Cinquante ans de musique française (1874 - 1925)
Nicolas Lancret : Couverture d'un recueil de pièces de clavecin
L'ENSEIGNEMENT
par René DUMESNIL
Quand Ponocrates, connaissant la vicieuse manière de vivre de Garguantua « délibère l'instituer » selon d'autres méthodes que celles des précepteurs sorbonagres, il ne manque point de faire, dans le plan d'études qu'il élabore pour le fils de Grandgousier, une bonne part à la musique. Car Rabelais accorde à l'étude de l'art sonore la même valeur éducatrice qu'aux « autres sciences mathématiques », et il nous montre l'élève et ses maîtres « faisant mille joyeux instrumens et figures géométriques, et de mesmes pratiquant les canons astronomiques. Après, ajoute-t-il, s'esbaudissoient à chanter musicalement à quatre et cinq parties, ou sus un theme, à plaisir de gorge. Au regard des instrumens de musique, il apprit jouer du luc, de l'espinette, de la harpe, de la flûte d'alemant, et à neuf trous, de la viole, et de la saqueboutte » (qui était une sorte de trompette ou plutôt de trombone). Tant d'instruments, certes, c'est beaucoup pour un seul homme. Cependant, à l'époque de la Renaissance, il n'était guère de gens de qualité qui n'eussent pris des leçons d'un maître de musique. Alors le poète, dit M. de Nolhac (1), écrivait ses odes pour les musiciens avec une rigoureuse symétrie de strophes, chacune pouvant s'adapter à l'air choisi, et, la plupart du temps, il était assez musicien lui-même pour savoir accompagner « de son pouce » son propre texte. Et pour peu qu'on eût de la voix, on était capable, alors aussi de tenir sa partie dans une de ces adorables pièces de Janequin, de Certon, de Goudimel ou de Roland de Lassus que M. Henry Expert a si heureusement remises en honneur à l'occasion du quatrième centenaire de Ronsard.
(1) Ronsard et l'Humanisme, p. 32 (Champion, éd. Paris, 1921).
La grande popularité dont jouissait cette musique écrite à quatre ou huit voix, suffirait à montrer la place faite à cet art dans l'éducation de nos aïeux ; car les chansons et les madrigaux des compositeurs de la Pléiade ne sont point tels qu'il suffise de les avoir entendus — comme certains refrains de nos jours — pour qu'on les puisse exécuter ensuite si l'on n'a pas sérieusement étudié la musique.
D'autre part, et jusqu'à ce que la Révolution les supprimât, les maîtrises donnèrent aux enfants du peuple l'enseignement musical. A chaque cathédrale, à chaque collégiale, était en effet, rattachée une école de musique, une psallette, entretenue aux frais du chapitre. Sous la direction du maître de chapelle, les élèves y étudiaient le solfège, le chant, et selon leurs aptitudes, les divers instruments. Ils prêtaient leur concours à la célébration des offices. Sous l'ancien régime, les maîtrises furent les seules écoles musicales du pays, et c'est à leur existence que la musique et l'opéra français doivent leur développement, puisque c'est parmi leurs élèves que se recrutaient les artistes du chant, les choristes et les musiciens d'orchestre. Dans un projet d'organisation des écoles de musique, élaboré en l'an V par J.-B. Sarrette, fondateur du Conservatoire, celui-ci proposait la création en France d'écoles de musique du premier degré, au nombre de 30, destinées avec les écoles du second degré au nombre de 15, à remplacer les maîtrises. L'enseignement aurait été complété par 10 écoles du troisième degré, et une du quatrième degré (le Conservatoire). De ce programme, le dernier article fut seul réalisé par la fondation du Conservatoire. Les principales villes de province, dans la suite, ouvrirent des écoles municipales, dont quelques-unes furent transformées ultérieurement ainsi qu'on le verra plus loin en écoles nationales, succursales du Conservatoire. Mais tout cela ne faisait que pallier, sans le guérir complètement, le mal, fait par la suppression des maîtrises, mal auquel l'adoption du projet de Sarrette eût sans doute porté remède Pour justifier les crédits d'ailleurs assez modestes qu'eût nécessités sa proposition si on l'eût adoptée, Sarrette avait dressé un tableau des dépenses relatives à l'entretien des Corps de Musique de la Chapelle du Roi, des Cathédrales et des Maîtrises, avant 1789. Ces chiffres seront pour beaucoup de lecteurs un sujet d'étonnement :
Chapelle et Chambre du Roi et de la Reine : 407.300
Cathédrales de Paris, Sainte-Chapelle et églises parisiennes ayant maîtrises : 674.400
Cathédrale de Chartres : 106.800
Cathédrale d'Amiens : 66.100
Cathédrale de Dijon : 70.000
Sainte-Chapelle de Dijon : 105.000
Collégiale de Saint-Martin de Tours : 81.900
Cathédrale d'Angers : 80.000
Cathédrale de Strasbourg : 250.000
Cathédrale de Rouen : 81.000
Cathédrale de Toulouse : 100.000
Cathédrale de Rennes : 80.000
Cathédrale de Cambrai : 130.000
Cathédrale de Langres : 100.000
Environ 400 églises ayant maîtrises, composées chacune, terme moyen, de 12 musiciens ou bénéficiers musiciens avec un maître de musique, à 25.000 fr. chacune : 10.320.000
6.000 organistes à 600 fr. l'un dans l'autre : 3.600.000
Total : 16.252.500
Archiluth (Musée du Conservatoire) |
Archiluth (Musée du Conservatoire) |
Cependant, au cours du XIXe siècle, quelques maîtrises renaquirent et groupèrent à nouveau des élèves dans les villes épiscopales. C'est ainsi que Rouen, et Dijon, par exemple, purent s'enorgueillir de posséder d'excellentes écoles de musique religieuse à l'ombre de leurs cathédrales. La première est actuellement dirigée par l'abbé Bourdon. Elle a formé des élèves comme M. Paul Paray, qui, entré plus tard au Conservatoire, devait devenir grand prix de Rome. La seconde a pour directeur le savant chanoine Moissenet, qui fait autorité en matière de musique religieuse. A Paris même, à Notre-Dame, l'abbé Regnault, maître de chapelle, instruit une quarantaine d'élèves. Le régime de ces institutions est l'internat ; on y donne l'enseignement secondaire jusqu'à la classe de quatrième, tout en faisant à la musique la place désirable, et le programme est en somme à peu près celui des cours élémentaires de l'école Niedermeyer dont il sera parlé plus loin. Quant aux maîtrises des paroisses, elles recrutent leurs élèves parmi les enfants des écoles libres, principalement. Mais il convient de dire que cette question du recrutement fait le désespoir des maîtres de chapelle chargés de leur enseigner le rudiment du solfège et de leur faire répéter les chants liturgiques. Il est en effet de plus en plus difficile d'astreindre ces enfants à un travail régulier et à la fréquentation des cours. Le goût des sports, un certain esprit d'indépendance font à la musique une concurrence victorieuse. Et sur les quinze ou vingt enfants dont l'assiduité serait indispensable au fonctionnement normal de la maîtrise, le maître de chapelle, à grand peine, parvient à en réunir cinq ou six certains dimanches de l'été. Encore la moitié de ces chanteurs s'abstient-elle de chanter, et fait-elle aussi bien de demeurer bouche close, puisqu'elle n'a pas même déchiffré les parties, faute d'avoir assisté aux leçons...
En dotant la France d'un établissement d'enseignement supérieur de la musique par la création du Conservatoire, la Convention rendit certes un grand service à l'art, mais, on ne peut nier qu'elle ne fit rien pour l'enseignement élémentaire ruiné par la suppression des maîtrises. Et cette lacune n'a été, depuis, que fort imparfaitement comblée.
A l'heure présente, la musique figure bien parmi les matières inscrites aux programmes d'études primaires et secondaires, mais c'est à peu près comme si elle ne s'y trouvait point. La plupart des enfants quittent l'école ou le lycée sans savoir distinguer une clef de sol d'une clef de fa, et l'on peut être reçu bachelier avec la mention « très bien » en ignorant que Beethoven a composé neuf symphonies ou que Berlioz est l'auteur de la Fantastique et de la Damnation. Les pédagogues ont changé d'avis depuis Rabelais et son Ponocrates, et pendant trop longtemps la musique ne fut plus à leurs yeux qu'un « art d'agrément » dont la pratique demeurait fort indifférente à la culture générale. De cette opinion, nous souffrons encore. Il arrive de temps en temps qu'un congrès déplore cet état de choses, manifestement déplorable. Mais les vœux qu'il formule restent platoniques. Au congrès de l'Art à l'école, tenu en mai 1923, M. Marcel Prévost s'indignait précisément de cette inertie et constatait que, des méthodes employées dans les écoles primaires et les lycées, il ne fallait attendre d'autre résultat que de les voir étouffer chez les élèves tout sentiment artistique. Interviewé dans le même temps, M. Ch.-M. Widor répondait à un journaliste cette parole désabusée : « Trop de gens embrouillent chant et musique. On croit avoir enseigné la musique à des enfants quand on leur a fait apprendre par cœur des chants scolaires. Voilà plus d'un an que je me suis fâché à ce sujet au conseil supérieur de l'Instruction Publique dont je fais partie. Aussi bien, dans le même conseil, au sein de la commission spécialement chargée de l'enseignement de la musique, n'a-t-on pas dû répondre à une voix attristée et « de la maison » qui demandait si cet enseignement était en progrès : « Non, il est plutôt en recul ». Si l'on voulait vraiment enseigner les sept notes, ce serait une éducation simultanée de l'œil et de l'oreille. Nos enfants sauraient la valeur des intervalles. En eux s'inscriraient pour la vie des idées de comparaison... Et ce serait bien plus facile à apprendre que l'alphabet lui-même, cette grammaire, cette théorie plaisante et instructive de la musique pouvant tenir dans deux feuilles de papier à lettre petit format. Au lieu de cela, que d'âneries, que d'inepties entendent inculquer à nos enfants des gens qui ne connaissent rien à la musique ! Et par surcroît de malheur, n'est-on pas obligé, par la force des choses, de demander aux pauvres instituteurs de campagne d'être à la fois professeurs de gymnastique, de musique, etc. ».
Mozart. Fac-simile de deux pages du manuscrit de Don Giovanni (Bibliothèque du Conservatoire).
Duo de Leporello et de Don Giovanni, scène du Cimetière. - Leporello : O statua gentilissima del gran commendatore !... Padron ! mi trema il core non posso, non posso terminar ! - Don Giovanni : Finiscila, o nel petto timetto questo acciar. - Leporello : Che impiccio, che capriccio...
Il existe en effet une commission de l'enseignement musical. Elle compte dans son sein des hommes éminents ; mais cette commission n'est presque jamais convoquée, et l'on continue, malgré ses avis, d'enseigner la musique aux enfants en bas âge comme on enseigne une science abstraite à des jeunes hommes dont l'esprit est formé ; et l'on continue aussi de négliger la chose qui importe avant toute autre, l'éducation de la sensibilité. On rebute les bambins, et comme les programmes des écoles et des lycées ne rendent obligatoire la fréquentation des classes de musique que jusqu'à la sixième, les élèves qui n'ont point la chance d'appartenir à des familles où la musique est en honneur, se détournent, une fois ce cap de la sixième franchi, d'une « matière » dont ils sont fort aises d'être enfin débarrassés.
Combien d'entre eux, plus tard — trop tard, le plus souvent — devant la révélation soudaine d'une des formes les plus émouvantes de l'art et de la beauté, regretteront-ils de n'avoir pas été mieux préparés à la pouvoir mieux sentir ?
En attendant que les pédagogues veuillent bien ne plus regarder la musique comme un art mineur et consentent à reconnaître qu'un Janequin, par exemple, possède tout autant de titres à figurer parmi les gloires de notre pays que tel peintre ou tel poète de génie, parce qu'il a tout autant qu'eux enrichi notre patrimoine intellectuel, en attendant donc que les universitaires rendent à la musique sa dignité, et que les programmes lui fassent une place qu'elle n'aurait point dû perdre, il appartient aux familles de remédier à la carence des écoles publiques, et l'enseignement élémentaire de la musique demeure en France un enseignement presque entièrement privé.
Dans ce domaine tout au moins, il semble bien que de sérieux progrès aient été réalisés au cours des cinquante dernières années. Sans doute la guerre a-t-elle troublé pour un temps cette heureuse évolution, et reste-t-il nécessaire, pour juger en toute équité, de se reporter aux années qui ont immédiatement précédé le bouleversement dont nous ressentons encore les effets. Mais il n'en demeure pas moins que, grâce aux progrès de l'enseignement du Conservatoire, grâce à l'élévation constante du niveau des études dans les classes de cet établissement, le pays a été doté d'une foule de professeurs instruits, aimant leur art et leur métier, et capables de faire partager aux élèves qu'ils forment et leur amour et leur enthousiasme. Il est difficile de se rendre exactement compte de l'importance de changements tels que ceux-là : comme ils s'accomplissent avec lenteur, les points de comparaison semblent manquer. Mais qui n'a remarqué l'assurance avec laquelle les exécutants d'aujourd'hui abordent les passages qui paraissaient jadis d'une difficulté quasi insurmontable ? D'autre part, le goût du public, au moins jusqu'à la guerre, est allé s'affinant. En se multipliant depuis le jour où Pasdeloup fondait — en 1861 — les Concerts populaires, les compagnies symphoniques ont attiré des auditeurs de plus en plus nombreux. Et si, quand on compare le nombre des habitués de nos concerts dominicaux au chiffre total de la population, il reste évident que si ceux-ci ne sont encore qu'une élite, du moins cette élite est-elle devenue assez nombreuse pour emplir à la fois la salle du Conservatoire, le Châtelet, la Salle Gaveau et le Trocadéro. Ce n'est pas pour rien que tant de familles ont pris contact avec les chefs-d'œuvre des maîtres classiques et modernes. Les jouissances qu'elles en ont éprouvées, elles veulent que leurs enfants soient capables de les ressentir, eux aussi ; et pour plus de sûreté, il arrive souvent qu'on n'attend point que l'enfant sache son alphabet pour lui faire apprendre ses notes. Ainsi l'initiative privée se trouve-t-elle porter remède à l'insuffisance de l'enseignement musical dans les écoles publiques, car bien rares sont aujourd'hui les familles tant soit peu cultivées qui estimeraient suffisante, même pour un futur candidat aux écoles scientifiques — une éducation dont toute musique serait exclue.
Pourtant la guerre et ses conséquences, en opérant dans la société contemporaine dés déclassements de toutes sortes, modifia ces conditions. Les uns, se virent obligés de considérer la musique comme un luxe inaccessible à leurs moyens réduits ; d'autres, parvenus rapidement à la fortune, apportèrent aux professeurs une clientèle imprévue. Et ceci eût pu compenser cela, si la qualité des élèves eût été la même : mais on n'oserait affirmer qu'il en ait été toujours ainsi. D'autre part quantité de femmes et de jeunes filles se trouvaient contraintes de demander à la musique, qu'elles n'avaient regardé jusqu'alors que comme une source de plaisirs, un moyen de gagner leur vie et se tournaient vers le professorat. Toutes n'étaient pas aussi bien préparées qu'il eût été nécessaire, et cet encombrement d'une carrière difficile par une foule de nouveaux venus, dont le savoir n'égalait pas toujours la bonne volonté ni les mérites, aurait pu produire des effets assez fâcheux si le temps, petit à petit, n'y devait porter remède.
Cette dureté du temps présent exposait le professorat au plus sérieux des dangers puisqu'elle eût pu tarir le recrutement des artistes se destinant à l'enseignement. Les conditions matérielles de la vie, remarquait à ce propos M. Adolphe Boschot (2), sont devenues mortelles à quiconque ne peut pas majorer le prix de son activité ; or les métiers qui touchent à l'art sont d'autant moins payés qu'ils sont plus près de lui. Par exemple, un compositeur peut donner des leçons de musique, de piano, d'accompagnement, d'harmonie... Voulez-vous me dire combien sont payées de telles leçons ? Le coût de la vie a triplé depuis la guerre, mais le professeur libre, et plus que tous le professeur de musique est maintenu au tarif d'avant-guerre, ou peu s'en faut...
(2) Chez les Musiciens, première série, p. 266 (Paris, 1922, Plon).
Malgré la dignité de leur vie et le soin que prennent les artistes de cacher leur détresse, les embarras pécuniaires éprouvés par les professeurs libres, dans notre société d'après guerre, ne sont pas des mystères. Et comme on ne les ignore point, on aurait pu penser que, dans un monde avant tout assoiffé d'argent, de vanité et de plaisirs, peu de jeunes gens se trouveraient animés du désir d'embrasser une carrière où l'on court tant de risques de vivre assez mal. Mais il faut bien croire que les jeunes générations ont pour l'art le même amour que leurs aînées, puisque les concours d'admission au Conservatoire continuent d'attirer, comme on le verra plus loin, un nombre de candidats fort rassurant pour l'avenir du professorat. Ainsi les mains ne manqueront point pour saisir le flambeau, et d'ici là peut-être, les conditions matérielles de l'existence auront pu s'améliorer. Mais, en attendant, il est bien triste de constater quelles difficultés rencontrent les professeurs pour obtenir une juste rémunération de leur savoir ; ce n'est pas toujours dans les milieux où règne l'aisance qu'on se montre le plus généreux, et telle bourgeoise qui rougirait de discuter avec un fournisseur ne se fait point faute de marchander les cachets qui lui sont demandés par le malheureux professeur de musique. Comment pourrait-il se défendre, puisque la concurrence est devenue, du fait de l'encombrement de la carrière, plus âpre que jamais ?
***
Dans son numéro du 19 mai 1784, le Journal de Paris, premier en date des quotidiens français, mais qui ne se hâtait point de publier les nouvelles, annonçait en ces termes la création de l'Ecole Royale de Chant : « Le public apprendra sûrement avec intérêt que l'Ecole de chant établie par arrêt du Conseil d'Etat du Roi du 3 janvier 1784 a fait son ouverture le 1er avril dernier. Cet établissement était désiré depuis longtemps. On doit tout en présumer pour l'avantage de l'art, vu le choix que le Ministre a fait des plus habiles maîtres en différents genres. Comme ils se sont empressés de donner dans cette occasion des preuves du plus grand zèle, en faisant le sacrifice d'un temps qui leur est précieux, on ne peut leur en savoir trop de gré, et nous croyons devoir consigner ici leur nom. M. Gossec a été nommé directeur de cette école, et c'est à lui que l'on s'adresse pour y être admis. Piccini, Langlé, Guichard, maîtres pour la perfection et le goût du chant ; Rigel, Saint-Amans et Méon, pour le solfège ; Gobert et Rodolphe, pour le clavecin et la composition ; Molé et Pillot pour la déclamation et le jeu du théâtre ; Guénin et Nochez pour le violon et la basse ; Rosset pour la langue française et l'histoire ; Donadieu, maître d'armes ; Deshayes, maître de danse. Ces différents artistes ont cru devoir dans ces premiers moments donner plus particulièrement leurs soins à plusieurs sujets de l'Académie royale de musique qui s'empressent de venir profiter de leurs leçons ; au moyen de quoi, le public pourra jouir avec plus de promptitude des avantages de cet utile établissement. Dans le nombre des jeunes sujets admis à cette école, il en est plusieurs qui donnent beaucoup d'espérances et à qui il ne manquait que l'occasion de cultiver d'heureuses dispositions. Leur application et le zèle d'aussi habiles maîtres doivent nécessairement les développer » (3).
(3) Cet article est cité dans le livre de Constant Pierre, le Conservatoire National de Musique et de Déclamation (Paris, 1900). On trouvera dans cet ouvrage établi avec une conscience et un soin dignes de tous les éloges, tous les documents historiques et administratifs concernant cette institution depuis ses origines jusqu'à 1900.
Clavecin (Musée du Conservatoire).
Panneaux de clavecin (intérieur). Musée du Conservatoire.
L'école était installée dans la maison de la rue Poissonnière (aujourd'hui faubourg Poissonnière), contiguë à l'hôtel des Menus-Plaisirs du Roi. La possibilité de reconstruire dans une cour de cet hôtel une salle de théâtre provenant en grande partie de la foire Saint-Laurent, et nécessaire aux répétitions des élèves, avait fait choisir cet emplacement. Ainsi l'Ecole Royale de Chant précéda-t-elle le Conservatoire dans les bâtiments que celui-ci devait occuper jusqu'à son transfert rue de Madrid. Pourtant ce n'est pas de l'Ecole Royale que le Conservatoire est directement issu. Constant Pierre a montré qu'il avait sa véritable origine dans la musique de la Garde Nationale organisée en 1789, et successivement transformée en Ecole de Musique Municipale (1792), puis en Institut National de Musique (1793), définitivement constitué en 1795 (loi du 16 thermidor an III) sous le titre de Conservatoire de Musique. A vrai dire, on trouve le nom de Conservatoire appliqué à l'Ecole Royale de Musique, en plusieurs documents antérieurs à la fondation même de cette école : les conservatoires établis dans les différentes villes d'Italie avaient contribué à répandre la musique « ultramontaine », et tous ceux qui s'intéressaient à l'enseignement musical en France réclamaient la création dans ce pays d'une institution calquée sur les conservatoires italiens.
