiquant aussi que la complaisance de Franck pour ses élèves n'avait pas peu contribué à l'édification de cette chapelle franckiste, d'où sortirent — après lui — tant de dogmes et d'excommunications.

Vincent d'Indy en devait savoir, à son tour, quelque chose. Ici se réveille l'horreur de Saint-Saëns pour l'esprit de système. S'il admirait naguère chez Fétis un savoir immense, regrettant de le trouver joint à un goût si pédant et obtus, si les « inqualifiables » (*) éditions d'airs célèbres publiées par Gevaert lui rendent suspecte l'érudition même de celui-ci en matière de musique ancienne, le Cours de Composition de d'Indy, après qu'il l'a bien gonflé d'éloges, n'en résiste que moins à la sûreté de son coup d'épingle : altération des textes dans les citations, invention ahurissante d'une « anacrouse » dans le premier thème chanté de la Symphonie avec chœurs, bévue outrecuidante et enfantine au sujet de Rust, s'il restait après cela pour l'enseignement quelque chose, d'un Cours si dogmatique et si arbitraire, ce dernier mot en ferait bonne justice : la partie de l'ouvrage consacrée à la fugue, pièce essentielle à tout cours de composition « paraît plutôt de nature à montrer à l'élève comment les autres ont écrit des fugues, qu'à lui apprendre d'en écrire lui-même. Je crois que, sous ce rapport, l'antique traité de Cherubini pourrait être d'un meilleur usage » (**).

 

(*) « Inqualifiables » : l'altération des textes, trop fréquente en effet dans la collection dont il s'agit, dicte à Saint-Saëns une condamnation énoncée en termes de morale...

(**) Les Idées de M. Vincent d'Indy, p. 35.

 

L'interdiction faite par Saint-Saëns, dans son testament, de rien publier de ses lettres inédites, ne me permet malheureusement pas d'en citer deux, dont j'ai eu l'honneur d'être le destinataire et où il s'exprime, à la fois sur la vogue et sur le talent de Debussy, avec une apparente malice où l'on doit reconnaître, après trente ans qui ont dissipé un encens au goût de cigarette blonde, beaucoup de vrai. Saint-Saëns y accorde d'ailleurs à Debussy de « jolies sonorités » : or, n'avait-il pas professé lui-même qu'il y a plus de génie à trouver de belles harmonies, — et les « sonorités » de Debussy sont de précieuses harmonies, — que de flatteuses mélodies (*) ?

 

(*) On peut, avec cela, trouver injustes l'aversion de Saint-Saëns pour Brahms et le dédain qu'il a exprimé, à plus d'une reprise, pour la Symphonie Inachevée de Schubert.

 

Sur le moment, des opinions aussi dédaigneuses de la mode et de ses dieux éphémères ont passé pour les colères d'un esprit rétrograde et la grimace d'une humeur quinteuse. On y reconnaît aujourd'hui un sens quasi infaillible pour distinguer, dans les formules de la nouveauté, le cliché qui s'usera demain et l'apport durable. Et ces jugements de Saint-Saëns, si irritants d'abord pour l'amour-propre des pontifes, des épigones ou des snobs, l'âge suivant les a adoptés : que sont ses réserves sur quelques pages de Wagner ou quelques traits de l'art wagnérien, auprès des sarcasmes moins sérieux de Debussy et de son « Mr. Croche » ? Quelle réaction la jeune musique française après la guerre de 1918, n'a-t-elle pas marquée contre la contention de Franck et la préciosité de Debussy ? Ravel semble avoir, le premier, rendu à Saint-Saëns quelque considération (*) ; ses cadets, tels que MM. Francis Poulenc, Georges Auric, Jean Françaix, avec une gaminerie et une turbulence que Saint-Saëns ne connaissait pas et eût sans doute désavouées, pratiquent un art dont la netteté, consciemment ou non, prend la sienne pour modèle. Saint-Saëns qui, de son vivant, ne s'est pas soucié de faire école, trouve aujourd'hui beaucoup de disciples, à savoir tous ceux qui, après une période disputée entre le tourment de la sensibilité et le raffinement de l'expression, reviennent à une conception plus limpide de l'art musical.

 

(*) Je tiens de la meilleure source que, quand Ravel entreprit la composition d'un concerto pour piano, il se fit envoyer par son éditeur les Concertos de Mozart... et ceux de Saint-Saëns.

 

 

 

page autographe extraite de la Collection de la Bibliothèque du Conservatoire

 

 

 

CONCLUSION

 

A quel traits essentiels se ramènent dès lors l'art, l'œuvre et l'esprit de Saint-Saëns ?

A parcourir cette œuvre, une première constatation s'impose aussitôt. Saint-Saëns est le plus grand musicien que la France ait eu, avec Berlioz auquel il ressemble si peu. Il en est de même le plus complet. L'intensité du sentiment, l'originalité de la mélodie, la singularité du style peuvent, chez tel autre, se montrer plus accentués : pour la diversité des genres où il a excellé, aucun, dans notre histoire musicale, ne saurait lui être comparé. Musique de chambre, symphonie, théâtre, il s'est montré un maître dans tous ces domaines. A ce titre, il est le seul que nous puissions, non pas opposer aux grands classiques allemands, mais compter comme leur digne et véritable émule. Rameau est, auprès de lui, raisonneur et guindé ; Berlioz avec les élans inégalés de son génie, souvent malhabile ; Gounod et Massenet se cantonnent à peu près dans la musique du théâtre ; la vertu laborieuse de César Franck ou, à l'opposé, l' « esthétisme » de Debussy n'atteignent pas davantage à l'ampleur de son art. Cette universalité musicale de Saint-Saëns est donc le premier cachet qui distingue son œuvre.

