André MESSAGER
musicien de théâtre
par
MICHEL AUGÉ-LARIBÉ
La Colombe
Editions du Vieux Colombier
5 rue Rousselet, Paris
1951
A MA FEMME
en souvenir des grandes joies musicales que nous devons à la baguette de l'oncle André
et
à mon fraternel ami
ALBERT GROZ
que la science musicale et la dévotion aux Maîtres n'ont pas privé de goûter la musique spirituelle de Messager
M. A.-L.
le compositeur de Véronique
dessin de Cappiello publié dans le Figaro du 25 septembre 1902
le meilleur portrait de Messager
Table des matières
Années d'enfance et d'apprentissage (1853-1875)
Les débuts difficiles d'un musicien pauvre (1875-1886)
Les premiers succès (1886-1891)
Le compositeur en quête d'un
bon livret (1891-1897)
Des P'tites
Michu à Fortunio en passant par Pelléas (1897-1908)
L'Opéra et les
concerts et encore l'Opéra-Comique (1908‑1920)
Fructueux automne (1921-1929)
Catalogue chronologique des œuvres
André Messager ? — « Peuh ! un compositeur d'opérettes ! » — Que c'est vite dit et sottement dit ! Peut-être, n'est-ce là que manœuvre de nouveaux venus qui, le connaissant mal, le trouvent encore encombrant vingt ans après sa mort ? Un coup de coude pour tenter d'écarter des programmes de demain un maître trop longtemps favorisé par le succès ? Alors, c'est humain, très humain, assez habituel, mais n'intéresse plus que l'étude de nos bassesses psychologiques. Quand ce dédain supérieur est conviction sincère, de la part de gens qui ont foi dans la hiérarchie des genres et jugent que l'opérette ne peut être placée qu'aux derniers rangs, tout au plus avant la chanson et le café-concert, il y aurait matière à discussion : c'est, tout bonnement, le procès et, sans plaidoirie, la condamnation de la musique « légère ». Au profit de quoi ? De la vraie musique, celle des grandes heures et des sommets ? Mais non. Exactement de la musique à prétentions, de la musique lourde, de la musique pesante.
Faut-il longuement discuter sur ce sujet ? Je le crois bien superflu. La musique qui a de la légèreté ne se laissera pas écraser par une trop lourde massue. Elle se rit des pédants et leur échappe, « légère et court vêtue... cotillon simple et souliers plats », précisément parce qu'elle ne s'encombre pas de prétentions à l'originalité, à la profondeur, à la grandeur. Elle n'a d'autre ambition que de profiter des courts moments où il est permis de s'amuser. Elle ne rêve pas de conquérir des cimes encore vierges ni même de s'élever, à grand renfort de guides et de porteurs, vers des altitudes haut cotées où les snobismes se mêlent aux sincérités. Près des chemins faciles, elle se plaît à cueillir de, jolies fleurs communes, à les unir en d'ingénieux bouquets. Elle se réjouit de tout ce qui passe à sa portée, d'une libellule sur le ruisseau ou d'un caricatural M. Cryptogame. Elle observe le ridicule des situations et des caractères ; elle s'en moque. Elle se laisse prendre aussi, elle s'émeut d'un amour qui ne tournera pas au drame, surtout pas à une tragédie en vers. Elle rit, elle veut plaire, parfois plaire trop vite, d'une coquetterie appuyée, par des moyens qui ont beaucoup servi depuis six mille ans, et plus, qu'il y a des hommes et des femmes. Elle a le souffle trop court pour suivre les héros, autrement que des yeux. Un nuage fait passer parfois sur son rire et sa gaîté une ombre de mélancolie. Cela ne dure pas. Elle essuie ses pleurs et se console d'un refrain, par insouciance et avec courage. Il y a plus de courage qu'on ne pense dans le cœur d'une petite fille. Elle chante la tendresse et l'esprit. Ne veut-on pas qu'il y ait, à côté des musiques du cœur, une musique spirituelle qui va de la finesse et de l'espièglerie jusqu'à la drôlerie, même à la parodie des langages boursouflés ?
Qu'on s'en choque, au fond, peu importe. Cette musique existe. Elle ne se taira pas. Son domaine qui n'est pas si petit est celui de l'opérette... au moins quand elle ne sombre pas dans la plate vulgarité. Car, enfin, parlant d'opérettes, il faudrait savoir ce qu'on veut dire. Il en est de bonnes et de mauvaises, comme il y a de bons et mauvais opéras. Des opérettes, des œuvrettes, il n'en manque pas dans les trésors de la musique et que l'on tient, avec raison, pour des chefs-d’œuvre. L'Enlèvement au Sérail de Mozart, c'est une opérette et c'est de la musique, n'est-ce pas ? Et la Cantate du café de J.-S. Bach, c'est bien une opérette, et elle n'est pas des meilleures, un peu trop lourde, n'est-ce pas ? Messager, qui avait des raisons de s'y connaître, faisait remarquer, vers la fin de sa vie, à l'époque où quelques-uns de nos contemporains se sont essayés dans un genre qui, réputé facile, n'était cependant pas à leur portée, qu'il ne suffit pas d'être un excellent musicien pour écrire d'un tour aisé, avec finesse, esprit, gaîté surtout, légèreté de main, distinction, une de ces petites comédies musicales qui ne visent qu'à plaire, un soir, mais qui y persistent pendant cinquante ans et plus.
Donc il y a des opérettes réussies et d'autres, même signées de grands noms, qui sont plus ou moins manquées. Celles de Messager sont généralement parmi les bonnes et quelques-unes restent, resteront comme des modèles du genre. Cela suffirait à lui réserver sa place dans l'histoire de la musique. N'est-ce pas ce qu'on demande d'abord à l'artiste : d'avoir eu un style, une manière, un domaine dans lequel il a été maître ? d'avoir fait, bien fait, ce qu'il était capable de faire ? C'est à ceux qui savaient exécuter, dans leur métier, le « chef-d'œuvre » qu'on donnait autrefois le nom de « maître ».
Revenons encore sur ce terme « opérette » pour lui retirer un sens péjoratif, sous lequel les snobs du grand Art veulent l'accabler. M. Roland Manuel, dans sa série Plaisir de la Musique, où il ne cache pas son goût pour les compositions d'André Messager, rapportait, un jour, ce mot de Saint-Saëns :
« L'opérette est une fille de l'opéra-comique qui a mal tourné » ; il ajoutait aussitôt : « Mais elle est charmante. » Il serait peut-être, historiquement, plus exact de dire que l'opéra-comique est un fils de l'opérette qui s'est guindé, car c'est l'opérette qui est venue en premier. Mais, d'une façon comme de l'autre, je ne vois pas qu'entre les deux il y ait une différence de nature. L'une et l'autre ont été des comédies en musique, généralement en trois actes, parfois en un seul, précédées d'une ouverture « pot-pourri » par l'orchestre et où le « parlé » est interrompu par du chant, plus ou moins mal amené : couplets, romance, duo, ensemble, chœur final.
Pour ne pas s'y tromper le public du XIXe siècle s'en tenait aux signes extérieurs : l'opéra-comique avait un théâtre à lui, tandis que les compositeurs d'opérettes alimentaient d'autres et plus petits théâtres, Bouffes-Parisiens, Folies-Dramatiques, Nouveau-Théâtre. Sur une scène et sur les autres il y avait tout autant de musique ; et même, peu à peu, elle a tout envahi. Rappelez-vous le Barbier de Séville, tel que l'a conçu Beaumarchais, qui, dans les éditions anciennes, est tout farci de couplets, et le Mariage de Figaro, où « tout finit par des chansons » ; la pièce se terminait par un « vaudeville » que Jacques Copeau avait rétabli aux représentations du Vieux Colombier et qu'on supprime ailleurs parce que les acteurs dramatiques n'osent pas fredonner. Rappelez-vous aussi les premières comédies de Labiche : on y chantait force couplets. C'est là ce genre, bien français, de la comédie mêlée de chansons, dont le Jeu de Robin et de Marion est un des plus anciens exemples, qui s'est développé au Théâtre de la Foire, qui reparaît dans les vaudevilles de l'Empire et de la Restauration et qui persiste dans nos revues d'actualité.
Pour l'opérette comme pour l'opéra-comique la musique a fini par chasser le texte parlé : Carmen, en 1875, n'en a plus que quelques lignes, aujourd'hui parfois même transformées en récitatifs ; Passionnément, de Messager, en 1926, n'a plus que du chant. Par quoi donc distinguer Passionnément, opérette, de Fortunio, comédie lyrique ? Tout se ramène à une différence de tenue. C'est bien le mot de Saint-Saëns. L'opéra-comique veut être de meilleure compagnie, comme il convient à un théâtre officiel, théâtre d'abonnés, théâtre de chanteurs ; l'opérette, à l'occasion, mais ce n'est pas obligatoire, se permet des libertés qui font rougir les personnes prudes, des facilités d'écriture qui scandalisent MM. les professeurs, des banalités qui font glousser les amateurs sérieux. A défaut de mieux, voudrait-on dire que les deux genres se distinguent par leur public ? A l'opéra-comique un public conformiste qui vient pour admirer, et il arrive qu'il n'y ait pas de quoi ; à l'opérette un public plus libre qui souhaite s'amuser, plus ou moins finement, et n'en trouve pas toujours l'occasion. Mais pour une bonne part les deux publics sont interchangeables. Il y a temps pour tout.
Messager lui-même ne s'y reconnaissait pas trop bien. Il a appelé opérette : les P'tites Michu, et opéra-comique : Véronique, œuvres de la même veine, du même temps, de la même qualité, jouées, sur la même scène, pour les mêmes publics. Pour indiquer qu'ils désiraient l'élever au-dessus de la foule des compositeurs sans distinction, des critiques ont dit : les opérettes de Messager ne sont pas des opérettes, ce sont des opéras-comiques. Bien inutile querelle de mots.
L'œuvre de Messager est variée de sujets et de ton, puisqu'elle comprend avec des opérettes, des opéras-comiques, des drames lyriques et des corné-dies, des ballets, des pantomimes, des mélodrames. La musique de théâtre en fait le fond. Son catalogue y ajoute une symphonie, une seule, qui est sa première œuvre ; des mélodies et des pièces pour piano ; très peu, on pourrait dire pas, de musique de chambre. Quant à la musique religieuse, elle en est totalement absente, chose assez remarquable pour un élève de l'école Niedermeyer, pour un organiste. Il ne semble pas qu'il ait songé à noter aucune de ses improvisations à l'orgue. Je n'en connais pas une page.
Pour caractériser Messager on aurait pu l'appeler : musicien de Paris. Personne n'aurait mérité aussi bien que lui ce titre qui a déjà été donné à d'autres, même à des étrangers, à des Parisiens d'imitation. Au fond, ce qui lui convient c'est : musicien de théâtre. Au théâtre il a apporté ses propres œuvres ; chef d'orchestre et directeur, il y a accueilli aussi, protégé, non sans audace, les œuvres d'autrui, même inquiétantes pour des gens de théâtre par leur grande nouveauté, comme Pelléas, ou leur antiquité, comme Hippolyte et Aricie.
Au point, que d'aucuns voudraient le louer surtout d'avoir été un grand serviteur de la musique et placer son action au-dessus de son œuvre. Il est certain que peu d'auteurs ont aimé la musique avec autant, de passion sincère et de dévouement, que personne ne l'a défendue avec plus de zèle. La musique était, son métier. Elle était aussi son plaisir. Et il savait y trouver les joies les plus variées, sous toutes les formes. Auditeur de Bayreuth dès les premiers temps, souscripteur de la grande édition des œuvres de J.-S. Bach et de l'édition nouvelle de Rameau, il sut goûter les œuvres de l'école russe, le jazz et les audaces des jeunes Français, comme il s'était intéressé en 1889 aux musiques bizarres de l'Exposition. Ayant commencé d'écrire en 1875, il n'a cessé que peu de semaines avant sa mort en 1929. Pendant plus de cinquante années, il a été mêlé, à des titres divers, actifs ou honorifiques, au renouveau qui a rendu à notre pays la suprématie musicale.
L'homme lui-même est intéressant à bien connaître, tout formé de contrastes. Il a laissé la réputation d'un caractère peu commode, aux jugements redoutés, aux reparties plus spirituelles qu'indulgentes ; mais il a mérité les dévouements des humbles qui avaient éprouvé sa bonté cachée et les amitiés fidèles de ses camarades d'enfance autant que de maîtres tels que Fauré, Saint-Saëns et Debussy. Directeur de la musique à l'Opéra-Comique, au Covent-Garden de Londres, à l'Opéra, chef d'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, critique musical, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, grand voyageur, pour la musique à entendre ou à diriger, en Europe et dans les deux Amériques, membre de l'Institut, il a été bien placé pour avoir de l'influence sur le goût de son temps. Il a connu les succès et les honneurs. Il a fait figure d'homme heureux à qui la chance a aplani les chemins. On ignore ou on veut oublier qu'il a eu des débuts difficiles, qu'il a dû accepter les corvées et les risques. Devant la pauvreté au départ et les accidents de la vie, devant les souffrances de la maladie et l'approche de la mort, — la décrépitude de la vieillesse lui ayant été épargnée, — il a gardé l'élégance d'un gentilhomme. Ce sont bien là des raisons de le présenter, tel qu'il fut, à des jeunes qui pourraient prendre de moins bons modèles.
Qu'on ne s'étonne pas si, de temps à autre, je me permets de rapporter des souvenirs en employant le haïssable « je ». Ce sera pour indiquer que je suis un témoin de sa vie depuis mon enfance. Par ma mère je suis son neveu. Mais je ne me laisserai pas aller à rédiger mes Mémoires, sous le prétexte de raconter Messager. On a déjà écrit bien des articles sur son œuvre et sur l'homme. Peut-être pourrai-je corriger quelques inexactitudes. Et si je ne puis pas, faute de place, et par cette discrétion que l'on doit aux morts, dire boute la vérité, je ne dirai rien que des vérités. Sauf erreur ou omission. Mais j'ai pris la peine de contrôler dans des documents nombreux les précisions qui ne sont pas déplacées, même pour parler d'un artiste qui avait à un tel degré l'horreur de la pédanterie et de toutes les cuistreries. J'avais espéré qu'il écrirait lui-même ses Souvenirs, des souvenirs qui auraient été infiniment précieux. Les Souvenirs de Messager, c'était toute l'évolution si glorieuse de la musique française pendant cinquante ans, racontée par celui qui n'en avait rien ignoré, expliquée par des centaines d'anecdotes des plus amusantes. Je devais n'être pour lui qu'un « Art de vérifier les dates ». Il avait accueilli ce projet avec une réelle attirance et il avait tracé l'esquisse d'un plan. Mais il était trop tard. La maladie le tenait pour le livrer, quelques mois après, à la mort. En rappelant tout cela, j'espère mériter la confiance du lecteur.
ANNÉES D'ENFANCE ET D'APPRENTISSAGE
(1853-1875)
André Messager est né à Montluçon (Allier) le 30 décembre 1853.
M. Gustave Samazeuilh a consacré une de ses brillantes chroniques musicales du Temps (le 2 septembre 1940) à trois musiciens qu'il admire et que l'on venait de jouer au Casino de Vichy : Chabrier, Canteloube, Messager. Il a donné pour titre à son article : « Musiciens auvergnats. »
Sans aucun doute, Chabrier est auvergnat, auvergnatissime. Il est né à Ambert, qui est au bord de l'Auvergne, mais bien en Auvergne. Son nom signifie, peut-être, le joueur de cabrette ; dans sa musique autant que dans ses propos et dans ses lettres, il a laissé toute liberté à l'imagination un peu folle de ceux, entre Livradois et Forez, sur qui les « fades » (les fées) ont soufflé à leur naissance. Mais M. Canteloube de Malaret, s'il a diligemment recueilli le folklore auvergnat pour en faire le support de ses commentaires pianistiques ou symphoniques, est ardéchois. Un Cévenol n'est pas un Auvergnat. Quant à Messager, né par occasion dans le Bourbonnais, qui, de toute façon, n'est pas l'Auvergne, il n'y a rien de plus drôle que de déguiser ce Parisien en Auvergnat. Attribuer les qualités de « souplesse avisée, le sens de l'opportunité, l'intelligence, l'esprit naturellement ouvert et compréhensif » que M. Samazeuilh constate chez Messager, à « sa race d'origine », c'est une déduction qui pèche par la base. A supposer que ces qualités soient celles de tous les Auvergnats, peu importe, car Messager n'est absolument pas auvergnat.
Si l'on veut, à toute force, garder quelque chose du déterminisme de M. Taine, — le ciel, le sol, le climat, les aliments, la race, — il faut utiliser la méthode avec beaucoup de prudence et rechercher des renseignements précis. Il n'y a pas plus d'influence de terroir par Montluçon sur André Messager qu'il n'y en a eu par Noyon sur sa sœur et son frère aînés. Ils sont parisiens, de lignées longuement parisiennes, tant du côté paternel que du maternel.
Le grand-père d'André, Dominique Messager (1772-1844), né à Paris, mort à Paris, a été entraîné par la Révolution dans la carrière des armes. Enrôlé en 1792 au bataillon de Molière devenu la 16e demi-brigade, il a pris part aux campagnes de Champagne et de Sambre-et-Meuse, a été prisonnier en Allemagne en 1797, est passé ensuite au 25e régiment de dragons et de là aux grenadiers à cheval de la Garde Impériale ; il y est promu lieutenant en Ier le 27 frimaire an 14. Blessé d'un coup de mitraille au genou droit, à la bataille d'Austerlitz, il prend sa retraite en 1816 comme chef d'escadron capitaine des grenadiers cuirassiers royaux, ayant ajouté à sa décoration d'officier de la Légion d'honneur celle de chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis. C'est lui que certains biographes transforment en un général de la Grande Armée, parce que c'est plus reluisant. C'était un bel homme. Il mesurait un mètre quatre-vingts, dit son passeport ; et quand il avait sur la tête son grand bonnet d'ourson, il ne devait pas manquer son effet. Mais, aux changements de saison, il souffrait du coup de mitraille qui l'avait désarçonné ; il restait chez lui, où il piquait patiemment des tapisseries au petit point qui ont servi à recouvrir des fauteuils.
En 1808, il avait épousé à Paris Marthe Gémeau, née à Rueil en 1787. Elle était fille de Jean-Baptiste, né et mort à Paris, qui dans son acte de mariage, à Rueil en 1786, est qualifié écuyer, valet de Chambre, par quartier, du Roi ; en 1824, son nom est encore inscrit au petit almanach de la Cour de France dans la Maison du Roi. Un membre de la famille que ces questions de généalogie intéressaient a suivi des filiations qui, passant par un Camille Gémeau, seigneur de Janzé, rattachent la grand' mère d'André Messager à des nobliaux de Bourgogne et, au XVIe siècle, à un érudit collectionneur de Lyon.
Dans la branche maternelle, Sophie-Cornélie, la mère d'André, est la fille d'Alexis Lhote de Sélancy, officier de service de la Chambre du Roi. D'après les traditions de famille, c'est lui qui a transmis à son petit-fils ce caractère difficile, pour ne pas dire plus, qui du moins chez celui-ci alternait, comme giboulées de mars, avec des trouvailles de charmeur et des mots de gentillesse auxquels on ne résistait guère.
Des actes testamentaires, des portraits, des meubles divers dispersés parmi les héritiers des Messager, des Gémeau et des Sélancy on retire l'impression de familles largement pourvues et parisiennes de longue date. L'expression « bourgeois de Paris » revient souvent dans les contrats de mariage. Peut-être, du côté Messager, l'installation à Paris est-elle moins ancienne. Jean-Louis, l'arrière-grand-père d'André, riche entrepreneur de menuiserie qui, dans ses immeubles, au coin de la rue Bellechasse et de la rue Saint-Dominique, avait pour locataire Julie de Lespinasse, s'il est né à Paris, paraît être le fils d'un provincial, peut-être normand.
Pressons, pressons... Cela n'aurait d'intérêt que pour une discussion, s'il y en avait une à soutenir. Avec des provinciaux on fait, souvent sans grand délai, d'excellents Parisiens. Ce titre, d'ailleurs, signifie, plus qu'une origine précise, un certain tour d'esprit, une manière de prendre la vie, de la rétrécir et de l'alléger, de préférer la rapidité à la profondeur. André Messager, parisien de race, l'est aussi d'esprit à un véritable degré de perfection dans le genre.
Rien n'indique que, parmi tous ces Parisiens, un seul ait eu un goût prononcé pour la musique, même seulement comme exécutant. La vocation vint à Messager sans préparation. Il a lui-même raconté à Jaboune, qui l'a rapporté dans sa série les Grands hommes quand ils étaient petits, comment cela a commencé : « Mes parents ? Hélas ! Non. Personne n'était musicien dans ma famille. Il y avait bien ma sœur. Mais je n'ai pas dit qu'elle fût musicienne : j'ai dit qu'elle apprenait le piano... Ce n'est pas tout à fait la même chose... Le seul avantage que j'aie retiré de ses études, c'est qu'il y avait un piano à la maison ; et c'est sur ce piano que j'ai pu m'exercer un peu, tout seul, dès que j'ai été assez haut pour atteindre les touches du bout des doigts.
« Quand j'entrai chez les Pères Maristes, mon père demanda si l'on pourrait me donner quelques leçons : « Mais certainement, monsieur, lui répondit-on. Nous allons inscrire votre fils au cours de musique. »
« Après le piano, j'eus donc officiellement. à ma disposition un maître de piano, ou plus exactement un soi-disant maître de piano... C'était, en effet, un vieux monsieur tout à fait bien, mais qui n'était pas plus pianiste que je ne suis grand Turc : notez qu'il aurait peut-être très bien réussi comme pianiste, mais il s'en était toujours tenu au violon.
« Le détail était d'ailleurs sans importance ; l'important, c'était seulement, n'est-ce pas, que j'eusse un prétexte pour me rendre le plus souvent possible dans la petite salle du collège où je pouvais continuer librement à tapoter sur le piano. J'avais le prétexte. Et je ne manquais pas d'en profiter. »
La mise en cage avait été une nécessité. Si le petit André était l'enfant cajoleur qui savait se faire gâter par ses gentillesses, il était aussi le plus insupportable des enfants capricieux. Il lui prenait parfois « des colères d'âne rouge » qui le faisaient, se rouler dans la poussière ou la boue avec son plus beau costume. A sept ans, pour le mater, on l'enferma, sans le martyriser, puisque au collège il y avait un piano. Il y avait aussi une chorale, ce serait trop de dire une maîtrise. Il en fit naturellement partie et même il y chantait les soli, d'une voix, m'a-t-on dit, délicieuse, mais qui se brisa au moment de la mue. Il y avait encore dans cet heureux collège une sorte de musique militaire pour accompagner les processions et solenniser les distributions de prix ; il y jouait de la grosse caisse et du triangle.
Tout cela ne lui a certainement fait connaître qu'une musique religieuse et mondaine de pauvre qualité. On ne risque guère de se tromper en imaginant qu'elle se composait de valses et quadrilles où quelques phrases des ouvrages ayant eu du succès à Paris s'embourbaient dans des accompagnements toujours les mêmes. Dans les morceaux quon lui faisait jouer, la grande musique était représentée par l'Ouverture de la Chasse du jeune Henri, de Méhul. Messager reconnaît que, vers la fin de ses années de collège, il eut enfin un professeur véritable, M. Albrecht, qui sortait de cette école Niedermeyer où il allait entrer et qui lui donna quelques notions vraies de la musique. « J'en avais sérieusement besoin, ajoute-t-il, et il fallait rattraper le temps perdu. » Pas beaucoup de temps perdu, sans doute, puisqu'il devait avoir alors quatorze ou quinze ans. D'ailleurs, la période d'apprentissage n'allait pas tarder à s'ouvrir.
La musique qui, jusque-là, ne devait être pour André Messager qu'un art d'agrément, va devenir son moyen de vivre. Brusquement ruinés, ses parents ne peuvent plus envisager pour leurs fils les longues et coûteuses études qui conduisent à des fonctions administratives, espoir des familles bourgeoises. Tenant, compte d'une vocation qui ne s'est pas démentie, ils acceptent d'envoyer André à l'école Niedermeyer, où une demi-bourse est promise et sera, en effet, accordée, sur la recommandation de l'évêque de Moulins, par arrêté du Garde des sceaux, le 30 septembre 1869.
L'Ecole de musique religieuse avait été fondée, en 1853, par un compositeur et professeur suisse, Louis Niedermeyer (1802-1861) pour former des organistes. Au moment où Messager y entre, âgé de moins de seize ans, elle était dirigée par le gendre du fondateur, Gustave Lefèvre, qui avait su s'assurer la collaboration d'excellents professeurs. On y donnait avec une instruction générale réduite, mais qui comprenait un peu de latin (d'église), des leçons théoriques et pratiques de musique aussi fortes qu'au Conservatoire. L'étude des modes dits grégoriens y était certainement plus poussée, à tel point qu'on a remarqué dans des œuvres de Messager des influences modales, là où on ne les attendait pas.
Le régime de l'école, alors située 10 bis, rue Neuve-Fontaine-Saint-Georges, près de la place Clichy, était l'internat, avec un uniforme semblable à celui des lycéens. Mais il n'y avait qu'une douzaine d'élèves, qui n'étaient plus des enfants. La discipline n'était pas rigoureuse. Il est remarquable que tous ceux qui y ont passé, Messager, notamment, et aussi Fauré, ont parlé de leur école avec sympathie et reconnaissance.
Ecoutons ce qu'en dit Fauré, d'autant plus que cela se trouve dans l'article qu'il a écrit sur Messager (Musica, n° 72, septembre 1908) :
« L'un et l'autre nous fûmes élèves de cette école Niedermeyer qui, sans grand bruit et sans grand vacarme, fit de si bonne, de si utile besogne pour la musique. Bien nombreux sont les organistes, les compositeurs qui doivent à son enseignement le meilleur de leur talent ; et ce m'est un devoir très doux que d'adresser, chaque fois que je le puis, un hommage de reconnaissance à la vieille Ecole.
« Pendant la guerre, notre directeur, M. Lefèvre, avait transporté l'École en Suisse, retournant pour ainsi dire au pays d'origine de son fondateur. Quand je dis qu'il avait transporté l'Ecole, c'est une manière de parler, car il y fut un instant tout seul. Il écrivit de droite et de gauche à ses anciens élèves et à ses anciens professeurs. Après avoir servi à Paris dans un régiment de ligne, je me rendis à son appel. J'étais tout fraîchement émoulu de l'école et un peu anxieux de mes débuts comme professeur. Le premier élève qui me fut présenté dès que j'arrivais, ce fut... André Messager, alors tout jeune et mon cadet de sept à huit ans. (Exactement huit ans et sept mois ; Fauré n'avait pas rencontré Messager pendant son séjour d'élève à l'école Niedermeyer parce qu'il y était entré en 1854 et en était sorti en 1865 pour aller comme organiste à Rennes.)
« Les premiers entretiens, je n'ose pas dire les premières leçons, suffirent à nous convaincre que nous étions faits pour être des amis ; et, depuis ce temps, cette amitié, j'en suis très fier et très heureux, ne s'est jamais démentie. Ce furent aussi les leçons avec Camille Saint-Saëns qui nous unirent ; avec Camille Saint-Saëns dont nous fûmes, je crois bien, les seuls disciples et qui, du terre à terre de la simple pédagogie, nous transporta d'un coup aux plus hauts sommets de l'art. Virtuose incomparable et compositeur d'un génie audacieux, il nous ouvrait des horizons jusqu'alors fermés à tous. Et c'est ainsi que, sous l'égide du Maître, nous assistâmes l'un et l'autre à cette prodigieuse évolution de la musique française ; nous connûmes aussi, et avec quel profit, la cohorte imposante des symphonistes allemands, les compositeurs de lieder, les dramaturges, le dernier venu d'entre eux, alors honni : Richard Wagner, et aussi le dieu protecteur de toutes les renaissances artistiques, l'apôtre fervent et désintéressé de toutes les généreuses audaces : Franz Liszt ».
André Messager, de même que Fauré, a plusieurs fois rappelé ses heureuses années d'apprentissage : « J'entrai à l'école Niedermeyer, dirigée alors, comme elle l'est encore (1908), par Gustave Lefèvre, le maître le plus affectueusement dévoué à ses élèves que j'aie jamais rencontré et où je fis complètement mes études musicales. Eugène Gigout fut mon professeur d'harmonie et de contrepoint, Adam Laussel mon professeur de piano et Clément Loret mon professeur d'orgue. » Et il a raconté ce qu'était le vacarme bizarre de celle ruche musicale où les pianistes, jouant, tous en même temps des œuvres diverses, parvenaient cependant à isoler leur travail.
Bien des élèves de l'école de musique religieuse n'ont pas pleinement. répondu aux intentions du fondateur. Sans doute elle a envoyé aux églises des organistes, à la tête desquels il faut mettre Gigout. Ses improvisations à l'orgue de Saint-Augustin attiraient à la messe d'onze heures des auditeurs attentifs dont quelques-uns, comme Albert Groz et Albert Roussel, étaient les élèves de cet admirable professeur. Mais beaucoup aussi ont renoncé aux grandes orgues et se sont évadés vers la musique profane, même, ô scandale ! vers l'opérette. Edmond Audran (1842-1901), le compositeur de la Mascotte et de Miss Helyett, Jean Lemaire (1854-?), Victor Roger (1854-1903), qui écrivit la musique de Joséphine vendue par ses sœurs et des 28 jours de Clairette, Claude Terrasse (1867-1923) dont le Sire de Vergy a eu du succès, Léon Vasseur (1844-1917) qui a fait applaudir pendant quelque temps la Timbale d'argent et le Voyage de Suzette, et d'autres encore sont des produits de l'école de musique religieuse. Cela prouve que l'enseignement ne parvient pas toujours à conduire ses élèves là où il voudrait les mener, poule qui a couvé des canards. Il ne suffit pas d'avoir été bon écolier, sous de bons maîtres, pour réussir, un jour, de belles œuvres. Le Conservatoire n'a pas eu plus de chance que Niedermeyer : Charles Lecocq, Ganne, Planquette en témoignent.
C'est que l'apprentissage ne se fait pas tout entier à l'atelier ; surtout à Paris, il se complète ou se déforme, pour une bonne part, dans la rue, aux vitrines, aux rencontres avec les camarades et les concurrents. Pour les musiciens, en dehors de l'école qui transmet la tradition, — et sans parler des dispositions innées, des dons mystérieux qui font ou le disciple appliqué ou la personnalité originale, — s'exerce tout un complexe d'influences, les goûts et engouements des publics, ce qu'on entend aux églises, aux théâtres, aux concerts, les partitions qu'on peut lire, les critiques qui distribuent blâmes et éloges, l'air du temps.
Au moment, où Messager, provincial de seize ans, va être soumis à toutes ces influences, la France traverse une période de son histoire musicale qui n'est pas des plus heureuses. Ni par la quantité ni surtout par la qualité, elle ne ressemble à celle que nous venons de vivre entre les trois guerres. Les quelques grands artistes, dont le second Empire se recommande auprès de la postérité, n'ont pas été soutenus par leurs contemporains qui leur ont préféré les médiocres et les charlatans.
Pour le Paris de cette époque — il n'y a pas à se préoccuper de la province, qui ne fait que suivre, ni de l'étranger qu'on connaît peu — les grands maîtres de la musique encore vivants sont Meyerbeer, Ambroise Thomas et Auber, auxquels s'ajoutent ou que surmontent, et à juste titre, dans la faveur du public, Rossini, Verdi et autres fournisseurs du Théâtre italien. Gounod ne tient pas dans Roméo et Juliette ni dans Mireille les promesses de Faust. Il est en concurrence avec Félicien David pour le fauteuil de Clapisson à l'Institut. Berlioz va mourir, désespéré de n'avoir pas vu représenter ses Troyens ; il ne compose plus. Bizet, Delibes, Saint-Saëns ne sont encore qu'à leurs débuts. Fauré est à peine sorti de l'Ecole. Leur gloire ne sera consacrée qu'après la guerre. Le grand musicien de cette époque c'est Offenbach. « Offenbach, a-t-on dit, est à lui seul toute une époque musicale. »
Le renouveau de la musique française, — que l'on date parfois beaucoup trop tard, vers 1900, — commence tout de suite après la guerre de 1870. Vous rappelez-vous le tableau de Puvis de Chavannes qu'on appelle la petite Espérance : une fillette demi-nue au milieu des ruines, qui sourit, à l'avenir ? Il y a de la musique dans ce sourire et celte musique va s'épanouir, dès que la sève remontera dans le vieil arbre. La volonté de vivre fait de la France vaincue une France neuve qui a besoin de chanter.
Il y avait si peu de vraie musique au temps de mascarade impériale ! Le bilan en est vite fait. Il permet de dire qu'avec Messager et, d'abord, les maîtres qui l'ont formé, on repart de zéro et même que l'on vient d'au-dessous de zéro si l'on attribue des valeurs négatives aux mauvaises œuvres. Supposons qu'à la rentrée de 1869, le nouvel élève de Niedermeyer ait pu, en dehors des classes et exercices, respirer l'air du dehors, qu'a-t-il entendu ?
Dans les églises, pendant les offices, on joue de la musique ; elle est, plus mondaine que religieuse, même quand elle a été écrite sur des textes liturgiques. De temps à autre des concerts spirituels, des oratorios, des messes de mariage ou d'enterrement utilisent les effets habituels des chanteurs de l'Opéra. Le 22 mars 1866, la Messe de Liszt a été exécutée à Saint-Eustache ; on a trouvé qu'elle fait « un vacarme effroyable ». Théodore Dubois a donné à Sainte-Clotilde les Sept paroles du Christ ; « voilà un début qui promet, dit la critique, et l'artiste évidemment ne s'en tiendra pas là ».
Depuis le temps déjà lointain — c'était en 1829 — où Habeneck a introduit des œuvres allemandes à la Société des Concerts du Conservatoire, un répertoire s'est formé qui a ajouté les romantiques aux classiques. On vient de restaurer la décoration de la salle : « Bien des gens s'en plaindront, dit-on, qui depuis quarante ans écoutaient la musique classique dans ce sanctuaire triste, noir, enfumé, où elle était née. » Le plus souvent on met au programme des parties d'œuvres conçues pour le théâtre, notamment de Gluck et de Mozart. Les concerts Pasdeloup, au Cirque Napoléon, accueillent, à des prix très modérés, un public nombreux qui commence à s'enthousiasmer et bientôt à se disputer, ce qui est preuve d'amour. Liszt vient y applaudir Berlioz. Quand l'Athénée, de la rue Scribe, se destine aux concerts et aux conférences, Pasdeloup y dirige le Désert de Félicien David, Struensée de Meyerbeer et les Saisons de Haydn.
Il y a aussi, régulièrement, des concerts de musique de chambre. On y entend le quatuor Lamoureux et, à l'occasion, un quatuor Muller renommé en Allemagne. Ils jouent les grands classiques ; très rarement, peut-être jamais, des œuvres nouvelles. D'ailleurs le public est vite saturé. Le chroniqueur musical de l'Illustration, Michel Savigny, en est tout essoufflé : « Il pleut des concerts de toutes parts : dans les fêtes officielles, dans les soirées du monde, à l'Athénée, à la Salle Herz, à la Salle Pleyel, à la Salle Erard... Il se fait une furieuse consommation de musique pendant le carême. Nommer tous les concerts est impossible. » On y va beaucoup plus pour les virtuoses que pour les œuvres. Quand Saint-Saëns joue à deux pianos avec Th. Ritter, on en parle comme nous faisons d'un grand match de tennis. Diémer, Massenet paraissent aux programmes.
A l'Exposition de 1867, où la musique n'a tenu que bien peu de place, on a essayé des effets de masses. Dans le Palais de l'Industrie, aux Champs-Elysées, les orchestres et les chœurs unis de l'Opéra, de l'Opéra-Comique, du Conservatoire, mille exécutants, sous la direction de Georges Hainl, chef d'orchestre de l'Opéra et du Conservatoire, ont donné : l'Ouverture d'Iphigénie en Aulide, une marche d'Adam, le chant de Berlioz : Vive la France !, l'unisson de l'Africaine, les fameuses seize mesures, qui se sont perdues dans l'immensité de la salle, le Chant du soir de Félicien David, le chœur des soldats de Faust et surtout, surtout, le Chant des Titans de Rossini avec un coup de canon (Escusi di poco ! disait le maestro goguenard). Beaucoup de bruit pour pas grand'chose, aurait dit Shakespeare. Le jeune Saint-Saëns a eu le prix de la Commission musicale pour sa cantate, les Noces de Prométhée, que d'ailleurs il a dû faire exécuter à ses frais.
Tout cela, ou presque, est théâtral. En effet, toute l'activité des compositeurs de ce temps est tournée vers le théâtre qui, seul, accorde, avec beaucoup de caprices, la gloire et l'argent. Il y a quatre théâtres lyriques : l'Opéra, à la rue Lepeletier, l'Opéra-Comique, à la place même où il brûla et renaquit de ses cendres, le Théâtre italien, à la Salle Ventadour, et le Théâtre-Lyrique qui change souvent de place, de nom et de directeur parce qu'il a peine à découvrir des œuvres qui lui assurent des bénéfices. Quant aux plus petits théâtres, qu'on appelle théâtres de genre, peut-être pour laisser entendre qu'il est mauvais, ils sont nombreux. Plusieurs sont réservés à la musique, la musique où l'on s'amuse ; d'autres passent du vaudeville à l'opérette, courant après un succès qui vient quelquefois. Offenbach a son théâtre à lui, les Bouffes-Parisiens, dont il est le directeur et le fournisseur. En 1866, il vient encore d'y faire représenter Barbe-Bleue, puis, pour l'Exposition, aux Variétés, la Vie Parisienne et la Grande-Duchesse de Gérolstein.
A l'Opéra, le répertoire s'accroît lentement. On se contente de changer les chanteurs puisque le public y vient pour l'ut de poitrine et les vocalises, non pour la musique. On y prend et reprend le Dieu et la Bayadère d'Auber, la Juive d'Halévy, Don Juan de Mozart, avec Faure, Guillaume Tell de Rossini, Alceste de Gluck, l'Africaine de Meyerbeer. Parmi les créations nouvelles il faut retenir Roméo et Juliette de Gounod, dont le succès est discuté. Les deux ballets de Léo Delibes, la Source, en collaboration avec Minkus (sont de Delibes les troisième et quatrième tableaux) et Coppelia ouvrent la voie pour des ballets où la musique ne sera plus sacrifiée aux traditions ou exigences des danseurs.
L'Opéra-Comique était peut-être plus accueillant que l'Opéra pour les œuvres nouvelles. Mais ce qu'on lui a apporté en ce temps n'a guère été conservé par la postérité. On n'entend plus et je pense que personne ne lit Fior d'Aliza de Victor Massé, plus connu par les Noces de Jeannette, ni même la Colombe de Gounod. L'Opéra-Comique a laissé prendre par Carvalho, directeur du Théâtre-Lyrique, la Jolie fille de Perth de Bizet, mais il s'est emparé de Mignon d'Ambroise Thomas. Et il a remonté l'Etoile du Nord de Meyerbeer. Quand il se permet de jouer le Voyage en Chine, on l'accuse de « révolutionner son genre. Il devient amusant ; bientôt il sera bouffe ». « Le grand événement musical, c'est le Robinson Crusoé d'Offenbach. Cet ouvrage, qui fait le plus grand honneur au compositeur, promet un maître de l'opéra-comique ».
Les Italiens, au désespoir des amateurs, n'ont plus leurs grands chanteurs. Ils se consolent avec Adelina Patti et Mlle Nilsson. Les deux pièces qui, à la salle Ventadour, sont sûres de leurs recettes sont le Barbier de Séville et Don Juan ; le Matrimonio segreto de Cimarosa est beaucoup moins productif. A un moment, Don Juan est donné, presque en même temps, à l'Opéra, au Théâtre italien et au Théâtre-Lyrique et l'on dit qu'en choisissant dans les trois troupes, on aurait eu une exécution presque parfaite. Lucia di Lamermoor, l’Elisir d'amore, Otello, Rigoletto, il Trovatore sont constamment sur l'affiche.
Le Théâtre-Lyrique est chancelant. Pendant l'année 1867, la dernière de la direction Carvalho, on y a représenté Deborah de M. Devin-Duvivier (?), Sardanapale de M. Victorin Joncières, Roméo et Juliette de Gounod, les Bleuets de M. Jules Cohen (?), Cardillac de M. Dautresme (?), la Jolie fille de Perth de Bizet, qui a du succès, mais seulement vingt et une représentations.
A part quelques exceptions peu nombreuses, les répertoires des quatre théâtres lyriques nous paraissent aujourd'hui avoir été composés de médiocrités et de nullités. Pourtant la plupart de ces œuvres dont nous ne voulons plus ont été applaudies, même pendant une vingtaine, une cinquantaine d'années et davantage. Elles ont satisfait leur public, des publics renouvelés. Que demandaient-ils donc à la musique ? Eh bien, c'est d'exister le moins possible. « Car la musique est un honorable prétexte, mais ce n'est qu'un accessoire. On va entendre un opéra en cinq actes, mais à condition qu'on ne l'entendra pas. On va voir et se faire voir, on va poser. » C'est ce qu'explique très bien Méry dans un article de l'Illustration sur la salle future de l'Opéra (10 janvier 1866). A cette date, Charles Garnier avait commencé de construire les assises « cyclopéennes » de notre Opéra de grand luxe, si caractéristique, avec ses qualités de structure et le tape à l'œil de sa décoration, des conceptions artistiques du second Empire. Que devrait-il être ? Méry répondait en réaliste, sans excessive sévérité pour ses contemporains : « Notre monde élégant, si mobile dans ses modes, est routinier dans ses habitudes ; il veut revoir le théâtre de la rue Lepeletier dans le théâtre futur du Grand-Hôtel... L'architecte doit, chez nous, se préoccuper de faire une salle d'opéra gracieuse à l'œil et propice à l'exhibition des toilettes ; l'acoustique est un peu laissé (sic) aux soins de la divinité du hasard. Il nous faut, avant tout, une coupe élégante, des loges d'avant-scène immenses et taillées en cavernes de velours ; des baignoires dans un demi-jour timide, refuge des veuves, des couples suspects et des toilettes arriérées ; un rang de premières d'un rouge criard, capitonnées sur toutes les coutures, et ne dérobant rien aux lorgnettes et aux yeux nus ; enfin, des loges supérieures toujours bien évasées et rembourrées d'étoffes soyeuses, de tentures molles et de voluptueux édredons. On se soucie fort peu de recueillir un son expirant dans sa ténuité la plus suave ; un dernier soupir de violoncelle ou de voix, la suprême modulation d'un point d'orgue dans une extase d'amour ; on demande que le spectateur ne perde pas une harmonie de lignes, une roulade de pierreries, un point d'Angleterre, à tous les étages de l'aristocratique exhibition... »
Nous sommes dans un monde qui, on ne le marquera jamais assez fortement, n'aime pas la musique, mais qui adore le théâtre, même quand il est chanté. Il ne sent pas la musique si elle ne grossit pas ses effets ; il veut comprendre la pièce. L'observation qui termine l'article de Méry est révélatrice : « A une première représentation d'opéra, le libretto est la chose la plus importante. La musique est l'accessoire ; si elle est bonne, les connaisseurs font courir le bruit qu'elle est bonne, et peu à peu le succès se fera sur recommandation. On vend cinq cents libretti à chaque première. Le public suit l'intrigue en lisant, et si Arthur est bien contrarié par Oscar, son rival ; si Emilie est très malheureuse jusqu'à la fin, ou si elle se tue après avoir été heureuse, les lecteurs sortent enchantés de l'opéra... Il suffirait de se pourvoir de bons libretti bien noirs, bien dramatiques, rouges de sang à chaque page, et de changer la salle future de l'Opéra parisien en un cabinet de lecture, à l'usage des amateurs de romans. »
Si l'on veut croire, par respect pour nos grands-parents, que ce portrait n'est qu'une caricature, interrogeons ceux qui prétendaient alors aimer la musique et s'y connaître. Le chroniqueur musical de l'Illustration les représentera, je pense, fort bien. Celui-là n'aime pas davantage la musique, mais il aime le son. Qu'on lui donne du son, et qu'on lui en donne beaucoup : « Nous commençons à nous fatiguer de ces gens d'un grand talent, certes, mais qui, faute de moyens, chantent constamment à demi-voix... ils chuchotent un rôle. Parlez plus haut ! L'opéra que vous chantez n'est pas un secret et ne nous forcez pas à deviner ce que le compositeur a voulu dire... La voix, voilà la première force du chanteur. Le goût, la méthode, cela vient ensuite... » Encore un passage entre cent : « La supériorité de Mlle Patti est évidemment dans les rôles de mezzo-carattere et dans l'opéra-bouffe. Dans l'Elisir d'amore, dans Don Pasquale, le Barbier, sa voix merveilleuse jette à travers cette musique joyeuse ses notes gaies, sonores, brillantes de tout l'éclat de la jeunesse... La musique n'est pas toute dans le sentiment. Elle a ses sensations purement physiques. L'ouïe jouit des sons, comme l'odorat des couleurs (sic). Qu'on me fasse entendre une voix bien fraîche, bien timbrée, d'une pureté parfaite, dans laquelle toutes les notes du clavier résonnent avec la même sûreté, qui, dans les octaves (sic), s'égrène comme les perles d'un collier, qui atteint le registre le plus élevé sans effort, sans fatigue, sans rien perdre de sa sonorité, de sa justesse et de sa grâce, je crierai à la merveille, d'autant plus que c'est, à tout prendre, ce que nous entendons le moins par le temps qui court, une belle voix. Cherchez à l'Opéra, au Théâtre-Lyrique : vous avez là tous les éléments possibles pour soutenir ce paradoxe musical, qui donne la supériorité à la méthode sur la voix. J'y ai même vu des merveilles. Là, le succès était en raison directe du défaut d'organe. Pour moi, tel n'est pas mon sentiment, et je me suis tellement fatigué l'attention à suivre les intentions et à comprendre la mimique vocale des chanteurs aphones, que je n'ai pas assez d'applaudissements pour les virtuoses qui arrivent à la scène avec la prétention que la voix est de quelque utilité dans un opéra, et qui jettent à la salle leurs noies suaves et éclatantes. Voilà pourquoi, parmi les artistes de ce temps, Mlle Patti me semble hors ligne, incomparable. »
Qu'il s'agisse d'un concert symphonique, l'attitude du critique, et avec lui du public, est la même. Il n'y a que l'exécution, que les virtuoses qui comptent. La musique, on ne cherche ni à la comprendre ni à la sentir. On dira bien que la Symphonie en ut mineur est une œuvre colossale et qu'elle a produit « comme toujours son effet irrésistible », mais on notera aussitôt, car c'est l'essentiel : « Pourtant l'exécution laisse à désirer, dans le premier morceau particulièrement, où les cors attaquent avec un peu de mollesse. Je n'ai qu'à applaudir au finale où les basses ont fait merveille. » Les basses ont fait merveille... comme les chassepots. On se demande si cette surdité musicale ne révèle pas une tare profonde de la société, une complète sécheresse de cœur. Jules Claretie n'a pas mal vu quand il écrit dans son Courrier de Paris, à propos de Barbe-Bleue d'Offenbach : « Ah ! qu'il est bien le maëstro courant (et galopant) de ce temps nerveux, agacé, ennuyé, qui veut avant tout le rire strident et préfère le chatouillement à l'émotion ! »
Cela m'ennuie de dire que Messager a été marqué par l'esprit de ce temps, celui de sa jeunesse ; mais je crois bien qu'il faut le constater. Il aura à s'en dégager. Dans tout ce fatras musical il y avait de quoi distraire, pas de quoi nourrir un jeune homme ingénument amoureux de la musique, sans défense encore contre les erreurs du goût général. Heureusement pour lui, il a rencontré Fauré et Saint-Saëns ; Fauré, plus artiste par nature, plus riche d'avenir, bien qu'il n'écrive encore que pour le public des salons ; Saint-Saëns, leur aîné, plus averti, curieux de technique et de pure écriture, qui peut montrer les chemins où déjà il a passé. A l'École, Messager a appris le métier dans d'excellentes conditions. Mais ce sont ses maîtres et amis qui ont, formé le grand musicien qu'il a été, même dans ses opérettes.