Bernard Sarrette, capitaine de la Garde Nationale, commandant la musique, fut le véritable fondateur du Conservatoire. Comme le montre bien l'adresse qu'il envoya à l'Assemblée Législative le 8 septembre 1792, au sujet de la participation des musiciens à la défense nationale, Sarrette ne séparait point en son esprit les aspirations artistiques des devoirs patriotiques :
« Les musiciens de la Garde Nationale parisienne ont, depuis l'époque de la Révolution, chanté la liberté dans les fêtes publiques. Maintenant, ils vont prouver qu'ils savent aussi la défendre. Cc corps de musique se sépare en deux parties, l'une suspend sa lyre pour combattre l'ennemi, l'autre la conserve mais va aux travaux du camp sous Paris.
Ainsi s'élevèrent les murs de Thèbes, ainsi se creusera la tombe des tyrans. L'ennemi sera terrassé, les musiciens se réuniront et chanteront les victoires des Français. Les beaux jours des arts renaîtront et le corps de musique de la garde nationale prendra dans l'instruction publique les places auxquelles les talents qui la composent semblent lui donner droit de prétendre ».
SARRETTE
Capitaine de la Garde Nationale
Commandant la Musique.
(Arch. Nat. C. 167, doss. 409).
Sarrette. Crayon d'après Isabey (Bibliothèque du Conservatoire)
Aussi bien, dans la loi organique promulguée trois ans plus tard, la Convention ne manquait point de souligner le bénéfice que la cause républicaine pouvait tirer de l'institution nouvelle. L'article II spécifiait en effet :
« Sous le rapport d'exécution, le Conservatoire de Musique est employé à célébrer les fêtes nationales ; sous le rapport d'enseignement, il est chargé de former les élèves dans toutes les parties de l'art musical ».
Et l'article XV ajoutait :
« Le Conservatoire fournit tous les jours un corps de musiciens pour le service de la garde nationale près le Corps Législatif ».
Cette dualité des fonctions du Conservatoire (exécution et enseignement) était une conséquence des motifs qui avaient décidé sa fondation. Chénier, soutenant le projet à la tribune de la Convention, avait célébré en termes lyriques « l'influence de la musique sur les patriotes à Paris, dans les départements et aux frontières » ; Gossec et Bernard Sarrette, dans une pétition adressée à la Convention le 18 brumaire an II (8 novembre 1793), avaient fait valoir les mêmes arguments : « C'est dans le sein de cet Institut National, disaient-ils, que se formeront les artistes si nécessaires à l'exécution des fêtes nationales ; placés au centre de la République, trois à quatre cents musiciens distribués dans les fêtes, y imprimeront le caractère et l'énergie. Ils se répandront successivement dans tous les points de la République ; les départements comme le point central auront ainsi leurs moyens d'exécution pour solenniser les époques mémorables de notre régénération ». Et quand plus tard, l'article 2 du décret du 21 thermidor an III (3 août 1795) supprimera la musique de la garde nationale, il spécifiera bien que le Conservatoire doit recueillir les artistes qui la composent.
Méhul, Grétry, Gossec, Lesueur et Cherubini furent désignés pour remplir les fonctions d'inspecteurs de l'enseignement du Conservatoire dont l'organisation fut confiée à Sarrette. Les professeurs étaient au nombre de 115, ainsi répartis entre les classes :
Solfège : 14
Clarinette : 19
Flûte : 6
Hautbois : 4
Basson : 12
Cor (premier) : 6
Cor (second) : 6
Trompette : 2
Serpent : 4
Buccini Tubae Corvae : 1
Timbalier : 1
Violon : 8
Basse : 4
Contrebasse : 1
Clavecin : 6
Orgue : 1
Vocalisation : 3
Chant simple : 4
Chant déclamé : 2
Accompagnement : 3
Le 29 vendémiaire an IV, un arrêté du Comité d'Instruction publique créait trente emplois de professeurs nommés au concours pour compléter ces cadres. Le nombre des élèves des deux sexes était fixé à 600, « choisis proportionnellement dans tous les départements » et admis gratuitement à suivre les cours.
Largement doté au début, le Conservatoire ne devait pas tarder à ressentir les effets de la situation générale : « Dès l'an V, ses administrateurs se trouvèrent contraints de se défendre contre un projet de réduction aux conséquences duquel ils n'échappèrent pas en l'an VIII. Peu après, en l'an X, une seconde réduction des ressources budgétaires amoindrit sensiblement l'Ecole. Depuis quelque temps, une violente campagne diffamatoire dirigée contre elle était engagée dans les journaux et dans d'indignes pamphlets. Longtemps silencieux les professeurs jugèrent utile de réduire à néant les calomnies propagées par ces écrits, et ils s'assemblèrent pour délibérer sur les moyens de défense et pour provoquer les explications de ceux qui, parmi eux, se montraient partisans des accusateurs. La publication du Recueil de pièces à opposer à divers libellés dirigés contre le Conservatoire, adressé à tous les hauts fonctionnaires de l'Etat, confondit les détracteurs. L'agitation prouva sa vitalité » (4).
(4) Constant Pierre, loc. cit. XIV.
Le nombre des professeurs avait été réduit à 70, et celui des élèves à 400. Les crédits, qui, de la fondation du Conservatoire au 1er germinal an VIII, s'étaient élevés annuellement à 320.000 frs furent, en 1802, abaissés à 100.000 frs. En 1810, ils furent portés à nouveau à 200.000 frs, et l'enseignement put reprendre sa marche ascendante. Un pensionnat pour les élèves de chant fut créé par décret de l'empereur, la construction d'une salle de spectacle et d'une salle pour la bibliothèque fut entreprise. Gossec, Méhul, Lesueur, Cherubini, Martini, Piccinni, Boieldieu, Kreutzer, Baillot, Blasius, Rodolphe, Ozi, Jadin, comptèrent parmi les professeurs de cette époque.
La Restauration destitue Bernard Sarrette ; l'hôtel des Menus-Plaisirs et toutes ses dépendances sont remis à la disposition du comte de Blacas, Ministre de la Maison du roi. Le Conservatoire est alors fermé ; l'Ecole Royale de Chant le remplace peu après avec un programme réduit à celui de l'institution antérieure à la Révolution, et dont l'unique objet était de préparer des sujets pour l'Opéra. Cette école rouvre ses portes le 17 avril 1816, dotée d'un maigre budget de 80.000 fr. ; mais ses 38 professeurs, et la plupart de ses élèves aussi, proviennent de l'ancien Conservatoire. Perne en est le directeur, jusqu'en 1822, année où Cherubini est appelé à lui succéder. Nommé le 20 avril, il établit immédiatement un projet de réorganisation de l'école, qui, grâce à ses efforts, reprend petit à petit la tradition un instant interrompue. En 1831, un décret rend enfin à l'école son ancien titre de Conservatoire de Musique, qui depuis lors, ne varie plus.
Habeneck (Bibliothèque du Conservatoire)
En 1828, Habeneck, qui dès 1803, avant même qu'il eût obtenu son premier prix de violon, s'était acquis une juste notoriété par la façon dont il avait dirigé quelques-uns des exercices publics d'élèves (et l'on sait quel succès mérité obtinrent sous l'Empire ces concerts où furent révélées aux parisiens trois symphonies de Beethoven), Habeneck fonda la Société des Concerts.
Cette association, formée d'anciens élèves du Conservatoire, restait, à vrai dire, indépendante. Mais elle conservait avec l'école des liens assez étroits pour concourir à la gloire de la maison qui l'abritait. Et depuis tantôt un siècle la Société n'a point cessé de mériter la reconnaissance et l'admiration d'un public toujours aussi empressé à ses concerts.
Démissionnaire en 1842, Cherubini fut remplacé par Auber qui conserva la direction jusqu'à sa mort, survenue en 1871. Ce fut sous son administration, que fonctionnèrent, de 1866 à 1870, des classes pour les élèves militaires, créées dans le dessein de remplacer le gymnase musical militaire et destinées à former des chefs de musique et des instrumentistes pour l'armée. Ces classes, à la charge du budget de la guerre, comptaient cinquante élèves, dont la présence dans une maison déjà trop à l'étroit rue du faubourg Poissonnière, motiva l'impatience d'Auber à plusieurs reprises. Les événements de 1870-71 mirent fin à cet état de choses, et une tentative faite en 1878 par l'administration de la guerre pour le rétablir fut victorieusement repoussée par Ambroise Thomas. Ce fut aussi pendant le directorat d'Auber qu'une commission fut chargée d'établir le diapason normal. Elle termina ses travaux en 1859 et fixa la hauteur du la à 780 vibrations. Le Conservatoire se vit chargé de recevoir en dépôt le diapason-étalon et de revêtir d'un poinçon officiel les diapasons présentés à son examen avant d'être mis dans le commerce.
Auber, d'après une caricature du temps (Bibliothèque du Conservatoire)
Auber étant mort le 12 mai 1871, Ambroise Thomas fut nommé directeur du Conservatoire le 1er juillet suivant. Il resta en fonctions jusqu'à ce qu'il mourût lui-même le 12 février 1896, et eût pour successeur, le 6 mai, Théodore Dubois, auquel succéda en 1905, Gabriel Fauré. Après quinze années, celui-ci se retira volontairement et le 1er octobre 1920, M. Henri Rabaud prit la direction de l'école dont son père, le violoncelliste H.-F. Rabaud, et son aïeul le flûtiste Dorus avaient été les brillants lauréats avant d'y devenir de très remarquables professeurs.
Assis : Jean Chantavoine, secrétaire général ; Henri Rabaud, directeur du Conservatoire ; debout : MM. Barreau, commis principal ; Hugon-Roydor, sous-chef du Secrétariat.
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Au cours des cinquante dernières années, peu de choses ont varié au Conservatoire : quelques modifications ont été apportées aux règlements, qui demeurent, dans leur ensemble, assez semblables à ceux qui régirent l'institution sous les gouvernements précédents, comme on le verra plus loin. Les faits les plus importants qui se sont accomplis dans cette période ont été, d'une part, des créations de classes, et d'autre part le transfert du Conservatoire au 16 de la rue de Madrid dans un immeuble précédemment occupé par un collège de Jésuites et acquis par l'Etat en 1905. Le Conservatoire se trouvait depuis longtemps trop à l'étroit dans l'hôtel des Menus-Plaisirs. Il avait été question, en 1897, de le reconstruire sur l'emplacement de la caserne de la Nouvelle France. Mais le projet dût être abandonné. Les travaux commencèrent rue de Madrid en 1909 et l'installation dans les nouveaux locaux eut lieu en 1911. Toutefois, la salle des Concerts de la rue du faubourg Poissonnière put être sauvée ; il eût été grand dommage de la détruire, Paris n'étant point si riche en salles de concerts, et celle-ci possédant des qualités acoustiques dont il eût été difficile de trouver ailleurs l'équivalent.
En 1871, le corps enseignant comptait soixante-dix professeurs ou répétiteurs. Leur nombre s'élève à l'heure actuelle à quatre-vingt-dix, par suite des créations de classes et de cours nouveaux. En 1871, ce fut une chaire d'histoire de la musique, dont le premier titulaire, Barbereau, démissionnaire dès l'année suivante fut remplacé par Gautier auquel, en 1878 succéda Bourgault-Ducoudray ; elles est occupée à l'heure actuelle par M. Maurice Emmanuel. Le cours d'histoire et de littérature dramatiques, inauguré par Samson en 1855, supprimé en 1866, fut rétabli en 1878 et échut à Henri Berdalle de Lapommeraye, puis à Marcel Fouquier et à M. G.-G. Toudouze.
L'enseignement du solfège fut rendu distinct et séparé pour les chanteurs et les instrumentistes en 1871, et cette mesure eut pour conséquence la création de deux nouvelles classes de solfège. Deux classes préparatoires de violon furent ajoutées en 1875, ainsi qu'une classe d'accompagnement au piano, en 1878 une classe d'alto et une seconde classe d'opéra, en 1894. Enfin, en ces dernières années, ont été créées : une classe de harpe chromatique, une classe de violoncelle préparatoire, une classe de direction d'orchestre, deux d'ensemble instrumental, une classe de solfège pour les chanteurs, deux classes de contrepoint et fugue, une classe de maintien et de danse, une classe de timbales, une de diction, deux de répétitions de rôles lyriques, et une d'ensemble dramatique (5).
(5) Sous le régime actuel, le personnel du Conservatoire est ainsi composé :
1° Personnel administratif : 1 directeur ; 1 secrétaire-général ; I sous-chef ; 1 commis principal ; 1 bibliothécaire ; 1 conservateur du musée instrumental ; 1 préposé à la Bibliothèque ; 1 surveillant ; 1 huissier ; 9 concierges ou gardiens.
2° Personnel enseignant : Composition Musicale, 2 professeurs ; Contrepoint et Fugue, 2 ; Harmonie, 6 ; Orgue et Improvisation, 1 ; Accompagnement au piano, 1 ; Déclamation dramatique, 5 ; Chant, 7 ; Ensemble vocal, 1 ; Déclamation lyrique, 4 ; Classes d'ensemble Instrumental, 3 ; Classe d'Orchestre et de direction d'Orchestre, 1 ; Piano (classes supérieures), 5 ; Piano, (classes préparatoires), 4 ; Harpe, 1 ; Harpe Chromatique, 1 ; Violon, 4 ; Violon préparatoire, 2 ; Alto, 1 ; Violoncelle, 2 ; Violoncelle préparatoire, 1 ; Contrebasse, 1 ; Flûte, 1 ; Hautbois, 1 ; Clarinette, 1 ; Basson, 1 ; Cor, 1 ; Cornet à pistons, 1 ; Trompette, 1 ; Trombone, 1 ; Timbales et instruments à percussion, 1 ; Histoire et littératures dramatiques, 1 ; Histoire de la musique, 1 ; Classe préparatoire de déclamation dramatique, 1 ; Solfège (instrumentistes), 10 ; Solfège (chanteurs), 5 ; Répétiteurs de rôles et accompagnateurs, 6 ; Maintien, danse, pantomime, escrime. 4.
Le Conseil Supérieur d'enseignement a pour membres de droit : le Ministre, le Directeur des Beaux-Arts, le Directeur du Conservatoire, le chef du bureau des théâtres et le Secrétaire Général du Conservatoire. La Section des Etudes Musicales se compose de 10 membres pris en dehors du Conservatoire, du directeur de l'Opéra et du directeur de l'Opéra-Comique ; de 4 professeurs du Conservatoire nommés par le Ministre, et de 4 professeurs élus par leurs collègues.
Il faudrait tout un volume pour suivre dans le détail l'histoire des différentes classes en ces cinquante dernières années et ce serait souvent, d'ailleurs, redire ce qu'on a pu lire déjà dans les différents chapitres de cet ouvrage, puisque la plupart des musiciens qui ont conquis quelque célébrité ont été les élèves du Conservatoire ou ont été appelés à y professer. On se bornera donc à résumer ici les faits les plus saillants.
Les classes de composition musicale avaient pour titulaires en 1871, Reber, Victor Massé et François Bazin. Ils eurent pour successeurs Massenet (1878-1896), Ernest Guiraud (1880-1892), Léo Delibes (1881-1891), Théodore Dubois (1891-1896), Charles Lenepveu (1894-1910), Gabriel Fauré (1896-1905), MM. Ch.-M. Widor (1896) et P. Vidal (1910). En 1905, une des trois classes de composition fut supprimée et remplacée par deux classes de contrepoint et de fugue. On y appela MM. Caussade et Gedalge.
Théodore Dubois
Avant d'être nommé professeur de composition, Ernest Guiraud avait enseigné l'harmonie de 1876 à 1880. Théodore Dubois remplissait les mêmes fonctions depuis 1871, et Charles Lenepveu depuis 1880. Les autres classes d'harmonie eurent pour titulaires Savard (1866-1881), auteur de nombreux ouvrages didactiques, Duprato (1866-1892), Durand (1871-1883), Pessard (1881-1917), Taudou (1883-1913), Barthe (1881-1898), Samuel-Rousseau, Xavier Leroux, Ernest Lavignac (dont l'ouvrage sur Wagner : le Voyage artistique à Bayreuth a rendu le nom populaire, et qui dirigea le début de la publication de l'Encyclopédie de la Musique), Raoul Pugno (qui, en 1896, fut nommé professeur de piano), G. Marty (d'abord professeur d'ensemble vocal), puis MM. Chapuis, H. Dallier, Mouquet, Marcel Samuel-Rousseau, Jean Gallon, et Charles Silver. En 1872 César Franck fut appelé à succéder à Benoist à la classe d'orgue, qu'il ne devait quitter qu'à sa mort en 1890. Il fut remplacé par M. Widor, qui, nommé professeur de composition le 1er octobre 1896, eut lui-même pour successeurs Alexandre Guilmant, Eugène Gigout et M. Marcel Dupré (mai 1911, décembre 1925). Par la haute valeur de leur enseignement, ces maîtres ont largement contribué au renouveau de la musique religieuse.
Fac-simile d'un autographe d'Emile Pessard (Bibliothèque du Conservatoire)
Parmi les professeurs de chant ou de déclamation lyrique, on retrouvera naturellement bien des noms déjà cités à propos de l'Opéra et de l'Opéra-Comique : Mmes Viardot et Rose Caron ; Ismaël, Boulanger, Ponchard, (qui fut régisseur de l'Opéra-Comique en 1875), Obin, Duvernoy, Archainbaud, Achard, Dubulle, Giraudet, Taskin, Cazeneuve, Martini, Vergnet, Auguez, Duprez, et le plus récemment, Mlle Grandjean, et MM. Lorain, Engel, Hettich, Berton, Guillamat, Gresse, Melchissédec, Isnardon, Sizes et Chereau (régisseur de l'Opéra), pour les classes de chant ; Albert Carré et Salignac, pour la déclamation lyrique.
La classe d'ensemble vocal, professée par Cohen (de 1868 à 1892) — le précédent titulaire avait été Pasdeloup, — échut à Georges Marty, qui, appelé en 1904 à une classe d'harmonie, eut pour successeur M. Henri Büsser.
De 1870 à 1891, Bazille fut professeur d'accompagnement au piano. Delahaye lui succéda de 1891 à 1896, puis M. P. Vidal et enfin M. Estyle.
Quant aux classes de solfège (instrumentistes), elles eurent de nombreux titulaires, parmi lesquels Alkan, Rougnon, de Martini, Kaiser, Le Bel, MM. E. Schvartz, Guignache, Radiguer, Mmes Doumic, Devrainne, Hardouin, Renart, Marcou, Roy, Meyer, Massart, Vizentini, Samuel-Rousseau. Le solfège fut enseigné aux chanteurs par Dannhauser, Heyberger, Mouzin, Mangin, Villaret, Mme Féraud, MM. Vernaelde, Sujol, Chadeigne, Jean Gallon et Viseur.
Benjamin Godard fut professeur d'ensemble instrumental de 1887 à 1895. Il eut pour successeurs Ch.-E. Lefebvre, puis M. Ch. Tournemire. En 1907, deux nouvelles classes ayant été créées, Camille Chevillard et M. Lucien Capet en furent nommés titulaires.
En 1912, M. Vincent d'Indy fut appelé à diriger la classe d'orchestre, en remplacement de M. P. Dukas, démissionnaire.
Depuis 1870, les classes supérieures de piano ont eu pour titulaires Marmontel, nommé en 1848 et retraité en 1887. Diémer lui succéda ; Mathias, nommé en 1862 démissionna en 1887 et fut remplacé par M. de Bériot, qui, en 1903 eut pour successeur M. Philipp. En 1907, M. Cortot remplaça Antonin Marmontel, décédé. Herz, Le Coupey, Mme Farrenc, Delaborde, Mme Massart, Alphonse Duvernoy, Fissot, Raoul Pugno, MM. Staub, Riera, Mme Marguerite Long, complètent une liste de virtuoses souvent applaudis. Les classes préparatoires ont été dirigées par Croharé, Anthiome, Mmes Réty, Chéné, Tarpet, Trouillebert, Alem-Chène, MM. Falkenberg, Morpain et Mlle Chapart.
G. Prunier, puis Hasselmans et M. Marcel Tournier ont successivement professé la harpe. Mme Lenars est à la tête de la classe de harpe chromatique.
Les classes de violon ont été confiées à Alart, Dancla, Massart, Sauzay, Maurin, Marsick, MM. Lefort, Berthelier, Remy, Nadaud, de Garcin, Boucherit ; deux classes préparatoires créées en 1875, ont eu pour titulaires Gacin, Chaine, Bérou, Hayot, Desjardins, Alfred Brun et Firmin Touche.
Laforge fut le premier professeur d'alto. En 1918, à sa mort, M. Maurice Vieux lui succéda.
Les classes de violoncelle dont les titulaires étaient en 1870 Franchomme et P. Chevillard, ont eu pour professeurs, Jacquard, Delsart, Rabaud (père de M. Henri Rabaud), Gros (Saint-Ange), Hekking et M. Loeb. La classe de violoncelle préparatoire, de création récente, est dirigée par M. Bazelaire.
Labro, Verrimst, Viseur, Charpentier et M. Nanny ont tour à tour enseigné la contrebasse.