A quoi tient-elle ? Dans la musique, Saint-Saëns n'a pas cherché, comme Rameau, avec une opiniâtreté d'inventeur, la pierre philosophale ; elle ne lui a pas arraché de cris et infligé de tortures, comme à Berlioz, ni inspiré d'extases comme à Gounod ; peut-être Debussy l'a-t-il courtisée, — mais je ne le crois pas, — avec un raffinement plus aigu. Si, de tous ceux-là et de quelques autres, Saint-Saëns n'est pas celui qui a le plus douloureusement ou le plus voluptueusement cultivé la musique, il est celui qui l'a le plus vécue, celui à qui la musique a été le plus naturelle et, pour ainsi dire, le plus congénitale. Elle ne lui a causé aucune incertitude, moins encore aucune angoisse ; elle ne lui a posé aucun problème ou du moins nous l'avons vu écarter les problèmes qu'elle pouvait lui poser et qui défient toute solution. Il la savait en venant au monde et, selon ses propres paroles, il a produit de la musique « comme un pommier produit des pommes ». On ne peut parler chez lui de vocation, puisque vocation veut dire appel, un appel qui parfois vient de loin et risque de n'être pas entendu ou suivi du premier coup. Il faut parler de don et d'un don qui rarement fut aussi total, non pas le don reçu, mais le don que l'on fait de soi. La pensée de Saint-Saëns se mouvait dans la musique comme celle du commun des hommes dans leur langue maternelle, langue faite parfois pour la poésie, pour le drame, pour la spéculation, pour l'éloquence, pour le sublime, mais propre avant tout aux entretiens plus modestes, voire plus familiers et qui ne déroge pas en sachant y satisfaire. A cette langue, Saint-Saëns demande ou confie l'expression de sentiments moins individuels qu'un Berlioz, un Gounod, un Massenet, un Debussy. Cela ne veut pas dire qu'il en fasse le truchement de la banalité ou du lieu commun : cela signifie qu'elle prend sous sa plume un caractère qui, loin de rester en deçà de l'accent individuel, le dépasse. Un Haydn, un Mozart devaient fournir à Esterhazy ou à Jérôme Colloredo, aux souverains, aux prélats, aux directeurs, aux dilettantes, la musique demandée par chacun d'eux, Symphonie, Messe, Oratorio, Quatuor, Opéra. Saint-Saëns, dans des conditions sociales changées par la différence des siècles, a possédé après eux la sorte de génie qu'il faut pour répondre à cette diversité d'exigences. Que cette conception et cette pratique de l'art entraînent parfois quelque indifférence et un peu de rapidité, cela va de soi, mais ne suffit pas à taxer ce génie d'infériorité.

De l'œuvre si étendue et si multiple laissée par Saint-Saëns, tout ne survivra pas ; tout, du moins, n'occupera pas la mémoire des hommes. Lui-même avait à cet égard beaucoup moins de prétention que ne lui en prêtaient ses détracteurs. Il traitait certains de ses ouvrages les plus connus de simples amusettes et savait fort bien vous prier de n'y pas chercher autre chose. L'avenir a déjà fait son tri et, dès maintenant, un grand nombre de ces ouvrages sont assurés de conserver leur place dans l'histoire. Avant tout, Samson et Dalila, le monument musical le plus ample et le plus solide (avec Carmen) qui illustre la scène lyrique française. Au même rang que Samson, la Symphonie en ut mineur, d'une floraison si riche et si subtile dans sa logique magnificence ; la Danse Macabre, le plus net et le plus pittoresque des poèmes symphoniques ; le Deuxième et le Quatrième Concertos de piano ; les deux Trios pour piano, violon et violoncelle, surtout peut-être le Premier, en fa, si alerte et si limpide ; la Première Sonate pour violon et la Première Sonate pour violoncelle, les grands Oratorios, d'une sobriété et d'une noblesse attique, le Déluge et la Lyre et la Harpe. Au théâtre, à côté de Samson, fût-ce un peu dans son ombre, Henry VIII méritera de survivre et Proserpine le mériterait aussi, pour son délicieux second acte. Faut-il traiter avec dédain, comme déchet méprisable, des pages qui resteront moins en vedette ? Je ne le pense pas. Tout l'œuvre de Voltaire, par exemple, n'occupe plus l'ordre du jour. Il n'y a pourtant pas d'œuvre secondaire, voire oubliée, de Voltaire qu'on ne relise avec délices, pour le plaisir de suivre, fût-ce sur un chemin battu, la course d'un esprit aussi souple et d'entendre, même dans des propos sans conséquence, une langue aussi nette. Il n'y a pas d'œuvre, secondaire elle aussi, de Saint-Saëns, qui ne réserve à l'amateur éclairé un agrément de cet ordre.

Sans chercher plus longtemps de quelle quantité de musique Saint-Saëns aura véritablement enrichi l'art de son pays et celui du monde entier, peut-on définir maintenant la qualité et comme le timbre de cette musique ? Tâche difficile : son œuvre est d'une transparence où rien n'accroche le regard : l'œil la traverse comme un cristal. N'essayez pas d'en distinguer la couleur : sa lumière, comme le jour qui, en nous éclairant, se confond avec l'air que nous respirons, sa lumière contient, à une dose dont l'équilibre les neutralise, toutes ces couleurs et ne paraît les effacer que parce qu'elle les combine.