LES DÉBUTS DIFFICILES D'UN MUSICIEN PAUVRE
(1875-1886)
Messager quitte l'école Niedermeyer à la fin de 1874. Il doit désormais — pour vivre — tirer parti de ce qu'il y a appris. Dans les romans, de son temps surtout, il paraissait inconvenant d'insister sur les difficultés économiques que l'on rencontre dans la vie. Je n'écris pas un roman. D'ailleurs on ne comprendra rien à la carrière de Messager si l'on ne se rappelle constamment que la musique, ses amours, était aussi sa seule ressource, même quand les succès l'eurent mis à l'abri du besoin, et jamais des besoins d'argent. La chance et ses amis l'ont bien servi ; il n'a pas été pour autant délivré des exigences du métier. Il a pu, vers la fin, obtenir des fonctions profitables qui l'intéressaient ou qui lui plaisaient, mais il les a occupées en professionnel. Il n'a jamais été un amateur qui pourlèche son ours, avec un supérieur dédain des recettes. L'intérêt de sa biographie est de montrer un artiste qui ne fait pas en toute liberté ce qui lui plaît. Comme Mozart et tant d'autres, il a dû accueillir, solliciter des commandes. Tout ce qu'il a pu se permettre, c'est d'écrire de la jolie musique, propre et soignée, « pour le plaisir de l'auteur », là où on n'attendait que de la musique facile et banale.
Dès sa sortie de l'Ecole, son ami Fauré lui épargne un saumâtre séjour en province. Quittant l'orgue du chœur de Saint-Sulpice pour aller comme suppléant de Saint-Saëns à la Madeleine, il met son cadet à la place qu'il abandonne. Widor, dans la notice sur André Messager qu'il a lue à l'Académie des Beaux-Arts, a rappelé ce qu'avait été sa collaboration avec son jeune confrère : « Grand orgue et orgue du chœur se répondaient du tac au tac, saintement, liturgiquement, en parfaite harmonie. Souvent l'un proposait un thème que l'autre développait. Plus souvent, j'interrogeais mon collègue du chœur, implorant sa critique sur l'interprétation d'une œuvre, son effet à distance, vu l'amplitude d'une nef de cent mètres de long. »
Ce sont ici les joies du métier qui sont évoquées, la part de la musique dans le rôle ingrat de l'organiste d'accompagnement. Quelquefois, il remplace le titulaire du grand orgue et peut s'offrir le plaisir d'une improvisation ou d'une registration nouvelle ; normalement, l'organiste en second connaît surtout les corvées.
Des corvées mal payées. Je ne sais si la rémunération comportait des émoluments fixes ; c'est probable, mais certainement ils ne dépassaient pas, s'ils les égalaient, le traitement d'un petit employé de commerce. Quant au casuel, il variait de cinq à dix francs par cérémonie. De quoi vivre, en un temps où un sou valait plus que dix francs aujourd'hui. Ce n'était pas la misère pour un jeune homme sans charges ; c'était bien la pauvreté. Et Messager n'a jamais eu beaucoup de sympathie pour cette compagne de saint François.
Il se tient, malgré tout, pendant dix ans, — c'est long dix ans, — à son métier de musicien pauvre. Après un court passage à l'Eden-Théâtre de Bruxelles, où il apprend à diriger l'orchestre, il obtient, en 1881, le grand orgue de Saint-Paul-Saint-Louis, puis, de 1882 à 1884, il est maître de chapelle à Sainte-Marie-des-Batignolles. Il y a eu comme assistant Claude Terrasse. Il me disait, un jour, où, enfant, je constatais qu'il n'allait pas à la messe, qu'il y était allé assez pour toute sa vie et qu'il se rappelait trop ce qu'était « l'odeur de sainteté » à la messe du matin, pour avoir envie de la respirer encore.
Il n'a pas cédé très vite au désir de s'évader vers le théâtre. Non. Il s'est voué à la musique. Il veut composer des œuvres que ses maîtres apprécieront. Dès 1875, il se met à une symphonie. Une lettre à sa sœur, du 8 octobre 1875, le montre dans la simplicité encore enfantine de ce début. Il a vingt et un ans. C'est un bon petit.
... Tu sais que petite mère est revenue depuis samedi dernier ; tu dois penser si ton frère a été content ! Je ne suis décidément pas fait pour la solitude. Il faut que je me sente dans les jupons maternels, et je me rends très bien compte qu'en somme je ne veux qu'être très gâté. Enfin ce n'est pas un crime !
Depuis trois mois je suis très occupé d'une symphonie à grand orchestre que je fais pour un concours ouvert à la Société des Auteurs et Compositeurs de musique. Le prix est une médaille d'or de cinq cents francs et l'exécution de l'œuvre au Concert Pasdeloup ou ailleurs. Je t'assure que j'ai joliment travaillé depuis ces trois mois ; c'est très long à faire et on ne peut malheureusement pas s'en occuper continuellement ; les idées musicales viennent quand elles veulent et ne se commandent pas. Le concours était clos le 31 octobre et j'étais sur les épines dans la crainte de ne pas avoir fini à temps, et j'ai justement vu ce matin dans le journal qu'un délai d'un mois était accordé aux concurrents et que les partitions ne devaient être envoyées que le 30 novembre. De cette sorte je suis maintenant sûr ou à peu près d'avoir fini très à temps. Une fois envoyée, Dieu veuille que cette pauvre symphonie trouve grâce devant le jury et me rapporte beaucoup de succès, c'est la grâce que je me souhaite. Amen...
(La fin de la lettre est pour demander à son beau-frère d'aider un de ses anciens camarades de l'Ecole, nommé violoncelle solo au théâtre de Montpellier, à trouver des leçons de piano et de violoncelle. Le goût d'obliger ses amis est ancien chez Messager.)
Messager eut le prix désiré, mais il dut patienter jusqu'au 20 janvier 1878 pour entendre sonner ce qu'il avait écrit, aux Concerts du Châtelet, sous la direction de Colonne. Une exécution à Paris, une seconde à Angers, dirigée par l'auteur, le 15 décembre de la même année. Mien qu'elle ait été accueillie favorablement — Stoullig, en 1878, en parle comme d'une « œuvre réellement distinguée (déjà ce qualificatif !) dont l'allegro et le scherzo méritaient surtout d'être chaleureusement applaudis » — l'œuvre tomba aussitôt dans l'oubli. Quand son auteur fut en situation d'en demander et obtenir une reprise, il était trop tard. Il ne voulait plus présenter cette œuvre de débutant. « Tu ne l'entendras jamais », me dit-il. Cependant elle a été encore exécutée aux Concerts Straram, le 1er mai 1930. Et M. Henry Büsser, fidèle à la mémoire de Messager, qui a facilité ses débuts, vient d'assurer l'édition de la partition d'orchestre chez Choudens. On aurait pu penser que cette œuvre de jeunesse, presque encore un travail d'école, assez influencée de Schumann et surtout de Mendelssohn, n'aurait plus sa place que dans des cérémonies de commémoration. Mais la publication de M. Büsser a provoqué plusieurs exécutions auxquelles on a trouvé intérêt et agrément. On y remarque surtout que, dès ses premières pages, Messager a eu le don de manier l'orchestre. Cela sonne clair, c'est limpide, aéré, transparent, comme peint à l'aquarelle. La fluidité du scherzo est vraiment agréable.
La Symphonie est formée de quatre mouvements : allegro con moto, andante tranquillo quasi marcia religiosa, presto, allegro vivace. Une plus récente audition aux concerts du Conservatoire, le 13 mars 1949, sous la direction d'André Cluytens, a attiré l'attention sur l'originalité de l'andante, vraiment surprenante chez un aussi jeune compositeur et en ce temps. C'est une sorte de procession sans liturgie, peut-être même plus païenne que chrétienne, une communion avec la Nature. Elle permet de dire, et plusieurs pages de Béatrice le montreront encore, que Messager, s'il n'a pas écrit pour l'église, n'était pas du tout insensible à l'émotion religieuse. Mais sa religion toute personnelle ou voisine de celle de Fauré dans le Requiem, était faite surtout de douceur, de tendresse et de bienveillance.
Après la Symphonie, il écrivit deux cantates. La première fut un Prométhée enchaîné, mise au concours par la Ville de Paris. Mais, cette fois, il n'avait pas terminé à temps ; il dut soumettre au jury un manuscrit inachevé et n'obtint qu'un second prix. Aucune exécution récente ne m'a permis de connaître cette œuvre. Mon père m'a dit que le chœur des Océanides consolant Prométhée avait eu grand succès. La deuxième est une cantate à trois voix, sur le Don Juan et Haydée de Byron, qui fut couronnée à un concours de Saint-Quentin vers 1880. Il a encore composé, à cette époque, une Loreley, ballade pour orchestre, qui n'a pas été éditée, mais dont la partition d'orchestre a été conservée. Elle a été jouée en 1930 par Pierné.
Cette préoccupation d'écrire pour des concours où l'on a chance d'obtenir un prix, une médaille qu'on peut vendre, montre combien Messager trouvait alors nécessaire d'ajouter aux recettes de l'organiste. Ce n'était pas facile. Qu'est-ce que la musique, vers 1875, offrait aux jeunes gens qui se vouaient à elle ? Des leçons de piano aux demoiselles ? Ce n'est pas trop l'affaire d'un tout jeune homme. La musique d'église ? On vient de voir ce qu'elle rapporte. Les concerts ? Ils donnaient, de loin en loin, quand on y réussissait, quelque renommée et quelques francs comme droits d'auteur. Des places de chef d'orchestre pour ceux qui avaient le don de diriger ? Elles étaient très rares. Des transcriptions pour piano, pour piano à quatre mains, pour divers instruments, de la Juive et autres œuvres théâtrales ? les plus grands, Wagner lui-même, ont passé par là. Messager n'a rien dédaigné de ces matérielles besognes. Mais, il faut bien le reconnaître, il n'y a qu'un débouché un peu fructueux ou qui fasse miroiter des promesses, pas toujours tenues, c'est le théâtre. Seulement, pour entrer au théâtre il faut déjà avoir une réputation. Les directeurs, parce qu'ils courent des risques non petits, aiment bien les réduire en employant des auteurs qui ont fait leurs preuves. Ainsi Messager, dans la nécessité de débuter, accepte de devenir chef d'orchestre et compositeur attitré de ballets pour les Folies-Bergère. Drôle d'endroit pour la musique ; mais assez différent, alors, de ce qu'il est devenu. La salle, certes, était le prétexte, la justification du promenoir ; pourtant les dames, à condition de ne pas quitter leur fauteuil pendant les entractes, pouvaient s'y risquer. Les ballets n'y avaient rien de scandaleux pour une période d'Ordre Moral. A tel point que les trois petits ouvrages que Messager livra à ce théâtre, en 1878 et 1879, avaient pour titres : Fleur d'oranger, les Vins de France, Mignons et vilains, des titres pour l'Opéra-Comique ! De toutes petites choses, sans prétentions.
Fleur d'oranger se présente comme un « divertissement » en un acte. La partition qui tient en vingt et une pages de réduction au piano fait penser que les spectateurs des Folies-Bergère, en 1878, apportaient beaucoup de bonne volonté, de simplicité et même d'ingénuité à se divertir dans les mauvais lieux. La donnée de ce ballet n'a coûté à personne la moindre fatigue : Valse des bergères (et si l'on en juge par l'aquarelle de Grévin qui orne la partition, ce sont des bergères Pompadour avec houlette enrubannée, perruque blanche et jupe descendant jusqu'au milieu du mollet), Entrée et Pas de Clorinde, Entrée et Pas des Chasseurs, Clorinde et Damon seuls, Scène d'amour, Clorinde danse seule, sur un « mouvement de polka modéré » ; Damon de plus en plus ébloui et fasciné par Clorinde la poursuit, l'enlace et s'empare de la fleur de son corsage. Clorinde, vaincue, cache son front dans ses mains pendant que Damon montre victorieusement à ses compagnons qui rentrent en scène la fleur qu'il a conquise. Pas de Damon. Danse générale. Et voilà. Pour ce spectacle on aurait pu conduire aux Folies-Bergère M. le maréchal de Mac-Mahon, et même Mme la maréchale, sans les faire rougir.
Les Vins de France s'appellent aussi Divertissement ; dans la partition au piano ils occupent vingt-neuf pages pour deux tableaux. Comme scénario, c'est encore plus simple : « Ronde des vins, Andantino, Allegretto (tempo di mazurka), Maestoso, Valse, Farandole, Scène de l'ivresse, Finale. » Cela suffisait pour faire trémousser, très correctement, quelques filles que nous pouvons supposer jolies.
Mignons et vilains, dont je ne sais rien du tout, a dû être un prétexte pour déguiser le corps de ballet en costumes Henri II. On ne peut pas prétendre qu'ayant perdu cette piécette, nous ayons fait une grosse perte.
De la musique de ces ballets il n'y a qu'une chose à dire, c'est qu'elle était en situation : elle correspond au lieu et au temps pour lesquels elle a été écrite. Et, si l'on y sent, par moments, qu'elle fut composée, proprement, par quelqu'un qui sait ce que c'est que la musique, il n'y a pas excès de recherche. L'auteur, dès ses premiers pas, ne prétend pas affirmer sa personnalité.
Cette incursion du jeune Messager dans le demi-monde de la musique aurait pu n'être que très passagère si une honnête aisance lui avait alors permis de suivre la même voie que ses maîtres et amis. Volontiers, sans doute, il aurait écrit de la « grande musique » s'il lui avait été possible d'en offrir à ses contemporains le don gratuit. L'air du temps est devenu tonique pour les jeunes musiciens. Ceux qui ont atteint à la maîtrise veulent évidemment sortir des ornières longuement creusées avant la guerre et entraîner hors des marécages les amateurs de musique.
Saint-Saëns, qui est le chef de file (il est né en 1835 et sa première symphonie date de 1853), fait applaudir aux concerts ses poèmes symphoniques : le Rouet d'Omphale (1871), Phaëton (1873), la Danse macabre (1874), le Déluge (1876), la Jeunesse d'Hercule (1877). Comme musique de chambre, il a écrit en 1863 son premier Trio et en 1872 sa première Sonate. Samson et Dalila a été exécuté à Weimar, sous la protection de Liszt, en 1877, puis à Bruxelles et à Rouen (1890), avant d'être admis à l'Opéra, seulement en 1892.
Fauré commence à s'attaquer à des formes plus amples que la mélodie ou les pièces de piano. Sa première sonate pour piano et violon est de 1876 et le premier Quatuor en ut mineur, pour piano et cordes, est sur le chantier.
Le jeune d'Indy ne rapportera de ses voyages à pied dans la Suisse et le Tyrol qu'en 1881 et 1882, le Poème des montagnes et les trois valses d'Helvetia. Les Tableaux de voyage ne paraîtront qu'en 1889. Mais on a eu, dès 1873, une partie de sa trilogie pour orchestre : Wallenstein.
Au théâtre, qui, malgré les progrès de la musique symphonique, reste la grande affaire, Gounod n'a pas été heureux avec le Tribut de Zamora (1881). Faut-il rappeler l'anecdote pour ceux qui ne la connaissent pas ? Elle illustre bien les aléas du théâtre et de l'édition. Voyant son éditeur Choudens enfiler une magnifique pelisse, Gounod, pour faire entendre qu'en somme, c'est lui qui l'a payée, caresse le col de martre en disant : « Hein ? Faust ! » ; Choudens, prenant son haut de forme fatigué, roussi par les averses, répond : « Et ça, Tribut de Zamora. » Polyeucte, en 1878, n'avait pas eu beaucoup plus qu'un succès d'estime (vingt-neuf représentations en quinze ans). Ce qui n'empêche pas Gounod d'avoir exercé une grande influence sur ses contemporains, surtout par son style mélodique.
Massenet a eu un peu plus de chance avec son Roi de Lahore, dont il y aurait, dit-on, quelques pages à retenir. Reyer, après avoir réussi à placer à Bruxelles son Sigurd, ne parviendra à le voir entrer à l'Opéra qu'en 1885 : il y fera pendant des années le bonheur des classes moyennes. Il faut de tout pour faire un monde... et un public.
Le ballet devient un genre apprécié à l'Opéra. Après Coppelia, Delibes a trouvé un nouveau succès avec Sylvia (1877), et Widor avec la Korrigane (1880). Gretna-Green de Guiraud (1873), le Fandango de Salvayre (1877), Yedda de Métra (1879) s'ajoutent aux œuvres précédentes sans les égaler, jusqu'au moment où Lalo couronne la série avec son éblouissante Namouna (1882). Le succès ne va pas tout de suite aux œuvres les meilleures : Albert Soubies compte, de 1871 à 1892, soixante-sept représentations de la Korrigane, soixante de Yedda, trente pour une Farandole de Théodore Dubois, et seulement cinquante-quatre pour Sylvia et quinze pour Namouna.
Bizet, au 1er octobre 1872, a assuré le succès, non pas immédiat, mais futur et persistant, de l'Arlésienne que Daudet, seul, n'aurait pas obtenu. Il y exprime dans le langage conventionnel qu'on enseignait au Conservatoire et que d'ailleurs il parle avec correction, comme s'il n'en était pas gêné, une sensibilité frémissante ; il y révèle des dons de peintre et un art des effets de théâtre qui vont s'épanouir dans son chef-d'œuvre. Le grand événement musical de cette période est la représentation à l'Opéra-Comique, en 1875, de Carmen. Le gros public ne se doute pas de la nouveauté qu'on lui offre ; habitué à fréquenter des rois et des princesses, il est choqué qu'on ose lui montrer les amours d'un soldat et d'une fille des rues. Mais les connaisseurs revisent l'arrêt des abonnés et devinent que Bizet ouvre à la musique française un chemin par lequel beaucoup passeront, y compris Messager. Le drame lyrique vient de naître. Carmen est pour l'évolution de notre musique un événement aussi décisif que le sera Pelléas en 1902, l'ouverture d'une porte sur un horizon nouveau.
A l'Opéra-Comique, les nouveautés, pas bien neuves, sont : Fantasio d'Offenbach (1872), Don César de Bazan par Massenet (1872), le Roi l'a dit de Léo Delibes (1873), et quatre ouvrages en un acte : le Passant par Paladhile (1872), la Princesse jaune par Saint-Saëns, Djamileh par Bizet, les Trois Souhaits par Poise (1873). Le plus gros succès est pour Delibes. Le Roi d'Ys de Lalo, la Basoche de Messager et le Roi malgré lui de Chabrier sont postérieurs.
Dans les petits théâtres il y a une véritable surabondance de comédies musicales, qu'on les appelle opérettes ou opéras-comiques. L'élan donné par Offenbach a encore de la force ; il ne s'arrêtera pas de sitôt. Charles Lecocq a fait applaudir la Fille de Madame Angot (1873), Giroflé-Girofla (1874), le Petit Duc (1878) ; Audran a réussi avec le Grand Mogol (1877) et la Mascotte (1880) ; Robert Planquette est l'auteur des Cloches de Corneville, dont le succès prolongé nous surprend aujourd'hui. Lacôme, qui n'est plus un jeune (il est né en 1838) et à qui l'on n'a pas fait l'accueil qu'il méritait, a donné Jeanne, Jeannette et Jeanneton en 1876, le Beau Nicolas en 1880, Madame Boniface en 1883.
Au-dessus de cette production courante apparaît, en 1877, l'Etoile de Chabrier, de ce Chabrier que M. Roland Manuel nomme si justement le « père nourricier de l'Ecole française contemporaine », et qu'il serait impossible d'omettre dans une étude sur Messager. Il y a beaucoup plus de musique, quoi qu'en pensent les gens qui ne savent ni rire ni plaisanter, de bonne et vraie musique, dans l'Etoile que dans tous les poèmes symphoniques de Saint-Saëns. Il ne faut pas être dupe de la distinction des genres, ceux qui sont nobles et ceux qui sont inférieurs ; une bonne farce vaut beaucoup plus pour le progrès de l'art qu'une ennuyeuse tragédie.
Peu de temps après la guerre, de nouvelles organisations de concerts symphoniques ont été créées. Les Concerts Lamoureux sont de 1873. Colonne fonde, en 1874, l'Association artistique des concerts du Châtelet. La province suit le mouvement. A Angers, en 1877, est fondée la Société des Concerts populaires qui a célébré en 1948 son millième concert. Peu à peu, Nancy, Marseille, Lyon, Montpellier, Toulouse, avec les ressources des conservatoires et des orchestres municipaux, organiseront des concerts et propageront le goût de la musique classique, même moderne. Surtout en 1873, Romain Bussine, avec Saint-Saëns et Alexis de Castillon, crée la Société nationale de musique où paraîtront presque toutes les œuvres nouvelles de la musique française qui ne se destinaient pas au théâtre. Ars gallica, dit sa devise. On ne devinait pas bien encore ce que serait cette manière française. Rome, jadis, dédiait un autel « au Dieu inconnu ».
Je crois, sans en être sûr, que Messager, membre de la Société nationale, dès le début, en a été quelque temps le secrétaire. Il est, vers 1880, à la croisée des chemins. Va-t-il écrire une nouvelle symphonie, un quatuor, une sonate ? La chance, le hasard, le destin répondent en le poussant vers le théâtre pour lequel il était fait.
Il a raconté comment la chose advint : « Encore une fois, le hasard (qui a joué un rôle prépondérant dans mon existence) me mit à même d'aborder le théâtre lyrique. Cette fois-ci, c'était un triste hasard, la mort de Firmin Bernicat, qui laissait inachevée la partition de François les Bas-Bleus. L'éditeur de Bernicat, qui était aussi le mien, W. Enoch, voulut bien me confier cet ouvrage à terminer, et le succès répondit à sa confiance. »
Cette façon de parler de lui-même, sans appuyer, est vraiment dans la manière de Messager. Bernicat n'était pas arrivé bien haut. Il était, dit le compte rendu de Raoul Toché, « presque un inconnu qui avait surtout à son actif de jolies chansonnettes de café-concert ». Il en est plus d'un aujourd'hui qui,
dans des circonstances pareilles, aurait donné à entendre : c'est moi qui ai tout fait. Messager aurait eu, en tout cas, largement le droit de laisser savoir qu'il avait écrit la plus grosse part. Je possède une partition sur laquelle mon père, grand admirateur de son jeune beau-frère, a marqué ce qui est de l'un et de l'autre. Sur vingt-cinq morceaux dont se compose cet « opéra-comique », treize sont de Messager, deux sont achevés par lui en utilisant des esquisses et dix sont de Bernicat. Toute l'orchestration restait à faire. Donc quand Messager accepte d'écrire sur le titre de la partition « Musique de Firmin Bernicat », et en lettres plus petites, « terminée par André Messager », il ne manque ni d'élégance ni de modestie. La première représentation fut donnée au théâtre des Folies-Dramatiques, le 8 novembre 1883. « Jamais peut-être, dit Raoul Toché, pièce ne fut répétée avec moins d'entrain et d'espoir... La répétition générale fut un immense four ; la première représentation fut un immense succès. Remarquez, en passant, qu'au théâtre les choses se passent toujours ainsi. Il semble qu'un bandeau aveugle les comédiens les plus intelligents. En prenant exactement le contrepied de leurs impressions, vous êtes à peu près sûr de vous trouver dans l'absolue vérité. »
Il n'est pas nécessaire de parler du livret, pas beaucoup plus bête, peut-être même un peu moins, que tant d'autres de l'époque. Nos grands-parents étaient de bonne composition. Avons-nous tant changé ? Quant à la musique, elle montre que Messager a le don de plaire, le premier des dons pour un musicien de théâtre. Franche et de vive allure, là où le rythme doit l'emporter, elle trace dans les parties mélodiques des arabesques élégantes, bien destinées, faciles (trop faciles au gré des gens qui préfèrent la musique difficile).
On a remarqué que, dès les premières œuvres, la manière de chaque musicien est, sinon arrêtée, du moins marquée par des accents, des formes qui réapparaîtront dans la suite. Il y a ici, dans la phrase d'un duo restée longtemps populaire, une courbe, bien tournante, une inflexion qui feront dire plus tard : ça, c'est du Messager.
Quelques mois avant ce premier succès, il était allé au Havre pour une série de concerts où Saint-Saëns s'était fait remplacer par son élève. A ce moment, formé avec intérêt par cet excellent maître, il était certainement de force à se faire applaudir comme virtuose. Par la suite, il n'a pas entretenu sa technique, mais il a toujours joué du piano de la façon la plus intelligente, en chef d'orchestre.
Ce passage au Havre lui valut de faire la connaissance de celle qui devint sa femme, Mlle Edith Clouet, quelque peu sa cousine par alliance, puisque le père d'Edith était le frère d'une tante d'André. Absolument rien d'un mariage d'argent. Les deux jeunes gens partaient à l'aventure : « Espérance en d'heureux jours et confiance en nos amours », comme on chantait dans François les Bas-Bleus.
Faut-il penser que les semaines de la lune de miel furent favorables à l'éclosion d'un recueil de mélodies ? Il se compose de cinq mélodies d'après Henri Heine par Georges Clerc et a pour titre Nouveau Printemps. Comme il est dédié à Gabriel Fauré, il est vraisemblable que Messager ne le jugeait pas indigne d'être offert à son maître et ami. Je dis toujours, en parlant de Fauré, « son maître et ami » et, à distance, c'est bien ainsi qu'il faut dire ; sur le moment, c'est plutôt son camarade qu'on aurait dit. Quand l'un et l'autre, à Cabourg ou Villerville, un jour de pluie, nous aidaient à colorier nos albums d'images, nous ne distinguions pas entre eux ; leur gentillesse était pareille. Ils étaient vraiment deux compagnons, un aîné, un cadet. Et l'aîné avait pour son jeune disciple autant d'estime professionnelle que d'amitié. Il faut dire que Messager méritait l'une et l'autre. Le Nouveau Printemps en est la preuve. Les chanteurs ont eu tort de le laisser tomber dans l'oubli. Il n'est pas si loin, comme promesse, des premières mélodies de Fauré. Et il n'en est pas une imitation. Les recherches harmoniques, les modulations, la justesse des accents musicaux tombant sur les accents prosodiques (qu'on ne respectait pas toujours en ce temps-là ; plus souvent, mais pas toujours encore aujourd'hui), la souplesse de l'accompagnement, un peu trop pianistique parfois, montrent que Messager aurait réussi dans un genre, très différent de celui du théâtre, et dont il n'a donné que quelques exemples au cours de sa carrière. Plus pittoresques qu'émues, parfois plus ironiques que sensibles, les mélodies de 1884 préparaient une manière spirituelle qu'on a longtemps attendue, avant de la voir apparaître chez des compositeurs plus proches de nous, et qui peut convenir à ces courtes pièces destinées à un public restreint.
Déjà les éditeurs Enoch et Costallat avaient pris, en 1882, au jeune débutant trois mélodies que leurs titres : Chanson de ma mie, Mimosa, Regret d'avril, suffisent à faire classer dans le genre des mélodies de salon ; les compositeurs d'alors, même les plus grands, sacrifiaient volontiers aux obligations mondaines, en attendant Duparc et le Fauré de la deuxième manière. Un autre groupe de trois mélodies (Chanson des cerises, Chanson mélancolique, Neige rose) paraîtra en 1889. On a pu en entendre plusieurs quand Mlle Yvonne Gall et M. Roger Bourdin ont consacré un concert aux mélodies d'André Messager, le 24 février 1930. Au point de vue musical cela présente moins d'intérêt que les Trois valses pour piano à quatre mains, publiées, toujours chez Enoch, en 1884. Elles sont dédiées à Vincent d'Indy, sans doute parce que celui-ci avait offert à son jeune ami la deuxième de ses valses Helvétia, la première étant dédiée à Fauré et la troisième à Louis Diémer. Ces compositions originales pour le piano à quatre mains étaient alors plus fréquentes qu'elles ne sont aujourd'hui ; ne faut-il pas y voir un témoignage de l'esprit de camaraderie qui régnait au renouveau de la musique française et qui serait, aujourd'hui, disons atténué ?
Le mariage d'André et d'Edith se fit au Havre dans l'été de 1883. Pendant la cérémonie religieuse, Fauré tenait l'orgue. Dans une improvisation, il s'amusa à intercaler un motif du ballet des Folies-Bergère, Fleur d'oranger, ce qui fit retourner le marié avec une amicale indignation, vers la tribune de l'orgue. Plaisanterie qui donne le ton des relations des deux amis.
Aussitôt, il fallut se mettre au travail, à la musique gagne-pain, avec des besoins accrus. Mais les débouchés, après le succès de François les Bas-Bleus, commençaient à s'ouvrir. Dans le dernier trimestre de 1885, trois premières sur trois théâtres : quelques morceaux de chant et de danse pour accompagner une féerie à la Gaîté, le Petit Poucet (28 octobre), un opéra-comique, la Fauvette du Temple, aux Folies-Dramatiques (17 novembre), un autre opéra-comique, la Béarnaise, aux Bouffes-Parisiens (le 12 décembre).
De la féerie, rien à dire. La Fauvette du Temple est une opérette militaire, comme on en donna trop, jusqu'à l'arrivée des marins russes, à un peuple qu'il fallait consoler d'avoir été vaincu. Cela se passe au temps de Bugeaud : conscrits parisiens du quartier du Temple, personnages du premier acte tous transportés en Algérie, Arabes, fausses barbes, uniformes de zouaves, coups de fusil, embuscade, clairon, victoire, le chef arabe amoureux de la fiancée du ténor lieutenant, « As-tu vu la casquette ? ». C'est la première pièce que nous ayons eu le plaisir, mon frère et moi, de voir jouer sur un vrai théâtre. Elle était à notre portée. Le public des Folies avait été aussi enfant que nous ; il lui avait fait un succès, un succès « populaire ». Quand on revoit au piano cette Fauvette, on comprend très bien qu'elle ait plu. Elle aurait aujourd'hui dépassé soixante ans. On ne peut pas lui demander de paraître encore à notre goût.
La Béarnaise, où triompha Jeanne Granier sous les déguisements, tantôt de Jacquette, tantôt de Jacquet, n'a pas autant vieilli. Il y a quelques gentilles drôleries. M. Roland Manuel y signale un emploi de cadence modale qui rappelle que Messager a passé par l'école Niedermeyer et que, pour un compositeur d'opérettes, il dispose d'une solide science musicale, s'il a le bon goût de n'en pas abuser, hors de propos.
Mon ami Albert Groz a dépisté, dans la Béarnaise surtout, et ailleurs, de passagères influences du style grégorien et même presque tout un morceau dont la mélodie, si elle était soutenue d'un accompagnement approprié, au lieu de l'être tonalement, et assortie de paroles latines, passerait bien pour une antienne du XIIIe siècle :
Nous sommes dans le mode de la mineur, sans sensible ; et nous y restons jusqu'aux trois dernières mesures du couplet proprement dit, où le sol dièse, à la partie vocale, marque le retour à la tonalité usuelle, pour l'enchaînement au refrain, en la majeur. Il y a plus de curiosités dans l'opérette d'un bon musicien que bien des spectateurs ne pensent. Mais, quand le musicien a beaucoup de science, il faut aussi qu'il ait beaucoup de tact.
Tout ce travail pour satisfaire le public, sans fâcher les maîtres, avait eu une jolie récompense. Inutile de dire qu'il ne suffisait pas à Fauré et à Messager de lire les partitions de Wagner ; l'envie d'entendre les œuvres du Maître, dans le théâtre fait exprès pour elles sur la colline de Bayreuth, les tenaillait ferme. D'Indy qui y allait depuis 1876 et Saint-Saëns depuis 1882 devaient les y pousser. Mais, les frais d'un voyage à l'étranger arrêtaient de jeunes musiciens débutants. Alors une fée intervint. Parmi les salons qui s'ouvraient aux jeunes artistes, celui de Mme Baugnies (en secondes noces Mme de Saint-Marceaux) était le plus accueillant, celui où ils se sentaient le plus libres et le plus habilement soutenus. M. Philippe Fauré-Frémiet, dans l'admirable livre qu'il a consacré à son père, raconte comment les choses se passèrent : « C'est aux environs de 1883 que G. Fauré prend contact avec l'art wagnérien. A Cologne, à Munich, il entend la Tétralogie. Mais Parsifal l'attire et les Maîtres chanteurs. Il rêve d'aller à Bayreuth. Hélas ! le voyage, le séjour, le cycle des représentations, tout cela exigeait d'impossibles dépenses. Et c'est pourquoi, un jour, Mme Baugnies organisa parmi ses amis une mystérieuse et mirifique loterie dont le bénéfice fut destiné à expédier, de gré ou de force, à Bayreuth, André Messager et Gabriel Fauré. »
Lavignac, qui, dans son Voyage artistique à Bayreuth, donne la liste, incomplète, des Français qui ont assisté aux représentations wagnériennes, y signale la présence de Messager, en 1886, pour Parsifal et Tristan (avec Bordes, Bréville, Chevillard, Clemenceau, Dukas, Guilmant, d'Indy, Kœchlin, Lazzari, Magnard, Massenet, Paul Poujaud, P. Vidal) ; il y est encore en 1888 pour Parsifal et les Maîtres chanteurs (avec M. et Mme Baugnies, de Bréville, Debussy, d'Indy, Lamoureux, Magnard) et encore pour la Tétralogie en 1896. Le futur chef d'orchestre wagnérien recevait la tradition. Le compositeur admirait, sans trop se laisser influencer, comme tant d'autres.
LES
PREMIERS SUCCÈS
(1886-1891)
Dans la notice biographique sur lui-même, qu'il a donnée à Musica (septembre 1908), Messager a expliqué comment il parvint à l'Opéra : « Un jour de cette année 1885, je reçus la lettre suivante : « Mon cher ami, j'ai profité de l'effusion qui suit une bonne première pour demander à Vaucorbeil de vous commander un ballet. Allez donc le trouver ; il vous attend demain chez lui, rue de Miromesnil. » La lettre était de Saint-Saëns ; Vaucorbeil était le directeur de l'Opéra ; le ballet qui fut commandé, c'est les Deux pigeons que l'on donnait souvent, avant l'arrivée de M. Hirsch, dans les soirées de danses, devenues si à la mode de nos jours. Ce qui montre combien il est difficile de franchir les portes de l'Opéra, c'est que Saint-Saëns, pour introduire Messager, avait dû s'y prendre à deux fois. Au lendemain d'Henry VIII (5 mars 1883), il avait déjà écrit à son protégé :
« Marseille, vendredi (date de la poste : 9 mars 1883).
« Etes-vous discret ? C'est le cas où jamais de l'être, car il s'agit de vos intérêts.
« J'ai profité de l'effusion du lendemain d'un succès pour demander à V. qu'il vous fasse faire le ballet qui succédera à la Farandole. (C'était un ballet de Théodore Dubois qui avait été représenté pour la première fois le 6 mars 1882.)
« Il y a un obstacle, et un obstacle que je ne puis renverser et que je ne voudrais à aucun prix travailler à renverser. Mais cet obstacle peut tomber de lui-même. S'il tombe, nous réussirons : Voyez donc sans rien dire qui puisse me compromettre ce que vous pouvez faire de votre côté.
« Bien à vous comme toujours,
« Saint-Saëns. »
La première tentative n'avait pas réussi. La seconde avait été plus heureuse. Mais la mort de Vaucorbeil retarda la représentation, dont la première fut affichée le 18 octobre 1886, sous la direction Ritt et Gailhard.
Ce fut un vif succès et bien mérité. Les auteurs du scénario se recommandaient de La Fontaine. Toutefois, ils l'avaient traité comme on faisait à Hollywood, il y a quelques années. Pour s'assurer des effets pittoresques ils avaient transporté la scène dans une Roumanie complaisante où pouvaient apparaître des tziganes. A part ça, donnée toute simple, comme il convient à un théâtre de muets : Pépio « s'ennuyant au logis » est assez fou pour abandonner sa fiancée Gourouli et suivre une caravane de bohémiens ; ils le plument, c'est-à-dire lui prennent au jeu son argent. Danse tzigane. Orage. La foudre tombe sur l'arbre où Pépio a cherché refuge. « Traînant l'aile et tirant le pié », il revient au logis sans avoir grand'chose à raconter. Réconciliation. Tableau final. Il y a là assez de prétextes à musiques variées pour un compositeur maître de son art.
Ce ballet s'ajoute à ceux de Delibes, à Namouna de Lalo pour former avec eux et d'autres moins excellents dans le genre, une série d'œuvres qui ont leur place à part dans l'évolution de notre musique. Pendant la période romantique et les années qui suivirent, l'orchestre qui n'était plus que le support rythmique de danses dont la virtuosité était seule recherchée, s'était amoindri au rôle d'accompagnement docile de celte virtuosité chorégraphique. En y réintroduisant une véritable musique et en utilisant quelques agréments décoratifs, Delibes, le premier, et Lalo, le plus grand, avaient rendu la vie et l'honneur à cette forme de spectacle musical. La danse française exportée en Russie par Petipa nous en reviendra ayant conservé toutes ses traditions académiques. Mais elle sera aussi accompagnée des produits de l'art proprement russe. Nous serons alors abasourdis par la vigueur des rythmes, par l'étrangeté des airs populaires. On parlera de résurrection de l'art chorégraphique. Au fond, ni Lalo ni Messager n'avaient attendu les Russes pour rendre au ballet la vigueur et les mérites musicaux qu'il avait un moment perdus.
Le succès de 1886 fut suivi d'un long oubli. Les directeurs de théâtre ont de ces amnésies. L'épreuve de la reprise, après trente ans, a été favorable à l'œuvre de jeunesse de Messager. Les publics contemporains ont apprécié, autant et mieux que ceux des premières représentations, la variété des rythmes, leur souplesse ou leur dynamisme suivant les moments de l'action, la tendresse et la légèreté des mélodies. Pour les connaisseurs l'instrumentation surtout est un régal. Albert Roussel ne se lassait pas de l'étudier. Il guettait avec une impatience gourmande l'entrée de la trompette dans la Danse hongroise du deuxième acte.
Si l'on devait signaler les pages les plus réussies de cette étincelante partition, on aurait beaucoup à citer. Voici seulement deux exemples, l'un de la grâce légère qui dépeint les coquetteries des pigeons :
et l'autre de la rythmique vigoureuse du Divertissement hongrois ; la trompette sonne au-dessus de l'orchestre qui vient de se calmer :
Tout au long des deux actes, vigueur et grâce se font équilibre, assurant par leur alternance cette agréable impression de variété et de mouvement dont l'auditeur a besoin.
Depuis, nous avons connu des scènes chorégraphiques où, quelques gestes, dans un décor trop vaste, prétendent exprimer des émotions sublimes et des désirs métaphysiques. Le ballet-spectacle, le ballet où l'on danse, en utilisant toutes les ressources, qui sont nombreuses, d'un art traditionnel, a moins de prétentions. Le public semble y trouver plus d'agrément. Quand la musique a trop à dire et de trop grandes choses, elle n'a que faire du théâtre. Un piano, un quatuor, un orchestre lui suffisent.
Avec la réussite des Deux Pigeons alterne un échec, lui aussi, bien mérité. Le Bourgeois de Calais, opéra-comique en trois actes de Dubreuil et Burani, représenté au théâtre des Folies-Dramatiques le 6 avril 1887, est peut-être la plus niaise (je dis : peut-être, parce qu'en fait de niaiseries théâtrales, le record n'est pas commode à constater), peut-être la plus niaise de ces pièces à intentions patriotiques dont on saturait alors les amis de Déroulède. On jugera de l'indigence des paroles sur celles du chœur final : « Vive la France — C'est notre espérance — Car tout devient réalité — Et nos cœurs d'avance — Pleins de confiance — Ont salué la liberté. » Messager fut puni d'avoir accepté de faire chanter de telles inepties. A une intrigue sans intérêt, plaquée sur un fait historique — la reprise de Calais par le duc de Guise en 1558 (dont le public n'a en général qu'un souvenir, pour être poli, disons assez vague) — a répondu une musique terne, en un mot, ennuyeuse, qualificatif qu'on n'emploie pas d'habitude pour un ouvrage de Messager. Pour ceux qui aiment et connaissent bien son œuvre, cette pièce oubliée offre le seul intérêt de laisser pressentir, dans leurs boutons encore clos, quelques formes mélodiques qui s'épanouiront beaucoup plus tard.
Pour cette fois, librettistes et compositeurs peuvent partager les responsabilités de l'échec. D'habitude, ce sont la sottise, l'insuffisance, les maladresses du texte qui compromettent la musique. Tel est le gros danger d'écrire pour le théâtre. Il faut mettre d'accord deux (ou plusieurs) artistes qui n'ont pas la même tournure d'esprit, qui ont des moyens d'expression différents. Les uns cherchent la rapidité, coupent tout ce qui ferait longueur ; l'autre, le musicien, veut étaler ses mélodies comme un marchand déploie des étoffes brodées. Écoutez Beaumarchais dans sa Lettre sur la critique du « Barbier de Séville » : « Eh ! va donc, musique ! pourquoi toujours répéter ? n'es-tu pas assez lente ? au lieu de narrer vivement, tu rabâches ! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots ! Le poète se tue à serrer l'événement, et toi tu le délaies ! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons ? » Ce sont là les objections de ceux qui ne comprennent pas ce que la musique, à sa manière, par des rythmes, des accents plus vifs, des courbes mélodiques, sait ajouter de force et d'émotion au langage de tous les jours. Il est ridicule, dit-on, de chanter ce que d'habitude on parle. Bien sûr, bien sûr. Mais quelle importance cela a-t-il ? Le théâtre sans musique a, lui aussi, ses conventions qui nous paraissent ridicules quand nous y réfléchissons ; heureusement, nous avons pris l'habitude de n'y pas réfléchir. Et le roman aussi convient avec le lecteur qu'il ne verra pas quelques grosses ficelles de construction. Presque tous les arts, probablement tous, supposent des conventions. Tous les jeux ont leurs règles.
L'auteur de la comédie et celui de la partition voudraient jouer ensemble en observant des règles différentes. Ils ne peuvent s'en sortir que par des compromis, à moins de réaliser une entente intime, ce qui est rare. D'Indy, là-dessus, répondait que le musicien doit être à lui-même son propre librettiste, comme l'ont été Berlioz et Wagner. Et, en effet, il a écrit les textes de Fervaal, de l'Etranger ou de Saint-Christophe. On ne voit pas que cela lui ait très bien réussi. A défaut de cette union personnelle, on recourt à l'association. Association bizarre. En général, l'auteur du scénario (plus exactement les auteurs, car ils sont toute une équipe, deux ou trois, même quatre : celui qui a eu « l'idée », celui qui a écrit le dialogue, celui qui a versifié les parties à mettre en musique, celui qui ne fait rien, mais qui se dit l'ami écouté d'un directeur), bref, homme ou équipe, ceux qui prétendent savoir tirer les ficelles théâtrales prennent l'initiative. Quand le texte est prêt, ils vont chercher le musicien, le solliciter s'il est connu par des succès, lui confier, à défaut de mieux, la barque à mener au port s'il n'a pas encore fait ses preuves. Voilà ce qui rend les débuts d'un compositeur si difficultueux : être connu pour être admis ; avoir été déjà admis pour être connu. Telle est la contradiction qu'il faut vaincre par la chance ou par le hasard ou, comme il est arrivé à Messager entrant à l'Opéra, par une aide amicale ; mais comme l'ami engage sa responsabilité vis-à-vis d'un directeur qui risque son argent, il ne donne sa recommandation qu'à bon escient. Par compensation, à partir du moment où le musicien est enrôlé, il devient le personnage principal de l'association. Les autres ne sortiront, pas souvent de l'ombre des coulisses. On dira Carmen de Bizet et non Carmen de Meilhac et Halévy, d'après Mérimée. Dans le partage des droits d'auteur le musicien a la plus grosse part. Le soir de la première, si le public a suffisamment applaudi, lui seul viendra le saluer.
C'est que, dans l'association, il a couru les plus grands risques. Il a fourni la plus grosse somme de travail. Si le livret est manqué et si, ce qui est la faute impardonnable, il a été trouvé ennuyeux, la meilleure musique ne le sauvera pas et ne se sauvera pas ; elle ne sera repêchée, au concert, que difficilement. Le texte de Franc-Nohain pèse de toute sa lourdeur sur la musique de Ravel dans l'Heure espagnole, tandis que celui de Colette s'unit admirablement à la musique du même Ravel dans l'Enfant et les sortilèges. Ce qui compte le plus, c'est, sans doute, l'action. Le théâtre ne peut être statique comme un oratorio. Même une situation dramatique (qui peut se trouver dans l'oratorio et la cantate) ne suffit pas. Il faut au public les costumes et les gestes des acteurs. Et que ça remue !
D'autre part, le texte à lui seul ne doit pas épuiser l'intérêt. Il n'est pas bon pour la réussite de l'œuvre commune qu'il ait une trop grande valeur propre, une qualité littéraire se suffisant à elle-même, une grande force verbale ou trop d'obscurité. Il doit appeler la musique parce que déjà il suscite l'émotion, sans la satisfaire pleinement.
Il ne faut pas non plus que le texte soit par trop plat. Songez à celui des cantates de J.-S. Bach ou des Béatitudes de César Franck ! Encore le public des salles de concert ou des églises a-t-il des patiences que l'on ne peut attendre des publics de théâtre. Ceux-ci sont très sensibles au ridicule des mots et des situations. Rappelez-vous comme on a réagi à certaines platitudes du langage de Maeterlinck dans Pelléas. Presque inévitablement, la musique souligne les maladresses ou bizarreries que, à la scène, un geste, une intonation de la parole auraient fait passer sans provoquer de réaction.