Quant aux professeurs d'instruments à vent, on relève, pour la flûte, les noms de Dorus, H. Altès, Taffanel, Hennebains, et de M. Philippe Gaubert, le chef d'orchestre actuel de la Société des Concerts ; pour le hautbois, Colin, Gilet et M. Bleuzet ; pour la clarinette, Leroy, Rosé, Turban, Mimart, et M. Périer ; pour le basson, Cokken, Jancourt, MM. Bourdeau et Letellier ; pour le cor, Mohr, MM. Brémont et Reine ; pour le cornet à pistons, Arban, Maury, Mellet et M. Alexandre Petit ; pour la trompette, Cerclier et M. Franquin ; et, enfin pour le trombone, Delisse et M. Allard.
M. Philippe Gaubert entouré des musiciens de l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire (cliché pris sous le porche de la salle des concerts de l'ancien Conservatoire).
La classe de timbales et d'instruments à percussion, de création récente, a été confiée à M. Baggers.
A cette augmentation du nombre des classes, a naturellement correspondu une augmentation des crédits nécessaires au fonctionnement du Conservatoire. Mais l'examen des budgets globaux, qui ont été les suivants pour les années
1871 : 213.700 frs
1872 : 210.700 frs
1877 : 238.200 frs
1880 : 254.100 frs
1890 : 258.700 frs
1900 : 256.700 frs
1913 : 559.746 frs
1914 : 560.746 frs
1918 : 356.779 frs
1919 : 541.049 frs
1920 : 749.600 frs
1921 : 728.920 frs
1922 : 789.920 frs
1923 : 925.000 frs
1924 : 925.000 frs
montre que les dépenses n'ont certes pas suivi depuis la guerre la progression qu'on aurait pu croire, puisque les crédits affectés au Conservatoire par les lois de finances de 1923 et de 1924 n'atteignent même pas le double des crédits accordés par le parlement avant 1914, alors que le coût de la vie a plus que triplé dans le même temps.
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De 1870 à 1924, le règlement organique du Conservatoire fut modifié une première fois en 1878, puis en 1894, en 1896, en 1905 et en 1921.
Il serait fastidieux d'exposer la substance, même abrégée, des différents arrêtés et décrets qui ont régi le Conservatoire et dont on trouvera le texte complet dans l'ouvrage de Constant Pierre. Nous nous bornerons ici à indiquer l'économie du règlement actuel, établi par le décret du 30 septembre 1915 et l'arrêté du 6 juin 1921.
Ambroise Thomas entouré du personnel du Conservatoire (Bibliothèque du Conservatoire).
De g. à dr., assis : Lauth, sous-chef du Secrétariat ; Ambroise Thomas, directeur ; Rety, chef du Secrétariat ; debout : Weckerlin, bibliothécaire ; Pillaut, conservateur du Musée ; Julien Tiersot, sous-chef bibliothécaire ; Constant Pierre, commis principal ; Lamy, surveillant des classes.
L'enseignement est gratuit, et le pensionnat ayant été supprimé le 14 septembre 1871 (l'un des derniers pensionnaires fut Pedro Gailhard, futur directeur de l'Opéra), il n'y a que des élèves externes, admis par voie d'examen (classes de solfège, d'harmonie, d'accompagnement au piano, de contrepoint et fugue, de composition et d'orgue) et de concours (classes de chant, de déclamation et d'instruments). Les examens et concours d'admission ont lieu tous les ans du 15 octobre au 30 novembre, et il n'y a qu'un concours pour chacune des matières de l'enseignement ; ces concours se passent à huis clos. Le règlement n'indiquant qu'un effectif maximum pour chacune des classes, ce nombre peut ne pas être atteint, et par conséquent les jurys n'admettent dans ces classes que des élèves susceptibles de profiter de l'enseignement.
Les aspirants doivent se faire inscrire sous leur véritable nom et justifier de leur nationalité, et les étrangers sont tenus de joindre à leur demande une lettre d'introduction de l'Ambassadeur, du Ministre ou du Consul général de leur nation. Il ne peut y avoir plus de deux élèves étrangers dans chaque classe ; ils y jouissent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs que les élèves français.
Chaque aspirant aux classes de piano et de violon doit, en se faisant inscrire, donner une liste de trois morceaux d'auteurs et de genres différents qu'il propose pour son audition à la première épreuve. Pour toutes les classes instrumentales, ainsi que pour les classes de chant et de déclamation dramatique, le concours comporte deux épreuves, dont la première est éliminatoire. Elle consiste, pour toutes les classes d'instruments, (à l'exception du piano et du violon des classes préparatoires et supérieures) dans l'exécution d'un morceau, au choix de l'aspirant, et la lecture à première vue d'un morceau manuscrit ; pour les classes de chant, dans l'interprétation d'un morceau de son choix et la lecture à première vue d'un fragment manuscrit ; pour les classes de piano et de violon préparatoires ou supérieures, dans l'exécution, au choix du jury, de l'un des trois morceaux désignés par l'aspirant lors de son inscription et d'un morceau à première vue (l'aspirant doit apporter le jour du concours le texte des trois morceaux désignés par lui).
Les aspirants désignés par le jury après l'épreuve éliminatoire sont seuls autorisés à passer la seconde épreuve. Celle-ci consiste d'abord, pour toutes les classes, dans une dictée littéraire, (innovation due à M. Rabaud) et les aspirants possédant un diplôme universitaire sont seuls dispensés de cette épreuve. En outre, les candidats aux classes d'instruments exécutent l'un des trois morceaux imposés à leur choix par le jury et dont la désignation leur a été faite lors de la première épreuve. Un délai de trois semaines leur est laissé, entre les deux épreuves pour préparer le morceau dans lequel ils seront entendus. Pour les classes de chant et de déclamation la seconde épreuve consiste dans l'exécution du morceau ou de la scène ayant servi pour la première épreuve, ou de l'un des deux autres indiqués par le candidat lors de son inscription, et, depuis le décret de mars 1925, une épreuve de lecture à première vue d'un fragment de manuscrit.
L'admission aux classes de piano, de violon et de violoncelle se fait grâce à deux concours distincts, l'un pour les classes préparatoires, l'autre pour les classes supérieures. Les trois morceaux imposés en vue de la seconde épreuve sont naturellement différents et de force inégale pour les aspirants aux classes préparatoires et pour ceux des classes supérieures. Les candidats aux classes supérieures de piano, violon et violoncelle ayant obtenu une première médaille dans les classes préparatoires sont dispensés de la première épreuve d'admission aux classes supérieures. Les aspirants aux classes supérieures de piano, de violon, âgés de moins de 14 ans, et les aspirants aux classes supérieures de violoncelle âgés de moins de 16 ans, qui, ayant été admis à subir la seconde épreuve, ne sont pas reçus élèves, ont droit de se présenter au concours des classes préparatoires et sont dispensés de subir la première épreuve de ce concours, qui, en conséquence, a lieu après celui des classes supérieures. Les morceaux imposés pour les classes préparatoires sont, aussitôt choisis, portés à la connaissance des admissibles des classes supérieures pour que ceux-ci aient le temps de préparer la seconde épreuve du concours des classes préparatoires en même temps que celle des classes supérieures, dans le cas où ils se trouvent dans les conditions requises pour profiter de la faculté qui leur en est laissée.
A la suite des concours d'admission, le jury peut décider par un vote spécial s'il y a lieu de désigner un certain nombre d'aspirants qui, par ordre de mérite, peuvent être appelés à remplacer les élèves admis venant à démissionner avant le 31 décembre ou ceux qui seraient rayés à l'examen de janvier après avoir été reconnus inaptes à continuer leurs études. La répartition des élèves admis dans les différentes classes est faite par le directeur. Les classes de solfège, d'harmonie, d'accompagnement au piano, d'orgue et de composition sont réservées aux élèves ayant commencé leurs études dans d'autres classes du Conservatoire. Ils sont désignés par le directeur ; toutefois, les aspirants n'appartenant pas à l'école peuvent être admis, dans la limite des places disponibles, et sur la présentation d'un des professeurs spéciaux, après constatation par ce dernier, que le candidat possède les connaissances nécessaires et une aptitude suffisante pour justifier cette exception. Sont seuls admis dans la classe de contrepoint et de fugue les élèves qui se destinent à la composition et qui ont déjà fait deux années d'études comme élèves titulaires dans une classe d'harmonie, ou qui ont obtenu un prix dans cette dernière classe. Toutefois, les aspirants ne remplissant pas cette condition peuvent être admis, dans la limite des places disponibles, s'ils justifient d'études d'harmonie jugées suffisantes par les professeurs.
Ambroise Thomas (Bibliothèque du Conservatoire)
Enfin, le Directeur peut admettre dans toutes les classes qui se recrutent par voie de concours, des auditeurs choisis parmi les aspirants qui, sans avoir obtenu la majorité, ont réuni le plus de suffrages à la deuxième épreuve du concours d'admission. Ils ne sont admis que pour la durée de l'année scolaire. Leur nombre est limité à deux pour les classes de chant et de déclamation, et à trois pour les classes instrumentales.
La limite d'âge minimum pour l'admission au Conservatoire varie selon les classes, de 9 ans (instruments, harmonie, accompagnement au piano, contrepoint et fugue) à 17 ans (femmes) et 18 ans (hommes) pour le chant. La limite d'âge maximum est fixée à 13 ans (solfège), 14 ans (violon et piano préparatoires), 16 ans (violoncelle préparatoire), 18 ans (piano et violon supérieures, harpe, harpe chromatique, flûte, hautbois, clarinette), 20 ans (alto, violoncelle supérieure), 22 ans, (harmonie, contrepoint et fugue, contrebasse), 23 ans (chant femmes, basson, cor, cornet à pistons, trompette, trombone), et 26 ans (composition, chant hommes). Le nombre des élèves est de 10 pour chacune des 7 classes de chant, de 12 pour chacune des six classes d'harmonie, pour la classe d'accompagnement au piano, d'orgue, les 5 classes de piano (supérieur), les 4 classes de piano (préparatoire), la classe de harpe et de la classe de harpe chromatique, les 4 classes de violon (supérieur), les 2 classes de violon (préparatoire), la classe d'alto, les deux classes de violoncelle (supérieur), la classe de violoncelle (préparatoire) les classes (une par instrument) de contrebasse, flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, cornet à pistons, trompette, trombone. Enfin les deux classes de contrepoint et fugue, comptent chacune 15 élèves.
La durée maximum des études est de cinq ans pour les classes de composition, harmonie, accompagnement au piano, orgue et improvisation, piano, harpe et harpe chromatique, violon, violoncelle, alto, contrebasse, instruments à vent. Elle est de quatre ans pour les classes de chant, de fugue et contrepoint, et de trois pour celles de solfège, piano, violoncelle et violon (préparatoire). Les élèves admis dans les classes de chant ou de déclamation doivent signer un engagement par lequel ils s'obligent à se conformer aux règlements, à donner pendant deux ans leur concours aux théâtres subventionnés s'ils sont réclamés par l'un des directeurs, à ne contracter pendant leurs études et jusqu'au 31 août de l'année où elles prennent fin, aucun engagement avec un théâtre, sans une autorisation Dans le cas où ils seraient rayés du Conservatoire par mesure disciplinaire ou pour infraction aux règlements (absence aux classes et cours obligatoires ou à un examen), ils sont passibles du dédit stipulé dans leur engagement (10.000 et 15.000 francs) (6).
(6) Un décret du 22 décembre 1924 a institué un diplôme d'études musicales supérieures. On en trouvera l'analyse à la fin du chapitre.
Depuis la fondation du Conservatoire, l'effectif des élèves a beaucoup varié. En l'an VI, on en comptait 818, et 400 seulement en l'an IX. En 1816, leur nombre tombait à 140, pour se relever à 473 en 1821, et retomber à 285 en 1828. Entre 1840 et 1860, la moyenne restait à 550. Elle atteignait et dépassait 600 de 1860 à 1870, et ce chiffre est demeuré à peu près sans grands changements depuis lors. Il est d'ailleurs, comme on l'a vu, fonction du nombre des classes.
Dans le principe, il n'y eut de concours d'admission que pour quelques classes, puis le concours fut étendu à toutes les branches de l'enseignement, et, depuis 1871, aucun élève n'est plus admis au Conservatoire sans avoir subi les épreuves préalables imposées par le règlement. La comparaison des deux tableaux statistiques qui suivent montre la progression du nombre des candidats de 461 en 1871, il s'élève à 1518 en 1913. Mais les admissions qui étaient de 140 en 1871 n'atteignirent que 168 en 1913, soit une proportion de 30,3% en 1871 et de 11% seulement en 1913. On voit que si, d'une part, le prestige dont jouit l'enseignement de notre grande école de musique attire un nombre de candidats de plus en plus élevé, cette affluence a pour heureux effet de permettre aux jurys d'exercer une sélection dont la conséquence est de maintenir les études à un niveau des plus satisfaisants.
La guerre eut naturellement une répercussion sur le nombre des candidats qui, de 1913 à 1914 diminua du tiers, pour retomber au-dessous de la moyenne des dix précédentes années. Ce furent les classes de chant (hommes), et d'instruments à vent, qui, se recrutant parmi les jeunes gens dont la plupart étaient en âge de porter les armes, furent les plus éprouvées (ainsi que les classes de déclamation dramatique). En 1918, le nombre des candidats descendit à 900. Il s'est relevé progressivement depuis, mais reste inférieur à celui des années qui ont précédé la guerre, particulièrement pour les chanteurs et les pianistes. En 1919, après la démobilisation, il y eut 190 admissions, mais dès l'année suivante, ce chiffre était ramené à la moyenne normale.
Concours d'admission (candidats)
Admissions (Elèves reçus)
Les chiffres de ces statistiques sont empruntés à l'ouvrage de Constant Pierre, pour les années 1871-1900. Pour les années 1901-1923, ils m'ont été obligeamment communiqués par M. Barreau, commis principal de l'Administration du Conservatoire.
Du premier lundi d'octobre jusqu'au milieu de juillet, les classes, d'une durée de deux heures, ont lieu trois fois par semaine, soit le matin, de 9 heures 1/2 à 11 heures 1/2, soit l'après-midi de 2 à 4 heures. Toutefois les classes de contrepoint et fugue, de composition et de déclamation dramatique n'ont lieu que deux fois par semaine. Le règlement prescrit que l'accès de toutes les classes est rigoureusement interdit à toutes les personnes qui ne figurent pas sur les contrôles du Conservatoire, mais il permet aux lauréats ayant obtenu un premier prix l'année précédente d'y assister. Les mères des élèves femmes, autorisées parle directeur, sont admises à accompagner leurs filles.
Tous les élèves des classes de chant assistent obligatoirement à la classe d'ensemble vocal. Les lauréats des classes d'instruments et les élèves des classes de composition sont répartis en trois classes d'ensemble instrumental pour l'étude de la musique de chambre. La classe d'orchestre et de direction d'orchestre obligatoire pour les élèves des classes d'instruments à cordes et à vent, désignés par le directeur, a lieu une fois par semaine. Les élèves des classes de composition, de contrepoint et fugue, d'harmonie et d'accompagnement au piano sont admis à suivre cette classe ainsi que celle de timbales et d'instruments à percussion. Enfin le cours d'histoire de la musique, qui a lieu deux fois par semaine est obligatoire pour tous les élèves, sauf ceux des classes de chant, pour lesquels il est facultatif.
En parcourant les discours prononcés aux distributions des prix décernés aux lauréats du Conservatoire on remarque que les orateurs officiels ont souvent comparé l'activité de cette école à celle d'une ruche laborieuse. Le résumé du tableau de travail qu'on vient de lire fait bien voir que la métaphore n'est pas exagérée. Pour imposer à cette jeunesse le respect de la discipline — indispensable condition de tout labeur utile — le règlement organique prévoit trois sortes de peines : la réprimande, l'exclusion des classes pendant un laps de temps ne pouvant dépasser trois mois, et enfin le renvoi. Les motifs les plus fréquents de ces punitions sont les absences injustifiées. Le règlement interdit à tout élève de prêter son concours aux théâtres ou aux concerts sans autorisation du directeur, sous peine de radiation. Il leur laisse toutes facilités pour jouer des rôles secondaires sur les théâtres subventionnés.
Chaque année, en janvier, les élèves des classes d'harmonie, de contrepoint et fugue, de composition, de chant et de déclamation, subissent un examen à la suite duquel sont distribués des encouragements d'études prélevés sur les crédits budgétaires, et des prix, fondés par des donateurs. En mai, un examen a lieu dans toutes les classes : il sert à désigner les élèves qui seront appelés à participer au concours, et ceux qui ne seraient pas jugés aptes à continuer leurs études. Tout élève qui, à la fin de sa deuxième année d'études, n'a pas été admis à concourir, est rayé des contrôles de sa classe. Enfin des exercices publics des élèves ont lieu tous les ans. Ces exercices ont une histoire et qui compte dans les annales de la musique en France : au début du XIXe siècle, les exercices d'élèves portèrent un instant le nom de Concerts Français. Ils eurent un immense succès que les journaux de l'époque ont enregistré en couvrant d'éloges la « jeune phalange d'artistes », « qui a l'air de former une pension, et qui exécute avec ensemble, précision et fermeté, et met, ce qui est plus difficile, dans l'accompagnement, l'intelligence et les ménagements que ce genre exige (7) ». C'est à la tête de l'orchestre des élèves, conduit tour à tour par un des violonistes, qu'Habeneck eut l'occasion de prouver sa valeur, et c'est à ces concerts que furent révélées aux amateurs parisiens de musique trois des symphonies de Beethoven, la première, en ut majeur, le 22 février 1807, la cinquième, en ut mineur, en 1808, l'année même qui suivit sa composition, et enfin l'Héroïque en 1811. Voici ce qu'écrivit le critique musical du Courrier de l'Europe et des Spectacles à propos de ces auditions :
« Des amateurs éclairés qui étaient à Vienne assurent que cette symphonie a été beaucoup mieux exécutée par les élèves du Conservatoire. Aussi cette symphonie qui est riche d'harmonie et pleine de motifs délicieux bien contrastés, bien variés et distribués de la manière la plus heureuse, a excité les plus vifs applaudissements. Voilà l'œuvre d'un grand maître, et c'est le modèle présenté aux élèves d'une grande école » (8).
(7) La Décade Philosophique, nivôse An IX (janvier 1801).
(8) Cité par Constant Pierre (loc. cit., p. 466). Il remarque fort justement à ce propos, que le public parisien ne fut point réfractaire aux œuvres de Beethoven comme quelques écrivains l'ont insinué depuis. Rares sont, en effet, dans la presse, parmi les éloges, les notes discordantes telles que cet article des Tablettes de Polymnie : « Cet auteur prend tantôt le vol majestueux de l'aigle, tantôt il rampe dans les sentiers rocailleux. Après avoir pénétré l'âme d'une douce mélancolie, il la déchire aussitôt par un amas d'accords barbares. Il me semble voir renfermer ensemble des colombes et des crocodiles ». Mais n'est-ce pas le sort de tous ceux qui sortent des sentiers battus, de soulever d'injustes critiques ?
En 1824, le 6 juin, la Gazette de France, écrivait à propos de Rossini : Il ne s'amuse pas à chanter, lui ; consultez plutôt ses œuvres : sur trente ou quarante opéras, un air, un seul air agréable, « di tanti palpiti », mais, en revanche, grand fracas dans l'orchestre, un Pégase qui toujours galope et ne s'arrête que pour courir de plus belle, et « crescendo... »
Faute de crédits, les exercices publics et les concerts furent interrompus plusieurs fois, et ce fut une de ces interruptions qui décida pour une grande part Habeneck à créer la Société des Concerts. En 1841, l'administration rétablit les exercices, mais ils eurent lieu chaque mois et à huis clos, et on y représenta principalement des opéras. Ces séances cessèrent en 1863, car elles occasionnaient des dépenses trop lourdes, et l'on trouvait que les répétitions trop fréquentes apportaient beaucoup de dérangement dans les études fondamentales. Les exercices ne furent rétablis qu'en 1874 après la création d'une classe d'orchestre. Alors, les exercices devinrent annuels et on leur restitua leur caractère primitif.
Quant aux concours, ils constituent un événement de la vie parisienne, mais peut-être ceux qui sont les plus dignes d'intérêt ne sont-ils pas ceux qui suscitent le plus de curiosité ou de passion : les chanteurs attirent la foule presque autant que les comédiens ou les tragédiens, et les instrumentistes ne sont applaudis que par un nombre plus réduit d'initiés. Ils ne sont pourtant pas ceux des élèves dont le labeur mérite le moins les encouragements. Il en était ainsi jusqu'à ce que l'arrêté du 6 juin 1921 rendît aux concours « leur caractère de scolarité », et prescrivît, à cet effet, qu'ils auraient lieu « seulement en présence des membres du conseil supérieur de l'enseignement, des professeurs, de la critique, et des directeurs des théâtres de Paris ou des départements ayant exprimé, en temps utile, le désir d'y assister ». Si, du temps que les concours étaient publics (ou à peu près), les instrumentistes se trouvaient quelque peu dédaignés, c'est qu'il faut, on peut le reconnaître, une réelle endurance pour écouter une trentaine de fois dans la matinée la même ballade de Chopin ou la même sonate de Beethoven, et autant encore dans l'après-midi, tandis que les chanteurs et les élèves des classes de déclamation lyrique proposent au jury deux morceaux de leur choix, ce qui apporte au moins de la diversité. Mais cette diversité rend plus difficile encore l'attribution des récompenses, et plus délicate la tâche des juges, que, l'atmosphère orageuse de juillet aidant, les candidats malheureux ont tôt fait de maudire...