Tous les éléments qui la composent participent de ce caractère. Sa mélodie, par exemple, a moins de relief ou de séduction apparente que celle de Massenet, mais une forme mieux circonscrite. Son harmonie caresse avec moins de suavité que celle de Gounod, mais c'est une harmonie plus mouvante, où la vie symphonique circule avec plus de vivacité. Son orchestre n'a ni les fulgurations, ni les empâtements de Berlioz, mais une pondération choisie, qui évite les creux ou la faiblesse dans la douceur et la violence dans la force. Comme chez Mozart, observe Busoni, chaque instrumentiste semble y jouer sa partie avec indépendance, intérêt et plaisir. Le discours musical, enfin, revêt chez lui un ordre naturel, une aisance élégante, une délicatesse innée qui nous y montrent le règne indiscuté de la raison. Libre à chacun de préférer des qualités d'un autre ordre, moins impeccables, moins infaillibles, plus capricieuses, mais on ne peut mépriser celles-là sans mentir aux traditions de l'esprit français lui-même. Vous qui voulez rayer Saint-Saëns du nombre des grands musiciens, prenez garde : avec lui disparaîtront de notre patrimoine Poussin, Voltaire, Ingres et, dans un moindre format, Mérimée, pour ne parler que de quelques-uns... Un musicien adroit et malicieux singera un Arioso de Massenet, une Arabesque ou une Image de Debussy : pasticher Saint-Saëns est chose moins tentante, direz-vous ? Oui bien, mais parce que c'est chose impossible. Les auteurs du fameux A la manière de..., qui ont réussi un Maeterlinck et même un Châteaubriand, n'ont pas tâté d'un Voltaire, — dont le nom revient une fois encore à propos de Saint-Saëns. C'est que personne n'a su mener une phrase avec plus de logique et de facilité, moduler par des courbes plus fines et plus fermes, mettre sous le dessin mélodique une trame harmonique à la fois plus légère et plus souple, marier les timbres de l'orchestre avec un sens plus certain de leurs affinités naturelles et de leurs proportions sonores, bref écrire dans un style instinctivement plus châtié. Peut-on ici parler de science ? Non, si l'on entend par science une discipline acquise, faite de préceptes enseignés, car, chez Saint-Saëns, l'habileté la plus consommée reste spontanée : il fait de prime saut ce que tant d'autres s'évertuent à essayer, sans y parvenir, à force d'étude et de sueurs. Rien n'est chez lui scolaire, pédant ou contraint.

Chose singulière : l'histoire d'un maître si clair et si raisonnable, — dans le plus beau sens de ces deux termes, — n'aura été qu'une longue contradiction. A onze ans, il triomphait comme pianiste à la salle Pleyel et il pouvait bientôt se mesurer avec les plus fameux virtuoses de son époque. Il nous semble fait, rétrospectivement, pour toutes les récompenses : il n'en a jamais remporté qu'une, le prix d'orgue au Conservatoire. A vingt-huit ans, ayant à son actif déjà ses deux premières Symphonies, l'Oratorio de Noël, le Trio en fa, il manque le concours de Rome, où il n'est même pas nommé. En 1877, Samson est représenté au théâtre de Weimar : l'année suivante, Saint-Saëns échoue à l'Institut, qui lui fait faire antichambre, comme Samson lui-même le fera pendant quinze ans, avant d'être joué à l'Opéra de Paris. Comment n'y a-t-il pas eu là de quoi désarmer ses détracteurs, si chauds pour les génies méconnus ?

On a beaucoup méconnu le sien et nous en avons vu les raisons. Ennemi de la mode, il ne l'a jamais déterminée comme Massenet par ses ariosos ou Debussy par ses « neuvièmes » (*), il ne l'a jamais provoquée en groupant autour de lui un cénacle de thuriféraires plus ou moins désintéressés ; il ne l'a non plus jamais suivie. Grâce à quoi il est toujours demeuré en marge et comme à l'écart de l'actualité, qui fait pour un temps les réputations. Mais, n'ayant rien dû à la mode, il n'aura pas à lui payer ces lourdes dettes qui absorbent presque tout l'actif de tant d'autres. Cette mode, il l'a devancée dans sa jeunesse ; il l'a dédaignée dans sa maturité ; il l'a détestée, parfois avec une pointe d'agacement ou d'emportement dans sa vieillesse. C'est l'histoire, dont il faisait déjà partie, qui l'élevait bien au-dessus.

 

(*) Comment oublier l'effarante interview de Debussy par Robert de Flers, où l'auteur de Pelléas, suivant celui de l'Habit vert, se justifiait de recourir volontiers à « la corde neuvième » (sic !)...