Devant le livret, le compositeur a le choix : ou bien il se soucie le moins possible des mots. Comme disait Figaro, « ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante », et l'on chante sans penser à ce qu'on dit. Ou bien, comme osait le proclamer Mozart, « la musique doit être l'humble servante de la poésie ». C'est assez ce que croyait. Messager, sauf l'humilité ; il s'est toujours donné la peine de bien adapter mélodies et rythmes aux paroles. Encore, pour qu'on y réussisse, faut-il qu'elles aient un sens et une forme tolérables. Quand elles sont sans mérite, la musique s'en ressent.
Bref, le Bourgeois de Calais fut condamné, aux torts réciproques de bous les auteurs. L'échec a été pénible au débutant. « A la suite des Deux Pigeons (mais c'est plutôt à la suite de cet ennuyeux Bourgeois), je fus, dit-il, presque deux ans sans pouvoir trouver un librettiste qui voulût me confier un livret. » Il ajoute : « Je ne perdis rien pour attendre, car Catulle Mendès voulut bien écrire pour moi ce bijou de poésie qui s'appelle Isoline. »
« Bijou de poésie » est trop dire. Il arrive aux musiciens de se tromper sur la valeur réelle d'un texte qui les a séduits. Mendès n'était pas un vrai poète, c'était un versificateur qui se payait de mots et offrait au public du clinquant, des verroteries, même des culs de bouteille, au lieu de diamants. Il confondait le maniérisme avec la poésie. Mais, précisément parce qu'il était d'une médiocre poésie, sous une apparence brillante, le poème de Mendès fournissait un assez bon livret. « Conte des fées en trois actes et dix tableaux », annonçait l'affiche : Mendès et Messager. Le public était averti qu'on lui offrait un régal artistique. Au théâtre, on n'est pas tellement difficile. Obéron et Titania attendaient dans le magasin des décors depuis Shakespeare et Mendelssohn. La métamorphose d'Isoline en Isolin apportait une note ambiguë qui plaisait au gros et fade Catulle. Un prologue qui faisait penser à l'Embarquement pour Cythère de Watteau, un ballet assez développé, un perpétuel cliquetis de rimes qui, comparé aux pauvretés habituelles, donnait une impression de somptuosité, étaient faits pour séduire le compositeur.
Sans doute, Isoline a vieilli, mais, comme on dit, elle a bien vieilli. Il arrive avec elle ce qui nous attend quand nous feuilletons de vieilles gravures de mode ; le plus souvent les jeunes filles pouffent en disant : « Comment grand'mère a-t-elle pu porter ça ! » Mais quelquefois on avoue : « Tiens ! ce n'était pas si mal. » Et un couturier adroit pense : « On pourrait en tirer quelque chose... en le copiant. » (Car c'est souvent ainsi que se font les « créations ».) Si un directeur avisé conduisait à nouveau Isoline sur la scène de l'Opéra-Comique — avec tous les soins de décors, de costumes et d'interprétation qu'elle mérite — elle retrouverait certainement tout le succès qu'elle a connu dans sa jeunesse il y a soixante ans. Elle appartient à une époque de notre musique où l'on préférait la tendresse à la force, pour ne pas dire à une brutalité revêche. C'était, avec les symbolistes, la mode d'aimer le rêve, l'irréel, la nuance plus que la couleur. Messager a cédé à ce goût, mais pas trop. Il n'était pas de ceux à qui on en fait accroire. Il veut bien donner à ses personnages tous les charmes et les illusions de la jeunesse ; il ne consent pas à en faire des fantômes vidés de sang et de chair. Et c'est pourquoi Isoline ne s'est pas effacée comme une ombre. A la revoir, on dirait peut-être qu'elle date, elle ne paraîtrait, je crois, ni fanée ni ridicule. Le « poème » a plus de rides ; la musique est là pour sauver ce que dicta au « littérateur » le goût des mièvreries. Ceux qui n'ont pas de dédain affiché pour le charme et l'élégance, caractéristiques de l'art de Messager, trouveraient leur plaisir dans cette Isoline ressuscitée. Elle nous inclinerait vers une conception de la musique à laquelle il faudra bien, quelque, jour, revenir, à la musique agréable, disons, si l'on veut, superficielle. Le prologue, où Eros — pas un petit Eros travesti, un Eros baryton — invite les belles et les amoureux à « embarquer sur la trirème » (pour rimer avec : aime), est souvent, monté encore par des sociétés d'amateurs ; il a maintenu le souvenir d'Isoline et le regret de ne pas s'évader avec elle « vers la Cythère aux bois ombreux ».
L'œuvre avait, quitté la scène avant que son succès fût épuisé parce que le directeur chargé de dettes avait dû se retirer. Ni l'argent ni le repos ne furent donc la récompense de l'auteur. Il lui fallut revenir à l'opérette alimentaire (18 décembre 1889, au théâtre des Bouffes-Parisiens). Ce fut le Mari de la Reine, qui n'est qu'une petite farce sans vigueur. Elle se passe dans un royaume du Kokistan dont la reine doit changer de mari chaque année et accepter pour prince consort celui qui a été capable de rattraper un cerf à la course ! Bien entendu, il y a aussi un Parisien et, à sa poursuite, une Parisienne qui finit par ramener son fiancé à la rue Rambuteau. Là-dessus une musique sans grand agrément. On avait compté, sans doute, que l'Exposition déverserait dans tous les théâtres des publics mélangés, bien décidés à s'amuser de n'importe quoi ; mais, quand la pièce fut prête, les foules de provinciaux et d'étrangers étaient reparties. L'insuccès fut complet, d'autant plus qu'on était alors en pleine épidémie d'influenza. En signant un exemplaire de sa partition pour M. Henry Février, Messager y avait écrit : « En souvenir du meilleur de mes fours. » Il a toujours eu quelque mot ironique pour accueillir les embêtements.
La même année, avait paru un ballet qui a pour titre les Bleuets ; personne n'en parle plus. Il avait été monté sur une petite scène du Quartier Latin.
Il est plus intéressant de signaler la publication, vers cette époque, d'une série d'Œuvres pour piano que je pense pouvoir dater d'environ 1888. Elle comprend un Impromptu, une Habanera, un Menuet, une Mazurka, un Caprice-Polka et une Valse. Musique pour les salons, pour pouvoir répondre aux maîtresses de maison qui disent avec un sourire : « Soyez gentil, jouez-nous quelque chose. » Et quand c'est fini, les invités susurrent : « Charmant, charmant. » Cependant cela dépasse quelque peu l'habituelle musique de complaisance. Ces petites pièces ont été soignées, sans recherches ni trouvailles, mais sans banalité. Parurent aussi, vers le même temps, quelques mélodies dont on trouvera le détail au catalogue des œuvres. On ne peut en faire grand cas. C'est l'amusement de quelques minutes.
Pendant l'Exposition, Messager avait dirigé, au Trocadéro, plusieurs concerts où il avait mis au programme des chefs-d’œuvre de l'école russe, encore presque ignorés. (Pour être exact, Chevillard en avait donné les premières auditions aux Concerts Lamoureux.) Shéhérazade, Sadko, Antar, Messager les reprendra plus tard avec plaisir. Ce n'étaient pas ses premiers débuts dans les fonctions de chef d'orchestre, où il devait exceller. Ils dataient de bien plus loin. C'est aux Folies-Bergère d'abord, mais surtout à Bruxelles, en 1880, qu'il avait commencé à diriger l'orchestre, celui de l'Eden-Théâtre qu'on venait d'inaugurer. Là, il avait appris, par la pratique, l'art de diriger et de ne pas se laisser démonter pas les erreurs des chanteurs ou des instrumentistes. Car il arrive, au théâtre, que des trous de mémoire des acteurs entraînent des pataquès, et un habile chef d'orchestre doit les dissimuler au public. Par exemple, à l'Opéra, dans une représentation de la Walkyrie, une cantatrice enchaîna une phrase à une autre en passant une vingtaine de pages de la partition. Le chef perdit la tête (il y avait de quoi ! mais ça n'est pas permis) ; il arrêta l'orchestre et quitta le pupitre. Il n'y est jamais plus remonté et dut terminer sa carrière en province. Entre autres qualités qui apparaîtront quand Messager conduira l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, il avait assez de sang-froid et de métier pour ne pas trop redouter ces accidents d'exécution (je ne parle plus du Conservatoire, mais du théâtre) que l'on répare comme on peut et dont le public ne se doute guère (puisqu'il écoute si peu la musique). Un soir, M. Büsser, conduisant le Faust de Gounod, dut répéter trois fois la ritournelle parce que Méphisto manquait son entrée, et peu de spectateurs s'en aperçurent. Théâtre, domaine des apparences et des illusions !
Comme chef wagnérien, c'est sans doute à Marseille que Messager débuta, vers 1892, en mettant à la scène la Walkyrie, qu'on venait de monter à l'Opéra. Bréval, en pleine possession de sa voix, y fut admirable. Tout pénétré des traditions de Bayreuth, le jeune chef avait obtenu d'un orchestre de province qu'il avait fait répéter et qu'il dirigea pendant les trois premières représentations, un résultat excellent. Il avait le talent de se faire obéir avec les gestes les plus discrets. Ce n'est pas donné à tous les musiciens. Ravel, par exemple, a toujours eu beaucoup de crainte devant l'orchestre. Une fois, venu étudier une de ses œuvres qu'il devait diriger au concert, il eut la surprise de voir que l'orchestre ne comprenait pas les signes de sa baguette. Il se retourna, penaud, vers le chef habituel qui l'assistait : « Eh bien ? ils ne partent pas. » Et il fallut qu'on lui montrât comment transmettre et imposer sa volonté.
Après cette période de déboires ou d'attente, vint enfin le succès décisif qui classa Messager parmi les compositeurs de son temps : la Basoche. Elle a été donnée, à l'Opéra-Comique, le 30 mai 1890. Tout, cette fois, contribuait à une pleine réussite, la musique, un bon livret, une excellente interprétation. Ce succès, d'il y a cinquante ans et plus, a été confirmé par des reprises qui ont satisfait de successives générations. Ce n'est pas seulement le triomphe personnel d'un musicien, mais une date dans l'histoire de notre musique de théâtre : c'est la fin d'un genre (à moins qu'on y revienne), le dernier succès de notre opéra-comique, un des derniers dans lequel il y ait eu un peu de parlé et, plus précisément, où la construction par morceaux séparés ait été maintenue.
Ayant obtenu une commande en blanc du directeur de l'Opéra-Comique, alors Paravay, Messager s'était adressé, pour avoir un livret, à son ami Albert Carré. Celui-ci avait trouvé un sujet qui valait mieux que beaucoup d'autres. Le poète Clément Marot en est le personnage principal. Elu, par les clercs du Palais, roi de la basoche, il porte, pour un jour, le costume royal, si bien que Marie d'Angleterre, qui vient d'arriver, sous la conduite débonnaire du duc de Longueville, pour épouser le roi Louis XII, et qui, avant son entrée officielle, s'est offert une escapade incognito dans Paris, croit que ce roi que la foule acclame est le vrai roi. Elle lui adresse un madrigal bien tourné et soupe avec lui, au grand dépit de Colette, aimable paysanne des environs, qui est la femme de Clément ; un ami a pu, à temps, persuader celle-ci de garder le secret de son mariage parce que le roi annuel de la basoche doit être célibataire. L'opéra-comique a toujours pris avec l'histoire beaucoup de libertés. Le public, « bon public », ne s'en fâche pas.
Sur cet imbroglio fantaisiste, la musique a toutes les qualités qu'on désirait d'elle : la variété, le style, le charme mélodique, l'entrain, le tracé des caractères bien individualisés, un certain goût archaïque sans copiage, la vivacité des dialogues, des ensembles bien construits, une instrumentation, comme toujours, fine et légère et, toujours aussi, cet air de distinction qui valait une signature.
Au-dessus de tous les interprètes applaudis s'éleva Fugère qui, ayant débuté au concert, avait appris à articuler et à jouer à la perfection. Bonne école de diction et de variété dans l'expression, que le café-concert ; si indulgent soit-il, le public n'y tolère pas les bafouilleurs et les empotés. Aux représentations de la Basoche, où il parut de la première jusqu'à sa retraite dans un âge très avancé, on ne se lassait pas de lui réclamer les couplets :
Elle m'aime ! O cœur féminin, curieux problème !
Et :
Je n'ai plus de la jeunesse les élans tumultueux...
Soulacroix, aussi, avait, été très applaudi dans la villanelle du premier acte et la romance du troisième, quand on vient de lui annoncer qu'il sera pendu :
J'irai chez les oiseaux mes frères,
Aux branches d'un haut châtaignier,
Exhaler mes rimes dernières,
Chanter mon refrain le dernier.
Bien d'autres passages, favorisés par le découpage en morceaux, avait séduit le public. Le passe-pied, pour orchestre à cordes, qui précède le troisième acte (l'introduction d'un entr'acte symphonique au début du troisième acte reparaîtra dans plusieurs autres œuvres), admirablement exécuté, paraît-il, par le chef d'orchestre Danbé, avait été bissé, lui aussi, d'enthousiasme.
On s'était vu en présence de l'œuvre d'un vrai musicien qui se distinguait, dans son genre, parmi les meilleurs de son temps. Tous les critiques avaient été d'accord pour reconnaître une réussite éclatante ; le public, qui compte bien, au théâtre, autant et plus que la critique, avait été du même avis. Enfin, après tant d'efforts et d'attente, Messager se sentait porté par un flot favorable. Chez un artiste aussi impressionnable qu'il l'était, sous son masque de désinvolture, cette évidence du succès vint l'assurer de sa maîtrise, le confirmer dans ses espoirs, lui donner à croire qu'il pouvait tenter les chemins les plus divers. En 1891, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur et il reçoit à ce propos la lettre la plus amicale de Chabrier. Le voici bien d'aplomb.
Vers cette date, la liste de ses amis musiciens s'est considérablement agrandie. A côté de Saint-Saëns qui reste un maître toujours bienveillant, mais un peu loin par l'âge (il a dix-huit ans de plus que Messager) et, de Fauré, qui est à la fois maître, ami et camarade, il a conquis l'affection ou le bon accueil de nombreux musiciens, compositeurs, virtuoses, interprètes. Bien qu'il ne soit en aucune façon disciple de Franck et que, probablement, il n'ait eu aucune envie de le devenir, il le voit et l'admire, en s'étonnant des textes qu'il accueille ; mais lui-même en a utilisé de bien mauvais ! Il était au piano pour la troisième exécution en public du célèbre Quintette. (Un soir, par jeu, au sortir d'un concert de la Nationale, ils — qui : ils ? je ne sais, Messager en était — ils avaient conduit le vieux maître aux Folies-Bergère ; surpris de n'y retrouver aucune figure de connaissance, le musicien angélique disait en parcourant le promenoir : qui sont ces personnes ? Et l'on riait sans méchanceté, avec respect pour tant d'ingénuité.) Messager allait souvent chez Edouard Lalo, de vingt ans son aîné, qui recevait les nouveaux avec bonté et intérêt. On se réunissait chez d'Indy, à l'étage au-dessus de l'appartement ; Mme la comtesse d'Indy, qui s'étonnait un peu des goûts de son mari, n'y venait pas. Autour du piano — comme dans le tableau de Fantin-Latour, où l'on voit devant le clavier un Chabrier exubérant et un d'Indy, debout, un peu raide — on se rassemblait pour connaître les partitions nouvelles. (Même, quand, pour la première fois, on lut Parsifal, dans ce milieu si averti, on ne comprit pas tout de suite : on trouvait cela un peu fade et l'on dit : « Le pauvre vieux, il fait du Gounod. ») Messager allait parfois chez Gounod. Sans doute avait-il plus de penchant à retrouver Chabrier qui a été son très fidèle ami et lui a tant communiqué de sa verve, sans l'entraîner jamais jusqu'au débraillé. L'Etoile est de 1877 et le Roi malgré lui de 1887. En 1905 encore, Messager les jouait au piano pour son plaisir et le plaisir de les faire admirer. Et en 1925, à l'Exposition internationale des Arts décoratifs, il en conduira deux représentations. Je ne pense pas qu'il ait beaucoup vu Massenet. Celui-ci a très vite étiré dans ses mélodies des maniérismes et des extases qui devaient choquer. Je suppose qu'Esclarmonde, dans les milieux musicaux que fréquentait Messager, a provoqué plus de sourires que d'applaudissements. Pierre de Bréville et Ernest Chausson faisaient partie du groupe. Henri Duparc en avait été trop tôt éloigné par la maladie, non sans avoir laissé l'enseignement de ses œuvres rares et précieuses.
Il y avait encore parmi ceux que Messager voyait, quand les occasions le permettaient, les étrangers; d'abord Wagner à Bayreuth, blanchi par la maladie de cœur qui le guette, Liszt, à Bruxelles, je crois, réchauffant au creux de sa main un verre de cognac et laissant tomber sur sa soutane les cendres de son cigare, et à Paris, Rimski-Korsakov, qui consent à expliquer que de toute sa musique orientale il avait trouvé les thèmes dans un recueil français de chansons populaires d'Alger ; mais il avait su les y prendre et il y avait ajouté ses couleurs. Même les Italiens n'étaient pas négligés. Pourquoi l'auraient-ils été ? Le vieux Verdi n'est-il pas encore en pleine jeunesse, dans un vrai renouveau, avec son Falstaff ?
Au milieu de tous ces confrères dont les uns sont ses maîtres, les autres ses anciens, deux ou trois seulement ses cadets, Messager attire l'attention par sa curiosité pour la musique des autres, pour tout ce qui est réussi en fait de nouveautés. Ses vivacités de propos, sa bonne humeur, son art de filer le récit lui assurent des auditeurs. Avec cela il déchiffre fort bien. De sorte que, parmi ces auteurs de grandes œuvres, le compositeur d'opérettes ne joue pas du tout le rôle de suiveur essoufflé, plutôt celui d'entraîneur.
M. Philippe Fauré-Frémiet en donne un témoignage probant (Gabriel Fauré, p. 88, en note) : « Gabriel Fauré ne livrait rien au public sans l'avoir fait juger par ses amis. Jeune, Saint-Saëns, Henry Duparc et André Messager constituaient son tribunal. « Dites à Messager, écrivait-il un jour à Mme Baugnies, que je tremble de lui montrer mes nouvelles compositions. Cet animal me fait, presque plus peur que Saint-Saëns ! » S'il était libre, Messager était un des premiers conviés à ces auditions d'essai. » C'est un trait qui fait honneur à la modestie inquiète de Fauré et qui révèle l'estime en laquelle on tenait le jugement du jeune homme.
Quelle belle époque de notre histoire artistique que celle des vingt années qui suivirent la guerre de 1870 ! Comme ceux des jeunes gens d'aujourd'hui qui pensent trop aux dernières modes du jour sont injustes pour les anciens qui ramenèrent la musique à l'honneur ! La France alors est devenue riche de musiciens. Saint-Saëns et Gounod y sont encore des ancêtres vigoureux. Franck a déjà donné les Béatitudes, le Quintette en fa mineur, le Quatuor en ré majeur ; Fauré, la Sonate en la pour piano et violon, les deux Quatuors avec piano ; avec Automne (1880) et les Roses d'Ispahan (1884), il commence la série des mélodies qui vont faire de lui le Maître du lied français et, en 1887, il a composé le Requiem. D'Indy a fait, exécuter, en 1881, la Trilogie de Wallenstein et, en 1886, la Symphonie sur un thème montagnard. Chabrier a bourré de musique, rythmes, mélodies, cocasseries et parodies, l'Étoile et le Roi malgré lui. Lalo a obtenu enfin que l'on joue son Roi d'Ys. L'attention se porte sur la Symphonie de Chausson. En nous quittant trop tôt, Bizet a laissé Carmen et Delibes Lakmé. Avec les Deux Pigeons, Isoline et la Basoche, André Messager a, lui aussi, fourni sa part.
Pendant ce temps, Guiraud, au Conservatoire, a formé Debussy, qui n'est, avant 1890, qu'un débutant, mais que l'on sent tout prêt à secouer les colonnes du temple. Il revient de la villa Médicis et en rapporte la Damoiselle élue. Dès 1888, il a fait éditer les cinq mélodies qui deviendront, en 1903, les Ariettes oubliées. Son Quatuor à cordes et le Prélude à l'après-midi d'un faune sont tout prochains. Plus jeune encore que Debussy, Dukas a manqué le premier prix de Rome, mais il va bientôt écrire l'Apprenti sorcier. Maurice Emmanuel s'est brouillé avec ses maîtres du Conservatoire parce qu'il se permet d'écrire dans les modes antiques. C'est seulement en 1900 que Ravel atteindra sa vingt-cinquième année. Lui aussi, il aura maille à partir avec les professeurs. Ces rébellions de jeunes gens, ces combats d'arrière-garde des vieux messieurs montrent que la musique, comme dans l'épigraphe du XVe Quatuor, a « repris des forces nouvelles ». A ce renouveau de la musique française, Messager contribuera par ses œuvres, par son action de directeur de théâtre et de chef d'orchestre.
LE COMPOSITEUR EN QUÊTE D'UN BON LIVRET
(1891-1897)
Après la Basoche, on pouvait s'attendre à une série d'ouvrages de la même veine, ce qu'on appelle exploiter un succès. Ce n'est pas ce qui arriva. Quand on considère d'ensemble l'œuvre de Messager on a l'impression qu'alors, pendant cinq ou six ans, il piétine. Si l'on se figurait qu'il a fait, à ce moment, ce qu'il a voulu, en toute liberté, on aurait peine à comprendre ses choix. On penserait qu'il s'est dispersé, qu'il a tenté, sans grand bonheur, des genres pour lesquels il n'était pas fait. Pendant ces six années, il apporte à des théâtres divers : des accompagnements pour un drame noir, ce qu'on appelle proprement un mélodrame ; une pantomime-ballet (en collaboration) ; pour le Théâtre-Lyrique, une comédie lyrique en quatre actes, prologue et épilogue ; plusieurs opérettes dont une, excellente, pour les Folies-Dramatiques (en collaboration) et une pour Londres (en collaboration) ; de la musique pour soutenir une « pièce fantastique » (en collaboration) ; un ballet (en collaboration) ; une grande comédie lyrique pour l'Opéra-Comique. Ajoutez encore plusieurs mélodies, l'orchestration du premier acte de Phryné pour son maître Saint-Saëns, l'orchestration d'un Pour le drapeau de son ami Pugno, et, sans doute, faudrait-il compléter par des etc... d'importances diverses, notamment des mélodies.
La première impression est qu'une dizaine d'œuvres, dont deux comédies lyriques en cinq actes, en moins de six ans, cela représente, composition et mise sur scène, une très grosse masse de travail. En effet, on doit d'abord le remarquer, ses airs de désinvolture et d'homme libre n'ont jamais empêché Messager d'être un gros travailleur. Quand on est un peu renseigné, on se rend compte qu'il y a d'autres explications. Ce travail a quelque chose d'inquiet, de fébrile et, surtout, de contraint.
Le lendemain d'un succès incontesté doit fortement secouer l'esprit du lauréat. Tant d'applaudissements, ça grise, ça grise. Eh bien ! Messager, — au moment de la Basoche je ne sais, mais plus tard, quand je l'ai mieux connu, — résistait très bien à cette ivresse. Il était foncièrement modeste, réduisant au minimum la fausse modestie que nous imposent les relations de société, ne méprisant en aucune façon les réussites, ne dédaignant pas les honneurs, sensible aux compliments, mais absolument pas vaniteux, incapable de faire la roue devant son miroir. Je l'ai entendu parler librement, pour moi seul ou devant des étrangers. Jamais il ne saisissait l'occasion, dans un récit, de placer le rappel d'un succès qu'il avait eu (et il en avait eu beaucoup et de toutes sortes). Il aimait mieux souligner un ridicule, se souvenir d'une drôlerie, dégonfler une baudruche vaniteuse. Il était, avec une entière aisance, tel que les circonstances le faisaient, triomphateur ou auteur malheureux. Il avait l'air de dire : Qui a fait ce qu'il a pu a fait ce qu'il devait. Vous êtes contents, j'en suis ravi ; ça ne vous a pas plu, je m'en consolerai. (Il ne s'en consolait pas si aisément ; il tenait à faire bonne figure à mauvaise fortune.) Quant aux honneurs, il les recevait sans en être écrasé, pensant les avoir mérités. Il devait être déjà, vers la quarantaine, tel qu'il sera plus tard, après sa nomination à l'Institut, décourageant et non pas recherchant les publicités diverses, rabrouant les photographes indiscrets, se moquant des journalistes qui l'appelaient « Maître ». Certainement, au lendemain de la Basoche, il n'a pas songé à aller se promener de tous côtés, couvert de ses lauriers.
Le risque était même qu'il eût envie d'entreprendre trop de choses neuves, qu'il cédât au désir de donner sa mesure sur un plan plus élevé. S'il avait été poussé dans cette voie par ses grands amis en qui il avait confiance, il aurait probablement essayé d'une seconde symphonie ou plutôt d'un poème symphonique, car la composition à tendances dramatiques était plus dans ses goûts et aptitudes que la musique pure (qui est, si souvent, de la musique à programme dont l'auteur a eu soin de dissimuler l'impureté). L'un et l'autre, Saint-Saëns et Fauré aimaient bien trop la liberté, la leur et celle des autres, pour presser sur leur jeune disciple devenu indépendant. D'ailleurs, ils ne dépréciaient pas ce qu'il faisait, les Deux Pigeons, Isoline et la Basoche.
La véritable explication est qu'à ce moment-là il n'a pas écrit ce qu'il voulait. Il a dû recevoir beaucoup de propositions et a été obligé de les accepter presque toutes. Sa vie de ménage vient d'être détruite par le divorce. La fréquentation des coulisses est peu favorable à la paix des familles. Puis sa femme termine sa vie dans la souffrance. Pendant sa maladie cruelle, Messager, malgré le divorce, revient vers elle ; ils se pardonnent mutuellement ; il va la voir tous les jours et ainsi adoucit sa fin.
Dans ces circonstances romanesques avec conséquences économiques, le travail est forcé, urgent et ne permet guère de choix. Le nombre des pièces qu'il entreprit alors en collaboration en est bien une preuve. Cette façon de composer de la musique doit paraître étrange, surtout à ceux qui croient à l'inspiration, à une forme mystérieuse et mystique de l'inspiration. On va voir qu'il n'y a pas à donner de la multiplicité de ces collaborations une explication générale. Ce fut, affaire de circonstances, circonstances différentes dans chaque cas. Nous voilà très loin du type de compositeur qui édifie son œuvre sans se soucier des contingences, se nourrit d'art et d'eau fraîche, n'accorde aucune concession à la sottise du public, marche à l'Étoile sans se retourner pour voir s'il est suivi. Nous ne sommes pas dans la légende, nous sommes dans la réalité, qui est bien plus belle parce qu'elle exige un plus grand, un quotidien effort.
Dans les offres qu'il reçut, Messager n'avait pas eu de chance. Mais n'est-ce pas le plus souvent le sort des compositeurs de théâtre ? Les livrets capables de bien porter de la musique ne sont pas fréquents. Il y en a même beaucoup qui ont bonne façon et ne font pas d'usage. Le public, qui sait mieux que personne ce qu'il lui faut, au premier coup d'œil, n'en veut pas ou, très vite, n'en veut plus.
A la fin de 1891, Albert Carré était directeur du Théâtre du Vaudeville, dont le genre n'était pas très fixé. Je ne sais comment un aussi adroit praticien du théâtre se trompa si lourdement sur la valeur d'un drame en quatre actes et cinq tableaux, Hélène, d'un certain Paul Delair. C'était Hamlet réduit à l'aventure de la femme qui a fait assassiner son mari par son amant et de l'enfant de cette femme qui se croit en devoir de venger le père. Le drame est transposé à la campagne ; l'équivalent d'Hamlet est une jeune fille, Hélène ; Ophélie est devenue un soldat bien portant ; il y a un sorcier, fournisseur du poison. Le tout, écrit dans un langage paysan d'imitation, tire vers les gros effets. On est surpris que Messager se soit accommodé de ce mélo dans le goût des pièces du Théâtre libre. Le fait est que, chez mes parents, il en donnait lecture avec cette conviction qui est la condition première de la création artistique. Il avait dû être suggestionné par Carré qui, lui-même, avait perdu le sens critique.
Le résultat fut ce qu'il pouvait être. Messager a écrit un prélude, des entr'actes, des petits bouts de musique de scène, un assez joli chœur d'enfants sur de sottes paroles pour un Noël, de style faussement populaire. Sa musique a fait ressortir tout ce qu'il y avait de grandiloquent, de faux et de conventionnel dans le drame soi-disant réaliste de Paul Delair ; elle-même, par contagion, n'est pas exempte d'emphase et de boursouflure. L'expérience a suffi pour démontrer que Messager n'était pas taillé pour ce genre-là.
Pour se détourner des noirceurs de ce triste mélo, il avait sur le chantier en même temps (les deux œuvres ont paru à un mois d'intervalle) une pantomime-ballet en deux actes et quatre tableaux, c'est-à-dire un ballet dans lequel on gesticule plus qu'on ne danse. Sur l'affiche dessinée par Jules Chéret, on voit gambader les personnages coutumiers de la comédie italienne : Colombine, Pierrot, qui ici s'appelle Gilles, Arlequin, Cassandre, transformé cette fois en père de Colombine, Scaramouche, enfin, qui se figure, par l'or et la protection toute puissante de Pulcinella, conquérir Colombine. Arlequin sera le préféré. Son rôle était joué par Félicia Mallet qui fut, dit-on, très applaudie.
La composition musicale de cette petite œuvre pose une question à laquelle il n'est pas facile de répondre. Le titre annonce : musique de MM. André Messager et Georges Street, sans autre indication pour un pariage de responsabilités. Que faut-il en penser ? Il est certain qu'il y a là du Messager, bien reconnaissable, pas du meilleur, du Messager courant, de bonne marque, mais pas d'une cuvée réservée. Et il y a aussi, avec quelques pages sur la provenance desquelles on peut hésiter, des parties, relativement abondantes, qui ne sont pas de lui. Le coupage n'est pas de proportions heureuses et n'a donné qu'un produit de qualité « bonne moyenne ». Qui était ce Georges Street qui a mêlé sa musique à celle de Messager ? On dit qu'il fut le fils de Liszt et d'une de ses élèves et qu'il était un pilier de café, que l'alcool devait tuer. Il n'est donc pas probable que ce soit Messager qui ait sollicité cette collaboration. Sans doute a-t-il achevé par obligeance un travail qui, sans lui, serait resté en panne.
Vers cette même époque, Saint-Saëns demanda à Messager d'orchestrer pour lui le premier acte de sa partition Phryné, qui parut le 24 mars 1892. On ne l'a su que bien plus tard et par Saint-Saëns lui-même ; au moment où Musica publia un numéro consacré à André Messager, il écrivit au rédacteur en chef : « Si vous voulez de l'inédit sur Messager, mon cher ami, apprenez qu'il a collaboré à Phryné. Ce petit ouvrage a été écrit très rapidement ; le temps pressait ; et Messager m'a rendu l'inappréciable service de mettre sa plume élégante à ma disposition et d'écrire l'orchestration du premier acte pendant que j'écrivais celle du second... » La discrétion parfaite de Messager a été ainsi révélée par l'amitié de son maître et ce goût de justice qui subsistait, au fond de l'âme du vieil homme souvent hargneux et partial.
D'autres fois encore, Messager a orchestré pour autrui. On a dit qu'il avait ainsi « passé en couleurs » un bien oublié Pour le drapeau de Pugno, sans doute parce que ce pianiste célèbre pour qui il avait de l'amitié n'avait pas l'habitude d'écrire pour l'orchestre. Par la suite, il orchestrera des œuvres de Chopin qui, lui aussi, fut embarrassé par la trop grande richesse de la palette sonore. A la demande de Mme Marguerite Long, il refit l'instrumentation, jugée unanimement défectueuse, du concerto en fa mineur. On avait décidé, à l'Opéra, de confier à Paul Vidal l'arrangement de diverses pièces de piano de Chopin en vue d'en constituer le ballet Suite de danses ; Messager dut venir au secours de son collaborateur, qui dénaturait, par une orchestration trop lourde, une musique écrite pour le piano et que, de toute façon, on eût aussi bien fait de lui laisser.
Orchestrer était chez Messager un don et un plaisir : il le faisait, avec intérêt, dans la manière d'autrui et, rapidement, sans hésitation, s'il s'agissait de sa propre musique. Je me souviens de lui avoir entendu dire que les idées musicales lui venaient avec les sonorités qui leur convenaient, qui leur étaient propres et, même, il ajoutait que ceux qui doivent colorier, après coup, en tâtonnant, des choses grises qu'ils n'ont d'abord aperçues que dessinées, ne doivent, pas se mêler d'écrire pour l'orchestre ; ils sont comme des peintres non coloristes qui, après avoir esquissé un ensemble, se demandent si tel costume sera vert ou jaune, si le cheval sera noir ou rouge. Messager, du premier coup, voyait son tableau avec ses valeurs contrastées, équilibrées, et n'avait plus qu'à l'exécuter matériellement d'une main preste. Quand il composait, il réclamait le silence et l'isolement ; mais quand il orchestrait, rien ne le gênait.
A propos de l'orchestre, j'ajouterai encore un souvenir concernant Fauré. Messager me disait qu'il ne comprenait pas comment et pourquoi on avait persuadé son ami qu'il ne savait pas utiliser l'instrumentation. Il avait connu de Fauré des œuvres achevées qui, sans être éblouissantes, étaient harmonieusement peintes. Il regrettait que d'autres compositeurs eussent réussi à se substituer au Maître et, sans beaucoup de discrétion, eux-mêmes proclamé leur part de collaboration. Si on avait laissé faire Fauré, disait-il, nous aurions au moins des œuvres dont nous serions certains qu'elles répondent à ses intentions.
Toutes les questions d'instrumentation, de capacités d'exécution par les divers instruments, de remplacement pour l'effet sonore des uns par certains autres, de leurs groupements par familles, de la place des exécutants sur le plateau ou dans la fosse, avaient toujours passionné Messager, comme un bon ouvrier qui s'intéresse au progrès des outils. Quand il commencera, quelque vingt ans plus tard, sa carrière de chef d'orchestre, il aura une connaissance théorique et pratique de ses fonctions absolument complète.
Je placerai ici, ne sachant comment les dater avec plus de précision, plusieurs mélodies pour lesquelles Messager utilisa souvent des textes d'Armand Silvestre. Il ne faut pas attacher à ces pièces, qu'on appellerait justement des « œuvrettes », plus d'importance qu'il ne leur en accordait lui-même. Charles Bordes, le premier (il tenait à le faire remarquer) et Fauré n'avaient pas encore songé à interpréter avec les ressources de leur art de beaux vers de Verlaine ou ceux, moins profonds, mais bien décoratifs de Samain. On prenait de petites pièces de Théodore de Banville, des mièvreries de Victor Hugo, des supports légers pour le bref agrément d'une musique de chambre qui serait mieux nommée une musique de salon. Les grandes œuvres en petit format que seront les mélodies de Duparc et de Fauré ne viendront au jour qu'un peu plus tard. Nous sommes au moment même où, grâce au sens critique bien français, une musique neuve, lâchant les formules usées, améliorant la forme, creusant jusqu'au fond, va faire sortir de la musique de salon les chefs-d'œuvre de l'impressionnisme musical. A ce moment, André Messager demeure attiré par le théâtre où les qualités et, si l'on y tient, les manques de sa personnalité trouvent leur meilleur emploi.
Dans cette année 1892, si chargée de travaux divers, fut composée la comédie lyrique en quatre actes, un prologue et un épilogue, portant le même titre que le roman célèbre de Loti qu'elle prétend traduire au théâtre et en musique, Madame Chrysanthème. Elle a été donnée au Théâtre-Lyrique (Renaissance) pour la première fois le 26 janvier 1893.
Le sujet était assez attirant. Le roman avait eu un large succès. Le décor était nouveau au théâtre, voisin, mais différent, de celui de Lakmé. Les librettistes avaient eu l'idée d'encadrer les actes se passant au Japon entre deux courts tableaux sur le navire qui amenait et remportait Pierre et son frère Yves, renforçant ainsi l'impression d'irréel et de fugitif de l'aventure. Cette aventure paraissait gentille, sans mort, sans cris, sans coups ni blessures, gracieuse, pas brutale. Mais, à y mieux réfléchir — et sans y réfléchir, le public, instinctif, l'éprouva tout de suite — ce beau sujet était un faux beau sujet. Au théâtre, le public exige, au moins, les apparences de la sincérité. Il ne s'intéresse pas à des amoureux qui « n'ont pas l'air de croire à leur bonheur », comme chante Fauré dans le Clair de lune de Verlaine. Cette anecdote de l'officier de marine qui achète une mousmé sur le quai de débarquement, qui ne songe à lui sacrifier ni un geste ni une minute quand l'heure du départ aura sonné, la petite mousmé qui accepte ce mari européen, celui-là ou un autre, à la petite semaine, ce n'est pas une histoire d'amour, c'est une passade. « Quittons-nous bons amis, sans trop verser de larmes... » Comme émotion, vraiment il n'y a pas d'excès ! Non, décidément, Pierre Loti n'était pas un sujet tout trouvé pour le lyrisme. Rien d'ailleurs ne vient animer l'aventure ; un mouvement de jalousie de Pierre à l'égard du frère Yves et au sujet de Chrysanthème paraît sans cause et sans vraisemblance. Le public ne peut pas accorder beaucoup de sympathie à ces pseudo-amoureux.
De ce livret (les auteurs l'appelaient un poème), avec ses qualités de détail et son erreur de principe, Messager a tiré le meilleur parti. Certainement Chrysanthème est une des œuvres qui comptent dans la liste de ses productions parmi les meilleures, les mieux équilibrées, les plus réussies. Il a su communiquer, pour son décor musical, une impression d'exotisme, sans recourir à des citations d'un folklore par trop étrange. Il a écrit pour le théâtre. Les deux tableaux à transformation qui font passer du navire à la terre, aller et retour, sont soutenus par un paysage orchestral dont les harmonies ne manquent ni de grandeur ni de puissance d'évocation. Les mélodies ont du charme ; quelques-unes, dans le rôle de Chrysanthème, exigent des moyens vocaux qui feront pencher la balance en faveur de Puccini, quand Mme Carré aura à choisir, plus tard, entre Madame Butterfly et Madame Chrysanthème.
« Comédie lyrique », est-il écrit sur le titre de la partition ; mais, dira-t-on, il y a encore du « parlé ». C'est exact. Pourtant on sent bien que quelque chose est changé ; ce n'est plus l'ancienne formule de l'opéra-comique, succession de morceaux. La musique est continue. Il serait facile, sans doute, d'en détacher des extraits; dans l'ensemble, la construction se fait par scènes, non par airs à une ou plusieurs voix. Les paroles qui ne comportent aucune expression mélodique sont dites sur un fond orchestral. Cela vaut mieux que d'en rester aux formules monotones du récitatif, auxquelles d'ailleurs Messager a recours aussi, dans leur banalité coutumière. En fait, c'est ici un point de transition entre l'ancien découpage et un système plus voisin de celui de Wagner. Le public de l'Opéra-Comique assiste à une évolution sans s'en apercevoir.
On dirait que c'est une habitude chez Messager, après avoir composé un grand ouvrage, de se reposer en écrivant, vivement, une opérette. Distraction après le travail, bonne hygiène spirituelle. Mais c'est trop de dire habitude ; cela semble indiquer une volonté, une règle. En fait, les circonstances décident. Il reçoit (ou refuse) ce qu'on lui propose. Un compositeur de métier en acceptant des propositions, prend son rang dans une entreprise commerciale ; il n'écrit pas pour ses cartons.
A Madame Chrysanthème succéda Miss Dollar. Représentée le 22 décembre 1893, au Nouveau-Théâtre, c'est une opérette en trois actes et cinq tableaux, avec un ballet. Le sujet est, comme tant d'autres, sans valeur, à peine un prétexte à couplets et à danses. Une fois de plus, la sauce, si l'on peut appeler ainsi la musique, vaut mieux que le poisson ; elle relève, sans excès de piment, une chair qui n'a pas grand goût.
Une autre petite œuvre, offerte au public à quelques jours d'intervalle, a un caractère tout particulier. Elle est irrévérencieuse ; ce n'est pas la manière ordinaire de Messager, qui rit de beaucoup de choses, mais ne se moque pas de celles qui sont vraiment vénérables. La pantomime, en trois tableaux, qui a pour titre : Amants éternels, suppose que Roméo et Juliette ne sont pas morts dans le tombeau des Capulet, qu'on les a rappelés à la vie et qu'ils se sont bel et bien réveillés mariés et heureux pour toujours. Cette éternité de bonheur leur paraît assez vite difficile à supporter. Mercutio devient « l'ami » du ménage. Et, quand ils entendent, sous leur fenêtre, un orgue de Barbarie moudre le duo de Gounod, leur duo, ils finissent par se battre. Cette plaisanterie pessimiste avait été donnée au Cercle de la Presse devant un public assez « averti » pour rire un moment d'une belle légende sans cesser pour autant de l'admirer. Au Théâtre-Lyrique, où l'œuvrette fut reprise, le 26 décembre 1893, pour quelques représentations, il était un peu plus risqué de présenter l'amour et la jeunesse comme une rengaine. C'était le temps où l'on ne se croyait libre que lorsqu'on avait bafoué les dieux !
Cette matière nous donne l'occasion de rappeler un tripatouillage cocasse dont Fauré et Messager, qui ont conservé longtemps le goût de la gaminerie, partagent la paternité : c'est le Quadrille, devenu fameux dans quelques cercles de musiciens, sur les motifs principaux de la Tétralogie de Wagner. Il n'a été publié pour le piano à quatre mains qu'en 1930, et je crois être responsable de cette publication posthume par mon insistance auprès de mon oncle qui, à ma demande, avait écrit ses souvenirs. La farce avait été, je ne dirai pas, composée, mais plus exactement improvisée au milieu des rires par les deux wagnériens indisciplinés, chez Mme de Saint-Marceaux. Sur l'édition on a inscrit la date de 1880 parce qu'on l'a vue sur une esquisse trouvée dans les papiers de Fauré. Je me permets de croire à une erreur de lecture et je propose 1886. Il me semble qu'avant cette date, même dans un salon très « musical », on ne connaissait pas assez la Tétralogie pour en apprécier la parodie. Et Fauré et Messager ne pouvaient prendre ce titre « Souvenirs de Bayreuth », avant d'y être allés. Chabrier, autre admirateur passionné de Wagner, a aussi fabriqué un quadrille sur des motifs de Tristan. C'est très irrespectueux et très amusant. Comme on dit : ça n'empêche pas les sentiments ! Et il y a quelque chose de bien plus grave que l'apparence de l'irrespect, c'est de ne pas savoir rire.
Le 3 juillet 1894, on a donné à Londres, au Savoy-Theater, une opérette de Messager, Mirette. Elle a été écrite en collaboration avec Miss Hope Temple, qui avait dans les salons londoniens une réputation de compositrice de « songs », nous dirions de romances. Elle les chantait en s'accompagnant elle-même... avec des accompagnements très simples. Messager, qui allait assez fréquemment en Angleterre, où plusieurs de ses pièces avaient été transportées, et notamment la Basoche avec un grand luxe de décoration, avait rencontré Miss Hope Temple chez un éditeur de Londres. L'opérette Mirette, comme il se doit, se termine par un mariage ; c'est ce qui arriva de la rencontre des deux musiciens.
Des déplacements fréquents entre l'Angleterre et le continent, des visites aux parents et amis expliquent que rien ne s'inscrive au catalogue des œuvres pour l'année 1895. Messager n'est pas resté sans travailler ; ce n'était pas du tout dans sa manière ; c'est seulement que les ouvrages écrits en 1895 n'ont été joués qu'au premier semestre de 1896. Ce sont une opérette : la Fiancée en loterie, une comédie lyrique, le Chevalier d'Harmental.
La Fiancée en loterie (15 février 1896 au théâtre des Folies-Dramatiques) est une des très bonnes opérettes de Messager, gaie, bâtie sur des rythmes de danse espagnols, pas en copie, en pastiche, très vive, faite pour des acteurs qui n'ont pas les deux pieds dans le même sabot. Elle a profité d'une excellente distribution. On y trouvait Jean Périer, oui, notre cher Pelléas (l'opérette mène à tout !), Cassive et Augustine Leriche, qui eurent tant d'occasions d'être applaudies.
Cette opérette nous pose encore une petite énigme à résoudre. Robert Brussel dit qu'elle a été composée en collaboration avec Lacôme ; dans le numéro Messager de Musica (1908), Lacôme est représenté parmi ceux qui ont collaboré avec Messager. Or, sur le titre, celui-ci signe seul. Je sais d'autre part que Lacôme était de ses amis et de beaucoup son ancien (Paul Lacôme d'Estalenx était né à Houga dans le Gers en 1838). Surtout Messager n'était pas de caractère à s'attribuer à lui seul une œuvre composée en commun, sans un motif valable. On voudrait savoir ce qui s'est passé. Est-il vrai que Lacôme a participé ? Quelle est sa part ? Eh bien, il est certain qu'elle a été très minime. Sur le bulletin de répartition des droits d'auteurs conservé à la Société des auteurs, Messager doit toucher 12/24e, Lacôme 3/24e et les auteurs du livret le reste.