Le règlement a pris soin cependant d'écarter toute cause d'injustice, et on applique le règlement. Il prescrit que les professeurs retraités ou démissionnaires ne peuvent faire partie du jury appelé à juger les élèves des classes qu'ils ont dirigées qu'après un nombre d'années égal à la durée des études de la branche d'enseignement à laquelle ils ont appartenu. En outre, les personnes sollicitées de faire partie du jury doivent se récuser dans les concours où figurent des élèves auxquels elles ont donné des leçons dans l'année, ne fût-ce même qu'une seule leçon.
Violon de Steiner (Musée du Conservatoire)
L'obtention d'un prix est chose d'importance, non seulement parce qu'elle peut influer sur l'avenir des jeunes artistes en facilitant leur carrière, mais encore parce que l'article 86 du règlement dit que cessent de faire partie de leur classe, les élèves qui ont concouru deux fois sans obtenir de récompenses et ceux qui, après avoir obtenu une nomination, ont concouru deux fois sans succès. Exception est faite cependant pour les élèves d'harmonie, de contrepoint, de fugue, de composition et d'orgue, pour lesquels le nombre de concours sans nomination est porté à trois. Toutefois, les élèves rayés des classes de chant par application de cet article, ou par suite d'un échec à l'examen préparatoire aux concours à la fin de la deuxième année peuvent continuer à faire partie de la classe de déclamation lyrique à laquelle ils appartiennent, si cette mesure ne leur est pas applicable pour cette classe ; de même les élèves rayés de leur classe de déclamation lyrique peuvent continuer à faire partie de la classe de chant. Fort heureusement, le nombre des récompenses n'est pas limité ; il n'en faut point conclure que les jurys s'en montrent prodigues à l'excès, mais cette disposition permet de décerner aux concurrents de mérite égal une même distinction également méritée. L'ordre dans lequel sont nommés les lauréats n'a pas seulement une importance pour leur amour propre : il règle, dans certains cas l'attribution de prix fondés par des donateurs. Ces prix sont au nombre de quarante-deux, les uns annuels, et c'est la plus grande part, les autres biennaux, triennaux ou quatriennaux.
Certains de ces legs donnent lieu à un concours spécial, comme le prix Diémer (prix de quatre mille francs décerné à la suite d'un concours triennal ouvert entre les lauréats des classes de piano, ayant obtenu le premier prix hommes dans les dix années précédant le concours) ou le prix Edouard-Nadaud (prix de quatre mille francs décerné à la suite d'un concours quatriennal entre les anciens élèves ayant obtenu un premier prix de violon dans l'une des quatre années précédant le concours).
Comment procède le jury chargé de l'attribution des récompenses ? Il décide d'abord, à la majorité absolue, s'il y a lieu de décerner le premier prix. Dans l'affirmative, il examine s'il y a lieu d'en décerner plusieurs et combien. Ce nombre ne peut excéder le cinquième du nombre des concurrents, à moins qu'il n'en soit décidé autrement par les deux tiers des voix. Le jury vote ensuite sur l'attribution du ou des premiers prix. « A cet effet, dit le règlement, chaque membre d'un jury inscrit sur son bulletin de vote les noms des concurrents qu'il juge dignes de cette récompense ; il peut inscrire autant de noms qu'il a été décidé d'accorder de premiers prix ; il ne peut en inscrire plus, mais peut en inscrire moins, ou remettre un bulletin blanc. Le premier prix est accordé à tous les concurrents quelqu'en soit le nombre qui obtiennent à ce scrutin la majorité absolue des suffrages. Dans le cas où le nombre des premiers prix décernés à ce scrutin serait inférieur au nombre des premiers prix qu'il avait été décidé d'accorder auparavant, on pourrait procéder à un second tour de scrutin en vue d'atteindre ce dernier nombre, sans toutefois l'excéder. Il n'y a jamais lieu à plus de deux tours de scrutin. Il est procédé dans les mêmes formes pour le second prix et les accessits. Le président peut faire désigner par un vote spécial le premier nommé dans chaque catégorie de lauréats ; pour ce vote, le nombre de tours de scrutin n'est pas limité à deux » (9).
(9) Arrêté ministériel du 6 juin 1921, article 84.
Les élèves du même sexe et de la même spécialité, quel que soit le nombre des classes ou celui des concurrents, concourent ensemble. Les élèves des deux sexes sont réunis dans le concours de déclamation lyrique, de déclamation dramatique et d'accompagnement au piano, mais il y a des récompenses distinctes pour les élèves femmes. Les élèves hommes et les élèves femmes des classes de contrepoint et fugue, de composition, d'orgue, de harpes, d'alto, de violoncelle, de contrebasse, d'instruments à vent, ainsi que des classes préparatoires de violon, concourent ensemble, mais sans qu'il y ait de récompenses distinctes.
Le concours pour le Grand Prix de Composition Musicale (prix de Rome), est ouvert à tous les jeunes musiciens français, élèves ou non du Conservatoire. Ce concours est annuel, et à deux degrés, et c'est à l'administration du Conservatoire que l'Académie des Beaux-Arts délègue le soin de maintenir et faire exécuter les règlements ainsi que la surveillance des concurrents. Le concours d'essai a lieu le 1er samedi de mai. Les concurrents entrent en loge pour six jours, pendant lesquels ils traitent un sujet de fugue vocale à quatre parties au moins, et un chœur à quatre voix, au moins, avec orchestre. En sortant de loge, chaque concurrent remet au Secrétaire du Conservatoire sa partition qui est placée sous enveloppe. Le jury, composé des membres de la section de Musique de l'Académie des Beaux-Arts, et de jurés adjoints, choisit d'après cette épreuve les six candidats, au plus, admis à entrer en loge pour le concours définitif. Cette deuxième épreuve consiste à mettre en musique une scène lyrique à trois ou à deux voix dont le texte est dicté aux candidats à leur entrée en loge. Les concurrents, jusqu'au concours de 1899 disposaient de vingt-cinq jours pleins pour écrire leur partition. Ce délai a été porté à trente jours par décision du 10 décembre 1898. Après leur sortie de loge, les concurrents tirent au sort l'ordre dans lequel leurs ouvrages seront exécutés. La veille du jour fixé pour le jugement définitif, la section de musique de l'Académie des Beaux-Arts et les jurés adjoints s'assemblent au Conservatoire pour entendre une première fois les scènes lyriques exécutées avec accompagnement au piano par des chanteurs présentés par les concurrents et agréés par la commission de jugement. Les concurrents sont libres d'accompagner eux-mêmes leur ouvrage et peuvent assister à l'exécution de toutes les œuvres participant au concours. Pour le jugement définitif, les partitions sont exécutées dans le même ordre et par les mêmes artistes devant l'Académie des Beaux-Arts et les jurés adjoints réunis à l'Institut. Il y a deux votes, le premier, de classement et de présentation, auquel prennent part les membres de la section de musique et les jurés adjoints, le second, est le vote définitif des membres de l'Académie, et les jurés adjoints n'y prennent pas part. Dans le cas où le Premier Grand Prix n'est pas accordé, cette récompense reste en réserve pour le concours suivant s'il y a lieu. Les noms des lauréats sont affichés au Conservatoire aussitôt après le jugement, et la partition qui obtient le Premier Grand Prix est déposée de droit à la Bibliothèque du Conservatoire.
Les prix de Rome sont pensionnés pendant quatre ans. Ils doivent avoir rejoint la Villa Médicis dans le courant de janvier de l'année où ils entrent en possession de leur pension et passent deux ans à Rome. Jusqu'à la guerre ils devaient après leur séjour en Italie, visiter l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie et y séjourner au moins une année. Quant à la dernière année de leur pension, il leur est permis de la passer soit à Rome, soit en France. Les pensionnaires sont astreints à composer pendant la première année, une œuvre de musique de chambre (quatuor à cordes de préférence) et six pièces brèves pour chant avec accompagnement d'orchestre et réduction pour piano. Pendant la deuxième année, ils doivent composer une symphonie, et une scène dramatique à un, deux ou trois personnages, ou un motet avec orchestre, et enfin faire dans les bibliothèques des recherches sur une œuvre peu connue du XVIe, XVIIe ou XVIIIe siècle, et la mettre en partition en la traduisant, s'il y a lieu, en notation moderne. Cette copie est déposée à la bibliothèque du Conservatoire. La troisième année est consacrée à la composition d'un oratorio ou bien d'une messe de Requiem, d'un Te Deum ou encore d'un grand Psaume, ou encore d'un opéra en deux actes au moins, et enfin du morceau symphonique destiné à être exécuté au commencement de la séance publique annuelle de l'Académie. Le programme de la quatrième année est le même que celui de l'année précédente, mais le travail doit porter sur un sujet d'un genre différent. Enfin, à la pension de l'Etat, s'ajoutent les revenus de la fondation Pinette, qui, divisés en quatre parties égales de trois mille francs chacune, sont servis pendant quatre années consécutives aux pensionnaires musiciens de l'Académie de France, dès qu'ils ont terminé leur temps de pension tant à Rome que dans les autres pays qui leur sont indiqués par le règlement.
Fac-simile d'un autographe de Théodore Dubois. Concours d'essai de l'Institut, 1861 (Bibliothèque du Conservatoire)
La distribution des prix aux élèves du Conservatoire a lieu tous les ans en séance publique dans les jours qui suivent la clôture des concours. Dans un discours plein de finesse prononcé à la distribution des prix de l'année scolaire 1921-1922, M. Paul Léon définissait malicieusement cette cérémonie :
« Elle se déroule en trois actes fixés par une tradition déjà plus que séculaire : un discours officiel riche de ces vérités originales qui rappellent aux auditeurs la boutade de Meyerbeer : « Je ne puis décidément plus entendre un seul air nouveau sans aussitôt le reconnaître ». L'orateur n'est même pas libre, pour abréger sa harangue, d'alléguer, selon l'usage, l'impatience des lauréats. Les lauréats, en effet, ne sont nullement impatients. Depuis plusieurs jours, déjà, ils sont fixés sur leur sort, et le gouvernement se borne à consacrer l'existence de faits dûment accomplis. A l'époque révolutionnaire, la lecture du palmarès s'accompagnait de la pompe réservée aux fêtes civiques. Les ministres, l'Institut, le Corps diplomatique, se pressaient en rangs serrés sur la scène de l'Odéon. Le front des élus se parait de véritables lauriers. L'imposante cérémonie s'est transformée peu à peu en une fête de famille. Le vert feuillage a fait place au papier blanc qu'un euphémisme courtois continue d'appeler parchemin. Il nous reste fort heureusement le concert des premiers prix qui a toujours constitué l'événement de la journée et la liste des programmes recueillis depuis cent vingt ans formerait un document d'un incontestable intérêt pour l'histoire des œuvres elles-mêmes et celle de leurs interprètes ».
Et le Directeur des Beaux-Arts ajoutait : « Ayant à parler du Conservatoire, je constate avec une satisfaction profonde que le Conservatoire n'a pas fait parler de lui. « Le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien ». Telle doit être la maxime de cette vénérable maison, vouée tout entière au travail. Placés sous une direction qui a le droit d'être ferme parce qu'elle sait toujours être juste, et quand il le faut indulgente, vous êtes un peuple heureux, qui, comme tel, n'a pas d'histoire, j'entends de ces histoires fâcheuses qui défrayent parfois la chronique et provoquent l'intervention d'un public mal averti. Vous nous offrez le spectacle qu'on voudrait à notre époque pouvoir proclamer banal : un directeur qui dirige, des professeurs qui professent, des élèves qui étudient. Les divers exercices publics nous ont montré l'excellence de cette vieille et saine méthode et les concours dans leur ensemble, en confirment les résultats ».
Si le Conservatoire, en effet, ne fait guère parler de lui — du moins en ce qui concerne les études musicales — beaucoup de ses anciens élèves font parler d'eux en conquérant une juste renommée. On trouve en parcourant la collection des palmarès, la plupart des noms aujourd'hui célèbres parmi les musiciens.
La liste des lauréats s'ouvre chaque année par les prix de Composition Musicale (Prix de Rome). On trouvera sur le tableau ci-contre les noms de ces lauréats depuis 1870 (10).
(10) Parmi les lauréats des concours antérieurs à l'année 1870, on trouve : Herold, 1er grand prix en 1812, Halévy (1819), J. B. L. Guiraud (1827), Berlioz (1830), A. Thomas (1832). Gounod (1839), Bazin (1840), Maillart (1841), V. Massé (1844), Bizet (1857), Ernest Guiraud (1859), Paladilhe (1860), Th. Dubois (1861), Bourgault-Ducoudray (1862), Massenet (1863), Ch. Lenepveu (1865), Pessard (1866).
Feuilletons la collection des palmarès : en 1871, les événements avaient interrompu le cours des études, et il n'y eut pas de concours. L'année suivante, deux premiers prix de contrepoint et fugue sont décernés à Gasser et Véronge de la Nux. M. Loeb obtient un premier prix de violoncelle. En 1873 Koenig et P. Hillemacher remportent chacun un second prix de contrepoint et fugue, Samuel-Rousseau, un deuxième accessit d'harmonie et accompagnement, Tolbecque, un premier prix de violoncelle. En 1874, M. Vincent d'Indy, un 2e accessit d'orgue. Il obtint le 1er accessit l'an suivant, avec Samuel-Rousseau, Vergnet et Manoury ont un premier prix de chant la même année, ainsi que Mlle Bilbaut-Vauchelet, et Debussy figure au palmarès avec un premier accessit de piano. En 1876, Georges Marty remporte un second prix d'harmonie, Samuel-Rousseau un second prix d'orgue, M. Camille Bellaigue un premier accessit de piano, et M. Alfred Bruneau, un premier prix de violoncelle. Le premier prix d'harmonie revient à M. Chapuis en 1877, le premier prix d'orgue à Samuel-Rousseau, deux seconds prix de piano échoient à Claude Debussy et à M. Camille Bellaigue, qui obtiendra un premier prix l'année suivante, tandis que Claude Debussy ne figurera de nouveau au palmarès que trois ans plus tard avec un premier prix d'accompagnement, puis enfin en 1882 avec un deuxième accessit de contrepoint et de fugue, prélude de ses succès au concours de Rome. En 1877, M. Dallier remporte un deuxième accessit, et en 1878 un premier prix de contrepoint et de fugue et un premier d'orgue. Cette année là aussi, G. Marty obtient un premier prix d'harmonie, J.-F. Hekking un premier prix de violoncelle, et M. Gabriel Pierné un deuxième prix de piano (il eut un premier prix au concours suivant, reçut un deuxième prix d'orgue et un premier prix de contrepoint et de fugue en 1881, puis un premier prix d'orgue en 1882, l'année où il fut lauréat du prix de Rome). M. Paul Vidal remporta un premier prix d'harmonie en 1879, un deuxième prix de contrepoint et de fugue en 1880, et un premier prix en 1881, deux ans avant d'être lauréat du concours de Rome. Au palmarès de 1880, on relève les noms de Fouant de la Tombelle avec un deuxième accessit d'harmonie, de A.-J. Hennebains avec un premier prix de flûte, et de Camille Chevillard avec un deuxième prix de piano. En 1881, Xavier Leroux remporte un deuxième accessit de piano et un premier prix d'harmonie, ainsi que Louis Ganne. M. Chapuis obtient un premier prix d'orgue, E.-L. Nadaud et J.-L. Wolf les premiers prix de violon, et Mme Rose Caron un deuxième prix de chant et un premier accessit d'opéra.
Le concours de 1883, vaut à I. Philipp un premier prix de piano, à Grand-Jany un premier prix de contrepoint et de fugue, à M. Maurice Emmanuel, un premier accessit d'harmonie, à MM. Hayot et Carembat un premier prix de violon et au ténor Escales, un premier prix de chant et un deuxième prix d'opéra.
Xavier Leroux remporte un premier prix de contrepoint et de fugue en 1884, Isnardon un premier prix d'opéra-comique et un deuxième prix de chant et M. Bachelet un deuxième prix d'accompagnement au piano. L'année suivante M. Alfred Brun reçoit un premier prix de violon. M. Paul Dukas remporte un premier prix de contrepoint et de fugue et Georges Marty un premier prix d'orgue, M. Delmas reçoit deux premiers prix : chant et opéra. Au palmarès de1887 MM. Guy Ropartz et Santiago Riera figurent, le premier avec un deuxième accessit d'harmonie et le second avec un deuxième prix de piano. L'année suivante M. Bachelet obtient un premier accessit de contrepoint et de fugue, Albéric Magnard un premier prix d'harmonie, MM. Edouard Risler un deuxième prix et Santiago Riera un premier prix de piano. Les premiers prix de piano sont décernés en 1889 à MM. A. Bloch et E. Risler, Affre remporte un premier prix de chant et un premier prix d'opéra et Mlle Bréval un premier accessit de chant. Elle obtient l'année suivante le deuxième prix de chant et un premier prix d'opéra, tandis que M. Imbart de la Tour se voit décerner un premier prix de chant, M. E. Risler un premier accessit et M. Florent Schmitt un deuxième accessit d'harmonie. Celui-ci remporte le deuxième prix en 1891, année où M. Tournemire reçoit le premier prix d'orgue.
En 1892, M. Risler obtient le deuxième prix d'harmonie, MM. Boucherit et Tracol un premier prix de violon, Touche un premier prix de violoncelle, et Jean Périer un premier prix de chant et un premier prix d'opéra-comique. Aux concours de 1893, M. Louis Aubert reçoit un deuxième prix de piano, M. Hasselmans un premier prix de violoncelle, M. Runner un deuxième prix d'orgue, et Mlle Grandjean un deuxième prix d'opéra. En 1894, on trouve les noms de MM. Letorey, premier prix de contrepoint et fugue, Estyle, premier prix, Louis Aubert et Fr. Casadesus, deuxièmes accessits d'harmonie, Vierne et Liebert, premiers prix d'orgue, Ricardo Viñes, premier prix de piano, et Ph. Gaubert, premier prix de flûte. MM. Francis Casadesus, F. Touche, Galand obtiennent, le premier un deuxième prix d'harmonie, le deuxième un premier prix de violon et le troisième un premier prix d'orgue en 1895, tandis que Mme Blanche Selva remporte une première médaille de piano (préparatoire). Le concours de 1896 vaut à M. Caussade un premier prix de contrepoint et fugue, un premier prix de piano à M. Cortot, un premier prix de violon à MM. Sechiari, Soudant, Jacques Thibaud et Monteux, un premier prix de chant et un second prix d'opéra à M. Léon Bayle. Au palmarès de 1897, MM. Jean Gallon, Raoul Laparra et Louis Aubert figurent avec un premier et deux seconds prix d'harmonie, Estyle, un premier prix de contrepoint et de fugue ; en 1898, le premier prix d'harmonie revient à A. Caplet, les premiers prix d'orgue à MM. Alphonse Schmitt et Quef, un premier prix de piano à M. Ferté, un premier prix de flûte à M. Blanquart, et un deuxième prix de violoncelle à M. Louis Fournier. A. Caplet obtient l'année suivante un premier accessit de contrepoint et fugue et un premier prix d'harmonie, M. Raoul Laparra, un deuxième accessit de contrepoint et fugue, M. Louis Aubert un premier prix d'accompagnement au piano, F. Fourdrain un premier accessit d'orgue, MM. Gabriel Grovlez, Casella, E. Bernard et De Lausnay un premier prix de piano, MM. Enesco et E.-C. Wolf, un premier prix de violon, Mlle Carmen Forte, un deuxième prix de violon, M. G.-P. Hekking, un premier prix de violoncelle. En 1900, Gabriel Dupont reçoit un deuxième accessit de contrepoint et de fugue, Mlles Cesbron et Mellot, un premier prix et Mlle Demougeot un premier accessit de chant.
En 1901, M. A. Casella obtient un deuxième prix d'harmonie ainsi que Mlle Nadia Boulanger, M. Marcel Samuel-Rousseau, un premier accessit. A. Caplet et M. Estyle obtiennent l'un un premier prix et l'autre un deuxième prix d'accompagnement au piano, et Félix Fourdrain un deuxième prix d'orgue. Mlle Carmen Forte, et MM. J. Dufresne et F. Lequin un premier prix de violon ; M. Louis Fournier un premier prix de violoncelle.
En 1902, on retrouve M. Marcel Samuel-Rousseau avec un deuxième prix d'harmonie, F. Fourdrain avec un premier prix d'orgue, Mlle Demougeot avec un premier prix de chant et un premier prix d'opéra. Miles Gril et Féart remportent également un premier prix de chant, tandis que MM. Dorson et Bloch, obtiennent un premier prix de violon.
Au palmarès de 1903, M. Philippe Gaubert est nommé avec un premier prix de contrepoint et de fugue, tandis que M. Philip remporte le deuxième. Mlle Nadia Boulanger et M. Marcel Samuel-Rousseau obtiennent chacun un premier prix d'harmonie, M. Albert Wolff un deuxième prix. L'année suivante, Mlle Nadia Boulanger obtient un premier prix de contrepoint et de fugue et un premier prix d'orgue ; Mlle Lapeyrette se voit décerner un premier accessit de chant, Mlle Mérientié un premier prix et Mlles Geneviève Vix un premier prix d'opéra et Vallandri un premier prix d'opéra-comique.
