Gounod, sa vie et ses œuvres

 

par J.-G. Prod’homme et A. Dandelot (préface de Camille Saint-Saëns, 1911)

 

=> volume 1 ; volume 2

 

 

 

 

Gounod, sa vie et ses œuvres d'après des documents inédits, par J.-G. Prod'homme et A. Dandelot (2 vol., Paris, 1911).

 

« La biographie proprement dite de Gounod est connue dans ses grandes lignes : nous nous sommes efforcés de la préciser, exclusivement au moyen de documents contemporains irréfutables, imprimés ou manuscrits. » Et en effet, on ne trouvera dans cet ouvrage que des faits que les auteurs ont pris soin de dater avec exactitude, s'abstenant de toute appréciation personnelle sur les œuvres du maître et satisfaits de mettre sous nos yeux les jugements qui furent portés sur elles, au moment de leur apparition, par les contemporains.

 

Les Gounod, comme fourbisseurs du roi, habitèrent le Louvre de 1730 à 1806. Louis-François Gounod, le père du musicien, était né en 1758. Peintre médiocre, mais bon graveur, doux, fin et aimant à flâner, il voyagea en Italie et séjourna à Rome. Le 24 novembre 1806, il épousa Victoire Lemachois, fille d'un avocat au parlement de Normandie. Il mourut le 24 mai 1823, laissant deux enfants : Louis-Urbain, né le 13 décembre 1807, et Charles-François, né le 17 juin 1818. Mme Gounod éleva ses fils. « Ma mère, écrivit plus tard Gounod, était excellente musicienne : elle avait en outre cette précision et cette clarté méthodiques si nécessaires chez un professeur, et qui lui permirent de se livrer à l'enseignement, lorsque la mort de mon père la laissa veuve, sans autre fortune que deux enfants à élever. » Son jeune fils était son meilleur élève ; c'est pourtant au notariat qu'elle le destine. En 1829, il entre au lycée Saint-Louis. Ses études sont moyennes, mais la musique s'empare de lui. Il est « à demi suffoqué par l'émotion », le soir où il entend le Don Juan de Mozart. Deux concerts auxquels il assiste donnent un nouvel élan à son ardeur musicale. Il écrit à sa mère : « Je ne vois rien de plus imposant ni de plus touchant qu'une belle création musicale. Pour moi, la musique est une compagne si douce, qu'on me retirerait un bien grand bonheur si on m'empêchait de la sentir. Oh ! qu'on est heureux de comprendre ce langage divin ! C'est un trésor que je ne donnerais pas pour bien d'autres, c'est une jouissance qui, je l'espère, remplira tous les moments de ma vie. » En vain sa mère voudrait s'opposer à sa vocation. En 1835, à sa sortie du lycée, il devient l'élève de Reicha, puis d'Halévy et de Lesueur. L'année suivante, il a le second prix de Rome, et, en mai 1839, il remporte le grand prix sur une scène du comte de Pastoret, Fernand. Le 5 décembre, il partait pour Rome avec l'architecte Hector Lefuel et le graveur Vauthier. A Rome, la musique lui semble exécrable, sauf celle qu'il entend à la chapelle Sixtine. Mais Mme Hensel, sœur de Mendelssohn, lui découvre la musique allemande ; et cette révélation « produit sur lui l'effet d'une bombe qui tombe dans une maison ». L'influence religieuse de Lacordaire s'exerce à l'excès sur son esprit. La traduction de « Faust » ne le quitte pas. Il compose un « Te Deum » et une « Messe » avec orchestre pour la fête du roi Louis-Philippe à Saint-Louis-des-Français. En 1842, il quitte Rome, passe par Vienne et Berlin, rencontre Mendelssohn à Leipzig. Le 25 mai 1843, il est à Paris. Maître de chapelle de la cure des Missions, admirateur passionné de Bach et de Palestrina, il s'abandonne entièrement à la religion. Il suit les conférences de Lacordaire, fait des études théologiques et apologétiques, est autorisé à assister aux cours de Saint-Sulpice, habite aux Carmes pendant quelque temps. Le bruit court qu'il va entrer dans les ordres. Sa musique est purement religieuse. Ce sont des messes, des cantiques, les offices de la semaine sainte. Mais, en 1850, grâce à la protection de Mme Viardot, Emile Augier compose pour lui un livret d'opéra Sapho, et Nestor Roqueplan, directeur de l'Opéra, le reçoit d'avance. La mort de son frère retarde son travail. En janvier 1851, pourtant, il fait applaudir quatre compositions dans un concert, à Londres, et, le 16 avril de la même année, Sapho est jouée à l'Opéra. C'est « une des belles pages que l'art musical moderne ait à enregistrer », écrit Théophile Gautier. « M. Gounod, écrivait Berlioz, est un jeune musicien doué de précieuses qualités, dont les tendances sont nobles, élevées, et qu'on doit encourager et honorer d'autant plus que notre époque musicale est plus platement corrompue et corruptrice. » Mais le sérieux de cette oeuvre choquait et ennuyait. On trouvait qu'elle manquait de gaieté et de brio. Le succès d'estime fut grand, mais sept représentations seulement eurent lieu. La pièce fut reprise en décembre, allégée de plusieurs morceaux.