Quelques mois après, le 13 mai 1896, fut joué pour la première fois, à l'Opéra-Comique, le Chevalier d'Harmental, opéra-comique en cinq actes, d'après Alexandre Dumas et Auguste Maquet par Paul Ferrier. La désignation d'opéra-comique montre qu'on demeurait peu fixé sur la différence (après tout un peu subtile) qu'on peut faire entre un opéra-comique et une comédie lyrique. Il se trouve encore dans cette partition quelques lignes qui ne sont pas chantées, qui sont dites, pour aller plus vite, sur un dessin courant de l'orchestre. Ce n'est pas cela qui importe pour tracer une démarcation. Plus nettement qu'avec Madame Chrysanthème, nous sommes devant une de ces œuvres de structure nouvelle qui ont succédé aux opéras-comiques du second Empire et les ont relégués dans les catégories historiques. La partition a été construite, comme les drames wagnériens, en discours continu, dans un enchaînement non fragmenté en morceaux ; à peine si l'on peut en détacher quelques-uns, comme d'ailleurs on le fait aussi dans les œuvres wagnériennes. Ce n'est pas seulement à cause de cette forme générale que, par moments, en la lisant, on pense à Wagner, au Wagner des Maîtres chanteurs ; c'est qu'un vieux brave homme, que Fugère devait représenter de façon émouvante, fait songer à Hans Sachs, c'est que le chevalier a l'allant de Walter et c'est encore parce que quelques inflexions mélodiques, quelques harmonies témoignent que Messager est beaucoup allé à Bayreuth. Toutefois, on ne découvre ces influences fugitives qu'en se mettant à l'affût pour ne pas les laisser échapper. Ainsi, dans un visage qui s'anime on croit saisir des ressemblances qui ne sont pas dans les traits ou dans les expressions habituelles. A cette époque, où il était fort bien porté chez les musiciens français d'utiliser les recettes du magicien de Bayreuth, il est même à remarquer combien l'écriture, le ton général, le discours restent personnels et, si l'on préfère, français, chez un musicien qui pendant vingt ans s'est nourri de Wagner. Ce qu'il a admiré, il l'a assimilé. Il l'a compris sans le copier du tout. L'anecdote empruntée à Alexandre Dumas eût été, d'ailleurs, trop mince pour supporter de grands élans passionnés et de profondes méditations. C'est vraiment de la comédie en musique. Comme elle se passe à l'époque de la Régence, vouée au rococo et au libertinage, le public est d'avance bien assuré que la comédie ne tournera pas au drame violent.
Malheureusement, cette comédie, malgré Dumas père, n'est ni comique ni dramatique ; elle est terne. La pauvreté de cette petite histoire (il s'agit d'une conspiration de la duchesse du Maine contre le Régent, à l'occasion de laquelle d'Harmental s'éprend d'une charmante orpheline) est sans doute la cause du peu de contentement manifesté par les spectateurs. Le succès, en effet, avait été loin de répondre aux soins que Messager avait apportés à écrire son ouvrage.
La musique, elle, est tout à fait dans la correspondance du sujet et elle vaut mieux. On y retrouve, même avec plus d'homogénéité, les qualités habituelles du compositeur. L'orchestre est toujours aussi clair, aussi finement coloré, sans aucune surcharge. On y voit se former le style dialogué, juste, rapide, naturel, aisé, qui sera si remarquable dans les dernières œuvres. La tendresse paternelle du vieux bonhomme pour la jeune orpheline trouve des accents mélodiques dont Fugère n'a certainement rien laissé perdre. Comme d'habitude, cela est sans violence. Peut-être le public, alors habitué aux pâmoisons de Massenet et aux cris de Puccini et Mascagni, a-t-il jugé qu'il y avait excès de discrétion. C'est un joli défaut. Au théâtre, c'est souvent un défaut.
L'échec du Chevalier d'Harmental fut extrêmement douloureux au compositeur. Il l'a dit avec sa simplicité naturelle dans son autobiographie : « Ce dernier ouvrage, auquel j'avais travaillé longuement, l'ayant commencé trois ans auparavant, tomba lamentablement : sa chute me fut d'autant plus pénible que j'y attachais une grande importance et pensais avoir donné là toute la mesure de ce que je pouvais faire. J'étais tellement découragé par cet insuccès que je ne voulais plus écrire du tout et tentai de me retirer en Angleterre... »
En effet, pendant dix-huit mois, il ne produira pas ou, du moins, rien qui compte dans son œuvre : seulement deux collaborations à des ouvrages où il n'a eu qu'une petite part. L'un est la Montagne enchantée qu'on appelle pièce fantastique, en cinq actes et douze tableaux, paroles de MM. A. Carré et E. Moreau, jouée au théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 12 avril 1897. L'autre est un ballet avec l'ami Pugno.
Pour la « pièce fantastique », qui paraît avoir été une sorte de féerie mélodramatique et avoir eu les mérites littéraires qu'on réserve d'habitude aux féeries du Châtelet, on avait attelé deux musiciens qui n'étaient pas faits pour marcher ensemble, l'un, Messager, délicat et distingué, l'autre, Xavier Leroux, qui n'était ni l'un ni l'autre. Aussi, convinrent-ils de signer séparément, sur la partition, les morceaux qu'ils avaient composés. On constate ainsi que la part de Messager dans cet ouvrage a été assez petite. Sur vingt-six numéros, y compris l'ouverture, dix seulement sont de lui ; ou, pour être encore plus précis, sur cent cinquante-neuf pages de la partition au piano, soixante-douze seulement sont à porter à son compte. On lui avait réservé une sérénade, une berceuse, la scène du mariage, le ballet. Xavier Leroux eut l'ouverture, la marche des rois, le mélodrame final du deuxième tableau, « l'entr'acte naufrage » (sic), la révolte, le glacier ; il semble qu'il se soit très bien tiré de l'entr'acte naufrage. En tout cas l'ouvrage ne surnagea pas longtemps. On dirait que Messager n'a pas voulu que sa part détonnât trop avec celle de son partenaire. Il n'y a pas de chance ni de risque qu'on reprenne cette œuvre « fantastique ».
Le ballet écrit en collaboration avec Pugno l'avait été pour l'inauguration du théâtre Marigny (25 mai 1897) : le Chevalier aux fleurs. Il devait avoir quelque importance, car il comprenait des chœurs. Mais il est resté inédit.
Voici donc réglée la petite énigme des collaborations. L'une a été acceptée par amour, l'autre par amitié, celle-ci par bienveillante camaraderie, celle-là par complaisance, telle autre par dévouement.
Deux mélodies ont été éditées à Londres en 1897. Elles ont pour titre : Aimons-nous et Notre amour est chose légère. Sans doute des cadeaux de mariage. Le titre de la seconde était peut-être même un programme.
De cette époque aussi date l'édition, sinon la publication de trois pièces pour piano et violon : une Barcarolle, une Mazurka, une Sérénade. Elles ont été écrites à l'intention d'un violoniste hongrois, Tivador Nachez, qui avait alors, notamment à Londres, de la célébrité.
Quand on relit la partition du Chevalier d'Harmental, on est tenté de se dire que le public a été injuste pour cet ouvrage. Si cruel que lui ait été l'insuccès, Messager ne maudissait pas ses juges. Il avait pour principe que le public ne se trompe pas, pas autant du moins ni si souvent que le pensent les auteurs malchanceux. C'est, pourrait-on dire, par définition, qu'il ne se trompe pas. Il décide souverainement. Il faut s'incliner. Mais on peut demander que le jugement soit rendu dans les règles. C'est par son nombre et par des décisions répétées que le public atteint à l'impartialité. Une salle, une fois, peut certes se tromper. Si elle est petite et composée d'amis invités en raison de leur probable complaisance, elle sera trop indulgente et ne donnera à l'auteur que de faux espoirs. Composée d'indifférents et d'ignorants, surtout s'ils sont préoccupés d'événements extérieurs, elle sera ou distraite ou brutale. Les foules, comme les individus, sont parfois mal disposées. Beaucoup d'éléments interviennent dans le jugement final ; ils n'ont pas tous avec l'œuvre des relations nécessaires. Le public ne raisonne pas et n'analyse pas ses impressions. Il est, comme le peuple, pur instinct et passion. Tout se mêle dans son verdict, l'œuvre elle-même et de vilains décors, une interprétation maladroite. Il semble que, dans le cas du Chevalier, l'action du directeur du théâtre ait été néfaste. Les répétitions avaient été difficiles, parfois orageuses. Carvalho multipliait les observations sur des points qui ne le regardaient pas. Messager avait peu de patience, la riposte prompte et cinglante. Dès que les recettes fléchirent, le directeur s'empressa de laisser tomber l'ouvrage. Or, pour que le jugement du public soit valable, il faut que plusieurs salles, normalement assemblées, l'aient répété et confirmé. Si l'on s'en était tenu aux premières représentations, Pelléas n'aurait pas réussi ; ce n'est que vers la septième ou huitième que son succès se dessina.
Ce qui fait la force des jugements du public, c'est que, chaque soir, il se renouvelle. Ainsi le couteau de Jeannot. Il est composé d'esprits semblables dans le fond (qui est celui de la nature humaine), mais très divers dans leurs manifestations, semblables par leurs émotions, divers par leurs réflexions et réactions, semblables et différents aux catégories des places superposées. C'est un mélange qui se fait, on ne sait pourquoi, plus ou moins bien, quand la communication s'établit, ou non, entre la salle et la scène. Ce spectateur collectif (beau sujet d'étude pour les sociologues), il est variable à chaque représentation, il change de tenue et de mœurs suivant les quartiers de la ville, suivant les pays où l'œuvre est traduite et il reste toujours semblable. On rit aujourd'hui aux mêmes mots que du temps de Molière. Le public, dont les gens de métier parlent comme s'il n'y en avait qu'un, tant ils le voient pareil à lui-même, il les trompe tous par des réactions inattendues. Pourtant, sur lui agissent des effets sûrs. On le fait rire ou pleurer avec de vieux trucs toujours pareils qu'il croit nouveaux. Il cède, sans résistance, à celui, artiste véritable ou adroit charlatan, qui a su l'émouvoir, lui plaire, l'intriguer. Contre celui qui, sans précaution, bouscule ses préjugés, il se fâche brusquement, trépigne, siffle, hue ; le plus souvent il ne dit rien, il ne vote pas, il s'abstient. Les journaux ont beau étaler des louanges, il ne s'en laisse pas conter. De bouche à oreille, l'opinion des premières soirées se répand dans la ville. Est-elle défavorable, au sujet, aux auteurs, aux acteurs, au décorateur, la salle ne se remplit pas ; il y fait noir comme dans un four. C'est le four noir. On s'aperçoit alors que le public ça compte dans le mouvement artistique théâtral d'une époque et d'un pays. Et que « plaire au public », à la succession des publics, est quelque chose à quoi l'artiste est forcé de penser. Le pur artiste, simplement l'honnête homme, se refuse à employer pour plaire des moyens qu'il juge trop bas, trop faciles ; il veut jouer la difficulté en offrant du nouveau, sa sincérité, sa personnalité. Cela lui est permis, même recommandé. Son succès en sera plus éclatant. Mais il prend ses risques. Au fond, il n'y a qu'une chose que le public ne lui pardonnera pas, c'est de l'ennuyer.
Sans doute les intrigues politiques et policières et la trop petite aventure sentimentale du Chevalier d'Harmental n'avaient pas assez amusé le public de l'Opéra-Comique. Et la preuve fut faite, à nouveau, qu'une bonne musique ne sauve que bien rarement un méchant livret.
DES P'TITES
MICHU A FORTUNIO EN PASSANT PAR PELLÉAS
(1897-1908)
Il y avait plus d'un an que durait le découragement provoqué par l'échec du Chevalier d'Harmental, quand Messager reçut, sans nom d'auteur, le manuscrit d'une petite comédie préparée pour la musique. Ce fut comme une sonnerie de trompette pour un cheval d'armes ; il pointa les oreilles dans la direction de l'appel. La rampe et les herses d'un théâtre parisien s'allumèrent devant ses yeux et les brouillards spleenétiques de la campagne anglaise furent déchirés. Il avait été séduit, a-t-il dit, « par la gaîté » de celte petite comédie ; chassant ses idées noires, il se mit à l'illustrer avec un tel entrain qu'en trois mois la pièce était écrite et jouée aux Bouffes-Parisiens, le 16 novembre 1897. Ce livret bienfaisant est celui des P'tites Michu.
Le sujet en est simple, même simplet. Deux petites jeunes filles se croient sœurs jumelles parce qu'ayant été mélangées dans leur bain quand elles étaient de tout petits bébés, il a été impossible de les reconnaître. Elles ont été élevées dans le mystère : l'une est la fille du ménage Michu, gloire du quartier des Halles, l'autre celle du général des Ifs qui, partant pour la guerre, l'avait confiée aux Michu. Quand, après avoir longuement chevauché à travers le monde, il vient chercher sa fille pour la faire épouser par Gaston, son officier d'ordonnance, les Michu, terrorisés, avouent qu'ils sont incapables de dire, de Blanche-Marie ou de Marie-Blanche, quelle est leur fille, quelle est celle qu'on leur avait donnée à élever. Le général, tonitruant, force Gaston à en décider, puisqu'il est le premier intéressé. Naturellement, il se trompe en désignant Marie-Blanche. Blanche-Marie qui, par conséquence, est destinée à la boutique et à Aristide, le premier commis, en est toute rêveuse et mélancolique. Heureusement, Marie-Blanche, en vraie fille de commerçants, a de l'entregent et de la décision (« aux Hall's on a l'esprit subtil ») ; elle pense aussi qu'il y a eu maldonne. Elle imagine de costumer celle que, la veille, elle appelait sa sœur, comme l'étaient les marquises sur les anciens portraits, poudre aux cheveux, fard, mouches et rubans. Blanche-Marie prend ainsi avec évidence « l'air d'une très grande dame ». Sans regret, Marie-Blanche épousera Aristide, qui ne savait pas laquelle il préférait ; elle deviendra, comme Mme Michu, une belle marchande des Halles. Ce livret de MM. A. Vanloo et Georges Duval était, enfin, un gentil livret pour une opérette spectacle de famille. Le sujet, dans son fond, n'en était pas très neuf. Il avait dû servir pour bien des vaudevilles, aux premières années du XIXe siècle. Mais il avait deux qualités que Messager savait apprécier : la gaîté et l'entrain. Si elles n'étaient pas dans le texte, il les a mises dans sa musique.
Gaîté est exactement le mot pour caractériser cette jolie partition et même, si l'on veut, gaîté française. Non pas cette violence de demi-fous qu'Offenbach fait trépider dans la Vie parisienne, mais la vraie gaîté de gens bien portants. Les Parisiens reconnurent, dans les refrains alertes que chantent les amis des Michu, les rigaudons et contredanses de leurs aïeux. La verve parisienne anime toute la partition. Quelques phrases mélancoliques apportaient, le moment venu, des touches de tendresse et de sensibilité. Surtout, la scène où Blanche-Marie met à exécution devant le public son idée de faire apparaître la noble naissance de celle qui « n'est plus sa sœur » était menée, sur un air de menuet, avec une aisance, un art du dialogue musical dont il n'y avait pas alors chez nous beaucoup d'exemples, certainement pas d'exemples meilleurs. Ce fut un vrai succès, un succès populaire et un succès de connaisseurs, dont on peut même dire qu'il n'est pas encore épuisé. Une reprise bien montée retrouverait recettes, éloges et bravos.
La réussite ne fut pas moindre, peut-être même fut-elle plus affirmée, avec Véronique, l'année suivante. Que de gens pour qui le nom d'André Messager s'associe automatiquement à celui de Véronique ! Chez la plupart, c'est avec reconnaissance pour l'agrément d'une bonne soirée. C'est quelquefois, plus rarement, avec une pointe de dénigrement. Musique si facile ! Pas si facile à écrire que cela en a l'air. On a essayé d'imiter cette facilité, sans y atteindre. Car elle n'est accordée qu'à ceux qui sont parvenus à la maîtrise, qui ont réfléchi à tous les aspects de leur métier et en ont pendant des années perfectionné la connaissance. Comparez Véronique et les P'tites Michu, par exemple, avec Ciboulette, dont l'auteur a, autant qu'il a pu, profité de l'expérience de Messager, qu'il suivait de très près, et dites si vous trouvez chez le suiveur la franchise rythmique, l'aisance mélodique, la distinction alliée à la verve populaire, au degré où vous les avez rencontrées chez le devancier.
Véronique est des mêmes librettistes Vanloo et Duval. Elle a été jouée au même théâtre des Bouffes-Parisiens, le 10 décembre 1898. Elle est du même genre que la précédente, quoiqu'elle se présente comme un « opéra-comique », quand l'autre se disait seulement « opérette ». Bien adroit qui justifierait cette différence de catégories ! Comédies en musique toutes deux.
Faut-il raconter l'aventure de Véronique ? La rappeler seulement, en deux mots. Des personnages de la Cour, de la Cour de Louis-Philippe, s'y mêlent au commerce bourgeois, c'est-à-dire aux demoiselles de magasin. Les publics populaires aiment assez, au théâtre, ces mélanges de classes. Mlle Hélène de Solanges (« tout, simplement » !) est venue à Paris pour épouser M. Florestan. En sortie matinale pour des emplettes avec sa tante Ermerance, elle entre chez le fleuriste Coquenard dont la femme Agathe a beaucoup de bontés pour Florestan. Cachée par un paravent, Hélène entend Florestan se plaindre que l'énormité de ses dettes l'oblige à épouser la petite dinde qui va arriver de province, envoyée par les deux familles. Florestan parti, elle éclate : « Petite dinde ! ah ! quel outrage !.. Monsieur Florestan, je vous le prouverai tout sec... La petite dinde a bon bec ! » A la fin de l'acte, au moment où Florestan invite tout le personnel à une promenade à Romainville pour fêter son dernier jour de liberté célibataire, Hélène et sa tante, costumées en grisettes, viennent demander à Coquenard de les embaucher comme fleuristes. Entendu pour le lendemain. Aujourd'hui, elles iront à Romainville. Là, Hélène, devenue Véronique, tourne la tête à Florestan. Promenade à âne, bouquets, duo de l'escarpolette, fuite de Véronique qui compte bien triompher quand on se retrouvera, le soir même, pour la cérémonie du contrat, le roi ayant promis l'honneur de sa signature. Il va sans dire qu'au troisième acte, tous les personnages se rencontrent aux Tuileries, Véronique redevenue Hélène, sa tante qui est dame du Palais, Florestan qui a le choix entre Clichy ou le mariage, et le ménage Coquenard par les mérites de la garde nationale. Reconnaissances, surprise (pas pour le public), bouderie de Florestan, vexé comme un dindon d'avoir été si bien joué par une petite dinde, raccommodement, danses (ad libitum), qui sont très réussies dans le genre Louis-Philippe, finale. Evidemment, évidemment, c'est une très petite comédie, sans profondeur ni originalité. Mais est-ce là ce qu'on allait chercher aux Bouffes-Parisiens ? C'est simple, un peu naïf, ce n'est pas sot.
La musique saisit ces gentilles marionnettes, leur donne presque la vie, au moins du charme et de l'agrément. Les couplets d'Hélène, quand elle est révoltée d'avoir été traitée de dinde par un monsieur qui ne la connaît pas, sont d'une vivacité réjouissante, la présentation de Véronique et d'Estelle d'un entrain irrésistible, le duo de Florestan et de Véronique d'un charme auquel il faudrait être bien sévère pour ne pas se laisser prendre. Un journaliste a dit, un jour : « Duo de la balançoire... pardon ! duo de l'escarpolette. Au fait, quelle différence y a-t-il entre une escarpolette et une balançoire ? » La rosserie est spirituelle. Mais, comme presque toujours dans un mot rosse, il y a plus d'esprit que de raison. Si son auteur avait été un vrai musicien, il l'aurait retenu ce mot — si pénible qu'il soit de ne pas sortir un mot qu'on juge drôle — car, pour tous les musiciens, Véronique est non seulement un excellent modèle d'opérette, mais mieux de la bonne et vraie musique, pas du tout vieillie depuis cinquante ans, personnelle plus qu'originale, puisque personnalité et originalité sont deux qualités distinctes.
Il faut expliquer d'ailleurs à ceux qui ne connaissent Véronique que par la dernière reprise qui en a été faite, il y a quelque temps, au théâtre Mogador, qu'ils ne peuvent pas se douter de ce qu'était l'œuvre, répétée sous la direction de l'auteur, interprétée par des acteurs aussi charmants, aussi fins, que Jean Périer et Mariette Sully. Ce qu'on nous a montré sur une trop grande scène, avec des costumes trop brillants, clinquants, tirant l'œil, une mise en scène trop luxueuse, un Florestan qui faisait des effets de manteau et poussait la romance dans le mauvais goût de Tino Rossi, un chef qui menait lourdement un orchestre incapable de délicatesse, c'était une totale trahison ; on aurait pu dire une entreprise de vulgarisation, si vulgariser signifiait faire tomber dans la vulgarité. La musique de Messager doit être jouée avec esprit et avec tact, si l'on peut, en tout cas comme de la vraie musique, par des chanteurs qui savent chanter, respectant les mouvements et les nuances, sans prétendre ajouter des effets de leur cru qui sont des grossièretés. Aux représentations dont je parle, l'acteur qui tenait le rôle du domestique de la tante Ermerance prononçait Coquenard : M. Cocu-Enard ; cela faisait rire bruyamment quelques braves gens. Peut-être MM. Vanloo et Duval auraient jugé que cela n'est pas bien grave. Quand les chanteurs se permettent, musicalement, des effets de ce goût, c'est beaucoup moins pardonnable. J'irais bien jusqu'à dire que plus la musique veut être légère, spirituelle, délicate, plus les intentions de l'auteur doivent être respectées. « Rien de trop » est une règle qui vaut aussi pour les opérettes, certainement pour celles de Messager.
Le 1er janvier 1898 est une date marquante dans la carrière musicale d'André Messager. Ce jour-là, Albert Carré avait pris la direction de l'Opéra-Comique et il avait appelé son ancien collaborateur et ami auprès de lui comme directeur de la musique. La curiosité que Messager avait toujours témoignée pour toutes les formes de son art allait se transformer en une aide efficace aux compositeurs français écrivant pour le théâtre. Pendant cinq ans, il a été au service de notre musique, comme conseiller d'Albert Carré et comme chef d'orchestre, son poste comprenant la direction des œuvres nouvelles.
Personne n'ignore que c'est à lui que nous devons la création à l'Opéra-Comique de Pelléas et Mélisande de Debussy. Poliment ou par flatterie, on lui associait Carré dans l'acceptation d'une œuvre aussi neuve, aussi difficile à monter et faire applaudir par le public, disons-le, aussi risquée pour un directeur de théâtre. Qu'Albert Carré ait eu sa part de mérite dans la décision, cela ne se discute pas ; mais, pour être exact, il ne faut pas trop grossir cette part, comme on le fit à la radio, lors du dixième anniversaire de la mort de Carré. Musicien, Carré ne l'était guère. Il avait été acteur dramatique et librettiste ; pour la musique il n'avait pas d'autre place que parmi le public. En appelant Messager auprès de lui, il s'était bien rendu compte qu'il avait besoin d'un guide et que, seul, il eût été embarrassé pour choisir sans trop d'erreurs les œuvres à créer. L'affaire de Carré était la mise en scène intelligente et le décor... qu'il préférait un peu trop joli.
Carré et Messager étaient amis depuis longtemps, déjà avant la Basoche, qu'ils avaient composée ensemble. Ils se donnaient continuellement des témoignages d'amitié, logeant, l'un chez l'autre, à Aix-les-Bains quand Carré y dirigeait le théâtre du Grand-Cercle, à Londres quand Messager était le directeur artistique des saisons de Covent-Garden. Carré était le parrain de Madeleine Messager, bien que protestant (au théâtre, on n'en est pas à ça près). Mais c'était, si l'on peut dire, une amitié de théâtre. Dans ce monde de coulisses et de déguisements où l'on vit constamment sur ses nerfs, où tous les défauts sont étalés, où l'expression des sentiments, sincères ou fardés, est grossie à l'extrême, où, dans l'air des couloirs, circulent tant de bruits qui souvent sont des ragots, des intrigues, même des calomnies, les rivalités de toutes sortes font s'entrechoquer les amis d'hier qui seront encore ceux de demain, mais ne sont plus ceux d'aujourd'hui. Les amitiés connues et classées sont comme des phares à éclipses. Ça tourne sans arrêt. Heureusement, Carré et Messager étaient assez intelligents pour limiter les dégâts. Pendant cinq années, ils ont à eux deux bien servi la musique.
Dans l'article nécrologique qu'il a écrit au lendemain de la mort de Messager (Comœdia, 1er mars 1929), Carré, voulant célébrer les mérites de son vieil ami, se demandant, en pensant surtout, à lui-même, « lequel des deux il faut envier de celui qui s'en va ou de celui qui reste », écrivait avec un égoïsme transparent et comique : « Il fut MON collaborateur, il fut MON conseiller et, si JE lui mis aux mains sa première baguette de chef d'orchestre (?), le jour où les destinées de l'Opéra-Comique ME furent confiées, j'en ai été largement récompensé, car c'est lui qui M'apporta Louise et qui ME présenta à Gustave Charpentier, c'est lui qui M'entraîna au cinquième étage d'une maison de la rue Washington, où Claude Debussy ME fit entendre les premiers tableaux de Pelléas et Mélisande qu'il venait d'achever, c'est lui qui, avec son profond savoir, avec sa foi d'artiste et la sûreté de son jugement, m'aida à réaliser à l'Opéra-Comique une époque qui aura sa place, JE le crois, dans l'histoire de la musique française. » Que Messager ait aidé Carré « à réaliser à l'Opéra-Comique une époque », c'était bien le moins qu'il pût dire sur sa tombe.
On est bien certain que Pelléas ne serait pas venu à la lumière si Carvalho avait continué d'y régner. Louis Laloy l'a écrit justement dans son livre la Musique retrouvée (p. 98) : « On frémit quand on pense que sans MM. Albert Carré et André Messager, Pelléas n'eût peut-être de longtemps vu le jour, ou eût été donné en des conditions qui le menaçaient d'une chute difficile ou même impossible à réparer. »
Mais, encore une fois, lorsqu'on unit les noms des deux directeurs, on a tort de laisser entendre qu'ils se partagent les mérites à égalité. Il y en avait un qui guidait l'autre. Dans un théâtre de musique, la musique compte plus que le décor.
Messager, qui était l'aîné de Debussy d'une dizaine d'années, le connaissait depuis 1893. Curieux des nouveautés qu'apportaient les jeunes, il l'avait toujours suivi, depuis que l'éditeur Hartmann les avait mis en rapport ; et, après les Ariettes oubliées, il avait assisté, page à page, à la création de Pelléas. Debussy en a témoigné sa reconnaissance en dédiant sa partition : « A la mémoire de Georges Hartmann et en témoignage de profonde affection à André Messager. » Il devait, en effet, beaucoup d'amitié reconnaissante à Messager dont l'action ne s'est pas limitée, comme on aurait tort de le croire, à une introduction auprès de Carré et à des répétitions d'orchestre et de chanteurs. Avec Hartmann il avait soutenu le compositeur pendant sa période de création qui a été très longue, très lente ; quand l'œuvre avait été enfin terminée, il avait poussé le dévouement affectueux jusqu'à la correction matérielle des parties instrumentales. Il avait trouvé les acteurs répondant aux désirs de l'auteur. Il avait osé prendre Jean Périer, son Florestan de Véronique, pour en faire le créateur de Pelléas, il avait proposé Mary Garden comme Mélisande, à la grande fureur de Georgette Leblanc qui était Mme Maeterlinck ; il avait découvert l'admirable Dufranne et choisi Vieuille pour Arkel. Avec Debussy il les avait formés, enseignant à ces chanteurs à ne pas trop chanter. Ce ne fut pas petite besogne. Après les premières lectures, les acteurs, terrifiés de ce qu'on leur demandait, voulaient tout lâcher. Il n'est pas certain que Debussy, n'ayant pas encore la pratique du théâtre, du travail énervant des répétitions, serait parvenu à rouler jusqu'au sommet ce rocher de Sisyphe qui retombe entre chaque séance d'étude, alors que le résultat semble acquis.
Vint enfin le jour de la répétition générale, le 29 avril 1902. Messager arriva au pupitre, épuisé, livide, les nerfs tendus. Le matin même, il venait d'enterrer son frère aîné pour lequel il avait beaucoup d'affection. Mais il avait assez de force de caractère pour tenir, même devant une salle en partie malveillante. Il eut par moments à se retourner pour regarder quelques personnes qui cherchaient à chahuter ; cela suffit. On a souvent exagéré les réactions du public des premières représentations. Il y avait, certes, dans la salle, des hostilités préméditées, toutes prêtes à se manifester contre une œuvre si réellement révolutionnaire et à propos de laquelle on faisait courir le bruit qu'elle prétendait triompher des enseignements du Conservatoire, même de la gloire de Wagner. La musique a surpris, a étonné, a dérouté ceux qui vivent de traditions, ceux qui, comme le dit si joliment M. Roland Manuel, « écoutent avec les oreilles de leurs grands-pères ». Les rires n'ont été libérés que par le texte de Maeterlinck, quelques mois de ce texte : de longs adverbes qui sont si laids dans le chant, le « Je ne suis pas heureuse » de Mélisande quand elle vient d'être brutalisée par Golaud, les puérilités excessives du petit Yniold que les gens d'esprit appelaient le petit idiot, le « Simplement parce que c'est l'usage » de Golaud. La plupart de ceux qui étaient hostiles restèrent renfrognés. « Applaudissez donc, Dubois ! », criait, du haut des galeries, une voix vengeresse au directeur du Conservatoire, figé dans un silence réprobateur. Les auditeurs de bonne foi — et après tout, ils étaient les plus nombreux — malgré leur surprise, sentaient bien qu'ils assistaient à une des grandes journées de l'art français, et que de nouvelles joies musicales leur étaient promises. Maintenant que ces promesses ont été tenues, il est juste de dire que, sans l'appui d'André Messager, elles n'auraient pas ou auraient été bien plus difficilement accomplies.
Les auteurs impatients d'être joués et les spectateurs avides de changement ont probablement pensé, pendant la direction Carré-Messager, que les programmes n'étaient ni aussi nouveaux ni aussi variés qu'ils l'avaient espéré. Ils ne veulent pas savoir que les entreprises artistiques sont soumises à des nécessités économiques et matérielles, aussi bien que les affaires commerciales, qu'une année à l'Opéra-Comique se réduit à quelque deux cent vingt-cinq représentations et qu'une œuvre nouvelle, — études, costumes, décors, — réclame une longue et généralement très coûteuse préparation. Au théâtre surtout, il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Ils imaginent volontiers qu'un directeur peut limiter ses efforts à ce qui plaît au petit groupe des gens qui entrent sans payer. Plus que le directeur artistique, c'est le caissier qui révise les programmes d'un théâtre et celui-ci a sous les yeux un baromètre qui n'a rien de subjectif : c'est le tableau des recettes. Or, il y a un répertoire — Manon, Lakmé, Carmen et, pour changer, Carmen, Lakmé, Manon — qui permet de remplir les salles sans grand effort ; on le ressasse, comme un mulet aveuglé tourne une noria. Pour faire autrement il eût fallu décupler le chiffre de la subvention. Personne n'y pouvait songer. (Je ne parle pas d'aujourd'hui.) Il faut donc que le répertoire paie pour les nouveautés ou que les nouveautés se paient elles-mêmes, ce qui revient à dire plaisent sûrement, immédiatement, au public, soient à son niveau, à sa portée et non au goût qu'il aura dans dix ans, pour ne pas parler des ouvrages qui n'auront jamais de public. C'est pour empêcher des directeurs trop prudents et insoucieux de l'avenir de s'enfermer dans une exploitation du répertoire qui finirait par enlever aux auditeurs rassasiés le goût même du théâtre, qu'on leur impose dans le cahier des charges un minimum de créations nouvelles. Ceci dit, mais non pas aussitôt oublié, il est plus intéressant de noter que quelques-unes des œuvres qui ont compté par leur nouveauté, sinon par leur durable beauté, qui ont pris place dans l'histoire de la musique, ont vu le jour pendant les cinq années de l'activité de Messager à l’Opéra-Comique.
Il avait commencé par des reprises d'œuvres classiques qu'on n'avait pas entendues depuis longtemps : Fidelio de Beethoven et Orphée de Gluck. Il dirigeait l'orchestre, non pas parce que Carré lui avait mis « aux mains » sa première baguette (il avait depuis longtemps dirigé et avec succès des ouvrages aussi importants que la Walkyrie ou Chrysanthème), mais parce que diriger la représentation devant le public était la conséquence des études minutieuses auxquelles il avait procédé pendant les répétitions. On vit tout de suite sa maîtrise et son autorité. A propos de Fidelio, Pierre Lalo écrivait : « Quant à l'orchestre, il a été excellent. Après l'ouverture de Léonore qui fut dirigée avec une précision et un éclat peu communs, d'unanimes applaudissements ont salué M. Messager. Cela vient à l'appui d'une de mes idées favorites : les compositeurs sont les vrais chefs d'orchestre. » Et à propos d'Orphée : « M. Messager apporte à la conduite de l'orchestre le sens musical le plus juste et le plus délicat et atteint dans l'exécution à une précision et à une finesse parfaites. » Quand on eut entendu Pelléas, l'avis général fut qu'aucun chef n'en serait sorti comme Messager. Il en avait travaillé la partition, note à note, avec Debussy. Vingt ans plus tard, il me disait qu'il s'était aperçu que les indications de nuances notées sur la partition étaient insuffisantes pour rendre toutes les intentions de l'auteur. Il fallait absolument pour bien conduire avoir eu la tradition (avoir contribué à la former) et l'avoir conservée.
Debussy savait très bien ce qu'il devait à Messager chef d'orchestre. Il le lui avait écrit chaleureusement le 9 mai 1902, en sortant d'une des premières représentations :
... Pour conclure, une bonne soirée où il n'a manqué que vous, cela d'une façon totale ! Je m'explique : vous aviez su éveiller la vie sonore de Pelléas avec une délicatesse tendre qu'il ne faut plus chercher à retrouver, car il est bien certain que le rythme intérieur de toute musique dépend de celui qui l'évoque, comme tel mot dépend de la bouche de celui qui le prononce... Ainsi telle impression de Pelléas se doublait de ce que votre émotion personnelle en avait pressenti et lui donnait par là même la merveilleuse « mise en place ». C'est sûrement quelque chose d'introuvable, vous le savez aussi bien que moi. Je sais que je ne fais qu'aviver mes regrets, mais tant pis ! Il faut que vous le sachiez une fois pour toutes, aussi bien que ma fidèle amitié.
Appelé à Londres par des obligations envers le théâtre de Covent Garden, Messager avait dû confier sa baguette à quelqu'un de ses collaborateurs. Il choisit M. Büsser parce qu'il aimait l'œuvre nouvelle. Il ne suffit pas d'avoir du métier pour bien conduire, il faut que le cœur y soit. Une lettre de ce temps à M. Büsser montre l'intérêt qu'il portait au succès de Pelléas et aussi dans quelle atmosphère il devait travailler sous l'autorité de Carré :
Royal Opera Covent Garden.
Mardi.
Mon cher ami,
Je sais par Debussy que la représentation de jeudi a bien marché et j'en suis très heureux. Ce n'était pas une tâche facile et je suis enchanté de voir que vous vous en êtes si bien tiré. Je suis très embarrassé pour vous répondre au sujet de la question chœurs et de votre réengagement. Je n'aurais pas désiré que les chœurs soient organisés de la façon dont Carré l'a fait : je lui ai donné mon avis là-dessus, j'ai même insisté avant mon départ pour la combinaison dont nous avions parlé, mais comme il n'a pas tenu compte de mes objections je ne puis plus intervenir. Quant à la direction de l'orchestre, il a tout arrangé d'après ses propres idées, donc... je ne puis rien faire non plus. Je ne crois pas, entre nous, qu'il vous accordera les sept cents francs que vous demandez. Picheran n'a pas cela et je ne pense pas qu'il voudra vous mettre au-dessus de lui comme appointements.
Ma situation est très difficile, puisque ses décisions sont tout à fait opposées à mes opinions. Donc, je ne puis que vous conseiller d'agir suivant votre propre sentiment et de lui parler directement en lui faisant connaître vos desideratas.
Tenez-moi au courant, en tous cas et croyez que si je suis consulté, mon opinion sera entièrement en votre faveur.
Etes-vous allé à l'Ecole samedi ?
Mes meilleures amitiés,
A. Messager.
commencement et fin d'une lettre à M. Büsser dont le texte complet est reproduit au-dessus
Sur la liste des œuvres jouées à l'Opéra-Comique sous la direction de Messager, j'ai relevé : un ballet de Saint-Saëns, Javotte, Louise de Charpentier, Grisélidis de Massenet, Fervaal de d'Indy. C'est un choix très éclectique et qui témoignait d'une réelle impartialité. Il suffisait que sa curiosité fût éveillée par quelques qualités originales pour qu'il donnât aux œuvres tous ses soins. A n'en pas douter, il a éprouvé plus de plaisir à conduire Cosi fan tutte de Mozart que Louise ou Grisélidis. Il faut l'avoir entendu parler des représentations de Don Juan au théâtre de la Résidence à Munich pour savoir à quel point il aimait et comprenait Mozart. Les vulgarités réalistes de Charpentier et les fadeurs de Massenet ne correspondaient pas à ses préférences. Mais les critiques qui ont rendu compte de sa façon de conduire ces ouvrages ne lui ont jamais reproché aucune négligence.
Après la représentation de Fervaal il avait reçu cette lettre chaleureuse dont la sincérité est évidente :
Mercredi 11 mai 1898.
Cher ami,
Te dire combien je te suis vraiment reconnaissant de la belle exécution d'hier soir serait impossible... Aussi j'aime mieux y renoncer, sachant bien qu'entre vieux amis comme nous, les paroles sont de peu d'importance.
C'est égal — tu m'as fait rudement plaisir, cher vieux camarade — en me donnant hier soir la compréhension orchestrale de mon œuvre comme je l'ai conçue ; le duo du premier acte, tout le prologue et tout le troisième acte (qui m'ont ému moi-même !..) ont été pour moi, bon public assistant au spectacle en amateur, un véritable enchantement.
Ce que l'orchestre gagne à être dirigé par un musicien, au lieu d'un instrumentiste !
Enfin tu m'as donné de belles sensations hier soir, et avec cette œuvre tant entendue, tant ressassée pour moi en deux années — c'est une impression rare et que je ne saurais oublier.
Ce que je ne saurais oublier non plus, c'est que c'est à toi que je dois en première ligne ma grande joie d'hier soir, car sans toi et ton amicale initiative, dont je te serai toujours reconnaissant, le bon Fervaal risquait de dormir longtemps dans son bosquet de roses avant de se réveiller pour faire faire un peu de bile aux Bruneaux (sic) et autres excellents petits camarades.
Merci donc, cher André, et à l'ami et au chef d'orchestre, et crois-moi toujours ton sincèrement et cordialement reconnaissant,
Vincent d’Indy.
La conséquence de son application à bien remplir ses devoirs professionnels au profit des autres fut que du 1er janvier 1899 à mai 1904, date à laquelle il quitta l'Opéra-Comique, il n'a rien produit qu'un court ballet, commandé pour une réception officielle et joué pour la première fois à l'Opéra-Comique, le 6 novembre 1900, Une aventure de la Guimard.
Le scénario qu'avait préparé Henri Cain suffisait très bien pour varier une demi-heure de danses. A peine est-ce une « aventure », plutôt une petite anecdote. Dans une guinguette, au coin du Pont-Neuf, clercs et grisettes s'amusent. Un couple de petits amoureux est troublé par l'arrivée des marchandes de frivolités et de bijoux. Le pauvre garçon n'a pas un sou pour offrir à son amie ce qu'elle convoite. Elle laisse voir son dépit. L'amoureux signe aussitôt son engagement entre les mains d'un sergent recruteur qui buvait sous la tonnelle. Muni d'une bourse, il veut acheter pour la fillette de quoi lui faire plaisir ; celle-ci comprend que son ami pour devenir brusquement si riche s'est engagé. Elle rapporte la bourse au sergent qui l'empoche, mais refuse de rendre le billet d'engagement. Indignation des assistants. Tumulte. Bagarre. Là-dessus, entrent la Guimard et deux de ses compagnes de l'Opéra. Elle se fait expliquer ce qui se passe, essaie de persuader le sergent et parvient à lui arracher l'engagement qu'elle déchire. Celui-ci, furieux, va chercher un piquet de police. Arrivent, comme par hasard, le lieutenant de police et un habitué de l'Opéra. On reconnaît la Guimard. Elle danse. Elle reprend sa chaise à porteurs, acclamée par la foule. Rideau.
Depuis quelque temps, Messager n'avait rien écrit. L'ouvrage n'est pas trop long. Il se plaît à le soigner, sans doute à l'intention du public de choix qui lui est promis, mais davantage encore pour son propre plaisir. Les recherches d'écriture auxquelles il se livre ne peuvent guère être saisies à la représentation et ne sont même relevées à une lecture attentive de la partition que par des musiciens érudits, comme l'est mon ami Albert Groz. C'est grâce à lui que je peux attirer l'attention sur ces ingéniosités techniques. En voici à peine quelques-unes pour mettre les connaisseurs sur la voie. Le biographe est bien tenu, en passant, de montrer que la musique de Messager, si facile à entendre, ne l'est pas à écrire, quand on n'a pas autant de science que lui.
Voici un accord de 7e qui, présenté sous cette forme, prend un aspect nouveau :
Aux pages 8 et 9 on remarquera les modulations passagères qui nuancent curieusement le discours musical. Je ne reproduis que l'exemple de la page 8 :
Un peu plus loin (p. 32) le rigaudon que danse la Guimard est une merveille de légèreté et de finesse. Partant d'un pastiche de Rameau, il atteint, dans ses variations, à une grâce aérienne tout à fait dans la meilleure manière de Messager. Quand Aïda Boni le dansait, on croyait que le fameux portrait de la Camargo par Lancret avait pris vie. La musique soutenant la danseuse, elle ne pesait plus ; sans effort, elle se soulevait au-dessus de terre, portée par les violons, la flûte et le hautbois.
Véritablement, on n'arrive pas à s'expliquer comment les directeurs qui se sont succédé à l'Opéra-Comique depuis 1920 ont oublié qu'ils disposaient de ce petit chef-d'œuvre. Ils peuvent le monter sans aucun frais. Il n'exige pas de figuration nombreuse ni une grande scène. Ils ont le corps de ballet et certainement plusieurs danseuses pour se disputer le rôle de la Guimard. Ils trouveraient dans cette petite pièce, toute de grâce et, de charme, le complément d'un spectacle trop court.
En même temps qu'il était conseiller de Carré à l'Opéra-Comique, Messager avait accepté d'être le directeur artistique du théâtre de Covent-Garden à Londres, pendant la season, de mai à juillet. On y montait surtout des représentations de gala avec des « vedettes de classe internationale », chanteurs allemands, français ou italiens suivant les œuvres, représentées dans le texte original. Wagner et Verdi ne laissaient guère de place à d'autres œuvres que les leurs. Il n'y avait rien à faire pour introduire sur les programmes des œuvres de Français encore vivants. Les spectateurs ne venaient que pour des artistes en renom ; Faust ne remplissait la salle que chanté par Melba. Avec une cantatrice moins haut cotée, la salle était à moitié vide. En se fiant aux réputations, un public qui n'est pas sûr de bien juger par lui-même se persuade que c'est le cas d'applaudir. Emma Calvé a chanté Carmen, Mary Garden Manon et M. Franz Faust.
Depuis cinq ans, Messager n'avait donc rien donné pour son propre compte au théâtre, quand fut représentée aux Variétés, le 13 février 1905, l'opérette-opéra-comique les Dragons de l'Impératrice. Fournie au musicien par les librettistes Duval et Vanloo, elle s'apparente aux P'tites Michu et à Véronique. Elle a l'entrain de la première, le charme de la seconde, avec plus de force comique, plus de rapidité et d'esprit dans le dialogue, une maîtrise plus ferme dans l'art de caractériser les personnages et les modes de leur temps. Comme le titre le fait bien penser, cela se passe, au second Empire, dans le milieu militaire de la Cour. L'intrigue serait un peu longue à rapporter. Il suffira de dire que le premier acte est dans une guinguette du bois de Saint-Cloud où, après une parade, se retrouvent pour déjeuner les cent-gardes de l'empereur, les dragons de l'impératrice et les dames qui s'intéressent à eux. Cent-gardes et dragons sont rivaux : « Au jeu de dames l'on verra lequel des deux l'emportera ! » Il s'agit pour Saint-Gildas, dragon, d'enlever au cent-garde Agénor, sa dernière conquête. Ce sera plus difficile que pour les onze premières, parce que, dans l'obscurité profonde du parc, la belle s'est enfuie sans être reconnue. Le second acte a pour décor le bal Mabille ; les mêmes dames viennent en domino, sous le masque, éprouver « le petit frisson » dans « l'enfer si redouté de la perversité ». Les quiproquos et les intrigues s'enchevêtrent autour d'un éventail perdu à Saint-Cloud par l'inflammable Lucrèce, femme du colonel des cent-gardes. Cyprienne, la jeune épousée de son cousin Saint-Gildas, délaissée par lui dès le mariage, trouve le moyen, grâce à l'incognito et aux facilités du bal Mabille, d'emporter avec elle son mari. Le troisième acte se déroule dans un salon des Tuileries où Cyprienne, ôtant son masque et son domino, jouit de son triomphe. Pour en savoir plus, lisez la partition ou, mieux, voyez jouer la pièce si quelque directeur est assez bien inspiré pour la reprendre. Mais qu'il lui laisse son caractère de comédie spirituelle et n'en fasse pas un spectacle qui, prétendant être luxueux, risquerait fort d'être grossier !
La pièce fut donnée avec un vif succès pendant la direction de Samuel, le directeur au chapeau de paille. Mariette Sully y fut une délicieuse mariée-jeune-fille, adroite à conquérir son mari ; Germaine Gallois jouait la colonelle Lucrèce, fort peu fidèle, parce qu'il y a « trop de beaux hommes dans l'armée » ; Prince, qui avait eu un premier prix de comédie au Conservatoire et avait passé deux ans à l'Odéon avant de venir à l'opérette, fit du beau capitaine Agénor, sous la cuirasse éblouissante du cent-garde, le plus fat et le plus ahuri des militaires à bonnes fortunes. L'œuvre, bien servie par une troupe excellente, donnait motif à des musiques gaies et variées.
Messager retrouvait dans ce cadre du second Empire des souvenirs de sa prime jeunesse ; il dut entendre dans sa mémoire quadrilles et valses pour situer l'époque. Il s'amusa — la gaîté fuse de toutes parts dans sa partition — à croquer en musique des personnages de Constantin Guys, à les transporter de Mabille aux Tuileries, à donner à chacun son caractère typique. Instruit par ses deux précédents ouvrages, il avait perfectionné la légèreté de son écriture, le « dépouillé » de son orchestration ; il n'y met que ce qui est nécessaire, essentiel ; chaque touche de couleur, parce qu'elle est à sa place, produit l'effet voulu. La musique de comédie ainsi comprise est de l'art tout autant qu'un drame entre plus nobles personnages. Par la vivacité du dialogue elle donne même de précieux enseignements à ceux qui prétendent exprimer des sentiments plus dignes d'admiration, non moins conventionnels, souvent, moins humains et moins nuancés. Il y a autant de maîtrise et certainement plus d'agrément dans les Dragons de Messager que dans la Proserpine de son maître Saint-Saëns.
Il ne fait pas de doute que le soin apporté par Messager à bien écrire ses trois opérettes, les Michu, Véronique et les Dragons, l'ait mis en bonne forme pour composer Fortunio, qui est une comédie d'un ton plus relevé. Les meilleurs passages y sont certainement ceux qui se rapprochent de la comédie légère, les moins heureux ceux qui cherchent à se hausser vers un lyrisme plus passionné.