Le premier prix de contrepoint et de fugue échoit en 1905 à M. Dumas, un premier prix d'harmonie, à M. Albert Wolff, et Mlles Louise Chanal, Mancini et Miral obtiennent un premier prix de chant, les deux premières remportant en outre un premier prix d'opéra. Mlle Lapeyrette reçoit un deuxième prix de chant et un deuxième prix d'opéra, MM. Maurice Dumesnil, Marcel Dupré et Roger de Francmesnil, un premier prix de piano, et M. Boulnois un premier prix d'orgue.
En 1906, MM. Paul Paray et J. Gallon reçoivent un deuxième prix d'harmonie, M. A. Wolff un premier prix d'accompagnement au piano, MM. Barré, Bonnet et Vierne, un premier prix d'orgue, M. Fauchet, le deuxième prix et M. Alexandre Cellier, le premier accessit. Du côté des chanteurs, M. Francell, Mlles Nelly Martyl, Lamarre et Lassalle remportent les premiers prix.
En 1907, le premier prix de fugue revient à M. Bertrand, un deuxième prix d'harmonie à M. Alexandre Cellier, deux premiers prix d'orgue à MM. Marcel Dupré et Fauchet, un premier prix de piano à M. Yves Nat, un premier prix de chant et premier prix d'opéra à Mlle Lapeyrette, et un premier prix de chant et un deuxième prix d'opéra à Mlle Yvonne Gall. En 1908, M. Delmas remporte un premier accessit de fugue, M. Paray un premier prix d'harmonie, et M. Cellier le premier prix d'orgue. L'année suivante le premier prix de fugue revient à M. Marcel Dupré, un premier prix de piano à M. Marcel Ciampi, un premier prix de violon à Mlle Yvonne Astruc et un premier prix d'opéra à Mlle Jeanne Bourdon.
En 1910, Mlle Fourgeaud (Mme Madeleine Grovlez) remporte un premier prix de piano, M. Poulet un premier prix de violon et M. Laggé le premier prix de violoncelle. Au palmarès de l'année suivante, M. Darius Milhaud figure avec un premier accessit de violon. En 1912, Mlle Germaine Tailleferre remporte un deuxième prix d'harmonie, Mlles Germaine Lubin et Madeleine Bugg un premier prix de chant et un premier prix d'opéra, et M. Maurice Dutreix un premier prix d'opéra. A M. Marchal revient en 1913 le premier prix d'orgue, à MM. José Iturbi et Robert Casadesus les premiers prix de piano, et à M. Marius Casadesus un deuxième prix de violon. Mlle Germaine Tailleferre reçoit avec M. Bourgoin un premier prix de contrepoint et de fugue en 1914, M. Darius Milhaud et M. Siohan, un premier accessit, Mlle Madeleine de Valmalète un premier prix de piano et M. Marius Casadesus un premier prix de violon.
En prononçant le discours qui ouvrait la séance solennelle de la distribution des prix le 13 juillet 1915, M. Dalimier inaugurait une tradition qui devait, hélas, durer pendant quatre ans : avant de proclamer les résultats des concours et la liste des lauréats, le sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts devait rendre hommage aux élèves et anciens élèves du Conservatoire morts pour la France. Douze noms formaient cette première liste à laquelle allaient s'ajouter soixante-six autres noms pendant le cours de la guerre (11).
(11) Cent quatre-vingt-dix citations ont été obtenues par les élèves et anciens élèves du Conservatoire. Quant aux morts pour la France, un monument leur a été élevé dans la cour de l'école. Il porte, gravés sur des tablettes, les noms suivants :
Albouy, Andlauer, Andraud, Audisio, Bailleux, Barguerie, Bernardel, Bineaux, Boucher, Boulnois, Brion, Capdevielle, Marius Casadesus, Chambe, Chatelard, Chevalet, Choubry, Claveau, Davry, Debert, De Felicis, Delgrange, Driard, Dubuc, Figoud, Fity, Garrigues, Georges Gaugin, Marcel Gaugin, Girard, Giers, Halphen, Hatton, Henri, Henry, Jacquemin, Joffroy, Lambert, Lamouret, Langevin, Laporte, Lescure, Letellier, Lieutet, Mache, Albéric Magnard, Mailleux, Massol, Matignon, Mogey, Moineau, Moraud, Moreno-Estreguil, Mulot, Paris, Phal, Pradels, Ramondou, Raynal, Roques, Rousseau, Saint-Quentin, Sarcey, Sardou, Sucher, Tamagnan, Taskin, Thenard-Demousseau, Tournadour, Touzé, Tramasset, Truc, Van Lysebeth, René Vierne, Vinot, Voilquin, Wild.
le Monument aux morts dans la cour du Conservatoire
Mus par une pensée généreuse, les élèves hommes avaient d'abord décidé d'attendre le retour de leurs camarades mobilisés pour concourir avec eux. Mais la guerre se prolongeant il fallut bien que la vie scolaire reprît sa marche ordinaire Du moins, le concours pour le Prix de Rome demeura-t-il suspendu, tant que durèrent les hostilités. En 1918, le bombardement de Paris, la menace des ennemis sur la capitale, firent surseoir à la distribution des prix ; elle ne put avoir lieu que le 10 octobre, à la rentrée. En ouvrant la séance, M. Laferre, Ministre de l'Instruction Publique, put dire : « Quand le changement de date fut décidé, nous n'avions pas la certitude que la balance du destin pencherait si rapidement du côté de la France ». Le péril était en effet écarté, et la victoire semblait sûre et prochaine. Mais après avoir salué les quinze nouveaux noms qui s'ajoutaient à la liste funèbre, le ministre eut à déplorer la disparition prématurée de Mlle Lili Boulanger, première femme grand prix de Rome, et qui semblait avoir devant elle un si bel et si long avenir...
M. Darius Milhaud figure au palmarès de 1915 avec un deuxième accessit de contrepoint et fugue, classe où, en 1918, M. Siohan remporte un premier prix (en même temps que le prix d'excellence d'alto), et M. Arthur Honegger un deuxième accessit. Cette même année, le prix d'excellence d'accompagnement au piano était décerné à Mlle Leleu, qui, en 1921, obtenait un premier prix de contrepoint, puis en 1922, le premier prix de composition et une mention honorable au concours du Prix de Rome, où elle devait se classer la première en 1923.
La guerre, en causant la mort de tant de jeunes artistes appelés sous les drapeaux, avait grandement éprouvé le Conservatoire. Les conséquences indirectes des événements firent, elles aussi, pâtir l'enseignement, le recrutement masculin se trouvant, comme on l'a vu, presque tari pour certaines classes. Mais fort heureusement ces effets inévitables d'un bouleversement sans précédent ont été d'assez courte durée. N'était une diminution assez sensible du nombre des candidats au concours d'admission pour les classes de chant (hommes) et d'instruments à vent, le péril fut conjuré et, en deux ou trois ans, tout reprit son cours normal. Et les éminentes qualités dont son directeur a donné tant de preuves en cette période difficile de rajustement sont bien de nature à rassurer ceux qui douteraient de l'avenir de la vieille et glorieuse école.
***
En soumettant aux Comités de Salut Public et de l'Instruction Publique un projet d'organisation de l'Institut National de musique que venait d'établir un décret de la Convention, les artistes musiciens de la Garde nationale parisienne avaient prévu la création d'une bibliothèque : « On y réunira les principaux ouvrages traitant de la théorie, écrivait Sarrette. Les hymnes, les morceaux de musique composés par les artistes qui auront obtenu des encouragements de la République, étant par cela même propriété nationale, seront déposés dans la Bibliothèque de l'Institut [de musique], pour être transmis à tous les points de la République par la voye de l'impression. Il y aura un cabinet d'instruments antiques, modernes, et étrangers à nos usages. Cette bibliothèque sera publique à époques déterminées ».
La loi et le décret du 16 thermidor an III consacrèrent cet article du projet de Sarrette, et le citoyen Eler, fut, un mois plus tard, appelé au poste de bibliothécaire. Une commission, composée de Méhul, Lesueur, Eler, Kreutzer, Xavier Lefèvre, Levasseur et Guthmann, eut pour tâche de choisir dans le dépôt formé par la Commission temporaire des Arts, et provenant des collections réunies par le roi, la famille royale, et les émigrés.
En l'an IX, le 16 thermidor (3 août 1801), jour anniversaire de la fondation du Conservatoire, le ministre de l'Intérieur posa la première pierre des bâtiments destinés à abriter la bibliothèque, qui, s'étant augmentée des ouvrages recueillis partout où les armées françaises avaient pénétré, était devenue la plus riche du monde. Chaptal, dans le discours qu'il prononçait à cette occasion, définissait ainsi le rôle que la bibliothèque du Conservatoire devait remplir
« Il manquait un monument à la gloire du Conservatoire et de l'art qu'on y cultive. Pendant que l'homme de lettres et le savant plaçaient leurs ouvrages dans ces sanctuaires respectés par le temps, et les mettaient sous la garantie de la vénération des peuples ; pendant que des temples s'élevaient pour renfermer les chefs-d'œuvre de nos artistes et les transmettre à la postérité, la gloire du musicien ne s'étayait que sur le faible appui d'une tradition passagère. A peine les noms de quelques maîtres célèbres sont-ils parvenus jusqu'à nous. Leurs ouvrages, après une vieillesse rapide, ont été plongés dans l'oubli, et l'on ne sait plus où trouver un grand nombre de chefs-d'œuvre destinés à servir de modèle, ou à tracer la marche de l'art. Il était réservé à la France d'élever un monument durable à la gloire de la musique et nécessaire à ses progrès, monument inconnu à l'harmonieuse et fertile Italie.
« Ici, l'artiste étudiant l'art dès son enfance, retrouvera dans le même dépôt ces chants simples, premiers élans de la sensibilité, et cette harmonie habile et savante, qui peint jusqu'à la plus légère nuance des passions. Il marquera le moment où l'art, docile à la nature en suit et exprime tous les mouvements ; et celui, où, s'écartant de cette belle route, il va se perdre dans le vague d'une imagination déréglée ou d'une mode fugitive. Ici, le maître déposera ses ouvrages, et ne craindra plus qu'ils soient dérobés à la juste admiration de la postérité. Il préférera dès lors, une réputation durable, à des applaudissements éphémères... » (12).
(12) Journal des Arts, 20 thermidor, an IX (cité par Constant Pierre, loc. cit., p. 141).
Il serait bien téméraire d'affirmer que le dépôt de leurs ouvrages à la Bibliothèque du Conservatoire ait préservé les compositeurs de tout sacrifice à la mode passagère, mais il est certain que cette institution a rendu et continue de rendre d'inappréciables services. En 1806, le fonds se composait déjà de plus de 8.000 volumes. Deux ans plus tard, il en comptait 10.000, pour la section musicale, et plus de cinq mille pour la section dramatique. Une ordonnance royale du 29 mars 1834 prescrivit le dépôt obligatoire de tous les ouvrages sur la musique et de toutes les partitions publiées en France. Des crédits, toujours insuffisants, étaient affectés à l'achat des œuvres étrangères, à la reliure et à l'entretien des volumes (13).
(13) Ces crédits ont été, en moyenne, de 2.000 francs par an jusqu'en 1860, date à laquelle ils ont été portés à 2.400 francs ; la moyenne des sommes dépensées annuellement depuis 1870 ne dépasse guère 6.000 fr.
Ce ne fut qu'en 1864 que la bibliothèque fut enfin installée dans les locaux qui lui étaient destinés. Elle les quitta en 1911 pour venir occuper le bâtiment construit spécialement pour elle dans la cour de l'ancien collège de la rue de Madrid, dont le Conservatoire prenait possession. Ce bâtiment renferme, au premier étage, le Musée Instrumental. La nouvelle salle de travail est claire, ce qui est une qualité, mais elle est glaciale ou torride selon les saisons, et, en tout temps, d'une sévérité qui fait regretter les anciens locaux. Les magasins sont disséminés et dissimulés aux yeux du lecteur qui n'en aperçoit que l'entrée fort étroite, et ne soupçonne rien des richesses qui y sont accumulées. Au fond de la salle de travail, des vitrines sont destinées à recevoir les manuscrits, les livres précieux lors des expositions temporaires organisées par les soins du conservateur.
Tant par la quantité que par la qualité des ouvrages qui la composent la Bibliothèque du Conservatoire offre un intérêt de premier ordre. Au fonds inestimable provenant de la chapelle de Versailles et du séquestre révolutionnaire, sont venus s'ajouter plus de vingt mille partitions d'oratorios, de symphonies, d'opéras ; un nombre infini de pièces de musique de chambre, de morceaux pour piano, pour violon, une foule d'ouvrages didactiques de toute sorte, des documents iconographiques rares, des collections de périodiques français et étrangers. Beaucoup de ces livres sont revêtus de précieuses reliures aux armes ; d'autres sont décorés de frontispices ou de gravures dus aux maîtres de l'eau-forte ou du burin. Mais la plus grande richesse de cette bibliothèque est certainement constituée par ses manuscrits. Il n'est guère de compositeur célèbre dont la bibliothèque du Conservatoire ne possède en effet un ou plusieurs autographes, et pour certains même, c'est leur œuvre presque entier qu'on y peut voir, écrit de leur propre main. La plupart de ces trésors sont entrés par voie de don ou de legs.
Fac-simile d'une page manuscrite de la Damnation de Faust, de Berlioz (Bibliothèque du Conservatoire)
Les principaux donateurs ont été Kastner (qui a laissé sa très importante bibliothèque), Berlioz (nombreux manuscrits de ses œuvres), le duc de Massa (ouvrages du XVIe et XVIIe siècle), la famille du violoniste Baillot (manuscrit de l'Appassionata de Beethoven (14), Mme Viardot (manuscrit du Don Giovanni de Mozart), Carraud (importante bibliothèque musicale), V. de Joncières (manuscrits), Charles Malherbe (pages de manuscrit de la IXe symphonie de Beethoven), Ambroise Thomas (manuscrits), M. R. Cahen d'Anvers (manuscrit des Vêpres Siciliennes de Verdi, donné par l'auteur à Warschawsky), Saint-Saëns (nombreux manuscrits de ses œuvres), M. Jacques Durand (manuscrit de Pelléas et Mélisande de Debussy), Mlle Alice Ducasse (bibliothèque musicale très importante), et M. Auguste Vincent (collection d'autographes réunis en une cinquantaine de volumes magnifiquement reliés de maroquin mosaïqué).
(14) Reproduit en fac-simile, ainsi qu'une page de Don Giovanni dans le présent ouvrage. On voit sur le fac-simile les traces de mouillures laissées par la pluie d'orage qui transperça le porte-manteau dans lequel Beethoven avait placé ses papiers (voir la note de Baillot fils, reproduite également en fac-simile, et qui est collée sur la page de garde du manuscrit).
Le manuscrit de Don Giovanni donné par Mme Viardot, forme une série de huit cahiers reliés de peau souple, renfermés dans un coffret.
Note de Baillot fils, collée sur la page de garde du manuscrit de l'Appassionata (Bibliothèque du Conservatoire)
Fac-simile de la première page du manuscrit de la Sonate Appassionata de Beethoven (Bibliothèque du Conservatoire)
La bibliothèque du Conservatoire est non seulement l'une des plus riches du monde, mais encore l'une de celles où il est le plus agréable de venir travailler ; le bibliothécaire, M. Henry Expert dont on connaît les beaux travaux sur la musique de la Renaissance, et le sous-bibliothécaire, M. Mathieu, y maintiennent des traditions d'urbanité vivement appréciées des musicographes qui n'ont jamais en vain recours à leurs conseils. Ils ont eu pour prédécesseurs après Eler, qui fut le premier titulaire du poste de conservateur, Langlé, ancien maître de chant à l'Ecole Royale (1797-1807), l'abbé Roze (1807-1819), Perne, qui avant d'être nommé Inspecteur Général de l'Ecole Royale de Musique par le gouvernement de Louis XVIII, fut bibliothécaire-adjoint, puis cumula les fonctions directoriales avec celles de bibliothécaire, François-Joseph Fétis, le fondateur de la Revue Musicale (1826-1833), Bottée de Toulmon (1831-1850), Hector Berlioz, nommé bibliothécaire adjoint en 1839, puis bibliothécaire en chef en 1850 et qui le demeura jusqu'à sa mort (ce fut lui qui fit construire le pupitre actuellement occupé par M. Mathieu), Félicien David (1869-1876), Weckerlin, nommé bibliothécaire-adjoint en 1869, puis titularisé en 1876, M. Julien Tiersot, entré comme commis en 1883, et qui succéda à Weckerlin en 1910, puis enfin M. Henry Expert, nommé en 1922.
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Harpe de Marie-Antoinette (Musée du Conservatoire)
Le Musée Instrumental est constitué principalement par la collection réunie par Louis Clapisson, professeur d'harmonie au Conservatoire, et qui fut acquise par l'Etat en 1860 pour la somme de 20.000 francs. Clapisson en fut nommé conservateur. Depuis lors, cette collection s'est enrichie de nombreuses pièces ; elle forme aujourd'hui un ensemble, unique au monde, de plus de deux mille numéros dont beaucoup sont des objets d'art remarquables ou des souvenirs historiques d'un intérêt considérable. La collection des violons réunit les instruments de Lulli, de Kreutzer, de Baillot, de Félicien David, d'Alard (Stradivarius), et de Sarasate (Stradivarius) ; des théorbes vénitiens, les harpes de Marie-Antoinette et de la princesse de Lamballe, sont de vraies merveilles, ainsi que certains luths, guitares, violes ou mandolines d'un travail admirable. La série des épinettes et des clavecins est une des plus complètes et des plus belles qui soient. Le musée possède les pianos de Méhul, de Boieldieu, d'Auber, de Meyerbeer, de l'impératrice Marie-Louise, un clavicorde qui fut celui de Beethoven, un autre qui appartint à Grétry, une guitare donnée à Berlioz par Paganini, la flûte de Tulou, le basson de Gebaüer, le cor de Duprat, les bâtons de chef d'orchestre d'Habeneck, de Verdi, de Mendelssohn, d'Offenbach, les trompettes qui sonnèrent lors de la translation des cendres aux Invalides, de très nombreux et très curieux instruments exotiques.
Epinette (Musée du Conservatoire)
Clapisson, qui eut son heure de célébrité comme compositeur, — sa Fanchonnette, jouée au Théâtre-Lyrique servit de début à Mme Carvalho, qui obtint dans ce rôle un immense succès — Clapisson qui fut membre de l'Institut où il succéda à Halévy, ne se leurrait point sur la solidité de sa gloire : « Telles mélodies, telles formes musicales, disait-il à Gebaüer, plaisent aujourd'hui comme telles robes ou tels chapeaux. Dans dix ans on ne se souciera pas plus des uns que des autres. Il n'y a qu'une chose à laquelle je me félicite d'avoir attaché mon nom : mon musée. C'est par lui que mon nom vivra ». La Fanchonnette et Gibby sont aussi oubliés maintenant que les Mystères d'Udolphe, mais le nom de Clapisson demeure attaché au musée qu'il fonda, et on ne pourrait sans ingratitude ne pas lui savoir gré d'avoir réuni tant de merveilles qui, sans sa patience, auraient été dispersées.
Clapisson mourut en 1866. Il ne fut remplacé à la conservation du musée qu'en 1872, par Chouquet, auquel succéda, en 1886, Pillaut. M. René Brancour est aujourd'hui conservateur d'une collection que son zèle éclairé a su enrichir et mieux mettre en valeur. On lui doit un excellent ouvrage sur les instruments anciens.
la grande salle du Musée instrumental du Conservatoire (debout : M. René Brancour, conservateur)
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Le Conservatoire compte 16 succursales dans les départements, et il existe en outre, en France, 24 écoles nationales de musique. Les succursales se trouvent à Boulogne-sur-Mer, Dijon, Douai, Lille, Lyon, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nîmes, Perpignan, Rennes, Roubaix, Saint-Etienne, Toulouse et Valenciennes.
Les villes d'Aix, Amiens, Angoulême, Armentières (avant la guerre), Avignon, Bayonne, Caen, Calais, Cambrai, Cette, Chambéry, Clermont-Ferrand, Le Mans, Lorient, Moulins, Orléans, Pau, Saint-Orner, Tarbes, Toulon, Tourcoing, Tours, Troyes, et Strasbourg, possèdent des écoles nationales. Le régime de ces écoles varie selon les villes. Elles sont ordinairement administrées par une commission présidée par le maire et composée de conseillers municipaux et d'amateurs de musique. L'Etat leur accorde une subvention qui, en certains cas, atteint 15.000 francs, comme à Toulouse, ou 10.000 francs comme à Lille et à Lyon. L'admission des élèves se fait ordinairement par voie de concours, et, en général les cours sont mixtes.
Ces écoles subventionnées par l'Etat, sont soumises à l'observation d'un règlement et à l'application d'un programme d'études établis par le ministre, sur les bases d'un projet préparé par la municipalité. Elles sont contrôlées par un Inspecteur des études musicales. Enfin, leurs directeurs sont nommés par le Ministre, après avis du maire. Leurs élèves présentés et admis au Conservatoire de Paris, peuvent postuler pour des bourses d'études qui, au nombre de 25, sont allouées de préférence aux élèves des classes de chant et de déclamation dramatique.
Lorsque les inspections démontrent le bon fonctionnement de l'école, celle-ci reçoit le titre de Succursale du Conservatoire National de Paris.