 

On voit dès lors quelle signification historique et esthétique possède, outre son étendue et sa valeur intrinsèque, l'œuvre musicale de Saint-Saëns. Elle s'échelonne sur plus de soixante-cinq années où la musique française a traversé une période de croissance prodigieuse, avec quelques-unes des crises qui, dans les arts comme chez les individus, accompagnent cette sorte de phénomène. L'art de Saint-Saëns a, autant que tout autre, contribué à cette croissance, mais il est resté indemne des maux qui sévissaient autour de lui. Etant, je le répète, historique du jour même où elle se créait, elle nous fournit un admirable instrument de contrôle pour apprécier le titre historique des œuvres qui en sont contemporaines. Elle en est le mètre ou le niveau d'eau. On ne prétend pas du tout par là que les œuvres d'autres musiciens n'aient de valeur que par leur ressemblance avec elle : le mètre sert à mesurer les longueurs qui lui sont par définition ou par hypothèse inégales ; mais nous les calculons d'après le rapport qu'elles ont avec lui. Le niveau d'eau ne s'arroge pas davantage de fixer les différentes hauteurs qu'il permet d'enregistrer à l'écluse. De même, l'œuvre de Saint‑Saëns nous donne la mesure exacte des apports dont la tradition musicale a pu s'enrichir au cours d'un demi-siècle et de ceux au contraire qu'elle n'a pas conservés, pour ne les avoir pas assimilés.

Célèbre sans être populaire, Saint-Saëns a été plus qu'aucun autre décrié et vilipendé. On pourrait dire assez long sur la cause de certaines rancunes personnelles dont il était poursuivi dans la presse ; quant aux raisons profondes de son apparent discrédit dans certains cénacles, rappelons-nous sa rupture avec la Société Nationale et sa brochure sur les Idées de M. Vincent d'Indy : cela ne se pardonne pas... Que de son côté, par quelques boutades d'enfant terrible, par une franchise un peu huronne du jugement et, pendant la guerre de 1914-1918, par l'âpreté excessive de certaines polémiques, il ait attisé sans déplaisir ce feu de paille, on n'en disconvient pas. On lui a reproché sa sécheresse, sa froideur, son impassibilité, son défaut d'émotion, une certaine indifférence dans le choix de ses pensées que lui donnait l'assurance de les bien exprimer, si même elles ne valaient pas la peine que d'autres se seraient donnée pour les exprimer moins bien. Quelque préférence que l'on reste libre de nourrir pour une conception de l'art musical plus hardie, plus capricieuse, voire plus aventureuse et moins méfiante devant, les risques du génie, comme pour un style plus inégal peut-être mais plus surprenant, presque tout est injuste dans ce procès de tendance. D'ailleurs, pour nier que Saint-Saëns, qui ne la cherchait ni ne l'exploitait, soit capable d'émotion ou pour contester du moins que son œuvre soit à l'occasion émouvante, il faut oublier les plus belles pages de Samson et Dalila, les chœurs du début, la révolte et, après cette scène, l'exquise aurore de liberté qui précède l'hymne quasi rituel des vieillards hébreux ; au second acte la pathétique progression du duo, enfin, au troisième acte, la scène poignante de la Meule. Si d'ailleurs la musique prête une voix incomparable aux sentiments déchaînés ou éperdus, pourquoi ne connaîtrait-elle pas, comme les autres arts, cette beauté sans exaltation que Saint-Saëns a revendiquée pour elle ? Pourquoi exiger de lui, dans certaines pages où il chante le Déluge, ce que vous ne demandez pas à Poussin quand il le peint ? La musique courrait grand danger de désordre, d'excès et de confusion, si elle ne devait prêter sa voix qu'aux paroxysmes. Pour sa totalité, il faut qu'elle ait, avec ses poètes hasardeux et ses orateurs enflammés ses parfaits prosateurs.

Un maître sans pareil de la langue musicale, tel semble être le caractère à la fois le plus général et le plus vrai sous lequel apparaisse et doive survivre Saint-Saëns. Chez d'autres, l'idée est plus personnelle peut-être, mais pour autant plus limitée ; le sentiment plus vif, mais plus étroit et plus intermittent. Chez aucun la dialectique n'est plus lucide, le tour plus élégant, la syntaxe plus fertile et plus sûre, la phrase plus aisée, le vocabulaire plus prompt et plus alerte. Cette langue musicale, si forte dans sa légèreté, si ductile dans sa précision, c'est celle où nous retrouvons le mieux les qualités dont nous nous enorgueillissons de faire gloire à la pensée dont la langue française est l'interprète. D'où il appert que, si la musique française, écho de l'esprit français, a eu peut-être des penseurs plus profonds ou plus originaux que Saint-Saëns, elle n'a jamais eu de plus pur écrivain.

 

 

 

ŒUVRES PRINCIPALES DE SAINT-SAËNS (*)

 

(*) Qu'il me soit permis d'exprimer ici toute ma gratitude pour l'empressement que j'ai rencontré, dans la préparation de ce petit travail, chez l'incomparable biographe de Saint-Saëns, M. Jean Bonnerot et MM. Durand et Cie, éditeurs de musique à Paris, à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris, ainsi qu'auprès de M. Lévy-Alvarès, directeur de la Boîte à Musique et des sociétés phonographiques Odéon (Art, technique et commerce) et Polydor.

 

I. — ŒUVRES MUSICALES

 

Un catalogue général et thématique des œuvres de Saint-Saëns a été publié par l'éditeur Durand et Fils (Paris, nouvelle édition, 1908). Il s'arrête, pour les compositions avec numéro d'œuvre, à l'op. 124 (1907). Il a été complété, après la mort de Saint-Saëns, pour les œuvres ultérieures publiées chez le même éditeur, par une « piqûre » de publicité (s.d.). On ne peut qu'y renvoyer le lecteur, pour une liste complète des œuvres de Saint-Saëns, dont on ne rappellera ci-dessous que les plus importantes.