Ce n'est pas tout à fait de la faute du musicien. C'est celle des auteurs du livret, à commencer par Alfred de Musset. Les deux personnages principaux, Fortunio et Jacqueline, sont beaucoup moins bons à être traduits lyriquement qu'il ne peut paraître à première lecture. La transposition musicale est redoutable pour les textes dramatiques. Parce qu'elle intensifie l'émotion, elle met à nu les outrances et les faussetés. Fortunio, qui n'est qu'un naïf ingénu quand il parle le texte de Musset, semble un nigaud, un bêta, quand il chante ; Jacqueline, sèche et égoïste, devient une « petite rosse » quand la musique fait sentir le vide de sa très petite âme et son insincérité. Restent maître André, le capitaine Clavaroche, le clerc Landry ; ils s'accommodent de la comédie musicale parce que ce sont des gens simples, bien caractérisés, que les situations où ils se trouvent n'obligent pas à feindre des passions trop grandes pour eux.
L'arrangement offert au musicien par G.-A. de Caillavet et Robert de Flers est « d'après Musset », mais s'en éloigne autant que les préjugés ou les nécessités du théâtre semblaient le conseiller. Partant du Chandelier, les librettistes ont fait autre chose. De scènes destinées à être lues, ils ont tiré cinq actes, non sans quelque peine. D'abord ils ont remarqué qu'il n'y avait pas de premier acte, c'est-à-dire d'exposition. Là, ils ont tout à fait réussi parce qu'ils n'étaient pas gênés par leur modèle. Si on leur disait que cette présentation des personnages suivant la coutume n'était pas obligée et que Musset s'en était heureusement passé, ils pouvaient répondre, avec raison, qu'il s'en était bien passé pour un texte à lire. A la représentation, une mise en train n'était pas inutile. Au moins, ils y ont gagné de tracer pour le compositeur un tableau animé et varié. A Albert Carré, ils avaient offert, au lieu des costumes funèbres de 1830, ceux de l'époque Louis XVI, certainement plus agréables à regarder ; il en avait bien profité. Ses décors, sa mise en scène composèrent un spectacle qui fut apprécié, plutôt trop brillant, trop joujou de riches sortant de la boutique du marchand. Le second et le troisième actes sont pris à Musset avec quelques additions. A certaines représentations, le quatrième acte a été supprimé, ce qui est une façon de le juger au point de vue théâtral. On a prétendu qu'il faisait longueur ; si on l'a coupé, c'est aussi parce qu'il contenait certain passage qui gênait Mme Carré, plus comédienne que cantatrice. Le cinquième acte revient au texte de Musset, mais s'accroît d'un duo un peu trop éloquent.
Sur ce livret imparfait, Messager a écrit une de ses meilleures œuvres, tout à fait supérieure dans les parties de comédie. L'animation d'une petite ville de province sur la place de l'église où des jeunes gens jouent aux boules au lieu d'aller à la messe, la conversation des officiers sous la tonnelle, Clavaroche interrogeant ses lieutenants sur les ressources amoureuses de la garnison, la rencontre de Clavaroche avec Jacqueline, puis avec Me André, les conseils de Landry à son cousin Fortunio sont d'une habileté, vocale et orchestrale, qui font de ce premier acte surajouté un modèle de conversation en musique. Sous les voix, l'orchestre, qui jamais n'est bruyant, fait courir des dessins et harmonise les couleurs avec une sûreté de main qui est celle d'un maître. Au deuxième acte, la jalousie bouffonne de Me André, les couplets du « chandelier » (car, même dans cette comédie de facture modernisée, Messager ne renonce pas toujours aux répétitions traditionnelles), les coquetteries de Jacqueline pour faire du pauvre Fortunio l'amoureux sans récompense qui attirera les soupçons du mari, la conversation de Jacqueline avec sa servante Madelon, tout se maintient dans le ton de la comédie la plus alerte.
On guettait Messager, au troisième acte, à la chanson de Fortunio :
Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer.
On rappelait celle qu'Offenbach avait composée pour les représentations au Théâtre-Français et reprise dans son petit opéra-comique, la Chanson de Fortunio, où Fortunio était un travesti. Ceux qui l'avaient connue dans leur jeune temps la paraient des charmes de leur passé. Au vrai, Offenbach a été souvent plus heureux : sa médiocre mélodie s'apparente à une romance du style troubadour. En voici les premières mesures pour vous la rappeler :
Messager était agacé de cette embuscade, où l'attendaient amateurs et critiques pédants. Il avait pensé en sortir en écrivant quelque chose qui n'attirât pas trop l'attention, quelque chose qui fût « en place », sans plus. Mais on ne désarme pas ceux qui ne savent pas rire. L'article de M. Jean Chantavoine est révélateur (Revue hebdomadaire, 6 juillet 1907) :
Dans ce troisième acte, on attendait M. Messager à la célèbre chanson de Fortunio, déjà mise en musique, et d'une façon charmante, par Offenbach. Les auditeurs de Fortunio se sont ici partagés en deux camps : les uns tenant pour la chanson d'Offenbach, les autres pour celle de M. Messager. Je n'hésite pas un seul instant à me ranger parmi les premiers : sans doute, la chanson de M. Messager est agréable, bien conduite et d'une mélancolie assez touchante. Mais celle d'Offenbach est d'un accent plus spontané, et ses couplets répondent mieux aux couplets de Musset.
Il est peut-être vrai de dire qu'Offenbach s'apparente mieux à Musset et aux goûts de 1850, mais c'est tant pis pour Musset. Au reste, Fortunio n'est pas de Musset, mais de Caillavet et de Flers. Il faut en prendre son parti. La chanson, ainsi discutée, est bien meilleure, à mon avis, que la romance sur « la vieille maison grise » qui a eu un gros succès de public ou, si l'on veut, un succès de gros public.
Il est plus facile d'être d'accord, ou presque, avec M. Chantavoine quand il écrit :
La scène initiale (du deuxième acte) entre Jacqueline et son jaloux est d'une justesse et d'une variété de ton charmantes ; mais le dialogue de Jacqueline avec la soubrette se poursuit avec une aisance délicieuse, sur une sorte de menuet ou de chaconne (Sic. Il est facile de choisir. C'est un menuet), dont la grâce fine est faite pour ravir les plus difficiles ; et les confidences de Jacqueline à Fortunio, pareillement, sont un petit pastel musical dont je ne saurais trop louer la spirituelle et sensible élégance.
Le troisième acte s'ouvre encore sur une page des mieux venues. Après un prélude fugué, dans le ton clair de sol majeur, le trio des trois clercs, Landry, Guillaume et Fortunio, calme, insouciant, et qui respire la nonchalante joie de vivre, est un modèle d'écriture adroite et claire.
Et l'on peut être en plein accord avec M. Chantavoine dans les parties de son article où il consent des éloges très mérités :
D'un bout à l'autre ou peu s'en faut, Fortunio est écrit dans une langue musicale très pure ou très châtiée, où l'adresse est faite de science discrète et de goût ; l'orchestre, de même, a une souplesse, une variété et une élégance sonore tout à fait agréables. Les bois y tiennent souvent des parties intermédiaires, avec une aisance et un bonheur remarquables. Rien n'est brutal, rien n'est dur, rien n'est laid. Pour n'être que joli, il faut d'abord être cela : et tel est bien Fortunio.
Gabriel Fauré, dont l'opinion importe davantage, avait dit dans le Figaro, avec un enthousiasme que n'explique pas, seule, l'amitié :
Je n'étonnerai personne de ceux qui, comme moi, connaissent, suivent et aiment M. Messager depuis longtemps, en disant que Fortunio est d'une saveur exquise, qu'il est la poésie, la fraîcheur et la jeunesse mêmes. On y rencontre des pages de gai mouvement, comme le premier acte, d'autres où la poésie découle simplement, comme la péroraison du troisième acte, d'autres enfin où le pittoresque de couplets mordants et spirituels surprend l'attention, la domine et entraîne la joie à sa suite.
L'invention mélodique, alerte, fertile, abondante, n'abdique jamais sa distinction native; l'invention rythmique n'est pas moins piquante, et l'harmonie, sans recherche vaine pourtant, fourmille de détails heureusement inventés ; quant à l'orchestre, léger mais sonore, brillant et spirituel, il court, va et vient avec une ingéniosité, une grâce tout à fait séduisantes.
De son côté Saint-Saëns, après la reprise de 1910, avait écrit à son ancien élève et toujours ami :
Rue de Courcelles 83bis. — 21 nov. 1910.
Mon cher ami,
Vendredi vous ne m'avez pas vu à l'Opéra parce que je voulais aller voir Fortunio samedi et que je ne puis me permettre le théâtre deux jours de suite. Savez-vous bien que vous êtes le seul, actuellement, pour faire de la musique à mon goût ! J'étais dans l'enchantement et j'ai eu le plaisir de voir que je n'étais pas le seul. Quel dommage que vous n'en ayez pas plus écrit dans ce genre au lieu de passer votre temps à broder des opérettes ou à diriger des théâtres ! (Je ne dis pas ça pour l'Opéra.) Nous aurions maintenant toute une brochette de chefs-d’œuvre et il y en a si peu ! Cette clarté si spirituelle, ce charme, cet art supérieur de traiter l'orchestre, quelle différence avec les charivaris à la mode ! J'en dirais long si j'avais le temps d'écrire de longues lettres...
Mille amitiés,
C. Saint-Saëns.
A la première, le 5 juin 1907, Messager avait dirigé son œuvre avec le souci de netteté qu'il apportait à conduire celle des autres. Il avait, su choisir ses interprètes de façon à mettre en valeur ce qu'il avait composé. Fugère, qu'il faut toujours placer au premier rang des chanteurs de son temps, était Me André ; Dufranne a montré, dans son grand talent, assez de souplesse pour être Clavaroche après avoir incarné le malheureux et émouvant Golaud ; Francell, presque à ses débuts, était le pitoyable Fortunio ; Périer avait dû se contenter, non sans regret, d'un second rôle, celui de Landry, et il y avait été parfait ; Mme Carré avait personnifié une Jacqueline pleine d'esprit devant Me André, ironique devant Clavaroche, inquiétante pour Fortunio, dont l'ingénuité méritait mieux, pour son éducation sentimentale, que les leçons d'une aussi cruelle coquette.
Fortunio reste un modèle de comédie musicale dans le goût français.
L'OPÉRA ET LES CONCERTS ET ENCORE L'OPÉRA-COMIQUE
(1908-1920)
Messager n'avait, pas encore fait représenter Fortunio quand il fut, comme nous disons, « investi » de la direction de l'Opéra. C'était le 26 janvier 1907. Il devait entrer en fonctions le 1er janvier suivant. Ceux qui ne pensent à la musique que dans sa pureté ont, peine à comprendre l'importance que dans les milieux parisiens et, en particulier, dans le milieu parlementaire, on attachait au choix du directeur pour notre « première scène lyrique ». Ce n'est pas seulement pour juger du bon emploi de la subvention que de nombreux députés et quelques sénateurs surveillaient de près ce qui s'y passait. En un temps où les recommandations, les recommandations additionnées, superposées ou contrebattues, étaient (suis-je assez poli de mettre cela au passé !) un usage, une habitude, un jeu et même une nécessité, les rapports de l'Opéra, théâtre politique, et du Parlement, protecteur des Beaux-Arts, intéressaient aussi bien les directeurs, les librettistes, les compositeurs, les chanteurs, les danseuses, que le syndicat des musiciens ou celui des machinistes. L'Opéra, avec ses vingt-deux étages et ses sept mille portes, son armée permanente de quinze cents personnes aux emplois extrêmement diversifiés, des ténors aux machinistes, des cantatrices aux ouvreuses, du directeur au concierge, sa subvention (en 1908) de huit cent mille francs, ses recettes d'abonnement de un million trois cent quatre-vingt-cinq mille francs (en 1907), de vingt mille francs par soirée quand ça marchait très bien, et de treize à quatorze mille francs quand ça n'allait pas fort, d'un peu plus de trois millions par an pour cent quatre-vingt-sept représentations et, d'autre part, les dépenses qu'il répartit, pas seulement entre son personnel, mais entre des industries dont il serait difficile de dresser la liste complète, c'est tout un monde, étrange, chimérique, où le prestige compte souvent plus que les réalités, mais où les réalités (d'argent) sont la base et le fondement, risquons le calembour : la basse fondamentale.
On ne peut pas reprocher aux ministres d'avoir pensé que le gouvernement de ce petit monde serait pour un musicien dont on savait bien les mérites artistiques, mais dont les qualités administratives n'étaient pas aussi connues, une tâche peut-être trop embarrassante ou trop lourde. On prit la décision de compromis chère aux hommes politiques. On adjoignit à Messager un homme du métier directorial, Broussan, qui après avoir administré quelques théâtres de province (ce qui n'a pas grand rapport avec l'Opéra parce qu'on n'y court pas les risques de créations nouvelles) était alors directeur du théâtre de Lyon.
Cela ne valait ni plus ni moins que les autres compromis, soit à peu près rien. Il suffisait de regarder les deux compagnons de chaîne, et seulement leurs moustaches, pour s'apercevoir qu'ils n'étaient guère appariés. Ils avaient tous deux de bien belles moustaches qui se faisaient remarquer, même en un temps où les « poilus » n'avaient pas pensé à raser les poils blancs qui leur étaient venus pendant quatre ans de guerre ; mais Broussan arborait des moustaches de sous-officier prétentieux, les moustaches redressées vers le ciel d'un homme content de lui. Les moustaches de Messager étaient celles d'un colonel ayant gardé l'allure d'un lieutenant, « Messager aux victorieuses moustaches », disait Willy. Passés les premiers mois, où M. Broussan, étonné de sa gloire, témoignait beaucoup de déférence à l'associé dont il sentait bien la supériorité, venues les difficultés d'argent, les désaccords trouvèrent beaucoup d'occasions. La faiblesse de cette direction était surtout de reposer sur des bases économiques trop étroites. Messager n'avait constitué aucune fortune, ayant dépensé au fur et à mesure, surtout en voyages et aussi en cadeaux, les ressources que lui avaient fournies ses succès. Ses amitiés étaient parmi les artistes, non parmi les gens de finance ou de commerce qui, pour des raisons diverses, protègent les arts. Il avait rassemblé quelques généreux commanditaires, pas beaucoup. Il n'était pas doué pour surveiller des bilans. Et, d'ailleurs, est-il entreprise plus risquée, aux résultats plus difficilement prévisibles, que celle de l'Opéra ? De tous les gens qui tirent le diable par la queue, ce sont sans doute les directeurs de théâtre qui tirent le plus fort. Pour un qui réussit, dix n'évitent la faillite que de justesse. Après avoir été, à ses débuts, un musicien pauvre, Messager, au sommet de sa carrière, fut un directeur trop faiblement appuyé pour faire tout ce qu'il aurait souhaité. Mais il n'a pas été un directeur ladre, parcimonieux. Un commanditaire lui dit, un jour, devant un bilan qui n'était pas brillant : « Vous nous avez donné des dividendes artistiques ; c'est tout ce que nous vous demandions. » Il était bien gentil. On a joué beaucoup d'œuvres à l'Opéra pendant la direction Messager-Broussan ; les nouvelles ne seront pas toutes reprises pour réjouir la postérité, il s'en faut de beaucoup. Cela signifie que l'Opéra, en ce temps, a connu le déficit, non les bénéfices.
La nouvelle Direction avait considéré comme un devoir de reconnaissance envers le Faust de Gounod — une de ces œuvres bien rares dont on fête la millième représentation (il y a eu aussi Carmen et Mignon à l'Opéra-Comique, et ailleurs il y a eu Phi-Phi) — de remettre en état décors, mise en scène et même l'exécution musicale, qui en avait besoin. Marguerite n'était plus en blanc et Méphistophélès n'était plus rouge et noir. Bien des abonnés en gémirent ; ce ne sont pas des choses à faire à des gens qui ont des habitudes. Du moins, si le décor du ballet avait changé, le corps de ballet était toujours là ; si les tutus avaient disparu, les corsages étaient échancrés jusqu'au bas du dos. C'est peut-être ce qu'on appelle noblement les dividendes artistiques.
Le tribut ainsi payé à la tradition, Messager put travailler pour la musique. Le premier chef-d’œuvre qu'il monta fut une exhumation, une révélation au public des fouilles entreprises par Bordes et d'Indy : le premier opéra de Jean-Philippe Rameau, Hippolyte et Aricie. Depuis qu'elle avait été exécutée en 1733, l’œuvre avait été reprise une seule fois, puis abandonnée. Des stratifications de poussières pesaient sur elle. On s'attendait à voir dégager des cendres une Pompéi musicale. Et ce fut vraiment la résurrection d'une forme d'opéra aussi humaine que noble. La vie circulait partout. Ce n'était pas une restauration de pédants à laquelle ne manque ni un gruppetto, ni un mordant, ni un trille, ni une cuirasse, ni un plumet. D'abord, les plumets n'avaient pas été oubliés : des touffes de plumes d'autruche ombrageaient les casques des héros, les robes s'évasaient, les coiffures poudrées se dressaient, et les danseuses menaient la gavotte comme la Guimard elle-même. Le XVIIIe siècle, sans être copié, était bien évoqué. Décors et costumes rappelaient même à ceux qui n'ont pas de mémoire plus loin que leur grand-père, que l'œuvre était venue au jour il y avait un siècle et demi ; et, ce qui valait mieux, la baguette de Messager faisait sortir de toutes ces antiquailles ce qu'elles conservaient de jeunesse, d'humanité et d'art. Rameau obtint un succès d'estime. On ne peut pas trop demander à un public qui a pris goût à Mignon et à Cavalleria rusticana.
« Vive Rameau, à bas Gluck ! », s'écriait Debussy. Mais un Debussy ne fait pas un public. Le vrai public, celui qui assure la recette, pensait M. Broussan, préfère la mauvaise musique. Il faut d'abord le satisfaire pour pouvoir risquer de temps à autre les dépenses que nécessitent les chefs-d’œuvre. Je sens bien que j'insiste beaucoup sur le mélange intime des questions artistiques et des questions d'argent. C'est qu'il y a tant de gens qui les regardent de haut, comme si elles n'existaient pas. On est forcé de rappeler que sur les programmes les choix indignes s'expliquent comme des compromis. Une grosse partie de la foule disait en faisant sonner des louis d'or au bureau de location : accordez-moi Sigurd, je vous laisserai jouer un peu de Wagner. Pour avoir Wagner et quelques autres, Messager a dû monter une longue liste d'ouvrages qui n'avaient même pas tous le mérite de remplir la caisse, mais qui correspondaient aux conditions du cahier des charges ou cédaient aux pressions des puissances : Bacchus et Roma de Massenet, Monna Vanna d'Henry Février, la Forêt de Savard, le Miracle de Georges Hüe, Déjanire de Saint-Saëns, Scemo de Bachelet, le Sortilège d'André Gailhard, le Cobzar de Mlle Gabrielle Ferrari et les Joyaux de la Madone de M. Wolf-Ferrari (dont M. Broussan avait cru bon d'acquérir les droits), Sibéria de Giordano et, pour les ballets : la Fête chez Thérèse de Reynaldo Hahn, Javotte de Saint-Saëns, España de Chabrier, la Roussalka de Lucien Lambert, les Bacchantes d'Alfred Bruneau, Philotis de Gaubert, Hansli le bossu de Noël et Jean Gallon (« Tous ces noms dont pas un ne mourra... Que c'est beau ! »). Telle était la rançon qu'il fallait payer pour donner les œuvres de Wagner qui n'étaient pas encore venues sur la scène à Paris, c'est-à-dire le Crépuscule des dieux, l'Or du Rhin et Parsifal, pour prêter le théâtre à la troupe de Serge de Diaghilev qui y faisait connaître le Boris Godounov de Moussorgski, pour reprendre Fervaal de d'Indy, Gwendoline de Chabrier, pour se payer la fantaisie d'entendre Mary Garden, puis Mme Kousnezoff, dans la Salomé de Richard Strauss.
Pendant toute la durée de la direction Messager-Broussan le nom de Wagner est certes revenu souvent sur l'affiche (trois cent soixante-neuf représentations pour neuf ouvrages : Lohengrin, quatre-vingts ; Tannhäuser, cinquante-six ; la Walkyrie, cinquante-quatre ; le Crépuscule, quarante ; Parsifal, trente-quatre ; Tristan, vingt-neuf ; les Maîtres, vingt-huit ; l'Or du Rhin, dix-neuf ; Siegfried, neuf). Mais il suffisait de trois ouvrages du répertoire pour le distancer, et de loin (Faust, cent soixante-quinze ; Samson, cent quarante-deux ; Rigoletto, quatre-vingt-trois). En voilà pour quatre cents représentations ; ajoutez-y : Thaïs, soixante-quatre ; Roméo, soixante et une ; Aïda, quarante-huit ; Salomé de Strauss, quarante-sept ; les Huguenots, trente-deux ; Hamlet, vingt ; Sigurd, quinze ; Guillaume Tell, huit, et les créations nouvelles. Ce sont des chiffres sur lesquels on peut méditer. On y voit la preuve que dans une vieille institution d'État, comme est l'Académie nationale de musique et de danse, le directeur est loin de faire ce qui lui plaît. Sans doute, il conduit l'équipage, mais il faut mener les occupants de la voiture où il leur plaira, et puisqu'ils ne le savent pas très bien, puisqu'ils ne sont pas d'accord entre eux, il faut rester dans les chemins battus. Messager prenant la direction de l'Opéra pour y voir jouer les Huguenots, Hamlet, Sigurd, etc., c'est paradoxal, d'aucuns ont dû dire scandaleux. J'imagine, si je pouvais encore lui mettre ces chiffres sous les yeux, de quel air résigné, peut-être un peu vexé, il riposterait : Eh ! oui, c'est ça le théâtre. Le public commande. On ne peut lui désobéir qu'en faisant semblant de lui céder, en lui cédant plus qu'on ne voudrait. Et l'Opéra était une bien vieille machine pour la porter à l'avant-garde. Ce n'est pas là que commencera la Révolution des Beaux-Arts, si elle est nécessaire, ce que je ne crois pas. On change bien assez vite sans le savoir.
Messager arrivait trop tard à la décevante direction de l'Opéra. Sans se détourner complètement du drame lyrique, l'activité des meilleurs musiciens français, après 1919, se dirigeait volontiers vers la musique symphonique, la musique de chambre, les mélodies, les petites pièces de piano ou d'archets, les recherches de combinaisons instrumentales. C'était par dégoût de l'emphase, peut-être aussi par manque de force pour remplir les cadres d'une vaste composition. On commençait à se détourner de Wagner parce que le souffle faisait défaut pour marcher dans les traces du géant et aussi, il faut le reconnaître, parce qu'il n'était pas sage pour des Français de chercher à l'imiter. Si les compositeurs de l'époque regardent encore vers l'Opéra, c'est seulement le ballet qui les attire parce qu'il les débarrasse de la déclamation, des élans passionnés et, généralement, de la manœuvre des masses chorales ; ils le préfèrent parce qu'il est simplement de la musique à programme que viennent agrémenter, de toutes leurs distractions, le décor et la danse.
Les œuvres de Wagner qui n'avaient pas encore été présentées à Paris, sauf par morceaux aux concerts, Crépuscule des dieux, Or du Rhin, Parsifal, paraissent successivement sur la scène de l'Opéra. Et c'est Messager qui les fait étudier et les dirige. Il reprend aussi les Maîtres chanteurs, y faisant circuler tant de vie que quelques grincheux, pour faire de l'esprit, lui reprochent de les pousser à l'opérette. Reproche mal fondé. Il était assez imprégné du style wagnérien pour le restituer comme il convenait. Si, à Paris, on a vu de l'opérette, entendons toujours de la musique légère, animée et comique, dans la grande comédie des Maîtres, c'est qu'elle y est. Si on n'y a pas éprouvé toute la pesante noblesse qui s'y trouva aussi quelque peu, parfois, du fait des chanteurs plus que de l'intention de Wagner, c'est que la lourdeur germanique n'est pas à imiter pour des Français.
Messager a beau entourer de tous ses soins les grandes œuvres qui ont fait l'émerveillement de sa jeunesse et, quand la Tétralogie est enfin prête tout entière, la donner en quatre soirées successives comme à Bayreuth, le succès a beau être éclatant, ce triomphe est le soir d'un beau jour. Conduisant la mort de Siegfried, Messager, sans s'en douter, célèbre les adieux de l'Opéra à une certaine conception de l'art dramatique musical. Tout a une fin. Vingt ans après, on ne rassemblera plus, pour Wagner une troupe de chanteurs ayant conservé sa tradition. A tel point que pour donner encore quelques bonnes représentations de ses œuvres on fera venir des acteurs étrangers.
Ces représentations qui remplissaient si bien le vaste cadre de l'Opéra, où se trouvaient alors de nombreux chanteurs capables de supporter la charge d'une soirée wagnérienne, donnèrent lieu à un incident amusant. Il avait été entendu qu'on présenterait les quatre tableaux de l'Or du Rhin sans entr'actes, contrairement à ce qu'on avait fait jusque-là. A une des séries qui était dirigée par Weingartner, après le premier tableau, le rideau d'avant-scène, qu'on tirait pendant les changements de décors, ne s'ouvrit pas à la mesure indiquée. Un « fil », comme on dit au théâtre (il ne faut pas parler de corde dans la maison du pendu), un fil de manœuvre de la toile de fond, ces énormes toiles de l'Opéra, grandes comme un court de tennis, s'était coincé. La toile avait refusé de monter ou de descendre, je ne sais ; quelques minutes supplémentaires étaient nécessaires. Weingartner, qui dirigeait l'orchestre, laissant voir sa mauvaise humeur, avait quitté le pupitre et gagné la sortie sous la scène. Dans la salle étonnée, un monsieur qui s'intéressait peut-être à la machinerie plus qu'à la musique, avait crié : c'est un scandale ! Déjà, Messager était dans le couloir qui mène à la fosse d'orchestre. Il voit venir Weingartner et lui crie : Que faites-vous là ? Reprenez votre place ou c'est moi qui y vais ! L'Allemand balbutie qu'il a cru bon de faire un entr'acte, mais se hâte d'obéir. On a raconté l'incident d'autre manière ; c'est ainsi que je l'ai vu de la salle et que j'en ai obtenu, sur le moment, l'explication de Messager lui-même. Il se faisait obéir parce qu'il en avait les moyens.
Ces grandes représentations wagnériennes, pour les trois principales parties, commençaient à cinq heures, avec une heure d'arrêt après le premier acte; on voyait alors, c'était pendant les belles nuits de juin, les dames en toilette et les messieurs en habit gagner les tables qu'ils avaient retenues dans les restaurants voisins ; elles furent, le clou de la saison de Paris. Elles marquèrent, avec Parsifal, qui fut aussi un grand succès pour Messager chef d'orchestre, la fin de la direction Messager-Broussan. Dès novembre 1913, Jacques Rouché était désigné comme successeur ; en fait, même, il prit possession de l'Opéra en juillet 1914, en avance de six mois. L'administration en commun était devenue impossible pour les deux directeurs, trop dissemblables, qu'on avait cru si sage d'associer.
Messager s'en allait, excédé des revendications syndicales portées jusqu'à la grève du corps de ballet en pleine représentation, des rivalités, des intrigues, des recommandations, des ennuis d'argent, et des responsabilités que lui faisait partager son associé. Il regrettait certes de n'avoir plus à conduire les œuvres qu'il aimait. Mais il lui restait les concerts qui, chaque dimanche, étaient son plaisir de musicien. Depuis 1908, la Société des Concerts du Conservatoire s'était confiée à sa direction. Auparavant, en 1905, il avait par intérim dirigé, à la salle Gaveau, des concerts Lamoureux. Il avait alors joué de préférence de la musique pittoresque, notamment des Russes. Il y avait parfaitement réussi.
Pourtant, par sa façon de diriger, il allait fortement contre les goûts habituels. Ceux qui, au concert, tiennent à voir gesticuler le chef d'orchestre n'en avaient pas pour leur argent. On était loin du gros Chevillard (si bon chef cependant, dans Wagner encore plus que dans Beethoven). Ah ! celui-là savait, faire comprendre aux auditeurs qu'il portait tout l'orchestre sur ses robustes épaules ! S'il marquait l'entrée des trombones, il semblait annoncer le Jugement dernier ; quand il réclamait un coup de grosse caisse, il était Jupiter tonnant. Son habit sautait sans arrêt par-dessus son faux-col, et quand il se retournait sous les applaudissements enthousiastes, ses admirateurs constataient qu'il devait aller changer de chemise. Messager obtenait les mêmes résultats par la précision, sans tant de dépense musculaire. Avant de conduire la première lecture, il savait ce qu'il voulait ; il l'avait expliqué et obtenu aux répétitions ; au concert, sa fine baguette, garnie d'une boule de liège pour éviter les crampes, n'avait plus qu'à le faire comprendre à l'auditoire. Devant lui l'œuvre se construisait. C'était moins gros et plus net. Tous les rapports étaient observés, les plans distincts, les groupes équilibrés. On goûtait, autant que l'œuvre le permettait, cette transparence lumineuse qu'il savait si bien mettre dans ses propres orchestrations. Plus d'élégance, de charme, de correction, sans docile, que de force, mais la force brutale est-elle donc une qualité musicale ? Par exception, tout au plus.
Aux répétitions, il était souvent exigeant et sévère. M. Inghelbrecht parle, le mot est frappant, de « son autorité impitoyable ». Des musiciens du Conservatoire l'appelaient « le brochet ». Peut-être voulaient-ils dire par là qu'il ne permettait pas à quelques carpes indolentes de s'envaser. Mais, comme ils étaient tous de bons ouvriers de la musique, ils l'aimaient bien, heureux, avec lui, d'aboutir à de bons résultats, de bien servir leur art. Et quand ils allaient en tournée à l'étranger, la surprise des publics, pour qui les succès de notre premier orchestre n'étaient pas passés en habitude, leur montrait qu'ils étaient dignes de se mesurer avec les meilleures sociétés philharmoniques d'Europe et des États-Unis.
Pendant la guerre, certains à Paris s'indignèrent tumultueusement parce que Messager avait mis à ses programmes d'Argentine des œuvres de Wagner. Wagner a toujours été le point de friction des susceptibilités patriotiques. C'était d'ailleurs le moment où Saint-Saëns réclamait qu'on ne le jouât plus jamais en France. Messager avait pensé comme un de mes amis qui m'écrivait alors, de tranchée à tranchée : ce n'est pas bout ça qui nous empêchera d'écouler du Wagner ! L'art, pour Messager, était autre chose que les sauvageries de la guerre. Il croyait que jouer excellemment l'œuvre d'un Allemand, mort depuis des années et sur laquelle les orchestres des deux mondes affrontaient des comparaisons, était encore une façon de servir la France. D'ailleurs, pendant le même temps, on représentait Carmen en Allemagne. S'il était louable d'exécuter Bach et Beethoven aux Matinées nationales de la Sorbonne, pourquoi exclure Wagner ? Et aujourd'hui, parce que l'Italie a piqué de son poignard le dos de la France abattue, devons-nous fermer les yeux devant les sculptures de Michel-Ange et les fresques de Fra Angelico ? C'est un trait de caractère de Messager qu'il n'ait pas pressenti ces exigences d'un patriotisme borné ou qu'il n'ait pas voulu leur obéir.
Est-il nécessaire d'insérer ici une lettre qu'il écrivit à son ami Fauré dans les premiers mois de la guerre ? On y verra qu'il avait participé aux inquiétudes et souffrances de la patrie et qu'il pouvait, d'un esprit, libre, garder son admiration pour les gloires musicales du peuple ennemi.
11, rue Grimaldi. Nice. — 28 nov. [1914].
Mon cher Gabriel,
Je lis dans les journaux qu'il va y avoir des examens d'admission au Conservatoire d'ici peu ; je viens me mettre à ta disposition pour les jurys. Je ne suis ici que pour être près de mon fils qui a été évacué malade du front, mais qui est rétabli et va repartir, de sorte que je suis tout prêt à rentrer à Paris si j'ai à y faire quelque chose d'utile.
Le mois dernier, avant de venir ici j'ai tenté de te voir, mais tu n'étais pas encore rentré ; j'ai su par Gabriel Faure que tu avais été souffrant, j'espère que tu vas tout à fait bien à présent. Et tes fils ? J'espère que tu n'as pas d'inquiétude à leur sujet. J'ai lu de beaux vers de l'un d'eux l'autre jour dans le Figaro. Je souhaite qu'ils soient encore près de toi !
Ah ! mon pauvre ami, combien de fois cette guerre n'a-t-elle pas ramené mes pensées à ton sujet à l'autre, celle de 1870 ! Ton départ en voltigeur ! et Clignancourt et la Commune et tout le reste ! Et penser que tout cela n'était qu'une plaisanterie à côté de ce que nous voyons depuis quatre mois !
Enfin, j'espère avoir le plaisir de te revoir bientôt ; tu es un des rares qui me manquent vraiment.
Si donc tu veux de moi pour les examens, fais-moi envoyer un mot par Bourgeat, même une dépêche ; je peux partir n'importe quand.
En attendant je te serre très affectueusement la main.
Ton vieux camarade et ami,
A. Messager.
Mon Dieu que notre pauvre Camille est donc ridicule avec son besoin de polémiquer et de dire des sottises !
Ce post-scriptum fait allusion aux fureurs de Saint-Saëns qui perdait la raison au point de dire : « Après tout, Massenet vaut bien Wagner ! »
Pendant les dix années où il a dirigé les concerts de la Société, Messager n'a offert que peu de premières auditions. Je note la Sulamite, scène lyrique de Chabrier, dont la composition remontait à 1885, « une belle œuvre », comme la désignait Maurice Emmanuel dans les explications si instructives qu'il écrivait pour les programmes, une première audition de Thamar, de Balakirev ; la Nuit, chœur pour voix de femmes et soprano solo de Saint-Saëns ; un Concerto pour piano, de Liapounov avec Ricardo Viñès ; les Trois chœurs de Charles d'Orléans, de Debussy. Même si l'on complétait cette liste certainement très incomplète, on ne découvrirait pas une volonté de transformer les concerts de la Société en un banc d'essai pour créations nouvelles. Il est certain que les grands chefs-d’œuvre, classés comme tels, la Messe en ré et la Symphonie avec chœurs de Beethoven, la Grande messe en si mineur de Bach, les Béatitudes de Franck, Faust de Schumann, les Nocturnes de Debussy ont tenu sur les programmes plus de place que les premières auditions. Inutile d'expliquer pourquoi. Les raisons sont les mêmes que pour le théâtre.
Pour juger l'action éducative de Messager, à la tête de la Société des concerts du Conservatoire, il faudrait d'ailleurs savoir dans quelle mesure on doit dire qu'il était à sa tête. Le chef d'orchestre de la Société est élu par les instrumentistes qui la composent. Et pour le choix des œuvres à exécuter il y a une commission des programmes. Pierre Lalo, à la page 347 de son recueil d'articles la Musique, 1898-1899, parlant de « la routine aux concerts du Conservatoire », écrivait, peut-être avec quelque excès de sévérité, mais cela se rapporte à une époque ancienne : « Ils ne veulent pas d'un chef impérieux ; aussi l'élisent-ils toujours parmi eux et depuis de longues années entre ceux de leurs camarades qui semblent le moins préparés à cet office... un instrumentiste, quand en général les chefs d'orchestre devraient être des compositeurs. » Que la Société ait songé, en 1908, à prendre un compositeur pour mener l'orchestre, cela montre au moins qu'il y a eu en ce temps quelque chose de changé dans l'esprit de la vieille maison. A défaut de renseignements précis, il est permis de supposer que les programmes étaient composés en accord entre le chef et les membres de la commission et que l'autorité personnelle d'un Messager devait exercer son influence. Mais il fallait bien, toujours, penser aux recettes et aussi aux occasions d'engagement des virtuoses.
Pendant la période où il gouvernait l'Opéra et dirigeait les concerts du Conservatoire, Messager n'a publié qu'un recueil de mélodies et un drame lyrique de goût romantique, et encore n'y a-t-il travaillé que peu avant son départ. Ce sont deux œuvres presque totalement inconnues, parce qu'elles ont été éditées chez un éditeur allemand qui avait une succursale à Paris et dont le fonds a été dispersé par la guerre, parce que les mélodies n'ont pas été chantées en public et parce que l'œuvre théâtrale donnée d'abord à Monte-Carlo, à la veille de la guerre, l'a été à Paris avant que celle-ci fût terminée, en mai 1917, un très petit nombre de fois.
Les six mélodies composées en 1910 ont pour titre général : Amour d'hiver. Ceux qui savaient l'âge de l'auteur souriaient de ce titre qui semblait annoncer des confidences, mais leur curiosité fut déçue. L'œuvre devait être accompagnée par lui-même, à une séance de la Société nationale de musique. Elle n'y fut pas exécutée. Au cours du concert, le secrétaire de la Société, surpris de n'avoir pas vu arriver Messager, téléphona chez lui et l'entendit répondre : « Mon pauvre ami, j'avais tout à fait oublié. Je viens de me coucher. » Il n'était pas de ceux que l'attente d'une première audition publique empêche de dormir.
Ces mélodies auraient cependant mérité un meilleur sort. Il eût été désirable de les entendre dans une exécution mise au point par l'auteur. Écrites sur des vers d'Armand Silvestre, qui se trouvaient exprimer — assez platement — les sentiments du musicien, elles sont d'un style nouveau pour lui. On y sent de la recherche dans l'expression : point de courbes mélodiques bien coulantes, pas non plus de rudesse, mais quelque chose qui se tient entre les deux. Elles disent les naïvetés d'un vieux monsieur expérimenté, redevenu aussi jeune qu'un collégien. Ceux qui, de sang-froid, considéraient l'aventure sentimentale dont elles étaient un témoignage, s'étonnaient de ce retour de flamme et prévoyaient les orages d'hiver. Ils ne comprenaient pas. Mais ce sont choses où il n'y a rien à comprendre.
Cet hiver, disons cet été de la Saint-Martin, nous a donc valu une offrande musicale qu'il faut mettre à part dans l'œuvre de Messager. Elle n'est pas faite pour le théâtre. Le compositeur agit directement, sans personnage interposé. Il parle de lui-même et pour son propre compte. Il le fait avec discrétion, pudeur, quelque embarras. Mais nous n'avons pas, tant que cela, quitté le théâtre! C'est un homme de théâtre qui s'adresse à une femme de théâtre. On a l'impression qu'il cherche un succès (tel est pris qui croyait prendre !), mais qu'il n'éprouve pas une si profonde passion. Cela se sent dans l'expression musicale. L'invention mélodique perd son relief. L'harmonie, les formes d'accompagnement, élégantes et soignées comme de coutume, n'apportent rien de nouveau... Vingt ans avant, Fauré avait écrit la Bonne chanson !
L'œuvre théâtrale qui a été composée à cette époque n'a pas été créée par l'interprète à qui elle était destinée pour mettre en valeur ses talents de danseuse, de comédienne et de chanteuse. Pendant le temps nécessaire pour écrire une grande partition, l'amour d'hiver avait achevé de brûler tout ce qui pouvait faire un peu de flamme. A quelques tourments avaient succédé le calme et le silence de la gelée.
Béatrice est une « légende lyrique » qui est à rapprocher du Chevalier d’Harmental. Elle a la même ambition de quitter les sentiers joyeux et aimables des petites comédies pour s'approcher de ce qu'on appelle un drame. Elle est très nettement supérieure par le sujet et par l'écriture, qui a pleinement atteint la maîtrise. Le livret de Robert de Flers et Gaston de Caillavet est inspiré d'un conte de Charles Nodier dont ils ont tiré quatre actes. La première représentation a été donnée à Monte-Carlo, le 21 mars 1914 ; une reprise en a été faite, le 21 novembre 1917, à l'Opéra-Comique. Depuis elle paraissait oubliée, quand on en a donné, en 1949, à la Radio, une bonne exécution qui a fait désirer de la revoir sur la scène.
Les conditions, à Monte-Carlo et encore plus à Paris, mais pas pour les mêmes raisons, avaient certainement été défavorables à la présentation d'une œuvre nouvelle. On peut bien penser que Messager, en acceptant de livrer son œuvre en un tel temps, n'ignorait pas ce qu'il risquait ; il n'a pas voulu refuser de maintenir pour sa part quelque activité dans un théâtre parisien, accueillant largement chaque soir des permissionnaires du front. Le risque à courir était l'insuccès préparant l'oubli prochain. Peut-être serait-il donc équitable de réviser un jugement faussé par les circonstances. Devons-nous reconnaître que cette œuvre est l'erreur d'un musicien qui, décidément, n'avait pas assez de dispositions pour le drame ? Sommes-nous, au contraire, devant une de ces créations artistiques qui méritent d'être transmises à ceux qui nous suivent ? C'est, en tout cas, une œuvre grande par les proportions, très soignée, intéressante par la variété des situations. Pour ceux qui veulent connaître les divers aspects de l'art de Messager elle est d'un genre dont il n'y a qu'un autre exemple dans son œuvre, un drame lyrique pris au sérieux. Mais le public n'est appelé à juger que si un directeur le veut bien. Un directeur de théâtre est une sorte de dictateur qui décide, sans appel, ce que le public doit ignorer.
La responsabilité du choix du sujet revient tout entière, paraît-il, au musicien. C'est lui qui l'a découvert dans un recueil de contes de Nodier et l'a signalé à ses collaborateurs. Messager lisait beaucoup. Se rendant compte que son éducation d'adolescent avait été écourtée et que la musique n'avait pas tout à fait remplacé les humanités, il s'était instruit lui-même par les livres et la conversation. Sa curiosité était grande ; il l'a bien employée. Elle l'attirait même vers des ouvrages qui ne sont pas souvent entre les mains des directeurs de l'Opéra. En 1910, quand il rentrait se reposer chez lui, vers cinq heures, entre la répétition et la soirée, il lisait le Port-Royal de Sainte-Beuve. Et quand il lisait de la musique, c'était le plus souvent du Bach, parfois le Liszt des Années de pèlerinage.
Certainement il avait été séduit, dans le conte de Nodier, par l'extrême variété, l'opposition des situations dramatiques. Il n'avait pas pris garde qu'encore cette fois, comme pour Isoline, le public ne se sentirait, pas dans une réalité quelque peu proche de lui, mais dans la féerie, dans le miracle, on disait dans la légende. La musique allait avoir fort à faire pour éveiller la sympathie des spectateurs.
En quelques mots, voici la donnée. On est en Sicile, au XVIe siècle. Béatrice, une jeune religieuse, « âgée de dix-huit ans tout au plus », précise le bon Nodier, fait l'admiration de ses compagnes par sa dévotion à la Sainte Vierge. Elle est « aussi pure que ses fleurs ». Elle se souvient cependant d'un beau jeune homme, son parent, Lorenzo, qu'on avait rapporté de la guerre gravement blessé, et pour qui elle a fait vœu d'entrer au couvent s'il guérissait. C'est ainsi que nous la voyons, au début du premier acte, rappelant à ses compagnes, au jour anniversaire, le miracle des Épines fleuries dont la statue de la chapelle porte le nom, Sainte-Marie des Épines fleuries. Dans le couvent elle se fait remarquer par une ardeur qui lui vaut une réprimande de la supérieure et une admonestation indulgente de l'évêque. On sent un refoulement romantique dans ce mysticisme. Là-dessus, Lorenzo, qui paraissait bien l'avoir oubliée, un jour, s'introduit dans le couvent. Il la trouble par le rappel du passé et, sur son refus de le suivre, il la fait enlever. La Vierge de l'autel, qui sait que Béatrice l'aimera toujours, prend alors la ressemblance et la place de la fugitive ; de sorte qu'au couvent on ne s'aperçoit de rien, sauf de la disparition de la statue. Au deuxième acte, Béatrice est humainement heureuse, et presque aussitôt délaissée. Au troisième, elle cherche le plaisir, « pendant quinze ans », et va même le chercher dans les milieux où il ne peut être que de basse qualité. Au quatrième, elle revient au couvent, épuisée, enlaidie « par le vice et le désespoir », mais elle y apprend qu'aux yeux de ses compagnes, Béatrice n'a jamais cessé d'orner de fleurs l'autel de la chapelle. Bien mieux, la Vierge se penche sur l'aimable repentie, en lui disant : Je savais que tu reviendrais. Je t'attendais.
Si l'on était obligé de conclure, à la manière d'Esope, par : « Cette fable montre que... », on serait assez embarrassé pour tirer une morale d'une telle légende de littérateur. On se demande en quoi elle est édifiante et par quoi elle peut émouvoir des spectateurs. Ce n'est guère plus qu'une succession de tableaux. Disons que souffrance et repentir peuvent effacer toutes les fautes.
A Monte-Carlo peu de musiciens assistaient à la générale, Saint-Saëns notamment et M. Samazeuilh. L'exécution était suffisante, sans plus. Ce que fut la reprise à l'Opéra-Comique en 1917, je ne le sais que par la critique. Je n'y étais pas. Pierre Lalo avait, à mon avis, dans son feuilleton du Temps, justement dosé les réserves et les éloges. Après avoir rappelé les qualités caractéristiques de l'art de Messager, il disait : « Et tout justement, ces qualités dominantes de précision et d'élégance pouvaient faire craindre qu'il ne fût pas à son aise dans le sujet de Béatrice, où se mêlent une passion assez violente et un sentiment de tendre piété. Cette crainte ne s'est réalisée qu'à moitié. Il est vrai que les scènes pathétiques ou dramatiques ne me plaisent pas entièrement et qu'elles inclinent à des formes mélodiques qui ne sont pas toujours d'une originalité ni d'une distinction bien parfaites. Mais il y a dans le duo d'amour du deuxième acte, et surtout dans son commencement, une grâce simple et une émotion douce, qui sont d'un effet charmant. Et, ce qu'on aurait peut-être le moins attendu de M. Messager, c'est par le sentiment religieux qu'il a été le mieux inspiré. Le quatrième acte de Béatrice est sans doute ce qu'il a écrit de plus achevé : une sensibilité discrète, mais pénétrante, l'anime et l'emplit tout entier ; la musique s'y développe et s'y épanche en flots souples et purs, et sans emphase comme sans bruit, s'élargit jusqu'à l'ampleur d'une sereine effusion. »
Cette opinion de Lalo permet de dire que l'idée que l'on se fait en général de Messager, l'homme heureux, l'artiste qui a eu toutes les chances sans se donner beaucoup de mal pour les faire lever et les saisir au passage, est, en réalité, inexacte. On ferait mieux de dire qu'il est demeuré, pour une bonne part, inconnu et méconnu. Il avait plus de sensibilité qu'il ne consentait à le laisser voir, plus de variété d'expression qu'on n'en accorde à un compositeur de musique légère.