 

En avril 1852, il épouse Anna Zimmermann, fille d'un professeur au Conservatoire. La même année, il est nommé directeur de l'Orphéon de la Ville de Paris. Ces nouvelles fonctions l'occuperont beaucoup. C'est à leur occasion qu'il composera le Vin des Gaulois, la Cigale et la Fourmi, le Corbeau et le Renard, l'Hymne à la France, Vive l'Empereur !, la Messe des Orphéonistes. Le 18 juin, Ulysse, tragédie de Ponsard, pour laquelle il a fait des chœurs, est jouée. Le succès en est médiocre, malgré la bienveillance que l'on montre au jeune musicien. Dans ces chœurs encore, reparaît l'austérité de la musique religieuse. De nouveau, les compositions d'église et de concert le retiennent ; puis il se met à un nouvel opéra. La Nonne sanglante avait été tirée par Scribe et Germain Delavigne d'un roman de Lewis, le Moine ; tour à tour Berlioz, Meyerbeer, Halévy, Félicien David, Albert Grisar, Verdi, Clapisson avaient dû la mettre en musique. Ce fut Gounod qui y réussit. La première représentation eut lieu le 18 octobre 1854. Les recettes furent bonnes ; la critique signala les progrès du musicien. Mais un changement de direction arrêta la pièce à la onzième représentation.

 

Pour se consoler, il compose sa Symphonie en ré majeur, jouée en partie avec le plus vif succès au concert des Jeunes-Artistes, sous la direction de Pasdeloup ; puis ce sont des mélodies, la Symphonie en mi bémol. Il travaille à un Ivan le Terrible. En novembre 1856, il va en Italie chercher des chanteurs pour l'Opéra. A son retour, une soudaine maladie l'abat. Le bruit de sa folie court ; mais il se remet assez vite.

 

C'est le moment de la composition de Faust. La première idée lui en était venue pendant son séjour à Rome. Longtemps il y songea. C'est vers 1850 qu'il l'entreprend. Une pièce de Michel Carré, Faust et Marguerite, avec musique de scène de Couder, est jouée avec un certain succès au Gymnase. La Damnation de Faust paraît en 1854. Barbier et Carré écrivent le livret sur lequel Gounod travaillera. Le directeur de l'Opéra, Royer, refuse l'opéra, comme manquant de pompe ; il est reçu au Théâtre-Lyrique, mais avant Faust, Gounod y donne le Médecin malgré lui, le 15 janvier 1858, et ce n'est qu'en septembre que commencent les répétitions. Des coupures sont faites. La censure songe à demander la suppression de l'acte de l'église. La première, enfin, a lieu le 19 mars 1859. Cinquante-sept représentations sont données. Si Berlioz est enthousiaste, ses confrères discutent vivement l'œuvre, et le musicien trouve difficilement un éditeur. Il donne enfin pour 10.000 francs sa partition à Choudens. Mais, bientôt, commence le tour d'Europe de Faust. On le joue à Strasbourg, à Rouen, à Liège, à Darmstadt, à Mayence, à Dresde, à Vienne, à Munich. L'Allemagne, la Suède, la Hollande, l'Italie, l'Angleterre, l'Amérique, l'Espagne l'entendent. Gounod ne se laisse pas distraire par le succès. Il compose Philémon et Baucis, opéra-comique en trois actes, qui est représenté au Théâtre-Lyrique en février 1860. De nouveau, la critique est favorable, mais le succès est médiocre. Il ne se décourage pas. Dans un concert, il fait jouer une Pastorale sur un Noël du XVIIIe siècle ; à Bade, il donne un opéra-comique en un acte, la Colombe ; le 28 février 1862, la Reine de Saba est représentée devant l'Empereur. L'insuccès fut presque total. Il part pour l'Italie, séjourne à Naples, à Rome, à Pompéi. « Je suis monté hier au Vésuve, écrit-il ; j'ai revu ma chère île de Capri, tout cela me dilate et me fait du bien : j'espère que cela fera des petits pour plus tard. » Il revient à Paris en juillet ; en octobre, Faust est repris au Théâtre-Lyrique. Bientôt, il se met à Mireille et, en mars 1863, il va voir Mistral à Maillane. Il s'installe à Saint-Rémy. Le 29 mai, il est de retour à Paris, ayant terminé sa pièce. Le 19 mars 1864, Mireille est jouée au Théâtre-Lyrique. Le succès en est médiocre. Il travaille aux Deux Reines, quatre actes de Legouvé, qui devaient être interdits par la censure. Il songe à Roméo et Juliette. Il y travaille à Saint-Raphaël, et le donne le 27 avril 1867. C'est son premier succès incontesté. On le joue en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Autriche, en Italie. Sa musique religieuse, sa musique dramatique se répandent. L’Opéra accueille Faust, et, pour ces nouvelles représentations, Gounod compose le ballet. En décembre 1868, il part pour Rome avec Hébert, alors directeur de la villa Médicis. L'Italie l'enchante plus que jamais. Il y travaille. Il commence Rédemption. Après le succès considérable de Faust à l'Opéra, il se met à Polyeucte. Mais la guerre éclate. Le 8 août, il fait chanter une cantate A la frontière. Après les désastres, il se retire à Varangeville, près de Dieppe.