 

1. — PIANO

Six Bagatelles (op. 3) ; 1ère, 2ème, 3ème Mazurkas (op. 21, 24, 66) ; Gavotte en ut mineur (op. 23) ; Variations à deux pianos sur un thème de Beethoven (op. 35) ; deux séries de Six Etudes chacune (op. 52 et 111) ; Menuet et Valse (op. 56) ; Album (op. 72) ; Polonaise à deux pianos (op. 77) ; Souvenir d'Italie (op. 80) ; Scherzo à deux pianos (op. 87) ; Suite (op. 90) ; Thème varié (op. 97) ; Souvenir d'Ismaïlia (op. 100) ; Caprice héroïque à deux pianos (op. 106) ; Six Etudes pour la main gauche (op. 135) ; Six Fugues (op. 161).

Transcriptions d'œuvres de Bach (deux recueils de six transcriptions chacun) ; Beethoven (trois morceaux de quatuors, Chœur des derviches des Ruines d'Athènes) ; Berlioz, Bizet, Durand, Duvernoy, Gluck (Caprice sur les airs de ballet d'Alceste ; menuet d'Orphée) ; Gounod, Haydn, Liszt, Massenet, Mendelssohn, Don Luis Milan, Paladilhe et Saint-Saëns lui-même.

 

2. — ORGUE OU HARMONIUM

1ère Fantaisie pour orgue ; Trois morceaux pour harmonium (op. 1) ; Trois Rhapsodies sur des cantiques bretons pour orgue (op. 7) ; Bénédiction nuptiale pour orgue (op. 9) ; Elévation ou Communion pour orgue (op. 13) ; Six préludes et Fugues pour orgue (op. 99 et 109) ; 2e Fantaisie pour orgue (op. 101) ; Marche religieuse pour orgue (op. 107) ; Sept improvisations pour orgue (op. 150) ; 3e Fantaisie pour orgue (op. 157).

 

3. — MUSIQUE DE CHAMBRE

Six duos pour harmonium et piano (op. 8) ; Quintette pour piano et cordes (op. 14) ; Sérénade pour piano, violon, alto et orgue (op. 15) ; Suite pour violoncelle et piano (op. 16) ; 1er Trio pour piano et cordes (op. 18) ; Romance pour violon, orgue et piano (op. 27) ; 1ère Sonate pour violoncelle et piano (op. 32) ; Berceuse pour violon et piano (op. 38) ; Quatuor pour piano et cordes (op. 41) ; Allegro appassionato pour violoncelle et piano (op. 43) ; Romance en ut, pour violon et piano (op. 48) ; Romance en ré, pour violoncelle et piano (op. 51) ; Septuor pour trompette, cordes et piano (op. 65) ; 1ère Sonate pour violon et piano (op. 75) ; Wedding-Cake, pour piano et cordes (op. 76) ; Caprice sur des airs danois et russes (op. 79) ; Chant saphique pour violoncelle et piano (op. 91) ; 2e Trio pour piano et cordes (op. 92) ; Fantaisie pour harpe (op. 95) ; 2e Sonate pour violon et piano (op. 108) ; 1er Quatuor à cordes (op. 112) ; 2e Sonate pour violoncelle et piano (op. 123) ; Fantaisie pour violon et harpe (op. 124) ; Triptyque pour violon et piano (op. 136) ; Elégie pour violon et piano (op. 143) ; Cavatine pour trombone et piano (op. 144) ; 2e Quatuor à cordes (op. 153) ; 2e Elégie pour violon et piano (op. 160) ; Sonate pour hautbois et piano (op. 166) ; Sonate pour clarinette et piano (op. 167) ; Sonate pour basson et piano (op. 168) ; le Carnaval des Animaux, grande fantaisie zoologique en quatorze morceaux, pour deux pianos, quintette à cordes, flûte, clarinette et xylophone (œuvre posthume).

 

4. — MUSIQUE SYMPHONIQUE

Ouverture pour un Opéra-comique inachevé ; 1ère Symphonie en mi bémol (op. 1) ; Tarentelle pour flûte, clarinette et orchestre (op. 6) ; 1er Concerto pour piano et orchestre (op. 17) ; 1er Concerto pour violon et orchestre (op. 20) ; 2e Concerto pour piano et orchestre (op. 22) ; Orient et Occident, marche pour musique militaire (op. 25) ; Introduction et rondo capriccioso pour violon et orchestre (op. 28) ; 3e Concerto pour piano et orchestre (op. 29) ; le Rouet d'Omphale (op. 31) ; 1er Concerto pour violoncelle et orchestre (op. 33) ; Marche héroïque pour orchestre (op. 34) ; Romance pour cor et orchestre (op. 36) ; Romance pour flûte et orchestre (op. 37) ; Phaéton (op. 39) ; Danse Macabre (op. 40) ; 4e Concerto pour piano et orchestre (op. 44) ; Suite pour orchestre (op. 49) ; la Jeunesse d'Hercule (op. 50) ; 2e Symphonie en la mineur (op. 55) ; 2e Concerto pour violon et orchestre (op. 61) ; Morceau de Concert pour violon et orchestre (op. 62) ; Une nuit à Lisbonne, barcarolle pour orchestre (op. 63) ; la Jota aragonese, fantaisie pour orchestre (op. 64) ; Hymne à Victor Hugo (op. 69) ; Rhapsodie d'Auvergne, pour piano et orchestre (op. 72) ; 3e Symphonie en ut mineur, pour orgue, piano et orchestre (op. 78) ; Havanaise pour violon et orchestre (op. 83) ; Africa, pour piano et orchestre (op. 89) ; Sarabande et rigaudon pour orchestre à cordes (op. 93) ; 5e Concerto pour piano et orchestre (op. 103) ; Marche du Couronnement (op. 117) ; 2e Concerto pour violoncelle et orchestre (op. 119) ; Caprice andalou pour violon et orchestre (op. 122) ; Ouverture de fête (op. 133) ; Morceau de Concert pour harpe et orchestre (op. 154) ; Marche interalliée (op. 155) ; Cyprès et lauriers, pour orgue et orchestre (op. 156) ; Odelette pour flûte et orchestre (op. 162).