Béatrice donne la preuve qu'il pouvait construire, sans ridicule grandiloquence, dans un juste équilibre, ce que l'argot des artistes appelle une « grande machine ». Mais le terme s'appliquerait mal à une œuvre qui, bien qu'assez grande par ses proportions, est surtout remarquable pour cette qualité qui est tout à fait celle du Maître demeuré discret, malgré tous ses succès : la mesure. Il est admirable qu'avec des moyens, en apparence, les plus simples, plus simples que jamais, il ait pu soutenir quatre actes, très variés et toujours très justes de ton. Ni lourdeurs, ni longueurs, ni grossissements. Mélodie continue, comme chez Wagner, mais pas de leitmotiv. Les moments où l'action justifie un épanouissement lyrique se traduisent, naturellement, par des « morceaux » ; ils sont « composés », c'est-à-dire équilibrés, évoluant avec l'action dramatique. L'invention mélodique est, comme à l'habitude, simple, naturelle, généralement distinguée. Parfois, comme l'a noté Lalo, le compositeur laisse échapper des bouffées de lyrisme, d'une chaleur un peu réchauffée. C'est que nous sommes au théâtre et qu'au moment où elles explosent, on les attendait. C'est surtout dans le rôle de Lorenzo qu'on les rencontre, j'allais dire qu'on les subit, parce que ce Lorenzo est un personnage de théâtre assez banal, sans physionomie propre. C'est le jeune séducteur inconstant, sorti de la boîte aux marionnettes coutumières. Au contraire, tous les autres rôles, celui de Béatrice surtout, sont caractérisés dans leur fond, et pour celui-ci dans son évolution, par les traits les plus nettement accentués. La mélodie y suffit, sans jamais rien d'étrange ni de tarabiscoté. Messager préfère une inflexion quelque peu banale, qui est « en place », à des « nouveautés » qui surprennent l'auditeur et sentent le maniérisme. N'ignorant rien des acquisitions dont la langue musicale s'était enrichie, il s'en sert ; mais il ne s'en sert que comme moyen, jamais comme but, sans penser qu'elles avaient, à elles seules, une valeur. Il ne prend pas aux uns et aux autres des « recettes de cuisine ». Sa personnalité s'est élargie ; son originalité est de demeurer personnel dans l'évolution artistique de son temps.
Ceux qui savent analyser la langue musicale et qui s'intéressent à la construction dramatique d'une œuvre lyrique ne perdraient pas le temps qu'ils emploieraient à étudier de près cette partition, très réfléchie, très travaillée, pleine de surprises et d'inventions.
Pour donner un exemple de ces trouvailles d'écriture, voici quelques mesures du premier chœur des religieuses (p. 9 de la partition) où une phrase en tonalité usuelle majeure se superpose en contrepoint à la mélodie grégorienne de l'Ave maris stella. Cette mélodie grégorienne n'est pas chantée ; elle est jouée seulement par les basses de l'orchestre.
Cet effet de bitonalité, superposant le ton de mi bémol majeur au premier ton de ré (transposé en mi bémol) n'a rien d'agressif ; il contribue à donner l'impression mystique réclamée par l'action dramatique.
Autre exemple d'habile utilisation des richesses nouvelles du langage : les successions d'accords de quinte augmentée sont certes d'usage courant depuis Pelléas. Messager les emploie à son tour, mais seulement pour une intention expressive. Lorenzo, qui par son inconstance va faire souffrir Béatrice, vient de dire : « Un caprice d'un jour est faute bénigne... » Béatrice en est outrée :
Pour exprimer ce sentiment d'amour désespéré le compositeur recourt exceptionnellement à cette succession d'accords. De même, vers la fin de l'ouvrage (p. 244), quand Béatrice repentie est rentrée au couvent, elle dira : « Ah ! ne me touchez pas, je suis l'opprobre et la honte et le vice... » sur une succession d'accords de quinte augmentée. Il y a aussi à signaler à l'attention des musiciens l'emploi des gammes par tons entiers, notamment aux pages 162, 189, 203, 242, 244, qui ont pour rôle d'exprimer le trouble, le péché, la déchéance, la honte, le remords. Cette écriture est particulièrement remarquable à la page 203, parce qu'elle vient s'insérer dans la tarentelle que Béatrice, devenue la danseuse Ginevra, danse devant des matelots.
Quant à la discrétion et à la mesure dans la construction lyrique, elles sont caractéristiques dans toute la partition et, pour donner un exemple, à la fin du premier acte. Lorenzo n'ayant pu entraîner Béatrice par ses promesses d'amour humain, la fait arracher du couvent par deux de ses soldats. On imagine sans beaucoup de peine la chaleureuse page symphonique qu'un Massenet et ses admirateurs auraient placée à ce moment du drame, de quel élan ils auraient soulevé toutes les ressources orchestrales, et la belle phrase de violoncelle qui aurait accompagné le baisser du rideau. Voici ce que Messager écrit comme fin d'acte :
Rien de plus simple. La distinction naturelle a conseillé la discrétion. Quand on ouvre la partition de Béatrice, on est frappé d'ailleurs par sa disposition matérielle. C'est une partition toute blanche. A part quelques passages où l'orchestre s'échauffe, soit pour exprimer la passion de Lorenzo (ce ne sont pas les meilleurs), soit pour peindre la fureur des pêcheurs qui, dans la trattoria d'un port, convoitent Béatrice-Ginevra, il n'y a sous les mélodies que des harmonies très claires, souvent même une ligne de contrepoint. Les chœurs des religieuses, chantés par un nombre restreint de voix, sont très près de la musique liturgique. C'est seulement, vers la fin, quand la Vierge a repris sa place de statue sur l'autel et dit alors, miraculeusement, quelques mots pour consoler Béatrice, que des chœurs d'anges viennent renforcer les alleluias des religieuses.
Nous voilà donc très loin du style de l'opérette. Il est bien regrettable que, les deux fois où Messager a abordé des sujets comparables à ceux que l'on juge convenir à la musique sérieuse, il n'ait pas rencontré les encouragements qui l'auraient poussé à continuer dans cette voie. On ne peut pas dire que l'expérience faite ait été concluante pour le détourner d'un domaine moins frivole que celui où il a excellé. D'abord, avec le Chevalier d'Harmental, l'insignifiance du livret n'a pas attiré la masse du public et l'hostilité du directeur n'a pas permis de savoir si l'œuvre aurait trouvé des auditoires favorables. Pour ce qui est de Béatrice, la présentation à Monte-Carlo, puis celle de Paris, en pleine guerre, n'ont, pas réuni les publics de connaisseurs qui auraient signalé les mérites de l'œuvre. Elle était certainement digne de prendre rang dans le répertoire musical d'il y a trente ans. Il est vraisemblable qu'on ne l'entendra plus. Et pourtant, elle serait à sa place aussi bien à l'Opéra qu'à l'Opéra-Comique.
Il convient donc, à cette occasion, de bien marquer que Messager n'est pas resté confiné dans les théâtres d'opérette. Quatre de ses partitions ont été portées sur la scène de l'Opéra-Comique. Si l'on y ajoute Madame Chrysanthème, jouée au Théâtre-Lyrique, la part de son activité dans le domaine de la musique sérieuse ou de demi-caractère ne peut être considérée comme négligeable.
Il est d'ailleurs bien inutile d'essayer de changer l'opinion en cette matière. Pour les fabricants de manuels d'histoire de la musique, Messager restera un compositeur distingué de musique légère. L'étiquette est imprimée, on ne la corrigera pas. Il n'est pas bon pour la mémoire d'un artiste d'avoir été un inclassable. Le public, qui se nourrit de formules et redoute d'avoir à se faire par lui-même des jugements, ne permet pas à l'auteur de Véronique d'avoir écrit aussi Béatrice ; il préfère l'ignorer.
Revenons donc à l'opérette. Vers la fin de la guerre, au début de 1918, fut représentée à Londres, au Prince's Theater, une comédie musicale du genre romanesque, Monsieur Beaucaire. Sous cette première forme, elle avait eu un long succès qui s'était répercuté aux États-Unis. La pièce n'est venue en France qu'en 1925, le 20 novembre, dans une adaptation d'André Rivoire et Pierre Veber, sous la dénomination d'opérette « romantique », on aurait mieux traduit par « romanesque ».
Dans l'ensemble de l'œuvre de Messager, elle offre la particularité d'avoir été écrite pour satisfaire au goût anglais. Cette influence étrangère était rendue très sensible par la présentation que nous en avons connue au théâtre Marigny ; elle était de nature à lui nuire, en la poussant vers la mièvrerie. Sous prétexte que la pièce avait réussi à Londres, on y avait traité décors et costumes à la manière des chromos pour Christmas-cards. M. Baugé chantait les parties sentimentales comme de fades romances. Il les « sucrait » avec tant d'excès que cela devenait quelque peu indigeste. C'est dommage que l'œuvre n'ait pas été montée avec plus de fermeté dans le trait, car Beaucaire doit être « beau, noble, aimant et brave », vraiment autre chose que ce qu'on appelle au café-concert un « chanteur de charme ». Mlle Marcelle Denya, plus juste de ton, laissait très bien sentir que Lady Mary se gorgeait de sentimentalité pour en arriver à des réalités précises. La séduction par la mélodie, beaucoup d'oiseaux connaissent cela. Certes, il y a quelques personnages secondaires qui montrent plus de mordant que les deux protagonistes ; quelques couplets ont, de l'allant. Les imitations du style XVIIIe siècle sont faites avec assez d'adresse pour qu'on y distingue la manière anglaise de la nôtre. De toute façon, ce n'est jamais du travail bâclé. Cela n'empêche pas de regretter que Messager ait versé dans sa partition trop de si douces romances pour satisfaire les auditrices d'outre-Manche.
Le sujet l'y obligeait. On dira qu'il n'avait qu'à ne pas le prendre. Mais il répondrait aux rigoristes, et c'est encore une fois la leçon de sa carrière, qu'un musicien de théâtre fait très rarement ce qu'il préfère. On l'a déterminé à mettre en musique un roman romanesque d'un auteur américain qui, vers 1900, avait eu un très grand succès. Cela ne brille pas par le souci de l'exactitude historique. Un duc d'Orléans (on serait bien embarrassé de dire lequel) a été exilé par Louis XV en Angleterre. Il se cache à Bath, ville élégante, sous le déguisement d'un perruquier-barbier et le nom de M. Beaucaire. Cependant, il est devenu amoureux d'une grande dame, Lady Mary. Comme il tient aussi une sorte de tripot et qu'il y a surpris le duc de Winterset en train de tricher, il l'oblige, aux prix du secret, à le présenter à un bal où doit venir Lady Mary. Winterset s'exécute en affublant Beaucaire du nom de duc de Châteaurien, mais il se promet de se venger. Beaucaire et Mary se rencontrent. Pendant deux actes, se succèdent, avec quelque excès pour mon goût, — je sais que d'autres sont moins sévères, — romances, mélodies, menuet des roses, valse du rossignol, etc. Malgré quelques couplets spirituels de personnages ridicules et les duos ironiques d'un second couple qui fleurète avant de s'avouer touché, il me semble, mais c'est peut-être la faute de la présentation de Marigny, qu'il y a surabondance de tendresse et de douceurs. Après avoir été, au troisième acte, ramené de Châteaurien à Beaucaire et s'être battu deux fois en duel dans la coulisse, M. Beaucaire réapparaît dans toute sa gloire de duc d'Orléans, présenté par l'ambassadeur de France. Louis XV a pardonné. Lady Mary ira à Versailles et le public s'en va, comblé.
Les bons musiciens, s'ils sont austères, sont assez près de s'indigner de trop de complaisance au public ; mais, s'ils sont disposés à prendre leur plaisir où il se trouve, ils avouent que cette facile musique est bien agréable. Elle le serait même tout à fait dans un casino de ville d'eaux, un soir où l'on a l'impression que la vie est belle et qu'il ne faut pas la compliquer. C'est de la musique à entendre nonchalamment, comme on entend des valses de Johann Strauss à Vienne, des sérénades à Venise et des chansons à Naples. Et même, les indulgents de la musique peuvent se persuader qu'ils n'ont pas couru le risque de s'encanailler en si légère compagnie. Sous de banales amabilités, ils ont reconnu la main d'un maître, qui, s'il consent, par occasion, à colorier un roman anglais avec des couleurs d'aniline, sait être adroit, harmonieux et plaisant.
Pour son usage personnel, pour sa propre satisfaction et suivant les moments, Messager, sans confusion, classait les œuvres d'après leur grandeur et leur beauté, leur vulgarité ou leur bonne tenue ; il ne les jugeait pas du tout d'après leurs poids, d'après une prétendue noblesse hiérarchique des genres. Tout ce qu'on porte au théâtre, même à celui de la foire, l'amusait. Il ne s'est pas refusé à composer pour l'acteur Prince, plus célèbre encore sous le nom de Rigadin, un sketch, une pochade, presque une pitrerie, en un acte, qui a été jouée au Concert Mayol, en 1920. C'était une façon de remercier cet excellent acteur, qui savait garder de la finesse dans les plus grosses charges, d'avoir si bien incarné l'Agénor des Dragons de l'Impératrice. La bouffonnerie qui a pour titre : Cyprien ôte ta main de là, ne comportait pas beaucoup de musique, cinq numéros, y compris l'ouverture. Mais, là encore, Messager à montré que, s'il acceptait de participer à une extravagance, il était préservé par sa nature de tomber dans la grossièreté.
En 1919, Messager reprit pour une période qui ne fut pas bien longue, guère plus d'une année (septembre 1919-décembre 1920), la direction de la musique à l'Opéra-Comique qu'administraient alors Carré et les frères Isola. Il a monté, en ce temps, la Rôtisserie de la reine Pédauque, de Charles Levadé, où il y avait un bien beau décor de soleil levant. Et il a eu le plaisir de conduire Cosi fan tutte de Mozart. Il l'a fait dans un style qui a été apprécié de tous les connaisseurs, sauf, sans doute, de celui qui a, sans pudeur, mélangé ses propres compositions à celles de Mozart dans la pièce de M. Sacha Guitry qui porte ce nom comme titre. Pierre Lalo (Comœdia, 25 février 1929) écrivait à propos de l'interprétation de Cosi fan tutte :
André Messager y apporta un charme du sentiment, une souplesse de mouvement et de nuances, qui partout restituaient à la musique son animation heureuse, voluptueuse et lumineuse : dans l'illustre quintette, la manière dont les voix « entraient » sur le dessin des instruments, était un ravissement. C'est bien ainsi qu'il faut diriger Mozart, et qu'on ne le dirige jamais... Avoir été l'interprète accompli de Claude Debussy, de Wagner et de Mozart, n'est-ce pas de quoi suffire à la gloire d'un chef d'orchestre ?
J'ai encore à signaler pour cette époque, puisque j'ai essayé jusqu'ici de constituer un catalogue complet, la publication d'un album de chansons populaires alsaciennes, avec des illustrations en couleurs de Delaw, pour lesquelles Messager a composé des accompagnements gracieux et légers, sans recherche. Il avait pour principe que les chansons populaires doivent être accompagnées avec beaucoup de simplicité et de discrétion. On trouvera au Catalogue des œuvres les titres et les dates approximatives d'une douzaines de mélodies. Ce sont des esquisses rapides, comme en font les peintres pour s'entretenir la main ou noter une idée à développer plus tard. On regrette de ne pas les avoir entendues par de bons chanteurs, stylés et accompagnés par l'auteur. Elles réclament une interprétation soignée.
Le moment est venu d'interrompre l'examen des œuvres pour mettre en valeur un aspect de l'activité de Messager. Il n'était pas de ceux qui ne pensent qu'à leur propre carrière. Il a beaucoup travaillé pour les autres et soutenu les débutants, payant ainsi sa dette envers Saint-Saëns et Fauré.
Cet homme, que certains ont jugé égoïste, avait aussi, arrangez cela comme vous voudrez, le goût d'obliger ; pas seulement par une parole aussi vite oubliée que dite, mais par des démarches prolongées jusqu'à l'efficacité. Comme il ne s'en vantait pas, on ne peut pas en multiplier les preuves. Beaucoup le savent et, à l'occasion, veulent bien le dire.
Dès sa jeunesse, il s'était mis réellement au service de la musique. Sa curiosité de tout ce qui paraissait neuf le maintenait à l'affût ; de ce qu'il avait appris ou connu il faisait profiter les autres, tout naturellement, sans jamais pontifier, sans interposer sa personne là où il ne devait être qu'un intermédiaire, un interprète. Dans un salon, il rayonnait par l'esprit, la vivacité et la distinction. En particulier, dans le salon de Mme de Saint-Marceaux, bien souvent il était le centre. Mme Colette, qui l'y a rencontré quand elle y allait avec Willy, a rappelé dans son Journal à rebours son impression :
« Mes mercredis, expliquait Mme de Saint-Marceaux, accueillent des amis laborieux, fatigués d'une journée de travail, des voisins qui décident au dernier moment qu'ils quitteront le coin de leur feu pour venir s'asseoir au mien, des peintres attachés à leur négligé. J'ai mis vingt ans à leur ôter toute défiance, à les habituer au confort sans apprêt. Si Fauré, sortant en habit de chez ses duchesses, vient faire le beau chez moi, Messager, qui est la coquetterie même, se sentira humilié et fera sa tête de palikare triste. Non, non, pas de panachage. »
... De telles licences, discrètes, quasi familiales, nous plaisaient fort. Pourtant, nous nous sentions gouvernés par une hôtesse d'esprit et de parler prompts, intolérante au fond, le nez en bec, l'œil agile, qui bataillait pour la musique et s'en grisait.
Là, je vis entrer un soir la partition de Pelléas et Mélisande. Elle arriva dans les bras de Messager, et serrée sur son cœur, comme s'il l'avait volée. Il commença de la lire au piano, de la fredonner passionnément, d'une voix en zinc rouillé. Il s'arrêtait, reprenant : « Et ça ?... Et ça ?... » et pour chanter le rôle de Mélisande il fermait presque les yeux...
Souvent, côte à côte sur la banquette d'un des pianos, Gabriel Fauré et Messager improvisaient à quatre mains, en rivalisant de modulations brusquées, d'évasions hors du ton. Tous deux aimaient ce jeu, pendant lequel ils échangeaient des apostrophes de duellistes : « Pare celle-là... Et celle-là, tu l'attendais ?... Va toujours, je te repincerai... » Fauré, émir bistré, hochait sa huppe d'argent, souriait aux embûches et les redoublait. Le quadrille parodique de Chabrier, à quatre mains, où se donnaient rendez-vous les leitmotiv de la Tétralogie, sonnait souvent le couvre-feu...
(Dans ce portrait en mouvement, c'est seulement à la fin qu'il y a une inexactitude d'attribution :e quadrille de Chabrier a été bâti sur des motifs de Tristan ; celui qui plaisante autour de la Tétralogie est de Fauré et Messager.)
L'influence de Messager dans ses groupes d'amis, eux seuls auraient pu révéler ce qu'elle a été, si même, tant elle était discrète, ils en ont bien eu conscience. Elle s'exerçait par la conversation, par le charme, sans aucune pression. On la devine, on la sent, quelquefois elle est exprimée dans des lettres qui ont été publiées, celles de Fauré et de Debussy notamment. On la retrouve dans la façon dont bien des critiques ont parlé de ses œuvres ; on voit qu'ils veulent être gentils parce qu'ils ont été séduits. « Quel charmeur », disent encore ceux qui l'ont rencontré dans ses bons jours.
C'est seulement dans son action moins secrète, à la Société des Auteurs et Compositeurs, qu'on a pu apprécier son influence sur les artistes de son temps. Il avait naturellement fait partie de la Société, fondée par Beaumarchais pour défendre les intérêts des auteurs dramatiques, depuis qu'il avait débuté. En 1923, il en fut élu président. Jamais jusque-là la présidence n'avait été confiée un compositeur de musique. Il ne cachait pas qu'il en était très honoré, comme on doit l'être d'un témoignage d'estime donné sincèrement par des pairs. Si on avait ouvert avec lui ce précédent, c'est qu'il était vraiment un homme de théâtre, très informé des petites et grandes difficultés du métier, très instruit de tout ce qui touche au théâtre et sous toutes ses formes, avec ou sans musique, de la tragédie jusqu'au café-concert. Gabriel Fauré le marquait dans ses félicitations :
28 mai 1923.
Mon cher André,
Je suis heureux de ton élection à la présidence de la Société des auteurs et compositeurs ; étant donné que les premiers sont bien plus nombreux, que les seconds, il était assez naturel que les auteurs l'aient jusqu'ici emporté. Ton élection est d'autant plus significative : elle prouve ta situation artistique et morale ; c'est là ce qui réjouit ton vieil ami,
Gabriel Fauré.
P. S. — Pourquoi l'Opéra-Comique ne reprend-il pas Béatrice ? Suzanne Balguerie y serait épatante.
Dans une Société où il s'agit d'affaires, d'affaires au sujet de l'art, les « poètes » et « musiciens » de la chanson ne sont pas les membres les moins intéressés à toucher leurs « droits ». La considération ne s'y mesure pas à la valeur artistique des œuvres ; elle ne tient pas grand compte de la fameuse hiérarchie des genres, mais du chiffre des recettes qui, elles, établissent un critérium incontestable. La difficulté est de ne jamais, ou pas trop sacrifier l'art au commerce.
Messager s'est dévoué à la tâche qu'on lui avait confiée. Il y a fait reconnaître ses qualités d'activité, de clarté et de décision prompte. Il y a montré aussi, dit-on, son humeur irritable. Mais au total, on n'a pas eu à se plaindre du « Président Messager »... L'union de ces deux mots produit sur moi un effet d'étrangeté. Ne l'ayant pas connu dans ses fonctions, ayant au contraire assisté à quelques bourrasques que l'on ne voyait pas venir, dont on n'avait pas le temps de se garer, qui éclataient sans cause, mais pas sans violence, une violence à froid, plus semblable à un coup de grêle qu'à une tempête, j'ai peine à imaginer qu'il pouvait garder, sauf exceptions, bien entendu, l'impartialité, la maîtrise de soi, la patience qui sont nécessaires à toute présidence. Le fait qu'il ait réussi à la satisfaction de ses administrés, et la preuve en est qu'il a été plusieurs fois réélu, donne à penser qu'il y avait chez lui des qualités d'intelligence, c'est-à-dire de compréhension, d'organisation, de tact, qu'on ne décelait pas quand on s'arrêtait aux manifestations superficielles de son esprit primesautier ; mais on aurait bien pu les pressentir parce qu'elles sont dans sa musique. C'est pour cela qu'il faut, dans une esquisse sur l'homme et l'œuvre, accorder quelque attention à son activité organisatrice, administrative. Elle explique certaines caractéristiques de son art.
Celte présidence de la Société, venant après la direction de l'Opéra, avait fait de Messager un homme représentatif, une autorité en matière musicale. On a eu recours à lui pour des missions officielles. Il est allé à ce titre à l'étranger, et au moins une fois avec le président Edouard Herriot, dont, le savoir sur l'art et la vie de Beethoven l'avait réellement impressionné.
Cette autorité reconnue lui a valu de grands honneurs : l'Institut et le grade de commandeur dans la Légion d'honneur. Il est élu membre de l'Institut le 8 mai 1926. Il est promu commandeur le 7 septembre 1927. Il reçoit ces distinctions, comme il faut le faire, avec plaisir et sans vanité. C'est la chance, le hasard, a-t-il dû dire ; il a certainement pensé : pourquoi moi avant tels autres ? C'est que la justice des hommes, surtout celle des hommes politiques, est très imparfaite. Elle distingue les uns parce que des circonstances les mettent, au bon moment, en lumière, qu'ils aient ou non manœuvré pour s'y placer ; elle ne voit, pas ceux qui sont restés dans l'ombre. Elle n'est pas bon juge des mérites et du degré des mérites. Messager à l'Institut et non pas d'Indy, c'est qu'aux yeux des peintres, sculpteurs, graveurs et architectes de l'Académie des Beaux-Arts, l'Opéra compte plus que la Schola. Mais la postérité refait le classement des Immortels. Elle le recommence même souvent. En ces matières, rien n'est définitif. Il n'y a pas d'immortalité garantie.
Il convient de noter, pour la vraie réputation de Messager, que les distinctions honorifiques ne l'ont pas troublé et qu'il n'en a pas fait. étalage. Le jour où il m'a dit qu'il désirait reposer au cimetière de Passy, « près de ses amis Fauré et Debussy », il a précisé qu'il fallait seulement écrire sur sa tombe : compositeur de musique. Rien d'autre pour lui ne comptait.
Les charges et les honneurs ne l'ont pas empêché de donner, comme autrefois, son aide bienveillante à de jeunes confrères. Il venait d'être nommé président de la Société des auteurs, quand il eut l'occasion de manifester son dévouement à des musiciens qui, à cette date de 1924, étaient encore dans la période de leurs débuts. On devait jouer à Monte-Carlo trois ballets, les Biches de Poulenc, le Train bleu de Darius Milhaud, les Fâcheux d'Auric ; à la suite de je ne sais quelle défaillance de chef d'orchestre, le spectacle fut sur le point d'être annulé. On eut heureusement l'idée de s'adresser à Messager en remplacement. Ce rôle de doublure aurait pu vexer un vaniteux susceptible. Il répondit par télégramme : « J'arrive. » Et lorsque ces trois œuvres qui étaient inscrites au programme des ballets russes furent transportées à Paris, c'est encore lui qui les conduisit. Ces traits de gentillesse rachètent bien des coups de mauvaise humeur et des mots un peu trop mordants qu'il ne lançait pas par méchanceté, simplement parce qu'il n'avait pas eu le temps de les retenir. Il n'a jamais été ni bénisseur ni peloteur.
Au service de la musique il n'a pas mis seulement sa baguette de chef d'orchestre, mais aussi la plume de l'écrivain, du critique et parfois du polémiste. Ce qu'il a ainsi publié, feuille à feuille, n'est pas très abondant, mais n'est pas non plus sans importance. On y trouve surtout des jugements sur des œuvres et des questions contemporaines. Par là on peut se faire une idée de ses opinions et de ses préférences. Naturellement on n'y découvrira pas beaucoup des boutades qu'il laissait échapper imprudemment quand il se croyait parmi des amis discrets. Nous n'avons là que des jugements écrits, beaucoup moins amusants que ses mots. Les pointes ont été limées, la plupart, sinon toutes. C'est même souvent bienveillant et il faut lire entre les lignes. On n'en saurait tirer un corps de doctrine. Il était d'ailleurs bien trop sensible et curieux pour avoir rien d'un doctrinaire. Quelque opposition avec un de ses jugements antérieurs ne l'aurait pas arrêté. Et il s'est montré, même quand il eut accepté d'être le critique musical du Gaulois, puis du Figaro, trop irrégulier pour qu'on puisse tirer aucune conclusion de ses silences sur des ouvrages qu'il avait sûrement appréciés et même applaudis. Mais, comme il a commencé à écrire des articles assez tôt, avant 1902, je crois, il y a, dans ces papiers, des éléments d'information utilisables pour compléter son portrait.
Tout naturellement, Messager loue chez ses confrères les qualités qui caractérisent ses propres ouvrages. En répandant le blâme ou l'éloge, il se définit lui-même. Ce qu'il exige, jusque dans une opérette pour Ba-ta-clan ou l'Apollo, c'est le respect du métier. A ceux qui, au delà du commerce théâtral, prétendent produire œuvre d'art, il demande la propreté de l'écriture et de ne pas tomber dans la vulgarité ou le quasi-plagiat. Parfois même, il le réclame avec sévérité. Voici, en exemples, quelques extraits. (Je supprime les noms des compositeurs ; inutile de contrister, une fois de plus, des musiciens à qui le public a accordé ce vrai pardon qu'est l'oubli.)
M. C. n'a pas été avare de sa musique ; il en a mis beaucoup ; et cela ne paraît pas lui avoir coûté énormément, ne s'étant pas attardé à faire un choix parmi les motifs qui lui passaient par la tête. M. C. a produit déjà un certain nombre de partitions où l'on pouvait trouver, malgré l'absence de culture première, des qualités de grâce et de fraîcheur très appréciables. Il semble qu'en avançant dans la carrière il n'ait acquis que l'expérience des autres. Chez lui, la mémoire joue le rôle prépondérant et nous avons assisté à un défilé de fox-trots, tangos, shimmies que les orchestres de restaurants et de dancings déversent sur la tête des consommateurs depuis longtemps.
Ses sévérités, quand il s'agit de la bonne tenue artistique, n'épargnent pas ses amis :
M. F. a certainement le don du théâtre et, par là, je n'entends pas seulement la connaissance d'un certain nombre de formules applicables aux différentes situations musicales ; il a le sens du drame ; sa musique a de la vie, du mouvement, qualités qui n'excluent pas le charme et la grâce... Pourquoi faut-il constater... un relâchement du style et un laisser-aller qui le conduisent parfois à la vulgarité ? M. F. a des idées, beaucoup d'idées, trop peut-être, car dans sa hâte à les exprimer il ne sait plus toujours très bien distinguer les siennes propres de celles des autres.
A propos d'une opérette dont le livret est gai et médiocre, il écrit :
M. F. [ce n'est pas le même] a tenu à mettre sa musique au ton de la pièce, mais il est tombé quelquefois dans la vulgarité qu'ont su éviter ses collaborateurs... Il est évidemment préoccupé de se conformer au goût du jour, en accumulant tangos, one ou two steps, shimmies et autres danses américaines ; on ne le sent vraiment à son aise que quand, sa nature reprenant le dessus, il se borne à être français. Que M. F. ne se laisse pas aller à sa facilité naturelle ; qu'il n'oublie pas que l'opérette comporte un souci d'écriture dont l'absence la fait tomber au niveau du bas café-concert.
Dans ce que Messager considère comme un beau métier pour la musique de théâtre, il fait la plus grande place à l'orchestration. Il ne manque jamais de la louer ou de la blâmer. Il dit, par exemple, que dans Sylvia de Delibes elles est « sobre, variée, sonore », que dans la Péri de Dukas elle est « d'un éclat incomparable », que celle des Goyescas de Granados est « lourde et pâteuse », que « dans la longue scène qui constitue tout le troisième acte la voix lutte avec peine contre les sonorités d'un orchestre dont toutes les parties sont employées sans arrêt ». Il loue l'orchestration « très personnelle, discrète et sonore » de la Rôtisserie de la reine Pédauque de Ch. Levadé, ainsi que « l'orchestration excellente, d'une belle sonorité, très homogène » des Noces corinthiennes de M. Büsser, « l'orchestration savoureuse » d'Isabelle et Pantalon de M. Roland Manuel. Il goûte fort « l'instrumentation d'une richesse et d'une variété incomparables » de Pétrouchka de Stravinsky et beaucoup moins celle de Mavra : « La partition, dit-il, est écrite pour un orchestre réduit, ce qui n'empêche pas qu'il soit bruyant et couvre souvent les voix. Une exécution plus discrète serait à souhaiter. » Il a pris grand plaisir au ballet de Pierné, Cydalise et le chèvre-pied : « Partition pleine de rythme, de franchise et de distinction... emploi judicieux et charmant des rythmes impairs et, d'un bout à l'autre, une sûreté dans le choix des timbres orchestraux tout à fait rare. » Au contraire, dans la Fille de Roland, de M. H. Rabaud, « l'orchestre toujours intéressant est quelquefois un peu touffu et les voix sont, par moment, comme enfouies dans une instrumentation plus compacte que sonore ». Dans l'article étonnamment bienveillant sur la Ciboulette de R. Hahn, il se sent cependant obligé de signaler « une orchestration un peu creuse et qui n'arrive pas toujours à l'oreille avec une plénitude suffisante ». « L'orchestre de Bruneau pour le Jardin du Paradis « manque d'air » ; d'où un sentiment d'oppression et de fatigue dû à une abondance de musique s'efforçant de rester toujours agréable et devenant ainsi rapidement monotone et sans accents. »
Bien qu'il ait écrit, un jour, qu'il n'était pas scandalisé de l'utilisation de certaines œuvres de Chopin comme musique de ballet, Messager n'était guère partisan des arrangements pour l'orchestre d'œuvres de piano. Quand on a monté des danses sur la Petite Suite de Debussy, il a estimé que « ces quatre morceaux, composés pour le piano à quatre mains, sont d'une qualité ordinaire. C'est peut-être la seule œuvre de l'auteur de Pelléas où se manifeste nettement l'influence de son maître Guiraud avec quelque mélange de la grâce un peu fade de Massenet. Double raison pour la laisser à l'état de récréation pour les jeunes pianistes et ne pas l'exposer au feu cru de la rampe ». Il prend vigoureusement parti contre l'abus de ces arrangements :
Dans un récent article de critique musicale, M. Florent Schmitt écrivait : « Un temps viendra sans doute où l'on pourra entendre à l'orchestre tous les chefs-d’œuvre écrits primitivement pour le piano. Voici, si je ne me trompe, dit-il, une opinion assez paradoxale et dont la réalisation donnerait des résultats plutôt douteux. Que de certaines œuvres de piano puissent se prêter à une transcription orchestrale, d'accord ; mais faire de cette exception une règle générale est peut-être excessif ! Dans le cas présent (le ballet : le Petit Elfe ferme l'œil), la suite de Schmitt a-t-elle gagné à cette transposition ? C'est une question que je n'oserais résoudre par l'affirmative. On souhaiterait souvent la discrétion du piano devant le déchaînement de sonorité qui accompagne celle action toute menue et on a nettement l'impression d'un déséquilibre perpétuel entre la scène et l'orchestre. Pourquoi tout ce bruit ?
Après la claire orchestration, Messager tient beaucoup à la juste et souple déclamation. A propos des Noces corinthiennes de M. Büsser, il remarque combien « les alexandrins alourdissent la déclamation musicale et renferment déjà en eux une musique à laquelle la notation ne peut rien ajouter ». A l'occasion d'une représentation des Maîtres chanteurs, il en attribue la médiocrité, pour une part, à « l'idée de conserver une mesure métronomique et rigoureuse... Certes, il est bon, il est nécessaire que les chanteurs observent la mesure, mais une certaine élasticité est aussi nécessaire et rien n'est plus opposé à l'expression que ce fanatisme de la barre de mesure qui détruit toute souplesse et transforme la phrase musicale en leçon de solfège ».
A mesure que j'avance dans l'analyse de l'œuvre critique de Messager, je m'aperçois qu'elle est bien plus instructive que je n'avais vu à première lecture. Dans l'impossibilité de tout retenir — ce qui sera fait, je pense, dans un ouvrage que prépare mon cousin Jean Messager — je voudrais encore tirer de cet ensemble d'articles quelques opinions sur diverses questions.
Sur l'opérette, en général. — M. Mariotte, l'auteur d'une Salomé sur le poème d'Oscar Wilde, est aussi celui d'une opérette Léontine sœurs. Ce fut un insuccès, Messager le dit, en toute franchise et explique pourquoi :
Lorsqu'un compositeur de la valeur de M. Mariotte se décide à tenter la chance d'une œuvre de musique légère, ça ne peut être sans en avoir pesé tous les risques et mesuré toutes les difficultés. C'est, en tout cas, une preuve qu'il considère qu'il n'y a pas d'art inférieur, que les œuvres dites sérieuses ne sont pas toujours les mieux pensées, les mieux écrites et les plus dignes d'admiration et que le talent ne se mesure pas au poids. Il est, du reste, curieux de constater, dans le tourbillon qui entraîne la musique actuelle à la recherche d'une formule nouvelle, l'attraction exercée par la fantaisie musicale sous la forme de comédies gaies et allant jusqu’a la bouffonnerie la plus truculente, sur des compositeurs aussi opposés de tendances qu'un Vincent d'Indy, dont l'opérette déjà annoncée attend la bonne volonté d'un directeur audacieux ou qu'un Darius Milhaud dont le Train bleu, nouvelle formule d'opérette dansée, va être prochainement représentée par les soins de M. de Diaghilev. C'est aussi le cas de M. Mariotte. Malheureusement la musique ne va pas seule au théâtre ; pour l’accompagner il faut un livret... et c'est ce qui fait défaut dans Léontine sœurs. M. Acremant est un homme de talent, M. Mariotte aussi, mais ils se sont trompés tous les deux, le premier en pensant qu'il suffisait de présenter un roi gâteux, des ministres ridicules, un Espagnol et un Yankee grotesques pour remplir trois actes ; le second en confondant le laisser-aller avec la fantaisie et la gaîté. Je n'insiste pas. Ce n'est qu'une revanche à prendre et je suis sûr qu'ils la prendront très vite.
Sur l'importance du livret. — Ici Messager a une expérience personnelle acquise par la pratique ; il sait comment un succès échappe à un bon musicien par la faute des librettistes. Aux Goyescas de Granados il reproche de n'avoir été ni pensées ni conçues pour la scène. Il explique que Sylvia n'a pas eu le succès de Coppelia parce que « Delibes a prodigué des dons merveilleux sur un scénario d'une telle niaiserie ! ». Il fait connaître que le scénario d'Artémis troublée de Paul Paray a été construit après coup sur la musique d'un poème symphonique, ce qui explique le manque de cohésion très sensible entre les deux éléments, musical et poétique. « Manifestement, la musique s'accorde mal avec le poème scénique ; je ne citerai comme exemple que la scène où Artémis exprime sa douleur sur un rythme vif et sautillant, ce qui est une façon plutôt inusitée, même dans un ballet. » Il proteste avec verve contre « l'idée incroyable d'avoir (au théâtre des Champs-Élysées) réglé un ballet intitulé Nuit andalouse sur la musique de l'Arlésienne, de Bizet. On se demande quelle imagination dévoyée a pu rêver de faire une entrée de danseuses andalouses sur la Marche de Turenne ! Une adaptation de ce genre, inadmissible en tout cas, ne peut s'opérer qu'en altérant même les mouvements, et, ce qui est encore plus grave, on a cru bon de corser l'orchestration et de la renforcer d'un tambour ; il n'a que faire dans la farandole transformée en une sorte de bacchanale hispano-russe, ce qui constitue un assez singulier mélange. »
Sur ses préférences et antipathies musicales. — Les articles de journaux ne nous révèlent que des indications incomplètes sur les goûts de Messager. En tout cas, il lui eût été bien impossible de les réunir sous le titre « Mes haines », comme le fit Zola. Il ne savait pas haïr, étant bien trop curieux pour cela. Les articles plus développés, parus dans la Grande Revue principalement, ne suffisent même pas encore à nous bien montrer ce que furent ses tendances et ses choix parce que ces écrits d'actualité n'ont rien de méthodique. Ainsi il n'a jamais eu l'occasion d'écrire sur Bach, Beethoven, Rameau, Chopin, Liszt, et presque pas sur Chabrier et Debussy, dont il mettait le plus souvent les partitions sur le pupitre de son piano. On ne peut donc trouver dans ce qu'il a publié que quelques traits pour éclairer sa physionomie.
Tout d'abord, comme il est naturel, il s'est servi de sa plume pour rendre un hommage de fidélité et de reconnaissance à ses maîtres, Saint-Saëns, Fauré, Gigout. Il n'a eu à parler de Saint-Saëns qu'à propos d'une représentation d'Hélène, poème lyrique en un acte, à Monte-Carlo. Il l'a fait avec une franchise, une liberté qui donne une haute idée de ses relations avec son maître. Voici la conclusion :
La première partie de l'ouvrage manque un peu de chaleur et d'émotion, la mise en œuvre semble pénible et l'on ne sent guère qu'une belle facture où l'esprit et la réflexion dominent le sentiment ; mais toute la seconde partie peut être rangée parmi les plus belles pages qu'ait écrites l'illustre Maître. Et que dire de l'instrumentation qui n'ait été dit cent fois à propos de ses œuvres antérieures ? Personne ne sait mieux que Saint-Saëns faire parler l'orchestre. On se demande ce qu'il faut le plus admirer, de la constante nouveauté de ses sonorités ou de la simplicité des moyens par lesquels il les exprime. On peut être certain de rencontrer dans chacune de ses œuvres quelque nouvel effet : je citerai dans Hélène l'emploi de la musique d'harmonie sur la scène, dans le lointain, pendant l'apparition de Pallas, ainsi que celui de la clarinette contrebasse dont les sonorités sont à ta fois si solides et si douces.
Au sujet de Fauré il a pu écrire d'un autre style. Ce fut d'abord à l'occasion de l'inoubliable manifestation, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, en présence du Président de la République :
Cette manifestation est un fait unique dans l'histoire de la musique française et s'adresse à un musicien unique aussi et qui s'avère le plus grand et le plus génial de notre époque. Il est doux de songer que, dans les temps troublés que nous traversons, la pensée de nombreux admirateurs s'est tournée vers ce grand artiste et qu'ils ont estimé l'heure venue de célébrer sa gloire et de marquer d'une apothéose le sommet de cette magnifique carrière. Ce sera, en même temps qu'un éclatant hommage, une réparation des déboires éprouvés au début de sa carrière par un maître resté longtemps presque inconnu au public. (Messager rappelle ici que lorsqu’on demandait les Berceaux de Fauré, l'employé de magasin répondait : Nous n'avons pas ça. Monsieur veut dire sans doute les Rameaux de Faure.)
Toute la première partie de sa carrière ne fut qu'une longue patience aidée par une ferme volonté de ne pas se détourner de sa voie. On a souvent dit de Fauré qu'il n'était pas l'homme des grandes œuvres. En dehors de ses compositions de musique de chambre, dont l'importance est considérable, pouvons-nous oublier qu'il écrivit la Naissance de Vénus, Prométhée, Pénélope et cet admirable Requiem, où il a épanché foulé la sensibilité et toute l'émotion de son grand cœur d'artiste ? J'estime, au contraire, qu'il est grand dommage qu'il n'ait pas pu réaliser plus tôt ses projets de composition dramatique, car je sais, par les nombreuses conversations que nous avons eues à ce sujet, à quel point il était attiré autrefois par la scène. Et qui sait s'il ne nous donnera pas une nouvelle Pénélope ? Le temps passe sans effleurer son magnifique cerveau...
Un peu plus de deux ans après, Messager devait écrire son adieu à son fidèle ami. Il le fit avec une grande émotion.
Il eut de même à apporter à son vieux maître Gigout son « témoignage d'admiration, de respect, de reconnaissance et d'affection » : « Il était, disait-il, un exécutant de premier ordre et, surtout, un improvisateur incomparable. Quand vous voudrez entendre improviser, me disait Saint-Saëns, allez à Saint-Augustin écouter Gigout. Il ne se servait pas de thèmes préparés, il commentait rarement les motifs du plain-chant ; l'improvisation jaillissait chez lui spontanée, naturelle, revêtant tout de suite une forme solide, d'une construction impeccable. Sous ses doigts les dessins s'entrelaçaient sans effort apparent, il se jouait des contrepoints les plus subtils et, sans négliger la fantaisie permise, il savait garder à sa pensée la dignité et la noblesse qu'impose le style religieux. »
Bien que d'Indy ait été pour lui un ami de jeunesse et un aîné, Messager n'a pas hésité, quand il a eu à juger ses œuvres, à en montrer le fort et le faible. L'Étranger est une « œuvre très noble, très élevée, très touchante dans la seconde partie où d'Indy a réalisé ce miracle d'arriver à l'émotion rien que par des sonorités orchestrales. Mais à côté de la richesse de l'instrumentation, il note aussi « une certaine sécheresse d'exécution qu'il aurait fallu d'autant plus chercher à éviter que la musique manque un peu d'expansion et sent trop la volonté au détriment du sentiment ». De la seconde Symphonie, il dira ce qu'il pense avec la même franchise. Après avoir rappelé l'activité de d'Indy dans l'enseignement et l'édition et, malgré cela, dans la composition, « merveilleux exemple pour tous ceux qui attendent des années avant d'être en train ! », il conclut : « Œuvre haute, très réfléchie, où, au premier abord, la raison me paraît tenir plus de place que l'émotion, où les idées m'ont semblé souvent tronquées, où les harmonies sont parfois inutilement dures, résultat quelquefois de la superposition de thèmes peu faits pour aller ensemble, mais aussi où de belles et grandes qualités se font jour et qui est, en tout cas, digne de Vincent d'Indy et lui fait le plus grand honneur. »
Je voudrais encore noter quelques formules qui, se rapportant à des musiciens connus de tous, permettront au lecteur de juger les jugements de Messager : sur Chabrier, « cet étonnant inventeur si peu fait pour le drame lyrique où il a laissé sa santé et sa raison, dont nous attendions, après le Roi malgré lui, quelques chefs-d’œuvre de musique légère que la mort ne lui a pas laissé le temps d'écrire » ; sur Ernest Chausson (à propos du Roi Arthus) : « un des espoirs les plus sérieux de la jeune école française... Ce n'est pas qu'il n'y ait bien des inégalités dans cet ouvrage, tant dans le poème, dont un acte n'est guère qu'une copie du second acte de Tristan, que dans la musique souvent tourmentée et où le manque de tonalité précise jette l'inquiétude dans l'esprit de l'auditeur qui a peine à suivre la trame d'un dessin mélodique souvent trop vague. Mais de l'ensemble se dégage un sentiment si élevé, une conviction si ferme, un tel respect de l'art, et de soi-même que tous les défauts disparaissent et que l'on emporte l'impression d'une œuvre de haute valeur, remplie de conviction et d'émotion » ; sur Puccini et les véristes italiens : « La musique est faite pour exprimer les états d'âme et non pour souligner ou illustrer des épisodes dramatiques ; c'est en cela que l'école Vériste fait fausse route, et ceux qui en font partie peuvent être certains que leur œuvre ne vivra pas et qu'ils ne pourront même trouver le succès que par hasard, comme la Cavalleria rusticana en a été le plus frappant exemple. Que M. Puccini ne s'attarde pas à de semblables sujets (la Tosca) qui ne vont pas à sa nature et qu'il retourne bien vite à la poésie et au lyrisme qui l'ont déjà si bien inspiré. »
De Massenet il a parlé avec justice, ne niant pas ses qualités, évidentes pour un homme de théâtre tel que lui, mais montrant aussi quelques-unes de ses insuffisances. Ce fut à propos d'une reprise de Grisélidis :
Ouvrage certainement un des moins intéressants qui soient sortis de la plume, souvent trop facile, de Massenet, mais il est possible qu'il y ait encore un public pour ses mélodies un peu fades où la recherche de l'effet est si évidente qu'elle n'atteint que rarement le but et où les effets vocaux finissent, en raison de l'abus qu'en fait le compositeur, par passer inaperçus... Que pénible est la fantaisie des rôles du Diable et de sa femme Fiamina ! Massenet n'a jamais pu être héroïque ni comique... Il s'essoufflait à vouloir emboucher la trompette du Cid et l'on ne trouve pas trace dans sa musique de l'esprit qu'il prodiguait dans sa conversation. Et il avait une prédilection pour les parties comiques de ses ouvrages ! On voit dans Grisélidis à quel point il se trompait. Ce Diable et cette Diablesse sont, tout simplement, ennuyeux.