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Quand il eut renoncé au théâtre après l'échec de son opéra la Fronde, Louis Niedermeyer se voua tout entier à l'enseignement de la musique religieuse et fonda, en 1853, l'école qui porte son nom.
Plus heureux là qu'à la scène, il obtint presque aussitôt du gouvernement une subvention de 5.000 francs, récompensant ses efforts, et qui fut employée à créer des bourses. Dès ses débuts l'école rendit des services qui justifiaient cet encouragement. La plupart des maîtrises, on l'a vu plus haut, florissantes sous l'ancien régime, n'avaient, en effet, retrouvé qu'une existence précaire et ne pouvaient prétendre à former des élèves. Le Conservatoire, d'autre part, ne recevait qu'une élite, — les jeunes gens déjà pourvus d'un sérieux bagage de connaissances musicales — et ne pouvait suffire à enseigner les organistes et les maîtres de chapelle dont les paroisses avaient grand besoin pour remplacer ceux qui, avec plus de bonne volonté que de compétence, tenaient le plus souvent un emploi auquel ils n'avaient pas été préparés.
L'école de musique religieuse et classique prit donc dès ses débuts une extension que son fondateur lui-même ne pouvait espérer ; il s'adjoignit Joseph d'Ortigue (l'ami de Berlioz et son successeur au feuilleton des Débats), pour diriger un journal qui, sous le titre de la Maîtrise, devait être une sorte de prolongement de l'enseignement donné à l'école, et publier des pièces pour orgue et des morceaux de musique religieuse. Mais Niedermeyer dût bientôt laisser à son collaborateur la direction du journal pour consacrer tout son temps à la surveillance de son institution. Il mourut d'ailleurs peu après, en 1861, laissant Dietsch à la tête de l'établissement qui fut repris en 1865 par Gustave Lefèvre, devenu le gendre de Niedermeyer. Lefèvre développa le programme élaboré par son beau-père. L'école est restée depuis lors entre les mains des héritiers de Niedermeyer ; elle est administrée aujourd'hui par M Heurtel, petit-gendre de l'auteur du Lac. La direction artistique en est confiée à M. Henri Büsser, ancien élève de l'école.
Celle-ci fut d'abord installée rue Fontaine. Pendant la guerre de 1870-1871, elle se réfugia en Suisse. Elle occupa à son retour un immeuble du passage de l'Elysée des Beaux-Arts, puis se transporta à Boulogne et enfin à Issy-les-Moulineaux où elle est actuellement.
Après la mort de Niedermeyer, Saint-Saëns fut l'âme de l'école. « Organiste de Saint-Merry depuis 1853, de la Madeleine en 1858, — écrit à ce propos M. Charles Collin — c'est à la suite du décès de Niedermeyer que Saint-Saëns prit la classe de piano que faisait jusqu'alors le fondateur de l'école, et il occupa ses fonctions jusqu'au mariage de Gustave Lefèvre (1865). En 1861, Saint-Saëns, Dietsch et Clément Loret collaboraient ensemble à l'enseignement. Dès le mois de mars 1863. M. Eugène Gigout se joignait à eux, et malgré son jeune âge, était nommé professeur de solfège et de plain-chant » (15). Il prit dans la suite les classes d'harmonie et de contrepoint, de fugue et de piano et les conserva jusqu'en 1885.
(15) Bulletin de l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole Niedermeyer, janvier-mars 1922, p. 3.
Eugène Gigout (photo G.-L. Manuel frères)
Parmi les élèves de cette période, et qui eurent Saint-Saëns pour maître, Gabriel Fauré, avait été de bonne heure distingué par l'auteur de Samson qui avait reconnu en lui « une étoile étincelante de notre pléiade moderne ». A côté de lui, Eugène Gigout, les regrettés Albert Périlhou, qui fut organiste de Saint-Séverin, et Edouard Marlois, mort professeur à l'Académie de Londres, Dietrich, ancien organiste de Dijon et professeur au Conservatoire de cette ville. Koszul, ancien directeur du Conservatoire de Roubaix, Laussel, Lehmann et Permann, ont, grâce à la qualité de cet enseignement conquis la célébrité, ou tout au moins une juste réputation. M. André Messager, autre brillant élève de l'école, ne travailla qu'un peu plus tard avec Saint-Saëns. « Celui-ci, rapporte Eugène Gigout, nous donnait aussi des conseils pour la composition du moins à ceux de ses élèves qui lui soumettaient quelques travaux. Et il mettait à cet enseignement, que je qualifierai d'occulte, le plus vif enthousiasme » (16).
(16) Cité par M. Ch. Collin, Ibid.
Fac-simile d'une page autographe de Samson et Dalila, de Camille Saint-Saëns.
Boëllman, cet artiste au talent si délicat, Louis Delaquerrière, M. Henry Expert, l'érudit bibliothécaire du Conservatoire, le savant éditeur des maîtres musiciens de la Renaissance française et le fondateur de la Chanterie, M. Philippe Bellenot, maître de chapelle de Saint-Sulpice et compositeur de talent, Alfred Marichelle, qui fut organiste de N.-D de Bonne-Nouvelle, Henri Lutz, compositeur et organiste apprécié, M. Henri Letocart, titulaire de l'orgue de St-Pierre le Neuilly, auteur des pièces d'orgue très connues, Claude Terrasse, l'auteur du Mariage de Télémaque, Félix Fourdrain, l'auteur de la Légende du Point d'Argentan, Alix Fournier, second prix de Rome, MM. Omer Letorey, premier grand prix de Rome, maître de chapelle de Saint-Honoré-d'Eylau, Le Boucher, premier grand prix de Rome, directeur du Conservatoire de Montpellier, Charles Collin, organiste de la Cathédrale de Rennes, Erb, organiste de la Cathédrale de Strasbourg et professeur au Conservatoire de cette ville, A. Claussmann, directeur du Conservatoire de Clermont-Ferrand, Audran, l'auteur de la Mascotte et de Miss Helyett, Léon Vasseur, le compositeur du Voyage de Suzette, Edmond Missa, Victor Roger, l'auteur des Vingt-huit jours de Clairette, Gedalge, professeur au Conservatoire, Henri Büsser, les frères Kunc, ont été parmi les plus brillants élèves de l'Ecole Niedermeyer depuis cinquante ans.
André Messager, Claude Terrasse, Léon Vasseur, Edmond Audran, Victor Roger, Edmond Missa... combien de compositeurs d'opérettes célèbres cette école de musique religieuse n'a-t-elle point formés ! Et cependant, le régime en était plutôt sévère : environ 1875, on n'y admettait encore que la musique des seuls Bach, Beethoven, Haendel, Haydn et Mozart, à côté des motets de Palestrina et de Vittoria, et c'est tout juste si l'on y tolérait Mendelssohn. Quant à Schumann et à Chopin, ou tout autre romantique, leurs œuvres étaient confisquées lorsqu'un élève avait la témérité de les introduire dans la maison !
L'école n'admettait que des pensionnaires ; on y entrait à dix ou douze ans, sans concours. Les élèves étaient au nombre d'une quarantaine, partagés en trois divisions, une élémentaire, une moyenne et une supérieure. Grâce à la subvention de l'Etat, on accordait des demi-bourses aux plus méritants et aux moins fortunés. Mais en 1910, après la séparation des églises et de l'Etat, la subvention a été supprimée et le nombre des bourses a dû être réduit.
Passage de l'Elysée des Beaux-Arts, l'école était située près d'un dépôt de voitures, où, dès le petit matin, les chevaux menaient grand tapage. L'école ne faisait pas moins de bruit : on s'y levait à cinq heures et demie ; une demi-heure plus tard, dix-huit pianos réunis dans une même salle résonnaient à qui mieux mieux. La matinée était partagée entre les classes et les études : les élèves suivaient des cours de français, de latin, d'histoire, des conférences religieuses. Les classes de musique avaient lieu chacune deux fois par semaine. L'après-midi du jeudi, on allait en promenade, le plus souvent jusqu'aux fortifications. Les autres jours, avaient lieu les classes d'orgue, de plain-chant, d'harmonie. Tous les ans, à la suite d'un concours, on décernait les « prix du ministre » aux élèves qui s'étaient distingués en chacune des matières de l'enseignement. Un concours, à la fin des études, avait lieu pour l'obtention du diplôme. Le prix du Ministre, offert par le gouvernement, consistait dans les pièces d'orgue de Bach, par exemple, pour les organistes, magnifiquement reliées, dans les symphonies et les sonates de Beethoven, pour les pianistes, ou dans quelque autre ouvrage classique.
Lefèvre avait créé une Société des Concerts de l'Ecole Niedermeyer, et tous les ans de 1868 à 1880, il fit entendre, le lundi Saint, à la Sainte-Chapelle, un programme de musique sacrée, composé d'œuvres de Vittoria, de Palestrina, d'Allegri, de R. de Lassus.
Cette initiative ne contribua pas peu à remettre en honneur la belle musique des maîtres de la Renaissance et détermina des vocations profitables. La tradition, longtemps interrompue, fut reprise en 1924, où à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la fondation de l'école, les élèves se firent entendre dans la Messe solennelle en si mineur de Niedermeyer, chantée le 4 mai, à Saint-Augustin, sous la direction de M. Büsser, et accompagnée au grand orgue par E. Gigout.
Mais on avait cependant à l'école, au temps de Camille Saint-Saëns, quelques distractions moins austères ; « Il nous faisait, raconte M. Aloys Claussmann, l'éminent directeur du Conservatoire de Clermont-Ferrand et ancien élève de Saint-Saëns à Niedermeyer, — il nous faisait souvent jouer des pièces de théâtre qu'il écrivait pour nous, pièces ultra cocasses naturellement. Il y en eut une, dont le titre m'échappe, et qui fut jouée par Messager, Dieudonné, Miné, Convert et votre serviteur. J'eus même l'honneur d'être le collaborateur de l'illustre maître. En même temps que je jouais un rôle de comparse, j'avais composé de la musique de scène : un prélude, une romance, chantée par Convert qui faisait un rôle de femme, un mélodrame et un finale, le tout exécuté par des élèves qui jouaient les uns du violon, les autres des instruments à vent. Il y avait même Hétuin (ancien organiste de la Cathédrale de Saint-Lô) qui borborygmait du basson, et que j'avais chargé d'un solo qui se jouait au loin, dans la cour, pendant une scène très drôle » (17).
(17) Cité par M. Ch. Collin, Ibid.
C'est que Saint-Saëns aimait la gaieté, et dans un numéro du Guide du Concert, entièrement consacré à l'auteur de Samson, Eugène Gigout a conté que celui-ci prenait volontiers part aux récréations des. écoliers. A la Sainte-Cécile, qui était l'occasion d'un divertissement musical à l'école Niedermeyer, on le vit se produire dans le rôle de Rosine et interpréter la cavatine du Barbier en véritable prima donna. Ce jour là, M. André Messager avait pris le bâton de chef d'orchestre, et ce furent peut-être ses débuts...
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L'événement le plus important dans l'histoire de l'enseignement musical en France au cours des cinquante dernières années est certainement la fondation de la Schola Cantorum en 1896. La Schola est en effet une école, à tous les sens de ce mot : non seulement on y a formé et on continue d'y former des élèves, mais encore on y professe, en même temps que la technique, une doctrine.
les trois fondateurs de la Schola Cantorum : de g. à dr., Charles Bordes, Alexandre Guilmant, Vincent d'Indy (d'après de Castéra)
Trois noms sont inséparables quand on parle de la Schola à ses débuts : ceux de Charles Bordes, d'Alexandre Guilmant et de M. Vincent d'Indy. Ces trois hommes furent animés d'une même foi ; ils eurent une même ténacité, une même énergie, comme ils avaient un même idéal, et c'est pourquoi sans doute ils réussirent à mener à bien une entreprise qui semblait une gageure. Ils ont été, à une époque où la tâche était singulièrement malaisée, les instigateurs d'un mouvement dont l'influence fut considérable et qui aboutit à remettre en honneur la musique religieuse grégorienne et palestrinienne en même temps qu'il marquait de son empreinte la musique profane elle-même. Ce mouvement est parti de la tribune de l'église Saint-Gervais, dont Charles Bordes était le maître de chapelle. Et l'histoire de la Schola à ses débuts se confond avec celle des Chanteurs de Saint‑Gervais, la glorieuse société aujourd'hui si connue et dont Charles Bordes fut le fondateur. Elève de César Franck, Bordes avait reçu de cet homme de génie « un peu du saint enthousiasme dont son âme débordait ». Ainsi s'exprime M. René de Castéra au début de l'ouvrage qu'il lui a consacré (18), et personne parmi ceux qui connurent Charles Bordes ne pourrait le contredire. Aussitôt nommé maître de chapelle de Saint-Gervais, et avant même d'entrer en fonctions, Bordes séduit par l'ampleur du vaisseau et l'élévation des voûtes, concevait le projet d'y exécuter la musique des maîtres religieux primitifs. Or, chez lui, conception et réalisation étaient tout un : loin de le décourager, les obstacles le stimulaient. Et les obstacles ne manquaient point : si le chanoine de Bussy, curé de la paroisse, prêtre d'un esprit large, bienveillant et éclairé, avait accueilli favorablement les suggestions de son maître de chapelle, celui-ci n'en demeurait pas moins dépourvu d'exécutants et fort incertain de trouver un public prêt à le suivre. Bordes accomplit pourtant le double miracle. Comme sa maîtrise comptait deux ou trois élèves des classes de solfège du Conservatoire, il les chargea de recruter du renfort. Sans doute se montrèrent-ils aussi persuasifs que leur chef, car ils surent décider vingt-cinq jeunes gens qui s'appelaient Cortot, Grovlez, De Creus, Jumel, Garban, Galon, de Crepy, etc. Ainsi le jeudi Saint de 1891, un an après sa nomination, Bordes pouvait faire entendre le Stabat de Palestrina. L'année suivante, il faisait exécuter, pendant la Semaine Sainte, avec le Stabat de Palestrina, le Miserere d'Allegri, le Miserere de Josquin des Prés, le Regina Cœli d'Orlando de Lassus, quatre répons et la Passion de Vittoria, une messe brève de Palestrina, le Crucifixus de Lotti, œuvres qui, pour la plupart, n'avaient encore jamais été entendues à Paris. Le succès fut énorme, et la presse tout entière le célébra. Mais il avait fallu plus de cent cinquante répétitions, dont Bordes avait, à lui seul, dirigé une centaine, et M. Vincent d'Indy — qui avait accepté d'être le collaborateur d'une entreprise si hardie — une cinquantaine. Il avait fallu aussi, au préalable, faire recopier les parties de la plupart de ces motets sur les originaux et les mettre en partitions. Labeur formidable et qui trouvait sa récompense dans la réussite éclatante de l'entreprise.
(18) René de Castéra : Dix années d'Action Musicale religieuse en France, 1890-1900, Les Chanteurs de Saint-Gervais, la Schola Cantorum (éditions de la Schola, Paris).
La tribune de Saint-Gervais. Transept gauche de l'église où eurent lieu pendant dix ans les exécutions des chanteurs (d'après de Castéra).
Pourtant les recettes si belles qu'elles aient été, n'avaient laissé en caisse, une fois les frais déduits, que trois ou quatre mille francs. Cette somme, Bordes l'employa à former la Société des Chanteurs de Saint-Gervais, qui, dirigée par M. Léon Saint-Requier après la mort du fondateur n'a point cessé depuis lors de travailler à répandre l'amour de la bonne musique chorale, sacrée ou profane. Car Bordes, petit à petit, étendit le répertoire de ses chanteurs. Il créa un bureau d'édition, auquel fut confié le soin de publier les partitions nécessaires à la société et c'est ce bureau qui entreprit l'Anthologie des maîtres religieux primitifs. Puis, à la tête de ses choristes, Bordes voyagea à travers la France pour réapprendre au public les noms oubliés de Josquin des Prés, de Clément Janequin, d'Orlando de Lassus, de Goudimel, de Claude Le Jeune...
Un tel homme, et pareillement doué, ne devait point manquer d'utiliser ses qualités en formant des élèves, L'épanouissement logique de l'œuvre entreprise à Saint-Gervais, ne pouvait aboutir qu'à la création d'une école destinée à l'enseignement de la musique religieuse. Et telle fut en effet l'origine de la Schola Cantorum. Mais cette tâche, Charles Bordes, si grande que fut son activité, ne pouvait y suffire à lui seul. Pour trouver l'aide nécessaire, il s'adressa naturellement aux musiciens qui dès la première heure s'étaient montrés enthousiastes et avaient secondé ses efforts : Alexandre Guilmant et M. Vincent d'Indy. Et le 6 juin 1894, réunis dans la salle de la maîtrise de Saint-Gervais, ces trois hommes auxquels s'étaient joints le chanoine de Bussy, curé de la paroisse, l'abbé Noyer, premier vicaire, l'abbé Chappuy, vicaire de Saint‑François-Xavier, l'abbé Perruchot, alors maître de chapelle de Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux, décidèrent de fonder une « société de propagande pour la divulgation des chefs-d'œuvre religieux ». Le titre de Schola Cantorum proposé par Bordes fut adopté, et l'on résolut de publier une revue mensuelle destinée à servir de lien entre les adhérents. Ce fut la Tribune de Saint-Gervais.
Le premier numéro allait paraître quand le décret de la Sacrée Congrégation des Rites en date du 12 juin 1894 éclata comme un coup de foudre. « Pour certains — rapporte M. René de Castéra (19) — ce fut un effondrement ; la débandade allait être complète sans la présence d'esprit de Bordes, qui tenait à son œuvre, la sage modération de M. Guilmant et la courageuse initiative de M. Vincent d'Indy. Quelle était la cause de toute cette révolution ? La Schola a depuis montré trop de préférence pour le chant de Solesmes pour qu'on ne devine point que la question du chant bénédictin ait été la pierre d'achoppement de tout l'édifice. Certains jugeaient qu'il n'y avait plus rien à faire ; les uns dissertaient, les autres se lamentaient ou étaient prêts à se cotiser pour payer les frais du numéro mort-né et on allait plier bagage, quand Charles Bordes s'écria à la stupéfaction générale : « Mais l'avez-vous lu attentivement, ce décret ? Il est pour nous et c'est sur lui et par lui que nous devons faire notre œuvre, c'est lui qui sera notre raison d'être et qui nous aura donné la vie ! » Il faut avouer que cette façon de commenter le décret pouvait paraître un peu hardie au premier abord, mais en le scrutant plus attentivement, on vit que Charles Bordes avait raison ; du reste, il fit tant et si bien qu'il ramena tout son monde et que s'étant assis à nouveau autour de la table, on remania le journal et on repartit de ce pied ; l'optimisme invétéré de Charles Bordes avait encore triomphé... La Schola Cantorum fut donc fondée et son éclosion nécessita non seulement le concours de musiciens et de quelques orthopédistes, mais encore celui de diplomates ».
(19) Loc. cit., p. 27.
Le 3 décembre suivant, avait lieu dans la chapelle des catéchismes de Saint-Gervais la première assemblée générale de la société.
Deux années s'écoulèrent, que Bordes employa en voyages, en compagnie de ses chanteurs, et en auditions à Paris. L'idée d'ouvrir enfin une école de chant liturgique et de musique religieuse, complément indispensable de l'œuvre entreprise, mûrissait en son esprit. La Schola était pauvre, mais Bordes n'était pas homme à s'embarrasser de ces difficultés pécuniaires.
Un hasard providentiel lui fait découvrir un local qui lui paraît convenable, un petit immeuble à l'angle de la rue Stanislas et du boulevard Montparnasse : il était allé voir cette locomotive qui était tombée sur la place de Rennes et la foule stationnant devant la gare l'avait obligé à faire ce détour. Il oublie le but de sa course, visite le local, s'enthousiasme pour ce qu'il en croit pouvoir faire, et le loue... Mais il n'y avait dans la caisse de la Schola à ce moment que 37 francs. Il fallut faire appel à la générosité des sociétaires et cet appel ne fut pas vain.
« Procédant à la manière des fondateurs des grands ordres religieux — dit de Charles Bordes M. P. de Bréville, — et comme eux attendant à peu près de la seule Providence un secours en cas de détresse, les difficultés, les obstacles ne l'arrêtent jamais. Au besoin il compte sur le miracle, et le miracle lui-même donne raison à son admirable confiance.
« Un soir, tandis que tristement il rêve, se demandant comment le lendemain il fera face aux exigences matérielles : loyer, gaz, charbon... un message lui est apporté. C'est une aide pécuniaire importante que lui envoie l'archevêché de Paris » (20).
(20) Discours prononcé par M. P. de Bréville à l'inauguration du monument de Charles Bordes à Vouvray (Tablettes de la Schola, juin 1923, p. 110).
Il avait en effet une âme d'apôtre, et comme un apôtre il fut persécuté. Car il se trouva, quand l'âge obligea l'abbé de Bussy de prendre sa retraite, un curé et un conseil de fabrique pour chasser Bordes et ses chanteurs de l'église Saint-Gervais et pour y faire entrer, dès le dimanche qui suivit son départ, une violoniste qui à la grand'messe joua la méditation de Thaïs pendant l'élévation. Bordes put au moins trouver une consolation dans les innombrables témoignages de sympathie dont cette brutale expulsion — d'ailleurs momentanée, ce qui ne l'excuse pas — fut l'occasion. Mais revenons à la Schola, que voici maintenant pourvue d'un local propre à l'enseignement. Charles Bordes qui s'était déjà assuré le concours d'Alexandre Guilmant et de M. Vincent d'Indy, recruta comme professeurs des artistes aussi désintéressés qu'enthousiastes. Ceci se passait en mars 1896 ; aussitôt, il annonça l'ouverture des cours pour le 15 octobre. Le programme comportait des cours élémentaires gratuits (solfège, chant grégorien, clavier et ensemble vocal), et des cours supérieurs payants.
la Schola de la rue Stanislas (d'après de Castéra)
Le cadre des professeurs était ainsi composé :
Directeur des études grégoriennes : M. l'abbé Vigourel.