 

5. — MUSIQUE VOCALE

Deux recueils de vingt mélodies chacun (Durand et Cie) ; un recueil de dix mélodies (Choudens) ; six Mélodies persanes (op. 26) ; la Cendre rouge (recueil de dix mélodies) (op. 146) ; Lola, scène dramatique pour chant et piano (op. 116).

Pour les mélodies isolées ainsi que pour les chœurs, consulter les deux catalogues cités plus haut.

 

6. — MUSIQUE RELIGIEUSE, ORATORIOS, CANTATES, ETC...

Messe solennelle (op. 4) ; Oratorio de Noël (op. 12) ; les Noces de Prométhée (op. 19) ; Cœli Enarrant (Psaume XVIII) (op. 42) ; le Déluge (op. 45) ; Messe de Requiem (op. 54) ; la Lyre et la Harpe (op. 57) ; la Fiancée du Timbalier (op. 82) ; Pallas-Athéné (op. 98) ; le Feu Céleste (op. 115) ; la Gloire de Corneille (op. 126) ; Psaume CL (Praise Ye the Lord) ; The promised Land (la Terre promise) ; Hail California ; Hymne à la Paix (op. 159).

Recueil de vingt motets ; motets et cantiques isolés ; consulter les deux catalogues cités plus haut.

 

7. — ŒUVRES DRAMATIQUES.

Scène d'Horace de Corneille (op. 10) ; la Princesse jaune, opéra-comique en un acte (op. 30) ; le Timbre d'Argent, drame lyrique en quatre actes (remanié en 1913) ; Samson et Dalila, opéra en trois actes (op. 47) ; Etienne Marcel, opéra en quatre actes ; Henry VIII, opéra en quatre actes ; Proserpine, drame lyrique en quatre actes ; Ascanio, opéra en cinq actes ; Antigone, chœurs et intermèdes ; Phryné, opéra-comique en deux actes ; Frédégonde, opéra en cinq actes, commencé par Ernest Guiraud, terminé par Saint-Saëns ; Javotte, ballet en un acte et trois tableaux ; Déjanire, prélude, chœurs, ballets, intermèdes (1898) transformé en drame lyrique (1910) ; les Barbares, opéra en trois actes et un prologue ; Parysatis, préludes, chœurs, ballets, intermèdes ; Andromaque, ouverture, entr'acte, musique de scène ; Hélène, poème lyrique en un acte et trois tableaux ; l'Ancêtre, drame lyrique en trois actes ; l'Assassinat du Duc de Guise, musique de scène pour un film ; la Foi, préludes et musique de scène (condensés plus tard en Trois tableaux symphoniques) ; On ne badine pas avec l'amour, entr'actes et musique de scène (inédits).

Restauration du Malade imaginaire, partition de M.-A. Charpentier pour la comédie de Molière.

Collaboration à l'édition de Gluck entreprise par Mlle Fanny Pelleton et de Rameau (Durand et Cie), etc.

 

 

II. — ŒUVRES LITTERAIRES

 

Eloge de Henri Reber à l'Académie des Beaux-Arts ; brochure in-4°, 1881, Firmin-Didot.

Harmonie et Mélodie, in-18°, 1885, Calmann-Lévy.

Notes sur les décors de théâtre dans l'antiquité romaine, piqûre in-8°, 1886, Baschet.

Ch. Gounod et le Don Juan de Mozart, in-12°, 1893, Ollendorff.

Divagations sérieuses, in-18°, 1922, Flammarion (réédition augmentée de Problèmes et Mystères, in-18°, 1894, Flammarion).

Portraits et Souvenirs, 1909, in-18°, Calmann-Lévy.

Essai sur les Lyres et Cithares antiques, in-4°, 1902, Firmin-Didot.

Ecole buissonnière, in-18°, 1913, Pierre Lafitte.

Au Courant de la Vie, in-8°, 1916, Dorbon.

Germanophilie, in-8°, 1916, Dorbon.

les Idées de M. Vincent d'Indy, in-4°, 1917, Pierre Lafitte.
Rimes familières, in-18°, 1890, Calmann-Lévy.

Hélène (livret), poème lyrique en un acte, in-18°, 1905, Durand.

Gabrielle di Vergi, dramma lirico, pochade carnavalesque etc., piqûre in-18°, 1884, « la Trompette ».

la Crampe des Ecrivains, comédie en un acte en prose, in-18°, 1892, Calmann-Lévy.

le Roi Apépi, comédie en quatre actes en prose, d'après une nouvelle de Victor Cherbuliez, in-18°, 1903, Calmann-Lévy.