(A propos de cet article, Messager reçut ce billet de Fauré : « Mon cher André, j'applaudis de plus en plus à tes excellents et courageux articles. Tu oses dire que Grisélidis ne vaut pas cher, que c'est là un des nombreux laissés-pour-compte de Massenet. Tu fais très bien. C'est, Dieu merci, assez de Manon et de l'éternel Werther ! Mille amitiés de ton vieux Gabriel Fauré. »)
En ce qui concerne Ravel, il me semble qu'il a été trop modéré dans ses éloges. Cela tient sans doute au fait qu'il n'avait pas beaucoup aimé les pièces de piano de Gaspard de la Nuit, peut-être aux froissements entre Debussy et Ravel sur des prétentions d'antériorité de style et de procédés que les amis de l'un et de l'autre ont sottement envenimés ; sans doute, enfin, aux premières présentations de l'Enfant et les sortilèges. Il a bien senti ce qu'il y a d'émotion et de lyrisme dans la seconde partie de cet ouvrage, mais il ne l'a pas dit avec assez de force :
On peut concevoir tout ce que ce sujet [de Colette], si éloigné de la banalité des livrets, pouvait offrir de matière musicale à un compositeur séduit par la fantaisie, la variété, la poésie qui s'en dégagent. Mais il fallait aussi réaliser la sensibilité et l'émotion dont il est rempli. Or ce sont deux sentiments que Ravel paraît avoir, de propos délibéré, banni de sa musique. Il semble n'avoir retenu que la possibilité de faire ressortir cette virtuosité dans l'orchestre qui paraît être l'objet principal de ses recherches. Virtuose, il l'est comme pas un. Nul n'excelle comme lui dans l'association des timbres, l'accouplement de sonorités inattendues, l'emploi des ressources exceptionnelles des instruments, les combinaisons harmoniques les plus paradoxales. Mais ne lui demandez pas d'émotion, encore moins d'attendrissement, il se refuse à ce qu'il considère comme une concession à la sentimentalité bourgeoise... Je dois, toutefois, mettre à part le chant de la fée dans la première partie et le chœur final où la musique prend plus d'importance et se développe dans une atmosphère de calme reposant.
Quant parut l'admirable Padmâvati, d'Albert Roussel, il comprit tout de suite qu'on se trouvait « en présence d'une œuvre considérable, œuvre fortement conçue, longuement méditée, l'une des plus intéressantes que la scène lyrique nous ait données depuis plusieurs années... Une œuvre de M. Albert Roussel attire toujours la curiosité et l'attention : les Évocations, le Festin de l'Araignée, entre autres ouvrages, l'ont déjà classé parmi les compositeurs les plus en vue. Rien de ce qu'il produit ne peut être indifférent. On peut faire des réserves sur les tendances et le style de sa musique, mais on ne peut dénier ses facultés d'invention et la maîtrise de son exécution. Son harmonisation n'est pas souvent conforme à l'enseignement scolastique et notre oreille peut être maintes fois choquée par des duretés pénibles ; mais il ne faut pas oublier que nous nous sommes habitués à des agrégations de sonorités qui passaient pour inacceptables il n'y a pas encore bien longtemps et que l'avenir nous ménage probablement encore bien d'autres surprises en musique. Pour moi, la qualité primordiale de M. Roussel, celle qui emporte tout le reste, c'est de posséder le mouvement et le rythme, à défaut de quoi la musique n'est qu'un corps sans ossature. Il sait donner à ses idées un développement logique et large dans toute la liberté de sa fantaisie, et par son habileté et une science parfaite des sonorités, sauver ce que ses superpositions harmoniques peuvent avoir de rébarbatif. Il se dégage de l'ensemble une impression de force et, en même temps, de souplesse dans l'expression qui me semble être très caractéristique de la personnalité de M. Roussel. »
Sur la jeune école excentrique. — On voit que, pour un artiste qui avait fait ses classes sous le Second Empire, Messager, vers 1923, n'était pas devenu ce qu'on appelle un « croûton ». Il suivait bien l'évolution musicale et ne se scandalisait pas des nouveautés. Mais comme il n'était pas du tout un snob et n'avait pas le goût de faire constater sa présence sur le dernier bateau, il résistait à ce qui lui paraissait saugrenu. On est devenu aujourd'hui très indulgent pour les débuts de ce qu'on a appelé « les Six » ou « l'École d'Arcueil ». On a jugé les membres de cette « École » sur ce qu'ils ont donné de bon, on a rejeté des sottises qui étaient assez agressives et on a mis à leur rang les musiciens de tendances diverses qui s'étaient provisoirement assemblés autour d'Erik Satie et de M. Cocteau. On leur a pardonné les procédés de publicité agaçante et ridicule qu'ils ont utilisés pour arriver au succès dès leur plus jeune âge. Sur le moment même, le devoir de la critique était d'être plus sévère que nous ne le sommes. Messager a refusé de prendre au sérieux la part de fumisterie, non seulement dans la littérature, mais dans la musique d'Erik Satie et de quelques-uns de ses admirateurs. Il l'a fait avec quelque sévérité, une juste sévérité, parce qu'il est inconvenant et dangereux de se moquer du public. Quand on a réussi à le rouler, il est très difficile de le dérouler pour le remettre dans le bon sens, celui où il accueille avec bonne volonté les œuvres neuves. Les musiciens ont mieux à faire que de s'associer aux plaisanteries lourdes et sans gaîté d'un Picabia. A propos d'un spectacle comprenant un ballet « instantanéiste » et un film, sous le titre Relâche, pour lequel Erik Satie avait écrit la musique, Messager a marqué qu'il n'était pas dupe de ces farces d'atelier.
Le but, c'est d'effaroucher, disons le mot : « d'épater » le public, de l'amener par des moyens quelconques à l'exaspération qui occasionne les protestations dans la salle, et bâtir là-dessus une sorte de succès... Je reconnais un certain courage à M. Erik Satie d'avoir écrit sur ce scénario de la musique à laquelle personne ne prête la moindre attention. Il arrive de temps à autre aux oreilles quelques bribes de thèmes populaires que M. Satie qualifie d'évocation et qui n'évoquent rien du tout. Ce sont, tout bonnement, de braves motifs de chansons qui ne sont pas spécialement désignés plutôt que d'autres pour accompagner ce qui se passe sur le théâtre et qui ne m'ont paru frapper personne. Le reste se passe presque exclusivement entre les musiciens de la batterie, grosse caisse et tambour qui font preuve d'une endurance remarquable, mais n'ont pas réussi à exaspérer les auditeurs, comme on l'espérait. Soirée bien terne, en résumé, et comme toutes ces farces sont démodées !
Ce dédain à l'égard des fumisteries n'empêchait pas Messager d'apercevoir ce qu'il y avait d'intéressant dans les nouveautés, quand elles avaient le caractère de recherches sincères. Il faisait ses réserves et ne refusait pas des encouragements. Voici, par exemple, comment il avait parlé de M. Honegger et de Mlle Germaine Tailleferre :
Les procédés sont toujours tellement les mêmes, l'orchestration toujours aussi peu consistante, le souci d'étonner est si manifeste et l'impression sur le public (bravos et sifflets toujours dosés de la même façon) si précisément la même chaque fois, qu'on n'éprouve pas le besoin d'aller jusqu'à la signature. Ce n'est pas la musique d'un compositeur, c'est la musique d'un groupe ; ça a l'air d'être fait en série.
Et pourtant il en est de bien doués parmi ces jeunes gens, et M. Honegger ainsi que Mlle Tailleferre nous en fournissent la preuve. Cette dernière, dont le Marchand d'oiseaux est l'œuvre la plus importante jusqu'à présent, possède une assez jolie nature musicale, de la sensibilité, de la grâce ; le début de son ballet, qui pastiche assez bien le style sinon la musique de J.-S. Bach, accuse une éducation musicale sérieuse. On sent que les excentricités harmoniques dont s'émaille de temps en temps sa partition n'ont rien de commun avec sa véritable nature qui est surtout de charme et de facilité, en prenant ce mot dans son sens le meilleur.
Cette attitude qui n'est pas toujours une acceptation de tout ce que hasardent les jeunes, mais qui reste par principe bienveillante, Messager la conservera jusqu'au bout. Dans une interview parue le 8 mars 1928, un an seulement avant sa mort, il dira encore :
... Nous vivons depuis soixante ans, sur les principes, sur les règles, sur les moyens d'expression créés par Beethoven et par Wagner, mais ils ont dépassé tous leurs adeptes ; ceux qui ont prétendu les continuer n'ont rien ajouté à ce que ces deux génies avaient trouvé. Les jeunes l'ont compris. Ils veulent prospecter un autre champ. Ils ont raison ; respectons leur tentative et leur effort. Ont-ils pris la bonne route ? Je n'en sais rien. Tout ne me plaît pas dans ce qu'ils nous présentent, mais qui m'assure que ce n'est pas moi qui me trompe ? De quel droit affirmerai-je que ceux-ci sont dans l'erreur ? En vertu de quels dogmes, de quelles règles ? On reproche aux jeunes de ne point se donner la peine d'étudier les règles, d'être pressés d'arriver, d'être avides d'argent : c'est possible ! Mais n'oublions pas ceci : Les règles ont été établies d'après les œuvres fameuses et non les œuvres fameuses d'après les règles. Celles-ci ne sont que le produit de l'empirisme. Mais les styles changent. Chaque époque crée le sien qui correspond à ses aspirations, à ses tendances, à ses nécessités. Le style précédent a fait son temps. Qui nous dit que les musiciens nouveaux ne sont pas en train de découvrir d'autres règles qui naîtront, elles aussi, de la comparaison faite avec leurs différents travaux ?... Peu m'importe que celui-ci écrive des pages « polytonales » et celui-là des pages « atonales ». Ce qu'il faut c'est qu'il soit sincère : s'il l'est, de quel droit brider ses aspirations, sa sensibilité, ses tendances ?... Nul n'a qualité pour décourager un effort ou pour arrêter le travail d'un artiste.
Fauré n'avait pas été aussi libéral ; plus exactement, il avait été plus effrayé que Messager par les nouvelles tendances. Il est assez étrange que le bruit qu'elles faisaient aient troublé le vieux Maître. C'est cependant un fait : le 21 août 1923, il écrivait à son ami, d'Annecy-le-Vieux : « ... J'y ai été très bien, sauf quelques petits accrocs de santé, mais je n'ai pas écrit une note de musique. Avec les Erik Satie et consorts, je n'ose plus. Et toi ? » Nous venons d'avoir la réponse de Messager. Il avait raison. Mais quel dommage que nous n'ayons pas eu quelques lignes de plus de Fauré parce que des jeunes gens pressés faisaient trop de tapage. Heureusement, sa mauvaise humeur n'avait été que passagère ; il ne s'est pas laissé décourager longtemps.
FRUCTUEUX
AUTOMNE
(1921-1929)
Pendant cette dernière période de huit années, s'il ne conduit plus l'orchestre que par exception, s'il ne dirige plus de théâtre, Messager, en dépit d'accidents de santé et, d'une grave opération, reste encore très actif pour lui et pour les autres. Il compose jusqu'à ses derniers jours. En huit ans, cinq comédies musicales et une musique de scène dont chacune, bien loin de laisser pressentir un affaiblissement dû à la septantaine prochaine ou dépassée, témoigne d'une expérience continûment croissante. Nous venons de voir que, pendant trois années de cette période, il remplit avec zèle les devoirs de la présidence à la Société des auteurs. Il succède à son ami Fauré comme critique musical au Figaro. Il est encore un homme qui vit de musique et qui lui est dévoué. A bien des gens il paraît un homme heureux. Pour les autres, on fait aisément figure d'homme heureux. Je ne veux pas dire qu'il ne l'était pas ; il surnageait au-dessus des misères et des ennuis. Mais il en avait sa part.
Depuis Béatrice en 1914 et Monsieur Beaucaire en 1918, pour Londres, Messager n'avait fait que diriger l'orchestre aux Matinées nationales de la Sorbonne et dans des tournées de propagande française à l'étranger. Il se remit à la composition pour une œuvre charmante et très curieuse qui marque un moment caractéristique dans la courbe ascendante de son art. Elle n'a pas eu la chance d'être bien comprise quand elle a paru. Mais, si vraiment le Conservatoire veut faire étudier le style qui convient à l'opérette, elle pourra servir de modèle et même être examinée de très près.
La Petite Fonctionnaire, dont il s'agit, était une comédie d'Alfred Capus. Personne, sauf Messager lui-même, n'aurait pensé qu'elle pouvait fournir un livret à un musicien. L'anecdote très simple, toute menue, se passe en province, « de nos jours ». Elle tourne autour d'une petite jeune fille, receveuse des postes dans un imaginaire Pressigny, sur les bords de la Loire. A première rencontre, la jeune fille a fort impressionné un vicomte du voisinage, qui n'est qu'un benêt. Elle-même s'en est éprise, sans doute parce qu'il est « bien de sa personne ». Mais le nigaud croit devoir faire un mariage qui réponde à « son haut lignage ». Dépitée, la petite délaissée accepte la protection d'un vieux beau qui lui donnera à Paris une vie luxueuse, sans contrepartie. Troisième acte, à Paris, dans un établissement de danses quelconque. Suzanne, tel est le nom de la petite fonctionnaire, y passe juste le temps de constater qu'elle ne s'y amuse pas et même qu'elle regrette le calme Pressigny. Le vicomte s'aperçoit qu'il a fait un mariage bête et qu'il aurait été plus heureux avec Suzanne. Pour je ne sais quel motif de théâtre cette chaîne est rompue, peut-être annulée. L'aventure se termine par promesse de mariage entre le vicomte et Suzanne. Rien de varié dans les situations, aucun pittoresque encore inconnu, pas de grande passion ni de grande souffrance, aucune intrigue, aucune surprise, rien de ce qu'il fallait pour exciter la muse d'un Puccini. Pendant deux actes, la scène est dans un petit pays où l'on n'a pas d'autre plaisir que de « regarder couler la Loire » et de papoter sur les voisins ; si le troisième acte conduit les principaux personnages à Paris, c'est pour qu'ils s'assurent qu'ils préfèrent leur joli clocher. Au pique-nique qui réunira l'auteur, l'adaptateur (Xavier Roux) et le musicien, c'est bien celui-ci qui devra fournir la plus grosse part et apporter la bonne bouteille.
Pourquoi a-t-il pensé que ce mince sujet lui convenait ? Parce qu'il était parvenu, après réflexions et expériences variées, à se faire une idée de la comédie musicale tout à fait personnelle. Il n'est certes pas le premier qui ait fait chanter des personnages contemporains portant les mêmes costumes que les spectateurs. Il y avait eu, entre plusieurs autres, Joséphine vendue par ses sœurs et Louise qui serait bien une opérette par le style, sans le volume et les prétentions qui la font appeler un drame lyrique. Mais personne n'avait encore pensé que le comique quotidien du milieu le plus terne, que la sentimentalité de deux jeunes gens dont l'un est un nigaud et l'autre une ingénue, au fond plus naïve qu'elle ne le croit elle-même, qu'une aussi petite aventure, dont personne n'aurait voulu pour un roman, méritait d'être mise en musique. La musique joue ici le rôle des illustrations dans un texte un peu gris ; elle l'anime et le complète. Elle va plus loin : elle exprime ce qu'il y a de sensible et de sincère dans la banalité de notre temps.
On se doute qu'une composition musicale de ce genre est plus difficile à réussir que celle qui emploie la parodie et la caricature. Elle est tout en détails et en finesses. Elle exclut toute surcharge. Elle court comme la parole et n'a aucune occasion de hausser le ton. De l'ancienne opérette elle n'a guère gardé que l'habitude — faut-il dire la mauvaise habitude ? — de répéter des couplets. Un jour, que je demandais à Messager pourquoi il avait si bien conservé cette formule du couplet, et même dans des comédies telles que Fortunio, il ne m'a rien répondu qu'une sorte de : « Simplement parce que c'est l'usage. » La musique classique n'avait-elle pas aussi la tradition des reprises ? Des auditeurs qui ne sont là que pour leur plaisir ne sont pas gens si pressés que la répétition d'une phrase qui vient de leur plaire leur soit désagréable (sauf à ceux qui comprennent trop vite). Cela même se disait en latin : bis repetita placent. A preuve que ces couplets déjà répétés sont encore bissés. Pourquoi se priverait-on davantage des ensembles à deux ou plusieurs voix sous le prétexte que l’on ne parle pas, tous en même temps, dans la réalité ? D'abord il y a bien des cas où cela arrive. Wagner a écrit des chœurs, même un quintette, pour les Maîtres chanteurs parce qu'ils y sont commandés par la situation dramatique. Mais surtout le rationnel n'a rien à voir dans ces sortes de jeux. Il suffit que des ensembles apportent de la variété, de l'agrément dans la comédie musicale pour qu'ils y soient justifiés. Dans la Petite Fonctionnaire on ne songe pas à critiquer ces formules conventionnelles parce que tout y est bien en place et parce que la musique y est vraiment un épanouissement de la parole. Il se trouve, ce n'est pas si fréquent, que dans cette petite comédie le texte est bon, proprement écrit, aisé et naturel. La musique en a tiré parti. Considérez, par exemple, le refrain qui conclut les potins sur la dame qui vient d'avoir un bébé, alors que son mari est en Chine depuis dix-huit mois, ou sur M. le curé qui a mangé de la viande un vendredi :
N'est-ce pas le rythme libre, irrégulier, d'une conversation, le bruit même des voix qui s'animent en parlant en même temps ?
Si alerte et simple que soit cette partition, l'écriture en est recherchée. On a l'amusement, mais seulement quand on y porte attention, de rencontrer un canon assez développé dans l'accompagnement d'un duo (pages 90 et 91 de la partition pour piano et chant) et, dans l'harmonisation d'un dialogue entre deux vieux beaux, une suite de septièmes dominantes d'un goût moderniste (p. 20) :
On y rencontre aussi des modulations passagères, analogues à celles qui ont été signalées dans la Guimard, qui, sans troubler profondément le sentiment, tonal, colorent et irisent le contour mélodique (p. 98) :
Le compositeur s'amuse à ces jeux savants d'écriture, pour son propre compte, sans gêner en rien l'auditeur. Il n'y a pas à craindre que les gens simples lui reprochent de faire de la musique de mathématicien. Il reste le musicien de la grâce et de la facilité. « Trop de facilité », disent des pédants qui en savent, beaucoup moins que lui.
Un style fait d'observations aussi fines, de détails précis et vrais et qui repousse l'outrance est un régal de délicats. Dans le climat de l'après-guerre, où les nouveaux riches avaient remplacé dans les salles les anciens amateurs dont l'éducation était faite, une musique aussi soignée n'a pas trouvé son public. Elle ne pouvait guère le rencontrer au théâtre Mogador, que ses dimensions destinent à des spectacles plus « fastueux » et à des effets plus gros. Elle l'aurait sans doute plus aisément rassemblé au Théâtre Bériza. Si cette charmante opérette devait revoir le jour, c'est sous une direction vraiment artistique qu'elle aurait le plus de chances d'être appréciée. En tout cas, il faut lui épargner une interprétation trop lourde ; ce serait enlever tout agrément à une œuvre qui est petite sans être mièvre, gaie et comique sans être vulgaire.
Après Capus, c'est à Maurice Donnay que Messager avait songé pour lui fournir le sujet d'une nouvelle partition. On sent que le musicien a besoin désormais de travailler sur des textes et des sujets qui correspondent à son goût. Il fut convenu que André Rivoire tirerait d'Éducation de prince un texte musicable ; Messager s'était mis au travail et il avait écrit ou esquissé environ le quart de la partition, quand l'Odéon offrit à Donnay une reprise de sa comédie. L'offre ayant été acceptée, les chances de la traduction musicale étaient si fortement diminuées que la composition fut abandonnée. Après la mort de Messager, l'œuvre a été terminée par M. Berthomieu et jouée, sous le titre Sacha, à Monte-Carlo vers 1930. Elle n'a pas été reprise ailleurs et elle est restée inédite.
Avec l'Amour masqué qui est aussi une comédie dans un milieu contemporain, comme le seront — c'est à remarquer — toutes celles qui vont suivre, nous quittons la province pour Paris, et quel Paris ! celui des boulevards, des cabarets et d'un monde qui ne peut, prétendre même à la demi-part.
M. Sacha Guitry, alors au sommet de sa gloire, avait été prié par un compositeur belge vivant en Angleterre de lui fournir un livret ; celui-ci était décédé avant que le travail fût achevé. M. Guitry avait alors pensé à l'offrir à Messager.
Il y avait déjà eu entre eux un projet de collaboration. La comédie avec musique, Mozart, avait été conçue pour Messager, mais les parties à mettre en musique n'avaient pas correspondu aux désirs du compositeur. Certains morceaux étaient trop longs. Il n'y avait que des airs et pas d'ensembles, d'où de la monotonie à prévoir. Les difficultés du genre « comédie musicale » apparurent d'autant plus difficiles à surmonter que les deux artistes avaient des idées arrêtées sur les exigences de leur métier. Avec de vifs regrets et l'assurance de la part de M. Guitry qu'il ne reprendrait pas le projet avec un autre, « car un autre, comme vous, n'existe pas », le manuscrit fut un jour livré à Reynaldo Hahn.
Cet insuccès n'avait pas diminué un commun désir de collaborer. Les deux auteurs avaient bien senti qu'ils ne pouvaient manquer d'associer leurs esprits « très parisiens » et leur facilité. Ils y parvinrent sur un livret répondant mieux aux traditions de l'opérette, celui qui avait été préparé pour le compositeur anglais. Ce fut l'Amour masqué, qui avait d'abord eu pour titre : J'ai deux amants, comédie légère, légère, pour le maître de la musique légère. Le sujet était libertin, mais la musique était là pour atténuer ce qui risquait de paraître trop vif, dans la situation générale, autant que dans quelques expressions. Et surtout il y avait Mme Yvonne Printemps. Son charme, l'intelligence de son jeu et l'agrément de sa voix, l'impression de jeunesse et d'inconscience qu'elle répandait autour d'elle empêchaient de pressentir que l'euphorie générale, l'amoralisme épanoui dont la pièce était le témoignage, après une guerre victorieuse, en préparaient une seconde qui serait plus cruelle. Il fallait se distraire.
Une petite cocotte de vingt ans dont c'est le métier d'avoir deux amants en les trompant l'un par l'autre, ce qui lui fait dire : « Mon Dieu ! que c'est bête un homme... Alors, vous pensez... deux ! », s'est amourachée d'un beau jeune homme dont elle a seulement vu, et même volé, la photographie. Mais c'est la photographie ancienne d'un monsieur qui a aujourd'hui quarante-cinq ans. Quand elle le voit, elle le prend pour le père de celui dont elle rêve. Lui ne pense qu'à donner la preuve qu'il est resté jeune. Une fête masquée, en costumes birmans, permet aux amoureux d'être heureux avant de se connaître et de continuer de l'être quand ils se sont connus. Les deux messieurs commanditaires ont été heureux, pendant la même nuit masquée, avec les deux servantes aussi délurées que leur maîtresse. Du moins l'un d'eux ; l'autre, qui est un maharadjah, ayant compris qu'il était bafoué, a forcé son interprète, membre de l'Institut, à prendre sa place. Expérience faite, celui-ci ne songe plus qu'à la garder.
La musique pour un tel sujet, avec des acteurs tous excellents, fut une réussite unanimement acclamée. Tenu de réduire son orchestre à l'extrême, parce que le théâtre Edouard-VII ne permettait pas l'installation d'un orchestre complet, Messager avait étudié avec soin et profit les arrangements qu'on improvisait alors dans les cinémas pour rompre le silence des films muets. Il me disait qu'il y avait beaucoup appris pour obtenir des équivalences de sonorités avec des moyens simplifiés. Il a montré qu'un maître de l'orchestre n'a pas besoin de beaucoup d'instruments pour obtenir les effets qu'il désire. Ainsi, Jules Chéret et Cappiello, avec les seules trois couleurs de leurs affiches, savaient jeter de la lumière et de la joie dans la grisaille de nos rues.
La partition de l'Amour masqué contient sans doute quelques mélodies bien tournées que Mme Yvonne Printemps mettait en valeur, notamment les couplets sur le thème : « Elle est charmante », dont l'auteur et le compositeur avaient fait un hommage personnel à leur interprète. Par la justesse de la déclamation et une verve rythmique infatigable le compositeur a obtenu les effets de vivacité et de gaîté qui ont assuré le succès de son œuvre. Les ensembles de la fête birmane y sont particulièrement bien venus. Le final du deuxième acte vaut de l'Offenbach avec plus de tenue ; on va jusqu’a la griserie, pas jusqu'à l'ivresse. On est là pour s'amuser. Le public n'y manquait pas.
Pourtant, c'est pendant la composition de cette joyeuse plaisanterie que Messager avait été pris des horribles souffrances que provoquèrent, à plusieurs reprises jusqu'à sa mort, des crises néphrétiques. Il ne s'est pas laissé abattre par la douleur ou l'inquiétude. Il avait du ressort. Dès que la crise était passée, il reprenait son habituelle activité.
A propos de l'Amour masqué, Messager avait reçu de Fauré un billet qui lui a sûrement fait plaisir, car il l'avait conservé. Il mérite d'être reproduit, quand ce ne serait que pour montrer combien l'amitié entre ces deux musiciens est restée fervente jusqu'à la séparation inévitable. Cette amitié honore si grandement Messager qu'une biographie ne doit manquer d'attirer sur elle l'attention. Et les éloges de Fauré sur la musique de son ami compensent largement quelques dédains :
32, rue des Vignes.
28 février 1923.
Mon cher André,
Je sais que tu tiens un gros et grand succès avec l'Amour masqué et j'en suis profondément heureux, comme le sont tous nos amis. Les salles de spectacle me sont encore interdites, hélas ; je ne puis donc pas aller t'applaudir ni me divertir d'une pièce qu'on me dit très amusante et admirablement interprétée. Mais on m'a prêté ta partition. C'est toujours ton esprit — cet esprit qui ne vieillit pas — et ton charme et ta musique si personnelle et qui reste de l'exquise musique, même dans la bouffonnerie la plus vive. Ce dont je suis privé c'est de l'amusement de l'orchestre, et je m'imagine ce que tu as dû en tirer. Je suis content, mon bon André, et je t'embrasse de tout mon cœur.
Ton vieux
Gabriel Fauré.
La composition avait forcément chômé pendant la présidence de la Société des Auteurs. C'est seulement trois ans après l'Amour masqué que parut, le 19 janvier 1926, au théâtre de la Michodière, la comédie sur un livret de MM. Hennequin et Willemetz, qui a pour titre Passionnément. Le succès ne dépendait plus, celte fois, de Mme Yvonne Printemps ; mais on pouvait heureusement compter sur Koval. Il a fait la création, plein de tact, inoubliable, d'un richissime Américain, insupportable tant qu'il est au régime sec et qui redevient un brave homme quand il a bu une bouteille d'extra dry :
Il y a encore, à côté de ce personnage si sobrement caricaturé par le musicien et par l'acteur, un baryton qui chante la romance — ces barytons d'opérette sont redoutables ! Mais il y a beaucoup de dialogues et de récits qui font le mérite de cette partition. Tout le rôle de Koval, le duo d'affaires, le récit pour annoncer que le yacht a été transpercé par un petit bateau de pêche, les couplets, assez polissons et musicalement bien spirituels, de la soubrette, tout est écrit dans un style rapide de comédie que la musique allège encore, loin de le ralentir. Ce ne sont parfois que de brefs passages semés à profusion par un compositeur qui n'est jamais à court d'invention. En voici un à titre d'exemple. L'amoureux, dans son banal langage, se demande s'il a rêvé, assure qu'il n'a pas rêvé et qu'il a été réellement heureux. Ceux à qui il s'adresse lui répondent :
Peut-on mieux traduire que par ce rythme précis et sautillant l'ironie et la moquerie ? C'est avec cette justesse de ton que Messager a formé son style de comédie. Il a l'air bien naturel, aisé, banal ; tout le monde en ferait autant ; mais, en fait, il suppose une faculté de création mélodique qui n'est pas commune. Quand il sentait quelque lassitude, Messager disait en plaisantant à demi : « Je ne suis plus bon qu'à écrire un drame lyrique. C'est bien moins fatigant. On est porté par le texte, par le développement orchestral, par les usages ; pour l'opérette il faut tout le temps avoir des idées ! »
Ainsi, les comédies musicales de Messager conservaient pour quelque temps encore à l'opérette une valeur artistique qu'il était impossible de lui contester. Mais les critiques avertis dénonçaient le danger qu'ils voyaient venir, tant de nos cafés-concerts que des théâtres d'Amérique ou d'Autriche. Après l'Amour masqué, Pierre Lalo avait noté dans son feuilleton : « Cette musique est une des plus heureuses que M. Messager ait écrites : elle aurait plu de tout temps, elle charme aujourd'hui, plus encore, par la comparaison et le contraste avec tant d'horribles et misérables productions. » Et M. Emile Vuillermoz, plus précis et mettant les points sur les i, disait dans Excelsior : « Vous devinez de quels ravissants et spirituels commentaires André Messager a entouré cette anecdote. Sa partition prend, dans les circonstances présentes, une valeur très particulière. Au moment où la musique légère s'industrialise, se dépouille, se simplifie jusqu’à la pauvreté la plus humiliante, au moment où les opérettes ne sont plus que des recueils d'airs de danse et de refrains populaires obtenus, pour ainsi dire, en série, par des procédés mécaniques, c'est un enchantement que d'entendre un art aussi finement aristocratique. »
Mais la leçon de Messager n'a pas été comprise de tous. Certain compositeur, bien qu'il se flatte d'avoir été son disciple et son ami, ne paraît pas faire de différence entre un Messager et un Christiné ; il écrit que Messager, en 1918, a compris ce qu'on devait à Christiné. Qui : on ? Est-ce lui, Messager ? Ce doit être ça, car il est précisé : « Par la chanson et par Christiné, l'opérette française reprenait son vol ! » J'aurais cru, pour ma part, que l'opérette, disons mieux la musique légère, avait gardé l'estime des musiciens et la faveur d'un public nombreux et varié parce que Messager avait montré qu'on pouvait être savant et gai, comique et délicat, populaire et distingué. Mais non ! mais non ! Ce sont MM. Christiné et Maurice Yvain qui, aux dires du disciple et de l'ami, ont mené le bon combat « contre l'intrusion chez nous de l'opérette étrangère ». La Fontaine a écrit là-dessus : « Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami, mieux vaudrait un sage ennemi. »
La même année (le 7 octobre) M. Sacha Guitry avait monté au théâtre Sarah-Bernhardt son Deburau qui avait déjà été présenté, en 1918, au Vaudeville. Pour cette reprise le rôle de Charles Deburau, le fils du célèbre mime, était tenu par Mme Yvonne Printemps, qui jouait aussi Marie Duplessis, et le texte de M. Guitry était orné, pour ne pas dire enrichi, d'une musique de scène composée par Messager. La partition est d'un volume assez mince. Elle comprend seulement : une parade devant la porte du théâtre des Funambules pour attirer le public, la musique qui soutient la pantomime du prologue, une romance chantée par Marie Duplessis, la Dame aux Camélias, qui est supposée avoir été amoureuse de Deburau pendant une petite semaine, un mélodrame sous un récit, de courts préludes pour chaque acte. Le tout d'une extrême discrétion. C'est cependant, une œuvre qu'on ne doit pas oublier dans le catalogue de Messager. Elle porte sa marque. Par-dessus les autres morceaux, la parade que jouent, seuls, trois instruments de foire, un piston, un tuba, une grosse caisse, et, plus loin, l'accompagnement orchestral sous le récit que fait Deburau de son enfance dans le cirque ambulant de ses parents sont, l'un et l'autre, écrits de la main d'un maître de l'orchestre. De telles pages suffiraient à classer un musicien.
On regrette de penser qu'on ne les entendra probablement plus avec les couleurs de l'orchestre. La réduction au piano ne peut suffire pour les restituer. Messager pensait que c'est une erreur et une vaine prétention que de vouloir mettre dans une partition pour piano tout ce qu'il y a dans la partition d'orchestre. On n'aboutit qu'à des encombrements d'exécution difficile. Les effets orchestraux doivent être indiqués, non par la reproduction textuelle de dessins destinés à d'autres instruments, mais par des équivalents pianistiques permet tant un déchiffrage aisé du chant et de son accompagnement.
Nous voici à la fin. Coups de roulis est la dernière œuvre de Messager. Elle a été présentée au théâtre Marigny le 28 septembre 1928 ; on la donnait en matinée, le dimanche 24 février 1929, pendant qu'il a cessé de vivre.
Ecrite entre les rémissions d'une maladie douloureuse, par un homme de soixante-quatorze ans, l'œuvre ne porte pas les marques de la vieillesse ni de la souffrance. L'écriture est aussi ferme que par le passé, l'invention est un peu moins généreuse, mais le métier est tellement sûr que les auditeurs ne s'en apercevaient pas. L'auteur savait bien qu'il souffrirait encore et ne pouvait guérir. Il continuait à se bien tenir ; il considérait la souffrance et la mort avec un stoïcisme qu'il faut mettre en valeur pour achever son portrait.
Parfois dans les derniers temps, si on le surprenait, on le trouvait en robe de chambre, usant le temps à faire des patiences parce qu'il ne pouvait lire ou travailler. Il demeurait aussi soigné, aussi correct dans sa tenue qu'il l'avait toujours été. Cette habitude morale, elle lui était restée et pas pour parader. Devant la mort prochaine, il a gardé sa simplicité élégante, faite d'une acceptation sans révolte de ce qui est inévitable. Ainsi, un jour où je lui exprimais maladroitement mes sympathies, il m'interrompit en disant : « Oh ! tu sais, mon petit, moi, j'ai passé l'âge du désespoir. »
Ce mot-là le découvre jusqu'au fond. D'autres ont fait des phrases plus émouvantes, plus solennelles. Celle-ci ne manque certainement pas de grandeur.
M. Sacha Guitry en a rapporté deux autres où l'on voit, en même temps, sa souriante résignation et que vie et musique, pour lui, ne faisaient qu'un. A Royan, chez les Guitry, où il était venu préciser sa collaboration à Deburau, il avait été pris d'une de ces crises qui semblaient le jeter au tombeau, et il avait dit : « Je crois bien que je vais aller voir de l'autre côté, comment on fait la musique. »
Et puis, quand cette crise-là parut conjurée, il avait dit : « Allons, on va pouvoir faire un peu de musique. »
La musique, c'était toute sa vie.
Il avait trouvé le sujet de sa dernière « opérette » dans un roman de M. Larrouy et l'avait confié à M. Willemetz, qui avait déjà écrit pour lui Passionnément. Le livret est assez amusant ; il n'est que cela. Sur un cuirassé, au moment où l'équipage songe aux permissions de Noël, un « sans-fil » décevant annonce l'arrivée d'un député, « haut commissaire de la République », accompagné d'un secrétaire. La Chambre a découvert qu'on dépense trop dans la marine et a ordonné une enquête. Sur une scène d'opérette, un parlementaire est presque fatalement un grotesque. Raimu jouait le rôle, d'ailleurs avec une habile sobriété. Le secrétaire du député Puy-Pradal est sa fille Béatrice, Mlle Marcelle Denya. Alors, « comme de bien entendu », il y a rivalité amoureuse entre l'aspirant Kermao et le commandant qui a cinq galons. Mais, ainsi que chante Kermao, « en amour il n'est pas de grade, l'important c'est d'avoir vingt ans ». A l'escale d'Alexandrie, chez le khédive, Puy-Pradal s'est laissé subjuguer par l'actrice Sola Myrhis qui, du théâtre du Caire, voudrait bien arriver au Théâtre-Français. Elle lui fait voir du pays, du tumulus de Ptolémée au monument d'Amonra. On la retrouve encore, au troisième acte, sur le cuirassé. M. Larrouy était là pour garantir que, dans la marine française, c'est ainsi que les opérettes se jouent au naturel. L'essentiel est qu'à l'entrée en rade, Kermao et Béatrice sont fiancés.
La musique, comme il convient, prend cette aventure à la blague et dans une allure de gaîté. Le chœur des officiers déchiffrant le message envoyé par radio est un effet drôle. L'épopée du commissaire enquêteur qui s'est égaré et a fini par tomber dans la soute au charbon est un effet plus gros et un peu moins drôle. Le dessin d'orchestre qui fait voir la glissade jusqu'au moment où le bateau se redresse est un jeu amusant d'écrit ure expressive : les indications de mouvement : allegro, allegretto, molto vivace, sempre vivo, sont les plus fréquentes. Les indications d'expression : gaîment ou avec entrain, prédominent. Le vieux compositeur a écrit l'opérette de la jeunesse conquérante. Il n'y a de mélancolie que dans un air du commandant, sur la quarantaine.
Parfois, dans les parties sentimentales surtout, on entend passer un bout de phrase qu'on a déjà apprécié dans Véronique ou dans les Dragons. On dirait qu'au moment où il va tout quitter, sans révolte, sinon sans regret, Messager donne un souvenir à ses anciens ouvrages qui firent plaisir et sont devenus des refrains populaires. Surmontant sa fatigue, ce malade qui, malgré son âge, n'est pas un vieillard, puisqu'il ne consent pas à l'être, répand sur son œuvre une impression de gaîté jeune et d'ironique crânerie. Ainsi, parfois et trop souvent, une actrice montre son énergie au delà de la limite d'âge. Le théâtre, impérieux pour ceux qui lui doivent les plaisirs du succès, ne se laisse pas facilement abandonner. Le public indulgent donne encore ses applaudissements à ceux qui ne savent pas, ne veulent pas se reposer, à ceux qui n'entendent pas les chants où Fauré a mis tant de paradoxale douceur : requiem dona eis, requiem aeternam. Ces passionnés ne songent pas à mettre un intervalle entre la vie et la mort. Leur méditation, c'est le travail et l'action.
Voici plus de vingt ans que Messager est mort. Il n'est oublié ni des musiciens ni du public. Quelques œuvres de lui reviennent encore sur les planches. On constate que vieillies de trente ans, même de soixante, elles sont encore bien portantes, encore jeunes. On les entend quelquefois à la radio, et données avec soin, notamment par les chœurs de Mlle Yvonne Gouverné. Les compositeurs et les critiques qui ont vu apparaître au moins les dernières de ses œuvres n'en veulent pas perdre le souvenir. Parmi eux, M. Roland Manuel, dans ses entretiens du dimanche matin à la Radio, ne laisse guère passer une occasion de répéter tout le bien qu'il pense de l'art subtil et tendre de Messager. « Le cher Messager ! », ajoute Mlle Nadia Tagrine. Je me trompe peut-être en croyant sentir dans cette réplique, certes, une adhésion, mais acidulée d'une petite goutte d'ironie pour tant de fidélité à un ancien qui est mort, dont l'œuvre est finie, sinon dépassée.
Les morts vont vite. Pourtant bien des jeunes gens, qui sont pressés et féroces, trouvent qu'ils ne s'en vont pas assez vite. « Il est des morts qu'il faut qu'on tue », surtout quand ils encombrent les programmes.
Y a-t-il encore une place parmi nous pour l'œuvre de Messager ? Pour ceux qui aujourd'hui vont au théâtre la réponse est certainement affirmative. Pour ceux de demain, s'ils doivent être pliés aux disciplines ou russes ou américaines, il est fort à craindre qu'un art si fréquemment caractérisé par les mots : « Aristocratique, distingué, bien français », soit assez brutalement écarté. On ne voudra entendre, peut-être même ne sera-t-il permis d'entendre (il en est déjà ainsi ailleurs) qu'un langage plus grossier, considéré comme plus démocratique ; ou bien, si les affaires l'emportent sur l'art, les directeurs ne voudront-ils présenter dans des salles trop grandes, où l'on peut faire de grosses recettes, que des spectacles sans raffinement ?
Nous sommes déjà avancés dans cette double évolution. Il ne nous reste qu'à parier sur celle des deux influences qui l'emportera la première. On ne joue plus les Dragons, mais on reprend No, no, Nanette. On ne succède pas à Mariette Sully, mais nous avons Edith Piaf. Fugère n'est pas remplacé, nous avons Maurice Chevalier. Il me semble entendre Messager : « C'est que ces nouveaux, eux aussi, ont beaucoup de talent ! » Car je sais très bien qu'il ne méprisait pas du tout leurs prédécesseurs, les Dranem, Vilbert, Yvette Guilbert... Il allait volontiers les écouter, les applaudir. Les danses américaines, le tango et le jazz l'ont amusé. Il était tout prêt à leur faire leur place. Il ne se méfiait pas qu'un jour viendrait où les intrus lui prendraient la sienne. Le bon accueil a ses dangers ; la curiosité a des profits et des risques. Il aurait même peut-être dit qu'il ne désirait pas, et qu'il ne pouvait, les empêcher de s'emparer de certaines masses de public. Il acceptait la vie, c'est-à-dire l'usure et l'écoulement. Ce sont sentiments de vieilles gens, comme je suis, que de désirer prolonger des joies anciennes et souhaiter que les enfants de demain puissent en jouir encore. En avant, par-dessus... le tombeau de Messager ! Soit.
Pour ceux qui ont compris que demain est toujours fait de beaucoup de passé et qui consentent parfois à regarder en arrière pour prévoir où l'on va en considérant d'où l'on vient, l'épisode Messager dans l'histoire de la musique française demeure un sujet de méditations. Comme compositeur, il n'est un maître que dans son genre, genre limité à la musique de théâtre sous ses formes variées. Comme musicien et serviteur de la musique, son action a été beaucoup plus considérable.
Il me semble, quand je cherche ce que nous pouvons penser de Messager, que la première caractéristique à noter est qu'il est devenu pour nous représentatif de son époque. Il commence, en effet, à dater. Il produisait encore il y a vingt-cinq ans, c'est hier, mais il avait commencé il y en a plus de soixante-quinze. On ne peut parler de lui comme d'un homme d'aujourd'hui. Resté jeune jusqu'à la fin, il était tout de même un vieux monsieur.
De son temps, Messager ne connaît que les artistes. De la politique il ne sait que ce qu'en disent, après dîner, les messieurs qui ont le vin triste. Bien que s'intéressant à la peinture et aux lettres, il ne connaît presque que la musique, mais il la connaît toute, ancienne et moderne. Or, la période de la musique française à laquelle il participe, de 1872 à 1929, est une grande époque. Cinquante années merveilleusement remplies. Rappelez-vous bien d'où l'on part : Thomas, Auber, et pour mettre les choses dans leur meilleur jour, Gounod et Saint-Saëns, un Gounod qui commence à vieillir, le Saint-Saëns de la première Symphonie, le Delibes de Coppélia, le Bizet des Pêcheurs de perles ; et à quoi on aboutit : les dernières œuvres de Fauré, en passant par le Bizet de l'Arlésienne et de Carmen, les grands apports à l'évolution de la musique française de Fauré, d'Indy, Franck, Debussy, Ravel, Roussel... de dizaines d'autres. Je ne parle que de la France ; c'est elle alors qui mène le jeu, sauf Wagner qui, achevant avec Parsifal son œuvre et sa vie, va laisser la place aux jeunes Français.
Dans la floraison musicale qui a fait la gloire de la France à la fin du XIXe siècle, Messager apporte sa gerbe, d'abord comme compositeur. C'est entendu, sa part est limitée à la musique de théâtre. Mais la question est de savoir si l'on est un maître à cause du genre plus ou moins noble, pour ne pas dire académique, dans lequel on travaille, ou parce qu'on produit des chefs-d'œuvre dans le genre qu'on a adopté. Et n'oublions pas qu'au début de la période, la musique conçue pour le théâtre est de beaucoup prédominante. Si vous songez que cette période se termine par Pelléas et Pénelope, l'Enfant et les sortilèges et Padmâvati, vous constaterez que le rôle de la musique dramatique reste jusqu'à la fin très considérable par rapport à la musique qu'on entend au concert. Sans se restreindre absolument à la musique légère, mais se tournant volontiers de son côté et lui donnant une valeur nouvelle, Messager s'est taillé une place qui ne peut être rognée si l'on veut faire un tableau complet et équilibré de notre musique contemporaine.
La musique dramatique présente, par comparaison avec la musique de concert, de gros avantages et de très sérieux inconvénients. Elle seule permet d'assembler et de garder pendant près de quatre heures des publics nombreux, formés de personnes dont beaucoup — si on oublie cela, on ne peut rien comprendre — n'aiment pas la musique, tout au moins la connaissent mal, comme une langue étrangère. Grâce au théâtre, cette musique incompréhensible s'accompagne de distractions : le jeu des acteurs, l'agrément des voix, la mise en scène, la danse, le spectacle ; et, comme encore cela ne suffirait pas, elle consent, généralement, à se faire aimable, bonne fille, par la variété du ton, par la simplicité des moyens qu'elle emploie ou par un lyrisme éperdu. Moyennant quoi, elle recrute des publics dont les snobs font une bonne part (bonne, c'est le cas de le dire, car, sans eux, les œuvres les meilleures ne paraîtraient même pas).
A consentir tant de complaisances, à vouloir se rendre supportable, la musique qui se livre au théâtre, trop souvent, compromet sa dignité. Le théâtre, au fond, n'est guère fait pour la musique sérieuse. (Pensez aux précautions que Wagner a prises à Bayreuth.) Il ne peut lui offrir que des auditoires restreints, peu souvent, renouvelés, vite lassés. Jamais il ne gardera jusqu'à la centième représentation, ne parlons pas de la millième, des œuvres qui réclament un trop gros effort d'attention ou qui supposent l'amour de la musique. À ces œuvres qui appellent le recueillement, conviennent les salles de concert. Même un théâtre parlé qui ne voudrait jouer que des tragédies ou des œuvres sévères ne trouverait probablement pas un public régulier. Il y a trop de gens que les grandeurs éprouvent et qui respirent mal sur les sommets. Or, c'est le principe fondamental contre lequel aucun directeur ne se mettrait en opposition : on ne va pas au théâtre pour s'ennuyer. On accepte d'y chercher des émotions plus ou moins élevées. On désire surtout y trouver des distractions.
Les compositeurs qui se complaisent dans la sévérité et les grands sentiments, qui ne savent ni plaire ni amuser, et, par suite, sont mal accueillis au théâtre, se vengent du public en exprimant, leur dédain pour la musique légère. Ils la disent grossière, sans idéal, bâclée, mal faite, indigne d'un auditoire tant soit peu délicat. Ces injures, que certains amuseurs du public ont, bien méritées, ne s'appliquent pas du tout à André Messager. Il se présente comme un cas presque exceptionnel.