 

Le 13 septembre, il passe en Angleterre. Il compose « un tas de mélodies, plus un grand psaume en quatre morceaux très importants avec solo, chœurs et orchestre pour des concerts sacrés » ; puis son élégie biblique Gallia. En juin 1871, il refuse de diriger le Conservatoire de Paris. C'est le moment où il se lie avec Mme Weldon. Après un séjour à Paris, il revient avec elle en Angleterre. Il l'accompagne à Spa. Des bruits malveillants courent sur lui, mais il ne quitte pas son amie. Il ne vient assister à Paris ni à la représentation des Deux Reines, ni à la reprise de Roméo. Il reste à Londres : il y mène une vie laborieuse et inquiète, recevant parfois la visite de ses amis de France. A la suite de démêlés avec un éditeur, il manque faire de la prison ; mais son fils lui-même ne parvient pas à le décider au retour. Il compose sa Jeanne d'Arc, qui est jouée à la Gaîté en novembre 1873 avec un médiocre succès. Il conduit des concerts à Saint-James Hall. Il souffre de crises cérébrales. Il est enfin à Paris en juin 1874, après une absence de trois ans. « Brisé de peines, de souffrances, d'épreuves et de détresses de toutes sortes », il se laisse reprendre peu à peu par la vie familiale. L'Opéra joue Faust, l'Opéra-Comique Mireille, la Gaîté Jeanne d'Arc. En mai 1876, Philémon et Baucis, réduit en deux actes, paraît à l'Opéra-Comique. Le 5 avril 1877, il donne un Cinq-Mars ; en octobre 1878, Polyeucte est représenté à l'Opéra. C'est un échec ; et pourtant, son activité ne se lasse pas. Il songe à une Charlotte Corday, à une Héloïse ; il travaille au Tribut de Zamora, à Maître Pierre, à Rédemption. Il écrit un livre sur l'art et la philosophie. Les questions politiques et sociales l'attirent ; les lectures théologiques le passionnent. En août et septembre 1882, à Birmingham, au Trocadéro en 1884, il dirige avec un immense succès l'exécution de Rédemption. En 1883, c'est l'oratorio Mors et Vita. Ses pièces sont reprises partout. Sa renommée est universelle. Il va de ville en ville acclamé. Il songe à faire une tournée en Amérique. Il compose un Quatuor en la mineur, une Petite symphonie pour instruments à vent, un Diptyque musical sur saint François d'Assise, la musique de scène des Drames sacrés d'Armand Silvestre, des mélodies, de la musique religieuse. Il travaille jusqu'à sa mort, qui survient le 17 octobre 1893.

 

L'ouvrage de J.-G. Prod'homme et A. Dandelot sera précieux à tous ceux qui étudieront l'œuvre du maître par tous les renseignements qu'il donne. On y trouvera une précieuse chronologie de toutes les compositions du grand musicien. Ils ont fait pleinement ce qu'ils se proposaient de faire ; et nul ne pourra écrire sur l'histoire de la musique au XIXe siècle sans se reporter à leur étude. On aurait pourtant aimé qu'ils apprécient, eux aussi, la personnalité de Gounod et qu'ils donnent ainsi une conclusion au récit d'une belle vie.

 

(Jacques Bompard, Larousse Mensuel Illustré, mai 1912)

 

 

 

 

Encylopédie