 

Plus quelques préfaces, articles ou lettres publiques, dont l'énumération ne saurait trouver place ici.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE
DES PRINCIPAUX OUVRAGES A CONSULTER

 

PIERRE AGUETAN, Saint-Saëns par lui-même, Editions Alsatia (s. d.).

AUGE DE LASSUS, Camille Saint-Saëns, un vol. in-18°, 1914, Delagrave.

EMILE BAUMANN, les Grandes formes de la musique : C. Saint-Saëns, 1 vol. in-18°, 1905, Ollendorff.

JEAN BONNEROT, C. Saint-Saëns (1835-1921), sa vie et son œuvre, 1 vol. in-18°, 1923, Durand et Cie.

Catalogue thématique des œuvres de Saint-Saëns, 1 vol., petit in-4°, 1907 Durand et Cie.

HENRI COLLET, les Chefs-d'œuvre de la musique : Samson et Dalila, 1 vol. in-18°, 1922, Mellottée.

ARTHUR DANDELOT, la Vie et l'Œuvre de Saint-Saëns, 1 vol. in-18°, 1930, Editions Dandelot.

OTTO NEITZEL, Berühmte Musiker : C. Saint-Saëns, 1 vol. in-4°, 1899, Berlin, « Harmonie ».

Programme analytique de la 3e Symphonie en ut mineur de Saint-Saëns, piqûre in-8°, 1887, Durand et Cie.
ROMAIN ROLLAND, Musiciens d'aujourd'hui, 1 vol. in-18°, 1908, Hachette.

OCTAVE SERE, Musiciens français d'aujourd'hui, nouvelle édition, 1 vol. in-18°, 1922, « le Mercure de France ».

GEORGES SERVIERES, Saint-Saëns (collection des « Maîtres de la Musique »), 1 vol. in-8°, 1923, Alcan, Paris.
JULIEN TIERSOT, Un demi-siècle de musique française, 1 vol. in-8°, Alcan, Paris, 1918.

 

Plusieurs revues ont consacré à Saint-Saëns des numéros spéciaux : Revue d'Histoire musicale (Octobre 1901) ; le Monde musical (21 octobre 1901) ; Musica (Juin 1907) ; le Guide du Concert (1914, deuxième édition augmentée, en 1922).

 

 

 

DISCOGRAPHIE

 

Nombre des disques signalés ci-dessous sont en ce moment épuisés, sans qu'on puisse prévoir l'époque de leur réapparition dans le commerce.

D'autres, signalés en revanche comme les seuls qui existent pour la reproduction de telle ou telle œuvre n'en peuvent donner que l'idée la plus fausse, par la médiocrité ou l'infidélité de l'exécution qu'ils enregistrent : c'est, hélas ! le cas pour l'œuvre symphonique la plus importante de Saint-Saëns...

 

MUSIQUE RELIGIEUSE

Ave Verum en mi bémol mineur : Sacré Cœur de Montmartre. — Gramophone n° K. 6959.

Idem. : Chœur du petit séminaire de Paris. — Lumen n° 30.056.

Laudate Dominum en fa majeur : Chœur du petit séminaire de Paris. — Lumen n° 30.056.

Oratorio de Noël (Tecum principium et Tollite hostias) : Cantorum Soloistes. — Pathé n° 93.039.

(Gloria, Benedictus) : Chœur St. Nicolas ; Mme Doniau et M. Payen. — Lumen n° 30.005.

(Quare) : Chœur St. Nicolas. — Decca n° 20.605.

 

ORCHESTRE

le Rouet d'Omphale : Orchestre Lamoureux. Direct. Alb. Wolff. — Polydor n° 566.046.

Phaéton : Orchestre du Conservatoire. Direct. : Cloëz. — Odéon n° 238205 et 238206.

la Danse Macabre : Orchestre dirigé par Ph. Gaubert. —­ Columbia n° DF. 1205.

Idem. : Orchestre dirigé par Cloëz. — Odéon n° 170.207.

Idem. : Philharmonie de Berlin. — Polydor n° 95.204.
la Jeunesse d'Hercule (abrégée). — Victor n° 24.781.
Marche héroïque : Orchestre direction Rühlmann. — Pathé n° 96.228.

la Princesse Jaune (ouverture) : Philharmonie de Berlin, Direction Al. Mélichar. — Polydor n° 522.687.

3e Symphonie avec Orgue : Orchestre Direction Coppola. — Gramophone n° W. 1092 à W. 1095.

Suite Algérienne : Orchestre Direction Cloëz. — Decca n° 20.679 et 20.176.

 

VIOLON ET ORCHESTRE OU PIANO

le Déluge (prélude) : R. Charmy. — Polydor n° 566.164.
Idem. : J. Thibaud. — Gramophone n° DB. 1338.
Introduction et rondo capriccioso : J. Heifetz. — Gramophone n° DB. 2580.

Concerto en si mineur : H. Merckel. — Gramophone n° L. 1000 à L. 1002.

Havanaise : J. Thibaud. — Gramophone n° DB. 1990.

Idem. : J. Heifetz. — Gramophone n° DB. 3211.

Elégie Op. 143 : G. Willaume et Saint-Saëns. — Gramophone n° DB. 704.

1ère Sonate violon et piano en ré mineur : A. Pascal et Philipp. — Pathé n° PAT. 15 à PAT. 17.