Exceptionnel. Ceci n'est pas en contradiction avec l'idée qu'il est représentatif de son époque. Ne se caractérise-t-elle pas d'abord par la curiosité et la vivacité d'esprit ? Un artiste représentatif de la fin du XIXe siècle et du début du XXe doit être cherché parmi ceux qui, comme Messager, ont été curieux de tout, très instruits, très savants, évolutionnistes plus que révolutionnaires. La manie — une manie, c'est déjà une folie, — la manie du nouveau à tout prix, du nouveau considéré, par définition, comme supérieur à l'ancien, est une caractéristique plus fortement, marquée aux approches du second quart du XXe siècle que dans les cinquante ans qui l'ont précédé. Un artiste musicien représentatif de la période 1875-1925 croit à la stabilité, aux changements lents, à la continuité. C'est presque à son insu que sa personnalité lui donne l'originalité. Ce qui fait dire que Messager est un cas exceptionnel, c'est qu'il traite un genre classé comme inférieur avec les ressources et les soins des plus instruits parmi les musiciens de son temps, qu'il écrit des œuvres légères pour l'actualité, pour la consommation immédiate, tandis que, pour son propre plaisir, il se nourrit des œuvres les plus graves, les plus durables du passé.
Il a été compositeur de musique légère, oui ; mais — tel est son titre de gloire —, cette aimable musique il l'a fait respecter par les musiciens, et les plus grands. Il a fait admettre que musique sérieuse et musique légère sont deux domaines distincts, rarement parcourus avec la même aisance par le même artiste. S'ils se rencontrent dans l'au-delà et s'ils ont gardé les préoccupations de ce monde-ci, j'imagine d'Indy, disant à son ami : « Avoue, André, que tu n'aurais pas pu écrire Fervaal » ; et Messager lui répondant : « Mon cher Vincent, je te donne toute une seconde vie pour composer les Dragons et tu n'y arriveras pas. Tu as essayé de la musique légère, avec ton Rêve de Cyniras, après avoir commencé par Attendez-moi sous l'orme ; tu sais ce que ça a donné. A chacun le sien. » Bien rares, en effet, sont ceux qui ont réussi dans tous les genres et su passer du « plaisant au sévère ». Il y en a cependant quelques-uns. Mozart, qui est toute la musique, est aussi à l'aise quand il écrit des valses pour les bals de Vienne que des litanies pour les chœurs des anges. On ne peut pas parler de (bonne) musique légère, gaie, comique, sans penser à lui ; et sa pleine réussite dans ce genre dit inférieur ne l'a pas privé de monter in excelsis. Bien mieux, c'est dans la même œuvre qu'il a réuni les refrains populaires de Papageno, la gravité religieuse de Sarastro et la pure suavité de Pamina. Descendant beaucoup de degrés, nous remarquerons encore une grande étendue d'invention créatrice chez un Rossini. Il en est d'autres. Mais il reste vrai, en musique encore plus qu'en littérature, que les aptitudes sont assez tranchées et que les maîtres de la grande musique trouvent trop verts les raisins de la musiquette, et réciproquement.
La réhabilitation de la musique gaie, Messager l'a obtenue en la traitant à sa manière, en y portant tous ses soins, en utilisant pour l'écriture de couplets et de refrains destinés à devenir populaires toute sa science du métier. Il fait craquer, en se jouant, les définitions et les cadres. Il compose des opérettes sans cesser d'être un vrai musicien ; il a le talent, vraiment exceptionnel, de se faire applaudir par la foule et par les délicats, ces délicats qui sont malheureux parce que « rien ne saurait les satisfaire » et la foule qui n'est qu'instinct.
On est ainsi embarrassé d'employer le mot « opérettes » pour les œuvres de Messager s'il doit signifier la même chose que pour celles de Hervé, de Lecocq, de Planquette, de Varney, de Ganne, de Claude Terrasse, de MM. Christiné et Yvain ou, pis encore, de M. Vincent Scotto. Il ne s'agit pas de savoir si ces compositeurs ont eu du talent, plus ou moins, peu ou pas. Placer Messager dans leur groupe, même à leur tête, c'est commettre une erreur de classement. Entre eux et lui il y a un monde, plusieurs mondes. (Je ne parle pas de musiciens plus récents qui se sont plu à composer de la musique légère et que je ne nomme pas pour ne pas paraître les confondre avec ceux que je viens de citer.)
Pour classer Messager il faut le rapprocher d'Offenbach, de Delibes et de Chabrier. Offenbach le dépasse par l'outrance, par une force comique portée jusqu'à la cocasserie, par une gaîté voisine de la folie. Il se sert beaucoup de la parodie, ce qui est par trop commode et qui risque de verser dans l'injustice. (Quel est le chef-d'œuvre qui résisterait à une parodie de mauvaise foi ?) Dans les parties qui réclament de la finesse, de la tendresse, de la grâce, quelque mélancolie, je trouve que Messager lui est préférable. L'orchestre d'Offenbach est, certes, brillant, ajoutant an comique des rythmes, des surprises d'instrumentation ; celui de Messager est bien plus élégant, plus riche, plus savant et n'est pas moins gai.
Dans son livre sur la Musique française après Debussy, M. Paul Landormy, se reportant à un article de M. Boris de Schlœzer, fait, remarquer, à propos de MM. Poulenc et Auric, que c'est Messager, et non Offenbach, qui a été leur modèle : « Pour ces deux musiciens, l'art n'a qu'un but : le plaisir... La « grande musique » les ennuie, ou plutôt c'est ce qu'on appelait autrefois la petite musique ou la musiquette qu'ils considèrent comme un grand art. C'est un renversement des valeurs. C'est toute une révolution. Offenbach devient un dieu, ou du moins André Messager, car Messager les annonce mieux qu'Offenbach. Si, en effet, Offenbach est agréable, plaisant, léger, il est un peu lâché aussi. Il n'a pas tous les mérites d'un métier surveillé, d'une technique impeccable. Les « petites choses » de Georges Auric et de Poulenc ont cette originalité d'être d'une très haute tenue artistique. Le joli, le comique, le grotesque prend chez eux grande figure. C'est leur style qui les sauve. »
Ce qui fait la supériorité de Messager sur Offenbach est ici bien noté. Précisons toutefois que si Messager a écrit de la petite musique, la grande ne l'ennuyait pas. Il l'a prouvé par le choix de ses lectures musicales, par les œuvres qu'il a dirigées comme chef d'orchestre, ou portées à la scène comme directeur de théâtre, et aussi par celles de ses propres œuvres que le public ne connaît pas.
Delibes a précédé Messager et il est certain que son exemple l'a soutenu à ses débuts, surtout pour le ballet ; car les opérettes de Delibes, souvent à deux personnages seulement, ont été des bouffonneries sans grande observation psychologique. Le jeune Messager a eu vite fait de rejoindre et de dépasser Delibes.
Chabrier lui a bien plus appris. Il a été, en premier, un grand créateur de trouvailles comiques, vraiment musicales. Il eût été tout à fait un maître s'il avait su diriger sa verve ; dans ses élans il dépassait parfois les limites, il aimait, les effets assez gros, même dans des ouvrages qui comportaient plus de tenue : à propos de Gwendoline, d'Indy lui disant un jour : « Ta belle phrase, hum !... — Tu as raison, mon vieux, lui répondit Chabrier, c'est de la m..., mais le public aime ça ! » Messager croyait que le public préférait autre chose.
Me permettra-t-on de penser que le vrai maître de Messager, au fond, c'est Messager lui-même ? Il s'est formé sans doute, comme on dit, par l'observation des bons auteurs, mais, surtout, en se perfectionnant constamment, en soignant son écriture, la sûreté et la légèreté de la main, en contrôlant sa facilité, en se dépouillant de tout ce qui n'était pas nécessaire, en recherchant le naturel du dialogue et du trait, en se créant son style.
Son œuvre, remarquable par sa nouveauté et sa personnalité, l'est aussi par son abondance. Ayant beaucoup produit, il a pu se montrer dans des genres divers, de la drôlerie au drame plus soutenu, du ballet au mélodrame. Dans cet ensemble volumineux il n'y a pas que des réussites ; il y en a beaucoup. Un jour que de jeunes compositeurs parlaient devant lui de ses succès, il leur répondit : « Oui, j'ai une douzaine d'actes qui ont bien marché au théâtre, mais c'est que j'en ai écrit plus de cent. » Ce jour-là, je crois bien qu'à sa modestie habituelle s'ajoutait une certaine dose de fausse modestie. J'ai essayé de mesurer avec plus de précision le volume de son œuvre. Je trouve, approximativement, quatre-vingt-dix actes, appréciable total pour une carrière de compositeur, peut-être un record ; pour ceux qui ont bien réussi, qui ont eu un succès prolongé ou des reprises, j'en compte près de quarante.
Si l'on avait, à établir, même avec quelque sévérité, la liste des ouvrages qui paraissent être ce qu'il a produit de meilleur, ne faudrait-il pas y placer : les Deux Pigeons, Isoline, la Basoche, Madame Chrysanthème, le Chevalier d'Harmental, les P'tites Michu, Véronique, Une Aventure de la Guimard, les Dragons de l'Impératrice, Fortunio, Béatrice, la Petite Fonctionnaire, l'Amour masqué, Passionnément, Deburau ? Une quinzaine d'œuvres sur un total de trente-cinq, et parmi les plus développées, cela fait un assez gros bagage. Massenet n'en envoie pas autant à la postérité. Et si, pour continuer ce jeu, on imaginait que l'œuvre de Messager doit, de toute force, être ramené à un tout petit échantillonnage, ne pourrait-on, avec les minces plaquettes que sont les partitions de la Guimard, de la Petite Fonctionnaire et de Deburau, lui assurer une place enviable au Mémorial de la musique française ?
Gabriel Fauré, éclairé, non aveuglé par la sympathie, a parlé du compositeur en des termes dont on souhaite qu'ils ne soient pas oubliés. C'était en 1908, tout de suite après Fortunio. Voici l'essentiel de son témoignage :
Averti de toutes les choses de la musique, et apportant dans ses appréciations le jugement le plus sain et le plus artiste, il devait fatalement être amené à se produire sous tous les aspects d'un métier dont il connaît à fond l'intime secret.
... Il faut voir là le signe très rare d'une intelligence ouverte à tous les aspects de l'art, et qui tout de suite a compris qu'il n'est pas de forme vivante à laquelle un génie vivace et sincère ne puisse conférer l'éternité de la Beauté.
Cette intelligence universellement ouverte, elle est un des charmes les plus grands de la force créatrice d'André Messager ; elle n'inspire pas moins son œuvre de chef d'orchestre ; elle l'éclairera dans la lourde tâche qu'il a assumée de régler les destinées du plus grand théâtre lyrique du monde.
André Messager est un éclectique, au plus haut sens du mot ; sa curiosité de toutes les formes n'a jamais le caractère de la facilité. Et quel que soit le genre où se plaise son élégant génie, on a toujours avec lui cette certitude, c'est que l'œuvre produite sera toujours d'une parfaite essence musicale.
Ne pensez pas que dans ces derniers opéras bouffes ou ouvrages chorégraphiques, sa plume ait eu moins de distinction que dans les autres. Sa veine mélodique est également généreuse dans ces diverses productions ; elle va d'un rythme alerte, aisé, renouvelé de forme, de ligne très pure et toujours distinguée, sans ambiguïté comme sans banalité, et sans cesse une écriture fine, serrée, mais simple, la rehausse de ses plus délicats ornements.
Son orchestre est clair, sonore, riche d'inventions heureuses, abondant en sonorités piquantes ; vous n'y trouverez jamais ce laisser-aller, ces négligences qui ont si souvent compromis la dignité des œuvres de musique légère.
Il n'y a pas beaucoup d'exemples, dans l'histoire de la musique, d'un artiste d'une culture aussi complète, d'une science aussi approfondie, qui consente à appliquer ses qualités à des formes réputées, on ne sait pourquoi, secondaires.
De combien de chefs-d'œuvre ce préjugé ne nous a-t-il pas privés ? Et c'est encore là que se révèle la délicatesse de pensée de Messager, c'est là que sort éclectisme nous apparaît une admirable direction d'art.
Avoir osé n'être que tendre, exquis, spirituel, n'exprimer que la galanterie des passions, avoir osé sourire alors que chacun s'applique à bien pleurer, c'est là une audace bien curieuse en ce temps.
Et c'est surtout l'affirmation d'une conscience d'artiste.
A un portrait, aussi parfait, même par des qualités littéraires rares à ce degré chez un musicien, aussi profondément ressemblant grâce à la perspicacité de la sympathie, à un jugement d'une telle autorité puisqu'il est prononcé par un Maître qui connaissait Messager depuis sa vingtième année, on hésite à apporter encore quelques compléments. Après le travail d'observation que je viens de poursuivre, il me semble que deux ou trois traits cependant doivent être ajoutés ou renforcés.
Le rôle de Messager comme serviteur de la musique, parce qu'il a été plus visible dans la seconde partie de sa carrière, quand il a été chef d'orchestre, directeur de théâtre, critique musical et président de la Société des auteurs, et parce que l'article de Fauré date de 1908, est ici à peine marqué. Il est trop caractéristique pour qu'on le laisse oublier. Ils ne sont pas fréquents ceux qui, dans leur métier, pensent aux autres.
Sa très grande connaissance du mouvement musical en tous pays, sa libre curiosité et sa modestie foncière ont incliné Messager à devenir un précieux agent de liaison. On a assez souvent dit qu'il avait l'allure d'un officier pour qu'il me soit permis de le comparer à un officier d'état-major. A côté des grands maîtres de la musique contemporaine, il a été celui qui, sans ostentation, reçoit des renseignements et les transmet, prépare les succès des chefs et de la troupe, remonte le moral et facilite l'action.
Ses interventions, au profit de tous et pour l'amour de l'art, ont été, à leur tour, grandement facilitées par cette connaissance singulière de presque tout ce qui a été remarquable dans le passé et de tout ce qui a paru de nouveau en son temps. Elles l'ont été aussi parce que les novateurs ne lui paraissaient pas des rivaux, étant pour lui-même, dans sa manière, un traditionnaliste. A l'affût, de toutes les nouveautés, assez savant et intelligent pour les comprendre vite et les aimer, témoin Pelléas, il n'a rien d'un révolutionnaire, surtout pas d'un intransigeant, ni d'un théoricien.
Quand il commence à écrire pour le théâtre, il en accepte les usages. Il ne proclame pas qu'il y en a d'absurdes. Par le fait que ce sont des usages, il admet qu'ils ont eu, qu'ils ont sans doute encore quelque justification et valeur. Sans plus critiquer, il s'en accommode et, s'ils lui semblent ridicules, il se contente d'en sourire. A mesure qu'il avance dans son œuvre, tout en gardant beaucoup de la tradition, il la fait évoluer, sans brusquerie. Il y a de bien grandes différences de qualité et de valeur entre la Fauvette du Temple et l'Amour masqué, des différences de style entre les Deux Pigeons et Une Aventure de la Guimard ; ces améliorations ont été progressives, elles sont le résultat de recherches et de critiques personnelles. Un véritable aristocrate respecte le passé ; il se contente, quand il le peut, d'améliorer ce qui lui a été transmis.
Ainsi, il ne perd pas le contact avec la foule. Il sait lui parler et l'amuser. Il le fait sans s'abaisser. De sorte qu'il séduit, en même temps, les plus raffinés. Les uns disent qu'il est un « type chic » et les autres un gentilhomme. Tous sentent en lui une élégance de tenue, de manière et, ce qui vaut mieux, de pensée. II est un homme de bon goût et de bon ton. Un homme du passé. Il est surprenant d'en arriver à cette définition pour un musicien si averti du moindre changement de la langue musicale, si à l'aise dans les formes artistiques les plus variées.
On a lu ou deviné beaucoup de ces réflexions dans les témoignages de regrets et de sympathie que publièrent tous les journaux de Paris, au lendemain de sa mort. Sans doute les articles de ce genre sont écrits par des amis. Chez ceux, même, qui n'étaient pas de ses familiers, qui ne le connaissaient que par ses œuvres, à des nuances d'expression on devinait qu'ils désiraient manifester un réel chagrin pour une fin qui était plus que celle d'un homme et d'un artiste, celle du temps qu'il avait exprimé dans sa musique, le temps où on n'était pas assombri par des inquiétudes, chaque matin renouvelées, le temps d'un certain plaisir de vivre.
CATALOGUE CHRONOLOGIQUE DES ŒUVRES
Etabli avec l'aide de M. Jean Messager
Symphonie en la.
Composée en 1875. Exécutée pour la première fois aux Concerts Colonne le 20 janvier 1878, pour la seconde fois, la même année, aux Concerts populaires à Angers, et pour la troisième fois aux Concerts Straram le 1er mai 1939. Premier prix au Concours de la Ville de Paris 1876. La partition d'orchestre a été éditée par les soins de M. Henri Büsser en 1948. — Choudens, édit. (pp. 38 à 40)
Prométhée enchaîné.
Cantate pour voix, orchestre et chœurs. Second prix au Concours de la Ville de Paris, vers 1877. Inédite (p. 41)
Don Juan et Haydée.
Cantate à trois voix. Premier prix au Concours de
la Ville de Saint-Quentin, vers 1880. Inédite. (p. 41)
Loreley.
Ballade pour orchestre. Composée vers 1880. Exécutée pour la première fois aux Concerts Colonne, direction Pierné, en 1930. (p. 41)
Fleur d'oranger.
Divertissement en un acte. A Mme H. Depret. Théâtre des Folies-Bergère, 1878. — Henry Lemoine, édit. (p. 42)
Les vins de France.
Divertissement en deux tableaux, de Lucien Defoursy. A M. Eugène Augé. Théâtre des Folies-Bergère, 1879. — E. Minier, édit. (p. 43)
Mignons et vilains.
Divertissement en un acte. Théâtre des Folies-Bergère, 1879. — E. Minier, édit. (p. 43)
Regret d'avril.
Paroles d'Armand Silvestre, à Mme la comtesse Emmanuel Potocka, août 1882. — Enoch frères et Costallat, édit. (p. 51)
Chanson de ma mie.
Poésie de Théodore de Banville. A Mme Alice Castillon, novembre 1882. — Enoch frères et Costallat, édit. (p. 51)
Mimosa.
Paroles d'Armand Silvestre. A Mlle Amélie Duez, novembre 1882. — Enoch frères et Costallat, édit. (p. 51)
François les Bas Bleus.
Opéra-comique en trois actes. Paroles de Ernest Dubreuil, Eugène Humbert et Paul Burani. « Musique de Firmin Bernicat terminée par André Messager. » (Quinze numéros sur vingt-cinq sont de Messager.) Folies-Dramatiques, 8 novembre 1883. — Enoch et Costallat, édit (p. 48)
Trois valses pour piano à quatre mains.
A Vincent d'Indy, juillet 1884. — Enoch et Costallat, édit. (p. 52)
Nouveau printemps.
Cinq mélodies. Poésie de Georges Clerc (d'après Henri Heine). A Gabriel Fauré, date d'édition, 30 mai 1885. — Enoch et Costallat, édit. (p. 50)
le Petit Poucet.
Musique de scène pour une féerie. Théâtre de la Gaîté, 28 octobre 1885. (Il n'a été édité que la Chanson des loups et un quadrille sur les principaux thèmes.) — Enoch et Costallat, édit. (p. 53)
la Fauvette du Temple.
Opéra-comique en trois actes. Paroles de Eugène Humbert et Paul Burani. Théâtre des Folies-Dramatiques, 17 novembre 1885. — Enoch et Costallat, édit. (p. 53)
la Béarnaise.
Opéra-comique en trois actes. Paroles de Eugène Leterrier et Albert Vanloo. Bouffes Parisiens, 12 décembre 1885. A Jeanne Granier. (Dans le rôle de Jacquette : Jeanne Granier.) — Enoch et Costallat, édit. (p. 53)
les Deux Pigeons.
Ballet en deux actes, d'après la fable de La Fontaine, par Henry Régnier et Louis Mérante. Opéra, 8 octobre 1886. (Gourouli : Rosita Mauri.) — Enoch frères et Costallat, édit. (p. 56)
le Bourgeois de Calais.
Opéra-comique en trois actes. Paroles de MM. Ernest Dubreuil et Paul Burani. Folies-Dramatiques, 6 avril 1888. — Enoch frères et Costallat, édit. (p. 60)
Isoline.
Conte de fées en trois actes et dix tableaux. Poème de Catulle Mendès. Théâtre de la Renaissance, 26 décembre 1888. — Enoch frères et Costallat, édit. (p. 64)
la Chanson des cerises.
Poésie d'Armand Silvestre, à Mme Fonade.
Chanson mélancolique.
Poésie de Catulle Mendès, à Mme Emma Noël.
Neige rose.
Poésie d'Armand Silvestre, à M. le marquis d'Ivry. — Ces trois mélodies chez Enoch frères et Costallat, juillet 1889 (p. 52)
(Toutes ces mélodies, éditées chez Enoch frères et Costallat, paraissent pouvoir être datées de 1884 à 1888.)
Gavotte.
Danse chantée. Poésie de Théodore de Banville, vers 1887. Publiée dans le supplément musical de Paris-Noël.
A une fiancée.
Poésie de Victor Hugo, vers 1888. — Choudens, édit.
Œuvres pour piano.
Op. 10 Impromptu, à M. Léon Lemoine. Op. 11 Habanera, à son ami G. Neymark. Op. 12 Menuet, à Mme J. Février. Op. 13 Mazurka, à Mlle Jenny Clouet. Op. 14 Caprice Polka, à Mme L. Kahn. Op. 15 Valse, à Mme O. Dieÿ, vers 1888. — Lemoine et fils, édit. (p. 67)
le Mari de la reine.
Opérette en trois actes. Paroles de Grenet-Dancourt et O. Pradels. Bouffes Parisiens, 18 décembre 1889. — Choudens, édit. (p. 66)
les Bleuets.
Ballet en un acte. Inédit (le manuscrit est perdu). (p. 67)
Si j'avais vos ailes.
Valse chantée. Paroles de Grenet-Dancourt et O. Pradels, vers 1890. — Choudens, édit.
Fleurs d'hiver.
Poésie d'Armand Silvestre, à mon ami Bouvet, de l'Opéra-Comique, vers 1890. — Société d'édition mutuelle de musique, édit.
Chant d'amour.
Poésie d'Armand Silvestre. A mon ami Jean de Reszké, vers 1890. — Eugène Fromont, édit.
Souvenirs de Bayreuth.
Fantaisie en forme de quadrille sur les thèmes favoris de l'Anneau du Nibelung. En collaboration avec Gabriel Fauré. (Plaisanterie musicale improvisée chez Mme Baugnies dans les années 1880, probablement après le premier voyage à Bayreuth.) Publiée en 1930. Pour piano à quatre mains. — Costallat, édit. (pp. 89-90)
la Basoche.
Opéra-comique en trois actes. Paroles d'Albert Carré. Opéra-Comique, 30 mai 1890. (Le duc de Longueville : Lucien Fugère. Clément Marot : Soulacroix. Colette : Mme Molé-Truffier. Marie d'Angleterre : Mme Landouzy). — Choudens, édit. (p. 69)
Hélène.
Musique de scène pour un drame en quatre actes et cinq tableaux, de Paul Delair. Théâtre du Vaudeville, 15 septembre 1891. A mon ami Albert Carré. — Choudens, édit. (p. 81)
Scaramouche.
En collaboration avec Georges Street. Pantomime-ballet en deux actes et quatre tableaux de MM. Maurice Lefèvre et Henri Viragneux. Nouveau Théâtre, 17 octobre 1891. (Arlequin : Mlle Félicia Mallet.) — Choudens, édit. (p. 82)
Madame Chrysanthème.
Comédie lyrique en quatre actes, un
prologue et un épilogue, d'après Pierre Loti. Poème de Georges Hartmann et André
Alexandre. Théâtre lyrique (Renaissance), 26 janvier 1893. (Pierre :
Delaquerrière. Yves : Jacquin. Mme Chrysanthème : Jane Guy.) — Choudens, édit.
(p. 86)
Miss Dollar.
Opérette en trois actes et cinq tableaux,
de Charles Clainville et A. Valin. Nouveau Théâtre, 22 décembre 1893. — Choudens,
édit. (p. 88)
Amants éternels.
Pantomime en trois tableaux. Cercle de la
Presse. Théâtre libre, 26 décembre 1893. Inédit. (p. 89)
Mirette.
Opérette. En collaboration avec miss Hope Temple. Londres Savoy-Theater, 3 juillet 1894. — Chappell, Londres, édit. (p. 90)
la Fiancée en loterie.
Opérette en trois actes. En collaboration avec Paul Lacome. Théâtre des Folies-Dramatiques, 15 février 1896. (Angelin : Jean Périer. Mercédès : Mme Cassive. Carmen : Mlle Augustine Leriche). — Choudens, édit. (p. 91)
le Chevalier d'Harmental.
Opéra-comique en cinq actes. D'après Alexandre Dumas et Auguste Maquet, par Paul Ferrier. Opéra-comique, 5 mai 1896. (Buvat : Lucien Fugère. L'abbé Brigaud : Carbonne. Roquefinette : Isnardon. Bathilde : Mlle Marignan). — Choudens, édit. (pp. 92-94)
la Montagne enchantée.
Pièce fantastique en cinq actes et douze tableaux, paroles de MM. A. Carré et E. Moreau, en collaboration avec Xavier Leroux. Théâtre de la Porte-Saint-Martin, 12 avril 1897. (Sont de Messager les troisième et quatrième tableaux, les numéros XVIII et XIX du septième, le numéro XXV du douzième.) — Alphonse Leduc, édit. (p. 94)
le Procès des roses.
Pantomime de Catulle Mendès. Représentée au Théâtre Marigny, en 1897. Inédit (le manuscrit est perdu).
le Chevalier aux fleurs.
Ballet avec chœurs en un acte, en collaboration avec Pugno. Argument et paroles d'Armand Silvestre. Théâtre Marigny, 25 mai 1897 (p. 95)
Trois pièces pour piano et violon.
Barcarolle. Mazurka. Sérénade. A Tivadar Nachez. — Schott, édit. (actuellement Max Eschig) (p. 96)
Mélodies :
Sérénade.
Chantée dans le Colibri, de S. Legendre, 12 juin 1889. — Choudens, édit.
le Bateau rose.
Paroles de Jean Richepin, vers 1892. — Le Tellier, édit. (actuellement Heugel).
Douce Chanson.
Paroles anglaises de Paul England, d'après un roman d'Emile Blémont. — Metzler and Co, Londres.
Notre Amour.
Paroles anglaises de Paul England, d'après A. Silvestre. — Metzler and Co, Londres.
Pour la Patrie.
Paroles de Victor Hugo. Contribution au King Albert's book, édité par le Daily Telegraph, avec la collaboration du Daily Sketch, du Glasgow Herald et Hodder et Stoughton.
Chanson d'automne.
Paroles de Paul Delair. — Le Tellier, édit. (actuellement Heugel).
Ritournelle.
Paroles de Gauthier-Villars. — Le Tellier, édit. (actuellement Heugel).
les P'tites Michu.
Opérette en trois actes, de A. Vanloo et Georges Duval. Théâtre des Bouffes Parisiens, 16 novembre 1897. (Marie-Blanche : A. Bonheur. Blanche-Marie : Odette Dulac). — Choudens, édit. (p. 99)
Véronique.
Opéra-comique en trois actes, de A. Vanloo et G. Duval. Théâtre des Bouffes Parisiens, 10 décembre 1898. (Florestan : Jean Périer. Hélène : Mariette Sully. Agathe : Mme Tariol-Baugé). — Choudens, édit. (p. 101)
Solo de concours pour clarinette et piano.
Conservatoire, 1899. — Evette et Schaeffer, édit.
Une Aventure de la Guimard.
Ballet en un acte, de Henri Cain. Opéra-Comique, 8 novembre 1900. (La Guimard : Mlle Chasles). — Choudens, édit. (p. 118)
les Dragons de l'Impératrice.
Opéra-comique en trois actes, paroles de Georges Duval et Albert Vanloo. Théâtre des Variétés, 13 février 1905. (Cyprienne : Mariette Sully. Lucrèce : Germaine Gallois. Agénor des Glaïeuls : Prince. Saint-Gildas : Alberthal). — Enoch, édit. (p. 121)
Fortunio.
Comédie lyrique en cinq actes, d'après le Chandelier, d'Alfred de Musset, par G. A. de Caillavet et Robert de Flers. Opéra-Comique, 5 juin 1907. (Maître André : Fugère. Fortunio : Francell. Clavaroche : Dufranne. Landry : Périer. Jacqueline : Mme Marguerite Carré). — Choudens, édit. (p. 123)
Amour d'hiver.
Six mélodies. Poésie d'Armand Silvestre. A Maria Kousnezoff. Composées en 1911. — Fürstner, édit. (p. 147)
Béatrice.
Légende lyrique en quatre actes. Poèmes de Robert de Flers et Gaston A. de Caillavet, d'après Charles Nodier. Monte-Carlo, 21 mars 1914. Opéra-Comique, 21 novembre 1917. — Fürstner, édit. (p. 148)
Le matériel d'orchestre se trouve à Paris à la Société des grandes éditions musicales, 22, rue d'Anjou. Pour la partition piano et chant il faut s'adresser à MM. Boosey et Hawkes, 295, Regent Street, London, W, 1. Mais l'édition paraît épuisée. De même pour le recueil Amour d'hiver.
Cyprien, ôte ta main de là.
Opérette en un acte. Concert Mayol, 1916. (Rigadin : Prince). — Max Eschig, édit. (p. 161)
la Paix de blanc vêtue.
Paroles de Lahovary, 1922. — Sénart, édit. (actuellement Salabert).
Va chercher quelques fleurs.
Paroles de Louis Aufauvre. — Sénart, édit. (actuellement Salabert).
Chansons populaires d'Alsace.
Recueillies et traduites par Arsène Alexandre. Harmonisées par André Messager. Images de Georges Delaw, vers 1920. — Berger-Levrault, édit. (p. 163)
Monsieur Beaucaire.
Opérette romantique en trois actes, d'après la nouvelle de Booth Tarkington. Adaptation anglaise représentée à Londres en 1918. Adaptation française d'André Rivoire et Pierre Veber. Théâtre Marigny, 20 novembre 1925. (Beaucaire : M. André Baugé. Lady Mary : Mlle Marcelle Denya). — Salabert, édit. (p. 158)
la Petite Fonctionnaire.
Comédie musicale en trois actes, par Alfred Capus et Xavier Roux. Théâtre Mogador, 14 mai 1921. (Suzanne : Edmée Favart. Le vicomte : Henry Defreyn. Lebardin : Louis Maurel). — Choudens, édit. (p. 192)
Sacha.
Opérette en trois actes, d'après Éducation de prince, de Maurice Donnay, par André Rivoire. Terminée par Berthomieu. Représentée à Monte-Carlo en 1930. Inédit. (p. 197)
l'Amour masqué.
Comédie musicale en trois actes, de Sacha Guitry. Théâtre Édouard-VII, 13 février 1923. (Elle : Mlle Yvonne Printemps. Lui : M. Sacha Guitry. 1re servante : Marthe Ferrare. 2e servante : Marie Dubas. L'interprète : Louis Maurel. Le baron : Urban). — Salabert, édit. (p. 197)
Passionnément.
Opérette en trois actes, de Maurice Hennequin et Albert Willemetz. Théâtre de la Michodière, 15 janvier 1926. (William Stevenson : René Koval. Ketty : Jeanne Saint-Bonnet. Julia : Denise Grey). — Salabert, édit. (p. 201)
Deburau.
Comédie de Sacha Guitry en quatre actes et un prologue. Musique de scène. A la mémoire de Gabriel Fauré. Théâtre Sarah-Bernhardt, 9 octobre 1926. (Marie Duplessis : Mlle Yvonne Printemps. Charles Deburau : Mlle Yvonne Printemps, dans la seconde partie de la pièce). — Salabert, édit. (p. 204)
Coups de roulis.
Opérette en trois actes. Livret de Albert Willemetz et Maurice Larrouy. Théâtre Marigny, 28 septembre 1928. (Béatrice : Mlle Marcelle Denya. Puy-Pradel : Raimu). — Salabert, édit. (p. 205)
Amour masqué (l') : sélection, par Yvonne Printemps, orch. dir. Cariven (Gramo DB 5114) ; « J'ai deux amants » et duo du 28 acte, par Yvonne Printemps, avec orch., et Sacha Guitry (Gramo P 826) ; air du Maharadjah, par Louis Lynel, orch. dir. G. Briez (Idéal 13.436).
Basoche (la) : ouverture et passe-pied, par un orch. symph. (Odéon 165.693) ; acte II, air de Marie, et acte III, romance de Marie, par Georgette Simon, orch. dir. Clemandh (Col. D 19.066) ; « Elle m'aime », par Étienne Billot, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.588) ; acte III, « A ton amour simple et sincère », par Pierre Deldi, orch. dir. E. Bigot (Col. DF 1188) ; « A ton amour simple et sincère » et « Je suis aimé », par André Gaudin, orch. dir. A. Wolff (Polyd. 524.040 ou 561.016) ; acte I, « Oui, de rimes, je fais moisson », et acte III, « A ton amour simple et sincère », par Roger Bourdin, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.844) ; acte II, duo de Marie et Colette, par Louise Dhamarys et Georgette Simon, orch. dir. M. Clemandh (Col. D 14.253) ; duo « Pourrais-je aimer une autre femme », par André Baugé et Lucienne Gros, orch. dir. G. Andolfi (Pathé X 91.035) ; acte I, Prière à saint Nicolas, et acte III, couplets de Colette, par Marie-Thérèse Gauley. orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.659) ; « Quand tu connaîtras Colette » et « A ton amour simple et sincère », par Villabella, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.702) ; acte I, « Trop lourd est le poids », et acte IV, « Elle m'aime », par Lucien Fugère, orch. dir. Élie Cohen (Col. D 13.045).
Coups de roulis : fantaisie, par orch. symph. dir. V. Alix ; couplets de Béatrice, « Je suis la secrétaire », par Edith Manet (avec chœurs), et duo du roulis « Qu'ai-je donc ? », par Roger Bourdin et Edith Manet, orch. dir. P. Minssart (Odéon 166.532) ; duo du roulis, par Germaine Féraldy et Le Clezio, orch. dir. J. Jacquin (Col. RF 60) ; acte II, « Tous les deux me plaisent », et acte III, « Les hommes sont bien tous les mêmes », par Jacqueline Francell, orch. dir. L. Beydts (Gramo DA 4951) ; acte II, « Ce n'est pas la première fois », et « La quarantaine », par Roger Bourdin, orch. dir. L. Beydts (Gramo DA 4952) ; acte I, duo « C'est un coup de roulis », par Jacqueline Francell et Roger Bourdin, et acte III, duo Béatrice-Sola Myrrhis, « Quand on fait ça », par Jacqueline Francell et Arlette Guttinger, orch. dir. L. Beydts (Gramo DA 4953) ; « En amour il n'est pas de grade » et « Ce n'est pas la première fois », par Roger Bourdin, orch. dir. P. Minssart (Odéon 166.533) ; « Ce n'est pas la première fois » et Marche finale du Ier acte, par Robert Burnier, avec acc. d'orch. (Gramo L 690) ; « Les hommes sont bien tous les mêmes » et « C'est charmant, très parisien », par Edmée Favart, orch. dir. Fl. Weiss (Polydor 522.337).
Deux pigeons (les) : orch. du Covent Garden, dir. Hugo Rignold (HMV C 3778-79) ; Entrée des tziganes, scène et pas des deux pigeons, thème et variations, divertissement, danse hongroise, final, orch. Colonne, dir. J. Fournet (Pathé PDT 135-136-137) ; orch. symph. dir. E. Bervily (Gramo L 938-939) ; musique de la Garde Républicaine, dir. P. Dupont (Col. D 11.020-21) ; Entrée des tziganes, thème et variations, orch. dir. P. Minssart (Odéon 250.001) ; Valse, Association symph. de Paris, dir. Th. Mathieu (Ultraph. AP 802).
Fauvette du Temple (la) : fantaisie arrang. de Tavan, Association symph. de Paris, dir. Fr. Casadesus (Ultraph. AP 805 et Enoch 8) ; duo des chameliers, par Emma Luart et André Balbon, orch. dir. G. Andolfi (Pathé X 92.002).
Fortunio : « La vieille maison grise », par Villabella, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.603), par Georges Thill, orch. dir. P. Chagnon (Col. LF 104) ; Chanson de Fortunio, par Leila ben Sedira, orch. dir. P. Devred (Ultraph. BP 1565), par Lucienne Radisse (vcelle) et Nathalie Radisse (piano) (Odéon 166.444) ; « Si vous croyez que je vais dire » et « La maison grise », par David Devriès, orch. dir. Cloëz (Odéon 188.525) ; « Je suis très tendre », par Villabella, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.598) ; air de Jacqueline « Lorsque je n'étais qu'une enfant », par Marthe Coiffier, orch. dir. G. Lauweryns (Gramo K 6008) ; « C'est un garçon de bonne mine », et air du chandelier « Ah ! la singulière aventure », par Ninon Vallin et Roger Bourdin, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.541) ; « La maison grise », par Robert Bugnet, orch. dir. E. Bervily (Gramo K 7230) ; « La maison grise » et Chanson de Fortunio, par Raoul Gilles, orch. dir. A. Wolff (Polyd. 561.006) ; « La maison grise », par Ninon Vallin, au piano P. Darck (Odéon 166.804) ; Chanson de Fortunio, par Villabella, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.638) ; Chanson de Fortunio, et « La maison grise », par Marcel Claudel, avec orch. (Gramo K 5945) ; « Lorsque je n'étais qu'une enfant », par Ninon Vallin, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.521) ; « La maison grise » et « Si vous croyez que je vais dire », par Marcelle Denya, orch. dir. G. Truc (Col. D 13.056) ; « C'est un garçon de bonne mine », par Emile Rousseau, avec orch. (Gramo K 6009).
François les Bas Bleus : fantaisie, par l'Association symph. de Paris, dir. Fr. Casadesus (Enoch 8 et Ultraph. AP 805), orch. dir. P. Minssart (Odéon 238.097) ; ronde « C'est François les bas bleus », par René Gerbert, avec orch. (Pathé X 0713), par Georges Villier, orch. dir. A. Bernard (Col. RF 42).
Isoline : ballet : Pavane des fées, entrée d'Isoline et mazurka, entrée de la première danseuse et scène de la séduction, valse et finale, orch. symph. dir. F. Rühlmann (Pathé X 96.206-207), orch. dir. G. Lauweryns (Gramo K 5979-80), orch. dir. J.-E. Szyfer (Col. DFX 177), Musique de la Garde Républicaine, dir. P. Dupont (Col. D 11.083-84) ; valse « Ah, ah, je suis jolie », par Yvonne Brothier, orch. dir. J.-E. Szyfer (Gramo DA 4830).
Madame Chrysanthème : acte III, « Le jour sous le ciel béni », par Yoshiko Miyakawa, orch. dir. Elie Cohen (Col. LFX 167).
Monsieur Beaucaire : ouverture, orch. Lamoureux, dir. M. Cariven (Pathé PD 89) ; sélection avec chant, Mona Givry et Jean Calain, orch. dir. V. Alix (Parloph. 22.458) ; « La rose rouge », par Willy Clément, orch. dir. M. Cariven (Gramo SK 104), par André Baugé (Pathé PG 66) ; « Le Rossignol », par Fanély Revoil, orch. dir. M. Cariven (Pathé PDT 80) ; duo de la rose, par Geori Boué et Roger Bourdin, orch. Pasdeloup, dir. A. Wolff (Saturne D 601) ; « Le Rossignol » et duo « Serment d'amour, vole, vole », par Georgette Simon et G. Villier, acc. d'orch. (Col. RFX 3).
Passionnément : sélection, orch. symph. dir. V. Alix, avec refrain chanté (Parloph. 22.455), et sélection d'opérettes d'hier (Decca K 25-001) ; couplets de Julia, « Je ne suis pas très exigeante », par Germaine Féraldy, orch. dir. J. Jacquin (Col. BF 8) ; couplets de Julia, « J'ai lu dans la sainte Écriture » et « L'amour est un oiseau rebelle », par Edmée Favart, acc. d'orch. (Pathé X 91.033) ; « Vous avez comblé ma patronne » et « L'amour est un oiseau rebelle », par Marie Berzia, orch. dir. M. André (Ultraph. AP 820) ; couplets de Julia, « J'ai lu dans la sainte Écriture », par Marthe Coiffier, couplets de Stevenson, par Edouard Rousseau, orch. dir. E. Bervily (Gramo K 6614) ; « Je ne suis pas très exigeante », par Germaine Féraldy, et Passionnément-Valse, par Le Clezio, orch. dir. J. Jacquin (Col. BF 9) ; « Lunettes bleues et perruque blanche », par Koval et Suzanne-Marie Bertin, et « Si l'Amérique », « Quand on a bu », par Koval, orch. Ultraphone, dir. M. André (Ultraph. A P 822) ; Passionnément-Valse, par Louis Arnoult, et Duetto du contrat, par Louis Arnoult et Koval, orch. Ultraphone, dir. M. André (Ultraph. A P 821) ; valse du film, par Fernand Gravey, orch. dir. Wal-Berg (Polyd. 522-363).
Petite Fonctionnaire (la) : « Je regrette mon Pressigny », par Fanély Revoil, orch. dir. M. Cariven (Pathé PD 31).
Petites Michu (les) : duo « Blanche-Marie et Marie-Blanche », orch. dir. J.-E. Szyfer (Gramo K 6059).
Souvenirs de A. Messager sur « Véronique », « les Petites Michu », « la Fauvette du Temple », « les Dragons de l'Impératrice », arrang. Bervily, orch. dir. Bervily (Gramo L. 841).
Souvenirs de Bayreuth, par Gabriel Fauré et André Messager : « Fantaisie en forme de quadrille sur les thèmes favoris de l'Anneau du Nibelung de R. Wagner », cinq figures, pour piano quatre mains, par D. Herbrecht et L. Petitjean (Gramo K 5906).
Suite funambulesque : « Cassandre et la marquise », « Pantomime-valse », « Scène d'amour », « Solitude de Pierrot », orch. P. Godwin (Polyd. 522.028-29).
Véronique : ouverture, orch. Lamoureux dir. M. Cariven (Pathé PD 89), orch. dir. Godfroy Andolfi (Pathé X 8706), orch. Odéon (Odéon 165.183) ; fantaisie arrang. Tavan, orch. symph. dir. V. Alix (Parloph. 22.134) ; sélection de valses, orch. de danses anciennes Galloway-Ruault, dir. B. Howell (Decca a. K 1770) ; fantaisie, orch. symph. Snaga (Polyd. 27-113) ; sélection chant et orch., Marie-Louise Azéma, Renée Legendre et Emile Rousseau, orch. dir. R. Guttinguer (Idéal 12.902) ; « C'est Estelle et Véronique », duo de l'escarpolette, duetto de l'âne, « Adieu, je pars », par Yvonne Printemps et Jacques Jansen, orch. dir. M. Cariven (Gramo DB 5114) ; couplets d'entrée, par Louise Dhamarys, orch. dir. M. Heurteur (Col. D 12024) ; « C'est Estelle et Véronique » et « Voyons, ma tante », par Sim-Viva, orch. dir. A. Cadou (Odéon 165.531) ; « C'est Estelle et Véronique », par Mlle Lemichel du Roy, et « Adieu, je pars », par Robert Burnier, orch. dir. J. Lenoir (Polyd. 521.510) ; « C'est Estelle et Véronique » (acc. de piano), par Danielle Brégis, et duetto de l'âne (acc. d'orch.), par Danielle Brégis et Nicolas Amato (Decca M 153) ; air de la grisette, et « Vrai Dieu, mes bons amis », par Robert Burnier, orch. dir. J. Lenoir (Polyd. 521.511) ; « Ma foi, pour venir de province », et « Voyons, ma tante », par Mlle Lemichel du Roy, orch. dir. J. Lenoir (Polyd. 521.515) ; « Vrai Dieu, mes bons amis », par Roger Bourdin, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.552) ; « Petite dinde », par Mlle Sim-Viva, orch. dir. A. Cadou (Odéon 165.510) ; « Petite dinde », et « Ma foi, pour venir de province », par Maggie Teyte, accomp. d'orch. (Decca K 903) ; « C'est Estelle et Véronique », et « Petite dinde », par Fanély Revoil, orch. dir. Bervily (Gramo K 7364) ; « Quand j'étais baron des Merlettes », par André Noël (Pathé X 91.012) ; duetto de l'âne, et « Eh bien, par ordre procédons », par Mlle Lemichel du Roy et Robert Burnier, orch. dir. Lenoir (Polyd. 521.509), par Flore George et Jean Vieuille, orch dir. M. Frigara (Parloph. 28.542) ; duo de l'escarpolette, par Mlle Lemichel du Roy et Robert Burnier, orch. dir. J. Lenoir (Polyd. 516.503), par Emma Luart et Roger Bourdin, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.710), par Flore George et Jean Vieuille, orch. dir. M. Frigara (Parloph. 28.540), par Charpini et Brancato, accomp. de piano (Col. DF 2491), par Hélène Regelly et A. Roque, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 166.386) ; duetto de l'âne et duo de l'escarpolette, par Marthe Coiffier et Emile Rousseau, orch. dir. G. Diot (Gramo L 870), par André Baugé et Suzanne Laydeker, orch. dir. G. Andolfi (Pathé PG 67) ; duetto de l'âne, par Geori Boué et Roger Bourdin, orch. Pasdeloup, dir. A. Wolff (Saturne D 603), par Emma Luart et Roger Bourdin, orch. dir. G. Cloëz (Odéon 188.711) ; La lettre « Adieu, je pars », par Willy Clément, orch. dir. M. Cariven (Gramo SK 104), par Robert Buguet, orch. dir. Bervily (Gramo K 7230), par Pierre Deldi, orch. dir. E. Bigot (Col. DF 1188), par Jean Vieuille, orch. dir. M. Frigara (Parloph. 28.541) ; « Une grisette mignonne », et « Adieu, je pars », par Emile Rousseau, avec acc. d'orch. (Gramo P 685).
Table des matières
Années d'enfance et d'apprentissage (1853-1875)
Les débuts difficiles d'un musicien pauvre (1875-1886)
Les premiers succès (1886-1891)
Le compositeur en quête d'un
bon livret (1891-1897)
Des P'tites
Michu à Fortunio en passant par Pelléas (1897-1908)
L'Opéra et les
concerts et encore l'Opéra-Comique (1908‑1920)
Fructueux automne (1921-1929)
Catalogue chronologique des œuvres
Achevé d'imprimer sur les presses d'Aubin Ligugé (Vienne) le 5 décembre 1951.