Classe de Chant Grégorien : M. Schilling.
Directeur des études de l'orgue : M. Alexandre Guilmant.
Classe de Clavier : (deuxième degré) : M. Pirro.
Directeur des études de Contrepoint et de Composition : M. Vincent d'Indy.
Classe d'Harmonie : M. de la Tombelle.
Classe supérieure de Solfège : M. G. de Boisjolin.
Directeur des études d'ensemble vocal, d'expression et de rythme : M. Charles Bordes.
Directeur des études historiques, paléographie musicale: M. Pirro.
L'école ouvrit en effet en octobre et à la séance d'inauguration on entendit les Chanteurs de Saint-Gervais, puis M. Alexandre Guilmant prononça une allocution où il définit exactement le but de l'école : « Pour arriver à cette action féconde, qui doit nous assurer un jour la victoire, déclara-t-il, il faut deux choses : la foi dans l'art et le désintéressement dans le métier. On a trop élevé la jeunesse artistique dans le souci du gain que doit lui fournir un jour l'exploitation de ses études scolaires. Pour lutter contre ces fâcheuses tendances, il faut créer chez la jeunesse un esprit de famille qui lui permette tout en s'enrichissant des doctrines des maîtres, de les faire partager aux plus petits, en les initiant, sans chercher pour cette dépense d'action aucune rémunération. Pour atteindre ce but, nous créerons parmi nos élèves de premier degré des moniteurs pour les commençants et nous veillerons à ce que, dans l'intérêt même du moniteur qui doit devenir maître à son tour, cet apprentissage d'éducation soit fait avec tout le dévouement nécessaire.
« Par la culture en commun, unis dans une mutuelle admiration, maîtres et élèves, chaque semaine, en lisant, en écoutant les œuvres des grands compositeurs chercheront à leur dérober quelques étincelles de feu sacré. Au lieu de faire de nos élèves des rapins d'ateliers, nous veillerons par cette vie de famille à ce qu'ils soient de bons ouvriers, bien simples, d'une grande cause que nous tâcherons de leur faire aimer comme une sainte mission.
« L'aristocratie de l'art ne peut exister que par le génie et ne s'acquiert pas par des diplômes accumulés ; aussi à la Schola, nous serons plus préoccupés de donner à nos élèves une éducation et une culture complètes que de les former à des épreuves de concours. L'élève studieux sortira de l'école avec un simple certificat le constatant bon pour le service, tout simplement. De ce fait, pas de concours, pas d'épreuves en loges, pas de délais cruels qui ne tolèrent pas de migraines et peuvent vous faire manquer une carrière pour la vie. Avec ce système nous pensons former des travailleurs modestes, mais sûrs, et non des orgueilleux et des fruits secs. Nous verrons si l'avenir nous donnera raison » (21).
(21) René de Castéra, loc. cit. p. 37.
L'avenir, on sait comment il a, en effet, donné raison aux fondateurs de la Schola. Cette foi dans l'art, ce désintéressement, cet esprit de famille, la Schola n'a jamais oublié qu'ils étaient, en quelque sorte sa raison d'être et ses professeurs n'ont point cessé d'en donner l'exemple.
Les débuts de la Schola furent difficiles : on vécut un peu au jour le jour, mais nous savons que Bordes n'était point homme à s'en inquiéter. Des premiers, Mgr. Richard, archevêque de Paris, avait envoyé à l'œuvre nouvelle un don de mille francs, accompagné d'une lettre élogieuse à l'adresse de ses fondateurs. D'autres donateurs assurèrent l'existence de l'école Dix élèves s'étaient fait inscrire, dès l'ouverture des cours, pour les classes du degré supérieur. Quelques autres vinrent qui portèrent, en fin d'année, leur nombre à vingt et un. Mais les cours du soir causèrent une déception aux organisateurs. Ceux-ci avaient compté que le clergé, soucieux d'assurer à ses chanteurs une éducation artistique en rapport avec leurs fonctions, les enverrait à la Schola ; le clergé, sauf rares exceptions, se soucia fort peu de ce qu'on lui offrait, et les chantres moins encore... Ce furent les élèves des classes supérieures qui s'enthousiasmèrent pour les études grégoriennes. A la fin de l'année scolaire un voyage fut organisé qui permit aux jeunes musiciens de visiter Solesmes et d'entendre, pendant quelques jours, les offices de la célèbre abbaye. Ils y recueillirent aussi les enseignements de Dom Mocquereau et de Dom Delpech, qui l'année suivante, vinrent faire à la Schola même quelques conférences sur la musique grégorienne.
L'année scolaire 1897-1898 vit d'ailleurs se développer la Schola : il fallut, en raison du nombre des élèves, qui dépassait la trentaine, créer des classes préparatoires, confiées à des moniteurs choisis par les professeurs. Des classes supérieures complémentaires furent organisées : une pour l'enseignement de l'orgue, fut confiée à M. Decaux ; une classe de piano supérieur, à M. Edouard Risler ; M. Albert Dupuis fut appelé à diriger les études élémentaires de solfège et de lecture de piano, et Paul Jumel (qui étant mort à peine âgé de vingt ans cette année même) fut remplacé par M. Grovlez, au cours secondaire de piano. Enfin une classe de latin liturgique fut ouverte et confiée à l'abbé Brugié, secrétaire-surveillant de l'école. Des conférences-auditions furent en outre organisées dans le courant de l'année scolaire et Dom Mocquereau traita, dans une salle de cours de l'Institut Catholique obligeamment prêtée, de la paléographie musicale, puis Dom Parisot parla « de la musique orientale », M. Michel Brenet, « de la musique dans les couvents de femmes ou XVIe siècle », M. J. Combarieu, « de la musique religieuse et ses trois formes », M. Pierre Aubry « du rôle du chant liturgique et de sa place dans la civilisation générale du Moyen Age », et enfin M. André Pirro « des organistes français au XVIIIe siècle » (22).
(22) Voir pour plus de détails, de Castéra, loc. cit. p. 39 et sq.
Ce programme ouvrait aux élèves de vastes horizons. Ainsi se réalisait le vœu des fondateurs de la Schola de doter les élèves d'une culture générale sans laquelle il n'est pas de vrais artistes.
L'année suivante, la Schola fut rattachée à l'Institut Catholique de Paris comme section des Beaux-Arts, par un vote des membres de la commission d'initiative de l'Institut, émis sur la proposition de Mgr. Péchenard, recteur. Deux chaires de musicologie religieuse furent créées par les soins de la Schola ; l'une eut pour titulaire M. Pierre Aubry qui y traita de la musicologie médiévale, et l'autre M. Vincent d'Indy, qui prit pour sujet de ses conférences l'histoire et l'analyse des formes musicales depuis le moyen âge jusqu'à nos jours, et leur application à la musique religieuse.
Alexandre Guilmant
En même temps, la Schola continuait d'appeler des conférenciers tels que M. André Hallays qui exposa aux élèves les « caractères essentiels et permanents de la musique française », et Guy Ropartz, qui parla du « sentiment religieux chez César Franck ». Une maîtrise modèle fut fondée pour l'église catholique anglaise de Saint-Joseph, avenue Hoche (il est bien regrettable que cette maîtrise n'ait pu durer). Des dix enfants qui la composaient, sept étaient entretenus au moyen de bourses données par une généreuse bienfaitrice, et trois par la Schola elle-même. Tous furent logés rue Stanislas dans l'appartement de Charles Bordes. Le nombre des élèves n'avait pas cessé d'augmenter. A elle seule la class e de M. Vincent d'Indy en comptait 39, et il fallut la dédoubler. Celle de M. Guilmant (orgue supérieur) dix, et la classe d'orgue élémentaire 24. Celle-ci aussi dut être divisée, et comme on s'était contenté jusque là d'un harmonium Alexandre à pédalier, une souscription ouverte parmi les amis de la Schola permit de faire installer un grand orgue de dix jeux Cavaillé-Coll, qu'on acheva de payer plus tard.
En 1899, de nouvelles fondations nécessitèrent l'agrandissement des locaux aux dépens du patronage Notre-Dame-de-Nazareth. La superficie fut triplée « et cependant, rapporte M. de Castéra, ne fut-on pas obligé d'utiliser une marquise et un trottoir pour y installer quatre petites chambres d'études fermées par un vitrage, où pianos comme élèves étaient un peu à la merci des intempéries ! Ce développement considérable fut nécessité par la création d'une maison de famille pour les laïques et les ecclésiastiques, et le développement de la maîtrise d'enfants, l'institution de vingt-cinq bourses d'études pour élèves chanteurs adultes, et la création d'un atelier d'apprentis graveurs de musique à la Schola ».
Mais l'atelier des apprentis dût, lui aussi et comme la maîtrise d'enfants, être supprimé un peu plus tard. Tant qu'il fonctionna, la Schola abrita quarante internes, et compta soixante-cinq élèves. Force fut de chercher un immeuble pouvant loger tout ce monde et permettant de faire simultanément plusieurs classes. Ce fut en mai 1900 que Charles Bordes le trouva.
Cette année 1900 vit Charles Bordes s'élancer dans une nouvelle aventure, assez périlleuse, mais qui réussit néanmoins à procurer des fonds plus que jamais nécessaires en raison du déménagement projeté : il se fit entrepreneur de spectacle dans une dépendance de l'exposition. Les organisateurs de cette énorme foire avaient édifié une « rue du Vieux Paris ». Sur la rive droite de la Seine, entre le pont de l'Alma et la passerelle de Passy, une ville du moyen âge mirait dans le fleuve ses tours et ses clochers. Cette cité de carton-pâte était pourvue d'une église ; une église minuscule, mais dont plus de soixante mille visiteurs passèrent le porche pour venir entendre les chanteurs de Saint-Gervais, devenus pour la circonstance, sous la conduite de leur chef, les chanteurs des petites Heures de Saint-Julien-des-Ménétriers. Pendant les six mois que dura l'exposition, quatorze d'entre eux, sans manquer un seul jour, se retrouvèrent dans la tribune gothique, groupés autour d'un petit orgue blanc et, parmi tant de divertissements profanes, surent conserver à l'entreprise un peu téméraire de Bordes toute sa dignité comme ils surent assurer son succès. Les « attractions » environnantes périclitèrent presque toutes. Seule Saint-Julien-des-Ménétriers continua jusqu'au moment de la clôture, d'attirer la foule. Et, aussi bien au point de vue pécuniaire que pour la propagande, l'affaire eut les plus heureux résultats. Loin de faire faillite comme beaucoup d'impresarii qui avaient eu foi dans le succès du Vieux Paris, Bordes rapporta de l'aventure des fonds qui l'aidèrent à développer la Schola.
L'abbé Vigourel, directeur du chant religieux au séminaire de Saint-Sulpice et l'un des amis de la première heure de l'institution nouvelle, sachant l'embarras où se trouvait celle-ci pour découvrir un autre abri, vint offrir à Charles Bordes les locaux de l'ancien prieuré des bénédictins anglais de la rue Saint-Jacques, où Saint-Sulpice avait installé une succursale qui allait cesser d'être utilisée. Bordes accepta d'enthousiasme et pour couvrir les frais importants nécessités par la mise en état des locaux, il réunit trente de ses amis à chacun desquels il demanda une souscription de mille francs, rapportant trois pour cent d'intérêts. Le bulletin de versement spécifiait que cette somme devait concourir à « former un fonds de réserve et de constitution, déposé entre les mains du notaire de la Schola pour être utilisé au fur et à mesure des besoins de l'œuvre, ladite somme, lors de la constitution de la Société anonyme de la Schola, devant être remise au souscripteur en actions entièrement libérées de cette société, ou remboursée en espèces à la volonté des représentants de la Schola. A défaut de constitution de la Société, cette somme devait être remboursée dans un délai de dix ans ».
Eglise Saint-Julien-des-Ménétriers au Vieux Paris (Exposition Universelle de 1900).
Ainsi, Bordes évitait de se mettre immédiatement sous la dépendance d'un Conseil d'administration qui n'eut point forcément partagé toutes ses vues, et il retardait jusqu'au moment, par lui jugé favorable, le soin de constituer une société. Assuré ainsi qu'on n'entraverait point ses initiatives, nanti de trente mille francs qui venaient s'ajouter à l'argent qu'il comptait bien rapporter de Saint-Julien-des-Ménétriers, il envisagea sans craintes un avenir qui se trouvait cependant quelque peu assombri par des charges aussi lourdes qu'un loyer annuel de douze mille francs et des frais de réparations dont le devis dépassait une quinzaine de mille francs, et qui, en fait, en coûtèrent plus de dix-sept mille.
Sis aux numéros 269 et 269 bis de la rue Saint-Jacques, l'ancien monastère des bénédictins anglais avait en effet besoin d'être transformé pour convenir à sa destination nouvelle : fondé en 1640 dans une dépendance du couvent des Feuillantines, ce prieuré avait été achevé en 1677 et consacré à Saint Edmund, roi d'Angleterre. Jacques II y fut enterré en 1708, et Louise-Marie Stuart, sa fille, en 1712. Demeuré bien de mainmorte sous la Révolution, l'immeuble est toujours resté la propriété des évêques anglais, sous la tutelle de l'Etat français, ce qui explique sans doute qu'on y trouve encore le bel escalier et le salon décoré de boiseries Louis XIV que ses premiers occupants y avaient fait construire (23).
(23) Cf. André Hallays : la Maison de la Schola, conférence prononcée le 3 novembre 1900 à l'ouverture des cours de la Schola. Plaquette extraite de la Tribune de Saint-Gervais, éditions de la Schola.
Les travaux commencés en juillet furent achevés pour la rentrée de 1900. L'ancienne chapelle des bénédictins fut convertie en salle de concert pouvant contenir plus de cinq cents auditeurs. Les locaux étaient suffisamment vastes pour loger non seulement les classes et tous les services de la Schola, mais encore la maison de famille.
Dans les derniers jours de septembre, Bordes ouvrait la nouvelle Schola par des assises de musique religieuse qui durèrent cinq jours. Le 2 novembre, M. Vincent d'Indy commençait les cours, et une fête d'inauguration fut donnée : « Le soir, il y eut un remarquable concert avec le Quatuor Parent, Mme Jeanne Raunay, etc. Cette séance était consacrée à la mémoire de César Franck et de Castillon, d'Ernest Chausson et de Guillaume Lekeu, ses élèves, qui sont de la Schola, malgré leur disparition, la Schola étant l'œuvre des élèves de César Franck, la radieuse et sereine figure du maître des Béatitudes, le père spirituel de la Schola rayonnant au-dessus d'elle. N'est-elle pas la continuatrice de son action bienfaisante ? » (24).
(24) René de Castéra, loc. cit., p. 64.
M. Vincent d'Indy
En ouvrant les cours, M. Vincent d'Indy avait prononcé une allocution et défini l'école répondant aux besoins modernes (25). Ce discours eut un retentissement énorme et souleva une sorte de tempête dans le monde des musiciens. Mais le dénigrement et l'envie même ne sont-ils pas la rançon du succès ? En s'installant rue Saint-Jacques, la Schola venait de prouver que l'œuvre conçue par Bordes, Guilmant et M. Vincent d'Indy était viable. Elle a prouvé depuis qu'elle était susceptible de rendre à la musique tous les services qu'en attendaient ses créateurs.
(25) V. d'Indy : Une école répondant aux besoins modernes. Editions de la Schola.
La période de début était terminée. Rapidement le nombre des élèves augmenta : dès 1905, il atteignait environ 300. En 1912, il dépassait 400. Pendant la guerre, naturellement, il y eut une diminution et le chiffre moyen se maintint à 300, puis la progression reprit et les inscriptions s'élevèrent à 500 en 1924. Le renom de la Schola a bien vite franchi les frontières et parmi les jeunes gens qu'elle attire on compte des belges, des anglais, des roumains, des américains du nord et du sud.
Le prix des cours a toujours été aussi peu élevé que possible, la Schola n'ayant jamais oublié le caractère de désintéressement dont ses fondateurs ont voulu marquer son enseignement. Avant la guerre, ce prix était fixé à 75 francs par trimestre pour un cours et à 100 francs pour deux cours ou plus. Il a dû être augmenté depuis, mais dans une proportion de 60 à 75 pour cent du tarif d'avant-guerre, ce qui reste bien au-dessous, à beaucoup près, de l'enchérissement général de toutes choses. D'ailleurs de nombreuses bourses et des encouragements aux élèves les plus méritants et les moins fortunés sont accordés tous les ans. Les noms des élèves boursiers ne sont point publiés et ne sont connus que du Conseil d'Administration. Un fait qui montre bien le caractère vraiment philanthropique de la Schola, c'est que les actionnaires n'ont jamais consenti à recevoir les dividendes qu'ils auraient pu toucher, pour que tout l'argent soit employé à alléger le plus possible la charge de chacun.
A l'heure actuelle, le personnel administratif de la Schola comprend un Directeur des Etudes (M. Vincent d'Indy), un Inspecteur général des Etudes (M. Louis de Serres), un Secrétaire Général (M. Guy de Lioncourt), un Secrétaire des Concerts (M. Michel d'Argœuvres), et un Secrétaire-surveillant-comptable (M. E. de Becdelièvre).
Les cours sont divisés en cours supérieurs, cours du 2e degré, et cours du 1er degré.
Les cours supérieurs comprennent la composition (M. Vincent d'Indy) ; l'orgue (M. Louis Vierne) ; le piano (Mlle Duranton, Mme Crépet-Bertrand qui succéda à Mlle Blanche Selva) ; le violon (MM. Armand Parent et Nestor Lejeune).
Cours de composition de la Schola, 1897-1907.
De g. à dr. : MM. Jomain, Bret, Coindreau, Labey, de Castéra, Vincent d'Indy, M. Alquier, Serieyx, Estienne, Albert Roussel, Pineau.
Les cours du 2e degré sont ceux de chant grégorien (M. Amédée Gastoué) ; de déclamation lyrique (M. Louis de Serres) ; de contrepoint (MM. de Lioncourt et Le Flem) ; d'orgue (M. Abel Decaux ; suppléant, M. Maurice Sergent) ; de piano (M. Paul Braud. Mlle Duranton, suppléante ; Mlle Marie-Hélène Bonnet, Mme Crépet-Bertrand et Mlle Marthe Dron) ; de violon (MM. Armand Parent et Nestor Lejeune) ; de violoncelle (M. L. Fournier).
Un cours intermédiaire du 2e degré existe pour l'orgue (M. Maurice Sergent) ; le piano (M. R. Vanzande, Mmes Léo, Crépet-Bertrand, Larrouy, et Mlle M. Dron, qui remplaça Mlle A. Lafuge) et le violon (M. A. Claveau, Mlle A. Quintin).
Les cours du 1er degré sont confiés : le solfège à MM. Gravollet, Tremblay, Jeanneret, Mme Gravollet, Mlles Gjertz, Riquet, Bonnet, Etienne et Gabeaud ; le chant grégorien à M. A. Gastoué et Mme Jumel ; le chant à MM. A. Gébelin, G. Mary, Mmes Legrand-Philip, Lorée-Mourrey, Malnory-Marseillac (qui a remplacé Mme Alice Seyrès) et Mlles Pironnay et G. Rogué ; l'harmonie à MM. A. Philip, L. Saint-Requier, J. Civil y Castellvi, Mmes Cadier et C. Gauthiez ; l'accompagnement et l'improvisation à M. Lejealle ; la pratique de l'office à M. Marc de Ranse ; l'orgue à MM. Pineau et d'Argœuvres ; le piano, à M. Beaumgarten, et Mlles Cl. Hugon, Erard, Demont, S. Naud (qui remplaça Mlle Prestat), Paule Piédelièvre (qui succéda à Mlle Bourdrel de Contes) et Andrée Parent ; la harpe chromatique à Mme Genèvrier ; le violon à MM. E. Borrel, de Junemann, Mme Ibos, Mlle J. Surcouf ; le violoncelle à Mme Brachet-Bergeron ; l'alto à M. F. de la Haulle ; la flûte à M. Portré ; le hautbois à M. Mondain ; la clarinette à M. Richard ; le basson à M. Hermans ; le cor à M. Lambert et le trombone à M. Delbos.
Enfin des cours d'ensemble de Musique de chambre (M. Louis de Serres, qui professe également le cours d'ensemble de chœurs) et d'ensemble d'orchestre (M. Vincent d'Indy), complètent l'enseignement.
Le règlement de la Schola diffère sur nombre de points du règlement du Conservatoire : il n'y a pas de limite d'âge pour l'admission des élèves, et cette admission peut se faire au commencement de chaque trimestre, pour prendre date du 1er octobre, du 1er janvier ou du 1er avril. Toutefois, l'examen d'admission d'octobre est le seul immuable, et si les circonstances l'exigent il peut arriver que la direction supprime l'entrée aux deuxième et troisième trimestres.