 

VIOLONCELLE ET ORCHESTRE OU PIANO
1ère Sonate violoncelle et piano : Bazelaire et Philipp. — Pathé n° PAT. 12 à PAT. 14.

2e Sonate violoncelle et piano : P. Bazelaire, Pathé n° PAT. 92 et PAT. 93.

le Cygne (extrait du Carnaval des Animaux) : P. Casals — Gramophone n° DA. 776.

Idem. : Piatigorsky. — Columbia n° D. 17306.

1er Concerto violoncelle et orchestre : Piatigorsky. — Columbia n° X. 182.

 

PIANO, PIANO ET ORCHESTRE

2e Concerto pour piano et orchestre : A. de Greef. — V.M. n° 150.

4e Concerto pour piano et orchestre : A. Cortot. — Gramophone n° DB. 2577 à DB. 2579.

Etude en forme de valse : A. Cortot. — Gramophone n° DB. 1535.
Wedding Cake : J. Doyen et quintette. — Ultraphone n° BP. 1534.

Variations à deux pianos sur un thème de Beethoven : E. Barlette, Robertson. — Gramophone n° C. 2483 et C. 2484.

Scherzo à deux pianos : Mlle Herrenschmidt et Philipp. — Polydor n° 561.143 et 561.144.

Caprice Arabe à deux pianos : J. et A. Iturbi. — Victor n° 15.366.

 

INSTRUMENTS DIVERS

le Carnaval des Animaux : Orch. Philadelphia. — Gramophone n° W. 1184 à W. 1186.

Septuor Op. 65 : Foveau, Cantrelle, etc. — Decca n° 15.463 et 15.464.

Tarentelle pour flûte, clarinette et orchestre : Orchestre municipal d'Eastbourne. — Columbia n° 9.750.

Romance op. 36 pour cor et orchestre : Devémy. — Polydor n° 556.026.

 

MUSIQUE DRAMATIQUE

la Princesse Jaune (Ouverture) : voir plus haut.

le Timbre d'Argent (Le Bonheur est chose légère) : Mme Ben-Sedira. — Ultraphone n° BP. 1537.

Idem. — Decca n° 20.077.

Etienne Marcel (Pavane et Valse) : Orchestre Cloëz. — Decca n° 20.077.

Henry VIII, Ballet : National Symphony, Direction : Damrosch. — Victor n° 7292.39.

Samson et Dalila (*) « Arrêtez, ô mes frères ! » / Trio du premier acte : Tamagno / Caruso, L. Homer, Journet. — Gramophone n° D.M. 126.

« Printemps qui commence » : Mme S. Onegin. — Victor n° 7320.

Idem. : Alice Raveau. — Pathé n° X. 7222.

Idem. : Mme J. Montfort. — Polydor n° 516.620.

« Amour ! viens aider ma faiblesse » : M. Anderson. —Victor n° 18088.

Duo : G. Cernay et G. Thill. — Columbia n° M. 9109.
Idem. : J. Montfort et Kaisin. — Polydor n° 66970.

« Mon cœur s'ouvre à ta voix » (Extrait du Duo) : Alice Raveau. — Pathé n° X 7222.

« Vois ma misère... » : G. Thill. — Columbia n° M. 9121.
Idem. : Franz. — Pathé n° X 90.043.

Bacchanale : Orch. Lamoureux, Direct. A. Wolff. — Polydor n° 67013.

Idem. : Orch. Lamoureux, Direct. Pierné. — Decca n° 25.334.

Idem. : Orch. Direct. Rühlmann. — Pathé n° 96.109.
Parysatis (air du Rossignol) : Lily Pons. — Polydor n° 188.645.

 

(*) Pendant l'impression du présent ouvrage, la Maison Pathé a publié un enregistrement intégral de Samson et Dalila, interprété par Mme Hélène Bouvier, MM. José Luccioni, P. Cabanel, Cambon, Médus, orchestre et chœurs sous la direction de M. Louis Fourestier.

 

MELODIES

la Cloche : G. Cernay. — Columbia n° LFX. 262.

Thème Varié : L. Ben-Sedira. — Ultraphone n° BB. 1537.
Marquise, vous souvenez-vous : G. Thill. — Columbia n° SF. 166.

le Solitaire (Nuit persane) : Abby Richardson. — Columbia n° RFX. 9.

le Pas d'Armes du roi Jean : Narçon. — Columbia n° RFX. 8.

El Desdichado (Duo) : L. Ben-Sedira et Bernac. — Ultraphone n° BP. 1555.

 

 

 

Saint-Saëns vers la fin de sa vie

 

 

TABLE DES MATIERES

 

La Vie et l’Œuvre

L’Homme et l’Esprit

Conclusion

Œuvres principales

Bibliographie

Discographie

 

 

TABLE DES ILLUSTRATIONS

 

Portrait gravé du compositeur (1880 — la Revue Illustrée)

Le compositeur à l'âge de 52 ans

Partition d'époque de la « Suite Algérienne » (1881)

Portrait inédit du Maître (Collection Bonnerot)

Page autographe extraite de la Collection de la Bibliothèque du Conservatoire

Saint-Saëns vers la fin de sa vie

 

 

Achevé d’imprimer sur les presses de l’Imprimerie Typographique Belge S.A., rue Edouard Faes, à Bruxelles, en septembre 1947.

Imprimé en Belgique.

 

 

 

 

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