L'admission se fait par voie d'examen. Les candidats après s'être fait inscrire au secrétariat sont prévenus du jour où ils subissent l'audition d'entrée. A cette audition, ils doivent apporter deux ou trois morceaux, de préférence classiques, et permettant aux examinateurs de se rendre compte des qualités techniques et expressives de l'aspirant. Aucun morceau n'est imposé et le choix du candidat reste absolument libre. Pour les instrumentistes, il est demandé au moins une étude, en plus des morceaux d'exécution. A la suite de cette audition, le Directeur des Etudes juge si l'aspirant est digne d'entrer à la Schola, et dans l'affirmative, le directeur désigne les cours que l'élève paraît devoir suivre avec fruit. Si un élève se montre suffisamment instruit pour suivre avec profit les cours du deuxième degré, il peut être inscrit directement à ces cours sans qu'il lui soit imposé de passer par les études du premier degré.
Les élèves sont tenus d'assister régulièrement à tous les cours auxquels ils sont inscrits. Trois absences non motivées peuvent entraîner l'exclusion. La plus grande assiduité est exigée et le règlement est formel sur ce point : « Nul élève ne peut cesser de fréquenter un cours auquel il est inscrit, ni changer de cours sans avoir obtenu une autorisation spéciale de la direction. Aucun congé ne peut être accordé en dehors des périodes de vacances régulières. Tout élève qui serait forcé de s'absenter et d'abandonner momentanément ses études ne serait jamais assuré de retrouver ensuite une place dans les classes où il était inscrit. Estimant que tous considèrent l'Ecole comme une grande famille, et qu'il est de l'intérêt de tous d'agir de façon à être traités paternellement, le Directeur des études ne veut pas user de pénalités vis-à-vis des élèves ; il se réserve seulement dans les cas graves, le droit de prononcer l'exclusion immédiate, qui est aussitôt affichée au tableau des annonces de l'Ecole ».
Excepté les élèves qui ne fréquentent que les cours d'ensemble vocal ou d'ensemble d'orchestre, et les élèves des cours de composition et des cours supérieurs de piano et de violon, tous les élèves doivent subir, à la fin du premier trimestre, une inspection qui a pour but de constater le travail fourni depuis le début de l'année scolaire. Les jour et heure de cette inspection ne sont annoncés qu'une semaine à l'avance. Les épreuves portent exclusivement sur les matières enseignées au cours du trimestre, et, principalement, quant aux classes instrumentales, sur la technique.
A l'expiration de l'année scolaire, et dans toutes les classes sans exception, a lieu un examen dit de fin d'année. Les élèves des cours de composition prennent part à cette épreuve qui consiste pour eux en un double examen, écrit et oral, sur les matières qui ont fait l'objet du cours de l'année entière.
La durée des études est de quatre ans pour les cours du premier degré, de trois ans pour les cours du deuxième degré, et de deux ans pour les cours supérieurs de piano et de violon. A la suite des derniers examens, la Schola délivre des certificats de sortie de classe, constatant les connaissances acquises. Un diplôme de fin d'études est remis aux élèves des cours du second degré et des cours supérieurs qui peuvent être considérés comme ayant terminé leurs études. Si ces élèves ont atteint une somme de points fixée à l'avance et déterminée au moyen de coefficients, ils obtiennent les mentions assez bien, bien ou très bien. Seuls les élèves sortant des cours du premier degré avec la mention « très bien » sont admis à passer aux cours intermédiaires ou du deuxième degré. La même disposition est applicable aux élèves des cours du deuxième degré désireux d'entrer dans les cours supérieurs. Il est exigé d'eux, en outre, des connaissances reconnues suffisantes en harmonie. Les élèves sortis de l'école avec la mention « bien », sont admis à se présenter au cours immédiatement supérieur à celui qu'ils quittent après un délai de deux années révolues depuis leur sortie.
Les notes d'examen sont baissées proportionnelle ment aux absences constatées et non justifiées. Les élèves qui n'ont pas obtenu un certain nombre de points fixé à l'avance sont automatiquement éliminés de leurs cours. Les élèves qui n'ont pas achevé leurs études et ne sont pas éliminés de leurs cours, à la suite des examens de fin d'année, restent inscrits pour l'année suivante. Tout élève, qui, ayant même une raison majeure, n'est pas rentré avant la fin d'octobre est rayé des cours.
L'Ecole organise des Concerts, auxquels prennent part les élèves instrumentistes d'orchestre et les élèves du chant. Sur leur demande, ces élèves peuvent bénéficier d'une réduction sur le prix des cours (allant jusqu'à la gratuité complète pour les élèves ne suivant que les cours de composition). De plus, tous peuvent recevoir des cachets quand l'école prête son concours rétribué à des concerts non organisés par elle. En échange de ces faveurs, les élèves doivent s'engager formellement et par écrit à figurer dans tous les concerts et répétitions auxquels leur présence est requise. En cas de rupture de cet engagement, l'élève perd tout droit à bénéficier ultérieurement des conditions spéciales qui lui ont été faites sur le prix des études et doit rembourser les frais dont il lui a été fait remise.
Les cours d'ensemble vocal sont obligatoires pour tous les élèves instrumentistes d'orchestre de 2e et 3e année qui ne font pas partie des exécutions de concert. Les élèves des cours de chant sont tenus d'assister au cours de solfège et sont rayés de leurs classes s'ils n'obtiennent pas au moins la mention assez bien au bout d'une année d'études de solfège. Les cours de musique de chambre sont obligatoires pour tous les élèves de violon, alto et violoncelle (cours du deuxième degré et cours supérieur), qui ont été reconnus aptes à faire partie des exécutions de concert. Aucun pianiste ou violoniste n'est admis à ce cours en dehors des élèves et anciens élèves des cours du deuxième degré et des cours supérieurs. Les élèves du cours de composition sont obligés d'assister au cours de chant grégorien, et tous les élèves des cours d'orgue du deuxième degré sont tenus d'assister au cours d'accompagnement. Le diplôme de sortie des classes de solfège est exigé pour l'obtention d'un diplôme quelconque du deuxième degré, et pour l'inscription dans un cours d'harmonie. Les élèves ne sont admis dans un cours intermédiaire, et à plus forte raison du second degré, qu'après avoir obtenu la mention bien dans un cours de solfège (deuxième division). Le diplôme de sortie du cours d'accompagnement est obligatoire pour l'admission au cours d'orgue supérieur.
Les élèves ne sont admis au cours du deuxième degré qu'à titre d'auditeurs. Ils n'y sont reçus définitivement qu'après une année passée dans ce cours, et s'ils ne sont pas reçus comme élèves, ils ne peuvent suivre plus longtemps la classe.
Tout élève boursier qui n'assisterait pas régulièrement aux cours obligatoires serait considéré comme renonçant à la faveur qui lui était accordée et perdrait le bénéfice de sa bourse.
Pour les examens, il est interdit aux élèves de travailler et de présenter d'autres pièces que celles qui figurent dans un répertoire publié à la suite du règlement. Le choix de ces pièces a été établi selon ce principe qu'il est meilleur de juger les élèves dans les pièces relativement faciles, mais bien exécutées, que dans des morceaux au-dessus de leurs facultés de technique et d'interprétation. Dans l'attribution des points à l'aide desquels s'établit la note d'examen, il est tenu un compte très sévère de la présentation correcte du texte musical et de l'observation stricte des tenues et des silences. Pour les examens de violon, il est pareillement tenu compte de la tenue de l'instrument qui doit toujours être irréprochable, et il est recommandé aux élèves de ne pas abuser du vibrato, qui ne doit en tous cas, pas être employé dans les études.
Salle de concert de la Schola Cantorum, rue Saint-Jacques.
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Depuis plus de vingt-cinq ans que la Schola Cantorum fonctionne, les fruits de son enseignement ont prouvé aux sceptiques et aux incrédules des débuts l'utilité de cette institution. On lui doit d'abord d'avoir formé des compositeurs qui font aujourd'hui honneur à la musique française : Albéric Magnard et Déodat de Séverac, l'un et l'autre trop tôt disparus, MM. Albert Roussel, Marcel Labey, René de Castéra, Serieyx, Bret, Le Flem, Guy de Lioncourt, L. de Rohozinsky, Marc de Ranse, Félix Raugel, d'Argœuvres, Samazeuilh, Estienne, Alquier, J. Civil, etc... On lui doit aussi d'avoir réussi à faire triompher les idées de ses fondateurs à la fois novateurs et traditionalistes, pour le plus grand bien de l'art. Dans l'histoire de la musique au cours de ce dernier quart de siècle, la Schola occupera une place privilégiée parce qu'elle a exercée une action vivifiante dont les effets immédiats ou indirects continueront longtemps de se faire sentir.
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Il est impossible d'énumérer ici toutes les institutions privées qui ont pour objet l'enseignement de la musique. Mais, aussi bien parce qu'elle compte parmi ses professeurs des maîtres comme MM. I. Philipp, Alfred Cortot, Lazare Lévy, Maurice Hayot, Jacques Thibaud, Pablo Casals, Max d'Ollone, André Tracol, Paul Landormy, Maurice Emmanuel, Henry Expert et Mlle Nadia Boulanger, que parce qu'on y a organisé des cours d'interprétation destinés aux artistes désireux de se perfectionner auprès des plus grands maîtres (26), il serait injuste de ne pas mentionner l'Ecole Normale de Musique fondée par M. Auguste Mangeot, directeur du Monde Musical. Les études y sont divisées en trois degrés : élémentaire, secondaire et supérieur. L'enseignement général, loin d'y être considéré comme un complément. constitue au contraire la base essentielle de l'éducation musicale, ce qui est un principe excellent, et dont les résultats obtenus montrent l'efficacité.
(26) Ces cours sont faits, pour le piano, par M. Alfred Cortot et Mme Wanda Landowska ; pour le violon, par M. Jacques Thibaud, pour le violoncelle, par M. Pablo Casals ; pour le chant, par Mmes Croiza et Ninon Vallin et M. Reynaldo Hahn, et pour l'orgue, par M. Marcel Dupré.
la salle de travail de la Bibliothèque du Conservatoire (debout, M. Henry Expert ; au pupitre, M. Mathieu)
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Pendant de longues années la valeur de l'enseignement musical français fut méconnue à l'étranger, comme était méconnue d'ailleurs dans le même temps la valeur de l'école symphoniste française. On estimait volontiers qu'il n'y avait de bonne musique que d'Italie ou d'Allemagne, d'Autriche ou de Russie, mais de France, point. Par exemple jusqu'au jour où M. Walter Damrosch, chef du New York Symphony Orchestra, se fit le champion de nos compositeurs, le public d'outre-mer qui n'ignorait ni Samson, ni Carmen, ni Manon, ne se doutait pas qu'il y eût en France des compositeurs contemporains dont l'horizon ne fût pas borné par le théâtre. Pourtant il advint que des maîtres français furent invités à passer l'Atlantique : MM. Caplet, Rabaud, Wolff, Monteux, Grovlez, entre autres, à Boston, à New York et dans quelques grandes villes américaines, furent les bons ouvriers de cette utile propagande dont la musique française avait tant besoin. Pendant et depuis la guerre, des tournées furent organisées, les engagements d'instrumentistes se multiplièrent, et l'on put croire que nous allions reconquérir le terrain perdu. En attirant l'attention du monde sur la musique française, ces artistes qui s'expatriaient attiraient du même coup l'attention sur l'enseignement auquel ils devaient d'être devenus des maîtres.
Avons-nous su tirer tout le profit qu'il eût été légitime de recueillir de la situation favorable où nous nous trouvions placés, au point de vue de notre influence, aussitôt après la guerre ? Il est probable que non, mais ce n'est point la faute de ceux qui ont travaillé de toutes leurs forces à faire reconnaître la valeur de nos musiciens... Quoiqu'il en soit, des résultats ont été obtenus, et qui ne sont nullement négligeables : depuis 1920 une école américaine de musique fonctionne à Fontainebleau, et cette création a obtenu un succès qui s'accentue d'année en année.
On retrouve à la naissance du Conservatoire américain de Fontainebleau l'action bienfaisante de M. Walter Damrosch. Celui-ci a conté, dans une interview publiée par le New York Herald, comment l'idée de fonder en France cette école de perfectionnement pour les jeunes artistes américains était née pendant la guerre : « J'étais à Paris, disait-il, au moment où l'armée américaine y arriva. Le général Pershing me fit venir à Chaumont : il s'agissait de créer, d'improviser plus de deux cents musiques militaires pour lesquelles tout manquait, et surtout les chefs.
Il fut convenu que je solliciterais du gouvernement français, qui très aimablement me l'accorda, le concours d'instructeurs français comme MM. Francis Casadesus et André Caplet, ancien chef d'orchestre de Boston.
On fit pour la musique militaire ce que l'on avait fait pour l'artillerie, par exemple ; on créa un centre d'instruction. On s'installa dans un vieux moulin près de Chaumont, et l'on travailla. Les français ont le don de l'enseignement : ils ont la clarté et ils ont l'enthousiasme. Avec ces deux qualités jointes à la bonne volonté des élèves, on fait des miracles, et c'en fut un vraiment, que réalisèrent ces maîtres français. Le soir, ils trouvaient moyen d'organiser des concerts de musique de chambre. Ah ! les murs du vieux moulin de la Haute-Marne ont entendu de bien belle musique ! Les quatuors de Mozart et de Beethoven exécutés par vos incomparables artistes ont éveillé dans l'âme de leurs élèves le sens de la beauté musicale. Le bon grain ne peut manquer de germer. Pour beaucoup de jeunes artistes américains, ce court séjour fut une révélation. Et savez-vous, à ce point de vue, il est presque dommage que la guerre ait fini si vite !... Si elle avait duré, c'est une révolution musicale que la supériorité de l'enseignement français aurait accomplie aux Etats-Unis » (27).
(27) New York Herald (édition de Paris), 3 mai 1921.
Mais les anciens collaborateurs de W. Damrosch avaient, eux aussi, et particulièrement Francis Casadesus, aperçu tout le parti que la musique française pouvait tirer d'une institution qui eût été le prolongement dans la paix de cette école improvisée pendant la guerre. Aux Etats-Unis, une société s'était fondée qui avait pris pour titre The American friends of Musicians in France, et pour objet de trouver les fonds nécessaires à l'envoi en France de jeunes artistes désireux d'y recueillir les conseils des maîtres français. Mme George Montgomery Tuttle, de New York, réussit en quelques mois à mener à bien la tâche incombant aux américains. M. Francis Casadesus, dans le même temps, organisa la partie française de l'entreprise. Il trouva auprès du sous-préfet de Fontainebleau M. Maurice Fragnaud, et du maire de cette ville, M. Bonnet, de précieux concours. L'administration des Beaux-Arts se prêta de bonne grâce à tous les accommodements. Il fut convenu que l'école s'installerait dans l'aile Louis XV du palais. La ville de Fontainebleau vota une subvention. Pendant ce temps, M. Francis Casadesus établissait un plan d'études et constituait un comité de patronage composé du Ministre de l'Instruction Publique, du Directeur des Beaux-Arts, et de MM. Camille Saint-Saëns, Henri Rabaud, Gabriel Fauré, Th. Dubois, Charles Widor, Gustave Charpentier, Vincent d'Indy, André Messager, Maurice Ravel, Camille Chevillard, Gabriel Pierné, Philippe Gaubert et Jean de Reszké.
L'ouverture solennelle des cours eut lieu le 26 juin 1921, sous la présidence de M. Léon Bérard, ministre de l'Instruction Publique. Camille Saint-Saëns et M. Walter Damrosch définirent dans leurs allocutions le rôle de la nouvelle école, et la cérémonie prit fin par un concert.
Pour que l'école fût, comme le voulaient ses fondateurs, un véritable « musée musical vivant », on ne négligea aucun moyen de rendre l'enseignement profitable et substantiel à la fois. M. Charles Widor avait été appelé à la direction générale des études, et M. Francis Casadesus à la direction technique. Les classes furent ainsi réparties :
Composition, M. André Bloch ; Harmonie, Mlle Nadia Boulanger ; Orgue, MM. Widor et H. Libert ; Piano, MM. Philipp, de Creus, Motte-Lacroix, Silva-Herard ; Violon, MM. Remi, Maurice Hewitt ; Violoncelle, M. Hekking ; Harpe, M. Marcel Grandjany ; Chant, Mmes Cesbron-Viseur, Demougeot, M. Salignac ; Solfège, M. Fauchey ; Histoire de la Musique, M. Pillois.
En outre des conférences furent faites par des maîtres n'appartenant pas au corps des professeurs de l'école.
Les cours ouvrent le 25 juin et se terminent le 25 septembre par des concours, sanctionnés par des diplômes de fin d'études et des prix.
Depuis la fondation du Conservatoire américain, MM. Max d'011one et de Creus ont successivement remplacé M. Francis Casadesus à la direction de l'école. Deux changements, en si peu de temps, semblent indiquer que le gouvernement de l'institution n'est pas fort aisé. Peut-être, en effet, a-t-on commis une erreur en plaçant les élèves sous le régime de l'internat ; on a cru, évidemment, contraindre ainsi au travail des jeunes gens qui, venant en France pour les trois mois d'été, peuvent être tentés de considérer comme des vacances les quelques semaines qu'ils doivent consacrer au travail en une résidence voisine de la capitale. Mais quoiqu'il en soit, ces erreurs là sont réparables, et on ne saurait trop louer le désintéressement et l'initiative des maîtres qui ont créé le Conservatoire américain de Fontainebleau. C'est aux résultats qu'on doit juger une œuvre, et la leur a déjà montré quels services elle peut rendre, non seulement aux artistes d'outre-mer, mais encore à la musique française pour laquelle l'école de Fontainebleau constitue la meilleure des propagandes.
Aussi bien, les peintres, les sculpteurs et les architectes ont adopté l'idée de MM. Walter Damrosch et Francis Casadesus et créé à côté du Conservatoire de musique une Ecole des Beaux-Arts, pareillement destinée aux américains et pareillement logée dans le palais de François Ier. N'ont-ils pas montré par là combien cette idée pouvait être féconde et n'ont-ils pas rendu ainsi, en imitant les musiciens, un hommage à leur intelligente initiative ?
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Le mot de M. Walter Damrosch cité tout à l'heure : « Les français ont le don de l'enseignement : ils ont la clarté et ils ont l'enthousiasme, et avec cela, on fait des miracles » — pourrait servir de conclusion à cet inventaire de nos établissements d'enseignement.
N'est-ce point un miracle, que l'enseignement supérieur de la musique demeure florissant et contribue pour une si large part à maintenir l'influence et le renom de la culture française à l'étranger, alors qu'il nous a bien fallu commencer cette étude en constatant l'insuffisance de l'enseignement élémentaire de la musique dans nos écoles publiques ?
N'est-ce point un miracle qu'un pays, où l'Etat ne fait à peu près rien pour développer le goût et l'amour de la musique dans le peuple, ait pu produire une école symphoniste aussi remarquable, aussi diverse, et telle assurément que la production d'aucune autre contrée ne lui puisse être comparée présentement ? N'est-ce point aussi un miracle que nos compagnies orchestrales aient pu triompher des embarras issus de la guerre, recruter de nouveaux exécutants pour combler les vides qui s'étaient produits dans leurs rangs, et qu'en dépit des crises de toutes sortes dont les musiciens, plus peut-être que les autres artistes, ont subi les conséquences, la science et le talent de nos jeunes compositeurs et de nos jeunes virtuoses, leur nombre aussi, soient tels qu'ils doivent rassurer ceux qui seraient tentés de douter de l'avenir ? Il n'en serait pas ainsi si l'enseignement supérieur de la musique n'était chez nous vraiment hors de pair.
Mais ce qui est sûrement miraculeux, c'est que de pareils résultats puissent être obtenus avec des moyens aussi réduits. Nous avons en effet constaté l'insuffisance du budget du Conservatoire, et l'histoire de la Schola montre de quelle hardiesse et de quelle prudence en même temps doivent faire preuve ceux qui, chez nous, veulent entreprendre d'améliorer l'enseignement privé.
Cette constatation qui s'impose à tous ceux qui comparent les ressources de nos établissements d'enseignement avec les ressources dont disposent les écoles musicales à l'étranger, est bien le plus bel éloge qu'on puisse faire des maîtres français. Aux qualités professionnelles et au savoir, ils joignent une vertu plus rare : le désintéressement. Et aujourd'hui plus que jamais, cette vertu là semble le gage le mieux propre à répondre de l'avenir.
P.-S. — Par décret du 22 décembre 1924, un diplôme d'études musicales supérieures a été créé. Ce diplôme est décerné par le Conseil supérieur, sur la demande du Directeur du Conservatoire, « à tout musicien, homme ou femme, ayant suivi les cours du Conservatoire pendant trois ans au moins dans une classe supérieure, et ayant obtenu trois premiers prix, dont l'un devra être soit le premier prix de fugue, soit le premier prix d'harmonie, soit le premier prix d'accompagnement au piano, soit le premier prix d'orgue, et dont un autre devra être le premier prix d'histoire de la musique. Exceptionnellement, et la moyenne des notes d'examen étant prise en considération, le lauréat titulaire de deux premiers prix et d'un second prix dans les conditions ci-dessus exposées pourra également obtenir le diplôme d'études musicales supérieures. »
René DUMESNIL.